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La construction du constitutionnalisme tunisien : étude
de droit comparé
Carla Yared
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Carla Yared. La construction du constitutionnalisme tunisien : étude de droit comparé. Droit. Uni-
versité de Bordeaux, 2021. Français. ￿NNT : 2021BORD0028￿. ￿tel-03168107￿
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THÈSE PRÉSENTÉE POUR OBTENIR LE GRADE DE
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX
ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT (E.D. 41)
SPÉCIALITÉ DROIT PUBLIC
Par Carla YARED
LA CONSTRUCTION DU CONSTITUTIONNALISME TUNISIEN
ETUDE DE DROIT COMPARE
Thèse dirigée par
Mme Marie-Claire PONTHOREAU
Professeur à l’Université de Bordeaux
Soutenue le 22 janvier 2021
Membres du jury :
Mme Neila CHAABANE
Doyenne à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, rapporteure
M. Baudouin DUPRET
Directeur de recherche au CNRS, Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux
M. Beligh NABLI
Maître de conférences HDR à l’Université Paris-Est Créteil
M. Xavier PHILIPPE
Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, rapporteur
Mme Marie-Claire PONTHOREAU
Professeure à l’Université de Bordeaux, directrice de recherche
M. Charles-Edouard SENAC
Professeur à l’Université de Bordeaux, président du jury








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LA CONSTRUCTION DU CONSTITUTIONNALISME TUNISIEN
ETUDE DE DROIT COMPARE
Résumé : Partagée entre l’universel et le national, la Constitution du 27 janvier 2014 est la
dernière expression du constitutionnalisme tunisien. Inscrit dans l’aire arabo-musulmane, ce
constitutionnalisme interroge l’impact de l’Islam sur les composantes traditionnelles du
constitutionnalisme. En étudiant le sort et l’essor du constitutionnalisme en Tunisie, le
comparatiste cherche à savoir comment la Tunisie aménage son identité constitutionnelle avec
les fondements du constitutionnalisme. En appréhendant
la réalité constitutionnelle
tunisienne, le comparatiste relève la tension entre les standards constitutionnels globaux et les
spécificités identitaires nationales. Malgré cela, la singularité du cas tunisien apparaît au
contact d’expériences arabes et musulmanes similaires à l’instar de l’Egypte et du Maroc.
Mots clés : Identité constitutionnelle - Constitutionnalisme global – Tunisie – Cas singulier –
Droit constitutionnel comparé – Islam
THE CONSTRUCTION OF TUNISIAN CONSTITUTIONNALISM
COMPARATIVE LAW STUDY
Abstract: Shared between the universal and the national, the Constitution of 27 January 2014
is the last expression of Tunisian constitutionalism. Inscribed in the Arab-Muslim era, this
constitutionalism questions
the
impact of Islam on
the
traditional components of
constitutionalism. Studying the fate and rise of constitutionalism in Tunisia, the comparatist
seeks to know how Tunisia adapts its constitutional identity with the foundations of
constitutionalism. In apprehending the Tunisian constitutional reality, the comparatist points
out the tension between global constitutional standards and identitarian and national
specificities. Nevertheless, the Tunisian singularity appears in contrast with similar Arab and
Muslim experiences such as Egypt and Morocco.
Key words: Constitutional Identity – Global Constitutionalism – Tunisia – Single case –
Constitutional Comparative Law – Islam
UNITE DE RECHERCHE
CERCCLE (EA 7436) ; 4, rue du Maréchal Joffre, 33075 Bordeaux Cedex








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LA CONSTRUCTION DU CONSTITUTIONNALISME TUNISIEN
ETUDE DE DROIT COMPARE
TOME I

























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INTRODUCTION GENERALE
SOMMAIRE
PARTIE I. LA PLACE DE L’ISLAM DANS LA FORMATION D’UNE IDENTITE
CONSTITUTIONNELLE ECLATEE
Titre I. La consécration constitutionnelle de l’identité
Chapitre 1. Une identité constitutionnelle à l’image de la composition hétérogène de
l’Assemblée Nationale Constituante
Chapitre 2. La naissance du « compromis dilatoire » entre théocrates et démocrates
Titre II. Une identité constitutionnelle à la croisée des valeurs universelles et nationales
Chapitre 1. La neutralisation des valeurs humaines par les valeurs identitaires
Chapitre 2. Une identité constitutionnelle respectueuse des droits reconnus à l’Homme par
l’Islam
PARTIE
II. LES CONFLITS
INHERENTS AU CONSTITUTIONNALISME
TUNISIEN
Titre I. Sort et essor du constitutionnalisme tunisien
Chapitre 1. La naissance du constitutionnalisme et l’idée de constitution en Tunisie
Chapitre 2. Le constitutionnalisme
tunisien actuel comme discours alternatif au
constitutionnalisme global
Titre II. Le constitutionnalisme tunisien : un discours progressiste, des pratiques
discriminatoires
Chapitre 1. Un Etat « civil » pour un peuple musulman
Chapitre 2. Le parachèvement du constitutionnalisme tunisien : la mise en place de la Cour
constitutionnelle












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REMERCIEMENTS
Mes remerciements s’adressent en premier à Madame
le Professeur Marie-Claire
PONTHOREAU. Je la remercie de m’avoir accompagné depuis le Master I en droit public
général et de m’avoir communiqué son intérêt pour le droit comparé. Merci de m’avoir confié
ce sujet de thèse et d’avoir été aussi exigeante avec moi.
Je tiens également à remercier les membres du jury pour leur présence, pour leur lecture
attentive de ma thèse ainsi que pour les remarques qu’ils m’adresseront lors de la soutenance.
Je voudrais exprimer ma gratitude à Madame le Professeur Neila CHAABANE que j’ai eu
l’honneur de rencontrer à Tunis, aux cours des deux dernières sessions de l’Académie
Internationale de Droit Constitutionnel. Je remercie aussi Messieurs Baudouin DUPRET et
Beligh NABLI. Je remercie le premier d’avoir pris le temps de me recevoir au LAM à
l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux et le second d’avoir échangé avec moi lors du
colloque sur le droit et la géographie à l’Université de Bordeaux. Je remercie tout autant le
Professeur Xavier PHILIPPE pour son expertise et ses écrits sur la Tunisie. Merci enfin au
Professeur Charles-Edouard SENAC de m’avoir associé au projet franco-libanais sur les
constitutions arabes.
Ces cinq années de recherche ont été marquées par d’innombrables rencontres. Je tiens à
remercier les trois personnes qui m’ont le plus épaulé au cours de ce long cheminement.
Merci à Géraldine TIXIER LACAZE, Nidhal MEKKI et Sébastien MARTIN. Géraldine, je
vous remercie pour vos nombreuses relectures et conseils. Nidhal, merci d’être un ami et
collègue sans pareil. Merci de m’avoir fait découvrir la Tunisie et de m’avoir ouvert les portes
du CIRAM. De Tunis à Québec, tu t’es assuré que le monde arabe ne quitte jamais mes
pensées et mes recherches. Sébastien, merci d’avoir toujours cru en moi. Ton coaching et
tes multiples entraînements m’ont aidé à décrocher le poste d’ATER à Science Po Bordeaux.
Je suis très reconnaissante aux Professeurs Anne GAUDIN et Dario BATTISTELLA de
m’avoir ouvert les portes de l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux et de m’avoir donné
carte blanche pour mes divers enseignements. Votre confiance a fait de ces deux dernières
années, les meilleures de mon parcours universitaire.







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Je remercie mes amis juristes les plus chers, Myriam, Jiff et Zakia. Je les remercie de leur
soutien sans relâche, de leurs nombreuses discussions, lectures et conseils. Depuis l’année de
Master II à l’Université de Bordeaux et malgré la distance, ils m’ont toujours soutenu et
épaulé.
Mes remerciements vont enfin à celles et ceux sans qui ce manuscrit n’aurait jamais vu le
jour. Je suis redevable à ma mère, Line FINAN et à ma sœur, Nathalie YARED pour leur
soutien moral et matériel et leur confiance indéfectible. Merci d’être aussi altruistes et d’avoir
rendu le matriarcat possible.
Ces remerciements vont également à Maylis avec qui je partage la passion de la danse depuis
des années et qui s’est toujours assurée que je sois aussi saine d’esprit que de corps.
Last but not least, ces remerciements s’adressent à Oussama habibi. Merci d’être aussi
présent, de me suivre dans tous mes engagements, d’être aussi solaire et d’avoir fait entrer
Marrakech dans ma vie.















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LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS
ANC
Assemblée Nationale Constituante
ARP
Assemblée des Représentants du Peuple
ATDC
Association Tunisienne de Droit Constitutionnel
BIDDH
Bureau des Institutions Démocratiques et des Droits de l'Homme
CDL
Commission des droits et libertés
CEDEF
Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes
CEDH
Convention européenne des droits de l’Homme
CJJAFC
Commission des
constitutionnelles
juridictions
judiciaires, administratives, financières et
CMCRC
Comité mixte de coordination et de rédaction de la Constitution
COLIBE
Commission des Libertés Individuelles et de l’Egalité
CPPFRC
Commission du préambule, des principes fondamentaux et de révision de la
Constitution
CPR
Congrès Pour la République
CSFA
Conseil Suprême des Forces Armées
CSM
Conseil Supérieur de la Magistrature
CSP
DRI
Code du Statut Personnel
Democracy Reporting International
DUDH
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
FSN
Front de Salut National
HAICA
Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle
HCC
Haute Cour Constitutionnelle
HCDH
Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme
HRW
Human Rights Watch
























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IPCCPL
Instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois
IRMC
Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain
ISIE
Instance Supérieure Indépendante pour les Elections
ISROR
Instance Supérieure pour la Réalisation des Objectifs de la Révolution / Haute
instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique
et la transition démocratique
IVG
Interruption Volontaire de Grossesse
JORT
Journal Officiel de la République tunisienne
LRP
Ligue(s) de Protection de la Révolution
LTDH
Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme
MDS
Mouvement des Démocrates Socialistes
MPD
Mouvement des Patriotes Démocrates
MTI
Mouvement de Tendance Islamique
OCDE
Organisation de Coopération et de Développement Economique
OIT
Organisation Internationale du Travail
ONG
Organisation Non Gouvernementale
ONU
Organisation des Nations Unies
OSCE
Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe
PCOT
Parti Communiste Ouvrier Tunisien
PIDCP
Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques
PIDESC
Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels
PNUD
Programme des Nations Unies pour le Développement
RCD
Rassemblement Constitutionnel Démocratique
SMSI
Sommet Mondial sur la Société de l’Information
UGET
Union Générale des Etudiants de Tunisie
UGTT
Union Générale Tunisienne du Travail


























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UNCT
United Nations Country Team
UNESCO Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture
UTICA
Union Tunisienne de l’Industrie du Commerce et de l’Artisanat





























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INTRODUCTION GENERALE
« [N]ous acceptons tous bien des choses que nous offre le monde qui nous entoure, soit
qu’elles nous paraissent avantageuses, soit qu’elles nous paraissent inévitables ; mais il
arrive à chacun de se rebiffer lorsqu’il sent qu’une menace pèse sur un élément significatif de
son identité – sa langue, sa religion, les différents symboles de sa culture, ou son
indépendance. Aussi, l’époque actuelle se passe-t-elle sous le double signe de l’harmonisation
et de la dissonance.
»
Amin MAALOUF, Les identités meurtrières, Editions Grasset & Fasquelle, Coll. « Le Livre
de poche », 1998, p.105.
La vague révolutionnaire qui a déferlé sur les pays arabo-musulmans en 2010 a été qualifiée
de
Printemps arabe1. Historiquement connotée, l’expression Printemps arabe2 suppose de
comprendre les causes et les conséquences des soulèvements populaires qui ont éclaté en
Tunisie, en Egypte, au Yémen ou encore en Libye. Le 17 décembre 2010, l’immolation du
jeune vendeur ambulant Mohamed BOUAZIZI déclenche la révolte des villes du centre et du
sud de la Tunisie
3. Diplômés mais sans emploi, les jeunes Tunisiens se sont alliés aux
1
Expression employée pour parler des révolutions de certains pays arabes tels que la Tunisie, l’Égypte, le
Yémen ou encore la Libye, à partir du mois de décembre 2010. Le
Printemps arabe se réfère à la saison du
réveil de la nature. A l’instar des plantes qui fleurissent, des animaux qui sortent de leur tanière après avoir
hiberné, les peuples arabes se sont réveillés. Ils exprimaient enfin leur volonté de changement et leur désir
d’une nouvelle vie politique. Pour plus de précisions sur ce point cf. J.-P. FILIU,
La Révolution arabe, dix
leçons sur le soulèvement démocratique, Paris, Fayard, 2011, 264 p.
2 Beaucoup d’observateurs internationaux ont lié le Printemps arabe de 2011 au Printemps de Prague de
1968. L’effondrement des régimes politiques en place dans le monde arabe rappelle l’échec du Pacte de
Varsovie, la révolution en Europe centrale et orientale et la fin de l’Union soviétique. Bien que la nature
révolutionnaire du changement et son orientation sociale, économique et politique évoque l’exemple de
l’Europe de l’Est, la question de la place et du rôle de l’Islam dans les constitutions et les futures
institutions des pays du monde arabe distingue le
Printemps arabe du Printemps de Prague. Pour une étude
détaillée des similitudes et des différences entre le
Printemps arabe et le Printemps de Prague cf. N.
JEBNOUN, “State and Religion in the Aftermath of the Arab Uprisings”,
in R. GROTE & T. J. RÖDER
(eds.),
Constitutionalism, Human Right and Islam after the Arab Spring, New York, Oxford University
Press, 2016, pp. 207-231.
3 Ces villes étaient marginalisées par leur manque d’infrastructures et leur taux de chômage élevé. Le
développement économique se faisait dans les villes de la côte et du nord du pays attirant 90 % du
tourisme, des industries textiles, chimiques et électromécaniques. Pour plus de précisions sur ce point cf.
F. KHOSROKHAVAR,
The New Arab Revolutions that Shook the World, Boulder, Paradigm Publishers,
2012, p. 33.
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travailleurs des régions périphériques du pays pour réclamer un travail décent et le droit à une
vie digne. Ils contestaient les disparités géographiques, économiques et sociales qui
traversaient le pays. «
L’emploi est un droit, bande de voleurs »4 scandaient alors les
Tunisiens.
En gagnant la capitale, les révoltes des régions périphériques du pays se sont transformées en
une révolution
5. Aux revendications premières de dignité, de liberté, d’égalité et de justice
sociale s’est ajoutée l’ambition démocratique des Tunisiens. Dans les rues de Tunis, les
paysans, ouvriers, diplômés chômeurs et classes sociales aisées de la capitale martelaient :
«
Le peuple veut la chute du régime. »6 Bien que fondé sur des considérations matérielles, le
message révolutionnaire des Tunisiens est éminemment politique. Initialement détaché des
considérations identitaires et religieuses, l’aspiration démocratique des Tunisiens se propage
rapidement à d'autres pays arabo-musulmans d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Ceci
s’explique par plusieurs facteurs.
A la veille des soulèvements populaires de 2010-2011, aucun pays arabe n’était considéré
comme ayant eu des
institutions démocratiquement élues et constitutionnellement
responsables. Malgré l’accession à l’indépendance des Etats arabes dans les années 1960, le
pouvoir et la richesse restaient concentrés entre les mains de quelques privilégiés
7. Les
multiples réformes entreprises ne faisaient que renforcer les hommes au pouvoir et, sous les
coups de la globalisation économique, l’écart entre les riches et les pauvres se creusait
8. A
cela s’ajoute les difficultés que rencontrait le secteur de l’éducation
9 : en dépit d’un budget
important consacré à l’enseignement secondaire et supérieur, les jeunes étaient fortement
touchés par le chômage. Le système éducatif n’était pas adapté au marché du travail et ce
4 A-shugl istihqâq ya’isâbat a-surrâq (traduction littérale et dialectale de l’arabe tunisien).
5 La naissance du « peuple de la révolution » fait l’objet du 1. du A. du Paragraphe 1 de la Section 1 du
Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE I de cette thèse, p. 59.
6 A sha’b yurîd isqât a nidhâm (traduction littérale et dialectale de l’arabe tunisien).
7 E. GELABERT, « Le Printemps arabe en perspective », « Cahiers de l’action », 2013/2, n°39, pp. 11 à 17.
8 N. JEBNOUN, “State and Religion in the Aftermath of the Arab Uprisings”, précit., p. 213.
9 Dans les années 1950, les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ont engagé une transition
démographique. Le taux de fécondité a diminué et les études secondaires et supérieures ont connu un essor
important. Même si ces pays ont consacré un budget important à l’éducation, la tranche d’âge des 15-29 ans
a été fortement touchée par le chômage. A cela s’ajoute le manque de restructuration du marché du travail
qui peine à absorber les flux massifs de demandeurs d’emploi. Les nouvelles générations, pourtant plus
diplômés que celles qui les ont précédées, se retrouvent sans travail. Marginalisées, leur sentiment
d’indignation s’exacerbe et se mû peu à peu en révolte. T. PECH, « Monde arabe 00 : les ressorts de la
révolte »,
Alternatives économiques, n° 300, publié le 1er mars 2011, [en ligne], [consulté le 18 septembre
2020], https://www.alternatives-economiques.fr/monde-arabe-ressorts-de-revolte/00042291.
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dernier peinait à absorber les multiples demandes d’emploi10. « Vivant dans des conditions
d’inégalité socio-économique, de mauvaise gestion, de chômage élevé chez les jeunes, de
services publics lamentables, d’anxiété et de relations de plus en plus méfiantes entre les
citoyens et les États, de nombreuses personnes ont éprouvé un sentiment d’humiliation
politique, de perte de dignité et de perte de respect de soi.
»11 L’indignation des populations
arabes était exacerbée par le déficit des libertés, l’ineffectivité des droits constitutionnels
consacrés et, les multiples inégalités qu’elles subissaient.
Alors, quand le 14 janvier 2011, la révolution tunisienne renverse le régime autoritaire de
Zine El Abidine BEN ALI, les observateurs internationaux s’intéressent de plus près à la
Tunisie
12. L’expérience tunisienne captive par « la singularité d’un “état des choses” dont
l’intérêt, pratique ou théorique, n’est pas réductible à celui d’un exemplaire quelconque au
sein d’une série monotone ou à celui d’un exemple arbitrairement choisi pour illustrer une
proposition universellement valable.
»13 Contrairement au Yémen et à la Libye qui sombrent
dans le chaos et la guerre, la révolution en Tunisie aboutit à l’élaboration d’une nouvelle
constitution. Afin de confirmer ou d’infirmer la singularité de l’expérience tunisienne, il est
nécessaire de la comparer à des expériences arabes similaires ou proches
14. Bien qu’elle ne
soit pas systématique, la comparaison avec les voisins égyptien et marocain est souvent
nécessaire : elle vise soit à mettre en relief la singularité de la Tunisie, soit à établir des
ressemblances avec d’autres expériences arabo-musulmanes.
L’expression Printemps arabe est souvent employée pour désigner les révolutions et ruptures
constitutionnelles qui ont eu lieu dans le monde arabo-musulman après les soulèvements
populaires en Tunisie en 2010-2011. Bien que les populations marocaines et jordaniennes se
soient également mobilisées, le Maroc et la Jordanie n’ont connu que des processus de
10 M. SAKBANI, “The Revolutions of the Arab Spring: Are Democracy, Development and Modernity at the
Gates”, Contemporary Arab Affaires, 2011, 4 (2), pp. 127-147.
11 N. JEBNOUN, “State and Religion in the Aftermath of the Arab Uprisings”, précit., pp. 214-215.
12 G. WEICHSELBAUM et X. PHILIPPE, « Le processus constituant et la Constitution tunisienne du 27
janvier 2014 : un modèle à suivre ? »,
Magrheb-Machreck, 2015, vol. 1, n° 223, pp. 49-69. Voir également
X. PHILIPPE et N. DANELCIUC-COLODROVSCHI (dir.),
Transitions constitutionnelles et Constitutions
transitionnelles. Quelles solutions pour une meilleure gestion des fins de conflit ?,
Paris, LGDJ, Coll.
« Transition & Justice », 2014, n° 2, 230 p.
J.-C. PASSERON, J. REVEL, « Penser par cas. Raisonner à partir de singularités »,
in J.-C. PASSERON,
J. REVEL (dir.),
Penser par cas, Paris, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2005,
p. 17.
13
14 A chaque fois qu’elle est envisagée, la comparaison sera justifiée par un objectif bien déterminé.
17




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révision constitutionnelle15. A l’instar de la Tunisie, l’Egypte a connu une révolution et
l’élaboration d’une nouvelle constitution. Bien que les revendications à la base des
révolutions tunisienne et égyptienne n’aient été ni identitaires ni religieuses, les observateurs
internationaux craignaient que « les islamistes, qui cherch[ai]ent à islamiser les institutions
politiques et sociales de leur pays, détournent la transition vers la démocratie, le capitalisme
et la laïcité par le biais des urnes.
»16 S’ils se sont servis des élections pour accéder au
pouvoir,
Ennahdha17 et les Frères musulmans estimaient que l’Islam18 était la religion de
l’Etat et que les gouvernants devaient s’inspirer des principes et des objectifs de la
charia19
pour gouverner. Absent des révolutions, l’Islam se retrouvait au cœur des processus
constituants
20. Soucieux de conserver l’identité islamique de la Tunisie et de l’Egypte,
Ennahdha et les Frères musulmans refusaient catégoriquement la déconnexion entre l’Etat et
l’Islam. Les constitutions en élaboration étaient dès lors vouées à faire de l’Islam, la religion
de l’Etat. Ceci suppose que la religion soit normative et que l’Islam règne sur les institutions
étatiques.
Or, depuis Le choc des civilisations de Samuel HUNTINGTON21, plusieurs observateurs
occidentaux
22 considèrent qu’ « une constitution qui incorpore l’islam ne peut assurer la
15 Bien que passionnante, l’expérience jordanienne ne fait pas l’objet de cette thèse. Le cas marocain est abordé
un peu plus loin dans l’introduction.
16 N. JEBNOUN, “State and Religion in the Aftermath of the Arab Uprisings”, précit., p. 207.
17 Dans cette thèse, l’ensemble des notions religieuses employées en arabe sont explicitées dans le glossaire en
annexe.
Ennahdha, translitération de l’arabe ةضهنلا
fait référence au mouvement islamiste en Tunisie ou
mouvement de la renaissance,
Harakat En-Nahdha, ةضهنلا ةكرح. Les développements qui suivent font le
choix de la translitération suivante
Ennahdha, bien qu’il en existe de nombreuses autres. Pour plus de
précisions sur le parti politique cf. Annexe 1 – Glossaire –
Ennahdha.
18 Traditionnellement le terme « islam » avec un « i » minuscule fait référence à la religion alors que le terme
« Islam » avec un « I » majuscule renvoie à la civilisation islamique. Seulement, la traduction française
officielle de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 publiée par le
Journal Officiel de la République
tunisienne
le 20 avril 2015 dispose de l’« Islam » avec un « I » majuscule pour signifier la religion. Restant
fidèle à la traduction française officielle du texte constitutionnel, le terme « Islam » avec un « I » majuscule
sera employé pour faire référence à la religion.
19 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Charia.
20 Les manuels de droit constitutionnel français sont focalisés sur la dichotomie qui existe entre les organes de
rédaction de la constitution : un Gouvernement ou une Assemblée parlementaire. Voir à titre d’exemple F.
HAMON, M. TROPER (dir.),
Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 36ème édition, 2015, p. 55. Centrée sur
l’expérience française, cette distinction ne permet pas d’appréhender les différentes expériences
d’élaboration des constitutions que connaît le monde actuel. Pour une étude détaillée du processus
constitutionnel égyptien après la Révolution du 25 janvier 2011 voir A. BLOUËT,
Le pouvoir pré-
constituant. Analyse conceptuelle et empirique du processus constitutionnel égyptien après la Révolution
du 25 janvier 2011,
Institut Francophone de la Justice et de la Démocratie, « Collection des Thèses »,
n° 178, 2019, 328 p. L’exercice du pouvoir constituant originaire en Tunisie et les différents rôles de
l’Assemblée Nationale Constituante font l’objet du Titre I de la PARTIE I de cette thèse.
21 Dans cet ouvrage, Samuel HUNTINGTON affirme que l’Islam est une religion violente et que la civilisation
islamique est destinée à s’opposer à la civilisation occidentale au nom de la politique autoritaire. Pour plus
de précisions sur ce point voir S. P. HUNTINGTON,
Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, traduit
de l’anglais (Etats-Unis) par J.-L. FIDEL, G. JOUBLAIN, P. JORLAND et J.-J. PEDUSSEAU, coll.
18




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démocratie et les droits de la personne. »23 Autrement dit, l’Islam s’oppose aux composantes
traditionnelles du constitutionnalisme de type occidental (les droits et libertés fondamentaux,
leur protection juridictionnelle et la limitation du pouvoir). Contrairement à ces observateurs
occidentaux, la majorité des Tunisiens et des Egyptiens ne voulaient pas d’un régime
politique et/ou d’un Etat qui marginalise l’Islam. Même si plusieurs Tunisiens et Egyptiens
envisageaient la séparation de l’Etat et de la religion, ils n’ont jamais revendiqué la mise en
place d’un Etat laïc. Synonyme d’apostasie, d’athéisme ou d’incroyance, la laïcité est
socialement, juridiquement et politiquement inadmissible
24 dans les Etats de tradition et de
culture
25 islamique. Le Professeur Ferhat HORCHANI affirme pourtant que « l’Islam est une
religion qui ne se préoccupe pas seulement de la foi de ses croyants, mais cherche aussi à
règlementer les aspects civils, sociaux, et même politique de la vie de la société.
»26 Il est
communément admis que Al-islâm dîn wa dawlha, l’Islam est à la fois religion et Etat. Ceci
s’explique par le contexte dans lequel est né l’Islam et par ses composantes essentielles que
sont le
Coran27 et la Sunna28.
Dans l’Islam, Dieu s'est révélé au Prophète Mahomet29 au VIIème siècle. En 610, Mahomet a la
Révélation de Dieu dans la grotte du Mont Hira. Pendant vingt-deux ans, l’archange Gabriel
transmet en arabe la parole divine au Prophète. Abondante pendant les six premières années à
La Mecque, la Révélation rappelle l’unicité, la toute-puissance de Dieu et exhorte à croire. A
partir de Médine, elle se concentre sur les règles de comportements individuelles et
collectives. Récitée aux compagnons du Prophète (la Récitation signifie al-Coran en arabe),
« Bibliothèque », 2007, 402 p. Pour une définition exhaustive des différentes civilisations dans le monde
voir Y. BEN ACHOUR,
Le rôle des civilisations dans le système international (droit et relations
internationales),
Bruxelles, Editions Bruylant, Editions de l’Université de Bruxelles, 2003, 314 p.
22 Voir notamment N. J. BROWN, Constitutions in a Nonconstitutional World: Arab Basic Laws and the
Prospects for Accountable Government, Albany, Sate University of New York Press, 2002, 244 p. Dans la
doctrine italienne voir R. GUOLO,
L’Islam è compatibile con la democrazia?, Roma, Laterza, 2004, 168 p.
23 D. I. AHMED and T. GINSBURG, “Constitutional Islamization and Human Rights: The Surprising Origin
and Spread of Islamic Supremacy in Constitutions”,
University of Chicago Public Law & Legal Theory
Working Paper,
No. 477, 2014, p. 9.
24 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, Tunis, Cérès Editions, 2016, p. 238.
25 Pour une définition de la culture, cf. le paragraphe « Sur la définition de la culture », in P. LEGRAND, Le
droit comparé,
Que sais-je ?, Paris, PUF, 1999, pp.8-11. Voir aussi et surtout J. BELL, « De la culture », in
P. LEGRAND (dir.), Comparer les droits, résolument, Paris, PUF, 2009, pp. 247-278.
26 F. HORCHANI, “Islam and the Constitutional State. Are They in Contradiction?”, in R. GROTE & T. J.
RÖDER (eds.), Constitutionalism, Human Right and Islam after the Arab Spring, op.cit., p. 199.
27 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Coran.
28 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Sunna.
29 Né en Arabie en 570 environ, Mahomet est orphelin de père. Elevé par son oncle, il vit en caravanier sur les
routes du désert. A 25 ans, il entre au service de Khadija BINT KHOUWAYLID, une riche veuve de La
Mecque qu’il épouse. Pour plus de précisions sur la vie du Prophète cf. Annexe 1 – Glossaire –
Mahomet.
19



Page 21
la parole révélée a été notée sur des feuilles de palmier et des os de dromadaires30. La parole
humaine de Mahomet fournit en plus, des éclairages sur les recommandations divines et la
manière d’accomplir les rites. Elle comble les silences du
Coran et explicite ses versets31. Elle
devient progressivement la tradition prophétique ou
Sunna32. S’ils croient en la parole révélée
et se soumettent à Dieu seul
33, les adeptes deviennent des musulmans, mouslimin34. A la
différence de la Bible, il est difficile de distinguer les prescriptions divines du Coran des
considérations matérielles de l’époque de Mahomet. Quand le musulman n’applique pas à la
lettre les prescriptions coraniques, il se défait de la foi et de la loi
35.
Comme toute religion qui prétend détenir la vérité, l’Islam n’admettrait pas le pluralisme qui
fonde la démocratie et le constitutionnalisme. Le Professeur Michel ROSENFELD considère
en effet que « les religions, en général ne sont pas tolérantes dans le sens où elles ne
respectent pas de façon égale tous les points de vue.
»36 Or, « les notions de
constitutionnalisme et de démocratie, lorsqu’elles sont jointes, requièrent qu’il y ait un
pluralisme perceptif, c’est-à-dire qu’au niveau des croyances et des pratiques collectives
culturelles et religieuses, il n’y a pas d’avantage ou de priorité entre un point de vue et un
autre.
»37 En l’occurrence, il est nécessaire de revenir à la notion de constitutionnalisme et de
savoir ce qui fait la spécificité du constitutionnalisme tunisien.
« Le constitutionnalisme désigne le mouvement, qui est apparu au siècle des Lumières, et qui
s’est efforcé, d’ailleurs avec succès, de substituer aux coutumes existantes
38, souvent vagues
et imprécises et qui laissaient de très grandes possibilités d’action discrétionnaire aux
30 Du vivant de Mahomet, les règles étaient orales et ce n’est qu’avec l’avènement du troisième calife Othman
que les préceptes énoncés oralement par Mahomet, sont écrits sous la forme de 114
Sourates ou chapitres,
chacune composée de
versets, au total 6 226.
31 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Verset.
32 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Sunna.
33 L’acte de soumission à Dieu s’appelle Islam.
34 Pour plus de précisions sur les origines et l’histoire de l’Islam voir R. ALILI, Qu’est-ce que l’islam ?, Paris,
La Découverte, 2000, 344 p.
35 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
36 M. ROSENFELD, « L’Etat et la religion », in Annuaire international de justice constitutionnelle,
Constitution et secret de la vie privée – Constitution et religion, 16-2000, 2001, p. 461.
37 Ibid.
38 Le Professeur Olivier BEAUD distingue le constitutionnalisme ancien du constitutionnalisme médiéval.
Alors que le premier permet la limitation du pouvoir de la Cité, le second suppose que le pouvoir de la
le
royauté
constitutionnalisme des Lumières. Pour plus de précisions sur ce point voir O. BEAUD, « Constitution et
constitutionnalisme »,
in P. RAYNAUD et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la philosophie politique, Paris,
P.U.F., 1
ère édition, 2003, p.133.
types de constitutionnalismes précèdent
le droit coutumier. Ces deux
respecte
20




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souverains, des constitutions écrites conçues comme devant limiter l’absolutisme et parfois le
despotisme des pouvoirs monarchiques.
»39 Bien que générale, la définition avancée par les
Professeurs Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN n’est qu’une acception
du constitutionnalisme. Le Professeur Olivier BEAUD lui préfère deux définitions bien
distinctes. La plus large d’entre elles décrit le constitutionnalisme comme la « technique
consistant à établir et à maintenir des freins effectifs à l’action politique et étatique
»40. La
plus restreinte suppose que la limitation du pouvoir étatique se fasse au sein de l’Etat moderne
par le biais de la constitution. Les normes et règles de nature constitutionnelle garantiraient et
préserveraient ainsi les droits et libertés des citoyens. A ces premières définitions s’ajoute la
multitude de traditions juridiques dans lesquelles s’inscrit le constitutionnalisme.
Au constitutionnalisme anglais41 s’opposent les constitutionnalismes américain42 et français43.
Seuls les deux derniers se caractérisent par la présence d’une constitution écrite et rigide
placée au sommet de la hiérarchie des normes
44. Norme juridique suprême, la constitution est
protégée par
le
constitutionnalisme est le produit de la civilisation occidentale
46. Suite à la Seconde Guerre
juge45. Né des révolutions anglaise, américaine et française,
le
39 P. PACTET et, F. MELIN-SOUCRAMANIEN (dir.), Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 29e édition, 2010,
p. 59.
40 O. BEAUD, « Constitution et constitutionnalisme », précit., p.133.
41 Dans le constitutionnalisme anglais, la limitation du pouvoir ne passe pas par une constitution écrite et rigide
mais par une série de privilèges et de droits qui résultent de coutumes reconnues par le juge. Ce type de
constitutionnalisme se fonde sur une constitution coutumière. C’est en tout cas à cette tradition qu’Edmund
BURKE se réfère en défendant les principes de la Constitution anglaise contre la Révolution française.
Pour plus de précisions sur ce point cf. R.-J. DUPUY, « Regard d'Edmund Burke sur la Révolution
française »,
Études irlandaises, n°23-2, 1998. pp. 113-120.
42 Adversaire acharné d’Edmund BURKE, Thomas PAINE définit la constitution comme « une chose
antécédente au gouvernement ; et un gouvernement est seulement la créature d’une constitution. La
constitution d’un pays n’est pas l’acte de son gouvernement, mais du peuple constituant un
gouvernement
». T. PAINE, « The Rights of Man », in D. M. CONWAY (ed.), Writings, New York, 1902,
p. 309. Pour une définition exhaustive du constitutionnalisme américain voir R. S. KAY, “American
Constitutionalism”,
in L. ALEXANDER (ed.), Constitutionalism: Philosophical Foundations, Cambridge,
Cambridge University Press, 1998, p. 16.
43 Dans Qu’est-ce que le Tiers Etat ?, l’Abbé Sieyès définit la constitution comme l’organisation du corps
politique et la loi fondamentale. Contrairement au constitutionnalisme américain, le constitutionnalisme
français qui naît de la révolution de 1789 accorde une place importante à la loi, expression de la volonté
générale. Le constitutionnalisme américain se distingue sur ce point du constitutionnalisme français dans le
sens où tout pouvoir, qu’il émane ou non du peuple doit être limité.

44 Hans KELSEN affirme que le système juridique opère selon un principe hiérarchique : s’il postule que
chaque norme est produite conformément à une norme qui lui est supérieure, la
Grundnorm ou norme
suprême est par définition, extérieure au système juridique. H. KELSEN,
Pure Theory of Law, New Jersey,
University of California Press, 1967, p. 198.
45 Le recours en inconstitutionnalité est né aux Etats-Unis de la célèbre décision de la Cour Suprême
Marbury v. Madison de 1803.
46 M. ROSENFELD, « Les crises actuelles du constitutionnalisme : du local au global », Conférence Chaire
Tocqueville Fulbright, 2013, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 16 janvier 2013, [en ligne], [consulté
le
https://www.canal-u.tv/video/universite_paris_1_pantheon_
sorbonne/michel_rosenfeld_les_crises_actuelles_du_constitutionnalisme_du_local_au_global.11493.
octobre
2019],
4
21


Page 23
mondiale et à la chute du Mur de Berlin, il se propage par vagues successives aux Etats
d’Europe Centrale et Orientale, d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique. Qualifié de
«
contemporain »47, ce constitutionnalisme vise à protéger les droits fondamentaux par
l’instauration de régimes démocratiques et des mécanismes tels que les juridictions
constitutionnelles. Aussi, les droits et libertés fondamentaux se retrouvent consacrés dans des
textes de nature constitutionnelle situés au sommet de la hiérarchie des normes.
Bien qu’au XIXe siècle, des réformes aient été imposées par les Européens à l’Empire
ottoman et aux puissances sous sa suzeraineté, le constitutionnalisme a longtemps été
«
désarticulé »48 au Maghreb. Ceci s’explique en partie par les pressions contradictoires
exercées par les puissances européennes
49 sur les sociétés dominées d’Afrique du Nord50. Le
système colonial diffusait « les valeurs libérales par le canal notamment d’un enseignement
moderne dispensé à une fraction de la population
»51 mais il privait les autochtones de
véritables institutions représentatives et des libertés publiques effectives. Le décalage entre les
valeurs libérales véhiculées et les conditions de vie des populations colonisées a été
instrumentalisé par les élites nationalistes. Le Professeur Michel CAMAU avoue que leur
avenir « passait, tout à la fois par un accès à la modernité à laquelle elles aspiraient du fait
de leur formation, et par un maintien des valeurs locales, auxquelles elles restaient reliées
par leur origine.
»52 Les idées et valeurs libérales apprises par ces élites étaient transposées
dans un cadre national allogène.
Sous le protectorat français en Tunisie, le Destour53 s’est ainsi inspiré des idées
constitutionnelles européennes
54 pour réclamer puis arracher à la France, l’indépendance du
pays. Ces idées constitutionnelles ne sont cependant pas exclusivement européennes
47 M. TROPER, « Chapitre XIII. Le concept de constitutionnalisme et la théorie moderne du droit », in M.
TROPER, Pour une théorie juridique de l’Etat, Paris, P.U.F., 1994, pp. 199-221.
48 M. CAMAU, « Articulation d’une culture constitutionnelle nationale et d’un héritage bureaucratique : la
in J.-L. SEURIN (dir.), Le
désarticulation du constitutionnalisme au Maghreb aujourd’hui »,
constitutionnalisme aujourd’hui, Paris, Economica, 1984, p. 142.
49 Notamment la France.
50 Autrement dit l’Algérie, le Maroc et la Tunisie.
51 M. CAMAU, « Articulation d’une culture constitutionnelle nationale et d’un héritage bureaucratique : la
désarticulation du constitutionnalisme au Maghreb aujourd’hui », précit., p. 142.
52 Ibid.
53 D’origine perse, le mot Destour signifie "Constitution" et en arabe moderne, le terme employé est Dustur.
En Tunisie, le Destour est un parti nationaliste fondé en 1920, pour revendiquer la fin du protectorat
français et la libération du pays. Panarabe et musulman, ce parti est issu du
Mouvement des Jeunes
Tunisiens.
Pour plus de précisions sur le Destour cf. Annexe 1 – Glossaire – Destour.
54 A l’instar de celle de constitution. La naissance du constitutionnalisme et l’idée de constitution en Tunisie
fait l’objet du Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE II de cette thèse, p. 319.
22


Page 24
puisqu’elles s’inscrivent dans la tradition réformiste tunisienne55. Le mouvement des idées
réformistes a été amorcé sous le règne d’Ahmed Bey (1837-1855) et a particulièrement
intéressé le ministère de KHEREDINE (1873 à 1877). Convaincu du bienfondé des réformes
imposées par l’Empire ottoman à la Régence de Tunis
56, KHEREDINE pense limiter par le
droit, le pouvoir du monarque et protéger ainsi les libertés individuelles en pays d’Islam.
Seule la constitution permettrait selon lui, la mise en place d’une monarchie constitutionnelle
respectueuse des droits et libertés individuels. Seulement la loi fondamentale en pays d’Islam
est d’essence divine et non humaine. KHEREDINE considère alors que les réformes imposées
et édictées par les hommes précisent la loi religieuse. S’il engage la modernisation des
pouvoirs publics, il souhaite que les institutions en place restent fidèles à l’identité arabe et
musulmane de la Tunisie. Les réformes de ses vœux ne sont donc pas simplement importées
d’Occident mais assimilées et intégrées à une culture supérieure, puisque l’Islam est
transcendantal.
Tel que défendu par KHEREDINE,
le réformisme
tunisien « a
trouvé dans
le
constitutionnalisme libéral une incontestable source d’inspiration, mais non d’imitation
stricto-sensu. Dans l’esprit des réformateurs du XIXe siècle, il s’agissait d’emprunter aux
institutions occidentales ce qui était perçu comme facteur de puissance, et ce, pour mieux
résister à la pénétration européenne et conforter la civilisation arabo-musulmane.
»57 C’est
d’ailleurs sous l’influence des idées réformistes de KHEREDINE qu’en 1857, la Régence de
Tunis promulgue le
Pacte fondamental et que le Bey58 octroie en 1861, une constitution aux
Tunisiens. Bien qu’inadaptés aux conditions de vie des Tunisiens de l’époque, ces deux textes
posent les bases du constitutionnalisme en Tunisie
59. Ce constitutionnalisme allie l’Islam aux
fondements du constitutionnalisme de type occidental et s’exprime au travers de la
Constitution du 27 janvier 2014.
Il est surprenant de constater que la question de la relation entre l’Islam et le
constitutionnalisme fait l’objet de tous les débats constituants entre 2011 et 2014 alors qu’elle
55 Cette tradition fait l’objet de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE II de cette thèse, p. 320.
56 Les puissances européennes enjoignent l’Empire ottoman de procéder à des réformes pour améliorer les
conditions de vie des
dhimmis de l’Empire. Deux textes de réformes importants sont ainsi adoptés. Il s’agit
du
Khati Cherif de Gul-Khaneh de 1839 et du Khati Houmayoun de 1856.
57 M. CAMAU, « Articulation d’une culture constitutionnelle nationale et d’un héritage bureaucratique : la
désarticulation du constitutionnalisme au Maghreb aujourd’hui », précit., p. 143.
58 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Bey.
59 Les réformes engagées soumettent les Tunisiens à une pression fiscale importante. En 1864, à la suite d’une
insurrection dans les campagnes, la Constitution de 1861 est suspendue. Pour plus de précisions sur ce
point cf. le 3. du B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE II de cette thèse,
p. 336.
23


Page 25
n’a été ni discutée ni négociée au cours du processus constituant de 1956 à 1958. Bien que
l’Islam soit l’une des caractéristiques de la Tunisie, Habib BOURGUIBA ne voulait pas que
la religion conditionne le fonctionnement des institutions et l’organisation étatiques. C’est la
raison pour laquelle les dispositions relatives à l’Islam au sein de la Constitution du 1
er juin
1959, sont volontairement imprécises et sujettes à interprétations. Habib BOURGUIBA a en
effet imposé la formulation suivante à l’article premier de la Constitution du 1
er juin 1959 :
« La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa
langue et la République son régime.
»60 Même si, le 23 octobre 2011, les premières élections
libres de la Tunisie indépendante sont remportées par le parti islamiste Ennahdha, les 217 élus
de l’ANC conservent l’article premier de la Constitution de l’indépendance. Contrairement à
l’article 2 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014 et de l’article 3 de la Constitution
marocaine du 29 juillet 2011, la charia n’est pas la source de la législation et l’Islam n’est pas
la religion de l’Etat en Tunisie.
A l’ère globale, le comparatiste laisse l’aire judéo-chrétienne où est né le constitutionnalisme
pour s’intéresser à un pays arabo-musulman en pleine transition constitutionnelle et
démocratique. Malgré l’intérêt suscité par les révolutions du Printemps arabe, peu de juristes
français se sont intéressés au devenir du constitutionnalisme en Tunisie. En étudiant la réalité
constitutionnelle, le comparatiste enquête sur les origines et l’avenir du constitutionnalisme
dans un Etat du Maghreb. Il cherche à savoir quelle est la place de l’Islam au sein du
processus constituant et quel est son rôle au sein de la Constitution du 27 janvier 2014 et de
l’Etat en Tunisie. L’article 2 de la Constitution du 27 janvier 2014 fait de la Tunisie « un Etat
civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit. » Bien que la
Tunisie soit un Etat « civil », elle a pour référence l’Islam. Si le compromis constitutionnel
auquel ont abouti les 217 élus à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) fait figure
d’exception dans le monde arabo-musulman, il interroge la relation entre l’Islam et le
constitutionnalisme. Il est dès lors impératif de situer la Constitution du 27 janvier 2014 dans
le contexte global (I) pour mieux comprendre ce que veut dire construire
le
constitutionnalisme tunisien (II). La spécificité de ce dernier réside dans l’aménagement
d’une
identité constitutionnelle comprise dans
l’Islam avec
les
fondements du
constitutionnalisme (III). Cette spécificité n’apparaît pourtant qu’au contact d’expériences
arabes similaires. C’est tout l’intérêt d’une étude de droit comparé (IV).
60 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 1er juin 1959, article
premier.
24


Page 26
I.
Situer la Constitution du 27 janvier 2014 dans le contexte global
La Constitution du 27 janvier 2014 détonne dans la région et dans le monde parce que
notamment, le parti islamiste Ennahdha, majoritaire à l’ANC, collabore avec les anciens
partis d’opposition démocratique pour adopter une constitution de compromis. Comprise entre
universalisme et particularisme, la Constitution du 27 janvier 2014 interroge l’influence des
outils constitutionnels globaux
61 et la place restant au constitutionnalisme national dans
l’écriture de l’«
autobiographie nationale »62. L’aire culturelle dans laquelle elle s’inscrit
amène le comparatiste à s’intéresser aux éléments culturels et aux spécificités identitaires
régionales et nationales (B). Gravées dans des dispositions immuables ou non révisables, ces
spécificités divergent des standards globaux et questionnent
les discours sur
le
constitutionnalisme global (A).
A. Les discours sur le constitutionnalisme global
Le droit global ne fait pas l’objet d’une définition unanime, le chercheur est libre de
déterminer ce qu’il entend par droit global. Selon le Professeur Mikhaïl XIFARAS : « Le
Droit Global n’est peut-être rien d’autre qu’une conversation confuse, mais cette
conversation est en train d’imposer la notion de “global” comme catégorie explicative et
unificatrice d’une multitude de phénomènes juridiques disparates, et par là même de
constituer ce “global” à la fois comme objet de science et paradigme scientifique.
»63 Le
droit global ne correspond donc pas à un ordre juridique. Il naît plutôt de l’émergence à
l’échelle planétaire, de phénomènes juridiques hétérogènes supra et/ou trans-nationaux.
Inscrits dans les ordres juridiques régionaux et nationaux, les réseaux transversaux et les flux
61 Ces outils peuvent être des règles, des principes, des dispositifs, des arguments ou des raisonnements de
nature constitutionnelle. Ils émergent et circulent à l’échelle globale. Pour plus de précisions sur ce point
voir G. FRANKENBERG, “Constitutional Transplants: The IKEA Theory Revisited”,
International
Journal of Constitutional Law,
vol. 8/3, juillet 2010, pp. 563-579.
62 La Constitution est conçue comme « une autobiographie nationale » par le juge constitutionnel allemand,
W. HOFFMAN-RIEM. Voir W. HOFFMAN-RIEM, “Constitutional Court Judges’ Roundtable”,
Comparative Constitutionalism in Practice, Sixth World Congress of IACL, Santiago, Chile, January 12-
16, 2004,
I-CON, vol., n°4, 2005, p. 558.
63 M. XIFARAS, « Après les théories générales de l’Etat : le droit global ? », Jus Politicum, n°8, [en ligne],
[consulté le 10 janvier 2020], http://juspoliticum.com/article/Apres-les-Theories-Generales-de-l-Etat-le-
Droit-Global-622.html, p. 4. Voir également X. XIFARAS, « Droit global et globalisation de la pensée
juridique », conférence inscrite dans le cycle des séminaires “Global Law Public Lecture Series” organisé
par le CERIC et le Professeur Ludovic HENNEBEL (Chaire d’excellence A*MIDEX), Faculté de droit
d’Aix-en-Provence, 16 mars 2017, [en ligne], [consulté le 15 janvier 2020], https://www.youtube.
com/watch?v=htxKvZy5X80.
25






Page 27
sectoriels, ces phénomènes juridiques disparates rendent indissociables les différents niveaux
d’organisation infra et supra étatiques. Intéressés par ces phénomènes, les juristes multiplient
les débats. Cette
conversation confuse s’applique également au droit constitutionnel64.
Qualifiée d’ « inévitable »65, la globalisation du droit constitutionnel « correspond à la
convergence des systèmes constitutionnels en raison de leurs structures institutionnelles et de
la garantie des droits et libertés.
»66 Les constitutionnalistes comparatistes qualifient de
«
constitutionnalisme global »67 la convergence des droits reconnus dans les catalogues
constitutionnels. Cette convergence repose sur des processus formels et informels, liés à
l’internationalisation du droit et à la globalisation économique. Les processus formels
consistent en l’approbation et la ratification des conventions internationales, ainsi qu’en la
participation à des organisations internationales
68. Les processus informels naissent de
l’apport de la comparaison des textes constitutionnels, du rôle des organisations nationales et
internationales, de l’importance des parcours individuels des spécialistes nationaux de droit
constitutionnel et des échanges entre juges constitutionnels
69.
Le Professeur Tania GROPPI affirme qu’il s’agit « d’une époque dans laquelle la diffusion
des outils informatiques et la mobilité des personnes ne permettent pas d’ignorer ce qui se
produit dans d’autres pays, ce qui mène à une sorte d’“inévitabilité” du droit comparé.
»70 A
l’époque de la globalisation
71, les hommes et les femmes, les idées et les modèles
64 M.-C. PONTHOREAU, « “Global Constitutionalism” un discours doctrinal homogénéisant. L’apport du
février 2019],
comparatisme critique », Jus Politicum, n° 19,
http://juspoliticum.com/article/Global-Constitutionalism-un-discours-doctrinal-homogeneisant-L-apport-
du-comparatisme-critique-1199.html, p. 105.
[consulté
le 26
ligne],
[en
65 Pour mémoire, le Professeur Mark TUSHNET évoque la “globalization of domestic constitutional law
puisqu’il constate la “
convergence among national constitutional systems in their structures and in their
protections of fundamental human rights.
” M. TUSHNET, “The Inevitable Globalization of Constitutional
Law”, Virginia Journal of International Law, 2009, n° 49, p. 987.
66 M.-C. PONTHOREAU, « “Global Constitutionalism” un discours doctrinal homogénéisant. L’apport du
comparatisme critique », précit., p. 107.
67 D. S. LAW, M. VERSTEEG, “The Evolution and Ideology of Global Constitutionalism”, California Law
Review, 2011, n° 99, p. 1162.
68 Pour plus de précisions sur ces points, cf. la Section 2 du Chapitre 2 du Titre II de la PARTIE I de cette
thèse, relative à
la valeur et aux effets des conventions internationales dans l’ordre juridique, p. 288.
69 Pour plus de précisions sur ces points, cf. la Section 2 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE I de cette
thèse, relative à l’inspiration internationale du constituant, p. 228.
70 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” »,
Constitutions, janvier-mars 2016, n° 1, pp. 18-19.
71 L’objet de ces développements est de traiter la globalisation du droit constitutionnel. Pour plus de
précisions sur le droit global, cf. B. FRYDMAN, «
L’émergence d’une discipline : le droit global »,
communication présentée au colloque organisé par F. AUDREN et S. BARBOU des PLACES,
Qu’est-ce
qu’une discipline ?
, Ecole de droit de Sciences Po et Université de Paris I, les 28 et 29 janvier 2015, [en
ligne], [consulté le 10 janvier 2020], http://www.philodroit.be/IMG/pdf/bf_emergence_d_une_discipline _-
26




Page 28
constitutionnels circulent. Cette circulation peut d’ailleurs intervenir à différentes étapes de
l'existence d’une constitution, telles que son écriture, son interprétation. Une attention
particulière est pourtant accordée au moment du constitution-making. Au-delà de la
circulation
inévitable des outils constitutionnels globaux72, l’étude des travaux préparatoires à
la Constitution du 27 janvier 2014 révèle que le recours au «
réservoir global »73 d’éléments
constitutionnels est un choix éclairé de la part des constituants. Ce choix est justifié par de
multiples motivations « allant de celles qui ont un caractère fonctionnaliste (suivre l’exemple
de ceux qui ont réussi) à celles qui sont liées à la réputation (recherche d’une légitimation
interne et externe).
»74 Le recours de la part des constituants au droit comparé ou/et aux
modèles constitutionnels étrangers était avant tout stratégique en Tunisie. En plus de
rechercher «
un gain en crédibilité internationale »75, il servait à « attirer les investisseurs
étrangers.
»76 L’intérêt porté aux débats constituants et à l’étude des travaux préparatoires à la
Constitution du 27 janvier 2014 visent à démontrer que la Constitution de la Deuxième
République tunisienne s’inscrit dans le mouvement du constitutionnalisme global.
Le constitutionnalisme global n’est cependant pas un corpus de règles de droit positif, un
système ou un régime juridique. Tout comme le droit global, le constitutionnalisme global a
plusieurs définitions, car elles varient en fonction de plusieurs paramètres : le chercheur, sa
culture juridique, la tradition, l’objet, la méthode et la finalité de sa recherche. Le
constitutionnalisme global serait selon le Professeur Anne PETERS deux choses à la fois77 :
2015-6-2.pdf?lang=fr, 15 p. Voir également B. FRYDMAN, « Introduction pragmatique au droit global »,
conférence inscrite dans le cycle de séminaire “Global Law Public Lecture Series” organisé par le CERIC
et le Professeur Ludovic HENNEBEL (Chaire d’excellence A*MIDEX), Faculté de droit d’Aix-en-
Provence, 11
janvier 2020], https://www.youtube.
com/watch?v=FP2HSgkmBPw.
février 2016, [en
ligne], [consulté
le 10
72 Cette circulation est notamment due à l’influence du droit international et de la globalisation économique.
73 G. FRANKENBERG, “Constitutional Transplants: The IKEA Theory Revisited”, précit., pp. 563-579.
74 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
p. 13.
75 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Paris, Economica, 2010, p. 154. Voir
également D. S. LAW, M. VERSTEEG, “The Evolution and Ideology of Global Constitutionalism”,
précit., pp.1182-1183.
76 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 154. Ce point-là sera nettement
développé dans le corps de la thèse. L’insertion au sein du préambule de la cause palestinienne a des
conséquences économiques et internationales. Pour plus de précisions sur ce point cf. le 2. du B. du
Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE I de cette thèse, p. 208.
77 A. PETERS, « Le constitutionnalisme global en des temps difficiles », conférence inscrite dans le cycle de
séminaire “Global Law Public Lecture Series” organisé par le CERIC et le Professeur Ludovic
HENNEBEL (Chaire d’excellence A*MIDEX), Faculté de droit d’Aix-en-Provence, 26 mai 2016, [en
ligne],
2020],
https://www.youtube.com/watch?v=8WOn1PI2jEA&feature=share&fbclid=IwA
R3F0CAFLdFnk8RWx_cQ6tJMDzhPDt3GfoiJe0wAK4eCJbNlEjrO0Y9d4yU.
[consulté
janvier
10
le
27



Page 29
« un mouvement intellectuel »78 et « une idée régulatrice »79. En tant que mouvement
intellectuel, il cherche à comprendre et à rendre compte de la présence de fragments
constitutionnels dans les dispositifs juridiques
80 supra, voire trans-nationaux. En tant qu’idée
régulatrice, il tente de mobiliser les principes constitutionnalistes pour critiquer et développer
le droit
supra-national dans une direction plus constitutionnaliste81. A la fois outil analytique
et projet normatif
82, il suppose que les juristes en général et les constitutionnalistes en
le «
réservoir global »83 d’outils
particulier, adoptent une perspective globale sur
constitutionnels.
La perspective globale « désigne le point de vue adopté par la science du droit pour rendre
compte de
l’échelle
planétaire.
»84 En d’autres termes, elle correspond à des discours doctrinaux qui portent sur
l’ensemble des occurrences d’un phénomène
juridique à
les phénomènes
juridiques globaux. La plupart de ces discours ont un caractère
homogénéisant dans le sens où ils effacent les spécificités culturelles nationales ou locales, au
profit de la convergence planétaire des systèmes constitutionnels
85. Deux questions restent
cependant en suspens : quelles sont les difficultés auxquelles les constitutionnalistes sont
78 Le Professeur Anne PETERS propose une analyse positive et normative du constitutionnalisme global. La
première analyse suppose que : «
Le constitutionnalisme global est un mouvement intellectuel qui, […],
relie ou reconstruit certains éléments du statut quo du droit international pour mettre en lumière les
fragments constitutionnels contenus dans l’ordre juridique international – dans leur interaction avec le
droit national – comme reflétant des principes constitutionnels complémentaires, notamment l’autorité de
la loi (rule of law), les droits de l’Homme et la démocratie (“la trinité constitutionnelle”).
» A. PETERS,
« Le constitutionnalisme global : crise ou consolidation ? »,
Jus Politicum, n° 19, [en ligne], [consulté le 26
http://juspoliticum.com/article/Le-constitutionnalisme-global-Crise-ou-consolidation-
2019],
février
1197.html, p. 60.
79 Dans ses conclusions au colloque international intitulé « Le constitutionnalisme global » organisé par Denis
BARANGER et Manon ALTWEGG-BOUSSAC, les 29 et 30 mai 2017 à l’Université Paris II Panthéon-
Assas, le Professeur Mikhaël XIFARAS qualifie le
constitutionnalisme global de « projet » et d’« idée
régulatrice ». M. XIFARAS, « Conclusions », Jus Politicum, n° 19, [en ligne], [consulté le 26 février
2019], http://juspoliticum.com/article/Conclusions-1200.html, p. 135.
80 Ces dispositifs juridiques peuvent être des régimes juridiques ou des organisations dont la portée ou le
domaine d’activités sont transnationaux. Pour plus de précisions sur ce point, cf. W. TWINING,
General
Jurisprudence, Understanding Law from a Global Perspective,
Cambridge, Cambridge University Press,
2009, pp. 14-15.
81 Selon le Professeur Anne PETERS, l’analyse normative du constitutionnalisme global est l’emploi des
«
principes constitutionnalistes comme points de référence pour la critique du droit international en
vigueur, et pour fournir des arguments pour développer le droit international et les instances de la
gouvernances mondiale dans une direction plus
constitutionnaliste.
» A. PETERS, « Le
constitutionnalisme global : crise ou consolidation ? »,
précit., p. 60.
Ibid.
82
83 G. FRANKENBERG, “Constitutional Transplants: The IKEA Theory Revisited”, précit., pp. 563-579.
84 M. XIFARAS, « Après les théories générales de l’Etat : le droit global ? », précit., p. 16.
85 M.-C. PONTHOREAU, « “Global Constitutionalism” un discours doctrinal homogénéisant. L’apport du
comparatisme critique », précit., pp. 105-134.
28



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confrontés dans l’appréhension des phénomènes juridiques globaux ? La perspective globale
varie-t-elle d’un constitutionnaliste à l’autre ?
L’étude de la globalisation du droit constitutionnel confronte les constitutionnalistes à
quelques difficultés : imprégnés d’une tradition juridique nationale, la compréhension sociale
et spatiale qu’ils ont du monde est structurée par la catégorie Etat-Nation
86. Le
constitutionnaliste japonais ou ghanéen par exemple, n’a pas la même perception du
constitutionnalisme global que son homologue français ou tunisien. D’une part, les concepts
employés par les constitutionnalistes reposent sur des représentations elles-mêmes fondées sur
des valeurs et des principes culturels divers et contingents. D’autre part, la perception de ces
concepts, est déterminée par des présupposés idéologiques, politiques et juridiques, propres
aux individus appartenant à chaque tradition ou culture juridique nationale
87. Chaque culture
nationale est d’ailleurs appréhendée dans une langue particulière.
La compréhension du constitutionnalisme global suppose en outre que les constitutionnalistes
parlent une ou deux langues étrangères en plus de la leur. Afin qu’ils puissent comprendre les
notions et les concepts employés par les dispositifs juridiques supra-nationaux, ils doivent
pouvoir accéder à des matériaux de première main, d'où l'extrême nécessité de maîtriser
l’anglais
88, car la plupart des outils constitutionnels globaux et des travaux sont pensés et
publiés dans cette langue
89. De plus, l’objectif des constitutionnalistes est à terme de pouvoir
traduire dans leur langue et d’importer dans leur droit, les notions, les concepts et les
institutions étudiés à l’échelle globale. Ceci dit, la perspective globale adoptée par les
constitutionnalistes impacte-t-elle les représentations nationales du droit ?
86 M.-C. PONTHOREAU, « La métaphore géographique. Les frontières du droit constitutionnel dans un
monde globalisé », R.I.D.C., 3-2016, p. 611.
87 « [D]ans l’esthétique perspectiviste, les identités du droit et des lois mutent par rapport à un point de vue.
A mesure que le cadre, le contexte, la perspective ou la position de l’acteur ou de l’observateur change, les
faits et le droit ont des identités différentes. En conséquence, l’identité sociale ou politique de l’acteur légal
ou de l’observateur devient le siège crucial du droit et de l’enquête judiciaire
», P. SCHLAG, “The
Aesthetics of American Law”,
Harvard Law Review, Vol. 115, février 2002, No. 4, p. 1052. Nous
traduisons.
88 V. GROSSWALD CURRAN, “Comparative Law and Language”,
in M. REIMANN et R.
ZIMMERMANN (eds.),
The Oxford Handbook of Comparative Law, Oxford, Oxford University Press,
2006, p. 676.

89 En 2002 et 2012, deux revues spécifiquement dédiées au constitutionnalisme global sont créées et éditées
en anglais : International Journal of Constitutional Law et Global Constitutionalism.
29





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L’étude des phénomènes juridiques globaux conduit les constitutionnalistes à dissocier le
institutions étatiques
90. Ce regard varie d’un
juridiques et des
droit des règles
constitutionnaliste à l’autre. Le constitutionnaliste de tradition juridique française qui
s’intéresse au droit tunisien emprunte une démarche d’ordre culturel. Cette approche lui
permet précisément de « porter son attention sur les éléments autres que les normes de
manière à atteindre les profondeurs du droit.
»91 C’est d’ailleurs en considérant les
spécificités culturelles et l’histoire des concepts
92 d’un autre système, qu’il arrive
progressivement à prendre de la distance et à faire la différence entre ce qui relève de
l’échelle globale et ce qui est plus spécifiquement national. Autrement dit, l’approche
culturelle du droit constitutionnel
93 aide le spécialiste du droit tunisien (et a fortiori le
comparatiste) à être au plus près de la réalité du droit qu’il observe et à développer un regard
critique sur la pratique constitutionnelle.
Si l’étude des travaux préparatoires à la Constitution tunisienne vise à démontrer son
inscription au mouvement du constitutionnalisme global, elle aide surtout à relever « les
éléments de résistance,
[et] de divergence par rapport à cette tendance. »94 Afin de
déconstruire l'uniformisation des discours sur le constitutionnalisme global, le comparatiste
met l’accent sur les différences entre les systèmes constitutionnels. Pour ce faire, il donne une
attention particulière à la contextualisation et aux spécificités culturelles du système
constitutionnel étudié. Autrement dit, si le comparatiste essaie de comprendre les discours de
la constitutionnalisation d’une gouvernance globale
95, il prend en considération les intérêts du
pays en voie de développement
96 objet de son analyse97. En appréhendant la réalité
90 H. MUIR WATT, “Globalization and Comparative Law”, in M. REIMANN et R. ZIMMERMANN (eds.),
The Oxford Handbook of Comparative Law, op.cit., p. 584.
91 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 52.
92 M.-C. PONTHOREAU, « Cultures constitutionnelles et comparaisons en droit constitutionnel. Contribution
à une science du droit constitutionnel », in J. DU BOIS DE GAUDUSSON, P. CLARET, P. SADRAN, et
B. VINCENT (eds.),
Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic, Démocratie et liberté : tension,
dialogue, confrontation
, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 219-237.
93 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 247 et s.
94 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
p. 13.
95 La gouvernance s'entend ici dans son acception large : un processus qui vise à organiser et / ou à réguler
des activités d’intérêt public. Pour plus de précisions sur ce point, cf. J. N. ROSENAU, “Governance,
Order, and Change in World Politics”,
in J. N. ROSENAU, E.-O. CZEMPIEL (eds.), Governance without
Government,
Cambridge, Cambridge University Press, 1992, pp. 1-29. Voir également Commission on
Global Governance,
Our Global Neighbourhood: The Report of the Commission on Global Governance,
Oxford, Oxford University Press, 1995, 432 p.
96 A. PETERS, “The Merits of Global Constitutionalism”, Indiana Journal of Global Legal Studies, 2/2016,
vol. 16, p. 404.
97 La version modérée du comparatisme est ici conjuguée à la version modérée du constitutionnalisme global.
Cette version est notamment défendue par le Professeur Anne PETERS qui suggère qu’ « [u]ne lecture
30



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constitutionnelle en Tunisie, le comparatiste observe un nouveau type de constitutionnalisme
qui prend en compte une identité constitutionnelle comprise dans l’Islam. Complexe et
contradictoire, la réalité constitutionnelle qu'il comprend, le conduit aussi à cerner les
incohérences et les conflits inhérents au droit national.
B. Les éléments culturels et spécificités identitaires du système constitutionnel
tunisien
Expression de l’identité98 de la Tunisie, la Constitution du 27 janvier 2014 réaffirme des
caractéristiques
d’ «
identité
constitutionnelle
»100, ces caractéristiques renvoient à la structure fondamentale de la
autochtones99. Qualifiées
distinctives
plus
et
Constitution. Concrètement, l’identité constitutionnelle est un socle de principes et de règles
qui représentent la substance et l’esprit d’une architecture constitutionnelle donnée. C’est la
base partagée à la lumière de laquelle tout le régime constitutionnel doit être bâti. C’est aussi
le caractère permanent et fondamental de ce qui forme et de ce qui fait partie de la
constitution
101. Ghazi GHERAIRI parle d’horizon indépassable puisqu’il est inimaginable de
passer outre, de supprimer ou encore de perdre cette identité. Ces principes et règles doivent
nécessairement faire l’objet d’un consensus sociétal et politique. Ils doivent également être
constitutionnelle modérée n’implique d’aucune manière une constitution mondiale cohérente et
uniforme, ni même – c’est certain – un Etat global. L’idée n’est pas de créer un gouvernement centralisé et
global mais de constitutionnaliser une gouvernance multi-niveaux, globale et polyarchique. Ce projet doit
en effet prendre en compte plus largement les besoins et les intérêts des pays en voie de développement et
leurs populations.
» Ibid.
98 Selon Paul RICOEUR, le concept d’identité serait composé de l’identité-idem et de l’identité-ipse. Notion
composite, l’identité-
idem suppose une dynamique entre trois facteurs : l’unité (identité numérique), la
similitude (identité qualitative) et la permanence dans le temps (idée de structure invariable, de système
combinatoire). L’identité est aussi une notion dialectique qui implique une conciliation entre le même
(l’identité-
idem) et la diversité (l’identité-ipse). L’identité-ipse contiendrait alors le changement, l’autre.
Pour plus de précisions sur le concept d’identité, cf. P. RICOEUR,
Soi-même comme un autre, Paris,
Editions du Seuil, 1990, 410 p. et N. ABI RACHED,
L’identité constitutionnelle libanaise [microfiche], G.
DRAGO (dir.), Thèse de doctorat en droit, Paris, Université Panthéon-Assas Paris II, 2011, p. 22.
99 H. W. O. OKOTH-OGENDO, “Constitutions Without Constitutionalism: Reflections on an African
Paradox”,
in D. GREENBERG, S. N. KATZ, M. B. OLIVIERO, S. C. WHEATLEY (eds.), Constitutions
and Democracy. Transitions in the Contemporary World
, New York 1993, p. 65.
100 Sur les différentes acceptions de l’identité constitutionnelle, cf. G.-J. JACOBSOHN, Constitutional
Identity,
England, Harvard University Press, 2010, 355 p. Voir également M. ROSENFELD,
« Constitutional Identity »,
in M. ROSENFELD, A. SAJO (eds.), The Oxford Handbook of Comparative
Constitutional Law, Oxford, Oxford Universitu Press, 2012, pp. 756-775 et, M. TROPER, « L’identité
constitutionnelle »,
in B. MATHIEU (dir.), Cinquantième anniversaire de la Constitution française, Paris,
Dalloz, 2008, pp. 123-131.
101 Entretien avec l’Ambassadeur de Tunisie à l’UNESCO, Monsieur Ghazi GHERAÏRI, le vendredi 8 juin
2018 à l’UNESCO à Paris.
31





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retrouvés au sein des dispositions de la constitution et servir d’éléments d’interprétation du
nouveau texte constitutionnel
102.
Le Professeur Gary Jeffrey JACOBSOHN precise d’ailleurs qu’ « une constitution acquiert
une identité par l’expérience ; cette identité n’existe ni comme un objet d’invention discret, ni
comme une essence fortement incrustée dans la culture d’une société, ne nécessitant que
d’être découverte. Au contraire, l’identité émerge dialogiquement et représente un mélange
d’aspirations et d’engagements politiques qui expriment le passé d’une nation, ainsi que la
détermination de ceux de la société qui cherchent d’une certaine façon à transcender ce
passé.
»103 L’attention portée à l’histoire constitutionnelle de la Tunisie et aux travaux
préparatoires à la Constitution du 27 janvier 2014 aide le comparatiste à appréhender les
composantes de l’identité constitutionnelle tunisienne. Actuellement traduites par des clauses
immuables ou non révisables, ces composantes « identifient le noyau dur du système, qui, au
nom de l’identité elle-même, doit être préservé de toute modification, y compris celles qui
sont réalisées à travers la procédure prévue pour la révision constitutionnelle.
»104 Gravées
aux articles 1, 2, 49 et 75 de la Constitution du 27 janvier 2014, ces composantes concernent
respectivement la forme de l’Etat, les droits et libertés fondamentaux garantis par la
Constitution, la durée du mandat présidentiel et son nombre.
Si elles éclairent « les éléments de spécificité du cadre constitutionnel national »105, elles
gravent dans le marbre constitutionnel « une divergence par rapport aux standards
globaux.
»106 Cette divergence est en partie liée à l’aire civilisationnelle et culturelle dans
laquelle s’inscrit la Tunisie. Inscrit à l’article premier de la Constitution du 27 janvier 2014,
l’Islam est l’une des composantes de l’identité constitutionnelle tunisienne. Bien qu’il ait fait
l’objet de nombreux débats à l’ANC, l’article premier de la Constitution du 27 janvier 2014
reprend mot pour mot l’article premier de la Constitution du 1
er juin 1959. Identique d’une
constitution à l’autre, l’article premier traverse le temps et fait de la Tunisie, une exception
102 Ibid.
103 G.-J. JACOBSOHN, “The formation of constitutional identities”, in R. DIXON and T. GINSBURG (eds.),
Comparative Constitutional Law, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 2011, pp. 129-130.
104 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 : illustration de la globalisation du droit constitutionnel ? »,
Revue française de droit constitutionnel, 114, 2018, p. 349. Voir également M. TROPER, « L’identité
constitutionnelle », précit., pp. 123-131 et G.-J. JACOBSON, “The formation of constitutional identities”,
précit., pp. 129-142.
105 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
p. 13.
106 Ibid.
32




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dans le monde arabo-musulman. Cet article indique en effet que : « La Tunisie est un Etat
libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son
régime. » Le possessif « sa » pose la question de savoir qui de l’Etat ou du peuple a pour
religion l’Islam
107. Si l’Islam est la religion de l’Etat, cela veut dire que la religion est
normative, alors que si l’Islam est une caractéristique du peuple en Tunisie, la religion aurait
une fonction descriptive. Sujet à interprétations, l’article premier est pourtant lié à l’article
deuxième qui fait de la Tunisie, un Etat « civil » fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple
et la primauté du droit.
Au cœur du compromis constitutionnel108, ces deux articles caractériseraient à eux seuls, la
substance et l’esprit du système constitutionnel tunisien
109. La Tunisie est un Etat « civil » qui
a pour référence l’Islam. Cette affirmation pose pourtant la question de savoir si l’Islam
comme composante de l’identité constitutionnelle est compatible avec la limitation du
pouvoir, l’autonomie individuelle et l’égalité homme / femme chers au constitutionnalisme.
L’Islam traite en effet « des questions comme le blasphème, le prosélytisme, l’héritage et le
statut personnel [qui] entrent souvent en conflit avec les dispositions constitutionnelles
concernant l’égalité, la liberté d’expression et la liberté de religion.
»110 L’Islam interdit aux
musulmans de quitter la religion, condamne l’apostasie, le
takfir et le blasphème111. De la
même manière, il ne reconnaît pas l’égalité successorale entre l’homme et la femme. Or,
depuis le règne d’Ahmed Bey, la Tunisie a aménagé son identité musulmane avec les idées
constitutionnelles européennes. S’il est nécessaire de savoir comment cela est possible
112, il
est également fondamental de comprendre ce que ce que veut dire construire le
constitutionnalisme tunisien.
107 C. YARED, « “Un Etat civil, pour un peuple musulman ou le nouveau pari constitutionnel de la Tunisie »,
POLITEIA – N° 31 (2017), p. 154.
108 Pour plus de précisions sur la naissance de ce compromis cf. le Chapitre 2 du Titre I de la PARTIE I de cette
thèse, relatif à la naissance du « compromis dilatoire » entre théocrates et démocrates, p. 117.
109 Bien qu’ils fassent partie de l’identité constitutionnelle de la Tunisie, les articles 39 et 75 sont liés à l’histoire
récente du pays. Ils rappellent la prise de distance par rapport au passé autoritaire et liberticide de la
Tunisie. Ces deux articles font l’objet de plus amples développements au sein de la thèse.
110 R. HIRSCHL and A. SHACHAR, “Competing Orders? The Challenge of Religion to Modern
Constitutionalism”, The University of Chicago Law Review, 85 (2), 2018, p. 427.
111 Les raisons pour lesquelles l’Islam prohibe ces libertés sont expliquées au sein du A. du Paragraphe 2 de la
Section 2 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE II de cette thèse, relatif à
la liberté de ne pas avoir de
religion,
p. 499.
112 Voir sur ce point la Section III de cette introduction, p. 42.
33





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II.
Ce que veut dire construire le constitutionnalisme tunisien
Le terme construction est intéressant à plusieurs égards. Construire, c'est « [b]âtir, suivant un
plan déterminé, avec des matériaux divers
»113, dont les synonymes sont notamment édifier,
ériger, reconstruire. Cette première définition aide le comparatiste à fabriquer l’objet de son
étude, avec des matériaux qui ne sont autres que la contextualisation et l’appréhension
culturelle du droit. Construire signifie également « [f]aire exister (un système complexe) en
organisant des éléments mentaux.
»114 Il est aussi synonyme des verbes agencer, arranger,
assembler, composer, créer. Cette seconde signification permet de trouver dans la tradition, la
culture, l’histoire, la politique, la sociologie et le droit, les éléments qui aident le comparatiste
à élaborer de toute pièce, à sa manière et avec les éléments de son choix, l'objet d’étude qu’est
le constitutionnalisme tunisien. L’objet « constitutionnalisme tunisien » n’est donc pas venu
de nulle part, il a été construit au fil de la recherche sur le droit et le système constitutionnel
en Tunisie. S’il est nécessaire d’exposer au lecteur comment le comparatiste a construit et
contextualisé l’objet de sa recherche (B), il est également important à cette fin de situer le
chercheur dans un contexte bien précis (A).
A. La contextualisation du comparatiste
Le Professeur Vivian GROSSWALD CURRAN affirme que « la lentille avec laquelle
l’altérité est perçue, est elle-même culturellement contingente, plutôt qu’absolue et
immuable.
»115 Le regard porté sur le constitutionnalisme tunisien est par conséquent
culturellement contingent. Alors, au lieu de prétendre à l’objectivité scientifique, il vaut
mieux « mettre en valeur les facteurs qui, de toute manière, conditionnent le locuteur. Plutôt
donc que de les refouler, il est plus utile de les exorciser. »116 Comme tout juriste, le
comparatiste appartient à une tradition juridique nationale. Cette tradition impacte
nécessairement sa compréhension et ses connaissances en droit. Acquises au cours d’une
formation juridique dans une université française, ses connaissances influencent constamment
113 Construire, Le Petit Robert ; Dictionnaire de la langue française, Paris, Dictionnaires LE ROBERT, 1985,
p. 375.
114 Ibid.
115 V. GROSSWALD CURRAN, “Dealing in Difference: Comparative Law’s Potential for Broadening Legal
Perspectives”, American Journal of Comparative Law, 1998, n° 46, p. 667.
116 S. LAGHMANI, « Islam et droits de l’Homme », in G. CONAC et A. AMOR (dir.), Islam et droits de
l'Homme, Paris, Economica, 1994, p. 44.
34






Page 36
sa perception du droit tunisien. Le Professeur Pierre LEGRAND constate à ce titre que le
comparatiste ne peut « désapprendre l’intégralité de ce qu’il a appris de façon à ce que ses
connaissances ne colorent en rien sa perception de la culture nouvelle.
»117 Alors, pour éviter
l’effet de distorsion auquel peut amener l'étude d’un droit étranger, le comparatiste est tenu de
mettre à plat les connaissances juridiques qu’il a acquises. Autrement dit, il doit tenter
d’intégrer une autre manière de raisonner en droit.
Avant de devenir comparatiste, le juriste doit se spécialiser dans le droit étranger qu’il étudie.
« La compréhension d’un autre droit est un travail de construction ou, plus exactement, de
reconstruction.
»118 La reconstruction d’un autre système juridique suppose que le juriste
comprenne « le travail des idées, des pensées et des sensibilités dans un système juridique
déterminé, pour utilement pouvoir restituer les principes, les concepts, les croyances et les
raisonnements qui y sont à l’œuvre.
»119 L’étude approfondie du droit étranger amène le
comparatiste à acquérir le savoir-faire du juriste de l’autre droit. Ceci induit une étude
approfondie des éléments structurels et culturels du système constitutionnel tunisien. Le
Professeur Elizabeth ZOLLER recommande de « pénétrer à l’intérieur du système étranger et
[d’]essayer de le comprendre au sens étymologique, c’est-à-dire le “prendre avec soi”. »120
Alors, dans l’objectif de saisir les concepts et les institutions qui fondent ce système
121, il faut
« avoir des connaissances linguistiques de manière à accéder à des matériaux de première
main.
»122 L’étude du droit tunisien123 est ainsi liée à l'apprentissage de l’arabe littéraire124.
117 P. LEGRAND, Le droit comparé, op.cit., p. 58.
118 M.-C. PONTHOREAU, « Droits étrangers et droit comparé : des champs scientifiques autonomes ? », in
Revue internationale de droit comparé, avril-juin 2015, n° 2, p. 300.
119 E. ZOLLER, « Qu’est-ce que faire du droit constitutionnel comparé ? », Droits, 2000, n° 32, p. 133.
120 Ibid., p. 132.
121 D’après le Professeur Pierre LEGRAND, le comparatiste doit « [c]omprendre comment et pourquoi le droit
est ce qu’il est, là où il est. » P. LEGRAND, Le droit comparé, op.cit., p. 32.
122 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 73.
123 Pour éviter les confusions et les amalgames, j’ai étudié le droit tunisien telle une étudiante de première
année à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis. Je me suis procuré les ouvrages
de droit public – essentiellement de droit constitutionnel et administratif – et j'ai essayé de mettre à plat mes
connaissances en droit français.
124 N'ayant étudié en langue arabe que jusqu'à dix ans, je ne maîtrisais plus l’arabe littéraire au moment de
l’inscription en thèse. Malgré des cours à l’Université de Bordeaux Montaigne de 2015 à 2017, il m’est
parfois difficile de déchiffrer, de cerner et de retranscrire en Français, les nuances et les subtilités de la
langue. Or, pour pouvoir accéder aux travaux préparatoires à la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014,
je devais savoir lire et comprendre l’arabe. Interprète dans cette langue, ma mère Line FINAN, a joué un
rôle déterminant. Grâce à elle, j’ai pu lire, traduire et retranscrire en droit français, l’ensemble des
documents de la Commission des droits et libertés, de la Commission des pouvoirs législatif, exécutif et des
relations entre eux, de la Commission du préambule, des principes fondamentaux et de la révision de la
Constitution et de
judiciaires, administratives, financières et
juridictions
constitutionnelles.
la Commission des
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Quand éclate la révolution du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011 de nombreux experts se
mobilisent pour comprendre et expliquer les causes et les conséquences de la vague
révolutionnaire qui déferle sur les pays arabo-musulmans. Bien qu’ils viennent des quatre
coins du globe, la majorité d’entre eux est occidentale ou du moins européenne
125. Le
Professeur Xavier PHILIPPE a par exemple, été chargé par une délégation de Democracy
Reporting International d’aider les membres de l’ANC à élaborer les articles de la
Constitution
126. Fascinés par
rupture constitutionnelle en Tunisie, ces experts
la
internationaux s’intéressent de près aux débats et aux travaux constituants. Leurs observations
et analyses se traduisent souvent par la publication d’innombrables articles en anglais
127 et en
français
128. Ces experts ne sont pourtant pas les seuls à commenter l’état du droit
constitutionnel et des institutions publiques en Tunisie. En plus de parler l’arabe, les
spécialistes nationaux du droit constitutionnel maîtrisent une, voire plusieurs langues
étrangères. La plupart d’entre eux ont appris l’allemand ou/et l’italien et communiquent
régulièrement en anglais et en français. S’ils suivent de près les travaux des commissions
constituantes, ces experts nationaux
129 commentent les différentes versions du texte
constitutionnel. Ils familiarisent ainsi les Tunisiens et la communauté internationale avec la
constitution en élaboration. Bien que de nombreux documents et commentaires soient écrits
en anglais et en français, un accès direct en arabe s’est révélé essentiel.
125 La plupart de ces experts sont de nationalité française et italienne. Le Professeur Tania GROPPI de
l’Université de Sienne a dédié une partie de ses travaux au processus constituant et à la Constitution du 27
janvier 2014. Il en est de même de sa doctorante Tania ABBIATE. Voir à titre d’exemple T. ABBIATE,
La
transizione costituzionale tunisina fra vecchie e nuove difficoltà, in
Federalismi, Focus Africa, 14 juillet
2014, n. 2, 2 [en ligne], [consulté le 29 septembre 2020],
http://www.federalismi.it/nv14/articolo-
documento.cfm?Artid=26821&content=La+transizione+costituzionale+tunisina+fra+vecchie+e+nuove+dif
ficolt%C3%A0&content_author=Tania+Abbiate.
126 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis. Le Professeur Xavier PHILIPPE a d’ailleurs publié de multiples articles sur
le processus constituant et la Constitution du 27 janvier 2014. Voir par exemple X. PHILIPPE, « Les
processus constituants après les révolutions du printemps arabe. L’exemple de la Tunisie : rupture ou
continuité ? »
in F. MELIN-SOUCRAMANIEN (dir.), Espaces du service public. Mélanges en l’honneur
de Jean du Bois de Gaudusson
, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2013, pp. 545-546.
127 Pour un exemple significatif en la matière voir R. GROTE & T. J. RÖDER (eds.), Constitutionalism, Human
Right and Islam after the Arab Spring, New York, Oxford University Press, 2016, 992 p.
128 Grâce à la contribution financière du Japon, du Royaume de Belgique, de l’Union européenne, de la Suède,
du Royaume du Danemark, de la Norvège et de la Confédération suisse, le
PNUD a publié le recueil
d’articles suivant : M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE
LA HAY (dir.) Rapport du PNUD, La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives,
2018],
2016,
http://www.tn.undp.org/content/tunisia/fr/home/library/democratic_governance/la-constitution-de-la-
tunisie-.html, 631 p.
[consulté
ligne],
mars
[en
24
le
129 Notamment ceux de l’Association Tunisienne de Droit Constitutionnel (ATDC).
36



Page 38
Langue du tanzîl, c'est-à-dire de la « descente » ou de la révélation, l’arabe a été utilisé par
Dieu pour communiquer avec Mahomet. Langue sacrée, l’arabe véhicule un système normatif
et axiologique particulier. Les mots sont religieusement connotés et comme tous signifiants,
ils peuvent renvoyer à de multiples signifiés. Celui qui maîtrise l’arabe accède aux normes
religieuses et tente de restituer le message divin avec les éléments de contexte que contient la
langue arabe. Bien que de multiples observateurs occidentaux se soient intéressés à la Tunisie,
peu d’entre eux avaient accès aux subtilités et à la religiosité de la langue arabe. Que penser
alors des écrits en anglais et en français des experts tunisiens ? Même s’ils critiquent les
défaillances de l’ANC, les experts nationaux ont été des acteurs de premier plan du processus
constituant. C’est par exemple le cas des Professeurs Yadh BEN ACHOUR et Slim
LAGHMANI. Le premier a présidé la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la
révolution, la réforme politique et la transition démocratique
130. Le second est intervenu pour
améliorer la formulation de l’article 49 de la Constitution
131. Bien que leurs écrits soient des
références en la matière, il est important pour le comparatiste de se faire sa propre opinion sur
l’expérience tunisienne, notamment en apprenant l’arabe pour accéder aux travaux
préparatoires à la Constitution du 27 janvier 2014.
Afin de maîtriser la religiosité de la langue arabe, il était nécessaire de comprendre ce
qu’implique l’Islam. Religion sociologique de la majorité des Tunisiens, l’Islam « représente
un système de valeurs, de références, de conduites et d’identification socioculturelle, toujours
apte à faire des concessions et à élaborer des compromis à l’égard de la modernité. Il
constitue, pour beaucoup de musulmans, davantage un patrimoine symbolique collectif,
culturel et identitaire, qu’un ensemble de codes moraux et normatifs strictement et
exclusivement religieux.
»132 Dans l’objectif de pénétrer ce patrimoine symbolique, il était
nécessaire de s’intéresser à la religion et à ses multiples expressions en Tunisie
133. L’Islam
recouvre en réalité des identités plurielles vécues au travers de l’histoire et de la culture de
130 Pour plus de précisions sur le rôle et l’importance de cette instance dans le processus de transition
constitutionnelle tunisien cf. Annexe 2 – Chronologie de la transition tunisienne, 11 février 2011.
131 Salsabil KLIBI affirme que « c’est le Professeur Slim Laghmani qui a introduit l’article 49 de la
Constitution. Il revient aux Pactes de 1968 et aux publications des premières versions de la Constitution
pour l’établir. » Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
132 A. LAMCHICHI, L’islamisme politique, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 16.
133 Parce qu'il existe différentes manières d’être musulman, celles-ci se sont opposées lors de l’écriture de la
Constitution en Tunisie. Pour plus de précisions sur ce point cf. la PARTIE I de cette thèse.
37



Page 39
chaque pays dans lequel il s’inscrit134. L’intérêt porté à l’expression de l’Islam en Tunisie était
doublée d’une familiarisation avec le dialecte tunisien.
Ceci se justifie par le fait qu’en droit, le langage et le raisonnement sont déterminés par des
cadres épistémologiques et culturels spécifiques. Conscient de ces paramètres, le comparatiste
doit procéder à une contextualisation
135, en essayant d’accéder à la « structure cognitive »136
du système constitutionnel qu'il étudie. Chaque notion analysée est en effet articulée à partir
de valeurs et de pratiques juridiques particulières dont il doit rendre compte. Il est également
tenu de mettre au jour les présupposés idéologiques, politiques et juridiques qui fondent la
conception nationale du droit. Ce travail s’avère pourtant difficile pour le comparatiste de
culture arabe. Ses présupposés culturels l’amènent souvent à croire que certaines notions lui
sont acquises puisque familières. Il interprète ainsi certains concepts à l’aune de ses acquis
culturels. Or, les cultures arabes diffèrent à bien des égards les unes des autres. Alors, dans
l’objectif de rester fidèle à la conception nationale du droit qu’il observe, le comparatiste est
amené à s’immerger dans la société qu’il étudie. Des déplacements à Tunis
137 et des échanges
avec des spécialistes nationaux et internationaux du droit
138, ont de fait, été incontournables :
ils ont permis de comprendre les concepts juridiques dans leur contexte et d’éviter des erreurs
d’interprétation
139. L’immersion dans la société tunisienne a ainsi été doublée d’une démarche
interdisciplinaire. Cette démarche a permis d’identifier les traces du constitutionnalisme
134 Le Professeur Ferhat HORCHANI précise à ce titre qu’ « il n’y a pas d’islam unique, mais de nombreuses
lectures et interprétations qui reflètent les spécificités nationales et le poids de la modernité dans chaque
pays.
» F. HORCHANI, “Islam and the Constitutional State. Are They in Contradiction?”, précit., p. 200.
Nous traduisons.
135 A. PETERS and H. SCHWENKE, Comparative Law Beyond Post-Modernism”, International and
Comparative Law Quaterly,
octobre 2000, vol. 49, pp. 801-802. Voir également M. VAN HOECKE and
M. WARRINGTON,
Towards a New Model for Comparative Law”, International and Comparative Law
Quaterly,
Vol. 47, juillet 1998, N° 3, pp. 495-536.
136 W. EWALD, “Comparative Jurisprudence: What Was It Like to Try a Rat?”, University of Pennsylvania
Law Review,
1995, vol. 143, pp. 1889-2149. Dans un autre important article, William EWALD
énonce : « Ce que nous devrions chercher à comprendre, ce n’est pas le droit dans les livres ni le droit en
action, mais le droit dans les esprits.
» W. EWALD, “The Jurisprudential Approach to Comparative Law:
A Field Guide to "Rats"”,
American Journal of Comparative Law, 1998, vol. 46, p.704. Nous traduisons.
137 J’ai séjourné en Tunisie : d’abord pour participer aux XXXIIème et XXXIIIème sessions de l’Académie
Internationale de Droit Constitutionnel
(AIDC) à Tunis en 2016 et 2017, puis pour une période plus longue
d’échanges à l’
Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC) en 2016 et à la Faculté des
Sciences Juridiques, Politiques et Sociales à Tunis en 2017.
138 J’ai réalisé des entretiens avec les experts internationaux en matière de justice transitionnelle Filippo di
CARPEGNA et Guluzar ÖZLEM CELEBI du
Programme des Nations Unis pour le Développement
(PNUD). J’ai également interviewé Slim LAGHMANI et Salsabil KLIBI, experts constitutionnels
nationaux en matière d’élaboration de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014. Ils ont d’ailleurs aidé à
son élaboration. J’échange aussi régulièrement avec l’ambassadeur tunisien à l’UNESCO à Paris, Ghazi
GHERAIRI.
139 Les ouvrages de l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC), de la Libraire juridique
LATRACH et de la Libraire AL KITAB à Tunis, ont servi de base à ma réflexion et à la contextualisation
de ma recherche.
38



Page 40
tunisien grâce aux apports de l’histoire, de la politique, et de la sociologie. Cela était
d’ailleurs fondamental pour bien contextualiser l’objet de la recherche.
B. La contextualisation de l’objet de la recherche
Afin de rendre compte de la spécificité du constitutionnalisme tunisien, le comparatiste est
tenu de s’attacher « au suivi temporel de l’histoire dont [la Constitution du 27 janvier 2014]
est le produit […] en remontant aussi loin qu’il est nécessaire et qu’il est possible dans le
passé du cas, en même temps qu’une exploitation détaillée du devenir corrélatif du (ou des)
contexte(s) dans lesquels il s’inscrit.
»140 Plus le contexte est spécifié, moins le cas tunisien
est substituable par un autre. S’il est primordial d’accorder une attention particulière au
contexte dans lequel émerge et s’épanouit le constitutionnalisme tunisien, la contextualisation
ne doit toutefois pas être poussée à l’extrême. L’observation par le comparatiste de la
construction du constitutionnalisme tunisien a pour objectif d’« extraire une argumentation de
portée plus générale, dont les conclusions pourront être réutilisées pour fonder d’autres
intelligibilités ou justifier d’autres décisions.
»141 La recherche par le comparatiste des traces
du constitutionnalisme tunisien est guidée par un objectif bien précis.
Comme toute construction intellectuelle, une étude de droit comparé se fabrique. « Elle
dépend en pratique de la question soulevée qui, elle-même, dépend de l’objectif poursuivi par
celui qui compare.
»142 En regardant dans quelles conditions le constitutionnalisme tunisien a
été construit, le comparatiste essaie de comprendre comment une identité constitutionnelle
comprise dans
l’Islam, est conciliable avec
les composantes
traditionnelles du
constitutionnalisme. L’objectif poursuivi par l’étude du constitutionnalisme tunisien est de
proposer, grâce à une connaissance de la réalité constitutionnelle tunisienne, une analyse
alternative à la globalisation du droit constitutionnel. Cette analyse regarde aussi les Etats de
la rive Est et Sud de la Méditerranée qui ont connu ou qui connaissent des soulèvements
populaires d’ordre révolutionnaire.
140 J.-C. PASSERON, J. REVEL, « Penser par cas. Raisonner à partir de singularités », précit., pp. 17-18.
141 Ibid., p. 9.
142 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 59.
39







Page 41
Dans l’objectif de proposer un discours alternatif à la globalisation du droit constitutionnel, il
faut commencer par comprendre le constitutionnalisme tunisien. « Le constitutionnalisme
tunisien, en effet, ne peut être saisi que par référence à un réformisme.
»143 Il est alors
impératif d’enquêter sur le réformisme. Au XIXème siècle, KHEREDINE et Ahmed IBN ABI
DHIAF
144 cherchaient à concilier les valeurs authentiques de la civilisation arabe et islamique,
avec les valeurs modernes de la civilisation occidentale. Au lieu de rejeter les innovations qui
leur étaient imposées par les puissances européennes et la
Sublime Porte145, ils tentèrent de les
ajuster et de les adapter à la société arabo-musulmane dans laquelle ils vivaient. L’un des
premiers concepts qu’ils ont essayé d’assimiler est celui de constitution. Malgré l’observation
scrupuleuse des constitutions et des ordres juridiques européens, leur perception des sociétés
libérales était marquée par les valeurs religieuses et précapitalistes de la Tunisie beylicale. De
plus, ils ne saisissaient pas le processus de sécularisation qui en Occident, faisait de la religion
une affaire privée. En Tunisie, l’Islam régissait tous les aspects de la vie en communauté et
aucune critique de la religion n’était admise. Ainsi, s’ils militaient en faveur d’un pouvoir
monarchique
146 limité par une constitution, la constitution de leurs vœux était composée du
Coran et de la Sunna. Décontextualisée et rendue conforme à l’Islam, l’idée de constitution a
pourtant progressé.
Sous
le protectorat français,
les valeurs
libérales véhiculées par
l’occupant sont
progressivement assimilées par les élites nationalistes qui réclament une constitution pour la
Tunisie. Le
Néo-Destour147 estimait pourtant que l’élection au suffrage universel d’une
Assemblée Constituante permettrait l’établissement d’un régime constitutionnel et par voie de
conséquence, l’émancipation de la Tunisie. A l’époque, la volonté des Tunisiens en général et
de Habib BOURGUIBA en particulier était de hâter la libération du pays. La Constitution
était mise au service de l’indépendance et l’Islam était quasiment absent des débats
constituants. Volontairement ambigües, les dispositions de l’article premier de la Constitution
du 1
er juin 1959 sont sujettes à interprétation. Même si elles ne permettent pas, à elles seules,
de savoir qui de l’Etat ou du peuple a pour religion l’Islam, leur interprétation par
BOURGUIBA et BEN ALI a fait de l’Islam, la religion sociologique de la majorité des
143 M. CAMAU, « Articulation d’une culture constitutionnelle nationale et d’un héritage bureaucratique : la
désarticulation du constitutionnalisme au Maghreb aujourd’hui », précit., p. 143.
144 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Ahmed IBN ABI DHIAF.
145 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Sublime Porte.
146 Ce type de pouvoir ne peut, d’après Ahmed IBN ABI DHIAF s’obtenir que par la révolution d’un peuple en
quête de liberté contre le despotisme ou par l’octroi d’une constitution.
147 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Néo-Destour.
40



Page 42
Tunisiens. Sous l’ancien régime, l’Islam n’était pas une source formelle du droit et de la loi.
Bien que le processus constituant et les dispositions de la Constitution du 1
er juin 1959 aient
été l’œuvre du Néo-Destour, il est intéressant de relever que les réformes et idées libérales
imposées à la Tunisie au XIX
ème siècle, sont progressivement comprises dans leur contexte,
intégrées par les élites nationalistes et mises au service des Tunisiens.
Après l’indépendance cependant, la constitution n’est comprise que comme un instrument au
service du pouvoir politique. Alors même qu’elle garantissait la séparation des pouvoirs et les
droits et libertés des Tunisiens, elle a été instrumentalisée par BOURGUIBA et BEN ALI.
Les multiples révisions qu’elle a subies et l’ineffectivité des droits et libertés consacrés
amenaient les Tunisiens à croire qu’elle servait les intérêts des gouvernants et non ceux des
gouvernés. Ce n’est qu’avec le renversement du régime autoritaire de BEN ALI que les
Tunisiens se sont trouvés à l’origine de la constitution. Avec la révolution du 17 décembre
2010 au 14 janvier 2011, les Tunisiens ont pris conscience de l’impact de l’expression
souveraine de leur volonté et de l’importance du droit constitutionnel dans la réalisation de
leur aspiration démocratique. Leurs revendications constitutionnelles replacent la constitution
au centre de la réflexion sur le constitutionnalisme en Tunisie. La constitution n’est plus
considérée comme un instrument du pouvoir mais comme un instrument de gouvernement
limité
148.
Le 23 octobre 2011, quand ils envoient une majorité de Nahdhaouis à l’ANC, ils placent les
débats sur la religion au cœur du processus constituant. Comme l’affirme le Professeur
Abdullahi AHMED AN-NA’IM, « pour être durable et efficace, une constitution doit
atteindre la légitimité islamique au sein de la population en général, mais elle ne peut pas
être qualifiée de constitution du tout si ou dans la mesure où elle ne respecte pas les
caractéristiques fondamentales du constitutionnalisme.
»149 Entre 2011 et 2014, la question
de la relation entre l’Islam et le constitutionnalisme est posée et largement débattue. L’Islam
comme religion est associée au caractère « civil » de l’Etat. Le compromis constitutionnel
auquel ont abouti les Tunisiens permet à la Constitution du 27 janvier 2014 de prendre en
considération l’appartenance religieuse des Tunisiens tout en respectant les droits et libertés
148 Sur la culture de la constitution, voir M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit.,
p. 272 et s.
149 A. AHMED AN-NA’IM, “The Legitimacy of Constitution-Making Processes in the Arab World: An
Islamic Perspective”,
in R. GROTE & T. J. RÖDER (eds.), Constitutionalism, Human Right and Islam
after the Arab Spring, op.cit.
, p. 30. C’est nous qui traduisons.
41




Page 43
découlant de la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit. Il est alors
intéressant de savoir comment la Tunisie aménage son identité constitutionnelle comprise
dans l’Islam avec les fondements du constitutionnalisme.
III. L’aménagement d’une identité constitutionnelle comprise dans l’Islam avec
les fondements du constitutionnalisme
Le Professeur Ferhat HORCHANI avoue que « [l]a question de la relation entre l’islam et le
constitutionnalisme se pose parce que la Constitution est censée définir l’identité de l’Etat, la
source du pouvoir et la manière dont les normes, en particulier celles qui régissent les droits
et les libertés, sont générées et respectées.
»150 Cette question se pose en Tunisie après la
révolution du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011 pour deux raisons principales. La
première est que l’Islam est la religion de la majorité des Tunisiens. La deuxième est liée à la
victoire du parti islamiste Ennahdha aux élections constituantes du 23 octobre 2011. Alors
même que le programme électoral du parti avait précisé la volonté des Nahdhaouis de
maintenir la formulation de l’article 1
er de la Constitution du 1er juin 1959, en 2012, ils
changent de position : ils désirent faire de la
charia151, la source de la législation et de Dieu, le
seul souverain. Ceci contredit pourtant la volonté d’une partie des Tunisiens d’installer un
Etat « civil » fondé sur la citoyenneté, la souveraineté du peuple et la primauté du droit. Cet
Etat « civil » distinguerait la religion de la politique et non la religion de l’Etat.
« L’idée de séparer la religion et la politique a une histoire. Celle-ci est chrétienne, prend ses
racines dans l’expérience de la chrétienté européenne et a été rendue possible parce que les
chrétiens considéraient, pratiquement dès les origines, que l’église et l’Etat étaient des entités
conceptuellement séparées, dont les compétences et les pouvoirs, ainsi que la logique, étaient
150 F. HORCHANI, “Islam and the Constitutional State. Are They in Contradiction?”, précit., p. 199.
151 La référence à la charia ne donne pas d’indication sur le droit matériel mis en œuvre. Composé du Coran et
de la
Sunna, la charia est un corpus de textes. Ce dernier renvoie surtout aux obligations du musulman
(
ibadat), au droit de la famille et, à l’héritage. Le législateur et le juge sélectionnent dans ce corpus les
textes dont ils ont besoin. Suite à cela, ils se livrent à un travail d’interprétation. Quand
Ennahdha fait
référence à la
charia, deux questions se posent. Quel texte sera appliqué ? Quel est l’objectif de la référence
à la charia. Pour de plus amples explications sur la charia cf. Jean-Philippe BRAS, « Droit, Islam et
Politique dans les Printemps arabes », Conférence Cycle 2012-2013 : Religion et politique en Islam,
EHESS,
le 19 septembre 2020], https://www.canal-
u.tv/video/ehess/11_conference_de_jean_philippe_bras_droit_islam_et_politique_dans_les_printemps_arab
es.12040.
le 2 avril 2013,
[consulté
ligne],
[en
42





Page 44
différents. »152 Contrairement au Christianisme, il n’y a pas d’Eglise dans l’Islam. Aucun
intermédiaire n’existe entre l’humain et le divin. La séparation de la religion et de la politique
s’oppose au message, à l’esprit et aux objectifs de l’Islam
153. A l’origine de l’Islam, se trouve
d’ailleurs l’idée d’
Umma154. L’Umma est une « communauté politico-religieuse unifiée dans
laquelle l’autorité politique est à la fois soumise au droit divin et chargée de l’appliquer.
»155
Il semble alors logique que les partisans d’Ennahdha aient voulu lier la religion et la
politique. A l’instar des Frères musulmans en Egypte, ils voulaient aussi faire de l’Islam, la
religion de l’Etat. Or, depuis la promulgation de la Constitution du 1
er juin 1959, la spécificité
de la Tunisie résidait dans son article premier. Sous les régimes autoritaires de BOURGUIBA
et de BEN ALI, cet article n’a jamais été interprété de manière à faire de l’Islam, la religion
de l’Etat. L’Islam a toujours été géré par l’Etat et il ne servait pas de source formelle à la loi.
Nonobstant pour éviter le scénario égyptien156 et rester au pouvoir, Ennahdha renonce à ses
prétentions premières. Il accepte de reconduire l’article premier de la Constitution du 1
er juin
1959 et de faire de la Tunisie un Etat « civil ». Toutefois, lors du neuvième congrès du
parti
157, Ennahdha rappelle que l’Etat « civil » doit être construit sur les valeurs de l’Islam.
Malgré le maintien de l’article premier de la Constitution du 1
er juin 1959, les Nahdhaouis
considèrent que les gouvernants peuvent s’inspirer des préceptes religieux. Contrairement à
l’article 2 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014 qui fait de l’Islam, la religion de
l’Etat et des principes de la charia, la source principale de la législation, en Tunisie, le peuple
est souverain mais ses représentants peuvent s’inspirer des préceptes et principes de l’Islam
pour élaborer la loi, selon la volonté du peuple et les attentes du corps social. La Tunisie est
de ce fait, un Etat « civil » dont la référence est l’Islam.
Phénomène sociologique saisi par la loi, l’Islam ne devrait s’opposer ni aux droits et aux
libertés du citoyen, ni à leur protection juridictionnelle et encore moins, à l’instauration de
152 S. LAST STONE, « La religion et l’Etat : des exemples de séparation en droit hébraïque », in H. RUIZ
FABRI et M. ROSENFELD (dir.),
Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la
privatisation,
Paris, Société de Législation Comparée, 2011, p. 355. Voir également S. MANCINI, “The
Tempting of Europe, the Political Seduction of the Cross: A Schmittian Reading of Christianity and Islam
in European Constitutionalism”,
in S. MANCINI and M. ROSENFELD (eds.), Constitutional Secularism in
an Age of Religious Revival,
Oxford, Oxford University Press, 2014, pp. 111-135.
153 L’Islam ne connaît ni dans son histoire, ni sans ses textes, une séparation entre le temporel et le spirituel.
154 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Umma.
155 S. LAST STONE, « La religion et l’Etat : des exemples de sépration en droit hébraïque », précit., p. 355.
156 En Egypte, la société civile renverse le régime politique des Frères musulmans et pousse le Président
MORSI à la démission.
157 Ce dernier s’est tenu en Tunisie du 12 au 16 juillet 2012.
43




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l’Etat de droit en Tunisie. Or, « la religion et le constitutionnalisme se heurtent souvent à des
valeurs fondamentales et à des préférences politiques.
»158 Quand bien même l’Islam n’admet
ni la liberté de conscience
159 ni l’égalité successorale entre l’homme et la femme160, le droit et
la loi en Tunisie les reconnaissent explicitement. L’article 6 de la Constitution du 27 janvier
2014 prévoit la garantie par l’Etat de la liberté de conscience. Le 23 novembre 2018, le
Gouvernement de Youssef CHAHED a approuvé puis déposé à
l’Assemblée des
Représentants du Peuple (ARP), un projet de loi relatif à l’égalité successorale. Bien qu’ils
soient révolutionnaires, ces deux exemples posent la question de savoir si la liberté de
conscience et l’égalité successorale sont pleinement effectives dans les textes et la pratique.
Ce n’est qu’après avoir étudié les travaux préparatoires à la Constitution du 27 janvier 2014 et
la réalité constitutionnelle tunisienne qu’une réponse à la question pourra être apportée.
L’article 6 de la Constitution du 27 janvier 2014 enjoint l’Etat à protéger la religion et à
garantir la liberté de conscience. En ne constitutionnalisant que l’Islam, les constituants
excluent du texte constitutionnel les individus athées, non croyants, non pratiquants et non
musulmans. Or la liberté de conscience consiste en la possibilité pour un individu de décider
librement de ses opinions politiques et religieuses, de son système de valeurs et de principes
existentiels et cela inclut de ne pas en avoir
161. La liberté de conscience doit par ailleurs
pouvoir s’exercer sans crainte de représailles, de manière libre et s'il y a lieu, publique. Bien
qu’elle soit reconnue par l’article 6 de la Constitution, la liberté de conscience est comprise
dans l’Islam. Socialement et culturellement important, l’Islam n’admet pourtant aucune
critique en Tunisie. Aucun comportement ou propos allant à l’encontre des principes et
valeurs de l’Islam ne peut donc être tenu en public. Dès lors, la liberté de conscience n’est pas
pleinement garantie. Malgré ce constat il est remarquable de constater que la Tunisie est le
seul pays arabo-musulman qui, suite à la vague révolutionnaire de 2010-2011, a
158 R. HIRSCHL and A. SHACHAR, “Competing Orders? The Challenge of Religion to Modern
Constitutionalism”, précit., p. 426.
159 Dans l’Islam, on est libre d’adhérer au message coranique mais il est difficile de se rétracter. Pour plus de
précision sur la conception islamique de la liberté de conscience cf. « Islam et liberté de conscience -
Conférence “Islam au XXI
ème siècle” du 26 février 2019 à l’UNESCO » [en ligne], [consulté le 10
septembre
https://www.youtube.com/watch?v=obc
MDijaOtA&t=5611s&fbclid=IwAR3XWUZkgcspeAUXUhXNLDiMm9V3AkNat634lmCp3mxxAWgVN
OBbgpUaWis.
2019],
160 Le verset 11 de la Sourate 4 An-Nisa’ du Coran précise en effet que le fils hérite le double de la part de la
fille.
161 La liberté de conscience est plus large que la liberté de religion puisqu’elle inclut la métaphysique et la
philosophie.
44



Page 46
constitutionnalisé la liberté de conscience. Cela n’est pas le cas en Egypte par exemple. La
Constitution du 18 janvier 2014 ne fait mention que de la liberté de croyance
162.
Au demeurant, la Tunisie est le seul pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient qui pense
introduire dans sa législation, le principe d’égalité successorale
163. Toutefois, pour ne pas
heurter les convictions religieuses de certains Tunisiens, les réformes proposées établissent la
possibilité pour le défunt d’appliquer les prescriptions religieuses en matière de succession.
En laissant la possibilité au mourant de choisir le régime successoral appliqué à ses biens,
l’égalité en matière d’héritage n'est qu'une option. En dépit de cela, cet exemple est
significatif de la volonté des Tunisiens de concilier leur identité constitutionnelle comprise
dans l’Islam avec les valeurs et principes au fondement du constitutionnalisme. Quoique
certaines expressions de l’Islam aillent à l’encontre des droits et des libertés des citoyens, la
spécificité du cas tunisien n’apparait qu’après la comparaison avec des expériences arabo-
musulmanes similaires ou proches. C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’une étude de droit
comparé.
IV. Une étude de droit comparé
L’étude menée vise à prendre en charge et à analyser ce qui résiste aux discours
homogénéisant sur
la globalisation du droit constitutionnel. L’analyse des
travaux
préparatoires à la Constitution tunisienne démontrent qu’elle contient à la fois des outils
constitutionnels globaux et des «
détails étranges »164. Liés à l’aire civilisationnelle et
culturelle dans laquelle se situe la Tunisie, ces détails relèvent essentiellement de l’Islam.
Certaines valeurs et principes de l’Islam s’opposent pourtant à l’autonomie individuelle chère
au constitutionnalisme. Alors, pour savoir jusqu’où la reconnaissance de la diversité peut
aller, sans perdre les fondements à la base du constitutionnalisme, le comparatiste observe la
construction du constitutionnalisme en Tunisie. Ce dernier essaie tant bien que mal de
concilier une identité constitutionnelle comprise dans l’Islam avec l’autonomie individuelle et
162 Article 64 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014.
163 Discuté par la commission Santé et Sécurité Sociale de l’ARP depuis février 2019, les débats parlementaires
relatifs à l’égalité successorale ont été arrêtés. Le décès du président Béji CAÏD ESSEBSI, les élections
présidentielles et législatives de 2019, la difficile mise en place du Gouvernement d’Elyes FAKHFAKH
puis sa démission ont longuement occupé les Tunisiens.
164 G. FRANKENBERG, “Constitutional Transplants: The IKEA Theory Revisited”, précit., p. 563.
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l’égalité homme / femme. L’appréhension par le comparatiste de la réalité constitutionnelle
tunisienne l’amène à cerner les incohérences et les conflits inhérents au constitutionnalisme
national. Bien que le discours tenu par la doctrine sur le constitutionnalisme tunisien se
veuille progressiste et cohérent, les pratiques qui en découlent sont souvent discriminatoires.
Moralement et socialement important, l’Islam empêche l’expression des droits et libertés des
Tunisiens. C’est l’exemple de la liberté de ne pas jeûner en public pendant le mois de
ramadan.
Ces pratiques n’enlèvent cependant rien à la spécificité du constitutionnalisme tunisien. Cette
spécificité n’apparaît pourtant qu’après la comparaison avec des expériences arabo-
musulmanes similaires ou proches. Même si elle n’est pas systématique, la comparaison sert
la démonstration. Dans l’objectif de souligner la singularité du constitutionnalisme tunisien, la
Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 est souvent comparée à la Constitution égyptienne
du 18 janvier 2014 et à la Constitution marocaine du 29 juillet 2011. La comparaison peut
également être établie pour démontrer les similitudes entre la Tunisie, l’Egypte et le Maroc.
Le choix de ces deux pays n’est par conséquent pas anodin et nécessite d’être justifié.
A la différence de l’Egypte et de la Tunisie, le Maroc n’est pas une république mais une
monarchie constitutionnelle. Malgré les mobilisations populaires de 2010-2011, le Maroc n’a
pas connu de révolution ou/et de rupture constitutionnelle. Le 9 mars 2011, le Roi confie la
révision du texte constitutionnel à une commission consultative composée de dix-sept
membres
165. Acquise à la cause du pouvoir, la commission consultative adopte un projet de
constitution accepté par le Roi dans son discours du 17 juin 2011. Approuvée par référendum
le 1
er juillet 2011, la Constitution est promulguée le 29 juillet 2011. A l’opposé des
Constitutions égyptienne et tunisienne de 2014, le préambule de la Constitution marocaine de
2011 fait du Maroc un Etat musulman souverain. A cela s’ajoute l’article 3 de la Constitution
qui fait de l’Islam, la religion de l’Etat. Même si l’article 2 prévoit que la souveraineté
appartient à la Nation
166, les lois adoptées par le législateur ne doivent en aucun cas
165 « [D]ans son discours du 9 mars 2011, le souverain exprime sa volonté de procéder à l’élaboration d’un
nouveau texte constitutionnel et de confier cette mission à une commission consultative composée de 17
membres. Cette commission, formée de membres nommés par le roi est principalement composée de
juristes, d’économistes et de sociologues.
» O. BENDOUROU, « La nouvelle Constitution marocaine du 29
juillet 2011 », Revue française de droit constitutionnel, 2012/3, 91, p. 512.
166 L’article 2 de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011 précise que : « La souveraineté appartient à la
Nation qui l’exerce directement, par voie de référendum, et indirectement, par l’intermédiaire de ses
représentants. / La Nation choisit ses représentants au sein des institutions élues par voie de suffrages
libres, sincères et réguliers.
»
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contrevenir aux prescriptions de l’Islam. L’Islam règne sur les institutions de l’Etat et le Roi
en est le garant. Malgré la révision constitutionnelle de 2011, la conception traditionnelle et
religieuse du pouvoir reste inchangée. La Constitution écrite s’impose aux pouvoirs publics et
le Roi a une autorité religieuse et morale dont ne dispose aucune institution de l’Etat. Qualifié
d’Amir Al Mouminine ou de Commandeur des Croyants, le Roi bénéficie d’une légitimité
religieuse incontestée. C’est la raison pour laquelle, en vertu de l’article 41 de la Constitution
actuelle, il veille au respect de l’Islam
167, protège les droits et les libertés des citoyennes et des
citoyens
168 et préside le Conseil supérieur des Ouléma169.
A l’inverse, l’Egypte et la Tunisie sont des républiques qui ont connu des révolutions et
l’élaboration de nouvelles constitutions. A l’instar de la Tunisie, l’Islam est la religion de la
majorité des Egyptiens. Contrairement à l’ANC tunisienne, le Comité des 50
170 égyptien ne
comprenait que deux représentants des partis islamistes. En dépit de cela, les constituants
égyptiens ont gravé dans le marbre constitutionnel l’identité religieuse de l’Etat : la charia a
une valeur normative
171 et l’Islam est la religion de l’Etat. En tant que religion de l’Etat,
l’Islam s’oppose à l’expression de certaines droits et libertés. Il est par exemple difficile pour
les musulmans de quitter la religion, de débattre ou de contester publiquement les raisons qui
fondent le droit et/ou la loi, ou de revendiquer l’égalité des droits entre l’homme et la femme.
167 Le dernier alinéa de l’article 41 de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011 prévoit que : « Le Roi
exerce par dahirs les prérogatives religieuses inhérentes à l’institution d’Imarat Al Mouminine qui Lui sont
conférées de manière exclusive par le présent article.
»
168 Articles 41 et 42 de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011.
169 Dans l’ensemble de cette thèse, le terme Ouléma a été écrit Uléma. Dans l’objectif de rester fidèle à la
traduction française officielle de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011, ce paragraphe opte pour la
translation
Ouléma. Pour plus de précisions sur la traduction française officielle de la Constitution
marocain du 29 juillet 2011, cf. http://www.sgg.gov.ma/Portals/0/constitution/constitution_2011_Fr.pdf.
170 Composé de 50 personnages publics, le Comité des 50 est formé par le décret présidentiel n° 570/2013 du 2
septembre 2013. Sa composition offre une représentation de toutes les forces égyptiennes qu’elles soient
politiques ou sociales. Il regroupe deux représentants des mouvements islamiques, un de l’armée, trois de
l’Eglise, trois d’Al-Azhar et, trois leaders du mouvement Tamarrod. Le décret précité nomme un
représentant de chaque parti politique et de chaque syndicat égyptien important. En vertu de l’article 29 de
la déclaration constitutionnelle du 8 juillet 2013 (régissant la période de transition constitutionnelle), le
Comité des 50 était chargé d’approuver les travaux de la commission des 10. Composée de dix experts
juridiques, cette dernière commission avait émis un rapport proposant des amendements constitutionnels
limités. L’idée de l’établissement d’une nouvelle Constitution n’était pas encore envisagée. Le Comité des
50 va pourtant aller au-delà de la mission qui lui était initialement attribuée puisqu’il a mené une réflexion
sur l’intégralité du texte constitutionnel de 2012. Son rapport propose des réformes sur les institutions
publiques, le caractère « civil » de l’Etat et les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés.
Le 3 décembre 2013, le Comité des 50 a remis le nouveau texte constitutionnel au président de la
République.
171 La Constitution égyptienne de 2014 reprend mot pour mot les dispositions de l’article 2 de la Constitution
égyptienne de 1971 selon lesquelles : «
Les principes de la charia islamique sont la source principale de
législation
». La Constitution de 1971 est la première Constitution égyptienne à consacrer la valeur
normative de la
charia. Alors qu’elle prévoyait initialement que la charia était « une source principale de
la législation
», elle a été amendée en 1980. Depuis, la charia est « la » source principale de la législation.
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En Tunisie et en Egypte pourtant, les Constitutions de 2014 reconnaissent le caractère
« civil » de l’Etat ou du gouvernement. Contrairement au préambule de la Constitution
égyptienne de 2014
172, l’article 2 de la Constitution tunisienne de 2014 fonde l’Etat « civil »
sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit. L’article 2 de la Constitution
du 27 janvier 2014 empêche le législateur d’adopter des lois contraires aux libertés et aux
droits inhérents à la citoyenneté. En Egypte, bien que la Constitution du 18 janvier 2014
consacre la notion de citoyenneté, son article 2 fait de la charia, la source principale de la
législation. L’Islam est une source formelle et matérielle du droit et de la loi en Egypte. De
plus, depuis la révision d’avril 2019, l’armée égyptienne est placée au-dessus du système
constitutionnel. L’article 200 de la Constitution égyptienne de 2014 fait de l’armée, la
gardienne de la Constitution et la garante de la démocratie, des composantes fondamentales
de l’Etat, de son caractère « civil », ainsi que des acquis du peuple et des droits et des libertés
individuelles. Le rôle de l’Islam et de l’armée en Egypte empêche l’expression pleine et
entière des droits et libertés des citoyens. La comparaison de l’expérience tunisienne avec le
Maroc et l’Egypte ne fait qu’accentuer la spécificité du cas tunisien.
Même si les islamistes ont milité pour réintroduire la charia dans le texte constitutionnel, les
modernistes ont lutté pour insérer l’article 2 de la Constitution, qui dispose du caractère
« civil » de l’Etat. Malgré les dissensions entre les constituants sur la place à accorder à
l’Islam au sein de l’Etat, la société tunisienne actuelle est régie par le droit. Toutefois, si en
Tunisie l’Islam est géré par l’Etat, le droit et la loi peuvent avoir une connotation religieuse en
fonction de l’interprète et de la lecture de l’article premier. L’étude du cas tunisien appelle en
outre à une mise à l’épreuve constante : il est important d’être au fait de l’actualité tunisienne
pour savoir si l’analyse menée sur la singularité du constitutionnalisme tunisien est confirmée
ou infirmée par la pratique du droit en Tunisie. Cette étude est également une expérimentation
dont les conclusions restent provisoires : elles dépendent en effet de la mise en place de la
Cour constitutionnelle et des lois à venir sur les droits et les libertés des Tunisiens, notamment
l’égalité homme / femme.
En observant comment le constitutionnalisme tunisien se construit, le comparatiste essaie de
comprendre comment une identité constitutionnelle comprise dans l’Islam, est conciliable
avec les composantes traditionnelles du constitutionnalisme. Afin de mener à bien son
enquête, le comparatiste commence par analyser la place de l’Islam dans la formation d’une
172 Le préambule de la Constitution égyptienne de 2014 retient la notion de « gouvernement civil ».
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identité constitutionnelle éclatée (PARTIE I). Ceci suppose qu’il étudie le rôle, l’importance
et les fonctions attribuées à l’Islam par les 217 élus à l’ANC. S’il s’intéresse aux travaux
préparatoires à la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014, il identifie les éléments qui
relèvent de la globalisation du droit constitutionnel et ceux qui résistent à cette tendance. Dans
l’objectif de saisir l’ensemble des composantes de l’identité constitutionnelle tunisienne, le
comparatiste emprunte une démarche historique. Les traces de l’identité sont ainsi
recherchées dans la Constitution du 1
er juin 1959, la Constitution de 1861 et le Pacte
fondamental de 1857.
En remontant aussi loin qu’il est possible dans le passé de la Tunisie, le comparatiste
comprend que l’Islam comme caractéristique de l’identité constitutionnelle est symptomatique
du constitutionnalisme tunisien. Partagée entre l’universel et le national, la Constitution du 27
janvier 2014 en est la dernière expression. Inscrit dans l’aire arabo-musulmane, ce
constitutionnalisme interroge l’impact de l’Islam sur les droits et libertés fondamentaux. S’il
étudie le sort et l’essor du constitutionnalisme en Tunisie, le comparatiste cerne les conflits
qui le traversent (PARTIE II). Instruit de la réalité constitutionnelle, il oppose le discours
progressiste tenu par la doctrine sur le constitutionnalisme tunisien aux pratiques nationales
du droit. Bien qu’il relève la tension entre les standards constitutionnels globaux et les
spécificités culturelles et identitaires régionales et nationales, le comparatiste arrive au constat
que le constitutionnalisme tunisien tente malgré tout et contrairement aux expériences arabo-
musulmanes similaires de concilier les valeurs universelles et identitaires qui font sa
spécificité. Ce constat n’est pourtant pas définitif puisque le constitutionnalisme tunisien est
en mouvement et sa consolidation n’est pas achevée.
PARTIE I. La place de l’Islam dans la formation d’une identité constitutionnelle éclatée
PARTIE II. Les conflits inhérents au constitutionnalisme tunisien
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PARTIE I. LA PLACE DE L’ISLAM DANS LA
FORMATION D’UNE IDENTITE
CONSTITUTIONNELLE ECLATEE
La chute du régime autoritaire de Zine El Abidine BEN ALI amène les Tunisiens à établir un
système politique et juridique nouveau. Après le 14 janvier 2011, le champ politique s’ouvre.
La campagne électorale qui précède les élections constituantes mobilise plus de 100 partis
politiques et plus de 1600 listes électorales, dont la plupart est peu structurée et n’a aucun
ancrage dans la société. Le nombre excessif de partis et l’assimilation des partis
démocratiques aux élites occidentalisées ont poussé les classes défavorisées à voter
majoritairement pour les islamistes. Si la volonté exprimée le 23 octobre 2011 reflète la
diversité et l’hétérogénéité des idées politiques des électeurs, le parti islamiste Ennahdha est
majoritaire à l’ANC. « Toutefois, aucun parti ne remport[e] à lui seul la majorité absolue et
encore moins la majorité qualifiée des deux tiers qui apparaîssait nécéssaire pour l’adoption
de la future Constitution.
»173 Afin d’élaborer la Constitution et de mettre en place de
nouvelles institutions, Ennahdha est contraint de s’allier aux partis politiques séculiers ou/et
d’ancien régime.
Une coalition se forme alors pour mener à bien le processus de transition constitutionnelle et
démocratique. La présidence de la République revient au Congrès Pour la République
(CPR)174, la présidence de l’ANC à Ettakatol175 et celle du gouvernement à Ennahdha176.
Hormis la rédaction de la Constitution, le fonctionnement et les missions de l’ANC n’ont été
fixés qu’après sa mise en place
177. « En effet, bien que rien n’ait été prévu en ce sens,
l’Assemblée nationale constituante devait jouer un double rôle d’écrivain de la Constitution
mais également d’assemblée législative pour l’adoption de textes indispensables au
173 X. PHILIPPE, « Les processus constituants après les révolutions du printemps arabe. L’exemple de la
Tunisie : rupture ou continuité ? » précit., p. 534.
174 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Congrès Pour la République.
175 Egalement appelé Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés. Pour plus de précisions sur ce point
cf. Annexe 1 – Glossaire – Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés.
176 Pour plus de précisions sur ce point voir R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La transition
démocratique en Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire »,
Revue française de
droit constitutionnel
, 2012/4, n° 92, p. 729.
177 Loi constituante n° 6 du 16 décembre 2011 relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics,
également appelée « Petite constitution ». JORT, n° 97 des 20 et 23 décembre 2011, p. 3111.
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fonctionnement ordinaire de l’Etat. »178 L’organisation des pouvoirs publics et les dissensions
à l’ANC retardent l’adoption de la Constitution.
Absent de la révolution, l’Islam fait l’objet de tous les débats constituants. Comme le constate
Baudouin DUPRET « [l]’un des nombreux paradoxes était la polarisation de la scène
politique autour de l’opposition entre Islamists et Libéraux
179, alors que les textes officiels
faisaient peu référence à l’Islam et à la charia.
»180 Habituée à la formulation ambigüe de
l’article premier de la Constitution du 1
er juin 1959, une partie des Tunisiens ne voulait pas
que l’Islam règne sur les institutions de l’Etat. Cela contraste pourtant avec la volonté
d’Ennahdha de faire de la charia la source de la législation et de Dieu, le seul souverain.
Après des années de repression, le parti islamiste exprime librement et publiquement son
ambition de constitutionnaliser la charia. « Or cette constitutionnalisation de la charia
équivalait à une remise en cause de l’équilibre des principes énoncés dans l’article 1
er de la
Constitution de 1959, relatifs aux caractéristiques de l’Etat, dont la reconduction était au
cœur du consensus acté par le pacte républicain, signé le 1
er juillet 2011. »181 La contestation
de la société civile et l’opposition des partis politiques à l’ANC conduisent Ennahdha à
renoncer à ses prétentions. L’absence de consensus sur le rôle et la place de l’Islam dans
l’Etat et la Constitution amène les constituants à conserver l’article premier de la Constitution
du 1
er juin 1959.
Craignant l’islamisation du droit et des institutions, les démocrates à l’ANC militent pour la
constitutionnalisation du caractère « civil » de l’Etat. « Notion charnière, notion coopérative,
l’ “État civil” (dawla madaniyya) pouvait être approprié par l’ensemble des parties au débat
constitutionnel, bien que celles-ci lui aient conféré des significations tantôt convergentes,
tantôt divergentes.
»182 A l’instar de l’article premier, les théocrates et les démocrates
s’accordent sur les termes et non sur la signification de l’article deuxième. Ambigües et
contradictoires, les dispositions constitutionnelles traduisent les conceptions opposées de la
178 X. PHILIPPE, « Les processus constituants après les révolutions du printemps arabe. L’exemple de la
Tunisie : rupture ou continuité ? » précit., p. 535.
179 Les dévelopements qui suivent optent plutôt pour l’opposition entre théocrates et démocrates. Cette
opposition est réductrice et ne restitue pas la complexité des positions et des jeux d’alliance entre les partis
politiques à l’ANC. Elle sera pourtant maintenue dans l’objectif d’opposer au camp conservateur
(essentiellement composé d’islamistes), le camp libéral ou moderniste. Bien que réductrice, cette
opposition sert la démonstration.
180 B. DUPRET, “The Relationship between Constitutions, Politics, and Islam. A comparative Analysis of the
North African Countries”,
in R. GROTE & T. J. RÖDER (eds.), Constitutionalism, Human Right and Islam
after the Arab Spring, op.cit.,
p. 241.
181 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », Pouvoirs, 2016/1, n° 156, p. 58.
182 Ibid., p. 63.
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société, de l’identité et de l’Etat en Tunisie. La consécration constitutionnelle de l’identité
(Titre I) est donc le reflet de la composition hétérogène de l’ANC. En se penchant sur la mise
en place de l’ANC, le comparatiste cherche à savoir comment et dans quelles conditions la
Constitution du 27 janvier 2014 a été élaborée. L’analyse des travaux préparatoires à la
Constitution le conduit à comprendre le compromis constitutionnel et à cerner les
composantes de l’identité constitutionnelle tunisienne.
Bien que l’Islam comme religion et le caractère « civil » de l’Etat fixent en partie, l’identité
de l’Etat en Tunisie, ce ne sont pas les seules composantes de l’identité constitutionnelle
tunisienne. Cette dernière est également composée des droits de l’Homme garantis par la
Constitution. Malgré la consécration constitutionnelle de la dignité et de la liberté, l’identité
arabe et islamique du peuple obsédait la majorité des élus à l’ANC. Si l’identité
constitutionnelle est à la croisée des valeurs universelles et identitaires (Titre II), les
premières sont souvent neutralisées par les secondes.
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Titre I La consécration constitutionnelle de l'identité
Le 23 octobre 2011, les premières élections libres de la Tunisie indépendante ont été
remportées par le parti islamiste Ennahdha. Prohibé par le Président BOURGUIBA ce parti a
été légalisé puis réprimé par son successeur BEN ALI : processus inattendu par lequel, à la
suite d'élections démocratiques, un parti islamiste est arrivé au pouvoir
183. N’ayant pas obtenu
la majorité absolue des sièges à l’ANC
184, le parti islamiste a été contraint de composer avec
les partis politiques séculiers. Son objectif a été de doter le pays d’une constitution fidèle aux
nouvelles aspirations du peuple tunisien. Ce «
mariage contre nature »185 a donné une identité
constitutionnelle à l’image de la composition hétérogène de l’Assemblée Nationale
Constituante (Chapitre 1).
Si les élections constituantes ont cristallisé l’opposition entre deux visions de la société et de
l’identité du peuple en Tunisie, les travaux préparatoires ont prouvé qu’il existait deux
perceptions bien différentes du rôle de l’Etat en matière religieuse. La Constitution du 27
janvier 2014 a été par conséquent, bien plus le fruit d’un compromis que d’un consensus
politico-constitutionnel
186. Qualifié de « dilatoire »187 par le Doyen Yadh BEN ACHOUR, le
compromis s'est traduit dans le texte, par des dispositions ambiguës et contradictoires qui
témoignent des conceptions opposées des théocrates et des démocrates de la fonction de l’Etat
en Tunisie (Chapitre 2).
183 Cf. Annexe 2 – Chronologie de la transition tunisienne.
184 Le Rapport de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections, (ISIE), de novembre 2011 énonce les
résultats des 217 députés élus :
Ennahdha : 89, Congrès Pour la République (CPR) : 29, Ettakatol : 20,
Parti des Démocrates Progressistes (PDP) : 16, Al Moudabara : 5, Afek Tounes : 4, Parti Communiste
Ouvrier Tunisien
(PCOT) : 3, Echaâb : 2, Mouvements des Démocrates Socialistes (MDS) : 2, Parti Libéral
Maghrébin
(PLM) : 1, Justice et Equité : 1, Néo-Destour : 1, El Oumma Démocratique : 1, El Oumma
Culturel et Unioniste
: 1, Union Patriotique Libre (UPL) : 1, Patriotes Démocrates : 1. Listes
indépendantes :
Al Aridha : 26, El Mostakella : 1, Front National : 1, Espoir : 1, Wafa : 1, Annidhal : 1,
Justice : 1, Fidélité aux Martyrs : 1, Coalition, Parti Démocratique Moderniste (PDM) : 5.
185 N. RJIBA (Om Zied), in H. NAFTI, Tunisie, dessine-moi une révolution. Témoignages sur la transition
démocratique (2011-2014), Paris, L’Harmattan, 2015, p. 44.
186 La différence entre le « compromis » et le « consensus » sera traitée au sein du Chapitre 2 de ce Titre.
187 Référence à l’expression utilisée par Carl SCHMITT qui sera expliquée au sein du Chapitre 2 de ce Titre.
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Chapitre 1 Une identité constitutionnelle à l’image de la composition hétérogène de
l’Assemblée Nationale Constituante
Au lendemain des élections du 23 octobre 2011, la révolution du 17 décembre 2010 au
14 janvier 2011 a été récupérée par le parti islamiste Ennahdha et ses partisans politiques. Les
Tunisiens qui ont fait la révolution, n'étaient pas ceux qui s’exprimaient le jour des élections.
Comme l’affirme le Professeur Xavier PHILIPPE « [s]i l’unité de la Révolution du jasmin
s’est faite autour de la volonté de rejeter le régime autoritaire en place, la cohésion s’est
délitée avec l’élection de l’Assemblée nationale constituante et la mise en œuvre du processus
constituant.
»188 Alors que la mise en place de l’ANC supposait l’expression des multiples
aspirations politiques du peuple, les travaux préparatoires à la Constitution requéraient
l’assentiment de la majorité des élus et l’approbation nationale.
Du 14 février 2012 au 22 novembre 2013189, les débats constituants ont opposé les théocrates
aux démocrates. Si les premiers cherchaient à organiser la cité terrestre conformément aux
impératifs célestes imposés par le Coran, les seconds considéraient que la démocratie et ses
valeurs étaient les fondements de l’organisation étatique. Les présupposés idéologiques et
politiques du parti islamiste étaient par essence, inconciliables avec ceux des partis
modernistes (Section 1). La légitimité historique et électorale des théocrates les poussait à
considérer que la religion était la composante essentielle de la société et l’essence même de
l’identité tunisienne. Les
Nahdhaouis190 négligeaient qu’ils devaient composer avec des partis
modernistes se réclamant de la démocratie et que le paysage politique tunisien était « travaillé
par des années de sécularisation.
»191 Ainsi, en surgissant à tout moment, l’Islam fera l’objet
de tous les débats et permettra l’expression d'identités multiples au sein de l’Assemblée
Nationale Constituante (Section 2). L’expression juridique de l’identité du peuple se traduira
par deux visions bien différentes de l’identité tunisienne ou
tunisianité192.
188 X. PHILIPPE, « Les processus constituants après les révolutions du printemps arabe. L’exemple de la
Tunisie : rupture ou continuité ? », précit., pp. 545-546.
189 Le 14 février 2012 marque le début des travaux des commissions constituantes à l’ANC en Tunisie. Le 22
novembre 2013 est le jour de la dernière séance où les députés paraphent le texte final de la Constitution.
190 Ou partisans d’Ennahdha.
191 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 127.
192 « Notion construite dans la lutte pour l’indépendance, cette identité s’incarnait, depuis l’indépendance dans
l’idée bourguibienne de tunisianité. Ce concept se caractérise par son ouverture aux influences successives
qu’a connues la Tunisie et ce, depuis la préhistoire. Il s’incarne dans une langue, l’arabe, langue
d’expression politique pour le Néo-Destour à l’époque de Bourguiba. Tant le poids de son héritage
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Section 1
Les présupposés idéologiques inconciliables à l’Assemblée Nationale
Constituante
Avant de montrer la récupération de la révolution par les islamistes (Paragraphe 2), il est
essentiel d’exposer les oppositions qui ont alimenté les derniers jours de la révolution et les
confrontations entre majorité et opposition au sein de l’ANC. La légalité constitutionnelle
issue des urnes contredisait la légitimité révolutionnaire arrachée par les gouvernés aux
gouvernants en place (Paragraphe 1).
Paragraphe 1
Légitimité révolutionnaire contre légalité constitutionnelle193
La légitimité de la révolution revendiquée par le peuple s'est vue refusée par une majorité
islamiste à l’Assemblée. Le « peuple de la révolution » s’est ainsi opposé au « peuple des
élections » (A). L’unité qui avait présidé à l’élection de la première Assemblée Constituante
et à l’élaboration de la Constitution du 1
er juin 1959, s’effritait dès le lendemain du 23 octobre
2011, au profit du pluralisme et de la bipolarisation de la Constituante. Au sein de l’ANC, les
débats opposaient constamment les théocrates aux démocrates les amenant à convenir de
compromis et à s’accorder sur des actions politiques communes. A cela s’ajoute l’activité
non-constituante de l’ANC
194 : elle devait adopter les actes portant organisation provisoire des
pouvoirs publics. Ces actes ne sont généralement pas « analysés comme relevant de l’exercice
du “pouvoir constituant”.
»195 Le pouvoir constituant émane d’une délégation expresse du
peuple souverain et consiste pour la doctrine en l’adoption d’une constitution formelle. Cette
explication est le reflet de conceptions théoriques plus profondes héritées de l’adhésion
historique que son appartenance à plusieurs cercles géopolitiques – la Méditerranée, l’Afrique, le monde
arabo-musulman – justifient son ouverture vers la modernité : cette modernité s’appuie sur une forte
tradition syndicale, sur une tradition constitutionnaliste pionnière ainsi que sur un projet social résolument
progressiste (à travers un cadre juridique – le statut personnel – et des réalisations concrètes sur le plan
des politiques éducatives, des politiques de santé, des infrastructures et de l’administration).
» D. PEREZ,
« L’évolution des cultures politiques tunisiennes : l’identité tunisienne en débat »,
Le Carnet de l’IRMC, 7
janvier 2013,
[en ligne], [consulté le 22 mai 2018], http://irmc.hypotheses.org/723.
193 Titre inspiré de l’article de R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La transition démocratique en
Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », précit., pp. 715-732.
194 A. LE PILLOUER, Les pouvoirs non-constituants des assemblées constituantes, Essai sur le pouvoir
instituant, Paris, Dalloz, 2005, 360 p.
195 Ibid., p. 56.
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générale de la doctrine française à la thèse épistémologique défendue par CARRE DE
MALBERG et KELSEN. En effet, selon ces deux auteurs, c’est la constitution qui pose les
limites du droit positif. Seule la constitution définit le droit qu’il est possible de décrire. C’est
la raison pour laquelle le pouvoir non-constituant des assemblées constituantes n’est pas pris
en compte par les analyses juridiques. L’organisation des pouvoirs publics n’est par
conséquent qu’un simple «
pouvoir de fait »196 au sens où il ne résulte d’aucune habilitation
juridique du souverain. Malgré ce constat théorique, il est nécéssaire d’insister sur le pouvoir
non-constituant de l’ANC. Devant adopter le règlement intérieur de l’Assemblée et définir
l’organisation provisoire des pouvoirs publics, Ennahdha et ses partenaires politiques se sont
servi du principe majoritaire pour s’arroger les postes clefs au sein de la Constituante et de
l’Etat. Ceci poussera les Tunisiens à assimiler, voire à identifier, le parti islamiste majoritaire
à l’ANC à la majorité gouvernante (B).
A.
L’opposition du « peuple de la révolution » au « peuple des élections »
Les différentes classes sociales et catégories professionnelles s'étaient rassemblées pour
réclamer plus de libertés et le respect de leur dignité en tant qu’Hommes et citoyens tunisiens.
Mais alors que la révolution donnait naissance au « peuple de la révolution » (1), l’expression
du pluralisme politique et religieux
197 a permis la création d’un nouveau peuple, celui des
élections (2). Ce dernier est d’ailleurs bien différent de celui qui s’était exprimé le 25 mars
1956, à l’occasion des premières élections constituantes de la Tunisie indépendante.
1. La naissance du « peuple de la révolution »
Le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, Mohamed BOUAZIZI s'immole par le feu. Il devient
alors le symbole des laissés pour compte du développement économique et social de la
capitale et le déclencheur d'une révolte contre un régime autoritaire et défaillant, celui du
Président Zine El-Abidine BEN ALI. Les mouvements spontanés des classes sociales
196 Dans un article consacré au « gouvernement de fait », Ferdinand LARNAUDE estime qu’un gouvernement
de fait est celui qui succède irrégulièrement au gouvernement légal. Son irrégularité résulte du fait qu’il
n’est pas établi selon les normes en vigueur. Autrement dit, il ne dispose d’aucune habilitation juridique
pour agir. Pour plus de précisions sur ce poin voir. F. LARNAUDE, « Le gouvernement de fait »,
Revue
générale de droit international public,
1921, p. 471.
197 Suite à la fuite, le 14 janvier 2011 du couple présidentiel BEN ALI-TRABELSI.
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déshéritées ont été qualifiés d’intifadha198 et se sont amplifiés avec le ralliement des
organisations syndicales au niveau local et des professions libérales de la capitale
199. Sans
leadership et contrairement à d’autres révolutions, les mouvements protestataires qui ont
secoué la Tunisie n'ont pas débuté à Tunis
200. Les revendications économiques et sociales des
régions périphériques du pays se sont associées aux diverses demandes politiques des
paysans, ouvriers, diplômés chômeurs et même aux classes sociales aisées de la capitale. Aux
revendications premières de justice sociale, s’est ajoutée l’ambition démocratique d'un peuple
qui retrouvait sa souveraineté
201 en exprimant à nouveau sa volonté.
Ce n’est qu’en gagnant Tunis que les révoltes ou intifadha, se sont transformées en une
révolution, thawra. « C’est par l’agrégation, puis par la coordination de ces mouvements
spontanés, que nous passons de la mobilisation, à l’insurrection sporadique puis générale et
de l’insurrection générale à la Révolution.
»202 Bien que se fondant sur des considérations
matérielles, le message révolutionnaire des Tunisiens était éminemment politique. En se
détachant des considérations identitaires et religieuses, la population a investi certains lieux
symboliques
203 et, fait des locaux de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT)204 le
siège de la révolution. Les Tunisiens réclamaient le respect des valeurs universelles que sont
la dignité, la liberté, l’égalité et la justice. Cet esprit de désenclavement politique et culturel
s'est également manifesté par les slogans révolutionnaires exprimés – en plus de l’arabe –, en
français et en anglais. Le 14 janvier 2011, le peuple tunisien scandait des « Dégage ! » à
l’encontre du Président BEN ALI, des « Yes we can. Sidi Bouzid », ou des « I have a tunisian
Dream » devant le ministère de l’Intérieur, à l’avenue Habib BOURGUIBA.
198 H. YOUSFI, L’UGTT, une passion tunisienne. Enquête sur les syndicalistes en révolution 2011-2014,
Tunis, IRMC-Med. Ali éditions, 2015, p. 60.
199 Pour plus de détails sur les évènements qui secouèrent la Tunisie à partir du 17 décembre 2010 cf. « De
l’
intifadha au soulèvement général », in Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam,
op.cit., pp. 72-77, et « Du soulèvement populaire de Sidi Bouzid à la chute de Ben Ali (17 décembre 2010-
14 janvier 2011)
», in L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.), Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance,
Paris, La Découverte, 2015, p. 86.
200 F. KHOSROKHAVAR, The New Arab Revolutions that Shook the World, op.cit., p. 35.
201 On passait du slogan « [l]’emploi est un droit, bande de voleurs » à celui plus révélateur : « Le peuple veut
la chute du régime. »
202 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 74. Voir également B. NABLI,
Comprendre le monde arabe, Paris, Armand Colin, 2013, p. 231.
203 A l’exemple des maisons de l’UGTT, de la place Mohamed Ali AL HAMMI, secrétaire général de l’UGTT
à Tunis, de l’avenue Habib BOURGUIBA, des maisons municipales, des chefs-lieux de gouvernorat et de
délégation. Pour plus de précisions sur ce point cf. H. YOUSFI,
L’UGTT, une passion tunisienne. Enquête
sur les syndicalistes en révolution 2011-2014, op.cit.,
p. 63.
204 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Union Générale Tunisienne du Travail.
60




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Par conséquent, ce peuple révolté et mobilisé pour le droit et contre la dictature, s’oppose
radicalement au «
peuple des élections »205. A la manière du Doyen Yadh BEN ACHOUR, le
« peuple de la révolution » doit être compris au sens emblématique du terme. Il « sort du
foyer vers la rue et de l’obéissance vers la désobéissance civile.
»206 Il s’insurge pour
défendre ses idées, faire aboutir ses revendications et installer de nouvelles institutions. Les
revendications politiques des premiers jours de la révolution se transforment pourtant au
lendemain des élections. Si les Tunisiens se battaient pour le respect de leurs droits sociaux et
politiques, à partir du 23 octobre 2011, les constituants ont posé les bases d’une société et
d’un Etat nouveaux, fondés sur des considérations identitaires et religieuses.
2. L’expression politique du « peuple des élections »
Le 25 mars 2011, le décret-loi n° 14-2011207 portant organisation provisoire des pouvoirs
publics, suspend la Constitution du 1
er juin 1959 et organise le fonctionnement des institutions
politiques jusqu’à ce qu’une Assemblée Constituante soit élue : « Il dissout officiellement les
Chambres des députés et des conseillers, le Conseil constitutionnel et le Conseil économique
et social (art. 2).
»208 Cependant, il maintient en l’état le Tribunal administratif et la Cour des
comptes (art. 3). L’entrée en vigueur du décret-loi n° 14-2011 conduit Fouad MEBAZZA,
président de la République par intérim à exercer le pouvoir législatif et exécutif
209. Le dernier
pouvoir
revient également à un gouvernement provisoire dirigé par Mohamed
GHANNOUCHI. « Quoique de valeur juridique indéfinie dans un ordre normatif en pleine
recomposition
»210, ce décret-loi de légitimité révolutionnaire fonde un système politique et
juridique nouveau
211. Suivi du décret-loi n° 35 du 10 mai 2011 relatif à l’élection de
l’ANC212, il consacre un scrutin au suffrage universel libre, direct et secret213.
205 La différence entre le peuple de la révolution et celui des élections est empruntée au Doyen Yadh BEN
ACHOUR. Pour plus de précisions sur ce point cf. « Qui est le peuple de la Révolution ? » et,
« L’alternance et le nouveau peuple des élections »,
in Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en
pays d’islam, op.cit.
, respectivement aux pp. 77-80 et 139-144.
206 Ibid., p. 78.
207 Décret-loi n° 14 du 23 mars 2011, JORT n° 20 du 25 mars 2011, p. 363.
208 R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité
constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », précit., p. 722.
209 Il l’exerce sous forme de décrets-lois après délibération du Conseil des ministres.
210 R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité
constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », précit., p. 723.
211 Son préambule fonde le nouveau pouvoir politique sur la souveraineté du peuple et le suffrage universel
libre et équitable : « Le Président de la République par intérim,
Sur proposition du Premier ministre,
61






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Le scrutin mis en place est un scrutin de liste à la représentation proportionnelle au plus fort
reste au niveau de chaque circonscription électorale. Il permet l’expression de toutes les
catégories sociales et de toutes les formations politiques. En favorisant « la multiplication des
listes électorales et l’éparpillement du vote sur une multitude de candidats indépendants
»214,
ce mode de scrutin avantage les partis politiques imposants, à l’exemple d’Ennahdha.
L’abrogation de la loi du 3 mai 1988 et l’adoption du décret-loi n° 87 du 24 septembre 2011
sur les partis politiques
215, permet l’expression du pluralisme politique et religieux ouvrant la
voie aux antagonismes et aux dissidences multiples. D’inspiration démocratique
216, le décret-
loi n° 87 du 24 septembre 2011 légalise une multitude de partis qui « couvre un très large
spectre politique : nationaliste arabe,
libéral, destourien, socialiste, communiste et
islamiste.
»217 Contrairement au Néo-Destour ou au Rassemblement Constitutionnel
Considérant que le peuple tunisien est souverain et exerce sa souveraineté par le biais de ses représentants
élus au suffrage direct, libre et équitable,
Considérant que le peuple a exprimé au cours de la révolution du 14 janvier 2011 sa volonté d'exercer sa
pleine souveraineté dans le cadre d'une nouvelle Constitution,
Considérant que la situation actuelle de l'Etat, après la vacance définitive de la Présidence de la
République le 14 janvier 2011, telle que constatée par le Conseil constitutionnel dans sa déclaration
publiée au Journal Officiel de la République Tunisienne en date du 15 janvier 2011, ne permet plus le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics, et que la pleine application des dispositions de la
Constitution est devenue impossible,
Considérant que le président de la République est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du
territoire et du respect de la loi et de l'exécution des traités, et qu'il veille au fonctionnement régulier des
pouvoirs publics et assure la continuité de l'Etat,
Après délibération du Conseil des ministres.
Prend le décret-loi dont la teneur suit :
Article premier - Jusqu'à ce qu'une Assemblée Nationale Constituante, élue au suffrage universel, libre,
direct et secret selon un régime électoral pris à cet effet, prenne ses fonctions, les pouvoirs publics dans la
République tunisienne sont organisés provisoirement conformément aux dispositions du présent décret-
loi.
» Décret-loi n° 14 du 23 mars 2011, JORT n° 20 du 25 mars 2011, p. 363.
212 JORT, n° 33 du 10 mai 2011, pp. 647-656.
213 Le décret-loi n° 35 du 10 mai 2011 a été complété par plusieurs textes réglementaires. Les plus importants
étant : le décret n° 1088 du 3 août 2011 relatif au découpage des circonscriptions électorales et au nombre
des sièges attribués à chaque circonscription (
JORT, n° 59 du 9 août 2011, pp. 1434-1442). Le décret n°
1087 du 3 août 2011 fixant le plafond de la subvention électorale et ses modalités d’ordonnancement
(
JORT, n° 59 du 9 août 2011, p. 1434). Le décret n° 1089 du 3 août 2011 fixant le niveau des
responsabilités au sein du
Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) déterminant l’inéligibilité à
l’ANC conformément à l’article 15 du décret-loi n° 35 du 10 mai 2011 (
JORT, n° 59 du 9 août 2011, p.
1443).
214 L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.), Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, op.cit., p. 85.
215 JORT, n° 74 du 30 septembre 2011, pp. 1993-1996.
216 Ce décret-loi abroge les lois liberticides de 1988 et fonde le nouveau régime sur le principe de la liberté
d’organisation des partis politiques. L’autorisation préalable du ministre de l’Intérieur est supprimée et
remplacée par une déclaration auprès du Premier ministre. Les autorités politiques ne peuvent plus entraver
directement ou indirectement l’organisation et le fonctionnement des partis.
217 L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.), Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, op.cit., p. 86.
62











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Démocratique218, les partis politiques qui se mobilisent sont peu organisés et, nouvellement
implantés dans la société tunisienne.
De plus, même si les revendications populaires ne sont ni identitaires ni religieuses, une
révolution politique « peut avoir pour résultat paradoxal de renforcer les réactions et réflexes
identitaires majoritaires dans la société.
»219 C'est effectivement ce qui s'est produit : la
multiplication excessive de partis et la comparaison des partis démocratiques aux élites
occidentalisées ont poussé les classes deshéritées à voter majoritairement pour les islamistes.
En effet, « l’électeur moyen a eu l’impression que le combat politique opposait “le défenseur
de la religion” et le “négateur de la religion”. Il y a eu par conséquent une mobilisation
forte pour défendre
assez
les “laïques”,
al’almâniyyun.
»220 Certes le « peuple de la révolution » retrouve sa souveraineté mais, la
la religion qu’on croyait menacée par
flamme révolutionnaire qui avait réussi à rassembler les Tunisiens autour d’un objectif
commun, s’éteint rapidement. Du fait du désintérêt de la population pour les élections et du
faible taux d’inscriptions volontaires sur les listes électorales, aucun parti politique n’obtient
la majorité absolue des sièges à l’Assemblée : 89 des 217 sièges de l’ANC sont occupés par
les islamistes d’Ennahdha, alors même qu’ils n’avaient pas participé de manière directe, à la
révolution. Les exactions commises par les régimes autoritaires de BOURGUIBA et BEN
ALI leur ont donné une légitimité historique sans précédent.
En 2011, aucun parti ne symbolise à lui seul l’unité nationale, contrairement aux élections
constituantes du 25 mars 1956. Alors, Habib BOURGUIBA avait éliminé ses adversaires
politiques
221, avant même que le Bey n’accepte de sceller – le 29 décembre 1955 – le décret
portant convocation d’une Assemblée Constituante. En écartant les défenseurs de l’identité
arabe et musulmane et en s’alliant à l’UGTT, il s’assurait de la part de ses alliés, du respect de
sa politique du "plan par étapes
222". La loi électorale promulguée le 6 janvier 1956 faisait le
218 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD).
219 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., pp. 113-114.
220 Ibid., p. 138.
221 L’opposition politique à Habib BOURGUIBA s’organisait essentiellement au sein de trois mouvements.
Ses principaux adversaires étaient les
yousséfistes, les zeïtouniens et, les caciques du Vieux-Destour. Pour
plus de précisions sur l’identité des militants
yousséfistes et leur rôle dans la formation de l’identité
constitutionnelle tunisienne cf. le 2. du A. du Paragraphe 2 de ce chapitre relatif à
l’adaptation de l’Islam à
la conception occidentale de la souveraineté, p. 75.
222 Le "plan par étapes" ou « méthode des petits pas » est la technique politique par laquelle Habib
BOURGUIBA va arracher progressivement la souveraineté tunisienne à la France. Les concessions
accordées à l’adversaire n’étaient par conséquent que des étapes intermédiaires pour avancer vers un
objectif déterminé à savoir l’indépendance de la Tunisie. Pour plus de précisions sur ce point cf. «
La
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choix du scrutin majoritaire à un tour. Elle permettait au Front National constitué le 15 mai
1956
223 de faire cavalier seul et au Néo-Destour d’être la principale force au sein de l’ANC224.
La volonté exprimée le 23 octobre 2011 n’est plus celle du seul Combattant Suprême, al
mujâhid al akbar
225. Elle reflète la diversité et l’hétérogénéité des idées politiques de la
population. Majoritaires à l’Assemblée, les islamistes sont amenés à former un gouvernement
de coalition
226 et de s’allier avec deux partis séculiers de l’ancien régime : le CPR et
Ettakatol. Mais alors que les Tunisiens avaient été appelés pour élire les membres d’une
Assemblée Nationale Constituante, les élections du 23 octobre 2011 ont divisé la scène
politique et cristallisé les débats au sein de l’ANC entre partisans de la coalition
gouvernementale et opposants à la politique de la troïka
227.
B.
La confrontation entre majorité et opposition au sein de l’Assemblée Nationale
Constituante
La composition hétérogène de l’ANC laisse penser que la division majeure se situe entre le
parti islamiste majoritaire et les partis séculiers, mais c'est la division entre partisans de la
majorité au pouvoir et opposants à la politique gouvernementale (2) qui prime. Cette alliance
forcée entre les théocrates et les démocrates est le fruit d’un islam politique de type
particulier : l’islam du juste milieu (1). Afin d’appréhender l’islam du juste milieu, il est
nécessaire de comprendre l’islam politique en général et son expression en Tunisie.
L’islam politique recouvre en réalité divers courants politiques et religieux de contestation,
qui naissent dans des contextes de crise socio-économique et identitaire. Ces différents
courants présentent une lecture idéologique de l’Islam. Bien qu’ils émergent dans les années
méthode des petits pas », in C. DEBBASCH, La République tunisienne, Paris, Librairie générale de droit et
de jurisprudence, coll. « Comment ils sont gouvernés », 1962, pp. 7-10.
223 Le Front National « à la tête duquel se trouvait le Néo-Destour et dans lequel étaient alliés à l’Union
générale des travailleurs tunisiens (UGTT), l’Union nationale des agriculteurs de Tunisie (UNAT) et
l’Union tunisienne des artisans et commerçants (UTAC).
» C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie,
Manouba, Centre de Publication Universitaire, 2015, p. 206. Voir également C. DEBBASCH, « Les
Assemblées en Tunisie »,
Annuaire de l’Afrique du Nord, Paris, Editions du CNRS, 1962, pp. 86-87. Pour
plus de précisions sur le
Front National cf. Annexe 1 – Glossaire – Front National.
224 Sur les 108 députés élus, 99 d’entre eux, soit 91,69%, ont des affinités avec le Néo-Destour.
225 Surnom qu’Habib BOURGUIBA s’est attribué pour signifier son rôle dans l’avènement de la Tunisie
indépendante. Pour plus de précisions sur ce point cf. Annexe 1 – Glossaire–
Habib BOURGUIBA.
226 Dénommée troïka en Tunisie.
227 Les origines de la coalition gouvernementale sont abordées dans le 2. du B. qui suit.
64






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1930, leur essor le plus récent dans le monde arabo-musulman remonte aux années 1970-
1980. Les différents courants qui composent l’islam politique sont divisés sur les stratégies à
adopter et les moyens d’accès au pouvoir. Bien souvent, ils ont des positions relativement
différentes à l’égard de la violence et surtout, à l’égard de la question de la participation
démocratique et légale au jeu politique
228. Le combat des islamistes est un combat
éminemment politique inscrit dans le cadre national, exigeant que tous les aspects de la vie en
société soient soumis aux préceptes de la charia. Leur but est de conquérir le pouvoir et
d'instaurer un Etat islamique, car leur conception radicale et théocratique du pouvoir refuse
toute autonomie à l’individu
229. Ils intègrent le jeu politique légal et national pour bénéficier
des instruments et des rouages de l’Etat.
De manière générale, face aux désarrois socio-économiques, politiques et culturels des
sociétés arabo-musulmanes, les islamistes proposent une lecture politique et absolue du
Coran. Concernant l’organisation sociale et étatique, leur but est d'appliquer le modèle
prophétique de Médine, rejetant les idéologies contemporaines telles que le libéralisme, le
socialisme, le nationalisme, le modernisme ou le laïcisme, qu’ils considèrent contraires à la
culture des sociétés islamiques
230. Refusant ainsi la modernisation de l’Islam, ils prônent
l’islamisation de la modernité, afin de renverser l’ordre établi et de fonder des Etats
islamiques.
En Tunisie, la répression du Mouvement de Tendance Islamique par Z. BEN ALI dans les
années 1980-1990 a entraîné la radicalisation du parti, alors même qu’il rejetait la violence
231.
A la suite de la révolution tunisienne, la participation d’Ennahdha à l’élaboration de la
constitution marque la naissance d’une nouvelle génération d’islamistes, capables d’assumer
des responsabilités et de faire des compromis politiques. L’accès au pouvoir d’Ennahdha l’a
amené à modérer sa ligne idéologique : il ne fait plus référence à la charia et il se présente
comme un parti musulman démocrate
232.
228 A. LAMCHICHI, L’islamisme politique, op.cit., p. 8.
229 Ibid., p. 9.
230 Pour plus de précisions sur l’islam politique sunnite cf. R. ALILI, Qu’est-ce que l’islam ?, op.cit., pp. 322-
336.
231 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Ennahdha.
232 Il semblerait avoir abandonné son projet d’Etat islamique. En 2016, à l’occasion de son dixième congrès, le
parti a même déclaré séparer l’action politique de la prédication religieuse.
65







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1. L’islam du juste milieu et la mise en œuvre des mécanismes de la démocratie
procédurale
Bien que n’ayant pas obtenu la majorité absolue des sièges à l’ANC, Ennahdha est le parti qui
totalise le plus de voix. Sa cohabitation avec des partis politiques séculiers l’amène à
composer avec les défenseurs de la démocratie. Si les théocrates cherchent à organiser la cité
terrestre conformément aux impératifs célestes du Coran, les démocrates considèrent que la
démocratie et ses valeurs doivent être les fondements de l’organisation étatique
233. Les points
de vue théologiques des théocrates s’opposent radicalement au « relativisme et [à] l’élasticité
des horizons mentaux
»234 des démocrates. Il est d’ailleurs politiquement impossible de les
harmoniser, puisque les théocrates rejettent l’idée de démocratie et celle de citoyenneté pour
deux raisons fondamentales : « La première, est que le concept [de démocratie] appartient à
une culture étrangère à la culture islamique
235, la deuxième, est qu’il constitue une négation
du dogme islamique relatif à la souveraineté divine
236. »237 En reconnaissant la règle qui
attribue à la majorité élue la direction des affaires publiques, les islamistes se servent pourtant
d’une des procédures de la démocratie. Seules ces procédures permettent d’ailleurs la
cohabitation entre théocrates et démocrates à l’ANC.
En novembre 2005 déjà, Ennahdha s’était joint aux partis d’opposition démocratique pour
contester la tenue à Tunis du
Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI)238. En
233 Le Doyen Yadh BEN ACHOUR expose sur son blog les différents types de démocrates et de théocrates. Il
y aurait selon lui, le démocrate de conviction, le démocrate stratège et le démocrate par nécessité. Alors que
pour le premier la démocratie est une valeur fondamentale et une fin en soi, pour le second la démocratie
n’est qu’un moyen pour atteindre un but stratégique. Le dernier voit la démocratie comme la seule voie
envisageable pour cohabiter avec des forces politiques hostiles. Son objectif est essentiellement la
recherche de la paix dans une société divisée. A ces trois démocrates, il oppose le théocrate mondain, le
théocrate militant et le théocrate radical. Alors que le premier compose avec le monde en acceptant le mal
qui s’y trouve, le théocrate militant veut combattre le mal en s’engageant politiquement ou/et
caritativement. Le dernier voit le mal terrestre comme la négation des lois de Dieu et veut l’éradiquer par la
violence. Cf. Y. BEN ACHOUR,
Le blog de Yadh BEN ACHOUR. Propos, articles et réflexions,
« L’action politique commune entre “démocrates” et “théocrates” dans le monde arabe », [en ligne],
[consulté le 23 mars 2018], http://yadhba.blogspot.com/2012/10/laction-politique-commune-entre.html.
234 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 132.
235 Contrairement à ce que les théocrates pensent, le terme de démocratie a été introduit dans la pensée
politique arabe à partir du XVIIème siècle. Kâtib CHELEBI (1609-1657) transcrit phonétiquement le terme
(
dîmuqrâtiyya) dans son Irshâd al Hayâra ilâ tarîkh al yûnan wa-rûmi wa-nasâra. Il ne fut cependant
approprié par le langage politique arabe qu’au XIXème siècle. On le retrouve notamment en 1989 dans
Um
al qûra
de KAWAKIBI.
236 La souveraineté divine fait l’objet du Paragraphe 2 de ce chapitre.
237 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 130.
238 Ce Sommet devait réunir des délégations étrangères et représentants gouvernementaux du monde entier.
Opposés à la tenue de ce Sommet dans une Tunisie qui réprime la liberté d’information, les partis politiques
d’opposition constituent le Mouvement du 18 octobre 2005. Ce Mouvement conteste le régime autoritaire
66




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s’alliant à l’opposition démocratique, Ennahdha fait preuve de modération. L’islam politique
se transforme alors et s’inscrit dans une nouvelle perspective, celle du juste milieu, de
wasatiyya ou d’i’tidâl. L’islam du juste milieu est une théorie ancienne qui a été reprise par
les islamistes en Tunisie au moment du processus constituant. Aux origines de l’Islam, elle
avait opposé les tenants du pouvoir (les « Gens de la Sunna et du Consensus ») aux dissidents
(qu’ils soient sectaires,
a-shî’a, sortants de l’Islam, al khawârij ou le refutant, a-rawâfidh)239.
Suite aux élections du 23 octobre 2011, l’islam du juste milieu est le fruit des concessions
faites par Ennahdha. Dans l’objectif de conserver sa légitimité électorale et sa place au
pouvoir, le parti islamiste accepte les procédures de la démocratie à l’instar des élections et du
principe majoritaire.
« Contrairement aux tendances salafistes, l’islam du juste milieu n’hésite pas à poser le
principe de la souveraineté du peuple et sa fonction législatrice, le principe de l’alternance
au pouvoir, la citoyenneté sans distinction religieuse, la liberté de conscience et d’opinion,
l’égalité de l’homme et de la femme, notamment le droit pour celle-ci d’être juge et chef de
l’Etat.
»240 Bien que la pratique du pouvoir réforme l’islam politique, les procédures de la
démocratie sont au service de la cohabitation entre théocrates et démocrates à l’ANC
241.
Autrement dit les théocrates n’adhèrent pas aux valeurs de la démocratie mais utilisent ses
mécanismes pour accéder à l’arène politique. Contrairement à eux, les démocrates croient aux
valeurs de la démocratie mais pactisent avec les islamistes à des fins stratégiques. En effet, en
familiarisant leurs ennemis avec les comportements concertés, ils les obligent à communiquer
et à les reconnaître comme des partenaires politiques
242.
et liberticide de BEN ALI. Les partis politiques qui composent ce Mouvement organisent une grève de la
faim collective qui dure près d’un mois. Pour plus d’informations sur ce point cf. M. BEN JAAFAR,
Un si
long chemin vers la démocratie : Entretien avec Vincent GEISSER,
Tunis, Editions Nirvana, 2014, pp. 130-
132.
239 L’objectif de ces développements n’est pas de s’attarder sur la théorie et ses évolutions mais sur la prise de
position politique d’
Ennahdha. Pour plus de précisions sur l’expression actuelle de l’islam du juste milieu
dans les Etats musulmans du continent africain cf. C. BAYLOCQ et A. HLAOUA, « Diffuser un “islam du
juste milieu” ? Les nouvelles ambitions de la diplomatie religieuse africaine du Maroc »,
Afrique
contemporaine
, 2016/1, n° 257, pp. 113-128.
240 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., pp.130-131. Les notions de
souveraineté du peuple, de citoyenneté, de liberté de conscience et d’opinion et d’égalité homme-femme
font l’objet de développements ultérieurs. Chacune d’elle sera exposée en prenant en compte le contexte
tunisien.
241 Bilal TALIDI, un des représentants du Parti de la justice et du développement au Maroc exprime
parfaitement ce point dans l’article qui suit : B. TALIDI, « Les sources doctrinales du pluralisme
politique »,
in Fondation Konrad Adenauer et Centre Al Qods d’Etudes politiques (ed.), Vers un discours
islamique démocratique et civil, (Nahwa khitab islâmi dîmuqrâtî madanî),
Amman, 1er édition, 2007, p.
203.
242 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., pp.131-132.
67




Page 69
Il est d’ailleurs important de noter que, Rached GHANNOUCHI243 propose à deux partis
séculiers de l’opposition politique sous BEN ALI, de constituer un gouvernement national de
coalition, une troïka. Les partisans de la coalition sont Ennahdha, le Congrès Pour la
République et Ettakatol ; ils s’accordent sur la répartition des responsabilités au sein des
nouvelles institutions. «
Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaafar244 sont respectivement élus
par les constituants aux présidences de la République et de l’ANC, alors que Hamadi Jebali,
le secrétaire général d’Ennahdha est nommé Premier ministre.
»245 Le compromis
institutionnel
246 précède les compromis constitutionnels qui matérialiseront les divisions au
sein de l’ANC. Au lieu de s’accorder sur l’élaboration de la constitution et la mise en place de
nouvelles
institutions,
les débats constituants se polarisent autour de
la politique
gouvernementale d’Ennahdha. A l’ANC les constituants sont divisés entre partisans de la
coalition gouvernementale et opposants à la majorité au pouvoir.
2. La cristallisation de la division entre partisans de la troïka et opposants à la politique
gouvernementale
La division des assemblées parlementaires s’effectue traditionnellement entre la « majorité »
et l’« opposition ». La majorité est généralement comprise comme « le parti ou la coalition
qui réunit le plus grand nombre de suffrages ou d’élus dans une assemblée et acquiert ainsi la
vocation de prendre en charge le gouvernement et d’exercer le pouvoir.
»247 En vue de former
une majorité de 137 sièges sur les 217, Ennahdha est amené à cohabiter et à composer avec
les élus du
Congrès Pour la République et d’Ettakatol. Les 80 sièges restant248 sont par
conséquent, ceux de l’opposition. Cette dernière est traditionnellement composée de
« l’ensemble des représentants des partis des indépendants qui n’appartiennent pas à cette
majorité au pouvoir, et qui normalement ont pour rôle de surveiller et de critiquer le
243 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Rached GHANNOUCHI.
244 Ces deux hommes politiques sont les leaders respectifs du Congrès Pour la République et d’Ettakatol.
245 L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.), Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, op.cit., pp. 91-92.
246 Malgré la présentation de trois candidats pour l’élection du président de l’ANC et de dix candidats pour
celle du président de la République, Mustapha BEN JAAFAR a été élu à 145 voix et Moncef MARZOUKI
à 153 voix. Soutenus par la majorité, les candidats de l’opposition n’avaient aucune chance d’être élus.
Pour plus de précisions sur ce point cf. F. MOUSSA, « Débat majorité-opposition au sein de la
Constituante »,
in Association Tunisienne d’Etudes Politiques (dir.), Les IIIèmes Conférences de l’ATEP.
Gouvernements de coalition et enjeux politiques,
Tunis, Imprimerie MAN, 2012, p. 25.
247 Ibid., p. 18.
248 Qui totalisent 14 partis politiques et des indépendants.
68





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gouvernement. »249 La division de l’ANC entre « majorité » et « opposition » ne recoupe
cependant pas celle entre théocrates et démocrates. « Chaque parti politique [est] libre dans
ses choix et [peut] s’opposer à certaines options défendues par le parti majoritaire dans la
coalition au sujet de la Constitution.
»250 La répartition des responsabilités au sein des
nouvelles institutions entre les trois partis de la majorité à l’ANC
251 ne devait pas avoir
d’impact sur la constitution en élaboration. Or, les textes fondamentaux de l’ANC ont fait
l’objet de délibérations entre le parti islamiste et ses deux alliés. Ceci a d’ailleurs retardé
l’adoption de la constitution.
Arnaud LE PILLOUER emploie l’expression « pouvoir instituant » pour désigner l’ensemble
des actes adoptés par les assemblées constituantes et qui ne font pas partie de la constitution
formelle. Il précise que le « pouvoir instituant » désigne « la faculté d’adopter une
organisation des pouvoirs publics (c’est-à-dire une constitution au sein matériel), dont la
particularité (qui le distingue par conséquent du “pouvoir constituant” entendu au sens
large), est que l’organe qui la crée exclut de cette organisation le ou les organes qui lui
succèderont.
»252 En instituant la troïka, la majorité au pouvoir délaisse la fonction
constituante et insiste « sur la nécessité de gouverner et sur la dimension parlementaire de la
nouvelle Chambre.
»253 Alors que le décret-loi n° 35 du 10 mai 2011254 ne donne aucune
indication sur les compétences de l’ANC, le compromis institutionnel pousse la majorité à
penser que l’ANC est « souveraine pour statuer sur l’étendue de ses prérogatives et sur sa
durée.
»255 En adoptant la loi constituante n° 6 du 16 décembre 2011256, le parti islamiste fait
249 F. MOUSSA, « Débat majorité-opposition au sein de la Constituante », précit., p. 18.
250 Ibid., p. 23.
251 Il est d’ailleurs intéressant de noter que les trois partis formant la troïka font chacun des paris différents sur
l’alliance politique contractée. Le
CPR avait pour objectif principal de marginaliser les islamistes et les
sécularistes radicaux. Il espérait une alliance entre islamistes et sécularistes modérés. Même s’il croyait en
cet idéal, Ettakatol souhaitait surtout exercer le pouvoir. Il en était de même pour Ennahdha qui avait été
réprimé et exclu de la scène politique pendant des années.
252 A. LE PILLOUER, Les pouvoirs non-constituants des assemblées constituantes, Essai sur le pouvoir
instituant, op.cit., p. 71.
253 L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.), Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, op.cit., p. 91.
254 Décret-loi relatif à l’élection d’une Assemblée Nationale Constituante. JORT, n° 33 du 10 mai 2011, pp.
647-656.
255 L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.), Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, op.cit., p. 91.
256 Décret relatif à l’organisation des pouvoirs publics. JORT, n° 97 des 20 et 23 décembre 2011, p. 3111. En
plus du pouvoir constituant, ce texte dispose du pouvoir législatif et du contrôle du gouvernement par la
mise en œuvre de la responsabilité du gouvernement (investiture et révocation) devant l’Assemblée. Appelé
« Petite Constitution », il attribue l’essentiel du pouvoir exécutif au chef du gouvernement. Même s’il est
nommé par le président de la République au sein du parti qui a obtenu le plus de sièges à l’Assemblée
(article 15), il dispose seul du pouvoir réglementaire. Son pouvoir de nomination aux hautes fonctions
publiques, diplomatiques et militaires est partagé avec le président de la République qui n’a qu’une
fonction de représentation. Responsable devant l’Assemblée (article 19), il peut modifier la composition du
69



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du chef du Gouvernement la pièce maîtresse du pouvoir exécutif. Coopté par les dirigeants et
partisans d’Ennahdha, Hamadi JEBALI exerce l’essentiel du pouvoir. Le rôle du président de
la République n’est que symbolique et le régime mis en place est un véritable régime
parlementaire. Seulement, l’absence d’un programme politique précis et le manque
d’expérience gouvernementale du parti islamiste, exacerbent les tensions et dissensions au
sein de la Constituante. A cela s’ajoutent les débats relatifs à la durée du mandat de l’ANC.
L’article 6 du décret n° 1086 du 3 août 2011 relatif à la convocation des électeurs pour élire
les membres de l’ANC avait fixé une période d’un an pour rédiger une constitution
257. « Or,
dès l’adoption du préambule du texte sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics,
l’ANC, par vote majoritaire, a rejeté cette limitation arguant de son caractère souverain et de
la légitimité populaire !
»258 L’opposition conteste les choix politiques et les textes adoptés
par la majorité au pouvoir.
Accaparé par les travaux du compromis institutionnel, l’avènement des compromis
constitutionnels est retardé
259. Les débats constituants se polarisent par ailleurs sur des
revendications identitaires et religieuses
260. Le 23 octobre 2012, la crise de légitimité qui
frappe l’ANC « sera évidemment exploitée par ses opposants, à la tête desquels se trouvait le
parti Nidaa Tounès, constitué en janvier 2012
. »261 Fédérant un certain nombre de partis
politiques de l’opposition autour d’un message simple, centré sur la préservation des « acquis
modernes
» de la Tunisie, le parti politique de Béji CAÏD ESSEBSI262 se présente comme « le
principal concurrent électoral du parti islamiste.
»263 Il reproche aux Nahdhaouis de
méconnaître « le poids de l’héritage bourguibien dans la société tunisienne, la force et les
gouvernement après avoir informé le président et consulté le Conseil des ministres. Pour plus de précisions
sur ce point cf. R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La transition démocratique en Tunisie : entre
légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire »,
précit., p. 731.
257 JORT, n° 59 du 9 août 2011, p. 1432.
258 R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité
constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », précit., p. 731.
259 Pour une étude détaillée des compromis institutionnels et constitutionnels égyptiens voir A. BLOUËT, Le
pouvoir pré-constituant. Analyse conceptuelle et empirique du processus constitutionnel égyptien après la
Révolution du 25 janvier 2011,
Institut Francophone de la Justice et de la Démocratie, « Collection des
Thèses », n° 178, 2019, 328 p.
260 Ces débats font l’objet du Paragraphe 2 qui suit.
261 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 140.
262 Nommé Premier ministre par intérim le 3 mars 2011, Béji CAÏD ESSEBSI est une figure politique du
régime de BOURGUIBA et de BEN ALI. Sous BOURGUIBA, Il a été directeur de la Sûreté nationale de
1963 à 1965, ministre de l’Intérieur de 1965 à 1969, ministre de la Défense de 1969 à 1970 et, ministre des
Affaires étrangères de 1981 à 1986. Sous BEN ALI, il a été président de la Chambre des députés de mars
1990 à octobre 1991. Pour plus de précisions sur la vie de Béji CAÏD ESSEBSI cf. Annexe 1 – Glossaire –
Béji CAÏD ESSEBSI.
263 L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.), Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, op.cit., p. 93.
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caractères des organisations et associations non-gouvernementales laïques et démocratiques
œuvrant dans le domaine social et politique, la nature véritable de l’esprit civique en Tunisie,
l’attitude de la majorité des Tunisiens sur le problème des rapports entre la religion et
l’Etat.
»264 Nida Tounes rassemble alors l’ensemble des partis politiques qui contestent la
gestion de la période transitoire par la majorité au pouvoir. Le message du parti est simple : il
refuse l’islamisation des institutions et de l’Etat voulue par Ennahdha.
Au moment de la rédaction de la Constitution, les idées d’Ennahdha sur la nature de l’Etat et
celle de la société ne sont pas toujours suivies par ses deux partenaires. Quand les théocrates
empiètent sur les fondements mêmes de la démocratie, les démocrates – qu’ils soient de la
majorité ou de l’opposition –, s’insurgent. Ils ne peuvent admettre que la charia soit la source
de législation et Dieu, le seul souverain. Face à l’obsession de la religion et à la recrudescence
de la violence politique, la démocratie procédurale atteint ses limites. L’assimilation de la
majorité aux islamistes est ainsi contrecarrée par l’opposition entre théocrates et démocrates à
l’ANC.
Paragraphe 2
La récupération de la révolution par les islamistes
Le programme électoral du parti Ennahdha avait explicitement précisé la volonté des
islamistes de maintenir la formulation de l’article 1
er de la Constitution du 1er juin 1959. Ce-
dernier dispose que : « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa
religion, l’arabe sa langue et la République son régime.
»265 Une fois au pouvoir, les
Nahdhaouis en décident autrement. Alors que leur légitimité électorale s’essouffle, les
revendications identitaires et religieuses se font plus présentes. En 2012, ils manifestent leur
volonté de faire de la charia, la source de la législation et de Dieu, le seul souverain (A).
Cependant, « [à] la suite de manifestations organisées par les associations sécularistes au
moment du cinquante-sixième anniversaire de l’indépendance, Ennahdha recule sur
264 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 142. Ces différents points sont
abordés dans les développements et chapitres qui suivent.
265 La formulation vague de l’article ne permettait pas de faire de l’Islam le fondement de la Constitution ou/et
de la législation en Tunisie. Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution
du 1
er juin 1959, article premier.
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l’inscription de la charia dans la Constitution. »266 A ce moment-là et dans l’objectif de rester
majoritaire à l’ANC, les théocrates vont devoir « s’acclimater au climat social et politique
sécularisé
»267 propre à la Tunisie. A l’instar de la démocratie procédurale, l’islam du juste
milieu fait le choix de la laïcité procédurale (B).
A.
La volonté des islamistes de faire de la charia la source de la législation et de
Dieu, le seul souverain
Pour les islamistes, l’Islam est normatif et le Coran est à la fois conçu comme foi et loi (1).
Seulement, le contexte dans lequel la Constitution du 1
er juin 1959 a été adoptée, adapte
l’Islam à la conception occidentale de la souveraineté (2). Sous les régimes autoritaires de
BOURGUIBA et de BEN ALI, l’expression de l’islam politique n’était pas libre. A la fuite de
BEN ALI, le retour à Tunis de Rached GHANNOUCHI et la victoire électorale d’Ennahda
permet au parti islamiste de revendiquer publiquement la constitutionnalisation de la charia et
la souveraineté de Dieu. Alors même qu’en signant le le
Pacte républicain268 le 1er juillet
2011, Ennahdha avait renoncé à l’inscription de la formule faisant de l’Islam la religion de
l’Etat, une fois au pouvoir le discours des islamistes change radicalement (3).
-
266 L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.), Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, op.cit., p. 93.
267 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 133.
268 Le Pacte républicain rappelle en premier lieu, les principes et objectifs de la révolution tels que la liberté,
la dignité, la justice, l’égalité et la rupture avec la dictature et le système de corruption. Il insiste également
sur la volonté exprimée par le peuple tunisien de fonder la société civile sur le dialogue, la tolérance, le
droit à la différence et de baser le régime politique sur la citoyenneté et les valeurs de la République. En
plus de consacrer le caractère « civil » de l’Etat, il dispose de l’identité arabe et islamique du peuple. Il
souligne également l’importance de :
La souveraineté populaire, d’un régime politique fondé sur la séparation des pouvoirs, l’indépendance du
pouvoir judiciaire et la neutralité de l’administration ;
L’autonomie individuelle de chaque citoyen et la séparation du champ religieux du champ politique ;
L’égalité des citoyens devant la loi sans discrimination aucune, la reconnaissance des libertés publiques et
la pénalisation de la torture ;
La reconnaissance des acquis de la femme consacrés par le
Code du Statut Personnel (CSP) du 13 août
1956 ;
La reconnaissance des droits de la jeunesse, de l’enfance et des citoyens tunisiens résidant à l’étranger ;
La mise en place d’un modèle de développement basé sur une distribution équitable des richesses,
l’équilibre entre les régions et la garantie des droits fondamentaux ;
L’emploi de la langue arabe comme langue nationale officielle qui reste ouverte sur les langues et cultures
étrangères ;
Le respect de l’indépendance nationale et du droit à l’autodétermination.
-
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-
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1. La normativité de l’Islam et la conception du Coran comme foi et loi
Contrairement à la Bible, le Coran n’est ni rédigé par des apôtres ni pensé par des esprits
humains. Il est «
le Logos même de Dieu »269, la parole révélée. En énonçant qu’« il faut
rendre à César ce qui est à César et à Dieu, ce qui est à Dieu
»270, l’Evangile selon Matthieu
sépare le pouvoir temporel de la royauté du pouvoir spirituel incarné par l’Eglise. A l’opposé
de la Bible, il est difficile de distinguer les prescriptions divines du Coran des considérations
matérielles de l’époque de Mahomet. D’ailleurs, aucune institution à l’exemple de l’Eglise
n’existe en Islam. A la seule lecture du Coran, le croyant accède à la parole révélée. Il n’y a
aucun intermédiaire entre l’humain et le divin. Si le musulman n’applique pas à la lettre les
prescriptions coraniques, il se défait de la foi et de la loi
271. Par conséquent, comment
interpréter le texte sans s’éloigner de la volonté souveraine de Dieu ? Comment détacher la foi
de la loi ? Le verset 13 de la Sourate 35 Al-Fatir du Coran énonce : « Tel est Dieu, votre
Seigneur ! La royauté lui appartient. Ceux que vous invoquez en dehors de lui ne possèdent
même pas une pellicule de noyau de datte » (XXXV, 13).
»272 Aucune séparation n’existerait
entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel en Islam. La souveraineté serait un attribut
exclusif de Dieu. Mais alors, qu’est-ce que la souveraineté ?
« La théorie générale du droit constitutionnel ramène la souveraineté à deux qualités
essentielles, elle est d’abord puissance unique et ensuite puissance souveraine.
»273 La
souveraineté unifie les éléments composant le corps social et le représente. Nul ne peut
d’ailleurs contester sa puissance puisqu’elle est suprême. « Comme la souveraineté exprime
l’idée d’un pouvoir (ou puissance) de commander que détient un Etat – elle est le critère de
l’Etat –, elle fait figure de type déterminé de pouvoir ou de puissance ; elle est l’espèce du
genre plus vaste que constitue le pouvoir ou la puissance.
»274 Inventée par Jean BODIN dans
ses Six Livres de la République en 1576, la souveraineté fonde la théorie juridique du pouvoir
269 J.-P. CHARNAY, Esprit du droit musulman, Paris, Dalloz, 2008, p. 4.
270 Evangile selon Matthieu, Chapitre 22, verset 21.
271 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
272 P. D’IRIBARNE, L’islam devant la démocratie, Paris, Editions Gallimard, 2013, p. 117. Mis à part ce
verset, la plupart des versets du Coran traduits en français et cités dans ce travail sont issus de la traduction
du
Coran en français [en ligne], [consulté le 3 mai 2019], https://www.coran-francais.com/coran-francais-
sourate-35-0.html.
273 S. KLIBI, « Les principes républicains », in Association Tunisienne de Droit Constitutionnel (dir.), La
République, Tunis, Centre de Publication Universitaire, 1997, p. 46.
274 O. BEAUD, « Souveraineté », in P. RAYNAUD et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la philosophie
politique, op.cit., p. 735.
73




Page 75
politique. Unifié, indivisible et suprême, ce pouvoir est attribué à un être impersonnel, l’Etat.
Or en Islam, seul l’être métaphysique – Dieu –, est souverain. L’étude de l’introduction du
concept de souveraineté dans la pensée politique et juridique islamique, passe nécessairement
par une analyse linguistique de l’arabe.
« Etymologiquement, il est difficile de trouver au terme souveraineté son équivalent
arabe.
»275 Si le Coran est sacré par son origine divine, la langue arabe, langue du tanzîl, de la
« descente » ou révélation, a été sacralisée puisqu’utilisée par Dieu pour communiquer avec
Mahomet. En arabe classique, l’adjectif Sayed est l’équivalent de l’honnête homme. En arabe
moderne, il signifie Monsieur et non le souverain. « Il faut attendre les temps modernes pour
qu’une nouvelle approche de la souveraineté soit élaborée.
»276 C'est en reconnaissant
l’indépendance et la souveraineté de l’Etat irakien, que la Convention de 1927 entre le
Royaume-Uni et l’Irak a permis l’appropriation et l’interprétation du concept de souveraineté,
Syïada, par les idéologues islamistes. Du fait de la colonisation, les idées politiques
occidentales vont pénétrer l’esprit politique du droit musulman
277 et l’Islam va peu à peu,
adopter la perception occidentale de la souveraineté.
Dans l’objectif de transformer la société des temps modernes et de l’adapter aux préceptes
coraniques, Abu Ala MAWDUDI
278 reprend à son compte une nouvelle forme de
275 C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., p. 363.
276 Ibid. La référence aux « temps modernes » renvoie à l’idée d’Etat moderne. Souvent comparé et opposé à
l’organisation politique anté et anti-étatique de la cité romaine, l’Etat moderne suppose une nouvelle
représentation et structuration du pouvoir politique basé -entre autres- sur une puissance de commandement
civile exercée sur un territoire délimité.
277 L’expression « droit musulman » est occidentale. Elle renvoie à l’opposition des deux grands systèmes
juridiques de l’Occident. La tradition civiliste ou romano-germanique issue du droit romain consiste en
l’ensemble de principes et de règles hiérarchisées posées par les textes. La tradition de
Common Law issue
du droit anglo-saxon consiste en l’ensemble des précédents émanant des litiges judiciaires. Le droit
musulman serait un mélange des deux traditions. C’est un droit révélé puisque posé par un texte, le
Coran.
Mais, c’est également un droit composé d’une série de précédents, de
fatwa, consultations/opinions. Pour
plus de précisions sur ce point cf. J.-P. CHARNAY,
Esprit du droit musulman, op.cit., p. 6. Voir également
B. DUPRET et L. BUSKENS, « De l’invention du droit musulman à la pratique juridique contemporaine »,
in B. DUPRET (dir.), La charia aujourd’hui. Usage de la référence au droit islamique, Paris, La
Découverte, 2012, pp. 9-17.
278 Né le 25 septembre 1903 à Heyderabad au Sud de l’Inde et décédé en 1979, Abu Ala MAWDUDI a mené
un combat vigoureux pour l’islamisation du pouvoir politique. En voulant refonder l’Etat sur l’Islam, il a
montré que l’Islam n’avait pas qu’un aspect religieux et spirituel. Son aspect juridique et politique
permettrait de fonder un Etat islamique dans les temps modernes. Alors que Dieu est la seule source de
l’autorité, dans sa « théocratie démocratique », le croyant pourrait exercer le pouvoir temporel
conformément aux prescriptions coraniques. Pour plus de précisions sur ce point cf. M. R. BEN
HAMMED,
Histoire des idées politiques : Depuis le XIXème siècle, Occident Monde arabo-musulman,
Manouba, Centre de Publication Universitaire, 2010, pp. 103-113 et C. HOUKI, Islam et Constitution en
Tunisie, op.cit.
, p. 364.
74




Page 76
souveraineté, la hakimiyya propre à la pensée politique arabe279. Alors que Dieu détient le
pouvoir souverain, les hommes qui croient en la loi fondamentale
280, sont légitimes à
gouverner selon les prescriptions coraniques. Même si le détenteur de la souveraineté reste
l’être métaphysique, les hommes édictent et appliquent les lois coraniques. En opposant la
hakimiyya à la jahiliyya, Abu Ala MAWDUDI récupère le concept occidental de souveraineté
et l’introduit dans le langage et la pensée politique arabes modernes. Même si la conception
de MAWDUDI est consacrée par un certain nombre de constitutions dans le monde arabo-
musulman
281, les deux Constitutions tunisiennes vont faire coexister au sein d’un même
article (l’article premier), l’Islam et la souveraineté. Ceci est notamment dû au contexte dans
lequel la Constitution du 1
er juin 1959 et celle du 27 janvier 2014 ont été adoptées.
2. L’adaptation de l’Islam à la conception occidentale de la souveraineté
Afin d’expliquer le revirement radical des islamistes au pouvoir en 2011, il est essentiel de
montrer que les revendications identitaires et religieuses du peuple ne sont pas nouvelles.
Elles naissent avec l’indépendance de la Tunisie. Alors que Salah BEN YOUSSEF
282,
secrétaire général du Néo-Destour milite en faveur de l’indépendance totale du pays, Habib
BOURGUIBA lui préfère la politique du "plan par étapes
283". En acceptant les conventions
franco-tunisiennes d’autonomie interne du 3 juin 1955
284, le Combattant Suprême impose aux
Tunisiens une vision particulière du rapport à la France et au monde arabe. Imprégné des
valeurs occidentales de progrès, de rationalité et de modernisation, BOURGUIBA
instrumentalise les composantes identitaires de la
tunisianité285, afin d’édifier par étapes, un
279 Il reprend les concepts de hakimiyya et de jahiliyya à IBN KHALDOUN. Ces deux notions ne sont abordées
ici que dans l’objectif de démontrer la transformation de la société musulmane à l’aune des expériences
européennes.
280 Le Coran ou parole révélée.
281 Pour un aperçu général de ces constitutions arabes avant l’avènement du Printemps arabe, cf. « III. La
souveraineté dans les constitutions arabes »,
in C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., pp.
365-367. Voir également A. AMOR, « La place de l’Islam dans les constitutions des Etats arabes : Modèle
théorique et réalité juridique »,
in G. CONAC et A. AMOR (dir.), Islam et droits de l'Homme, op.cit., pp.
13-27.
282 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Salah BEN YOUSSEF.
283 Cf. Note de bas de page 222.
284 Ces conventions n’étaient qu’une étape à la réalisation de l’indépendance. Pour plus de précisions sur ce
point cf. M. CHARFI,
Introduction à l’étude du droit, Tunis, Cérès Editions, Troisième édition revue et
augmentée, 1997, pp. 110-111.
285 Que sont l’Islam, la langue arabe et l’adhésion à la patrie tunisienne. Pour plus de précisions sur la notion
de
tunisianité, cf. D. PEREZ, « L’évolution des cultures politiques tunisiennes : l’identité tunisienne en
75





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Etat indépendant. Ce discours s’oppose à celui de BEN YOUSSEF qui voit dans la lutte pour
la libération nationale, l'une des batailles visant à délivrer les pays du Maghreb de
l’occupation occidentale. Si le premier séduit les catégories socio-professionnelles intégrées à
l’économie et à l’ordre colonial
286, le discours nationaliste du second lui rallie les élites
religieuses arabophones formées à la
Zitouna287 et particulièrement sensibles « aux accents
islamiques de son discours.
»288 L’inspiration française et la dimension séculière du projet
politique de BOURGUIBA révoltent les défenseurs de l’identité arabe et musulmane de la
Tunisie que sont les
fellaga289, le palais beylical, les familles beldi290, les partisans du Vieux-
Destour
291 et les propriétaires terriens de l’Union Générale des Agriculteurs Tunisiens
(
UGAT)292.
En excluant les yousséfistes293 du Front National et en les éliminant physiquement294, Habib
BOURGUIBA s’assure une mainmise sur la vie politique et constituante. Les travaux de la
première ANC sont précédés par des réformes audacieuses des pratiques et institutions de
l’Islam. Cumulant les fonctions de chef de Gouvernement, de ministre des Affaires
étrangères, de ministre de la Défense et de président du Conseil, BOURGUIBA avait résolu la
question religieuse avant même que les constituants ne s’en saisissent. En effet, le 2 mars
1956, le système des
habous295 publics est aboli. Celui des habous privés ne le sera que le 18
juillet 1957 alors que le 31 mai 1956, la
dejemaia des habous296 est liquidée. S’ensuit la
suppression, le 3 août 1956 des tribunaux charaïques et le 27 septembre 1957, des tribunaux
rabbiniques. Du fait de l’entrée en vigueur le 1
er juillet 1957, de la convention judiciaire
franco-tunisienne, les tribunaux français de Tunisie sont remplacés par des tribunaux tunisiens
débat », Le Carnet de
http://irmc.hypotheses.org/723.
l’IRMC, 7
janvier 2013, [en
ligne], [consulté
le 22 mai 2018],
286 Catégorie essentiellement composée des professions libérales, d’une partie de la bourgeoisie tunisoise, des
employés des secteurs publics et privés, des fonctionnaires et ouvriers.
287 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Zitouna.
288 L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.), Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, op.cit., p.14.
289 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Fellaga.
290 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Beldi.
291 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Vieux-Destour.
292 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Union Nationale des Agriculteurs Tunisiens.
293 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Yousséfiste.
294 C’est à la suite du discours de Salah BEN YOUSSEF à la Grande Mosquée de la Zitouna, le 7 octobre 1955
qu’Habib BOURGUIBA décide d’éliminer progressivement les opposants à sa politique du "plan par
étapes". Il écarte Salah BEN YOUSSEF du poste de Secrétaire général du
Néo-Destour et l’exclut du parti.
Le 28 janvier 1956, les procès politiques devant la Cour criminelle spéciale liquident politiquement les
partisans de BEN YOUSSEF. La mort de Salah BEN YOUSSEF à Francfort en 1961 laisse penser
qu’Habib HOURGUIBA était l’un des instigateurs de l’assassinat.
295 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Habous.
296 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Dejemaia des habous.
76



Page 78
modernes. Le Code du Statut Personnel (CSP)297 est promulgué le 13 août 1956 et celui de la
nationalité le 26 janvier 1956. Alors que le premier code procède « d’une vision libérale de la
condition féminine
»298, le second détache la religion de l’acquisition et de la déchéance de la
nationalité tunisienne. Enfin, la loi n° 58/27 du 4 mars 1958
299 relative à la tutelle publique, à
la tutelle officieuse et à l’adoption, vient heurter de front le droit islamique en autorisant
l’adoption, prohibée par le Coran aux versets 4 et 5 de la Sourate 33 Al Ahzab. La
constitution à venir ne pouvait faire de la charia la source de la législation sans contredire les
réformes législatives entreprises.
Bien que la religion soit l’une des caractéristiques de la Tunisie, Habib BOURGUIBA ne veut
pas que l’Islam règle les institutions et l’organisation étatiques. C’est la raison pour laquelle
les dispositions relatives à l’Islam au sein de la Constitution du 1
er juin 1959, sont
volontairement imprécises et sujettes à interprétations. Au moment de l’élaboration de
l’article premier,
le Combattant Suprême ne permet pas
l’étude des dispositions
constitutionnelles par une commission spécialisée et fixe une séance à l’ANC en plein jour du
mois de
ramadan. A cause de
la
rupture du
jeûne,
les délibérations sur
la
constitutionnalisation de l’Islam sont précipitées et superficielles, alors que les principaux
débats opposaient pourtant Naceur MARZOUGUI pour qui « [l]a Tunisie est un Etat
islamique » à Bahi LADGHAM qui milite pour « un Etat arabo-musulman indépendant et
souverain.
»300 La polémique cesse avec le choix de la formulation « l’Islam est sa
religion
»301 approuvée par Habib BOURGUIBA, qui s’impose lors de la troisième lecture du
projet de Constitution, au cours du vote sur le texte. L’article premier de la Constitution du
1
er juin 1959 établit ainsi que : « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain,
l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime ». Ce faisant, la
perception tunisienne de l’Islam n'a d'autre choix que de s’adapter à la conception occidentale
de la souveraineté.
297 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Code du Statut Personnel. Le Code du Statut Personnel fera l’objet de
développements ultérieurs. Cf. le A. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre II de cette
partie relatif au
Code du Statut Personnel ou la première révolution par le droit, p. 275.
298 C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., p. 216.
299 JORT, n°19 du 7 mars 1958, p. 236.
300 C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., p. 225.
301 Sur le sens de cette expression cf. les développements sur l’interprétation de l’article 1er de la Constitution
du 27 janvier 2014 [Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre I de cette partie relatif aux
interprétations de l’article premier faisant de « l’Islam sa religion », p. 173].
77




Page 79
Pour autant, les références successives à la souveraineté et à l’Islam sont pondérées par le
peuple, source de tous les pouvoirs en Tunisie
302. L’Islam ne règne donc pas en maître sur
l’Etat. L’Etat gère la religion. Si les constituants cherchent à instaurer une « démocratie
fondée sur la souveraineté du peuple », ils restent fidèles aux « enseignements de
l’Islam
»303. D'ailleurs, le verset épigraphe au texte constitutionnel304 suivi de la formule
scellant le préambule
305, pourrait laisser croire que la Constitution est placée toute entière
sous la bannière de l’Islam. Or, la valeur normative du préambule n’a pas été clairement
tranchée par les premiers constituants à l’ANC
306. De plus, les dirigeants du Néo-Destour,
membres de la première Constituante, détachent la première Constitution des sources
formelles et matérielles de l’Islam. Ni le Coran, ni la Sunna du Prophète ne sont perçus
comme des Constitutions, la charia n’est pas une source de législation et le caractère
islamique de l’Etat n’est pas clairement souligné. Ainsi, certaines institutions de droit public
musulman à caractère politique (l’
Umma et le Califat307), à caractère juridictionnel (à l’instar
des tribunaux charaïques) ou à caractère financier (tels que les
waqf308 publics et privés), ne
sont pas constitutionnalisées.
En tout état de cause, même si les sources traditionnelles de l’Islam – qu’elles soient
formelles ou matérielles – ne sont pas explicitement mentionnées, le régime constitutionnel
mis en place se doit d’être conforme aux préceptes de l’Islam. La preuve en est la demande
d’une
fatwa309 par BOURGUIBA à Tahar BEN ACHOUR alors Mufti de la République310.
Dans un communiqué de presse du ministre de la Justice en date du 3 août 1956, ce dernier
reconnaît la compatibilité du régime républicain et des principes islamiques : « la ligne de
conduite adoptée aujourd’hui par le peuple tunisien par le canal de ses représentants
302 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
303 Respectivement alinéas 7 et 6 du préambule de la Constitution tunisienne du 1er juin 1959. Le sens des «
enseignements de l’Islam » fera l’objet du B. du Paragraphe 2 de ce chapitre.
304 A savoir : « Au nom de Dieu, Clément et miséricordieux »
305 A savoir : « Nous, représentants du peuple tunisien libre et souverain, arrêtons, par la grâce de Dieu, la
présente Constitution ».
306 La séance du 17 juillet 1956 oppose Ahmed MESTIRI, Ahmed BEN SALAH et Mongi SLIM à l’ANC. Ils
se disputent la valeur normative du préambule. Ils considèrent qu’il a une nature philosophique et n’a donc
pas de valeur normative. Contrairement à eux, Mohamed AL-GHOUL lui reconnaît une valeur normative.
Supposé faire l’objet de deux lectures avant d’être validé définitivement par les constituants, le préambule
n’a été soumis qu’à une seule lecture. La Commission du préambule et de coordination aura la tâche
décisive de rédiger la version finale du préambule et de l’adopter définitivement sans revenir aux membres
de la Constituante.
307 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Califat.
308 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Waqf.
309 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Fatwa.
310 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Mufti de la République.
78



Page 80
légalement élus : choix du régime républicain, abolition de la monarchie et désignation d’un
président de la République est conforme aux prescriptions islamiques.
»311 Il en est de même
du Code du Statut Personnel entré en vigueur avec l’assentiment du Mufti de la République,
qui « confirmait le compromis entre l’entrée dans la modernité et le respect de l’esprit du
Coran.
»312 Malgré l’adaptation de l’Islam à la conception occidentale de la souveraineté,
l’arrivée d’Ennahdha au pouvoir en 2011 change la donne.
3. Le changement de discours des islamistes au pouvoir
Cela a été dit, le programme électoral du parti Ennahdha avait explicitement assuré la volonté
des islamistes de maintenir la formulation de l’article premier de la Constitution du 1
er juin
1959. Une fois au pouvoir, les Nahdhaouis en décident autrement313 : la charia devient la
source de la législation et Dieu, le seul souverain. La répartition des sièges au sein de chacune
des commissions constituantes
314 a permis à Ennahdha de disposer d’un nombre important de
représentants, notamment au sein de la Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution (CPPFRC). 10 membres sur 22. Ils orienteront
la composition et les travaux de cette commission qui aura un impact considérable sur la
Constitution du 27 janvier 2014
315. Présidée par Sahbi ATIG316, la Commission a permis aux
311 C. DEBBASCH, La République tunisienne, op.cit., p. 147.
312 Z. E. HAMDA CHERIF, L’Islam politique face à la société tunisienne : Du compromis politique au
compromis historique ?, Tunis, Nirvana, 2017, pp. 188-189.
313 Une proposition du 4 mars 2012 prévoyait un Conseil supérieur islamique chargé de l’interprétation de
l’article premier de la Constitution. Cette proposition n’a cependant jamais pu être formalisée dans le texte
constitutionnel. Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté
des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
314 Les principales commissions au sein de l’ANC sont au nombre de six : La Commission des droits et
libertés, la Commission des pouvoirs législatif, exécutif et des relations entre eux, la Commission du
préambule, des principes fondamentaux et de révision de la Constitution, la Commission des collectivités
publiques, régionales et locales, la Commission des instances constitutionnelles, et la Commission des
juridictions judiciaires, administratives, financières et constitutionnelles. Pour plus de détails sur les
différentes commissions au sein de l’ANC voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Commissions
constituantes
[en ligne], [consulté le 24 mars 2018], http://majles.marsad.tn/fr/assemblee/commissions.
315 Les analyses qui suivent se basent exclusivement sur les travaux de la Commission du préambule. Le
préambule et les articles qu’elle élabore (tant en matière de principes fondamentaux/généraux qu’en matière
de révision de la Constitution) fixent dans le marbre constitutionnel la fonction de l’État en matière
religieuse et la nature de la société en Tunisie.
316 Né le 14 août 1959, Sahbi ATIG est issu d’une famille pieuse qui lui enseigne les valeurs de l’Islam. Après
un baccalauréat scientifique et technologique, il intègre la Faculté de Mathématiques et de Sciences de
Tunis. Il effectue ensuite une licence en Théologie à l’Université de la Zitouna en 1985. Il intègre le
mouvement
Jamaat Islamiyya au lycée puis s’engage auprès du Mouvement de la Tendance Islamique
(
MTI) et du mouvement Ennahdha. Emprisonné une première fois pour un an en 1987, il bénéficie de
l’amnistie générale du 7 novembre 1978. Emprisonné une deuxième fois pour seize ans entre 1991 et 2007,
il côtoie des prisonniers de droit commun et d’autres militants d’
Ennahdha. Pour plus d’informations sur la
79





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théocrates de réclamer – dès février 2012 –, l’inscription de la charia comme source
principale de la législation et comme fondement de la Constitution en discussion. A la suite de
nombreuses manifestations de la société civile à partir du 20 mars 2012
317, l’organe délibérant
du parti
Ennahdha, Majles Choura318 renonce le 25 mars 2012, à ses prétentions. En effet,
l’article 3 des dispositions finales de la première version du texte constitutionnel
319 en date du
14 août 2012, disposait que l’ « Islam en tant que religion de l’État » ne pouvait faire l’objet
d’aucune révision. Egalement présente à l’article 141 du projet de Constitution du 1
er juin
2013, la disposition problématique ne disparaîtra qu’avec l’avènement de la version finale du
texte constitutionnel
320. En disposant explicitement de l’ « Islam comme religion de
l’État
»321, Ennahdha voulait supprimer l’ambiguïté de la formulation de l’article premier, en
affirmant que l’Islam est la religion de la Tunisie et non seulement de sa population ou de la
majeure partie des Tunisiens
322.
Le parti de Rached GHANNOUCHI n'a fait de concessions aux partis séculiers présents à
l’ANC que, devant la pression de la rue et les manifestations des organisations de la société
civile devant le Palais du Bardo ou sur la Place de la Kasbah à Tunis. Le 27 mars 2012, les
membres de la Commission du préambule s’accordent sur la conservation des dispositions et
de l’esprit de l’article premier de la Constitution du 1
er juin 1959. Auditionné le 28 mars 2012,
le Professeur de droit constitutionnel et d’institutions politiques, Kaïs SAÏED
323, insiste sur la
valeur juridique de l’article. Contrairement aux membres de la Commission du préambule qui
jugeaient que l’article n’avait qu’une valeur descriptive, il affirme que la Constitution n’a pas
pour objet de décrire l’état d’une société à un moment donné, mais doit régir et organiser les
institutions étatiques par des dispositions juridiques
324. Si la juridiction constitutionnelle à
biographie de Sahbi ATIG cf. AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Assemblée, Bloc parlementaire :
Mouvement
2018],
https://majles.marsad.tn/2014/fr/elus/Sahbi_Atig.

Ennahdha,
25 mai
[consulté
ligne],
ATIG,
Sahbi
[en
le
317 Le 20 mars est une journée de fête commémorative de l’indépendance en Tunisie. Le 20 mars 2012, elle a
cependant été l’occasion de manifestations des organisations de la société civile contre l’inscription de
l’Islam comme religion de l’État.
318 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Majles Choura.
319 Intitulé « Projet de brouillon ».
320 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
321 Sur la distinction entre religion de l’Etat et religion d’Etat cf. le 1. du A du Paragraphe 2 de la Section 1 du
Chapitre 2 du Titre I de cette partie relatif au problème de l’Islam comme religion de l’Etat, p. 137.
322 C’est, en tout cas, l’interprétation qui a été retenue par plusieurs juristes tunisiens depuis 1956. L’objectif
pour eux était de barrer la route à un droit d’origine religieuse.
323 Alors, Kaïs SAÏED n’était pas encore président de la République.
324 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mr. Kaïs SAÏED ainsi que des représentants
80



Page 82
venir est saisie d’un projet de loi contraire à la charia, le projet ne pourrait être déclaré
conforme à la Constitution. L’article 1
er de la Constitution du 27 janvier 2014 serait donc
normatif. C’est en tout cas ce que pensait Kaïs SAÏED au moment de son audition par la
Commission du préambule.
Contraint de maintenir la formulation de l’article premier de la Constitution du 1er juin
1959
325, Rached GHANNOUCHI avance trois arguments pour rassurer ses partisans et les
défenseurs de l’Islam. Selon lui, il ne faut pas diviser les Tunisiens autour de la charia. Il n’y
aurait d’ailleurs aucune distinction à faire entre Islam et charia. Enfin, même si la
Constitution pose un certain nombre de normes, elle n’établit pas la loi. Cette dernière ne
tirera sa force que des personnes qui l’édicteront et la feront appliquer. Autrement dit, elle
sera le fruit de la volonté du législateur tunisien et des rapports de force de la
charia326. Ayant
perdu la bataille de l’article premier, les partisans d’Ennahdha obtiennent d'inscrire en en-tête
du troisième paragraphe du préambule des trois premiers projets de Constitution
327,
l’attachement du peuple tunisien aux «
constantes de l’Islam »328.
Le point de vue différent entre théocrates et démocrates, sur le rôle et l’importance du référent
islamique au sein de la Constitution et des futures institutions, témoigne de deux visions bien
distinctes de l’identité de l’Etat et du peuple en Tunisie. Alors que pour les premiers l’Islam
est la composante essentielle de l’identité tunisienne, pour les seconds, ce n’est que l’une de
ses composantes
329. Malgré l’opposition des points de vue, théocrates et démocrates font le
choix de la laïcité procédurale.
de l’UGTT, Mme Ikbel BEN MOUSSA et, Mr. Mohamed GUESMI », 28 mars 2012 [en ligne], [consulté le
24 mars 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252f1 (en arabe).
325 Pour plus de précisions sur ce point cf. le B. du Paragraphe 2 de la Section 1 de ce chapitre.
326 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis. Le Professeur précise que : «
Même s’il n’a surement pas lu les
propos de Michel TROPER sur la théorie réaliste de l’interprétation, Rached GHANNOUCHI insiste sur le
fait que la loi tire sa force des personnes qui l’appliquent. C’est la théorie réaliste de l’interprétation selon
laquelle l’acte de volonté est un rapport de force.
»
327 Le premier projet de Constitution est daté du 14 août 2012 et s’intitule « Projet de brouillon ». Le
deuxième, paru le 14 décembre 2012, quatre mois après le premier porte le nom de « Brouillon de projet ».
Le troisième, du 22 avril 2013 est dénommé «
Projet de Constitution ». Le quatrième, du 1er juin 2013 est
l’avant-projet final du texte constitutionnel.
328 Cf. le 1. du B. du Paragraphe 2 de la Section 2 de ce chapitre.
329 Cf. le Paragraphe 1 de la Section 2 de ce chapitre.
81






Page 83
B.
Le choix de la laïcité procédurale
Si la religion est un système basé sur des faits relevant du sacré et de la révélation, la sphère
politique est un système de confrontation d'idées qui bénéficie d’un éventail de points de vue
considérable dans un environnement pacifié. Est-ce à dire que la religion s’opposerait ainsi à
la politique, la charia au droit positif, l’Islam à la modernité, la laïcité au confessionnalisme ?
Avant d’exposer le sens de la « laïcité procédurale », il est primordial de définir le concept de
laïcité et de se défaire de sa conception française. La laïcité tunisienne pourra ainsi, mieux
être appréhendée. La laïcité renvoie essentiellement à un concept politique. L’Etat laïque est
celui qui ne privilégie aucune confession : chacun est libre d’exprimer ses convictions
qu’elles soient religieuses, philosophiques ou politiques. Le pouvoir politique au sein d’un
Etat laïque, pourrait d’ailleurs avoir deux fonctions en ce qui concerne la liberté de
conscience. Soit il impose une certaine vision du monde et sert une conception
confessionnelle du bien et de la vie bonne ; soit il considère qu’en matière d’existence, la
contrainte politique est illégitime et que les consciences individuelles sont autonomes. Si dans
le premier cas, la politique est subordonnée à une religion dominante, dans le second, elle
joue le rôle d’un arbitre entre les différentes conceptions et orientations individuelles.
Malgré le régime de liberté de conscience et d’égalité des cultes reconnus, la France du
XIX
ème siècle donne tout naturellement une place privilégiée au catholicisme. Même si l’Etat
n’impose pas par
la violence
la religion de
la majorité,
le catholicisme reste
institutionnellement dominant. « Tout le problème consistera à se demander si l’Etat est déjà
“laïque” quand il reconnaît les différents cultes sans discrimination, ou s’il est nécessaire
d’établir une séparation véritable entre les différentes confessions, d’une part, la sphère
publique, d’autre part.
»330 Au XXème siècle, la loi de 1905 entérinera la séparation de l'Eglise
et de l'Etat. En séparant les pouvoirs politique et religieux, la France a retiré à l'Eglise toute
autorité politique et législative sur la nation. Cette séparation s’effectue dans les mentalités et
les faits. La religion perd sa position dominante dans la société. L’expérience française
d’élaboration de la laïcité, rend difficile la construction d’un concept de laïcité différent du
modèle français. Certes, la France est laïque, mais la laïcité n’est pas propre à la France.
330 G. HAARSCHER, La laïcité, Que sais-je ?, Paris, PUF, 1996, p. 16.
82






Page 84
Contrairement à la France, la Tunisie est historiquement et majoritairement musulmane. La
religion était l’une des caractéristiques de la Tunisie de BOURGUIBA et de BEN ALI bien
qu’elle ait été gérée par l’Etat. Il est intéressant de relever qu’entre 2011 et 2014, les
démocrates à l’ANC ne réclament pas une
‘almaniyya shâmilah ou laïcité complète331. L’Etat
n’impose pas par la violence la religion de la majorité mais l’Islam est institutionnellement et
socialement dominant. Le 2 mars 2012, le leader d’Ennahdha, évoque, lors d’une conférence
donnée au Center of Studies on Islam and Democracy (CSID), la notion de ‘almâniyya
‘ijrâ’iyya
ou de « laïcité procédurale »332. Emprunté à l’égyptien Abdelwahab MSIRI333, ce
concept est acceptable pour Ennahdha dans la mesure où il rejette l’athéisme et ne remet pas
en cause les fondements de la croyance. Contrairement à la notion de ‘almâniyya shâmilah ou
de laïcité intégrale, la laïcité procédurale compose avec la religion et ses dogmes. Pour faire
accepter à sa base électorale, les concessions faites aux démocrates, Rached GHANNOUCHI
assure que le droit et les lois en Tunisie ne pourront être hostiles à la religion. A l’instar de la
démocratie procédurale, la laïcité procédurale est un moyen par lequel théocrates et
démocrates peuvent atteindre un but stratégique : celui de la cohabitation et de l’élaboration
d’une Constitution de compromis qui mêle au droit objectif des considérations religieuses.
En effet, les partis conservateurs s’accordent avec les partis progressistes de l’ANC, sur la
vision que l’Etat a de la religion
334. L’Etat ne peut avoir une vision de la société totalement
athée ou/et déconnectée des prescriptions de la parole révélée. En s’accordant sur le fait que
l’ « Islam est sa religion », les constituants privilégient une confession et respecte les
croyances des musulmans. Est-ce pour autant que la politique est subordonnée au religieux ?
Le 31 juillet 2012, Rached GHANNOUCHI a eu l’occasion de préciser que : « Ce n’est pas à
l’Etat d’imposer une religion aux gens, d’imposer l’islam ; la question de l’islam relève de la
société. Le rôle de l’Etat est de préserver la paix civile et de présenter des services. Il n’est
pas d’imposer un type particulier de pratiques religieuses ni un type particulier de
modernité.
»335 Contrairement au projet politique de Habib BOURGUIBA qui visait à
331 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
332 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 133.
333 R. GHANNOUCHI, « La laïcité et le rapport entre la religion et l’Etat du point de vue du mouvement
Ennahdha », texte établi par le CSID, le 2 mars 2012 (en arabe).
334 Vision qui fera l’objet de la Section 2 de ce chapitre.
335 O. BELHASSINE et R. SEDDIK, « Entretien avec Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha. Il
n’appartient pas à l’Etat d’imposer un mode particulier de se vêtir, de se nourrir, de consommer des
boissons ou de suivre des coutumes »,
La Presse de Tunisie [en ligne], publié le mardi 31 juillet 2012,
[consulté le 24 mars 2018], http://www.lapresse.tn/component/nationals/?task=article&id=53338.

83



Page 85
imposer unilatéralement et par le haut, la sécularisation de l’Etat, les débats entre théocrates et
démocrates expriment les diverses revendications sociales du peuple. A l’instar de la
démocratie procédurale, la laïcité procédurale permet la naissance d’une culture politique
sécularisée et travaillée par les représentants du peuple. Représentants qui, restent
culturellement et traditionnellement attachés à l’Islam.
Mais, avant que les constituants n’aboutissent aux différents compromis constitutionnels, les
séances constituantes ont été l’occasion tant pour les islamistes que pour les modernistes,
d’exprimer deux conceptions bien différentes de l’identité tunisienne. Ces conceptions
s’opposent sur la valeur et la place à donner à l’Islam comme composante de l’identité du
peuple, de la Constitution et de l’Etat en Tunisie.
Section 2
L’expression des identités multiples au sein de l’Assemblée Nationale
Constituante
Théocrates et démocrates considèrent le rôle et l’importance du référent islamique au sein de
la Constitution, de façon différente, témoignant ainsi de deux visions distinctes de l’identité
du peuple et de l’Etat en Tunisie. A l’instar de la Constitution du 1
er juin 1959, les partis
modernistes sont contre l'idée d'un Islam réglant les institutions et l’organisation étatiques. Au
sein de la Commission du préambule, l’identité culturelle et religieuse du peuple s’oppose à
son identité civique et politique (Paragraphe 1). De leur côté, n’ayant pu faire de l’Islam la
religion de l’État, les partisans d’Ennahdha ont dans un premier temps, obtenu l’insertion des
« constantes de l’Islam »336 au troisième paragraphe du préambule des trois premiers projets
de Constitution. Dans un second temps, la Commission des consensus337 a opté pour la
formule « enseignements de l’Islam » (Paragraphe 2).
336 Cf. le 1. du B. du Paragraphe 2 de la Section 2 de ce chapitre.
337 Pour plus de précisions sur la mise en place et les fonctions de la Commission des consensus cf. le B. du
Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 2 de ce titre relatif à
la politique compromissoire de la
Commission des consensus,
p. 127.
84









Page 86
Paragraphe 1
L’opposition de l’identité culturelle et religieuse à l’identité civique
et politique
Salsabil KLIBI explique qu’il y a deux types d’identités en Tunisie qui revendiquent leur
place au sein de la Constitution : une identité culturelle et religieuse et une identité civique et
politique
338. L’opposition de ces deux conceptions de l’identité a abouti, au moment de
l’écriture de la Constitution, à la binarité entre les articles premier et deux
339. En effet, les
travaux préparatoires à la Constitution, à commencer par ceux de la Commission du
préambule, des principes fondamentaux et de révision de la Constitution, témoignent des avis
divergents sur l’importance du référent islamique au sein du texte constitutionnel (A). La
centralité de l’Islam dans la pensée politique des théocrates et leurs croyances religieuses font
de l’Islam, la composante essentielle de l’identité du peuple et de la Constitution. Bien que
caractérisant culturellement et traditionnellement le peuple, l’Islam n’est pour les démocrates
que l’une des composantes de l’Etat et de sa constitution. Ces débats illustrent deux visions
précises de la fonction de l’Etat en matière de religion. Certes, l’identité arabo-musulmane est
fondamentale, mais elle est d’importance égale avec le caractère « civil » de l’Etat (B).
A.
Des avis divergents sur l’importance du référent islamique
Au moment de l’élaboration de la Constitution, les partenaires d’Ennahdha et les partis
modernistes de l’ANC s’opposent à ses idées politiques sur la nature de la société et celle de
l’Etat. Les démocrates ne peuvent admettre que le référent islamique soit l’essence même de
l’identité tunisienne. La place de ce référent au sein de la Constitution fait l’objet de tous les
débats et de tous les désaccords à la Commission du préambule (1). Afin de s’accorder sur
l’importance du référent religieux pour le peuple et l’Etat, les constituants ont l’idée de
séparer la religion de la politique et non la religion de l’Etat (2).
338 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
339 Ces articles feront l’objet d’analyses ultérieures. Cf. le Chapitre 2 de ce titre relatif à la naissance du
« compromis dilatoire » entre théocrates et démocrates, p. 117.
85









Page 87
1. La place du référent islamique au sein de la Constitution
A la suite de l’élection le 13 février 2012, du bureau de la Commission, les travaux sur le
préambule, les principes fondamentaux et la révision de la Constitution débutent le 17
février
340. Au cours de la séance, les avis divergent sur la fixation par le préambule des
référents essentiels de la Constitution, à commencer par le référent islamique. Les
conservateurs représentés en majorité par les élus du parti islamiste Ennahdha militent en
faveur de la reconnaissance du référent islamique comme référent principal au fondement
même de la Constitution. Selon les théocrates, le référent islamique a une valeur axiologique,
législative, culturelle et civilisationnelle. Il renvoie aux croyances et à l’esprit religieux des
Tunisiens. Seules les croyances des Tunisiens musulmans sont ici prises en compte, puisqu’il
n’est à aucun moment question du référent religieux au sens large, mais du seul référent
islamique. Ainsi, il permet de faire de la
charia, la source des lois341 et de faire valoir une
culture et une civilisation spécifiques qui supposent de s’inspirer des écoles réformistes qui se
sont succédé en Tunisie. Quelles sont ces écoles ? Quelles ont été leurs apports ? Ni les
constituants, ni les experts auditionnés par la Commission ne le précisent de manière non
équivoque et claire. Le 18 avril 2012, les membres de la Commission s’accordent sur le fait
de traiter de la pensée réformiste, sans préciser ce à quoi elle renvoie
342.
Analysant les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les
principes généraux de la Constitution, le Professeur Salwa HAMROUNI affirme que « les
valeurs liées aux spécificités culturelles restent indéterminées et en étant indéterminées elles
deviennent un prétexte pour limiter les valeurs universelles de la dignité, de l’égalité et de la
liberté.
»343 Si les constituants identifient les trois valeurs universelles, ils ne caractérisent à
aucun moment les valeurs culturelles et civilisationnelles spécifiques à la Tunisie. Que
340 Voir respectivement, AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des
principes fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Election du bureau de la Commission et
2018],
organisation
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252bc (en arabe). Et, « Début des travaux sur le
préambule, les principes fondamentaux et l’amendement de la Constitution », 17 février 2012 [en ligne],
[consulté le 24 mars 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252bf (en arabe).
générale »,
24 mars
[consulté
février
ligne],
2012
[en
13
341 Cf. le 3. du A. du Paragraphe 2 de la Section 1 de ce chapitre, p. 79.
342 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mrs. Ahmed MESTIRI et Moustapha
FILALI »,
2018],
[consulté
ligne]
,
2012
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25302 (en arabe).
mars
avril
[en
18
24
343 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution »,
in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL
SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et
perspectives, op.cit.,
p. 386.
le
le
86




Page 88
signifie la culture pour les Tunisiens ? Se différencie-t-elle de la civilisation ? « Dans le
langage courant les concepts de culture et de civilisation sont quasiment synonymes et
interchangeables. Pourtant des nuances les distinguent. La civilisation est en effet un concept
plus compréhensif, aussi bien au niveau du champ que de la matière.
»344 La civilisation
engloberait les cultures. Elle couvrirait une multiplicité de systèmes organisés ou non, qu’ils
soient politiques, juridiques ou autres. La civilisation est donc « l’unité morale ou spirituelle
la plus large à laquelle puisse se rattacher une société, mais plus généralement un groupe de
sociétés. Elle comprend l’ensemble des caractères ou traits spécifiques, à caractère politique,
linguistique, religieux, moral, scientifique, technique, civique, qui définissent ou marquent
une société ou plus sûrement un groupe de sociétés.
»345
Auditionné le 12 mars 2012 par la Commission du préambule, le Doyen Yadh BEN
ACHOUR considère que les valeurs civilisationnelles
346 priment sur les valeurs islamiques347,
sans exposer cependant, la différence entre les premières et les secondes. Selon lui, les valeurs
islamiques sont liées mais bien distinctes des valeurs civilisationnelles, car la civilisation
arabe ne représenterait qu’une partie infime de la civilisation islamique. Qu’est-ce alors que la
civilisation islamique ? Quels liens existeraient-ils entre les civilisations arabe et islamique et
quels sont les critères qui permettraient de les distinguer ? La civilisation arabe serait-elle liée
à la civilisation islamique du seul fait de la langue arabe, langue du tanzîl ou de la révélation ?
Si l’Islam est au fondement de la civilisation islamique, la religion englobe tous les aspects –
qu’ils soient culturels, moraux, juridiques ou politiques – de la vie du musulman. Le rapport
du divin à l’humain et le Coran font l’unanimité parmi les musulmans du globe. Ils affectent
profondément la personnalité et la mentalité des individus composant les communautés
musulmanes. Les musulmans seraient unis par la foi et dirigés par un chef pieux. Les
métaphores coraniques du Livre, de la Balance et du Fer seraient appropriées pour résumer la
344 Y. BEN ACHOUR, Le rôle des civilisations dans le système international (droit et relations
internationales), op.cit., p. 1.
345 Ibid., p. 2.
346 Les travaux préparatoires ne permettent pas de savoir de quelle(s) civilisation(s) il est question. La suite de
l’audition permet de penser qu’il fait référence à deux grands types de civilisations : la civilisation arabe
(basée exclusivement sur le critère linguistique) et la civilisation islamique (basée quant à elle sur le
fondement religieux).
347 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mrs. Ahmed BEN SALAH et Yadh BEN
ACHOUR
2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252df (en arabe).
12 mars
24 mars
[consulté
ligne],
2012
[en
»,
le
87




Page 89
pensée politique au sein de la civilisation islamique348. Dominée par la souveraineté de Dieu,
la vie terrestre du musulman consisterait à retrouver en se conformant aux prescriptions de la
charia, l’unité perdue du divin et de l’humain. Le Livre représente alors la révélation. La
Balance symbolise la justice et le droit. Le Fer, la contrainte ou violence légitime destinée à
préserver l’ordre divin en combattant le mal humain
349. La civilisation islamique est le résultat
de la fusion de diverses cultures locales, à l’exemple des cultures berbère, persane et turque,
entre autres
350. Renvoyant à des ensembles humains plus restreints, la culture personnifie une
communauté humaine particulière
351 et forme ainsi le segment spécifique d’une civilisation
plus globale.
Les travaux préparatoires de la Commission du préambule prouvent que les Nahdhaouis font
de l’Islam le fondement de la civilisation islamique qu’a connu au cours de son histoire, la
Tunisie. L’Islam est également pour eux, la base de la culture nationale. Néanmoins, même si
certaines valeurs islamiques peuvent servir de sources d’inspiration à la Constitution, le
Doyen Yadh BEN ACHOUR précise qu’elles ne le seraient qu’à la condition d’être
conformes aux valeurs universelles
352. Quelles sont spécifiquement ces valeurs islamiques et
en quoi sont-elles distinctes des valeurs de la civilisation arabe ? Le Doyen ne le précise
pas
353. Il semblerait que la langue arabe et l’espace géographique qui s’étend de la péninsule
arabique aux rives méditerranéennes du continent africain, lient la civilisation islamique à la
civilisation arabe
354. Mais alors que le critère religieux fonde les valeurs de la civilisation
islamique, il est difficile d’identifier les valeurs arabes distinctes de l’Islam.
A l’instar des membres de la Commission du préambule, le Doyen insiste sur la spécificité
tunisienne qui distingue la Tunisie des autres Etats arabes et musulmans. Quelle serait cette
spécificité et en quoi la pensée des écoles réformistes consisterait-elle en Tunisie ? Avant de
348 Y. BEN ACHOUR, Le rôle des civilisations dans le système international (droit et relations
internationales), op.cit., p. 178.
349 Y. BEN ACHOUR, « Le Livre, la Balance et le Glaive. La symbolique du droit et de la politique dans le
Coran et la pensée de ses interprètes »,
in L’architecture du droit, Mélanges en l’honneur de Michel
Troper,
Paris, Economica, 2006, pp. 167-183.
350 El H. EL TIMOUMI, Kayfa sâr el tounisiyôun tounisiyîn ?, Sfax, Dar Mohammed Ali, Deuxième Edition,
2015, p. 28. C’est nous qui traduisons littéralement le titre de l’ouvrage arabe
؟نيّيسنوت نوّيسنوتلا راص فيك
351 Ibid. C’est nous qui traduisons.
352 L’avis du Doyen n’a pas été suivi sur ce point. Le préambule actuel de la Constitution du 27 janvier 2014
place les valeurs identitaires avant les valeurs universelles.
353 Y. BEN ACHOUR, Jura Gentium, Rivista di filosofia del diritto internazionale e della politica globale,
« Les relations entre les civilisations islamique et occidentale », [en ligne], [consulté le 4 avril 2018],
http://www.juragentium.org/topics/islam/int/fr/achour.htm.
354 Pour plus de précisions sur ce point cf. Annexe 1 – Glossaire – Arabe.
88




Page 90
répondre à la question, il est essentiel de s’attarder sur la place accordée au référent islamique
par les démocrates de la Commission. Ils considèrent que la Constitution a pour fonction
l’organisation des pouvoirs publics et la détermination des fonctions exécutives, législatives et
judiciaires. Les membres les plus modernistes de la Commission estiment que les dispositions
constitutionnelles sur le référent islamique, ne sont que l’une des composantes de l’identité du
peuple. Elles n’ont nullement une valeur législative et ne doivent en aucun cas faire de la
charia la source des lois.
Deux avis bien distincts s’affrontent au cours de la première séance de travaux. Non
seulement les membres s’opposent sur la place de la religion dans la formation de l’identité
tunisienne, mais ils sont en désaccord sur sa fonction au sein de la Constitution en élaboration.
Cependant, qu’ils soient en faveur de l’une ou de l’autre des positions, les membres de la
Commission du préambule insistent sur l’attachement à l’identité arabo-musulmane de la
Tunisie et à l’Histoire réformiste du pays. Ils souhaitent que l’identité arabe et musulmane soit
en accord avec le siècle et la modernité. Qu’est-ce alors que le réformisme tunisien ?
Né au XIXème siècle au sein des provinces orientales de l’Empire ottoman, le mouvement des
idées réformistes exerce son influence sur la Tunisie des Beys. L
’Homme malade355 est
enjoint par les puissances européennes de procéder à des réformes pour améliorer les
conditions de vie des
dhimmis356 de l’Empire. Connues sous le nom de Tanzimat357, la
Sublime Porte adopte deux textes de réformes importants : le Khati Cherif de Gul-Khaneh en
1839
358 et le Khati Houmayoun en 1856359. Sous suzeraineté ottomane, la Tunisie est
supposée appliquer les réformes adoptées
360 à Istanbul. « C’est sous l’influence de ces idées
réformistes ainsi que sous la pression des puissances étrangères que s’inscrivent la
promulgation par le Bey du Pacte fondamental de 1857 et l’adoption de la première
constitution dans le monde arabo-musulman en 1861.
»361 Octroyée par le Bey, la
355 Les puissances européennes dénommaient ainsi l’Empire ottoman décadent au XIXème siècle.
356 Les dhimmis des puissances sous suzeraineté ottomane appellent les puissances européennes à l’aide. Ils
souhaitent que le Sultan reconnaisse l’égalité des populations chrétiennes et juives de l’Empire avec les
musulmans.
357 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Tanzimat.
358 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Khati Cherif de Gul-Khaneh.
359 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Khati Houmayoun.
360 Pour plus de précisions sur ce point cf. le Chapitre 2 « Le réformisme tunisien », in M. R. BEN HAMMED,
Histoire des idées politiques : Depuis le XIXème siècle, Occident Monde arabo-musulman, op.cit., pp. 199-
200.
361 Ibid., p. 200.
89




Page 91
Constitution de 1861 est influencée par la Constitution française de 1814362. Le Pacte
fondamental de 1857 et la Constitution de 1861 sont essentiellement l’œuvre de deux grands
penseurs et hommes d’Etat tunisiens, KHEREDINE
363 et IBN ABI DHIAF364.
Fasciné par l’esprit libéral et les avancées politiques de la civilisation occidentale365,
KHEREDINE souhaite limiter par le droit, le pouvoir du monarque et protéger ainsi les
libertés individuelles en pays d’Islam. Afin d’emprunter ou/et d'importer en Tunisie, les
institutions des systèmes politiques européens, il veut faire adopter une réforme pour
introduire un gouvernement limité à l’exemple de la monarchie constitutionnelle. Le
monarque serait limité par une loi fondamentale et assisté d’un gouvernement responsable. Ce
gouvernement serait contrôlé par une assemblée délibérante non élue. Sous ce gouvernement,
les individus composant le corps social devraient être aptes à résister à l’oppression, au cas où
le pouvoir politique se révèlerait injuste. Son plaidoyer est en faveur des Tanzimat et vise à
démontrer que la monarchie constitutionnelle, est compatible avec la pensée politique
islamique. Ses propos tendent à lutter contre l’ignorance politique des
Uléma366 et contre le
despotisme des hommes d’Etat musulmans. « Or, ce despotisme est la cause principale selon
notre penseur de l’état de régression du monde arabo-musulman. Le refus de découvrir et
d’introduire les principes d’équité, de liberté et de justice utiles pour régénérer et
transformer le monde musulman à la lumière de l’expérience des autres ne peut selon
Khérédine que perpétuer et aggraver la décadence.
»367 L’argument de droit comparé est
employé par KHEREDINE pour prouver le bienfait des avancées occidentales et des
Tanzimat promulgués par la Sublime Porte.
362 Pour plus de précisions sur le constitutionnalisme tunisien cf. le Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE II relatif
à la naissance du constitutionnalisme et l’idée de constitution en Tunisie, p. 319.
363 Cf. Annexe 1 – Glossaire – KHEREDINE.
364 Les pensées des deux auteurs réformistes se rejoignent fortement. Seules seront exposées ici les idées
politiques de KHEREDINE. Pour plus de précisions sur la pensée d’IBN ABI DHIAF cf. Annexe 1 –
Glossaire –
Ahmed IBN ABI DHIAF et, le 2. du A. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre I
de la PARTIE II relatif à
KHEREDINE et IBN ABI DHIAF, précurseurs du constitutionnalisme tunisien,
p. 325.
365 KHEREDINE a souvent été chargé par le Bey de missions auprès des Cours européennes à l’exemple de la
France, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Autriche, de la Suède, de la Hollande, du Danemark et de la
Belgique. Pour plus d’informations sur la vie, l’œuvre et l’apport de KHEREDINE cf. le documentaire
d’AL-JAZEERA «
», du vendredi 25 mai 2018, [en ligne]
, [consulté le 25 juin 2018],
ريخ-نيدلا
http://doc.aljazeera.net/video/%D8%AE%D9%8A%D8%B1-
%D8%A7%D9%84%D8%AF%D9%8A%D9%86-
%D8%A7%D9%84%D8%AA%D9%88%D9%86%D8%B3%D9%8A (en arabe).
يسنوتلا
-
366 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Uléma.
367 M. R. BEN HAMMED, Histoire des idées politiques : Depuis le XIXème siècle, Occident Monde arabo-
musulman, op.cit., p. 208.
90




Page 92
En réfléchissant sur les causes de la décadence et du progrès des sociétés, KHEREDINE
considère que le pouvoir absolu conduit à la décadence et à l’injustice, alors que le pouvoir
limité conduit au progrès des sociétés et à l’application des principes de justice et de liberté.
Seule la monarchie constitutionnelle peut limiter le pouvoir absolu du monarque par une loi
fondamentale rédigée par les hommes. « Cette loi fondamentale avec les institutions libérales
qu’elle met en place et la bonne organisation du pouvoir qu’elle implique, affirme Khérédine,
est la condition première de tout progrès. La prospérité des Etats européens, est selon notre
auteur, due à leur loi fondamentale. La nature des institutions qui en découlent et qui
régissent l’Etat conditionne son essor.
»368 La Constitution permettrait la mise en place d’un
pouvoir politique limité et respectueux des libertés et droits individuels. Mais, la loi
fondamentale en pays d’Islam est d’essence divine et non humaine. Bien qu’il distingue à la
manière d’IBN KHALDOUN
369, la loi religieuse (Siyassa Chariyya) déduite du Coran, de la
loi rationnelle (Siyassa Aqliyya) créée par les hommes, KHEREDINE considère que les
Tanzimat sont des réformes législatives édictées par les hommes qui viennent préciser la loi
religieuse. Adaptées aux circonstances de temps et de lieux, les prescriptions divines sont – du
fait des Tanzimat – appliquées par les hommes qui respectent les valeurs et principes de
l’Islam, tout en réformant les institutions en place. Les Tanzimat sont donc bien conformes à
la pensée politique en Islam.
Le gouvernement limité qu’il promet à la société serait d’ailleurs compatible avec la
conception islamique du pouvoir. En effet, il rappelle les versets 30 à 33 de la Sourate 20 Ta-
Ha du Coran, dans laquelle Moïse demande au Tout-Puissant de lui donner un conseiller de sa
famille. En délégant certaines fonctions exécutives à un
Vizir370 ou Wazir, le souverain
musulman se conforme à la parole révélée, en imitant le Prophète Moïse qui avait fait appel à
un conseiller pour régir les affaires courantes de la société. Ce dernier serait responsable
puisque la responsabilité est basée sur le principe de la division du travail, principe qui
reproduit la volonté de Dieu et qui est aussi au fondement de la civilisation occidentale. Ce
gouvernement créé par la Constitution et soumis au droit, doit cependant être contrôlé par une
assemblée délibérante non élue, dénommée
Ahl el-Hall wa’l-Aqd371, c'est-à-dire "les gens qui
lient et qui délient". Selon KHEREDINE, l’assemblée aurait pour fonction essentielle de
conseiller et de contrôler le dirigeant lors de l’exercice de son pouvoir. Il assimile Ahl el-Hall
368 Ibid., p. 209.
369 Cf. Annexe 1 – Glossaire – IBN KHALDOUN.
370 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Vizir.
371 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Ahl el-Hall wa’l-Aqd.
91



Page 93
wa’l-Aqd aux représentants de la Nation des Etats européens et conseille au souverain
musulman de les consulter avant d’agir, afin d’accomplir le bien et d’éviter la perpétuation du
mal.
Pourtant, dans la pensée politique islamique, l’assemblée délibérante non élue a pour fonction
essentielle, de désigner et de destituer le calife, non de le conseiller. Ces "gens qui lient et qui
délient" ne sont d’ailleurs pas élus directement par le peuple, mais désignés parmi les Uléma
du pays. L’objectif de la démonstration de KHEREDINE est de montrer que les assemblées
délibératives en terres d’Islam, sont prévues par la
Choura372 ou consultation coranique. Déjà,
chaque musulman a le devoir de recommander le bien et d’interdire le mal
373. Ce devoir doit
s’exercer à la lumière de la loi religieuse que le monarque est tenu de respecter. Afin de faire
évoluer les sociétés musulmanes et de concilier la parole révélée et les apports de la
civilisation occidentale, KHEREDINE engage les pouvoirs publics à se moderniser, tout en
restant fidèles à leur identité arabe et musulmane. Son argument est que les institutions
européennes ne sont pas simplement importées mais assimilées et intégrées à une culture
supérieure, puisque l’Islam est transcendantal. La société serait alors modernisée et ressourcée
des principes et préceptes divins.
Lorsqu'en février 2012 les membres de la Commission ont souhaité rappeler l’héritage arabo-
musulman et les acquis humains sur lesquels ont été bâties les organisations constitutionnelles
et législatives dans le monde, ils ont fait référence à la tradition et à la pensée réformiste
tunisienne. De plus, fixer les bases d’un Etat moderne conservant l’identité arabe et
musulmane, sans employer la religion politiquement, fait partie des principes fondamentaux
de la nouvelle Constitution. En d'autres termes, les islamistes et les modernistes lient la
religion à l’Etat mais la séparent et la distinguent de la politique
374. L’identité culturelle et
religieuse du peuple est fondamentale pour la construction des individualités et de la
communauté en Tunisie. Pour y parvenir, deux théories sont proposées : les islamistes veulent
faire de l’Islam le fondement de la Constitution et des futures institutions, alors que selon les
modernistes, il est obligatoire de consacrer le régime républicain, le caractère « civil » de
l’Etat et les droits et libertés acquis, sur lesquels aucun retour en arrière n'est possible. Quand
bien même, les modernistes – particulièrement au sein de la Commission du préambule –
372 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Choura.
373 Verset 110 de la Sourate 3 Al-Imran du Coran.
374 Cf. le 2. qui suit.
92




Page 94
appellent de leurs vœux un Etat moderne ou « civil », ils ne l'envisagent que dans une
conception islamique du pouvoir, c'est-à-dire gardant un lien avec les valeurs islamiques.
2. La volonté de séparer la religion de la politique et non la religion de l’Etat
Toujours ce 22 février 2012, lorsque les membres de la Commission présentent leurs visions
du préambule
375, les avis divergent sur le rapport à établir entre la religion et l’Etat. Certains
estiment que le débat doit porter sur le lien entre la religion et la politique. Pour d'autres, c'est
le lien entre la religion et l’Etat qui est au cœur de la question, l’Etat devant assurer une
protection adéquate à la religion
376 contre toute ingérence extérieure. En matière de neutralité
des lieux de culte, la seule possibilité pour l’Etat d’intervenir dans le domaine religieux est
d'empêcher ou/et d'interdire leur exploitation partisane. Dans l’Islam sunnite majoritaire, la
théorie politique est fondée sur la foi comme référent supérieur de tout pouvoir. « L’Etat est
conçu comme le protecteur, l’organisateur de la religion (police des mosquées, financement
du culte, appel à la prière sur les chaînes publiques de radio et de télévision, présidence des
cérémonies religieuses, existence d’instances religieuses au sein de l’Etat…).
»377 Le
spécialiste de droit constitutionnel et d’institutions politiques, Hafedh BEN SALEH a
pourtant exhorté les membres de la Commission à séparer les institutions juridiques des
institutions religieuses.
Au cours de son audition du 13 mars 2012378, il affirme qu’il faut se baser sur une vision
islamique moderne du pouvoir de l’Etat et de la société. La vision moderne qu’il prône se
»,
375 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Les membres de la commission présentent leurs visions
du
2018],
[en
février
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252c7 (en arabe).
préambule
[consulté
ligne],
2012
avril
22
376 Le 5 mars 2012, certains membres de la Commission proposent de disposer de la religion et de l’Etat dans
le chapitre lié à l’Etat. Les tenants de cet avis considèrent que le fait de disposer de la religion dans un
chapitre indépendant de celui de l’Etat n’a aucun intérêt au regard des dispositions à venir sur l’Etat et le
régime politique. C’est justement en discutant du lien entre la religion et l’Etat que la nature du régime
politique et de l’Etat seront définis. Les opposants à cet avis considèrent qu’il faut conserver l’élément
religieux dans une partie indépendante qui ne traite de manière exclusive que de l’importance de la religion.
Pour plus de précisions sur ce point voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission
du préambule, des principes fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Les membres de la
commission présentent leurs visions du préambule », 5 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 4 avril 2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252d3 (en arabe).
377 Y. BEN ACHOUR, Le rôle des civilisations dans le système international (droit et relations
le
4
internationales), op.cit., p. 283.
378 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mrs Sadok BELAÏD et Hafedh BEN
93






Page 95
fonde sur la séparation des pouvoirs et la protection des libertés individuelles et collectives. Il
considère qu’il ne serait pas impossible d'associer la charia à la nouvelle Constitution, à
condition que cette association soit faite dans l'esprit de la Constitution du 1
er juin 1959. Sous
l’ancien régime, l’Islam était l’une des caractéristiques de la Tunisie mais il ne réglait ni les
institutions ni l’organisation étatiques. En un mot, l’Etat n’était pas détaché de la religion
mais l’Islam ne règnait pas sur l’Etat. C’est l’Etat qui gèrait la religion. Pour le Professeur
Hafedh BEN SALEH, l’Etat a fait de la charia une source d’inspiration essentielle pour les
dispositions du Code de Statut Personnel. Néanmoins, la charia – pour être appliquée – doit
être conforme à la modernité, adaptée au présent et ouverte aux évolutions et changements à
venir. Les constituants ne peuvent en faire une source formelle des lois, mais s’inspirer de ses
principes généraux tels que la justice, l’égalité ou encore la sûreté.
En résumé, le débat était de savoir si le pouvoir politique au sein de l’Etat, devrait imposer
une certaine vision du monde et servir une conception confessionnelle du bien et d'une vie
honorable ou s’il devait s’abstenir d’intervenir dans le domaine religieux, pour laisser les
consciences individuelles autonomes. Au moment du processus constituant, les 217 élus à
l’ANC optent pour une position intermédiaire. En Tunisie, l’Etat respecte les préceptes et
valeurs de la religion dominante, l’Islam, tout en l’encadrant. La religion n’est pas
complètement détachée de l’Etat puisqu’il la gère. C'est dans ce contexte que les individus
sont libres de croire et de pratiquer leur culte
379. Contrairement à ce que les islamistes
considèrent, « la liberté de religion ne consiste pas dans la liberté d’entrer dans l’islam sans
pouvoir en sortir, mais dans une liberté beaucoup plus générale d’adopter la religion de son
choix, et de refuser toute religion, au profit d’une quelconque autre conviction d’ordre
philosophique.
»380 C’est la raison pour laquelle Hafedh BEN SALEH affirme qu’en
disposant du caractère « civil »
381 de l’Etat et en y associant la religion382, tous les citoyens
musulmans et non musulmans pourront pratiquer librement leurs cultes. De cette façon, l’Etat
s’inspirera des trois principes généraux de l’Islam (justice, égalité, sûreté) tout en respectant
les autres religions et cultes reconnus.
SALAH »,
[consulté
2012
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252e2 (en arabe).
ligne],
mars
[en
13
le
4
avril
2018],
379 Cf. le B. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre I de cette partie relatif à l’article 6 comme
archétype de la contradiction constitutionnelle, p. 146.
380 Y. BEN ACHOUR, Le rôle des civilisations dans le système international (droit et relations
internationales), op.cit., p. 284.
381 Ce caractère est abordé dans le 2. qui suit.
382 Cf. le B qui suit et, la Section 2 du Chapitre 2 du Titre I de cette partie relative au choix constitutionnel de
la détermination du signifié par les interprètes authentiques, p. 152.
94



Page 96
Si la religion et l’Etat peuvent être liés, il en est autrement de la religion et de la politique. En
effet, pour les tenants de la séparation de la religion et de la politique, il est impératif
d’assurer la neutralité des mosquées et autres lieux de culte, du prosélytisme et de
l’exploitation partisane. Conformément à la théorie politique de l’Islam sunnite majoritaire,
l’Etat gère la religion et protège le domaine religieux des ingérences extérieures. Dans ce
cadre, aucun prêche en faveur d’un courant ou d'un régime politique ne doit être dispensé au
sein d’un lieu de culte.
Au moment du débat sur les lieux de culte et la préservation du sacré, il a été question du
respect des «
moukadassat », choses sacrées. En mars 2012383, certains membres de la
Commission ont proposé d’employer le terme « hourmat » pour éviter la polémique que peut
causer « moukadassat » qui a plusieurs significations et laisse libre cours à l’interprétation.
Notamment, il fait référence à des institutions chrétiennes absentes de la religion musulmane.
Le débat sur les termes employés révèle la place accordée au référent islamique pour une
partie des membres conservateurs de la Commission : il est inenvisageable d’employer un
terme de la religion chrétienne quand la religion majoritaire est l’Islam. Il serait plus
approprié d’employer un terme qui rappelle les institutions islamiques, tel que « hourmat »
qui renvoie aux choses sacrées des musulmans, qu’ils soient ou non pratiquants : le respect de
soi, la religion, le patrimoine, l’honneur ou l’intégrité. Très vite, ce débat a été dépassé et le
texte final de la Constitution emploiera le terme de « moukadassat ». Le référent islamique a
donc une place primordiale au sein des travaux préparatoires et de la Constitution en
élaboration. Bien qu’il n’ait pas la même valeur pour les théocrates ou les démocrates, il est
d’importance égale avec le caractère « civil » de l’Etat.
B.
L’importance égale de l’Etat « civil » et de l’identité arabo-musulmane du peuple
tunisien
L’Islam est lié au caractère « civil » de l’Etat, mais il est nécessaire de définir cette dernière
notion : le 12 mars 2012, la question de la signification de l’Etat « civil » a été posée au
383 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Les membres de la commission présentent leurs visions
du
2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252d3 (en arabe).
préambule
5 mars
[consulté
ligne],
2012
avril
[en
»,
le
4
95






Page 97
Doyen Yadh BEN ACHOUR384. Sa réponse est bâtie sur deux idées principales.
Premièrement, l’Etat « civil » ou Dawla Maddaniyya n’est ni un Etat militaire, Dawla
Asskariyya gouverné par l’armée ni, un Etat sécuritaire, Dawla Amniyya gouverné par les
forces de sécurité. Il n’est pas non plus un Etat théocratique, Dawla Dinniyya où la religion
participe à l’organisation et au fonctionnement des institutions de l’Etat. Deuxièmement,
l’Etat « civil » selon lui, doit séparer le domaine religieux du domaine politique ou/et partisan
tout en maintenant un lien entre la religion et l’Etat. Le 14 mai 2012
385, les membres de la
Commission ont toutefois insisté sur le fait que la démocratie et le caractère « civil » de l’Etat
s’inscrivaient au sein d’une Tunisie arabe et musulmane. Aucune des quatre caractéristiques
de l’Etat (démocratique, « civil », arabe et musulman) ne doit primer sur l’autre. En évoquant
le caractère « civil » de l’Etat, les membres ont réitéré la portée et le sens à donner à ce
qualificatif dans le contexte tunisien
386.
Selon les membres de la Commission du préambule, l’expression "Etat civil" peut faire
référence à un Etat laïc ou à un Etat religieux. Il est intéressant de relever qu’en traitant de
l’Etat laïc, les constituants précisent que la compréhension du caractère laïque de l’Etat, varie
en fonction de l’école à laquelle il est fait référence. L’école peut ainsi être française,
américaine ou anglaise
387. Le 25 avril 2012388, ils affirment que la laïcité est déterminée par le
contexte géographique et historique propre à chaque Etat. Bien que la Tunisie de
BOURGUIBA n’ait jamais été un Etat religieux, elle n’a jamais été un Etat purement laïque.
Lors d’un entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI à la Faculté des Sciences
384 Auditionné le 12 mars 2012, le Doyen Yadh BEN ACHOUR a dû répondre à une série de questions
adressées par les membres de la Commission du préambule. Ses réponses juridiques visaient à faciliter les
travaux de la Commission en matière d’élaboration du préambule et des principes fondamentaux de la
Constitution. Il a essentiellement insisté sur les éléments clefs qu’il jugeait essentiels à la réussite du
processus constituant.
385 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Etude du 1er brouillon du préambule », 14 mai 2012 [en
ligne]
, [consulté le 4 avril 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec2531a (en arabe).
386 Il ne s’agit pas ici de faire une étude détaillée du sens de la notion d’Etat « civil ». Il est simplement question
d’aborder la naissance de la notion au sein de la Commission du préambule. La signification du concept
dans les contextes tunisien et égyptien d’élaboration des constitutions fait l’objet du Chapitre 1 du Titre II
de la PARTIE II de cette thèse, relatif à
un Etat « civil » pour un peuple musulman, p. 435.
387 L’élaboration de la Constitution du 27 janvier 2014 a conduit les constituants tunisiens à regarder le droit et
les systèmes juridiques de certains pays du monde. En matière de laïcité, les constituants ont opposé la
vision tunisienne à la vision française entre autres. Sur la conception tunisienne de la laïcité cf. le B. du
Paragraphe 2 de la Section 1 de ce chapitre, p. 82. Sur le recours à l’argument de droit comparé cf. le 2. du
A. du Paragraphe 2 de la Section 2 de ce chapitre, relatif au recours à l’argument de droit comparé, p. 103.
388 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Etude des principaux axes : Préambule, principes
fondamentaux et amendement de la Constitution », 25 avril 2012 [en ligne]
, [consulté le 4 avril 2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25313 (en arabe).
96



Page 98
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, il a été précisé que les démocrates tunisiens n'ont
pas revendiqué la laïcité de l’Etat tunisien. L’Islam est normatif puisque le Coran est la foi et
la loi. Rejeter la législation chariaïque revient à rejeter la foi
389. Qu’il soit islamiste ou
moderniste, le constituant tunisien est attaché à l’Islam. C’est la raison pour laquelle les
démocrates à l’ANC et en particulier à la Commission du préambule, ont milité en faveur de
la reconnaissance du caractère « civil » et non laïque de l’Etat. La Tunisie est donc bien un
"Etat civil", plus qu'un Etat laïque ou civique
390.
En tirant sa légitimité du peuple391 et non d’un pouvoir métaphysique quelconque, le peuple
est souverain et à la base des institutions. Ainsi, il existe un contrat social entre le peuple et le
pouvoir mais l’Etat a pour référence l’Islam. Autrement dit, la religion ne sert pas de source
formelle ou matérielle à la Constitution ou à l’Etat. Pourtant, comme Mustapha EL
FILALI
392, les membres de la Commission du préambule pensent d’une part que, la plupart
des lois sont inspirées de la
charia et du fiqh393 malékite394 et d’autre part, que le régime
constitutionnel à venir doit être conforme aux préceptes de l’Islam. Les lois ne doivent pas
aller à l’encontre des valeurs de l’Islam. La seule exception concerne le droit pénal car les
peines prévues par le droit tunisien sont inspirées des peines privatives de libertés des
législations comparées. En conséquence, l’ "Etat civil" est compris dans l’Islam et ses bases,
ce qui signifie qu’il faut autant protéger la souveraineté du peuple comme fondement du
caractère « civil » de l’Etat, que son identité arabe et musulmane
395.
389 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
390 Pour plus de précisions sur la définition et les composantes de l’Etat « civil » tunisien cf. le Chapitre 1 du
Titre II de la PARTIE II relatif à un Etat « civil » pour un peuple musulman, p. 435.
391 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
392 Professeur de droit constitutionnel et d’institutions politiques auditionné par la CPPFRC le 14 mars 2012.
Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mrs Ahmed MESTIRI et Moustapha
FILALI »,
2018],
[consulté
2012
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252e6 (en arabe).
ligne],
mars
avril
[en
14
393 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Fiqh.
394 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Malékisme.
395 Il est à noter que la volonté des constituants de traiter du caractère « civil » de l’Etat est concomitante à
celle des islamistes de faire de la
charia, la source des lois et le fondement de la Constitution. Précisions
apportées par les travaux préparatoires, voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents,
Commission du préambule, des principes fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Etude des
principaux axes : Préambule, principes fondamentaux et amendement de la Constitution », 25 avril 2012
[en ligne]
, [consulté le 4 avril 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25313 (en
arabe).
le
4
97



Page 99
Cette identité religieuse va d’ailleurs resurgir au moment de l’élaboration du préambule de la
Constitution. Actuellement, le troisième paragraphe du préambule tunisien dispose de
l’attachement du peuple aux «
enseignements de l’Islam »396.
Paragraphe 2
L’inscription des « enseignements de l’Islam » au sein du
préambule de la Constitution
Le but des islamistes à l’ANC était d’intégrer « le maximum de références à la charia, faute
de mieux à l’Islam, faute de mieux à l’identité arabo-musulmane.
»397 Bien qu’ayant supprimé
du troisième paragraphe du préambule, des trois premiers projets de Constitution,
l’attachement du peuple tunisien aux « constantes de l’Islam », le préambule fixe dans le
marbre constitutionnel, l’attachement du peuple aux « enseignements de l’Islam » (B). Les
constituants ont longuement débattu de la valeur du préambule et de sa possible
exportation (A). Se posait alors la question de savoir si les références identitaires contenues
dans le préambule devaient être conservées en vue de l’éventuelle exportation de la
Constitution.
A.
Les débats sur la valeur du préambule et sa possible exportation
Les débats sur la valeur du préambule ont alimenté une bonne partie des travaux de la
CPPFRC. Alors que pour certains experts le préambule n’avait qu’une valeur politique, pour
d’autres il était doté d’une valeur juridique (1). La valeur supra-constitutionnelle
398 du
préambule a même été évoquée. Son élaboration a conduit les constituants à étudier les
préambules constitutionnels à travers le monde et à se focaliser sur certains de manière plus
396 Paragraphe 3 du préambule de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 : « Exprimant l’attachement de
notre peuple aux enseignements de l’Islam et à ses finalités caractérisés par l’ouverture et la tolérance,
ainsi qu’aux valeurs humaines et aux principes universels et supérieurs des droits de l’Homme. S’inspirant
de notre patrimoine civilisationnel tel qu’il résulte de la succession des différentes étapes de notre histoire
et des mouvements réformistes éclairés qui reposent sur les fondements de notre identité arabe et islamique
et sur l’acquis civilisationnel de l’humanité, attachés aux acquis nationaux réalisés par notre peuple ;
»,
Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
troisième paragraphe du préambule.

397 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 386.
398 Valeur qui est définie dans le 1. qui suit.
98









Page 100
spécifique. Bien qu’ayant eu recours à l’argument de droit comparé, le constituant a établi une
vitrine constitutionnelle propre à l’Etat et au peuple tunisien (2). Modèle de l’évolution du
droit dans des sociétés traditionnellement considérées comme religieuses ou du moins
conservatrices, la Tunisie est toujours un exemple régional de réformes juridiques. C'est pour
cette raison que les constituants pensaient la Constitution et son préambule dans un contexte
élargi, c'est-à-dire comme un modèle constitutionnel pour les Etats du Printemps arabe (3).
1. Les enjeux de la valeur du préambule
Le Professeur Marie-Claire PONTHOREAU affirme que « [l]e préambule est en quelque
sorte la vitrine de la constitution qui est considérée aussi bien par les citoyens que par les
juristes.
»399 En effet, elle expose au premier plan, les référents les plus caractéristiques du
texte constitutionnel. A la seule lecture de l’introduction constitutionnelle, les citoyens
doivent se reconnaître. Mais, en plus de se reconnaître, les Tunisiens doivent se faire
connaître. « Le contenu des préambules se caractérise par la formulation de valeurs, d’idéaux
(élevés), de convictions, de motivations, bref par la conception que se fait de lui-même le
constituant.
»400 Véhiculant un certain nombre de valeurs et de principes axiologiques
spécifiques
401, le préambule doit permettre de distinguer le Tunisien de ses homologues
maghrébins. Son étude permet de cerner la spécificité et la singularité du cas tunisien.
En 1959, la valeur normative du préambule n’avait pas été clairement tranchée par les
constituants
402, écueil que la Constitution du 27 janvier 2014 évitera en prévoyant deux
articles : l’article 145 dispose que « [l]e Préambule de la présente Constitution en est une
partie intégrante
»403 et l’article 146 précise que « [l]es dispositions de la présente
Constitution sont comprises et interprétées les unes par rapport aux autres, comme une unité
399 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 269.
400 P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, M. ROFFI (trad.), C. GREWE (éd.), Paris, Economica, 2004, p. 221.
Sur les différentes fonctions des préambules voir C. CADINOT,
Les préambules des Constitutions –
Approche comparative,
M.-C. PONTHOREAU (dir.), Thèse de doctorat en droit, Bordeaux, Université de
Bordeaux, soutenue le 10 décembre 2018, 481 p.
401 Les spécificités axiologiques du peuple tunisien font l’objet du Titre II de cette partie relatif à une identité
constitutionnelle à la croisée des valeurs universelles et nationales, p. 189.
402 Cf. le 2. du A du Paragraphe 2 de la Section 1 de ce chapitre relatif à l’adaptation de l’Islam à la
conception occidentale de la souveraineté, p. 75.
403 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 145.
99






Page 101
cohérente. »404 Bien que le texte constitutionnel soit clair, les débats constituants et les
travaux préparatoires à la Constitution, ont opposé les membres de la CPPFRC. Les avis au
sein de la CPPFRC étaient partagés entre la valeur politique purement programmatique et la
valeur constitutionnelle du préambule. Ces deux points de vue ont été exposés par deux
juristes : le Doyen Yadh BEN ACHOUR et le Professeur Kaïs SAÏED.
Lors de son exposé, le Doyen Yadh BEN ACHOUR a affirmé que le préambule n’était pas un
catalogue de règles juridiques et ne revêtait aucune valeur juridique obligatoire. A l'inverse, il
l'a décrit comme un ensemble de valeurs, de référents et de principes politiques pour l’Etat et
la société. Selon lui, l’Etat devrait réaliser ces principes en fonction des moyens politiques
dont il dispose. Le préambule lierait donc l’Etat par une obligation de moyen et non une
obligation de résultat. Il distingue d’ailleurs le préambule des principes fondamentaux et juge
que seuls ces derniers ont une valeur juridique. A l’exemple de certaines constitutions
européennes qui ne disposent pas de préambule, il propose de spécifier un chapitre deuxième
pour les principes fondamentaux. Ce chapitre viendrait directement après « la Déclaration
tunisienne des droits et libertés
»405 de ses vœux406.
Avec pédagogie, le Doyen Yadh BEN ACHOUR a relevé qu'une constitution courte,
construite comme un texte de principes et non comme une revue juridique, aurait l'adhésion
de la population, contrairement à un texte constitutionnel long et répétitif, normativement plus
faible et difficile à lire
407. « La simplicité participe de la durée. »408 Il est vrai que
404 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 146. Cette dernière disposition a été introduite par Habib KHEDHER, le rapporteur général de la
Constitution. D’obédience
islamiste, il ne voulait pas que les futurs interprètes de la Constitution fassent
primer l’article 2 qui dispose du caractère « civil » de l’Etat sur l’article 1
er qui précise que l’« Islam est sa
religion
». En insérant l’article 146, les Nahdhaouis s’assuraient du fidèle respect des deux articles par les
différents interprètes de la Constitution. Pour plus de précisions sur l’article 146 de la Constitution cf. le
Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre I de cette partie relatif à
l’immunisation
constitutionnelle du texte contre tout conflit d’interprétation,
p. 153.
405 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mrs. Ahmed BEN SALAH et Yadh BEN
ACHOUR
2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252df (en arabe).
12 mars
24 mars
[consulté
ligne],
2012
[en
406 Certains juristes à l’exemple du Doyen Yadh BEN ACHOUR avaient pensé élaborer une Déclaration
tunisienne des droits et libertés. Ils voulaient l’insérer au sein du texte constitutionnel. A l’instar de la
Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, elle devait être un des textes fondateurs du pacte
social tunisien.
407 Au sein de la Commission du préambule, deux s’avis s’opposent sur la longueur du texte constitutionnel.
Certains proposent de raccourcir les phrases du préambule et de choisir des termes plus significatifs. Ils
affirment qu’il faut éviter la répétition puisque le fait de disposer du même sujet plusieurs fois réduit la
force des mots et ne renforce pas son caractère obligatoire. Un autre avis préconise que plus il y a de mots
et de phrases et plus la disposition a de la valeur et de l’allure. L’exemple du
Coran est alors donné. Si la
»,
le
100




Page 102
« [l]’adhésion des citoyens est tributaire de la simplicité de sa présentation. C’est parce
qu’elle est bien comprise par le peuple à qui elle s’applique, qu’une constitution s’applique
durablement.
»409 La constitution doit être un texte « populaire » facile d’accès. Elle « doit
pouvoir appartenir à tous
»410.
A l'inverse, le Professeur Kaïs SAÏED considère que le préambule doit présenter l’ensemble
des objectifs que le texte constitutionnel veut réaliser. En ayant la même valeur que les autres
dispositions de la Constitution, la juridiction constitutionnelle à venir pourrait juger la plupart
des lois non conformes aux objectifs du préambule. Alors que le Doyen Yadh BEN ACHOUR
précise le contenu des principes fondamentaux, le Professeur Kaïs SAÏED décrit précisément
ce qui selon lui, doit être le contenu du préambule
411. Mohamed GUESMI, l’un des deux
représentants syndicaux auditionnés par la Commission, rejoint le Professeur Kaïs SAÏED en
considérant que le préambule développe un projet collectif qui doit se réaliser. L’Etat n’aurait
donc pas une obligation de moyen mais une obligation de résultat. Il est tenu de réaliser les
objectifs de la révolution fixés par le constituant au sein du préambule.
même phrase se répète plusieurs fois dans la même Sourate, la répétition ne réduit pas la force du texte. Au
contraire, cela signifie que pour comprendre la disposition, on a besoin de répéter le terme plusieurs fois.
Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mrs Ahmed MESTIRI et Moustapha
2018],
[consulté
2012
FILALI »,
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252e6 (en arabe).
408 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 269.
409 Ibid., p. 270. Un collectif à l’initiative de Salsabil KLIBI a même pensé à rédiger la Constitution en dialecte
ligne],
mars
avril
[en
14
le
4
tunisien pour la vulgariser et la rendre encore plus facile d’accès.
410 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 269.
411 Au cours de son audition du 28 mars 2012 par la Commission du préambule, le Professeur Kaïs SAÏED
insiste sur l’obligation de baser le préambule sur deux valeurs essentielles : la liberté (accordée par Dieu) et
la justice (commandée par Dieu). Souvent, l’équilibre entre la justice et la liberté est recherché. Il considère
que la justice est transmise par la dignité et que la dignité se réalise au travers de la liberté. De là, il discute
les points importants que doit contenir le préambule :
Exposer la pensée réformiste tunisienne.
Exposer la libération (la libération de l’occupation et de la tyrannie).
-
-
- Montrer que le préambule est une partie indivisible de la Constitution.
-
Assurer l’attachement de la Tunisie à l’Umma arabe et musulmane et l’attachement aux enseignements de
l’Islam et à ses objectifs (qui sont le respect de soi, de la religion, du patrimoine, de l’honneur et de
l’intégrité). Il ajoute à ces points la liberté et il considère que sa réalisation est un des objectifs de la
charia.
La liberté et la justice réalisent la dignité.
- Assurer la souveraineté du peuple et les principes de l’élection comme expression de la volonté du peuple.
-
Assurer la mise en place d’un régime qui garantisse la séparation entre les pouvoirs et leur équilibre.
-
Assurer le pluralisme politique et l’alternance pacifique au pouvoir.
- Assurer les droits de la femme en considérant que les femmes sont les sœurs des hommes.
Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mr Kaïs SAÏED ainsi que des représentants
de l’
UGTT, Mme Ikbel BEN MOUSSA et Mr Mohamed GUESMI », 28 mars 2012 [en ligne], [consulté le
4 avril 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252f1 (en arabe).
101





Page 103
Au moment de leurs interventions, Ikbel BEN MOUSSA et Mohamed GUESMI ont observé
que la valeur supra-constitutionnelle
412 du préambule pouvait être une source de despotisme,
de totalitarisme. Selon eux, le préambule a la même valeur juridique que les autres
dispositions de la Constitution. L’expérience de la première constituante aurait servi de base
pour les constituants. En effet, le fait de ne pas avoir tranché la valeur normative du
préambule lors de l’élaboration de la première Constitution, a permis aux interprètes du texte
de considérer certaines dispositions comme supra-constitutionnelles. Il en est ainsi du concept
de république.
Par une décision du 25 juillet 1957, l’Assemblée Nationale Constituante a proclamé la
République, mais cette décision n’a pas été intégrée dans le corps même de la Constitution.
Elle figure avant le préambule et après le décret beylical du 29 décembre 1955 qu’elle est
censée annuler. Formellement séparée de la Constitution du 1
er juin 1959, la décision du 25
juillet 1957 « a servi à celle-ci comme source d’inspiration, ce qui pourrait lui conférer un
statut supra-constitutionnel.
»413 La lecture du second alinéa de ladite décision laisse penser
que l’idée républicaine prime sur la Constitution
414. Même s’il semble formellement et
matériellement que la république a une valeur supra-constitutionnelle, les dispositions de la
Constitution la concernant ont été vidées de leur sens par la pratique politique de l’ancien
régime. Seul BOURGUIBA était «
le dépositaire du sens de la république. »415 Pour éviter
l’interprétation politique du texte constitutionnel par les hommes au pouvoir, les deux
représentants syndicaux ont milité en faveur de
la reconnaissance de
la valeur
constitutionnelle du préambule. En plus de vouloir prévenir les dérives de la pratique en
apprenant des erreurs passées, les constituants recourent à l’argument de droit comparé. Mais
alors, quelle fonction aurait cet argument au sein d’un processus constituant typiquement
national ? Le peuple tunisien serait-il un peuple qui importe mais ne crée point ?
412 Lors de leur intervention, les deux experts n’ont pas défini pas ce qu’ils entendaient par valeur supra-
constitutionnelle du préambule. Dans l’objectif de lier les développements relatifs à la supra-
constitutionnalité du préambule de la Constitution en élaboration au raisonnement sur la valeur supra-
constitutionnelle de la république, il est logique de reprendre la définition de Naoufel SAÏED. Ce-dernier
précise que l’idée de supra-constitutionnalité «
consiste à conférer à une norme donnée une valeur
supérieure à celle conférée à la constitution.
» N. SAÏD, « La République dans la Constitution tunisienne »,
in Association Tunisienne de Droit Constitutionnel (dir.), La République, op.cit., p.75. Pour plus de
précisions sur la notion de supra-constitutionnalité cf. S. RIALS, « Supra-constitutionnalité et systématicité
du droit
», in Archives de Philosophie du Droit, Paris, Sirey, 1986, p. 59.
413 N. SAÏD, « La République dans la Constitution tunisienne », précit., p. 78.
414 Pour plus de précisions sur ce point cf. « La proclamation de la République tunisienne (25 juillet 1957) »,
in V. SILVERA, « Du régime beylical à la République tunisienne », Politique étrangère, 22ᵉ année, 1957,
n°5, pp. 608-609.
415 N. SAÏD, « La République dans la Constitution tunisienne », précit., p. 84.
102



Page 104
2. Le recours à l’argument de droit comparé
La « Tunisie a choisi de faire table rase de l’ordre constitutionnel en vigueur depuis le
1
er juin 1959, et de bâtir une nouvelle constitutionnalité à travers l’élection d’une Assemblée
nationale constituante appelée à doter le pays d’une nouvelle constitution.
»416 Dès les
premières réunions, les 217 élus des commissions constituantes se sont accordés sur le choix
de la politique de la page blanche. Aucun texte, qu’il soit constitutionnel ou autre, ne devait
servir de base à l’écriture de la Constitution ; ni le texte constitutionnel du 1
er juin 1959, ni les
autres Constitutions en vigueur dans le monde et encore moins les projets de Constitutions
proposés par les experts nationaux ou internationaux, les associations et organisations de la
société civile. Il fallait élaborer un texte neuf et typiquement tunisien, mais les travaux
préparatoires prouvent le recours par les constituants et les experts constitutionnels
auditionnés, au droit étranger
417. Ainsi, comment le constituant peut-il avoir recours à la
comparaison constitutionnelle alors même que la constitution est considérée comme « une
autobiographie nationale
»418 ?
Lors des auditions, le Doyen Yadh BEN ACHOUR a relevé la valeur normative et
constitutionnelle du préambule en exposant la valeur obligatoire de la plupart des
constitutions dans le monde. Le recours à la comparaison constitutionnelle sert la
démonstration du Doyen. Aucun article de la Constitution du 1
er juin 1959 ne disposait de la
valeur du préambule. Or, « “le silence de la tradition nationalepeut conduire à chercher
ailleurs l’inspiration
. »419 S’il est employé pour combler le vide constitutionnel national,
l’argument de droit comparé contribue, dans un premier temps, à informer les constituants. Il
vise en effet à ouvrir «
les yeux et les esprits »420 et à « mettre les institutions nationales en
situation et en perspective.
»421 Le Doyen Yadh BEN ACHOUR expose les règles étrangères
sur la valeur normative des préambules pour exhorter dans un deuxième temps, les
416 R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité
constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », précit., pp. 716-717.
417 Le droit étranger constitue un préalable nécéssaire au droit comparé. Le spécialiste d’un droit étranger étudie
en pronfondeur un droit qui n’est pas le tien pour transmettre un savoir juridique particulier. Le
comparatiste ne cherche pas uniquement à étudier l’autre droit. En confrontant ses connaissances nationales
et son raisonnement juridique à ceux d’un juriste d’un autre droit, il retranscrit une manière différente de
penser le droit. Pour une étude détaillée des distinctions à effectuer entre le droit étranger et le droit
comparé voir M.-C. PONTHOREAU, « Droits étrangers et droit comparé : des champs scientifiques
autonomes ? », précit., pp. 299-315.
418 W. HOFFMAN-RIEM, “Constitutional Court Judges’ Roundtable”, précit., p. 558.
419 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 153.
420 E. ZOLLER, « Qu’est-ce que faire du droit constitutionnel comparé ? », précit., p.123.
421 Ibid.
103




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constituants à ne pas les suivre. Il prend le contrepied de l’argument avancé pour opposer la
constitution nationale aux constitutions étrangères. « Connaître les systèmes étrangers, c’est
avoir des points de repères pour mieux comprendre le sien. Ceci implique, d’une part, de bien
connaître la règle ou l’institution étrangère, et d’autre part, de la rapporter utilement à la
règle ou à l’institution nationale soit pour dresser une opposition, soit pour souligner une
similitude.
»422 L’argument de droit comparé est un repoussoir : les constituants ne doivent
pas suivre les solutions adoptées par les droits constitutionnels étrangers. Ils ne doivent pas
reconnaître de valeur juridique au préambule. Le Doyen juge d’ailleurs que le fait de regarder
les autres constitutions pour élaborer la tunisienne est une erreur. Il conforte ainsi le
constituant dans sa volonté de faire table rase du passé et d’élaborer un texte qui soit
typiquement "tuniso-tunisien". Mais est-ce vraiment possible ?
A la question posée et qui visait à savoir si les cadres du droit constitutionnel occidental se
modifient au contact de cultures ou de traditions autres, le Professeur Guy CARCASSONNE
répond : « À des interlocuteurs qui réclament, par exemple, une constitution spécifiquement
afghane, je réponds qu’une constitution, c’est comme un autobus. Il doit vous emmener là où
vous voulez aller. Ce n’est pas l’autobus qui fixe votre destination, mais c’est lui qui doit
pouvoir vous emmener où vous voulez. Pour cela, il faut qu’il y ait un moteur, il faut qu’il y
ait un accélérateur, il faut qu’il y ait un frein. Il faut qu’il y ait tout un tas de choses qui sont
indispensables car si vous ne les avez pas, même si vous avez le meilleur conducteur du
monde, vous irez dans le fossé. Or il y a une manière afghane de conduire les voitures, mais il
n’y a pas de voitures afghanes. L’automobile constitutionnelle est le fruit d’une histoire
universelle. Il existe quelques grands modèles de base, qui sont à peu près connus. On peut y
ajouter des couchettes, six sièges, des petites fleurs autour, mais ça ne permet pas de faire
l’économie d’un moteur, d’un accélérateur, d’un frein et d’un volant. C’est aussi bête que ça,
mais je crois que c’est profondément vrai.
»423 Est-ce alors possible d’élaborer un texte
typiquement "tuniso-tunisien" ? Ne s’agit-il pas d’un leurre idéologique ?
Les définitions formelle et matérielle communément admises de la constitution amènent à
penser qu’une constitution doit contenir un certain nombre de caractéristiques universellement
422 Ibid., p. 122.
423 G. CARCASSONNE, « Militant de la démocratie », in Critique internationale, 2004, n°24, pp. 183-184.
104




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reconnues424. Bien que la constitution contienne les valeurs identitaires propres à un peuple
particulier, l’organisation des pouvoirs publics et les droits et libertés fondamentaux qu’elle
consacre sont partagés par la plupart des pays du monde. Autrement dit, seule l’application de
la constitution peut être spécifiquement nationale
425.
De son côté, le Professeur Kaïs SAÏED se réfère également à l’argument de droit comparé
pour développer l'idée de la reconnaissance de la valeur juridique du préambule. Il affirme
que les préambules peuvent contenir des règles juridiques à l’exemple de la Constitution du
Sénégal qui rappelle la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen française. Le
Professeur SAÏED compare la Constitution nationale à la Constitution sénégalaise et essaie
d’évaluer la première par rapport à la seconde. Pour étayer son argumentation en faveur de la
reconnaissance de la valeur juridique du préambule, il utilise l’exemple sénégalais comme un
modèle à suivre. Bien que le modèle de référence ne soit pas directement français, le
Professeur SAÏED «
espère tirer profit du mimétisme institutionnel »426 en amenant le
constituant à suivre l’exemple du préambule sénégalais. En effet, en imaginant une
Constitution d’Afrique francophone, le Professeur SAÏED propose une valeur au préambule
dans le droit africain de tradition juridique française. Le recours au droit comparé est avant
tout stratégique ici puisqu’en plus de rechercher «
un gain en crédibilité internationale »427, il
sert à «
attirer les investisseurs étrangers. »428
424 Les bases de la constitution formelle ont été posées par R. CARRE DE MALBERG dans sa Contribution à
la théorie générale de l’Etat.
Selon lui, une constitution est un document écrit voté par le pouvoir
constituant originaire situé au sommet de la hiérarchie des normes et qui prévoit des dispositions
particulières en cas de révision du texte par le pouvoir constitué. La constitution matérielle consisterait
quant à elle en des règles écrites ou non relatives à l’organisation des pouvoirs publics, à leur
fonctionnement, aux rapports mutuels entre ses organes, et dans certains systèmes juridiques des règles
écrites ou non relatives à la détermination de la garantie des droits et des libertés. Pour de plus amples
définitions de la constitution voir. J. GICQUEL et J.-E. GICQUEL (dir.),
Droit constitutionnel et
institutions politiques,
Paris, LGDJ, 2013, 27ème édition, pp. 191-217.
425 Pour plus de précisions sur ce point voir R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Aspects
généraux du nouveau constitutionnalisme
(dir.),
Le
constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui : entre renouveau juridique et essor démocratique ?,
Paris, Kimé, 2015, pp. 31-32.
in C.-M. HERRERA
latino-américain »,
426 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 154.
427 Ibid.
428 Ibid. Ce point là sera nettement développé dans la partie relative à l’insertion au sein du préambule de la
cause palestinienne. Voir plus particulièrement le B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre
II de cette partie, relatif à
la défense des peuples opprimés en particulier, le mouvement de libération de la
Palestine,
p. 201.
105





Page 107
Tous deux à leur façon, tiennent à rappeler lors de l’étude des principaux axes du
préambule
429, que le peuple tunisien est un peuple qui crée, conçoit, invente et qu’il ne se
suffit pas de consommations passives d’éléments étrangers importés. Mais les arguments de
droit comparé employés par les deux experts n’ont pas été suivis puisque les constituants ont
inséré les articles 145 et 146 au sein de la nouvelle Constitution. Ces derniers disposent
clairement de la valeur constitutionnelle du préambule
430. Au lieu d’emprunter aux
constitutions étrangères, les constituants pensent la Constitution tunisienne et son préambule
comme un modèle à exporter.
3. Un préambule pensé comme un modèle
Le 6 mars 2012431, lors de l’étude des principaux axes du préambule, les membres de la
Commission se sont opposés sur sa possible exportation. Il est intéressant de noter que dès le
début des travaux constituants et avant même l’élaboration d’un projet de préambule, les
constituants ont pensé à l’exportation de leur Constitution. Initiateurs des révolutions du
Printemps arabe, les Tunisiens ont été les premiers à réclamer aux gouvernants, la dignité, la
liberté, l’égalité et la justice sociale. La vague révolutionnaire qui a déferlé sur les pays arabo-
musulmans, a entraîné l’embrasement des régimes autoritaires environnants
432.
Depuis le XIXème siècle, la Tunisie a pris l’habitude d’être un exemple régional de réformes
juridiques. Elle est aussi un modèle de promotion des droits de la femme dans le monde arabe
et ce, depuis l’adoption du
Code de Statut Personnel le 13 août 1956433. Qu’elles soient
429 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Etude des principaux axes du préambule », 3 avril 2012
[en ligne], [consulté le 10 mars 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252f6 (en
arabe).
430 La Constitution tunisienne actuelle ne fait ni référence à la Déclaration française des droits de l’Homme et
du citoyen ni à la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH). Cette dernière déclaration a
pourtant servi de texte de référence lors de l’élaboration de la nouvelle Constitution. Pour plus de
précisions sur ce point cf. le A. du Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre II de cette partie,
p. 289.
431 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Etude des principaux axes du préambule », 6 mars 2012
[en ligne]
, [consulté le 10 mars 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252d7 (en
arabe).
432 Au point de dire que « lorsqu’un Etat arabe se rase le voisin doit mouiller sa barbe ! », A. AZZOUZI et A.
CABANIS (dir.),
Le néo-constitutionnalisme marocain à l’épreuve du printemps arabe, Paris, l’Harmattan,
2011, p. 69.
433 La Tunisie est l’un des premiers pays arabes à avoir adopté en 1857, une Déclaration des droits et libertés
dénommée
Pacte fondamental et une Constitution en 1861. Ces deux textes révolutionnaires à l’époque de
106






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imposées par le haut et notamment par les dirigeants comme Ahmed Bey et Habib
BOURGUIBA ou initiées par le peuple, les avancées juridiques de la Tunisie ont servi
d’exemple aux autres Etats arabes et musulmans de la région. Il semble alors logique que
certains constituants aient pensé ériger la Constitution en modèle et voulu la diffuser dans les
pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient qui connaissaient des soulèvements populaires.
Le préambule résumerait l’esprit de la Constitution « [qui] fixe le sens de la norme
constitutionnelle. […] Il exprime à la fois son principe et sa finalité, il oriente, en un mot, la
constitution.
»434 Comment diffuser, exporter l’esprit d’une Constitution s’il incarne l’âme
d’un peuple spécifique ? Les défenseurs de l’exportation étaient eux-mêmes divisés. Une
partie proposait d’exporter la Constitution par un slogan ou une phrase symbolisant la
personnalité du citoyen tunisien et déterminant l’origine de l’homme. Une autre partie
préférait choisir un verset coranique évoquant la dignité humaine. Qu’ils soient du premier
avis ou du second, les défenseurs de l’exportation n’envisageaient la dignité humaine qu'à
travers l’Islam et ses fondements. L’esprit de la Constitution tunisienne n’était alors
exportable qu’aux peuples arabes qui plus est musulmans, qui connaissaient des
bouleversements d’ordre constitutionnel.
Aux défenseurs de l’exportation s’opposaient ceux qui considéraient que la Constitution
n’était pas exportable, par nature, alors qu'ils étaient justement ceux qui proposaient
l’insertion d’un
verset coranique épigraphe à l’exemple de la basmala435. Comment exporter
un préambule précédé d’un verset du Coran ? Serait-il adapté/adaptable à toutes les sociétés
arabes et/ou musulmanes ? « Le contenu et les fonctions spécifiques des préambules –
intégration des citoyens et des groupes c’est-à-dire du peuple pluraliste dans la Constitution,
traitement de l’histoire, présentation d’un concentré du texte qui va suivre – exigent une
langue propre avec des
timbresspécifiques. »436 La basmala est l’un des timbres qui
caractérisent la Constitution et le peuple tunisien. Certes elle est connue et commune aux
peuples musulmans mais, toutes les constitutions arabes n’en disposent pas.
l’Empire ottoman ont été suivis, au moment de l’indépendance de la Tunisie par l’adoption du Code du
Statut Personnel
en 1956. Ce Code consacre un certain nombre d’avancées des droits de la femme dans le
monde arabe.
434 S. PIERRE-CAPS, « L’esprit des Constitutions », in Mélanges en l’honneur de Pierre Pactet ; L’esprit des
institutions, l’équilibre des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2003, pp. 376-377.
435 De l’arabe ( ِمْي ِح َّرلا ِن ٰم ْح َّرلا ِالله ِمْسِب), Bismi-llah r-Rahman r-Rahim (c’est nous qui traduisons). La basmala
(ةلمسب) est un mot qui fait référence à la formule coranique «
Au nom de Dieu clément et miséricordieux »
utilisée en entête aux
Sourates du Coran à l’exception de la Sourate 9, At-Tawba.
436 P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, op.cit., p. 74.
107




Page 109
A l’instar de la constitution, le préambule est un vêtement, un gant qui ne s’adapte qu’à la
main qui l’a écrite. Selon Franc DE PAUL TETANG, le préambule contiendrait « les
principes structurants de l’ordre constitutionnel que la doctrine qualifie en termes plus
contemporains d’identité constitutionnelle.
»437 Même si les Etats au Sud et à l’Est du bassin
méditerranéen partagent un certain nombre de traits identitaires avec la Tunisie, ils ont des
caractéristiques différentes. Il semble impossible d’exporter le préambule constitutionnel
précédé de la basmala en Syrie par exemple, même si l’Islam est la religion de la plupart des
communautés religieuses. A l’opposé de la Syrie, le Maroc est historiquement et
sociologiquement attaché à l’Islam mais le constituant ne met pas en premier lieu l’identité
religieuse du peuple. Il s’ouvre aux minorités et aux identités infranationales qui le
composent. La basmala n’est nulle part évoquée dans le texte constitutionnel alors même que
la monarchie marocaine fait du Roi le Commandeur des croyants.
Une fois le préambule élaboré, les débats sur l’exportation ont finalement été abandonnés, la
CPPFRC ayant décidé de remettre cette question à plus tard. Il est tout de même important de
noter qu'en mentionnant la cause palestinienne au sein du préambule constitutionnel, les
constituants pensent le préambule comme un modèle régional à suivre
438. Vécue comme une
tragédie par les Etats arabes, la cause palestinienne permet de rassembler la majorité des
Arabes du monde. Penser à l’insérer dans le préambule ferait de la Constitution tunisienne un
modèle à suivre. C’est en tout cas ce que croyait une partie des constituants à l’ANC.
B.
L’attachement du peuple aux « enseignements de l’Islam »
Même en ayant perdu la bataille de l’article 1er de la Constitution, Ennahdha a réussi à
inscrire en tête du troisième paragraphe du préambule des trois premiers projets de
Constitution
439 l’attachement du peuple tunisien aux « constantes de l’Islam ». Quelles sont
ces constantes ? A quoi renvoient-elles ? Mais surtout, comment sont-elles interprétées par le
constituant tunisien ? L’indétermination du sens des « constantes de l’Islam » a poussé
l’opposition séculariste à l’ANC, a milité en faveur de la suppression de cette référence du
437 F. DE PAUL TETANG, « La normativité des préambules des Constitutions des Etats africains », Revue
française de droit constitutionnel, 2015, 104, p. 964.
438 Sur l’attachement du constituant aux mouvements de libération nationale et plus spécifiquement à la cause
palestinienne cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre II de cette partie relatif à
la
défense des peuples opprimés en particulier, le mouvement de libération de la Palestine
, p. 201201.
439 Cf. Note de bas de page 327.
108






Page 110
préambule (1). Grâce à l’intervention de la Commission des consensus, les constituants ont
remplacé, dans la quatrième version de la Constitution du 1
er juin 2013, « les constantes de
l’Islam » par « les enseignements de l’Islam » (2).
1. L’indétermination du sens des « constantes de l’Islam »
Il a précédemment été affirmé que le souci majeur des islamistes à l’ANC était d’intégrer « le
maximum de références à la charia, faute de mieux à l’Islam, faute de mieux à l’identité
arabo-musulmane.
»440 Voulant fonder l’édifice constitutionnel sur l’Islam, les Nahdhaouis
ont milité pour que l’attachement du peuple aux « constantes de l’Islam » soit écrit dans le
marbre. Bien que les membres de la Commission du préambule aient été unanimes sur le
référent islamique à insérer, tous n’en avaient pas la même conception. Les discussions entre
théocrates et démocrates ont conduit à la conservation de l’article 1
er de la Constitution du 1er
juin 1959, mais selon Ennahdha fonder
l’édifice constitutionnel sur
l’Islam était
incontournable. Les « constantes de l’Islam » permettaient ainsi aux islamistes de la CPPFRC
de se référer aux principes intangibles de la religion qu’est l’Islam.
Généralement définies comme ce qui relève de la « fermeté d’âme » et qui « persiste dans
l’état où il se trouve
»441, les constantes renvoient aux dogmes442 et aux vérités incontestables
de la religion musulmane. Quels sont ces dogmes ? Le Professeur Salwa HAMROUNI répond
clairement que personne n’en «
connaît la teneur »443. Juxtaposés aux « valeurs humaines »,
elles sont le témoin de la «
frilosité excessive de tout ce qui est humain »444 et de la préférence
évidente du constituant pour «
ce qui est censé être divin »445. Les différentes versions du
préambule sont évidemment à l’image de la composition de la Commission en charge de son
élaboration. Quand les islamistes citent les « constantes de l’Islam » au sein du préambule
constitutionnel, ils veulent reconnaître la valeur performative de l’énoncé.
440 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 386.
441 Constante, Le Petit Robert ; Dictionnaire de la langue française, op.cit., p. 374.
442 C. YARED, « “Un Etat civil, pour un peuple musulman ou le nouveau pari constitutionnel de la Tunisie »,
précit., p. 148.
443 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 386.
444 Ibid.
445 Ibid.
109







Page 111
Considérée comme le « domaine de l’activité du langage marqué de l’autorité et de
l’impérativité
»446, la valeur performative des « constantes de l’Islam » est certaine. « Elle
n’en possède certainement pas la couleur, mais elle a en l’odeur.
»447 L’énoncé en lui-même
constitue l’acte auquel il se réfère
448. Autrement dit, si rien n’indique formellement que les
« constantes » sont dotées d’une valeur normative, ces normes
juridiques sont
fondamentalement impératives. Renvoyant aux invariants de la religion, elles témoignent de
la volonté des Nahdhaouis de faire de l’Islam, le fondement de la Constitution et de la charia,
la source de la législation. Elles prescrivent justement une certaine manière de se comporter,
conforme à la religion et/ou interdisent toute incompatibilité avec la philosophie politique et
religieuse.
Certes l’Islam est la religion officielle, celle de la presque totalité des Tunisiens mais les
communautés juive et chrétienne, bien que largement minoritaires, ont une importance
historique dans la spiritualité du pays. Comment réagiront-elles à l'insertion de préceptes
religieux autres que les leurs dans la Constitution même de leur pays ? Quelle place la
Constitution accordera-t-elle aux berbères ou encore mieux, aux personnes non croyantes ? A
vrai dire, aucune
449. C’est la raison pour laquelle l’opposition séculariste à l’ANC, a milité en
faveur de la suppression de la référence aux « constantes de l’Islam ». Grâce à l’intervention
de la Commission des consensus
450, « les constantes de l’Islam » de la Constitution du 1er juin
2013, ont été remplacées par «
les enseignements de l’Islam »451. Ces modifications n'ont
cependant été inscrites que dans la version finale de la Constitution du 27 janvier 2014. Ce
n'est donc pas la religion en tant que normes dogmatiques et contraignantes qui se trouve au
fondement du système juridique tunisien, mais la somme de principes et valeurs inspirés de
l’Islam
452.
446 F. DE PAUL TETANG, « La normativité des préambules des Constitutions des Etats africains », précit.,
p. 958.
447 Ibid., p. 961.
448 Performatif, Le Petit Robert ; Dictionnaire de la langue française, op.cit., p. 1402.
449 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., pp. 381-389.
450 Pour plus de précisions sur le rôle de la Commission des consensus dans l’élaboration de la Constitution du
27 janvier 2014, cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 2 de ce titre relatif à
la politique
compromissoire de la Commission des consensus,
p. 127.
451 Expression définie dans le 2. qui suit. Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission
du préambule, des principes fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Rapport complémentaire n°3
portant avis de la Commission concernant le projet final de la Constitution révisée par le Comité mixte de
le 11 avril 2018],
coordination et de
https://majles.marsad.tn/fr/docs/51c01b337ea2c413d844a8e9 (en arabe).
rédaction », 5
juin 2013
[consulté
ligne],
[en
452 C. YARED, « “Un Etat civil, pour un peuple musulman ou le nouveau pari constitutionnel de la Tunisie »,
précit., p. 148.
110



Page 112
Etant une Constitution de compromis453, la pression des démocrates à l’ANC a poussé les
constituants à s’accorder sur les termes employés, pour témoigner d'un attachement aux
valeurs et principes islamiques qui ne soient pas dogmatiques.
2. La préférence pour les « enseignements de l’Islam »
Les députés modernistes de l’ANC et les experts en droit public se sont insurgés contre le
caractère islamiste de l’avant-projet final de Constitution. Ils contestaient le texte du 1
er juin
2013, la majorité constituante et ses deux alliés politiques. Ce mécontentement a été soutenu
par le désaveu subi par le Comité mixte de coordination et de rédaction de la Constitution.
« En effet, le Comité mixte de coordination et de rédaction de la Constitution, qui était chargé
de coordonner l’avancée des différents chapitres avait outrepassé son mandat en s’autorisant
introduire des modifications
à
importantes dans
les commissions
constitutionnelles lui avaient soumis.
»454 En guise de protestation, le Professeur de droit
les projets que
constitutionnel et d’institutions politiques Fadhel MOUSSA, également membre du groupe
parlementaire le Bloc Démocrates s’était retiré du Comité. Afin de dépasser le conflit, une
commission ad hoc a été nommée : la Commission des consensus est créée, présidée par
Mustapha BEN JAAFAR.
La Commission des consensus avait pour objectif principal, de trouver des solutions
recueillant l'adhésion des théocrates et des démocrates. Réunissant 16 membres et non de 22,
elle représente chaque parti en ayant un nombre équivalent de députés. Non prévue par le
règlement intérieur de l’ANC, elle n’était pas composée à la proportionnelle
455. Mais alors
« que plusieurs points de désaccord étaient dissipés grâce aux accords trouvés au sein de la
commission des consensus à partir du 24 juillet 2013, le Député Mohamed Brahmi
(Coordinateur général du Mouvement populaire) est assassiné devant son domicile, le 25
453 Pour mieux comprendre ce à quoi renvoie l’expression « Constitution de compromis » cf. le Chapitre 2 qui
suit.
454 R. MAHJOUB, « De la fracture au consensus rôle et apport de la Commission des consensus », in M.
MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.)
Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., p. 297.
455 Les principales commissions au sein de l’ANC sont au nombre de six. Cf. Note de bas de page 314. Elles
sont composées de 22 membres chacune et les partis politiques composant l’ANC y sont représentés à la
proportionnelle.
111






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juillet 2013. »456 L’assassinat d’un deuxième homme politique457 conduit plusieurs membres à
démissionner. Alors que pour certains, il faut abandonner le processus constituant, pour
d’autres, il est nécessaire de suspendre pour un temps, les travaux de l’ANC
458.
Parallèlement, la société civile manifeste en Tunisie et en Egypte pour contester les violences
et attentats terroristes que subissent les deux pays. Le caractère islamiste des Constitutions et
l’islamisation rampante du pouvoir sont pour elle responsables de la situation. Soucieux de
rester au pouvoir et de conserver leur légitimité électorale, les Nahdhaouis changent de
stratégie politique. La troïka dirigée par les islamistes, est alors obligée de « renoncer à ses
ambitions de dominer les rouages de l’Etat, mais aussi à accepter une Constitution issue
d’une concertation et abandonner son ambition d’islamisation de la société tunisienne.
»459
Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que le parti islamiste adopte une approche
compromissoire de la Constitution. Seulement, selon Ali MEZGHANI, il est évident que :
« Tous les compromis ont été faits entre les états-majors des partis politiques, sur la base “je
te donne tel mot, tu me donnes tel autre mot”.
»460
Ce n’est qu’après le projet final de Constitution du 1er juin 2013 que les islamistes acceptent
de remplacer les « constantes » par les « enseignements de l’Islam ». Contrairement aux
« constantes », les « enseignements » sont des « précepte[s] qui enseigneme[nt] une manière
d’agir, de penser.
»461 Aux fondements du système juridique tunisien, se trouvent maintenant
des principes et des valeurs inspirés de l’Islam. Ces derniers aident ou guident les Tunisiens
dans leurs actions et leurs pensées, sans les diriger. Il faut d’ailleurs rappeler que ces
456 O. PIERRE-LOUVEAUX, « L’Assemblée, au cœur », in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P.
KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie.
Processus, principes et perspectives, op.cit.,
p. 306.
457 Chokri BELAÏD est assassiné le 6 février 2013 par des membres présumés d’Ansar Al-Charia. Chokri
BELAÏD et Mohammed BRAHMI sont deux membres du Front Populaire, coalition politique anti-
nahdhaoui. Le 29 juillet 2013, dans le mont Chaâmbi, huit militaires tunisiens tombent dans une
embuscade organisée par des groupuscules armés et terroristes. Tous ces évènements sont à l’origine d’une
grave crise politique. Pour plus de précisions sur ce point cf. L. CHOUIKHA et E. GOBE (dir.),
Histoire de
la Tunisie depuis l’indépendance, op.cit.,
p. 95.
458 H. ABASSI, « Le rôle national de l’Union Générale Tunisienne du Travail », in M. MARTINEZ
SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., p. 293.
459 M. EL HAMDI, « Apaisement des tensions entre les différents groupes et reprise des activités de
l’Assemblée constituante. L’expérience de la transition en Tunisie : entre conflit et concorde »,
in M.
MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.)
Rapport du PNUD, La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., p. 293.
460 A. MEZGHANI, « Une Constitution minée et régressive par rapport à celle de 1959 », La Presse de Tunisie
2018],
[en
vendredi
http://www.lapresse.tn/component/nationals/?task=article&id=77611.
24 mars
[consulté
janvier
ligne],
publié
2014,
17
le
le
461 Enseignement, Le Petit Robert ; Dictionnaire de la langue française, op.cit., p. 651.
112




Page 114
« enseignements » sont suivis des « finalités [de l’Islam] caractérisées par l’ouverture et la
modération
»462. Il est intéressant de noter que le constituant exhorte les citoyens à être
tolérants à l’égard des Tunisiens d’une religion différente. Est-ce pour autant que les religions
judaïque, chrétienne, bouddhiste ou autre sont prises en compte et respectées par le droit
tunisien ? L’interprétation à venir des dispositions de la Constitution conduit à penser qu’elles
ne sont que
tolérées463.
462 C’est nous qui traduisons du rapport complémentaire n°3 précité.
463 Pour plus de précisions sur ce point et sur la distinction faite entre le respect et la tolérance à l’égard des
autres cultes et/ou religions cf. le 2 du B. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre I de cette
partie relatif à
la difficile conciliation du rôle de l’Etat en tant que protecteur de la religion et du sacré et
garant de la liberté de conscience,
p. 149.
113


























Page 115
114



Page 116
CONCLUSION
Au sein de l’Assemblée de toute évidence, les théocrates se servent des principes de la
démocratie comme moyens d’accession au pouvoir, tandis que les démocrates en se pliant au
principe majoritaire, acceptent les impératifs de la cohabitation et renoncent en partie, aux
valeurs démocratiques qui sont les siennes. Si cet état de chose peut paraître contestable, il
permet aux théocrates de reconnaître les instruments de la démocratie et fait d’eux des
interlocuteurs privilégiés. Le but ultime visé par les deux parties est d’aboutir à un climat de
paix sociale, tant au sein de l’Assemblée qu’à l’extérieur de l’enceinte du Palais du Bardo.
La Constitution du 27 janvier 2014 est ainsi, le reflet de la composition hétérogène des
membres de l’ANC, puisqu’elle est bien plus le fruit d’un compromis que d’un consensus
politico-constitutionnel. Ce compromis est d’ailleurs qualifié de «
dilatoire »464 par le Doyen
Yadh BEN ACHOUR.
464 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 202.
115























Page 117
116



Page 118
Chapitre 2 La naissance du « compromis dilatoire » entre théocrates et démocrates
La Constitution que l’ANC avait la charge de rédiger, devait refléter les aspirations de tous les
Tunisiens. En accédant au pouvoir, le parti Ennahdha avait embrassé un des mécanismes de la
démocratie : reconnaître publiquement le principe majoritaire. L’article 3 de la loi
constituante n° 6 du 16 décembre 2011 disposait que le projet de Constitution devait dans un
premier temps, être adopté article par article, à la majorité absolue des membres de l’ANC. Le
texte ainsi voté, devait ensuite être adopté dans son ensemble, par la majorité des deux tiers
des députés. Mais, en dépit de la volonté de collaborer pour rédiger une constitution dans les
plus brefs délais, la période d’une année initialement fixée par le décret n° 1086 du 3 août
2011 pour l’élaboration de la Constitution, arrivait à son terme. Compris comme un accord de
principe sur le fond, le consensus entre théocrates et démocrates devenait « une nécessité pour
garantir le vote
»465 du texte constitutionnel.
Afin de sortir la Tunisie de l’impasse politique dans laquelle elle se trouvait, l’UGTT a eu
l’initiative d’un
Dialogue national466. Ce dernier avait pour but de réaménager le principe
majoritaire, en établissant un véritable dialogue entre les acteurs politiques. Cet échange
devait mener à un consensus sur la gestion de la période transitoire. Cependant, attachés à leur
légitimité électorale, les Nahdhaouis se sont – dans un premier temps – opposés à l’initiative
de l’UGTT. Le compromis institutionnel entre les partisans de la troïka s’épuisait pourtant et
retardait l’avènement des compromis constitutionnels. L’ANC était traversée par des
divergences sur les valeurs à inscrire au sein du texte constitutionnel et sur les moyens de
procéder pour élaborer la Constitution.
A la crise de légitimité de l’ANC, s'ajoutait le contexte national467 et régional468 qui allait
pousser les islamistes à écouter les revendications de l’opposition et de la société civile. A
partir de 2013, le compromis allait prendre le pas sur le consensus. Or, le compromis
465 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 221.
466 Cf. Annexe 2 – Chronologie de la transition tunisienne, Initiative du « Dialogue national ».
467 Les multiples actes de terrorisme qui ont secoué la Tunisie à partir de 2013, font l’objet des
développements suivant.
468 La révolution tunisienne a entraîné avec elle la remise en cause des régimes autoritaires en Afrique du Nord
et au Proche-Orient. A partir de décembre 2010, il y a eu une série de soulèvements populaires et de
contestations des régimes autoritaires en place en Egypte, au Yémen et en Libye.
117







Page 119
« constitue rarement le signe de la synthèse ou de l’harmonie. »469 Visant essentiellement à
«
éviter les confrontations et les crises »470, « [i]l crée, par conséquent, des situations
d’attente dont chaque acteur espère une issue favorable.
»471
Alors même que les Tunisiens espéraient un accord entre les députés sur le signifiant et le
signifié des articles rédigés, l’écriture du texte constitutionnel n’a permis qu’un accord sur le
signifiant employé. Si les constituants ont simultanément constitutionnalisé deux conceptions
de l’Etat (Section 1), ils ont laissé la détermination du signifié aux acteurs politiques et
interprètes institutionnels du texte constitutionnel (Section 2). La Constitution du 27 janvier
2014 n’est par conséquent, qu’un ensemble de potentialités sur la nature de l’Etat
472 : elle
consacre deux positions antagonistes extrêmes et crée, de ce fait, une situation d’attente qui ne
sera résolue que par
texte
constitutionnel
473. C’est en ce sens que le Doyen Yadh BEN ACHOUR emploie le mot
la pratique politique ou
l’interprétation
juridique du
« dilatoire » pour qualifier le compromis. Reprenant l’expression de Carl SCHMITT, il insiste
sur le fait que les constituants ont eu «
recours à une solution qui n’en est pas une. »474 Les
développements qui suivent livrent une analyse critique de la solution ainsi adoptée.
469 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 240.
470 Ibid.
471 Ibid.
472 S. BELAÏD, « Un Etat dans la société. L’identité de l’Etat tunisien dans la Constitution », in M. MARTINEZ
SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., pp. 398-399.
473 C. YARED, « “Un Etat civil, pour un peuple musulman ou le nouveau pari constitutionnel de la Tunisie »,
précit., p. 151.
474 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 202.
118







Page 120
Section 1
La constitutionnalisation simultanée de deux conceptions de l’Etat
Les constituants devaient s’accorder sur le fond pour pouvoir établir une constitution
consensuelle, mais la cohabitation forcée entre théocrates et démocrates ne leur a pas permis
d’harmoniser leurs points de vue idéologiques. « Toute la stratégie idéologique des acteurs
consist[ait], pour les islamistes, à montrer ou à convaincre de ce que l’autre, le moderniste,
est contraire à l’Islam et pour les modernistes à montrer ou à convaincre de ce que
l’islamiste est contraire aux droits de l’Homme.
»475 Alors, comment faire respecter le
principe majoritaire et appliquer convenablement l’article 3 de la loi constituante n° 6 du 16
décembre 2011
476 ? A la veille du 23 octobre 2012, l'affaiblissement de la légitimité électorale
des islamistes et la fin de l'année initialement fixée par le décret n° 1086 du 3 août 2011
477,
pour élaborer la Constitution, allaient conduire les députés de l’ANC à préférer le tawâfuq ou
choix du compromis par consensus au principe majoritaire (Paragraphe 1). Ce choix ne
permettait pourtant qu’un accord de principe, sur les signifiants des articles non révisables de
la Constitution (
Paragraphe 2). Le contrat social qui résulte du « mariage contre nature »478
des théocrates et des démocrates est nécessairement à son image, ambiguë et contradictoire.
Paragraphe 1
Le tawâfuq
Le tawâfuq « constitue une figure du compromis par consensus. Il consiste soit à renoncer à
des procédures majoritaires formelles de prise de décision, au profit d’une procédure
informelle par tacite acceptation, soit à faciliter le recours au vote majoritaire formel, par
suite de l’établissement préalable du consensus sur les questions de fond. »479 Dans le
contexte d’élaboration de la Constitution, c’est la première proposition qui a été suivie. En
475 S. LAGHMANI, « Islam et droits de l’Homme », in G. CONAC et A. AMOR (dir.), Islam et droits de
l'Homme, op.cit., p. 42.
476 Loi constituante n° 6 du 16 décembre 2011 relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics,
également appelée « Petite constitution ». JORT, n° 97 des 20 et 23 décembre 2011, p. 3111.
477 Décret n° 1086 du 3 août 2011 relatif à la convocation des électeurs pour élire les membres de l’ANC.
JORT, n° 59 du 9 août 2011, p. 1432.
478 N. RJIBA (Om Zied), in H. NAFTI, Tunisie, dessine-moi une révolution. Témoignages sur la transition
démocratique (2011-2014), op.cit., p. 44.
479 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., pp. 219-220.
119








Page 121
effet, la légitimité électorale des membres de l’ANC a été réaménagée en dehors de l’enceinte
du Palais du Bardo, en vue de limiter l’excès de pouvoir majoritaire (A). Initié par l’UGTT le
16 octobre 2012, le Dialogue national a permis la création au sein de l’ANC, d’une
commission constitutionnelle ad hoc, la Commission des consensus, dont la politique
compromissoire, sortira l’ANC de l’impasse politico-juridique dans laquelle elle se
trouvait (B).
A.
Le réaménagement de la légitimité électorale pour limiter l’excès de pouvoir
majoritaire
Le vote du texte constitutionnel cristallisait les oppositions entre majorité et opposition à
l’ANC. L’article 3 de la loi constituante n° 6 du 16 décembre 2011 supposait un consensus
assez large pour l’adoption de la Constitution. Or, le délai d’une année initialement prévu
pour l’adoption de la Constitution arrivait à échéance sans que les députés ne se soient
accordés sur le fond des articles de la Constitution. La crise de légitimité de l’ANC et la
contestation du principe majoritaire (1), allaient se résoudre par la mise en œuvre du Dialogue
national à l’initiative de l’UGTT (2). Cette initiative allait d’ailleurs permettre d’amorcer la
sortie de l’impasse politique dans laquelle se trouvait la Tunisie.
1. La crise de légitimité de l’ANC et la contestation du principe majoritaire
Il a été dit précédemment qu’en accédant au pouvoir, le parti Ennahdha acceptait le principe
majoritaire et utilisait ainsi l’une des procédures de la démocratie. Ceci avait d’ailleurs permis
de qualifier la démocratie naissante en Tunisie de démocratie procédurale. Néanmoins, si le
principe majoritaire devait permettre la cohabitation entre théocrates et démocrates, il a été
l’une des causes de dissensions entre majorité et opposition à l’ANC.
Afin de cerner les tenants et aboutissants de la crise connue par l’ANC à l’approche du
23 octobre 2012, il est essentiel de définir le principe majoritaire et de le distinguer de la
notion de majorité. « [L]e mot majorité a un triple sens en droit constitutionnel. Il désigne
d’abord un mécanisme de décision ; c’est ce qu’on appellera ici une “technique de décision”.
Il se réfère ensuite à un ensemble “organique” qui est soit le parti ou les partis qui décident
120








Page 122
de soutenir le gouvernement en place (sens organique 1), soit la “majorité consolidée” qui
structure le fonctionnement d’un gouvernement parlementaire stable (sens organique 2).
Cette tripartition du sens du mot de majorité, en droit constitutionnel, n’épuise cependant pas
l’analyse que l’on doit en faire. L’ambivalence fondamentale de la majorité tient à ce qu’elle
est à la fois présentée comme une “technique de décision” et comme un principe
démocratique.
»480
Jusqu’à présent, la majorité a été comprise dans le sens organique 1. Autrement dit, dans le
contexte tunisien d’élaboration de la Constitution, le terme de majorité renvoie à la coalition
de partis politiques qui ont acquis « la vocation de prendre en charge le gouvernement et
[d’] exercer le pouvoir. »481 Or, à ce stade de la réflexion, il est pertinent de s’attarder sur le
principe majoritaire envisagé comme une technique de décision.
Consacré à l’article 3 de la loi constituante n° 6 du 16 décembre 2011, le principe majoritaire
suppose un consensus minimum entre les théocrates et les démocrates sur le texte
constitutionnel. Bien qu’il ait permis aux démocrates de familiariser leurs « ennemis avec les
comportements concertés
»482, le principe majoritaire a été transformé en dogme par la
majorité à l’ANC. En effet, les partis de la coalition gouvernementale « ont exploité ce
principe, pour conforter leur prestige, exprimer leur volonté d’être les maîtres du lieu ou
narguer les partis de l’opposition.
»483 Si le principe majoritaire est généralement considéré
comme une technique de décision, au moment de l’élaboration de la Constitution, il a servi
d’instrument d’oppression des partis politiques d’opposition. Dotés de la légitimité électorale,
les membres de la coalition gouvernementale – à commencer par les partisans d’Ennahdha
estimaient leur position dominante et prenaient insuffisamment en compte les avis et droits
des partis minoritaires à l’ANC.
Le témoignage de Sélim BEN ABDESSALEM484 ajoute d’ailleurs que les vainqueurs des
élections – les islamistes d’Ennahdha – déconsidéraient également les deux partis
démocratiques de la troïka. Il raconte qu’ils « ont daigné nous accorder quelques postes
480 O. BEAUD, « Le principe majoritaire dans la théorie constitutionnelle des formes politiques », Jus
Politicum,
n° 15, [en ligne], [consulté le 30 juillet 2018], http://juspoliticum.com/article/Le-principe-
majoritaire-dans-la-theorie-constitutionnelle-des-formes-politiques-1071.html.
481 F. MOUSSA, « Débat majorité-opposition au sein de la Constituante », précit., p. 18.
482 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., pp. 132-133.
483 Ibid., p. 222.
484 Membre d’Ettakatol, l'un des partis de la coalition gouvernementale.
121





Page 123
ministériels, pour le reste nous ne sommes que des faire-valoir et nous devons leur obéir et
tout laisser passer.
»485 A aucun moment les Nahdhaouis n’envisageaient la remise en
question de leur responsabilité politique en tant que gouvernants. « A partir de là, le principe
majoritaire est devenu l’objet d’une certaine contestation, précisément au nom du principe
consensuel.
»486 A l’ANC, certains démocrates487 de la coalition gouvernementale se sont
alors alliés à l’opposition démocratique pour revendiquer le tawâfuq. Nonobstant, la
démocratie procédurale s’est épuisée et a conduit l’ANC à une crise de légitimité : le
23 octobre 2012, l’ANC, le président de la République et le gouvernement provisoire
devenaient des autorités de fait, sans légitimité aucune
488. Craignant ainsi pour les valeurs
démocratiques et les futures institutions de la République, la plupart des députés démocrates
de l’ANC se sont de plus en plus tournés vers le tawâfuq. Cette technique a permis aux partis
d’opposition de contester et de combattre la majorité au pouvoir
489. Elle était le moyen de
maintenir la cohésion de la classe politique et de la coalition gouvernementale en place et
favorisait le pluralisme politique et la participation de l’opposition.
Dans le but d'atteindre les objectifs de la révolution et de contribuer à résoudre les crises
politique, économique, sociale et sécuritaire, l’UGTT a eu l’initiative du Dialogue national le
16 octobre 2012. Il invitait les divers partis politiques en présence, à établir un véritable
dialogue les menant à un consensus sur la gestion de la période transitoire.
485 S. BEN ABDESSELEM, in H. NAFTI, Tunisie, dessine-moi une révolution. Témoignages sur la transition
démocratique (2011-2014), op.cit., p. 206.
486 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 222.
487 Il s’agissait essentiellement des partisans d’Ettakatol.
488 R. BEN ACHOUR, « Qu’adviendrait-il de l’ANC, le 22 octobre 2012 ? », La Presse de Tunisie [en ligne],
publié le mardi 4 septembre 2012, [consulté le 30 juillet 2018], http://www.lapresse.tn/component/nationals
/?task=article&id=54842.
489 L'une des plus virulentes contestations du principe majoritaire venait du leader de Nidaa Tounes, Béji
CAÏD ESSEBSI. Il rappelait que la victoire électorale des partisans de la troïka n’était qu’une victoire en
demi-teinte puisque pour former une majorité stable, les trois partis que sont
Ennahdha, le CPR et Ettakatol
ont dû s’allier. Il ajoutait également que la Constitution devait refléter les aspirations de tous les Tunisiens
et non seulement celles d’une partie ou d’un parti de Tunisiens. Il achevait son argumentation en rappelant
qu’à partir du 23 octobre 2012, l’ANC et les institutions qui en résultaient, n’auraient plus aucune
légitimité. Pour plus de précisions sur les propos de Béji CAÏD ESSEBSI et notamment sur le contenu de
sa Déclaration du 26 janvier 2012, cf. I. ENAULT, « Béji Caïd Essebsi s’insurge »,
Lepetitjournal Tunis
[en
2018],
https://lepetitjournal.com/tunis/actualites/politique-beji-caid-essebsi-sinsurge-52429.
[consulté
vendredi
janvier
ligne],
publié
juillet
2012,
31
27
le
le
122







Page 124
2. Le Dialogue national où l’amorce d’une sortie de crise
Le 18 juin 2012, l’UGTT lance « une "initiative politique" visant à recréer un consensus entre
les forces politiques, le gouvernement et la société civile pour s’entendre sur les grandes
questions suscitant des divergences entre les différents acteurs politiques et notamment sur
les grands axes de la Constitution, le calendrier électoral et la composition de la commission
électorale
. »490 Dans la continuité de cette « initiative politique », l’UGTT propose de créer –
dès le 16 octobre 2012 – le «
Congrès national pour le dialogue »491. Ce dernier a pour but de
favoriser le dialogue entre les différentes forces en présence, afin de proposer des solutions
consensuelles pour sortir l’ANC et les institutions provisoires de l’impasse dans laquelle elles
se trouvaient
492. En effet, l’impossible conciliation des points de vue idéologiques des
théocrates et des démocrates rendait le consensus sur les questions de fond improbable.
L’instrumentalisation du principe majoritaire par la majorité élue et surtout par les islamistes,
poussait l’opposition démocratique à l’ANC et les associations ou organisations de la société
civile, à s’accorder sur une procédure informelle, non prévue par les textes et les institutions
de la période transitoire, pour adopter la Constitution.
Bien qu’il n’ait pas la légitimité électorale des députés à l’ANC, le Dialogue national a
permis d'entendre les revendications des Tunisiens et de favoriser un échange entre les
citoyens et les acteurs politiques de la transition. « Houcine Abassi, secrétaire général de
l’UGTT, avait déclaré à l’époque, que cette initiative viendra en aide au pays grâce à un
dialogue entre tous les acteurs, en précisant qu’elle n’est dirigée contre personne et qu’elle
n’aspire pas à être une alternative au gouvernement ou même à la légitimité ; au contraire,
490 H. YOUSFI, L’UGTT, une passion tunisienne. Enquête sur les syndicalistes en révolution 2011-2014,
op.cit., p. 222.
491 Plus communément appelé Dialogue national. Pour plus de précisions sur le rôle de l’UGTT dans la mise
en place du
Dialogue national, cf. « L’UGTT, artisan du dialogue national », in H. YOUSFI, L’UGTT, une
passion tunisienne. Enquête sur les syndicalistes en révolution 2011-2014, op.cit.,
pp. 220-237. Voir
également Association Tunisienne d’Etudes Politiques (dir.),
Le Dialogue National en Tunisie, Tunis,
Nirvana, 2015, p. 159.
492 Afin de créer un consensus sur la gestion de la période transitoire, le Dialogue national proposait aux
acteurs de se fier à un certain nombre de principes tels que :
L’attachement au caractère « civil » de l’Etat, au caractère démocratique et républicain du régime politique
et aux acquis modernes accumulés par le peuple tunisien au fil des années,
Le respect des droits de l’homme, la garantie des libertés publiques et individuelles, la consécration de la
citoyenneté et de la justice,
Le rejet de tout type de violence,
Le respect de l’opinion adverse et l’acceptation de l’autre,
La lutte contre le terrorisme et les multiples appels à la violence.
-
-
-
-
-
123




Page 125
c’est une initiative pour s’unir pour l’intérêt supérieur du pays. »493 Mais, en raison de la
participation de Nidaa Tounes et contrairement à Ettakatol, Ennahdha et le CPR n’ont pas
participé au Dialogue national, considérant l’initiative de l’UGTT comme une tentative de
résurrection et de restauration de l’ancien régime. Pour autant, les travaux des députés à
l’ANC n’ont pas été bloqués.
Le compromis par consensus revendiqué par le Dialogue national devait « empêcher l’excès
du pouvoir majoritaire, protéger les droits et les ambitions de l’opposition, [et] assurer
l’équilibre général de la société politique dans cette période de transition si difficile.
»494
Cependant, à la suite de l’assassinat de Chokri BELAÏD
495 le 6 février 2013, l’UGTT a appelé
à la grève générale et Béji CAÏD ESSEBSI à la dissolution de l’ANC. Avant que Hamadi
JEBALI ne présente la démission du gouvernement à Moncef MARZOUKI, ce dernier a eu
l’initiative d’un second
Dialogue national496 qui rassemblait les différents partis politiques
représentés à l’ANC
497. Par contre, les syndicalistes de l’UGTT et plusieurs partis politiques
d’opposition
498 en étaient absents.
Ce deuxième dialogue devait résoudre les points de désaccord retardant l’élaboration de la
Constitution
499 mais en réalité, il a court-circuité la deuxième réunion500 du Dialogue national
initié par l’
UGTT501. Les partis politiques se heurtaient entre les deux initiatives de Dialogue
national et les institutions constitutionnelles poursuivaient leurs travaux, revendiquant la
légitimité des urnes et non celle de la rue. Ainsi, les députés ont rendu public deux versions du
texte constitutionnel, le Projet de Constitution du 22 avril 2013 et l’avant-projet final du texte
constitutionnel du 1
er juin 2013. Ces deux versions ont été publiées avant même que les
différentes tentatives de Dialogue national n’aboutissent à un consensus, en dehors de l’ANC.
493 H. ABASSI, « Le rôle national de l’Union Générale Tunisienne du Travail », précit., p. 274.
494 Ibid., p. 225.
495 Membre du Front Populaire assassiné par balles devant chez lui à El Menzah 6, par des membres présumés
d’Ansar Al-Charia.
496 Ce deuxième Dialogue national débute le 15 avril 2013 à Dar Dhiafa à Carthage et prend fin le 15 mai
497
2013.
Il s’agissait essentiellement d’
Ennahdha, du CPR et, d’Ettakatol. Certains partis de l’opposition
démocratique à l’exemple du
Parti républicain, de Nidaa Tounes, de l’Alliance démocratique et d’Al-
Moubadara
étaient également représentés.
498 Il s’agissait entre autres des partis Al Massar, Wafa ou encore du Front Populaire.
499 A l’exemple de la liberté de conscience, de la nature du régime, du lien entre le président de la République
et le chef du Gouvernement et de la formulation générale du préambule.
500 Du 16 mai 2013.
501 Réunion boycottée par les partisans d’Ennahdha et du CPR, au cours de laquelle les participants se sont
accordés sur le fait que le vote de la Constitution devrait se faire avant la fin de l’année 2013.
124





Page 126
Les deux versions du texte constitutionnel étaient contestées par l’opposition démocratique et
la société civile et lorsque le 25 juillet 2013, le constituant Mohammed BRAHMI
502 a été
assassiné, tous les débats relatifs au travail du gouvernement et de l’ANC ont été suspendus.
Des manifestations ont éclaté dans tout le pays. L’UGTT a appelé à la grève générale et a
suspendu le Dialogue national. Ailleurs, certains partis politiques à l’instar du Front
Populaire
503, de Nidaa Tounes, d’Al Massar et d’Al Joumhouri ont appelé à la dissolution de
l’ANC, à la démission du président et du chef du Gouvernement provisoire et à la mise en
place d’un gouvernement de salut public
504. Le lendemain, 42 députés se sont retirés de
l’ANC, paralysant ainsi l’avancée des travaux. Face à l’ampleur de la crise, l’UGTT déclare le
29 juillet, l’échec de la troïka
505. Le 6 août, Mustapha BEN JAAFAR gèle la reprise des
502 Député nationaliste arabe et membre du Front Populaire assassiné comme Chokri BELAÏD : deux
individus à moto tirent quatorze balles, il décède devant chez lui dans la banlieue de Tunis, sous le regard
de sa fille handicapée.
503 Le Front Populaire en appelle à la désobéissance civile et organise un sit-in devant la Place du Bardo. Dans
l’objectif de défendre la légitimité des institutions, des contre-manifestations sont organisées par les
islamistes d’
Ennahdha.
504 L’assassinat de Mohammed BRAHMI aura permis de rapprocher le Front Populaire et Nidaa Tounes. Ces
deux partis constituent, avec des organisations de la société civile, le
Front de Salut National (FSN). Ce
dernier a pour objectif de finaliser la Constitution et de mettre en place un gouvernement de salut public qui
se chargerait de mener à bien le processus de transition démocratique.
505 La Déclaration de l’UGTT du 29 juillet 2013 vise essentiellement à dénoncer :
-
-
L’échec de la troïka dans la gestion de la sécurité du pays,
Le silence du gouvernement devant le développement des groupes terroristes, des attentats et de la crise
économique et sociale,
Le dépassement du mandat de l’ANC et son échec à adopter une Constitution dans les délais,
Le recours excessif au principe majoritaire,
La logique partisane pour la conduite des travaux de l’ANC,
La mainmise de la majorité sur les institutions et l’administration de l’Etat.
L’
UGTT demande également :
La démission du gouvernement,
La constitution d’un gouvernement compétent,
La dissolution des
Ligues de Protection de la Révolution (LRP),
La neutralisation de l’administration, des institutions éducatives, universitaires, culturelles et les lieux de
culte,
La révision de l’ensemble des nominations dans la fonction publique,
La constitution d’une commission d’enquête sur les assassinats politiques,
L’adoption d’une loi sur la lutte contre le terrorisme,
La constitution d’un comité d’experts chargé d’étudier la dernière version de Constitution pour l’épurer des
dispositions portant atteinte au caractère « civil » de l’Etat et au caractère républicain et démocratique du
régime dans un délai de quinze jours,
L’adoption d’une loi constitutionnelle visant à limiter les compétences de l’ANC au vote du projet de
Constitution adopté par le comité d’experts,
L’élaboration et l’adoption du projet de loi électorale,
La mise en place de l’instance électorale indépendante.
A défaut de l’accomplissement de toutes ces revendications, l’ANC sera réputée avoir achevé ses travaux
constituants.
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travaux de l’ANC jusqu’à l’ouverture d’un Dialogue national qui rassemblerait toutes les
parties
506.
Les islamistes d’Ennahdha déjà dévalorisés par leur gestion de la période transitoire507, leurs
tentatives répétées d’islamisation de l’Etat et de la société et les multiples attentats et actes
terroristes
508 perpétrés dans le pays, le sont d'autant plus par la politique régionale des Frères
musulmans. En effet, le soulèvement populaire
509 qui avait poussé le président MORSI à la
démission, a impacté les Nahdhaouis. Aux yeux de l’opposition démocratique, des partis
minoritaires à l’ANC et de la société civile, la politique de la troïka devenait l’expression de
l’islamisme politique. Les Tunisiens craignaient également la déliquescence de l’Etat, comme
en Libye.
C’est à ce moment-là qu’un Quartet510 composé de l’UGTT, de l’Union Tunisienne de
l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA), de l’Ordre national des avocats et de la
Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH)511 s'est formé dans l’objectif de sortir la
Tunisie de la crise grâce à la reprise du
Dialogue national512.
Le 17 septembre 2013, le Quartet a publié « une feuille de route qui deviendra[it] le
programme de sortie de crise.
»513 Signée le 5 octobre par 21 partis politiques dont Ennahdha,
elle avait pour objectifs : la constitution d’un gouvernement de technocrates, la limitation des
mandats ministériels
514 et le choix d'un chef de Gouvernement indépendant515. Parallèlement,
506 Pour plus de précisions sur le contexte du 6 août 2013, cf. M. BEN JAAFAR, Un si long chemin vers la
démocratie : Entretien avec Vincent GEISSER, op.cit., pp. 179-190.
507 Pour plus d’informations sur les raisons qui poussèrent Ennahdha à vouloir se maintenir au pouvoir, cf. N.
MARZOUKI, « La transition tunisienne : du compromis démocratique à la réconciliation forcée »,
Pouvoirs, 2016/1, n° 156, pp. 83-94.
508 Pour plus de détails sur les actes terroristes perpétrés dans le pays, cf. M. KRAIEM, La révolution
kidnappée, Tunis, La Maghrébine pour l’Impression et la Publication du Livre, 2014, p. 526.
509 Il est intéressant de noter qu’aux moments des troubles en Egypte et en Tunisie, une partie des membres de
l’ANC a été dépêchée en Egypte, pour y étudier le processus constituant. Pour plus d’informations sur ce
point cf. R. MAHJOUB, « De la fracture au consensus : rôle et apport de la Commission des consensus -
Naissance de la Commission des consensus »,
précit., p. 300.
510 Ce Quartet proposera dès septembre 2013, une feuille de route destinée à boucler le processus de transition
démocratique en organisant des élections présidentielles et législatives. Pour ce faire, trois étapes sont
mises en place : 1. Election de l’
Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE), 2. Formation
d’un gouvernement de technocrates présidé par une personnalité nationale indépendante, 3. Accélération de
la rédaction de la Constitution en adoptant le consensus.
511 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme.
512 Les délibérations du Dialogue national ont eu lieu entre le 13 octobre et le 10 novembre 2013.
513 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 308.
514 Les ministres devaient s’engager à ne pas se présenter aux futures élections.
126





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les objectifs étaient aussi de déterminer clairement des attributions de l’ANC, d'achever les
travaux constituants, de trouver un accord sur la fin de la période transitoire, d'élaborer un
calendrier pour les élections présidentielles et législatives
516, de fixer un délai (quatre
semaines) à l’ANC pour : mettre en place l’Instance Supérieure Indépendante pour les
Elections (ISIE), voter la loi électorale, et surtout, adopter la Constitution avec l’assistance
d’un comité d’experts.
« En signant la feuille de route le parti Ennahdha acceptait la démission du gouvernement et
la constitution d’un gouvernement non partisan. Il venait payer ses fautes politiques ainsi que
les lenteurs de l’ANC.
»517 Les députés de la majorité ont accepté avec difficulté de renoncer à
leur légitimité électorale et à l’exercice du pouvoir constituant
518. Le parti islamiste a pourtant
abandonné ses prérogatives basées sur le principe majoritaire et s’est plié aux impératifs du
processus consensuel
519. Acceptant le tawâfuq, la majorité constituante permettait la mise en
place de procédures informelles, telles que la Commission de coordination du Dialogue
national avec l’ANC. Instaurée le 25 décembre 2013, cette commission a eu pour rôle de faire
passer les actes du Dialogue national auprès de l’ANC par le biais de la Commission des
consensus. Elle a aussi fait connaître aux acteurs du Dialogue national, les résistances ou
contre-propositions de députés à l’ANC.
Etant donné ce qui précède, le rôle très vaste de la Commission des consensus, était-il de
favoriser les accords de principe sur les articles constitutionnels entre les constituants ?
B.
La politique compromissoire de la Commission des consensus
Grâce au Dialogue national, les institutions de la période transitoire ont mis en place des
procédures de dialogue interne « dérogatoire[s] à leurs procédures légales ordinaires, en vue
515 Seule une motion de censure initiée à la majorité absolue et adoptée par deux tiers des membres de l’ANC,
pouvait renverser ce gouvernement.
516 Ces deux mesures devaient faire l’objet d’une loi adoptée en séance spéciale à l’ANC, qui aurait d’ailleurs
modifié l’organisation provisoire des pouvoirs publics.
517 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., pp. 309-310.
518 Pouvoir constituant qu’ils s’étaient attribués en élaborant la loi constituante du 16 décembre 2011.
519 Le jour de l’ouverture du Dialogue national le président de la LTDH a fait un lapsus qui a été
instrumentalisé par les députés d’
Ennahdha. En voulant discuter du dialogue ou hiwâr en arabe, le
président de la
LTDH a parlé de himâr (d’âne). Ce malencontreux lapsus a notamment été repris par Néjib
MRAD, un député
nahdhaoui pour critiquer le Dialogue national et la feuille de route du Quartet.
127







Page 129
d’aboutir à des accords qui seront ensuite ratifiés par des procédures ordinaires de
l’institution en cause.
»520 Tel a notamment été le cas de Lajnat a-tawâfuqât ou Commission
des consensus à l’ANC, née du Dialogue national. Cette commission constitutionnelle ad hoc
s'est vue attribuer un certain nombre de compétences et a agi selon un fonctionnement
particulier (1), ayant essentiellement pour but d’aboutir à la mise en place d’un compromis à
défaut d’un véritable consensus (2). Bien qu’il ait été qualifié d’historique par les
observateurs nationaux et internationaux, le compromis constitutionnel auquel les constituants
tunisiens ont abouti, reste un compromis d’attente.
1. Le fonctionnement de la Commission des consensus
A l'origine, l’ANC comptait sur un Comité mixte de coordination et de rédaction de la
Constitution, en plus des six commissions constituantes
521. Celui-ci devait coordonner les
travaux des différentes commissions et proposer une version unique du texte constitutionnel
en séance plénière à l’ANC. Mais dès la publication de la troisième version du texte
constitutionnel, il est apparu que le Comité était allé bien au-delà de son champ de
compétences : il avait modifié les projets que les commissions constituantes lui avaient
soumis
522. De surcroît, le Comité ne publiait pas ses procès-verbaux et ne les communiquait
pas aux députés de l’ANC. Dès le mois de juillet, Mustapha BEN JAAFAR a annoncé la
création d’une commission constitutionnelle ad hoc, la Commission des consensus, alors que
se préparait en séance plénière la présentation de l’avant-projet final de la Constitution du 1
er
juin 2013.
Pour mettre en pratique le Dialogue national initié par l’UGTT, les députés ont souhaité
mettre en place une commission, dont les règles de représentation des différents partis
politiques présents à l’ANC, seraient fidèles au principe consensuel. « Alors que le comité
mixte de coordination et de rédaction était dominé par Ennahdha puisque y siégeaient les
présidents des commissions, la Commission des consensus n’était pas composée à la
proportionnelle mais chaque groupe y avait un nombre presque équivalent de députés. Cela
520 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 226.
521 Cf. Note de bas de page 314.
522 R. MAHJOUB, « De la fracture au consensus : rôle et apport de la Commission des consensus - Naissance
de la Commission des consensus », précit., p. 297.
128






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revenait à donner moins de poids à la majorité et davantage à l’opposition. »523 Ennahdha a
contesté la légitimité
524 de la nouvelle commission, sans rejeter pour autant, sa mise en place.
Concrètement, cette commission composée de seize membres525, siégeait pour finaliser les
accords entre les différents groupes parlementaires et élaborer les textes qui seraient soumis à
discussion en séance plénière. Les présidents de groupe participaient aux débats pour
déterminer la tendance générale à adopter et à inscrire dans le texte constitutionnel. Cette
étape ne concernait que 9 membres
526 de l’ANC. Ce n’est qu’après leur réunion que la
Commission des consensus siégeait pour amender le texte, plus tard introduit en séance
plénière par le rapporteur général de la Constitution. Un débat limité à deux interventions
(l’une pour et l’autre contre), était alors suivi du vote de l’amendement et/ou de l’article
constitutionnel. Quand un article ou un amendement n’était pas adopté ou l’était à une très
faible majorité, le rapporteur général de la Constitution mettait en œuvre l’article 93 du
règlement intérieur de l’ANC.
527 Ce dernier autorisait l’examen ultérieur d’un article déjà
adopté. Les points de discorde étaient par conséquent renvoyés à la Commission des
consensus qui siégeait alors à huit clos, pour résoudre les points de désaccord persistants.
En conséquence et contrairement à ce que son nom pouvait laisser penser, la Commission des
consensus mettait en œuvre le principe du compromis et non celui du consensus.
2. La mise en place d’un compromis d’attente
Qu’est-ce qu’un compromis ? Est-il différent du consensus et pourquoi est-il qualifié de
« dilatoire » par le Doyen Yadh BEN ACHOUR dans le contexte tunisien d’élaboration de la
Constitution ? Telles sont les questions qui méritent une explication claire et convaincante à
523 Ibid.
524 Les débats constituants en séance plénière débutèrent le 2 janvier 2014. Les députés y ayant participé
avaient voté plusieurs amendements du règlement intérieur de l’ANC. L’un d’eux accordait un cadre
juridique à la Commission des consensus. Grâce à cette consécration, les amendements proposés qui
venaient modifier l’avant-projet final du texte constitutionnel du 1
er juin 2013, pouvaient directement être
soumis à la discussion en séance plénière.
525 Contrairement aux autres commissions constituantes qui elles, étaient composées de vingt-deux membres.
526 Il s’agissait essentiellement de Mustapha BEN JAAFAR (Ettakatol), de Habib KHEDHER (Ennahdha), de
Sahbi ATIG (Ennahdha), de Mohamed HAMDI (Groupe Démocrates), de Mouldi RIAHI (Ettakatol), de
Haythem BEN BELGACEM (
CPR), d’Azed BADI (Wafa), d’Ahmed SAFI (Front Populaire) et de
Hichem HOSNI (représentant des non-inscrits).
527 Pour plus de précisions sur la procédure suivie par la Commission des consensus, cf. O. PIERRE-
LOUVEAUX, « L’Assemblée, au cœur », précit., pp. 303-312.
129






Page 131
ce stade de la réflexion528. Avant de définir le compromis de manière juridique, il est
intéressant de s’attarder sur ses définitions traditionnelles, telles que la « [c]onvention par
laquelle les parties, dans un litige, recourent à l’arbitrage d’un tiers.
»529 Le compromis peut
également signifier un « [a]
rrangement dans lequel on se fait des concessions mutuelles. »530
Il est alors pertinent de noter que le compromis auquel a abouti la Commission des consensus
peut être compris dans les deux sens du terme.
Du fait de l’opposition frontale des théocrates et des démocrates, les constituants ont eu
recours à l’arbitrage d’un tiers : la Commission des consensus dont l'objectif est d'harmoniser
les points de vue idéologiques. Les résultats auxquels elle est parvenue, découlaient d’ailleurs
des nombreuses concessions des islamistes et des modernistes. Celles-ci ont été obtenues
grâce à un instrument politique stratégique, le compromis. Destiné à éviter les confrontations
entre les différents acteurs en présence, le compromis peut être obtenu de différentes
manières : « soit on ignore les positions en jeu, sans décider pour l’une ou pour l’autre, soit
on adopte une position médiane, ce qui est relativement aisé dans les cas où seulement deux
positions sont en lice ; soit on adopte une tierce position plus proche de l’une que de l’autre
ou des deux autres propositions initiales à la fois, ce qui constitue en réalité une position
d’attente. Toutes ces modalités du compromis ont été expérimentées en Tunisie au cours des
cinq dernières années.
»531
Le principe du compromis renvoie ainsi à ce qui est appelé l’“incrementalist approach” ou
approche progressive, développée par Hanna LERNER
532. Cette stratégie permet aux
constituants d’éviter de faire un choix constitutionnel particulier, qui pourrait favoriser un pan
de la société, plus qu'un autre. Dans des sociétés religieusement, culturellement et/ou
ethniquement divisées, l'approche progressive peut notamment conduire les constituants
à différer l’écriture de l’autobiographie nationale (à l’exemple d’Israël), à utiliser des
formulations constitutionnelles ambiguës (à l’exemple de l’Inde) ou encore à rédiger des
dispositions constitutionnelles contradictoires (à l’exemple de l’Irlande). Afin de savoir quels
sont les écueils que les Tunisiens doivent éviter, il est essentiel d’exposer les solutions
adoptées et, d’identifier les limites auxquelles ces trois pays sont confrontés. Ce n’est
528 C. YARED, « “Un Etat civil, pour un peuple musulman ou le nouveau pari constitutionnel de la
Tunisie », précit., p. 149.
Ibid.
529 Compromis, Le Petit Robert ; Dictionnaire de la langue française, op.cit., p. 353
530
531 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 202.
532 H. LERNER, Making Constitutions in Deeply Divided Societies, Cambridge, Cambridge University Press,
2011, 262 p.
130


Page 132
qu’après cet exposé que la déclinaison de l’“incrementalist approach” en Tunisie sera
abordée.
Etabli en 1948 comme Etat démocratique, l’Etat d’Israël n’a jamais disposé d’une constitution
dans le sens formel du terme. Entre 1948 et 1950, les débats relatifs à l’élaboration de la
constitution ont opposé les défenseurs d’une conception religieuse, aux représentants d’une
conception séculière de l’Etat et de l’identité israélienne. La division des Israéliens sur la
nature de l’Etat et de la société, n’a pas permis aux premiers membres de la Knesset de
trouver un accord sur le contenu et la procédure d’adoption de la constitution. En outre,
l’impossibilité d’aboutir à un consensus sur la relation appropriée entre les institutions de
l’Etat moderne et les prescriptions religieuses, a amené les constituants à adopter une stratégie
d’évitement et à constamment reporter l’élaboration de la constitution écrite. Le transfert de la
sphère constitutionnelle à la sphère politique, des décisions concernant les rapports entre
l’Etat et le Judaïsme et l’identité du peuple, a permis l’émergence d’arrangements informels
entre les acteurs politiques.
Or, en l’absence d’un document écrit qui contient une ou plusieurs procédures de révision de
la constitution, il est pratiquement impossible de modifier les conventions constitutionnelles
qui naissent de la pratique et qui forment matériellement la constitution. Bien que les
constituants tunisiens n’aient pas tranché le débat sur la nature de l’Etat et celle de la société,
ils ont fixé aux articles 1 et 2 de la Constitution deux visions bien distinctes de la Tunisie et
des Tunisiens. Les arrangements constitutionnels informels auxquels ont abouti les membres
de la Commission des consensus ne sont-ils pas plus difficiles à modifier que le texte
constitutionnel lui-même ? En quoi consistent-ils exactement ? Dans l’attente de la mise en
place de la Cour constitutionnelle
533, les acteurs politiques sont les dépositaires du sens des
articles de la Constitution et les seuls maîtres de la perpétuation des conventions
constitutionnelles.
Ces dernières conduisent l’Etat à respecter les préceptes et les valeurs de l’Islam, tout en
l’encadrant. La religion n’est donc pas complètement détachée de l’Etat puisque ce dernier la
gère. C'est dans ce contexte que les citoyens sont libres de croire et de pratiquer leur culte.
533 En vertu de l’article 120 de la Constitution, la Cour constitutionnelle dispose de compétences d’attributions.
Au cours du contrôle de constitutionnalité qu’elle effectuera, elle sera forcément amenée à déterminer la
nature de l’Etat en interprétant les articles 1 et 2 de la Constitution. Pour plus de précisions sur ce point cf.
le Chapitre 2 du Titre 2 de la PARTIE II de cette thèse relatif au
parachèvement du constitutionnalisme
tunisien : la mise en place de la Cour constitutionnelle,
p. 509.
131


Page 133
Toutefois, en comprenant de la sorte la fonction de l’Etat en matière religieuse, les acteurs
politiques trahissent les composantes de son caractère civil (autrement dit la citoyenneté, la
volonté du peuple et la primauté du droit). Comment garantir la citoyenneté et exprimer la
volonté du peuple si l’Etat est sommé de respecter et de gérer la religion des seuls Tunisiens
musulmans ? Comment faire primer le droit si l’Etat doit consacrer les préceptes et valeurs de
la seule religion dominante ? Les arrangements informels apportent une réponse politique à la
question constitutionnelle de la nature de l’Etat mais ils trahissent en partie, les composantes
constitutionnelles de son caractère « civil » et excluent les minorités religieuses. Il en est de
même en Israël. L’Etat juif et ses lois fondamentales ne reconnaissent aucune des minorités
chrétiennes ou musulmanes qui le composent. De fait, peut-il véritablement être qualifié de
démocratique, dans la mesure où le droit des minorités n’est ni consacré par les lois adoptées
par la Knesset, ni préservé par les juridictions israéliennes ? Certes la pratique politique du
texte constitutionnel doit respecter la volonté des constituants, mais elle doit par-dessus tout
traduire les aspirations diverses et variées des individus qui composent la société
534.
Contrairement au cas israélien où les membres de la première Knesset ont différé l’écriture de
l’autobiographie nationale, la possibilité de ne pas adopter de constitution écrite n’a jamais été
envisagée en Inde. Au moment de l’indépendance, l’Inde était caractérisée par sa diversité
religieuse, culturelle, communautaire, linguistique, économique et sociale. Entre décembre
1946 et janvier 1950, l’objectif des constituants a été de forger une identité nationale qui fasse
front à la diversité du peuple indien. La constitution devait faciliter la naissance d’une unité
politique basée sur des engagements et des valeurs communes mais deux modèles d’identité
nationale s’opposaient. Leurs fondements étaient par nature, inconciliables : alors que le
premier modèle était exclusif dans le sens où l’identité nationale était envisagée comme
homogène et uniforme, le second était inclusif puisqu’il permettait l’expression de la variété
et de la diversité communautaire indienne535.
Afin d’éviter de faire des choix controversés, la traduction de l’objectif d’unité nationale dans
le langage constitutionnel a amené les constituants à adopter des dispositions ambiguës. Ces
dernières leur permettent de ne pas se prononcer de manière claire et univoque en faveur d’un
534 C. KLEIN, Le droit israélien, Que sais-je ?, Paris, PUF, 1990, 124 p. Voir surtout le III. du Chapitre III
relatif au droit public qui traite d’« Israël comme Etat juif : remarques sur quelques problèmes juridiques
particuliers (notamment la loi du Retour et le droit de la nationalité », pp. 49-51. Sur le caractère juif et
démocratique de l’Etat d’Israël voir « 1.2. Le cas d’Israël comme “Etat juif et démocratique”, relations
entre la règle et l’exception ou la loi et les applications »,
in R. AMIT, Les Paradoxes constitutionnels. Le
cas de la constitution israélienne,
Paris, Connaissances et Savoirs, 2007, pp. 449-469.
535 H. LERNER, Making Constitutions in Deeply Divided Societies, op.cit., p. 111.
132


Page 134
modèle de société. Ils laissent, comme en Tunisie, aux acteurs politiques et interprètes
institutionnels de la constitution, la possibilité d'expurger le débat identitaire. Le caractère
équivoque des dispositions constitutionnelles reflète sans nul doute, l’identité conflictuelle du
peuple. Ceci suggère d’ailleurs, que l’identité en question n’est pas rigide et fixée à jamais
dans le texte constitutionnel. Elle est amenée à évoluer en fonction des circonstances de temps
et de lieu. Ce changement dans la continuité de l’identité du peuple suppose une interprétation
constante et évolutive de ses composantes par les acteurs politiques. Seulement si, en matière
de définition de l’identité du peuple, il est compréhensible que le texte constitutionnel soit
ambigu, il peut être préjudiciable de laisser la détermination de la nature de l’Etat aux acteurs
politiques et interprètes institutionnels. Les exemples indien et tunisien sont révélateurs sur ce
point, leurs constitutions n'étant pas conçues comme des systèmes cohérents de normes et de
valeurs. Le texte constitutionnel indien est partagé entre la modernité et le traditionalisme, le
réformisme social et le conservatisme, la séparation de la sphère politique de la sphère
religieuse et l’intervention de l’Etat dans les affaires religieuses. Ce dernier point se retrouve
dans la Constitution tunisienne qui dispose à la fois du caractère « civil » de l’Etat et de son
rôle de protecteur de la religion et du sacré. Alors que signifient exactement les dispositions
de l’article premier de la Constitution du 27 janvier 2014 ? Sont-elles compatibles avec celles
de l’article deuxième ? Quel est la nature de l’Etat en Tunisie : est-ce un État religieux ou un
État laïque ?
536 Seuls les interprètes authentiques du texte constitutionnel sont à même de le
déterminer et cela ouvre la voix à tous les excès.
En effet, dans le cas où le parti au pouvoir est un parti religieux fondamentaliste, voire
extrémiste, l’ambiguïté des dispositions constitutionnelles
537 et l’indétermination des rapports
entre l’Etat et l’Islam seront interprétés dans le sens d’une intervention massive de la religion
dans l’arène politique. Afin de parer à cette éventualité, les conventions constitutionnelles
auxquelles les acteurs politiques et interprètes institutionnels ont abouti, doivent être ancrées
dans les esprits et la pratique. Par ailleurs, il faudrait que ces arrangements informels soient
accompagnés d’une certaine culture constitutionnelle
538. Le peuple s’insurgera en cas de non-
respect par les pouvoirs publics, des accords informels nés de l’application du texte
536 C. YARED, « “Un Etat civil, pour un peuple musulman ou le nouveau pari constitutionnel de la
Tunisie », précit., p. 145.
537 A commencer par celle de l’article premier de la Constitution du 27 janvier 2014. Sur les diverses
interprétations possibles de l’article premier de la Constitution du 27 janvier 2014, cf. le 1 du A du
Paragraphe 2 de ce chapitre relatif au
problème de l’Islam comme religion de l’Etat, p. 137.
538 Pour plus de précisions sur ce point cf. le Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE
II de cette thèse relatif à
une culture constitutionnelle nécessaire à l’appropriation de l’idée de constitution,
p. 362.
133


Page 135
constitutionnel. De plus, certaines institutions ou/et juridictions doivent servir de garde-fou,
d’arbitre ou de garant de la constitution, telles que notamment la Cour constitutionnelle et les
instances constitutionnelles indépendantes
539.
Contrairement au cas indien, l’ambivalence des dispositions constitutionnelles en Irlande est
le témoin de la coexistence de deux visions contradictoires de la nation et de l’Etat. Mis en
œuvre et encadrés par le gouvernement britannique, les débats constituants de 1922 se sont
polarisés sur la définition du nationalisme et de la souveraineté de l’Etat irlandais. Ces débats
étaient en partie liés au traité anglo-irlandais de 1921 qui définissait les rapports entre
l’Irlande et le Commonwealth
540. Se posait alors la question de savoir si la Constitution allait
renforcer la soumission de l’Irlande à la Grande-Bretagne ou si elle faciliterait son accès à
l’indépendance. Les deux traditions rivales du mouvement nationaliste irlandais ont apporté
des réponses opposées.
Le nationalisme culturel prônait le caractère distinct de l’identité irlandaise et rejetait toute
assimilation – qu’elle soit culturelle, économique ou politique – avec les Anglais. A l’inverse,
le nationalisme politique était incarné par une tradition anglo-irlandaise et suivait une logique
d'assimilation. Si la première tradition impliquait une politique isolationniste, la seconde
visait à faire de l’Irlande un partenaire de l’empire britannique. Les Irlandais espéraient que le
processus constituant évacuerait le conflit entre les deux traditions, mais les présupposés
idéologiques des constituants étant inconciliables, la constitution a renvoyé l'image du conflit.
Dans les cas irlandais et tunisien, deux visions opposées de la société et de l’Etat ont été
constitutionnalisées. La Constitution irlandaise de 1922 contient à la fois des symboles de la
monarchie britannique et des affirmations relatives à la souveraineté nationale. L’ambivalence
des dispositions et des symboles constitutionnels a permis aux acteurs politiques de jouer un
rôle décisif dans la détermination de la future Irlande. Il en est de même en Tunisie.
La déclinaison de l’approche progressive en Tunisie rappelle celle employée par les
constituants indiens et irlandais. Ceci amène à relativiser la singularité du cas tunisien :
comme dans toutes les sociétés divisées, les membres de l’ANC ont dû s’accorder pour
539 Cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre II de cette partie, relatif à la consécration
de la plupart des droits découlant de la liberté, p. 268.
540 Traité signé le 6 décembre 1921 entre la Grande-Bretagne et l’Irlande. Ce traité dispose de l’Etat libre
d’Irlande à qui est attribué un statut constitutionnel de dominion. La relation entre le Royaume-Uni et
l’Irlande est similaire à celle du Royaume-Uni et du Canada. Ceci suppose que le Royaume-Uni désigne un
gouverneur général qui supervise la politique du dominion. Le traité précise que la Constitution de l’Etat
libre d’Irlande doit être élaborée par les Irlandais, suivant les directives qu’il impose et qu’elle doit être
adoptée en l’espace d’une année.
134


Page 136
élaborer la constitution la plus représentative de leur identité plurielle. La technique du
compromis à laquelle la Commission des consensus a eu recours, a créé des situations
d’attente
541, car les dispositions constitutionnelles sont à la fois contradictoires et ambiguës.
En outre, le compromis n’est qu’apparent, dans le sens où il ne porte pas sur des questions de
fond, mais renvoie à l’ajournement de la décision constitutionnelle
542. Selon Carl SCHMITT,
« [l]e compromis ne porte donc pas sur la résolution du fond d’un problème grâce à des
concessions mutuelles, l’accord consiste au contraire à se contenter d’une formule dilatoire
qui satisfait toutes les revendications.
»543 D’après le Professeur Sadok BELAÏD, la
Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 est finalement un ensemble de potentialités sur la
nature de l’Etat en combinaison des articles 1 et 2
544.
Force est de constater que le compromis entre les constituants d'idéologies différentes s’est
donc fait sur la formulation des articles et sur les signifiants, non sur le fond constitutionnel.
Paragraphe 2
L’accord de principe sur les signifiants des articles de la
Constitution
Pour des constituants dont les représentations idéologiques et politiques sont inconciliables,
« il était nécessaire, d’élaborer une architecture notionnelle, soit un complexe de notions qui
peuvent s’agréger de différentes manières.
»545 Même si les théocrates et les démocrates se
sont accordés sur des termes au «
potentiel interprétatif large »546, le compromis
constitutionnel ne peut aboutir au pluralisme démocratique que « lorsqu’il émane d’une
délibération concernant les principes, et pas quand il relève d’une simple tactique de
541 Le compromis employé dans le contexte tunisien d’élaboration de la constitution, a été qualifié de
«
pourri » par Nadia MARZOUKI. En reprenant les propos d’Avishai MARGALIT, elle précise qu’ : « un
compromis est pourri lorsqu’il a pour motivation le sentiment de l’un des protagonistes que, s’il n’accepte
pas ce pacte, son existence même pourrait être menacée. Ce type d’accord a pour effet non seulement de
déstabiliser les valeurs et principes du protagoniste ainsi contraint, mais il met aussi en danger les règles
du jeu démocratique, en vidant de son sens l’idée même de compétition idéologique.
» N. MARZOUKI,
« La transition tunisienne : du compromis démocratique à la réconciliation forcée »,
précit., p. 89.
Il est essentiellement fait référence ici, à l’opposition des articles 1 et 2 de la Constitution. L’analyse de ces
deux articles fait l’objet du paragraphe qui suit.
542
543 C. SCHMITT, Théorie de la Constitution, Paris, PUF, 1993, p. 162.
544 C. YARED, « “Un Etat civil, pour un peuple musulman ou le nouveau pari constitutionnel de la
Tunisie », précit., p. 151.
545 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 56.
546 Ibid.
135






Page 137
neutralisation ou d’apaisement. »547 Or, non seulement les différents articles de la
Constitution se contredisent, mais les dispositions d’un seul et même article se neutralisent.
Comme il a été dit précédemment, Salsabil KLIBI a expliqué qu’il y avait deux types
d’identités qui se disputaient la place au sein de la Constitution : une identité culturelle et
religieuse et une identité civique et politique
548. D’une part, l’opposition de ces deux visions
de la société et de l’Etat s'est soldée au moment de l’écriture de la Constitution, par la binarité
des articles 1 et 2 (A). D’autre part, les ressources de la sémantique ont permis aux
constituants, de conférer aux termes retenus, des significations antagonistes, non seulement
entre les différents articles de la Constitution, mais au sein même des dispositions
constitutionnelles. L’article 6 de la Constitution est d’ailleurs l’archétype de la contradiction
constitutionnelle (B).
A.
La binarité des articles 1 et 2 de la Constitution
Bien qu’Ennahdha ait été contraint de renoncer à l’inscription de la charia comme source
principale de la législation et comme fondement de la Constitution, les Nahdhaouis ont réussi
à introduire dans l’article 3, des dispositions finales de la première version du texte
constitutionnel
549, une formule qui fait de l’Islam la « religion de l’Etat ». Cette disposition ne
pouvait faire l’objet d’aucune révision et a été maintenue dans les quatre versions du texte
constitutionnel
550. En procédant de la sorte, Ennahdha faisait « revenir sur le devant de la
scène le débat sur l’article 1
er. »551 Alors que « la charia sortait du débat constitutionnel par
la porte, elle allait y revenir par la fenêtre.
»552 Le problème de l’Islam comme religion de
l’Etat (1), a cependant été contrecarré par l’insertion de l’article 2 disposant du caractère
« civil » de l’Etat (2).
547 N. MARZOUKI, « La transition tunisienne : du compromis démocratique à la réconciliation forcée »,
précit., p. 91.
548 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
549 Publiée le 14 août 2012, la première version du texte constitutionnel est intitulée « Projet de brouillon ».
550 Cf. Note de bas de page 327.
551 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 61.
552 Ibid., p. 59.
136







Page 138
1. Le problème de l’Islam comme religion de l’Etat
D’après le culturaliste Henri SANSON, « lorsqu’il s’agit de “religion de l’Etat”, c’est que
l’islam règne. En cas de “religion d’Etat”, cela suppose que l’islam est géré par l’Etat.
»553
En maintenant à l’article 3-9 des dispositions finales de la première version du texte
constitutionnel, la formule qui fait de l’Islam la « religion de l’Etat », « Ennahdha voulait
supprimer l’ambigüité qui pourrait planer sur la formulation de l’article premier.
»554 Bien
qu’ayant conservé l’article premier de la Constitution du 1
er juin 1959, l’Islam était pour les
Nahdhaouis la religion de la Tunisie, de l’Etat et non seulement, de sa population ou de la
majeure partie des Tunisiens. Avant d’analyser les signifiants employés à l’article premier de
la Constitution du 27 janvier 2014, il est essentiel de revenir sur le double langage des
théocrates en matière de charia après la révolution.
Bien avant les élections du 23 octobre 2011, le parti islamiste avait explicitement renoncé à
l’inscription de la formule faisant de l’Islam la religion de l’Etat. Sous la présidence BEN
ALI, il s’accordait avec les anciens partis d’opposition démocratique, sur le fait que l’Islam en
Tunisie était géré par l’Etat. D’ailleurs, en signant le
Pacte républicain555 le 1er juillet 2011,
Ennahdha reconnaissait « l’équilibre des principes énoncés à l’article 1er de la Constitution
de 1959, relatifs aux caractéristiques de l’Etat
»556 et le caractère « civil » de l’Etat. Charte
fondamentale signée par de multiples partis politiques
557, le Pacte républicain était « censé
identifier les grands principes sur lesquels s’accordent les forces politiques présentes dans
l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique
et de la transition démocratique.
»558 Les principes dont dispose le Pacte devaient s’imposer à
l’ensemble des partis politiques signataires et aux autorités légales qui allaient découler des
élections constituantes
559. Il en était ainsi de l’article premier de la Constitution du 1er juin
1959 et du caractère « civil » de l’Etat.
553 C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., p. 152.
554 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
555 Cf. Note de bas de page 268.
556 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 58.
557 Démocrates, laïcs, libéraux, nationalistes, gauchistes, syndicalistes et islamistes.
558 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 58.
559 Ayant fait l’objet de diverses tractations politiques, les principes posés par le Pacte républicain allaient être
intégralement consignés dans la Constitution du 27 janvier 2014. Il est par ailleurs intéressant de relever
que le
Pacte républicain est un exemple de la politique du compromis en Tunisie. En effet, du fait de la
participation des islamistes, les forces démocratiques et laïques ont dû accepter sous réserve de la
137




Page 139
Mais la signature du Pacte républicain par Ennahdha, n’a pas empêché les théocrates
d’inscrire dans les différentes versions du texte constitutionnel et alors même que l’article
premier de la Constitution du 1
er juin 1959 avait été maintenu, la formule faisant de l’Islam la
religion de l’Etat. Avant de traiter des différentes versions du texte constitutionnel et de la
contradiction qu’elles maintiennent entre l’article premier de la Constitution du 1
er juin 1959
et les dispositions non révisables qui font de l’Islam la religion de l’Etat, il est impératif
d'analyser l’article premier de la Constitution de l’indépendance.
En ne modifiant pas l’article premier de la Constitution de la Première République, les
constituants pérennisaient les caractéristiques de l’Etat tunisien de l’indépendance. Ils
s’accordaient sur les signifiants et non sur la signification de l’article. Le Professeur Jean-
Philippe BRAS précise d’ailleurs que c’est « la possibilité d’un désaccord sur sa signification
qui emporte l’accord sur le texte
[et], rend [ainsi] possible le consensus. »560 Reproduisant
intégralement les dispositions de la loi constitutionnelle du 14 avril 1956, qui organisait
provisoirement les pouvoirs publics au moment de l’indépendance, l’article premier de la
Constitution du 1
er juin 1959 affirmait la souveraineté récemment acquise de l’Etat tunisien.
Œuvre du Combattant Suprême, l’article premier avait été voté à l’unanimité et sans débat au
sein de la première ANC. Le
père de l’indépendance561 « délivre un texte médian qui, tout à
la fois, inscrit l’islam dans les référents identitaires de la Tunisie et laisse ouverte, par un
artifice rédactionnel, la gamme des interprétations de ce texte, sur la portée de ce référent
religieux.
»562
Cet article dispose que : « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, l’Islam est
sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime
. »563 Qui de l’Etat ou du peuple a
pour religion l’Islam ? Même si les règles grammaticales diffèrent entre la version arabe et la
version française, il est intéressant de noter qu’en langue arabe l’adjectif possessif « sa » peut
autant renvoyer à l’Etat (dawla) qui est féminin en arabe qu’à la Tunisie (Tounes) également
féminin. Il est d’ailleurs intéressant de relever les propos du rapporteur général de la
Constitution Habib KHEDHER, qui s'interroge sur les raisons pour lesquelles est
renonciation par les islamistes à l’inscription de l’Islam comme religion de l’Etat, les dispositions relatives
à l’identité et à la condamnation de la normalisation avec
l’entité sioniste.
560 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 59.
561 Autrement dit Habib BOURGUIBA.
562 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 60.
563 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 1er juin 1959, article
premier.
138




Page 140
« inlassablement [recherchée] la pression des termes et des formulations dans tous les autres
articles de la Constitution, pour les soustraire aux interprétations ambiguës, et on tient à
maintenir l’ambiguïté de l’article 1
er et à la pérenniser ? »564
Deux interprétations principales de « l’Islam est sa religion » peuvent découler de la
formulation vague de l’article. Alors que pour les théocrates, l’Islam règne sur l’Etat puisqu’il
est la religion de la Tunisie, pour les démocrates, l’Islam est la religion sociologique de la
grande majorité des Tunisiens. Ces différentes lectures du même article conduisent à
reconnaître deux valeurs bien distinctes à l’article premier. Si l’Islam règne sur les institutions
étatiques, cela veut dire que la religion est normative, alors que si l’Islam est une
caractéristique du peuple en Tunisie, la religion aurait donc une fonction descriptive et non
prescriptive. « Aujourd’hui, chacun interprète l’expression “sa religion est l’Islam” à l’aune
de son propre agenda politique. Pour certains, c’est la preuve que la Tunisie est un Etat
musulman ; pour d’autres, il s’agit d’une religion d’Etat ; pour d’autres encore, il est fait
simplement mention à une identité culturelle.
»565
Mais si les constituants voulaient conserver l’ambiguïté de l’article premier de la Constitution
de la Première République, pourquoi ont-ils inséré au sein des différentes versions du texte
constitutionnel, des dispositions non révisables qui font de l’Islam la religion de l’Etat ? « Le
13 août 2012 on a eu l’avant-projet de brouillon de Constitution. Le Projet de brouillon
établit la première version de Constitution selon laquelle, l’article 3-9 contenu dans les
dispositions finales dispose que l’Islam comme religion de l’Etat n’est pas révisable
566. Il n’y
avait pas encore le caractère “civil” de l’Etat. Cet article est maintenu jusqu’au dernier
moment dans le projet de Constitution du 1
er juin 2013 au sein de l’article 141. Il ne
564 H. HABIB, « ANC : 10 jours de travail pour boucler une nouvelle monture de la Constitution – Les points
litigieux toujours en suspens »,
La Presse de Tunisie [en ligne], publié le mardi 21 mars 2013, [consulté le
16 août 2018], http://www.lapresse.tn/component/nationals/?task=article&id=64521.
565 F. HACHED, « La laïcité : un principe à l’ordre du jour de la IIème République tunisienne ? », Confluences
Méditerranée, 2011/2, n° 77, p. 30.
566 Au sein du Chapitre 9 relatif aux dispositions finales, le Projet de brouillon du 14 août 2012 consacrait un
projet d’articles suivant lequel : aucune révision constitutionnelle ne peut porter atteinte ;
à l’Islam en tant que religion de l’Etat,

à la langue arabe en tant que langue officielle,
au caractère républicain du régime,
au caractère « civil » de l’Etat,
aux acquis des droits de l’homme et de ses libertés consacrés par la présente Constitution,
au nombre et à la durée des mandats présidentiels par augmentation.
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139




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disparaîtra qu’avec l’avènement de la version finale de la Constitution. »567 En effet, l’article
148 du Brouillon de projet du 14 décembre 2012, l’article 136 du Projet de Constitution du 22
avril 2013 et l’article 141 de l’avant-projet final du texte constitutionnel du 1
er juin 2013,
énonçaient la liste des dispositions non révisables de la Constitution, dont l’Islam comme
« religion de l’Etat ». Ces différents articles contredisaient l’article premier de la Constitution,
puisqu’en faisant de l’Islam la religion de l’Etat, la religion devait régner sur les institutions
étatiques.
Or, bien que la religion soit l’une des caractéristiques de la Tunisie, en élaborant l’article
premier de la Constitution du 1
er juin 1959, Habib BOURGUIBA ne voulait pas que l’Islam
règle les institutions et l’organisation étatiques. La religion n’était et ne devait être que l’une
des caractéristiques de la Tunisie. De plus, « [d]ans le rapport du 24 juin 2013 sur le projet
du 1
er juin élaboré par un comité d’experts568 saisi par le président de la République le 10
juin 2013, les problèmes et soucis découlant de l’article 141 ont été soulevés.
»569 Non
seulement le comité d’experts a relevé la contradiction entre l’article 141 de l’avant-projet
final du texte constitutionnel et l’article 2 relatif au caractère « civil » de l’Etat, mais il a
également souligné la contradiction interne des termes de l’article 141 qui consacre à la fois
l’Islam comme religion de l’Etat et le caractère « civil » de l’Etat
570.
A tout le moins, la formule « religion de l’Etat » semblait problématique pour l’opposition
démocratique à l’ANC et pour la société civile puisqu’elle pouvait faire « l’objet d’une
interprétation fondamentaliste et théocratique.
»571 Elle avait pour objet de réintroduire la
charia au sein des dispositions constitutionnelles, pour en faire la source principale de
législation. Si la formule avait été retenue, le droit tunisien n’aurait plus été objectif et serait
devenu matériellement et fondamentalement religieux. Face au risque de blocage que pouvait
susciter cette formule non révisable au moment du vote final du texte constitutionnel,
Ennahdha a été contraint d’y renoncer en mars 2012. Néanmoins, même si la Commission des
consensus a supprimé la référence à l’ « Islam en tant que religion de l’Etat » des dispositions
567 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
568 Comité présidé par le Doyen Yadh BEN ACHOUR et composé de Salsabil KLIBI, Hafidha CHEKIR,
Mohamed SALAH BEN AÏSSA, Néji BACCOUCHE, Slim LAGHMANI, Amin MAHFOUDH, Chafik
SARSAR, Mustapha BELTAIEF et Ghazi GHERAÏRI.
569 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 335.
570 L’insertion dans le texte constitutionnel de l’article 2 disposant du caractère « civil » de l’Etat fait l’objet du
paragraphe qui suit.
571 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 335.
140




Page 142
finales du texte constitutionnel572, elle n’a certainement pas pu résoudre la question de la
nature de l’Etat et celle de la société.
« Aussi, le texte proposé au vote final de l’ANC fait disparaître l’article relatif à la liste des
dispositions non révisables et lui substitue la mention de la prohibition de la révision à la fin
de chaque article concerné, dont l’article 1
er. »573 Le texte actuel de la Constitution contient
deux articles non révisables en tête du chapitre relatif aux principes généraux de la
Constitution : l’article premier reprend mot pour mot la formulation de l’article premier de la
Constitution tunisienne du 1
er juin 1959, l’article deuxième pose le caractère « civil » de l’Etat
en Tunisie
574. « Quoi qu’il en soit, la présence de ces deux articles révèle un conflit de normes
prenant ses racines dans le fonds social lui-même.
»575
Malgré tout, la suppression de la formule selon laquelle l’Islam est la religion de l’Etat, a eu
pour mérite d’éviter l’islamisation du droit et des institutions, ce qui n’a pas été le cas dans
tous les pays secoués par le Printemps arabe. Les débats relatifs à la nature de l’Etat et à la
place de la religion dans le système juridique, ont également constitué l’un des principaux
enjeux du processus d’élaboration de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014
576.
Contrairement au Maroc, l’Egypte partage avec la Tunisie le même type de régime politique à
savoir le régime républicain. De plus, à l’instar de la Tunisie, l’Islam est la religion de la
majorité des Egyptiens. D’ailleurs, les deux voisins ont pour habitude d’évoluer l’un en
fonction de l’autre
577. La Constitution de 2012 et celle de 2014 reprennent mot pour mot les
dispositions de l’article 2 de la Constitution égyptienne de 1971 selon lesquelles : « Les
principes de la charia islamique sont la source principale de législation
»578. Nathalie
572 La Commission des consensus a essentiellement révisé l’avant-projet final du texte constitutionnel en date
du 1er juin 2013.
573 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 62.
574 Opposition traitée dans le 2 qui suit.
575 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 335.
576 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour
l’Egypte ? », Revue française de droit constitutionnel, 2015, 103, p. 526.
577 Les deux Etats sont dotés d’une histoire et d’une culture riches qui font leur spécificité dans le monde arabe
et musulman. Il semble alors logique qu’étant voisins, ils cherchent à s’arroger les avancées et réformes à
l’œuvre dans les Etats arabes d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. L’exemple le plus flagrant étant la
compétition entre G. NASSER et H. BOURGUIBA au sujet de la conception du nationalisme arabe et de la
résolution du conflit israélo-palestinien. Chacun des deux présidents voulait s’arroger le leadership du
monde et du nationalisme arabes. Pour plus de précisions sur ce point, cf. le 1 du B. du Paragraphe 1 de la
Section 1 du Chapitre 1 du Titre II de cette partie relatif à la volonté des constituants de faire de la
Constitution un modèle valable régionalement,
p. 202.
578 Pour mémoire, la Constitution de 1971 est la première Constitution égyptienne à consacrer la valeur
normative de la
charia. Alors qu’elle prévoyait initialement que la charia était « une source principale de
la législation
», elle a été amendée en 1980. Depuis, la charia est « la » source principale de la législation.
141



Page 143
BERNARD-MAUGIRON précise que « pour une bonne partie de la population, la charia
pourrait avoir une dimension éthique plus que juridique.
»579 L’application des préceptes
religieux vise à rétablir l'ordre moral, la justice sociale et à améliorer la gouvernance
publique.
Bien qu’au stade actuel de la réflexion, la comparaison avec l’Egypte n’est que brièvement
évoquée, elle permettra de démontrer que la relation entre l’Etat et l’Islam en Tunisie est des
plus singulières
580. Même si le processus constituant tunisien perd sa singularité au contact
des sociétés divisées à l’instar d’Israël, de l’Inde et de l’Irlande, l’exception tunisienne
réapparaît au contact d’autres constitutions du monde arabo-musulman. Malgré les dissensus
entre les constituants sur la place à accorder à l’Islam au sein de l’Etat, la société tunisienne
actuelle est régie par le droit. En dépit de cela, le droit et la loi peuvent avoir une connotation
religieuse en fonction de l’interprète et de la lecture de l’article premier. Même si les
islamistes ont voulu réintroduire la charia dans le texte constitutionnel, les modernistes ont
obtenu l’insertion de l’article 2 de la Constitution, qui dispose du caractère « civil » de l’Etat.
2. L’insertion de l’article 2 disposant du caractère « civil » de l’Etat
L’article 2 a été introduit dans la version du 22 avril 2013. « Il est pensé et écrit de manière
ambigüe. On parle de régime civil qu’on oppose normalement au régime militaire. Comme on
oppose l’Etat religieux à l’Etat laïc.
»581 Afin d’expliquer les propos du Professeur Slim
LAGHMANI et avant même de savoir pourquoi l’article 2 a été introduit, il est essentiel de
rappeler que les évènements de 2013 ont largement impacté le processus constituant et
l’écriture du texte constitutionnel. Pour éviter l’islamisation rampante du pouvoir et du texte
constitutionnel, les partisans du Dialogue national ont fait le choix de l’insertion d’un article
579 L’insertion de l’article 2 au sein de la Constitution égyptienne de 1971 a inspiré d’autres constituants dans
le monde arabe et musulman. La référence à la
charia et l’adhésion de l’Etat à la loi islamique se trouvaient
également dans la Constitution du Yémen, de Bahreïn, du Koweït et des Emirats arabes. N. BERNARD-
MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 : quelle
réforme constitutionnelle pour
l’Egypte ? »,
précit., p. 526 et A. MOHAMED-AFIFY, « La Constitution égyptienne de 2014 : entre
traditions et tendances révolutionnaires », Revue française de droit constitutionnel, 2015, 101, pp. 133-134.
580 La comparaison avec le voisin égyptien sur la relation entre l’Etat et l’Islam fait l’objet du le Chapitre 1 du
Titre II de la PARTIE II de cette thèse relatif à un Etat « civil » pour un peuple musulman, p. 435.
581 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
142




Page 144
établissant le caractère « civil » de l’Etat582. C’est en partie grâce au travail effectué par le
comité d’experts du
Dialogue national583, en collaboration avec la Commission de
coordination entre le Dialogue national et l’ANC, que les députés ont réussi à s’accorder sur
le caractère « civil » de l’Etat.
Le terme « civil » a été choisi parce que la laïcité est synonyme d'apostasie et surtout, parce
que l’ambiguïté du signifiant peut autant être interprétée par les démocrates que par les
théocrates. En fait, comme l’affirme le Professeur Jean-Philippe BRAS, les acteurs politiques
et interprètes institutionnels du texte joueront « énormément sur "l’incertitude sémantique" du
concept pour pouvoir se l’approprier formellement, en lui donnant substantiellement une
signification qui s’accorderait avec les présupposés doctrinaux et idéologiques de base du
parti majoritaire aux élections
. »584 Même si les démocrates ne vont pas jusqu’à revendiquer
la laïcité, les théocrates – comme le dit le Professeur Slim LAGHMANI – croient que l’Etat
« civil » s’oppose à l’Etat dé-religieux
585. Afin d’expliquer le sens attribué au caractère
« civil » de l’Etat par les différents constituants, il convient de comprendre les raisons de cet
accord sur le terme « civil ».
Bien qu’ils soient inquiets de la possible mise en place d’un gouvernement théocratique, les
démocrates à l’ANC ne revendiquent pas l’instauration d’un Etat laïque. Socialement et
culturellement prohibée, la laïcité n’a pas droit de cité. Ils emploient alors la notion d’Etat
« civil » pour qualifier la Tunisie. Cette notion a un double objectif : en évitant l’emploi du
terme « laïcité », ils restent « dans un entre soi national, à distance des complots ourdis par
l’Occident. De plus, la civilité de l’Etat est pour les partis séculiers un butin qui va leur
permettre de guerroyer contre Ennahdha dans la suite du débat constitutionnel, puis plus tard
dans les arènes législatives ou judiciaires face à toute tentative d’islamisation du droit.
»586
L’article 2 leur permet également de s’opposer à la volonté d’Ennahdha, de maintenir la
582 L’objet de ces développements est de savoir pourquoi les constituants ont opté pour le terme « civil ». La
définition de l’Etat « civil » tunisien et égyptien fait l’objet du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE II de
cette thèse relatif à
un Etat « civil » pour un peuple musulman, p. 435.
583 Ce comité d’experts essentiellement composé d’Hafidha CHEKIR, de Mohamed SALAH BEN AÏSSA, de
Mohamed GUESMI, de Ghazi GHERAÏRI et de Yadh BEN ACHOUR, avait refusé de s’intégrer à l’équipe
des juristes choisis par l’ANC. En effet, l’équipe de l’ANC n’avait pas de formation en droit public ou avait
collaboré avec les institutions d’ancien régime.
584 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., pp. 315-316.
585 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
586 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit, p. 68. Voir égalment la
Section 2 de ce chapitre relative au
choix constitutionnel de la détermination du signifié par les interprètes
authentiques
, p. 152.
143




Page 145
formule qui fait de l’Islam la religion de l’Etat, au sein des dispositions finales de l’avant-
projet final du texte constitutionnel. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le deuxième alinéa
de l’actuel article 2 précise que « [l]
e présent article ne peut faire l’objet de révision. »587
Dorénavant et grâce à l’insertion de cet article, la charia ne peut plus faire office de source de
législation.
Ennahdha est-il d’accord avec cette dernière affirmation ?588 Pour le Doyen Yadh
BEN ACHOUR, il y aurait une « confusion des genres, dans la mesure où les deux
perspectives, exploitant les mêmes mots, se situent dans une relation d’antagonisme radical
des sens.
»589
En s’accordant sur le signifiant « civil », les théocrates voulaient prouver qu’ils avaient
intégré les règles de la compétition politique pour l’accès au pouvoir. La formule leur
« permet[tait] d’éviter l’accusation de “théocratique”, tout en maintenant la voie ouverte aux
fondamentaux de
l’idéologie
islamiste. »590 Cette stratégie du parti
islamiste visait
essentiellement à démontrer aux observateurs internationaux et surtout occidentaux du
processus constituant, qu’il était l’acteur politique à l’origine des concessions permettant
l’une des transitions démocratiques du monde arabe les plus inédites. L'autre message à faire
passer était qu’il contrôlait l’aile radicale de son parti, à l’exemple de ses deux membres
Sadok CHOUROU
591 et Habib ELLOUZE592.
587 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 2, deuxième alinéa.
588 La conception d’Ennahdha de l’Etat « civil » est fondamentale. Elle fait l’objet du Chapitre 1 du Titre II de
la PARTIE II de cette thèse relatif à un Etat « civil » pour un peuple musulman, p. 435.
589 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 238.
590 Ibid., p. 239.
591 Né en 1952, Sadok CHOUROU est un candidat de la circonscription de Ben Arous du parti Ennahdha.
Ayant un doctorat en chimie, il a enseigné à la Faculté de Médecine de Tunis jusqu’à son arrestation en
1991. Connu pour son engagement politique au sein du mouvement islamiste, Sadok CHOUROU faisait
partie de l’
Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET). Dans les années 1980, il rejoint l’organe
délibérant,
Majles Choura du Mouvement de Tendance Islamique (MTI). En 1988, il est élu président du
mouvement Ennahdha. Emprisonné en 1991, il est torturé et régulièrement amené à l’hôpital. Jugé avec
265 membres d’
Ennahdha par le Tribunal militaire de Tunis en 1992, il est sauvé in extremis de la peine de
mort mais est condamné à perpétuité. Libéré en octobre 2010, Moncef MARZOUKI le surnomme «
Le
Mandela de la Tunisie
». Le 23 janvier 2012, lors d’une séance plénière à l’ANC, il suscite la controverse
en citant le
verset 33 de la Sourate 5 Al-Maidah du Coran et en insistant à réprimer sévèrement les
manifestants à Tunis.
Pour plus d’informations sur la biographie de Sadok CHOUROU cf. AL BAWSALA,
MAJLES MARSAD,
Assemblée, Bloc parlementaire : Mouvement Ennahdha, Sadok CHOUROU, [en
ligne]
, [consulté le 3 mai 2019], https://majles.marsad.tn/fr/deputes/4f4fbcf3bd8cb56157000014.
592 Originaire de Sfax, Habib ELLOUZE se consacre dans les années 1970 à la prédication et à l’enseignement
religieux. Membre fondateur du
MTI, il a été, de 1988 à 1991, président par intermittence du Majles
Choura
puis président du mouvement de juin 1991 à septembre 1991 (date à laquelle il a été arrêté). Très
conservateur, Habib ELLOUZE s’était opposé au changement de nom du mouvement : il était nécessaire
pour lui de conserver la qualité islamique du mouvement pour traduire sur la scène politique, la bataille
identitaire du parti. Connu pour son éloquence et son sens de la rhétorique, il appelait régulièrement à
former des prédicateurs religieux. Condamné par contumace à dix ans de prison en 1981, il s’exile en
Algérie avec sa famille et ne revient en Tunisie qu’en 1984, suite au décès de sa femme. Pour plus
144



Page 146
Les concessions faites par Ennahdha se sont manifestées durant les travaux de la Commission
des consensus. En même temps que la Commission des consensus retirait l’article 141 de
l’avant-projet final du texte constitutionnel, elle insérait l’article 2 qui prévoit que : « La
Tunisie est un Etat civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du
droit. » A l'évidence, il existe une contradiction d’inspiration entre l’article 1 et l’article 2 de
la Constitution, mais à l’instar du Professeur Slim LAGHMANI, force est de constater qu’ « il
n’y a pas d’identité unique en Tunisie mais une identité plurielle et c’est un problème
puisqu’elle crée le malaise. La Constitution est l’expression de ce qui n’a pas été réglé.
»593
Certes, la démocratie procédurale
594 a servi un temps à dépasser les conflits, à achever le
processus constituant et à mettre un terme à la période transitoire, mais le texte élaboré par le
couple théocrate/démocrate ne garantit pas la démocratie substantielle
595. Cette dernière
dépendra de l’interprétation donnée par les acteurs politiques et institutionnels aux articles 1
et 2 du texte constitutionnel.
La question qui se pose alors est de savoir lequel des deux articles, premier ou deuxième,
permettra de définir la nature de la société et de l’Etat en Tunisie. Si l’Etat tunisien se veut
véritablement « civil », il se doit de garantir sans limites, la liberté de conscience des
Tunisiens. Or, l’article 6 garantit la liberté de conscience tout en faisant de l’Etat le protecteur
de la religion et du sacré. Il est donc l’archétype même de la contradiction constitutionnelle.
d’informations sur la biographie de Habib ELLOUZE cf. AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Assemblée, Bloc parlementaire : Mouvement Ennahdha, Habib ELLOUZE, [en ligne], [consulté le 3 mai
2019], https://majles.marsad.tn/fr/deputes/4f4fbcf3bd8cb56157000010.

593 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
594 Cf. le 1 du B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre I de cette partie relatif à l’islam du juste
milieu et la mise en œuvre des mécanismes de la démocratie procédurale, p. 66.
595 La démocratie est une doctrine politique qui suppose une organisation politique au sein de laquelle le peuple
exerce la souveraineté. Alors que la démocratie substantielle recouvre un ensemble de valeurs relatives aux
droits de l’Homme, la démocratie procédurale suppose une certaine manière de gouverner qui reconnaît
l’intangibilité de certains principes tels que la représentation et la séparation des pouvoirs. La démocratie
substantielle reconnaît la liberté, l’égalité des individus et garantit la pluralité des opinions et des
confessions. La démocratie procédurale s’appuie sur un certain nombre d’institutions et de procédures
définies par le régime politique. Pour une définition antique et moderne du terme de démocratie cf. J.-F.
KERVEGAN, « Démocratie »,
in P. RAYNAUD et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la philosophie
politique, op.cit.
, pp. 149-155.
145







Page 147
B.
L’article 6 comme archétype de la contradiction constitutionnelle
Qualifié de véritable, « cour des miracles »596 ou encore de « pot-pourri constitutionnel »597,
l’article 6 est symptomatique des ambiguïtés et contradictions que recèle la Constitution du 27
janvier 2014
598. « Il est le résultat de confrontations objectives, profondes et multiples entre
les tenants conservateurs d’une constitution protectrice de l’islam et son rôle dans la société
et dans l’Etat et les tenants d’une séparation de la politique, du droit, de l’Etat et de la
religion.
»599 En consacrant la liberté de conscience ou hurriyat adhamîr, l’article 6 rompt
totalement avec le
shar’600 islamique classique qui interdit au musulman de quitter sa religion.
Il fait également de l’Etat, le protecteur de la religion et du sacré. Comment alors concilier le
rôle de l’Etat en tant que protecteur de la religion et du sacré et celui qu’il doit assumer en tant
que garant de la liberté de conscience ? La conciliation entre ces deux fonctions est
difficile (2). Elle témoigne du climat non sécularisé d’élaboration de l’article (1).
1. Le climat non sécularisé d’élaboration de l’article
Entre juin 2011 et juin 2012, une série de manifestations culturelles est jugée blasphématoire
par les théocrates et provoque des agressions de différentes sortes. Les islamistes considèrent
que deux films
601 et une exposition artistique au Palais d’Al-Abdelia602 à La Marsa, portent
596 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit, p. 334.
597 Ibid., p. 240.
598 De nombreux articles de la Constitution tunisienne se contredisent. A l’instar de l’article 6, leur élaboration
a suscité des débats controversés à l’ANC. Ils sont les témoins des valeurs opposées des théocrates et des
démocrates. Il s’agit essentiellement des articles 1, 2, 15, 16, 39, 42, 21 et 46. Ces-derniers disposent des
caractéristiques de l’Etat, de la neutralité de l’Administration, de l’enseignement, de la culture et de
l’égalité homme-femme. La contradiction entre les différentes dispositions sera abordée et analysée dans la
PARTIE II de cette thèse.
599 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit, p. 240.
600 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Shar’.
601 Le premier est réalisé par Nadia El FANI et s’intitule « Ni Allah ni maître ». Sa diffusion est à l’origine de
l’attaque du cinéma de l’
Afric’Art le 26 juin 2011. Les spectateurs sont agressés et la salle saccagée par des
islamistes. Le second, «
Perspepolis » est un dessin animé diffusé le 7 octobre 2011 par la chaîne de
télévision
Nessma. Il est réalisé par Merjane SATRAPI et décrit les conséquences de la révolution
islamique en Iran. Les islamistes jugent une scène dans laquelle Dieu est représenté, blasphématoire, alors
que la représentation de Dieu est interdite par l’Islam sunnite. Des milliers de salafistes et d’islamistes
manifestent dans le pays. La maison de Nabil KAROUI, président de la chaîne, est incendiée.
602 Le 11 juin 2012, une exposition d’arts plastiques au Palais d’Al-Abdelia à La Marsa, est jugée
blasphématoire. Des centaines de salafistes d’obédience djihadiste manifestent dans de nombreuses cités
des gouvernorats du Grand-Tunis. A Sousse, ils attaquent le siège d’un tribunal et des postes de police. Les
trois partis de la coalition gouvernementale estiment que les tableaux exposés ont provoqué la foi des
musulmans. Par ailleurs, du fait de l’agression de nombreux journalistes, artistes et intellectuels, une grande
partie des Tunisiens tient le parti majoritaire responsable des évènements du fait de sa passivité.
146






Page 148
atteinte aux choses sacrées603. Renvoyant à « Dieu, Allah, qu’il soit glorifié, ses prophètes,
livres,
ses
les
synagogues
»604, les Nahdhaouis jugèrent que les choses sacrées devaient faire l’objet d’une
la Sunna du Prophète, ses envoyés,
les églises et
les moquées,
protection de l’Etat. Ils ont alors déclenché une campagne visant à réprimer l’atteinte aux
choses sacrées ou l’i’tidâ ‘alâ l muqaddasât. Dans le projet de modification de l’article 165
du Code pénal proposé par
Ennahdha et déposé à l’ANC le 1er août 2012, l’atteinte au
sacré est définie comme « l’injure, la profanation, la dérision et la représentation d’Allah et
de Mahomet.
»605 La protection des choses sacrées par l’Etat se retrouvait aussi dans la
première version du texte constitutionnel en date du 14 août 2012. L’article 4 du Chapitre
premier relatif aux « Principes généraux » prévoyait que : « L’Etat protège la religion,
garantit la liberté de croyance et l’exercice des cultes. Il protège les choses sacrées,
muqaddasât, et garantit la neutralité des lieux de culte contre la propagande partisane. »
Simultanément, un article du Chapitre 2 relatif aux « Droits et libertés » précisait que :
« L’Etat garantit la liberté de croyance ainsi que l’exercice des cultes et punit toute atteinte
aux valeurs sacrées de la religion. » En criminalisant l’atteinte au sacré, le Projet de
brouillon ne reconnaissait ni la liberté de pensée, ni la liberté de conscience.
Il faut alors rappeler qu’en Tunisie, le compromis autour du sacré suppose qu’aucune
contestation philosophique ou politique de la religion ne soit tenue en public. Bien qu’il y ait
des Tunisiens non croyants ou/et non pratiquants, ils refusent d'exprimer leur point de vue
dans l’espace public, afin de respecter les conventions culturelles et sociales. Cependant,
malgré l’attachement culturel de la Tunisie à l’Islam, le droit tunisien a toujours été issu des
normes juridiques élaborées par les représentants du peuple. Puisqu’aucun être métaphysique
n’est au fondement du droit et de la loi, les modernistes à l’ANC ont demandé l’inscription
la Constitution de
dans
internationales
606 et les associations de la société civile.
la
liberté de conscience, appuyés par
les organisations
603 Cette expression est employée par les constituants. Elle se retrouve dans les travaux préparatoires et les
différents brouillons de Constitution.
604 Définition des choses sacrées par le projet de loi introduit par Ennahdha au Palais du Bardo à la suite des
évènements d’Al-Abdelia. Ce projet visait essentiellement à modifier l’article 165 du Code pénal.
605 Le projet de modification de l’article 165 du Code pénal introduit par les Nahdhaouis sanctionnait l’atteinte
au sacré
par une peine de prison pouvant aller de deux à quatre ans en cas de récidive et par une amende de
2 000 dinars. Du fait des multiples réactions de la société civile, de l’opposition démocratique et du Comité
d’experts juristes de l’Instance Supérieure pour la Réalisation des Objectifs de la Révolution (ISROR), ce
projet a échoué et a été retiré.
606 L’Organisation Non Gouvernementale (ONG) Human Rights Watch (HRW) a adressé une lettre aux
membres de l’ANC à propos de la criminalisation constitutionnelle de l’
atteinte au sacré. Elle craignait
qu'en criminalisant cet acte, se prépare un terrain favorable à la censure, donc à la punition de l’expression
147



Page 149
De manière générale, la liberté de conscience, hurriyat adhamîr, consiste en la possibilité
pour un individu de choisir de manière consciente, de changer sa religion, de la modifier ou
de ne pas en avoir. Elle est plus large que la liberté de religion puisqu’elle comprend en plus,
une liberté métaphysique et une liberté philosophique. Ainsi définie, la liberté de conscience
est en rupture avec le shar’ islamique classique qui interdit au musulman de quitter sa
religion. Sans la consécration de cette liberté, l’apport historique de la Révolution aurait été
nié. Les Tunisiens n’auraient pas été libérés des idées dominantes admises par la société et
l’ancien régime.
En refusant de constitutionnaliser la liberté de conscience, les islamistes se sont réservé la
possibilité de recourir aux commandements de la
charia qui condamne l’apostasie, le takfir607.
En accusant un musulman de renier l’Islam, le takfir constitue un appel au meurtre. Ceci est
déduit de l’interprétation de la plupart des législates musulmans qui, au cours de l’histoire, ont
sanctionné par la mort, le renégat, murtadd. L’opposition des organisations internationales et
les manifestations des associations et organisations de la société civile ont encore une fois
poussé les islamistes à faire des concessions. Les articles problématiques du Projet de
brouillon ont alors été revus par les partisans du Dialogue national, initié par Moncef
MARZOUKI à partir du 15 avril 2013, à Dar Dhiafa à Carthage.
Le 5 janvier 2014, au moment du vote final de la Constitution, un incident a opposé Mongi
RAHOUI
608 à Habib ELLOUZE609. Ce dernier avait accusé le premier d’être un laïciste,
ennemi juré de l’Islam, avant d’ouvrir la voie à des appels au meurtre pour apostasie
610. « Je
suis musulman, mon père est musulman, ma mère musulmane, mon grand-père musulman
d’un père musulman ! » lui rétorqua Mongi RAHOUI. Si l’Etat et les Tunisiens étaient
d’avis divergents ou virulents, à l’égard de la religion. Dans le même sens, les résolutions clés du Conseil
des droits de l’Homme des Nations Unies, les 16/18 mars 2011 abandonnent la notion de diffamation des
religions, comme motif possible pour limiter la liberté d’expression.
607 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Takfir.
608 Né le 13 juin 1964, Mongi RAHOUI est originaire de Jendouba. Il suit des études universitaires en France à
Marseille puis à Paris. De retour à Tunis, il devient un militant politique et syndical : il rejoint le
Mouvement des Démocrates Socialistes (MDS) mais est emprisonné en 1982 pour incitation au désordre. A
partir de mars 2011, Mongi RAHOUI rejoint le
Mouvement des Patriotes Démocrates (MPD) qu’il
représente à l’ANC. Personnage politique très médiatisé, il prend part à de nombreuses polémiques au
cours du processus constituant : le 7 février 2013, il remet en cause la légitimité de l’ANC et critique
Ennahdha pour son absence de position politique. Pour plus d’informations sur la biographie de Mongi
RAHOUI cf. AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Assemblée, Bloc parlementaire : Bloc Démocrates,
Mongi
2019],
[en
https://majles.marsad.tn/fr/deputes/4f4fbcf3bd8cb561570000be.
RAHOUI,
[consulté
ligne],
mai
609 Député islamiste ultraconservateur. Cf. Note de bas de page 592.
610 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences Juridiques,
le
4
Politiques et Sociales de Tunis.
148




Page 150
véritablement détachés de la religion, ni l’accusation, ni la réponse n’auraient été autant
médiatisées. Dans un climat sécularisé, les convictions personnelles n’interfèrent pas dans les
affaires publiques et restent cantonnées à la sphère privée. Or, en Tunisie, l’athéisme et le
blasphème ne sont pas encore socialement admis. Malgré le caractère anecdotique de cet
incident, il a été à l’origine de la constitutionnalisation de la liberté de conscience et de la
condamnation du takfir. Cependant, il est évident qu’Ennahdha ne s’est engagé à combattre
les discours contre la haine et les accusations d’apostasie qu’à la condition d’insérer la
protection du sacré
611 à l’article 6 de la Constitution.
Cet article précise que : « L’Etat protège la religion, garantit la liberté de croyance, de
conscience et de l’exercice des cultes. Il assure la neutralité des mosquées et des lieux de
culte de l’exploitation partisane. L’Etat s’engage à diffuser les valeurs de modération et de
tolérance et à protéger le sacré et empêcher qu’on y porte atteinte. Il s’engage également à
prohiber et empêcher les accusations d’apostasie, ainsi que l’incitation à la haine et à la
violence et à les juguler.
»612 Mais comment dire que la liberté de conscience est garantie en
Tunisie si par ailleurs, l’Etat est sommé de protéger la religion et le sacré ?
2. La difficile conciliation du rôle de l’Etat en tant que protecteur de la religion et du
sacré et garant de la liberté de conscience
L’article premier de la Constitution du 27 janvier 2014 établit que : « La Tunisie est un Etat
libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son
régime. / Le présent article ne peut faire l’objet de révision.
»613 En ne constitutionnalisant
que l’Islam, les constituants excluent du texte constitutionnel les individus athées, non
croyants, non pratiquants et non musulmans. Il aurait été préférable que « l’Etat soit le
gardien des religions d’autant que l’article 6 ne manque pas d’affirmer solennellement
l’engagement de celui-ci de diffuser les valeurs de modération et de tolérance.
»614 Comment
tolérer les autres religions si la Constitution ne les reconnaît pas ? En effet, il est intéressant
611 Ibid.
612 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 6.
613 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article
premier.
614 R. BEN ACHOUR, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », Revue française de droit
constitutionnel, décembre 2014, N° 100, p. 790.
149






Page 151
de souligner l’emploi par les constituants du terme tolérance à l’article 6. Contrairement au
respect qui consiste à « prendre en considération »615, la tolérance réside dans le fait « de ne
pas
interdire ou exiger, alors qu’on
le pourrait. »616 Au
lieu de consacrer
constitutionnellement une place aux différentes religions et de les intégrer dans le document
constitutionnel, l’Etat tunisien s’abstient de les interdire et ne leur reconnaît aucun statut
particulier ou privilégié à l’exemple de l’Islam.
Dans le même sens, l’article 74 de la Constitution empêche les Tunisiens qui souhaiteraient
candidater à la présidence de la République, d’avoir une autre religion que celle définie à
l’alinéa premier : « La candidature à la présidence de la République est un droit pour toute
électrice ou tout électeur de nationalité tunisienne par la naissance et de confession
musulmane.
»617 Bien que le texte constitutionnel mette sur un pied d’égalité les femmes et les
hommes, il empêche le ou la candidat(e) à la plus haute fonction de l’Etat d’avoir une autre
confession que celle déterminée par l’article 74. Dans ce contexte, comment faire respecter et
appliquer, le principe d’égalité si la Constitution ne sacralise que le référent islamique de
l’identité du peuple ? La liberté de conscience consacrée à l’article 6 peut-elle ainsi être
véritablement respectée ? En plus de ne reconnaître pour seule religion que l’Islam et de
mettre sous conditions la liberté de conscience des citoyens tunisiens areligieux, l’article 6
impose à l’Etat la protection du sacré.
Lors d’un entretien avec Salsabil KLIBI618, une autre interprétation de l’article 6 a été
exposée. En effet selon elle, la protection étatique du sacré ne cible aucun culte et aucune
religion en particulier, «
il ne précise pas que l’Islam est une religion privilégiée. »619 Elle
ajoute que cet article aurait posé un problème si l’Etat tunisien avait été qualifié de laïc. Or
l’Etat est « civil » pour justement, permettre la protection étatique du sacré. Autrement dit,
l’article 2 de la Constitution a été pensé pour laisser place à l’article 6 ; l’Etat en protégeant le
615 Respect, Le Petit Robert ; Dictionnaire de la langue française, op.cit., p. 1687.
616 Tolérance, Le Petit Robert ; Dictionnaire de la langue française, op.cit., p. 1973.
617 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article
74, alinéa premier.
618 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
619 Ibid.
150




Page 152
sacré, reconnaît la liberté de croyance, de conscience et le libre exercice des cultes620. Par
conséquent, comment comprendre l’article 1
er de la Constitution ?
L’Etat a pour souverain le peuple. Le droit est positif mais non détaché de toute référence à
l’Islam puisque d’après l’article 146 de la Constitution : « Les dispositions de la présente
Constitution sont comprises et interprétées les unes par rapport aux autres, comme une unité
cohérente.
»621 La liberté de conscience est alors comprise dans l’Islam et ses bases et par
conséquent, aucun comportement ou propos allant à l’encontre des principes et valeurs de
l’Islam, ne doit être tenu en public. Bien qu’il y ait des Tunisiens athées, non croyants ou non
pratiquants, ils ne peuvent par exemple, ni manger, ni boire, ni fumer dans un espace public
en période de ramadan. Même si aucun texte juridique n’interdit ces actions, des Tunisiens
ont été arrêtés et déférés devant la justice pour « atteinte aux bonnes mœurs » depuis la
Révolution du Jasmin622. En 2017, quatre hommes ont été condamnés à un mois de prison
pour « outrage public à la pudeur » après avoir mangé et fumé dans un jardin public pendant
le ramadan
623. Chaque année, des évènements similaires ont lieu à Tunis et dans d'autres villes
du pays.
Le processus constituant et l’étude des travaux préparatoires à la Constitution, permettent de
cerner la difficulté de concilier les valeurs et idées politiques des théocrates et des démocrates.
Même si la Constitution consacre la liberté de conscience, les Tunisiens ne peuvent dans la
pratique, l’exercer pleinement
624. Ceci est dû non seulement aux contradictions internes au
texte constitutionnel, mais aussi au
fait que
la société
reste culturellement et
traditionnellement attachée aux rites et pratiques de l’Islam. En ne reconnaissant que l'Islam,
le texte induit que les Tunisiens ne sont constitutionnellement pas égaux en religion. Il génère
également que la compréhension et le signifié des termes constitutionnels employés ne seront
définis que par les interprètes authentiques de la Constitution.
620 Au cours de l’entretien, Salsabil KLIBI a tenu à préciser : « C’est le Professeur Yadh BEN ACHOUR qui a
insisté pour intégrer la liberté de conscience au sein de l’article 6 ! Aucun expert international ne s’y est
mêlé.
» Ibid.
621 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 146.
622 Pour une étude détaillée de la pratique des droits et libertés en Tunisie cf. la Section 2 du Chapitre 1 du Titre
II de la PARTIE II de cette thèse relatif à
une citoyenneté contredite par les conventions sociales liées à
l’Islam,
p. 488.
623 S. HAMDOUNI, « Tunisie : un mois de prison pour avoir fumé en plein ramadan », Le Parisien [en ligne],
publié le 13 juin 2017, [consulté le 11 mai 2018], http://www.leparisien.fr/international/tunisie-un-mois-de-
prison-pour-avoir-fume-en-plein-ramadan-13-06-2017-7045590.php.
624 Cf. le Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE II de cette thèse relatif aux droits
et libertés brimés du fait de leur inadéquation avec l’Islam, p. 498.
151




Page 153
Section 2
Le choix constitutionnel de la détermination du signifié par les interprètes
authentiques
A l’instar du Professeur Michel TROPER, « [o]n entendra par “interprètes” non pas tous
ceux qui se livrent à une interprétation de la constitution, mais exclusivement ceux qui
produisent ce que Kelsen, appelle une “interprétation authentique”, c’est-à-dire celle à
laquelle l’ordre juridique fait produire des effets, qui ne peut être valablement contestée et
qui s’incorpore par conséquent au texte interprété.
»625 Conformément à l’adage « [e]jus est
interpretari cujus est condere legem », l’interprétation authentique d'un texte est celle de son
auteur. Quels sont alors, les interprètes authentiques de la Constitution du 27 janvier 2014 ?
Bien que l’article 148 alinéa 7 prévoit un interprète juridictionnel626, dans l’attente de la mise
en place de la Cour constitutionnelle
627, ce sont actuellement les autorités publiques qui sont
en charge de l’interprétation du texte constitutionnel. Contrairement aux Etats constitutionnels
européens à l’instar de l’Allemagne, l’interprétation de la Constitution en Tunisie est
« gouvernée par la prise en compte et la réalisation de la Constitution dans le processus
politique de la législation et dans l’activité des organes de l’administration.
»628 Autrement
dit, elle n’est pas encore « orientée sur la décision judiciaire définitive relative au contenu de
la constitution.
»629 L’interprétation présente donc un caractère multiple et collectif.
En effet, la lecture de la Constitution et notamment de l’article premier par les théocrates, est
radicalement différente de celle que peuvent en faire les démocrates. C’est la raison pour
laquelle au regard des multiples contradictions que recèle le texte constitutionnel, Habib
625 M. TROPER, « L’interprétation constitutionnelle »,
L’interprétation constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2005, p. 15.
in F. MÉLIN-SOUCRAMANIEN
(dir.),
626 A l’exemple de l’Instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois (IPCCPL), dont
dispose la loi organique 2014-14 du 18 avril 2014 (
JORT, n° 32 du 22 avril 2014, pp. 939-942). Prévue par
l’alinéa 7 de l’article 148 de la Constitution, cette instance a pour objectif de contrôler la constitutionnalité
des projets de lois, au cours des trois mois qui suivent la promulgation de la Constitution. Dans les faits,
cette instance est toujours en place. Dans l'attente de la mise en place de la Cour constitutionnelle, elle
contrôle les projets de lois dont elle est saisie.
627 La Cour constitutionnelle et l’Instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois font
l’objet du dernier chapitre de cette thèse. Cette section est essentiellement dédiée aux travaux préparatoires
à la Constitution et à l’insertion des articles relatifs à l’interprétation du texte constitutionnel.
628 E.-W. BÖCKENFÖRDE, « Les méthodes d’interprétation de la Constitution : un bilan critique », in E.-W.
BÖCKENFÖRDE,
Le droit, l’Etat et la Constitution démocratique. Essais de théorie juridique, politique et
constitutionnelle,
(traduit par O. JOUANJAN avec la collaboration de W. ZIMMER et O. BEAUD), Paris,
Editions Bruylant, LGDJ, 2000, p. 225.

629 Ibid.
152






Page 154
KHEDHER, rapporteur général de la Constitution, a voulu immuniser le texte contre les
conflits d’interprétation
630 (Paragraphe 1). En introduisant l'article 146 au Chapitre IX,
relatif aux dispositions finales, il engage les interprètes de la Constitution à comprendre les
articles les uns par rapport aux autres, «
comme une unité cohérente »631. Concrètement, si les
articles premier et deuxième doivent être appréhendés l'un par rapport à l'autre, la valeur
axiologique à donner à l'énoncé dans l’article premier, faisant de « l’Islam sa religion », reste
dépendante de l’interprète (Paragraphe 2).
Paragraphe 1
L’immunisation constitutionnelle du texte contre tout conflit
d’interprétation
Pour lire la Constitution « comme une unité cohérente »632 et concilier les dispositions des
articles 1 et 2 (B), le rapporteur général de la Constitution a inséré l’article 146 au sein des
dispositions finales du texte constitutionnel (A). Les membres de l’ANC se sont accordés sur
l’idée de fonder l’Etat « civil » sur les valeurs et principes de l’Islam. Introduite par Habib
KHEDHER à l’article 146, la directive d’interprétation vise à faire respecter la volonté des
constituants et à éviter une interprétation laïque de la Constitution. Comme toutes les
dispositions constitutionnelles, la directive d’interprétation formulée à l’article 146 est sujette
à interprétations. Bien qu’elle oriente les interprètes du texte constitutionnel dans un sens
donné, elle n’expose ni les différentes méthodes ni les objectifs d’interprétation de la
Constitution (C).
L’étude de l’article 146, des différentes méthodes et objectifs d’interprétation de la
Constitution permettra d’éclairer la conception que les Tunisiens se font de la Constitution633.
630 La Cour constitutionnelle à venir est, en vertu de l’article 101 de la Constitution, compétente pour trancher
les conflits de compétences entre le président de la République et le chef du Gouvernement.
631 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 146.
632 Ibid.
633 Sur ce point, nous rejoignons la pensée du constitutionnaliste allemand Ernest Wolfgang BÖCKENFÖRDE
selon laquelle : « Il existe un lien réciproque permanent entre une méthode d’interprétation de la
constitution et la théorie ou le concept de la constitution qui lui sert de base.
[…] Ici se confirme une vieille
expérience que l’on fait, dans le débat méthodologique, de la mutuelle dépendance entre l’objet et la
méthode.
[…] La conséquence en est qu’une discussion méthodologique sur l’interprétation de la
constitution est toujours en même temps une discussion sur le concept de constitution et sur la théorie de la
153







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Avant d’évoquer la place et le rôle des juges634 dans le système juridique, il est essentiel de
savoir quelles sont les spécificités culturelles de l’interprétation constitutionnelle. Certes, « le
texte constitutionnel limite l’interprétation, mais ne la commande pas puisqu’il recèle
plusieurs interprétations possibles. Autrement dit, le texte n’est pas tout, mais il compte.
»635
Même si la Constitution ne formule pas les objectifs que l’interprétation doit poursuivre, les
autorités publiques actuellement en charge de son interprétation doivent tenir compte de la
lettre et de l’esprit de la Constitution. Ce dernier consiste en la volonté des constituants
d’allier la religion qu’est l’Islam au caractère « civil » de l’Etat.
A.
L’article 146 et les différentes méthodes d’interprétation de la Constitution
Comme il a précédemment été énoncé, « le texte constitutionnel comprend une synthèse de
différentes visions qui ont toujours été considérées comme incompatibles. Leur coexistence
dans le texte nécessitait d’immuniser le texte contre tout conflit d’interprétation.
»636 Bien que
l’Islam ne soit pas la religion de l’Etat, pour les Nahdhaouis, l’Etat « civil » ne signifie
nullement «
une déconnexion totale entre le religieux, le droit et le politique. »637 Le
neuvième congrès du parti Ennahdha, qui s’est tenu en Tunisie du 12 au 16 juillet 2012, a
rappelé que l’Etat « civil » doit être construit sur les valeurs de l’Islam, car « rien n’empêche
que l’islam soit religion d’Etat, ni que les gouvernants s’inspirent des préceptes
religieux.
»638 Malgré le maintien de l’article premier de la Constitution du 1er juin 1959, pour
les théocrates, l’Etat doit gérer les affaires religieuses et les gouvernants doivent mettre en
œuvre les principes de la charia.
Mais, « si la charia peut inspirer la législation à travers ses principes et ses buts, elle ne la
détermine pas par des règles dans la plus grande partie des domaines de l’action publique,
qui relèvent donc d’un exercice séculier du pouvoir.
»639 En d'autres termes, le peuple est
constitution et qu’elle ne peut en être détachée. » E.-W. BÖCKENFÖRDE, « Les méthodes d’interprétation
de la Constitution : un bilan critique »,
précit., p. 246.
634 Objet du dernier chapitre de cette thèse.
635 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 296.
636 H. KHEDHER, « Le rapporteur général de la Constitution et le comité mixte de coordination et de
rédaction et la nouvelle constitution »,
in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K.
ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD, La Constitution de la Tunisie. Processus,
principes et perspectives, op.cit.
, p. 97.
637 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 67.
638 Ibid.
639 Ibid.
154






Page 156
souverain et ses représentants peuvent s’inspirer des préceptes et principes de l’Islam pour
élaborer la loi, selon la volonté du peuple et les attentes du corps social.
L’objectif des constituants a été de fixer dans le marbre constitutionnel, l’esprit dans lequel
théocrates et démocrates se sont accordés, pour juxtaposer à l’article premier, l’article deux.
Un article consacré à l’interprétation du texte constitutionnel a été inséré, pour que la
Constitution fasse l’objet d’une lecture harmonisée. Œuvre des partisans d’Ennahdha, il a été
inséré dans le Projet de Constitution du 22 avril 2013, par le rapporteur général de la
Constitution Habib KHEDHER. Devenu l’article 146 de la Constitution actuelle, il précise
que : « Les dispositions de la présente Constitution sont comprises et interprétées les unes par
rapport aux autres, comme une unité cohérente.
»640 Avant d’interpréter l’article, il est
essentiel de savoir quel a été l’objectif de son insertion au sein des dispositions
constitutionnelles.
Chargé « d’assurer la cohérence de la matière constitutionnelle et la clarté de ses articles
afin d’éviter toute incohérence
»641, le rapporteur général de la Constitution a voulu que « le
droit tunisien reste dans le cadre et les limites de l’Islam tant que le législateur n’a pas
véritablement tranché pour une législation neutre à l’égard de la religion.
»642 Se méfiant de
l’opposition démocratique à l’ANC et voulant lutter contre la déconnexion de l’Etat des
valeurs et principes religieux, l’article 146 incite les interprètes authentiques du texte
constitutionnel, à associer les dispositions des deux premiers articles de la Constitution.
Même s’il y est fait référence aux dispositions de la Constitution, son rôle était
essentiellement de lier les articles 1 et 2. Quelle est l’importance de ces deux articles dans la
détermination de la nature de l’Etat ? Comment interpréter la directive d’interprétation de
l’article 146 ?
L’approche comparative peut être éclairante notamment
l’apport des
travaux des
constitutionnalistes allemands. Considérée comme un cadre, la Loi fondamentale allemande
« fixe des conditions générales et des règles de procédures aux processus d’action et de
décision politiques et adopte des décisions fondamentales (de principe) s’agissant du rapport
640 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 146.
641 H. KHEDHER, « Le rapporteur général de la Constitution et le comité mixte de coordination et de rédaction
et la nouvelle constitution », précit., p. 100.
642 C. YARED, « “Un Etat civil, pour un peuple musulman ou le nouveau pari constitutionnel de la Tunisie »,
précit., p. 153.
155





Page 157
entre l’individu, la société et l’Etat mais elle ne contient pas de règles détaillées qui soit par
elles-mêmes déjà prêtes à être appliquées au sens judiciaire ou exécutées au sens
administratif.
»643 Autrement dit, l’ensemble des dispositions constitutionnelles contiennent
des principes qui, pour être appliqués, ont besoin d’être précisés.
L’imperfection de
la structure normative matérielle des dispositions644 de
la Loi
fondamentale, conduit la doctrine allemande à considérer la méthode systémique développée
par SAVIGNY, comme importante. Visant à préserver l’unité et la cohérence de l’ordre
constitutionnel, cette méthode consiste à interpréter les dispositions constitutionnelles les unes
par rapport aux autres
645. « Il y a plus : cette unité, irréductible aux dispositions du texte
constitutionnel, renvoie à un ensemble de principes qui donne sens au système
constitutionnel.
»646 La méthode systémique a été insérée dans la Constitution du 27 janvier
2014. A l’instar de la Loi fondamentale, la Constitution tunisienne est conçue comme
un cadre dont la structure normative et matérielle est imparfaite. Ce cadre contient des
principes élémentaires qui donnent sens au système constitutionnel. Quels sont ces principes ?
Découleraient-ils des dispositions des articles 1 et 2 de la Constitution ?
Alors que l’article premier fait de la Tunisie un Etat libre, indépendant et souverain dont la
religion est l’Islam, la langue l’arabe et la République le régime, l’article deuxième fait de
l’Etat un Etat « civil », fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit.
Bien que structurant la Constitution, ces principes ne sont pas les mêmes d’un interprète à
l’autre
647. Derrière l’importance accordée à chacun d’eux se profilent des conceptions
différentes de la société, du droit et de l’Etat. Chaque interprète défend son interprétation,
présentée comme seul sens véritable du texte. Alors, comment prétendre immuniser le texte
contre les éventuels conflits d’interprétation ?
Le Professeur Michel TROPER considère que
l’interprétation
constitutionnelle tient aux interprètes
648. Quand les acteurs politiques et interprètes
la spécificité de
institutionnels se réfèrent à la constitution, ils en assurent moins l’application ou la garantie,
643 E.-W. BÖCKENFÖRDE, « Les méthodes d’interprétation de la Constitution : un bilan critique », précit.,
p. 227.
644 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 307.
645 L’attachement à cette méthode d’interprétation a été exprimé dans l’une des décisions majeures de la Cour
constitutionnelle allemande en date du 23 octobre 1951.
646 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 307.
647 Sur ce point voir les Paragraphes B. et C. qui suivent.
648 M. TROPER, « L’interprétation constitutionnelle », précit., p. 20.
156


Page 158
qu’ils n’imposent leur propre interprétation et conception du texte constitutionnel649. Sa
conception de
l’interprétation «
a pour conséquence de considérer
les méthodes
d’interprétation comme des préférences idéologiques
»650 des interprètes. Certes le texte
constitutionnel doit être interprété pour être appliqué. Dans le cas tunisien, la directive
d’interprétation prévue par l’article 146 traduit la volonté que le texte ne disparaisse pas
derrière ses interprètes. Elle insiste sur la fonction d’unité qui revient à la Constitution et sert
de rempart à certaines interprétations. En effet, bien qu’elle ait été pensée comme un frein à la
volonté des démocrates de séparer l’Islam de l’Etat, elle empêche l’interprétation théologique
de la Constitution et l’islamisation du droit et des institutions
651.
Afin d’éviter l’instrumentalisation du texte par le parti politique au pouvoir, Habib
KHEDHER a décidé d'intégrer à la Constitution, la méthode systémique d’interprétation de la
Constitution. Quel que soit l’interprète, cette méthode suppose que l’interprétation soit en
accord avec la lettre et l’esprit de la Constitution. L’interprète doit se souvenir du compromis
dilatoire auquel ont abouti les constituants, pour rester fidèle à leur volonté d’asseoir les
institutions de l’Etat « civil » sur les valeurs et principes de l’Islam. Pour autant, une question
demeure : pourquoi le choix de la méthode d’interprétation n’a-t-il pas été laissé à la doctrine
ou à la Cour constitutionnelle ?
Contrairement à l’Allemagne où la question de l’interprétation est enracinée dans la Loi
fondamentale et où les théories élaborées par la doctrine ont un poids, la pratique politique du
texte constitutionnel sous BOURGUIBA et BEN ALI a dénaturé les débats relatifs à la
Constitution. Dépositaires du sens des articles de la Constitution, les deux présidents
ont empêché
l’épanouissement des méthodes d’interprétation proposées par
les
constitutionnalistes. La doctrine tunisienne a alors renoncé à la réflexion sur les finalités de la
Constitution et a abandonné ses fonctions aux interprètes institutionnels. Si ces derniers jouent
actuellement un rôle dans l’interprétation des dispositions de la Constitution du 27 janvier
2014, il est possible que leur interprétation soit contrecarrée par celle de la Cour
constitutionnelle. Cette dernière tarde pourtant à être mise en place : les autorités de
nomination des membres de la Cour constitutionnelle n’arrivent pas à s’accorder sur les
649 Pour plus de précisions sur ce point, cf. R. GUASTINI, Leçons de théorie constitutionnelle, (traduit et
présenté par V. CHAMPEIL-DESPLATS), Paris, Dalloz, 2010, 270 p.
650 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 311.
651 Ces deux points font l’objet d’une étude détaillée dans les Paragraphes B. et C. qui suivent.
157


Page 159
candidats à présenter652. Ces problèmes sont d’ailleurs liés à la conception que les Tunisiens
se font de la Constitution.
Conçue comme un instrument du pouvoir politique, la Constitution n’a jamais été considérée
sérieusement par les citoyens. Afin d’inverser la tendance, il faut impérativement que les
Tunisiens voient la Constitution comme un instrument du gouvernement limité et non
seulement, comme un instrument du pouvoir
653. Cela ne sera possible que par la naissance
progressive – dans les mentalités et la pratique – d’une culture constitutionnelle du peuple
654.
Cette dernière n’émerge qu’avec le temps
655 et grâce à la consolidation de la démocratie dans
un pays en pleine transition.
Outre les acteurs politiques et la doctrine, n’existerait-il pas d’autres interprètes à la
Constitution ? N’y aurait-il pas une autre méthode qui permette de conserver la lettre et
l’esprit de la Constitution ?
Il est intéressant d’envisager ici, l’application de la version radicale de la méthode topique-
problématisante développée par le Professeur Peter HÄBERLE. Visant à résoudre des
problèmes juridiques concrets par le biais d’une approche ouverte de l’interprétation, cette
méthode suppose la pluralité des interprètes de la constitution. « Il n’y a pas de numerus
clausus des interprètes de la Constitution. L’interprétation constitutionnelle a été jusqu’à
présent, plus dans sa perception qu’en réalité, l’affaire de la société fermée des interprètes
constitutionnels appartenant à la corporation des juristes et de ceux qui participent
formellement au processus constitutionnel. Elle est en fait beaucoup plus l’affaire d’une
société ouverte, c’est-à-dire de tous ceux qui y participent matériellement et sont dès lors des
acteurs publics parce que l’interprétation constitutionnelle concourt continuellement à la
constitution de cette société ouverte et est constituée par elle. Ses critères sont aussi ouverts
que la société est pluraliste.
»656
La structure ouverte de la Constitution de la Deuxième République a été favorisée par le
caractère participatif du processus constituant. Un grand nombre d’acteurs publics ont
652 Le dernier chapitre de cette thèse traite exclusivement de la Cour constitutionnelle.
653 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 249.
654 Pour plus de précisions sur ce point cf. le B du Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 1 du Titre I de la
PARTIE II de cette thèse relatif au
besoin d’une culture constitutionnelle travaillée par les gouvernés,
p. 367.
655 D. BARANGER, « Temps et Constitution », Droits, n° 30, 1999, pp. 45-46.
656 P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, op.cit., p. 126.
158


Page 160
participé aux débats et ont fait des propositions à l’ANC657. Le caractère ouvert et public de
l’interprétation prônée par le Professeur Peter HÄBERLE se reflète dans le processus
d’élaboration et la structure de la Constitution en Tunisie. Les associations et organisations de
la société civile vivent au quotidien la norme constitutionnelle. Il semble alors logique
qu’elles en soient des interprètes. La société civile est pourtant à l’image de l’ANC : les
acteurs publics qui la composent ont des conceptions de la société, du droit et de l’Etat,
radicalement opposées. La diversité des interprètes et la multiplicité des interprétations ne
porteraient-elles pas atteinte à la fonction d’unité « qui revient à la constitution en tant
qu’ordre juridique fondamental de la vie politique
»658 ? Comment faire pour que la structure
ouverte de la Constitution ne porte pas atteinte à sa lecture harmonisée par les éléments du
corps social ?
La méthode topique-problématisante du Professeur Peter HÄBERLE suppose que la
constitution, « considérée dans ses décisions fondamentales comme dans ses règles de détail,
devien[ne] un assemblage de points de vue devant servir à résoudre des problèmes, des points
de vue parmi d’autres, et dont la pertinence est déterminée, dans le cas concret, non pas par
elle-même, mais par la précompréhension qui, à chaque fois, est susceptible de créer le
consensus.
»659 La précompréhension de la constitution serait sous-tendue par l’idée qu’en
Tunisie, l’Etat « civil » a pour référence l’Islam mais cette précompréhension est-elle
compatible avec le contenu qu’il est possible de tirer de la Constitution ? Le Professeur Peter
HÄBERLE précise que la lecture harmonisée du texte constitutionnel est favorisée par
l’existence d’une juridiction constitutionnelle qui réceptionne en dernier lieu le processus
interprétatif. La Cour constitutionnelle serait alors l’instance qui légitime le consensus autour
de la précompréhension du texte constitutionnel. Pour que cette méthode d’interprétation
prenne effet en Tunisie, il faudrait que les acteurs de la société civile s’accordent sur la
précompréhension du texte constitutionnel et que le consensus ainsi formé, soit légitimé par la
Cour constitutionnelle.
Même si la société civile participe de manière active à la vie juridique et politique du pays, les
acteurs publics sont multiples, leurs interprétations de la Constitution divergent, malgré la
657 Cf. la Section 2 du Chapitre 1 du Titre II de cette partie relative à l’inspiration internationale du
constituant, p. 228.
658 P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, op.cit., p. 126.
659 E.-W. BÖCKENFÖRDE, « Les méthodes d’interprétation de la Constitution : un bilan critique », précit.,
p. 233.
159


Page 161
directive d’interprétation prévue à l’article 146660. Il est alors logique de penser que ce n’est
qu’avec la mise en place de la Cour constitutionnelle que la doctrine et les citoyens pourront
s’intéresser à la question de l’interprétation de la Constitution. Dans l'intervalle, l’éventuel
consensus formé autour de la précompréhension de la Constitution ne peut être légitimé. En
l’état actuel des choses, il semble impossible d’appliquer en Tunisie, la méthode
d’interprétation prônée par le Professeur Peter HÄBERLE.
Le choix d’un type d’Etat et de société est donc renvoyé aux institutions et autorités
publiques. Bien qu’il soit déterminé par leur interprétation, il respecte pour l’instant, la
directive d’interprétation prévue à l’article 146 de la Constitution.
B.
La conciliation des dispositions des articles 1, 2 et 146
Les deux institutions généralement chargées par le texte constitutionnel de l’interprétation de
la Constitution, sont la Cour constitutionnelle et le président de la République. A l’instar de la
Constitution française du 4 octobre 1958, la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 confie
le contrôle de constitutionnalité à la Cour constitutionnelle et le respect de la Constitution, au
président de la République. Du fait de l’article 120 de la Constitution, les constituants n’ont
voulu confier à la juridiction constitutionnelle, que des compétences d’attribution en matière
d’interprétation du texte constitutionnel. En plus d'énumérer les différentes matières pour
lesquelles la Cour constitutionnelle est compétente, le dernier alinéa de l’article 120 précise
que : «
La Cour exerce les autres attributions qui lui sont conférées par la Constitution. »661 Il
est donc sensé d'imaginer que la Cour constitutionnelle à venir, se limitera à ses attributions
constitutionnelles.
Si la Cour ne dispose que de compétences d’attribution en matière d’interprétation du texte
constitutionnel, la compétence de principe revient nécessairement, au président de la
République. Selon l’article 72 de la Constitution actuelle : « Le Président de la République est
le Chef de l’Etat et le symbole de son unité. Il garantit son indépendance et sa continuité et
660 Voir les Paragraphes B. et C. qui suivent.
661 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 120, dernier alinéa.
160






Page 162
veille au respect de la Constitution. »662 De fait, le Professeur Michel TROPER considère que
les autorités publiques « peuvent naturellement être amenées à interpréter [la Constitution]
dans les cas où il n’existe pas de contrôle de constitutionnalité, mais aussi dans ceux où un tel
contrôle existe, soit parce que certaines difficultés d’interprétation ne sont pas justiciables,
c’est-à-dire ne relèvent pas de la compétence d’une juridiction quelconque, soit parce que
l’autorité juridictionnelle ne peut produire une interprétation que de concert avec une autre
autorité, qui ne la saisira qu’après avoir elle-même donné une première interprétation de la
constitution.
»663 Le contrôle de constitutionnalité existe puisque prévu par la Constitution.
Mais, le retard accumulé dans la mise en place de la Cour constitutionnelle a pour
conséquence de faire du président de
la République
la seule autorité publique
constitutionnellement compétente en matière d’interprétation de la Constitution.
Soucieux de rester fidèle à la lettre et à l’esprit de la Constitution, le slogan employé au cours
de la campagne présidentielle de 2014 par le défunt président de la Deuxième République
664,
Béji CAÏD ESSEBSI
665, explicite l’articulation entre les articles 1, 2 et 146. La Tunisie serait
pour lui et pour bon nombre de Tunisiens : « Un Etat civil, pour un peuple musulman ». Se
pose alors la question de savoir comment Béji CAÏD ESSEBSI en est-il venu à rassembler les
Tunisiens autour d’un projet politique commun, en fusionnant les apports des articles 1 et 2 de
la nouvelle Constitution
666. Bien que le « “peuple musulman” constitue une description de
culte, de mœurs, de culture et de civilisation pour la majorité
»667, l’Etat « civil » est une
«
prescription de Constitution, de droit et de loi pour la nation. »668
Du fait de la victoire de Nidaa Tounes aux élections législatives du 26 octobre 2014 et de son
leader Béji CAÏD ESSEBSI, aux deux tours des élections présidentielles du 23 novembre et
662 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 72.
663 M. TROPER, « L’interprétation constitutionnelle », précit., p. 16.
664 Le 25 juillet 2019, le président Béji CAÏD ESSEBSI est décédé à l’âge de 92 ans. Si l’intérim de la
présidence a été assuré par le président de l’
Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) Mohamed
ENNACEUR, une réunion de la Cour constitutionnelle était indispensable pour constater la vacance
définitive du pouvoir et officialiser l’intérim présidentiel (article 84 de la Constitution du 27 janvier 2014).
Pour plus de précisions sur ce point cf. « Tunisie : le président Béji Caïd Essebsi est décédé »,
Jeune
Afrique
2019],
https://www.jeuneafrique.com/808437/politique/tunisie-le-president-beji-caid-essebsi-est-decede/.
le 18 novembre
ligne], publié
juillet 2019,
jeudi 25
[consulté
[en
665 Elu le 21 décembre 2014.
666 C. YARED, « “Un Etat civil, pour un peuple musulman ou le nouveau pari constitutionnel de la Tunisie »,
le
précit., p. 145.
667 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 343.
668 Ibid.
161




Page 163
du 21 décembre 2014669, les citoyens ont tranché en faveur d’une interprétation de la
Constitution. Ils ont opté pour celle du «
Bajbouj »670. « L’article premier signifie [dorénavant
et,] d’après le choix électoral, que l’islam est la religion du peuple majoritaire. Le peuple a
choisi
donc
et
communautaire.
»671 L’Islam serait donc – pour la majorité des Tunisiens – un ensemble de
l’allégeance
citoyenneté
détriment
fidéiste
au
de
la
valeurs et de principes culturels et civilisationnels. La charia n’est donc pas la source de la
législation, ni le fondement de la Constitution. Cette lecture du texte constitutionnel est l'une
des interprétations à donner à la formule de l’article premier qui fait de « l’Islam sa
religion
»672.
La lecture de la Constitution et notamment celle de l’article deuxième par les théocrates, est
radicalement différente de celle que peuvent en faire les démocrates
673. Avant d’aborder les
élections présidentielles et législatives de 2019
674, il est intéressant d'identifier la façon dont
les députés d’Ennahdha conçoivent le caractère « civil » de l’Etat pour en déduire leur
interprétation du texte constitutionnel, une fois un des leurs élu président de la République
675.
Mise en avant par les écrits des grands réformistes musulmans que sont l’égyptien Mohamed
ABDUH (1849-1905) et son disciple Rachid RIDHA (1865-1935)
676, la notion d’Etat « civil »
669 Le décès de Béji CAÏD ESSEBSI a bouleversé le calendrier électoral : alors que les élections présidentielles
étaient précédées par les élections législatives, la vacance définitive à la présidence de la République a
amené l’
Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE) à prévoir des élections présidentielles
anticipées. Le 2 août 2019, l’
ISIE a ouvert le bal des candidatures mais n’a retenu que vingt-six sur quatre-
vingt-dix-sept prétendants à la fonction présidentielle. La campagne officielle a débuté le 2 septembre 2019
et a pris fin le 13 septembre 2019. Initialement prévues pour le 6 octobre 2019, les élections législatives ont
été maintenues. Les Tunisiens ont donc été appelé à voter à trois reprises en six semaines. Pour plus de
précisions sur ce point cf. « Tunisie : petit guide de la présidentielle »,
Le Point Afrique [en ligne], publié le
mardi 3 septembre 2019, [consulté le 7 décembre 2019], https://www.lepoint.fr/afrique/tunisie-petit-guide-
de-la-presidentielle-03-09-2019-2333316_3826.php.
670 Surnom familier que les Tunisiens donnent à Béji CAÏD ESSEBSI.
671 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 346.
672 Sur la diversité des interprétations données à la formule de l’article premier cf. le A. du Paragraphe 2 qui
suit.
673 Pour plus de précisions sur ce point cf. le Paragraphe C. qui suit.
674 Elections abordées dans le Paragraphe C. qui suit.
675 Grâce à l’article 72 de la Constitution, le Nahdhaouis élu président de la République sera le seul à disposer
du pouvoir d’interprétation de principe de la Constitution. Ceci lui permettrait de revenir sur les
déclarations progressistes du parti et/ou de considérer qu’il n’y a aucune déconnexion entre le religieux, le
droit et le politique.
676 Pour plus de précisions, cf. J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit,
pp. 66-67. Sur les réformistes musulmans avant la naissance des islamismes politiques cf. L. DAKLHI
« Les mouvements réformistes musulmans (du milieu du XIXème siècle à nos jours) », Conférence Cycle
2012-2013 : Religion et politique en Islam, EHESS, le 29 janvier 2013, [en ligne], [consulté le 11 décembre
2019],
https://www.canal-
u.tv/video/ehess/04_conference_de_leyla_dakhli_les_mouvements_reformistes_musulmans_du_milieu_du
_xixe_siecle_a_nos_jours.11322.
162




Page 164
ne signifie nullement pour Ennahdha, la déconnexion totale de la religion du champ politique
et juridique
677. L’expression signifie bien au contraire, que l’Islam constitue en lui-même, un
Etat « civil » qui s’inscrit « dans le cadre théorique constitutionnel global de la religion
islamique.
»678 Néanmoins, pour le Doyen Yadh BEN ACHOUR : « Loin d’être un Etat civil,
[…] l’Etat en islam est un Etat au service d’une religion, un Etat religieux au sens le plus fort
du terme
. »679 Au service de Dieu, l’Etat religieux rassemble les croyants et assure la
soumission de l’être humain à la volonté divine qui commande tous les aspects de la vie en
société qu’ils soient privés ou publics. « Il est donc contradictoire de dire à la fois que l’islam
est un système unique de croyance, de morale, de droit et de politique et qu’il est un “Etat
civil”
. »680
Pourtant, le programme constitutionnel d’Ennahdha à l’ANC681 consacre « son premier point
à la fondation de la Constitution et des lois fondamentales ou ordinaires de l’Etat sur le
système des valeurs islamiques en vue d’une conciliation entre l’identité religieuse et
culturelle du peuple tunisien et le texte constitutionnel.
»682 Afin que la Constitution n’aille
pas à l’encontre de la volonté du peuple, il faut qu’elle ne contredise pas les thawâbit,
pérennités du Coran et de la Sunna. La séparation de la religion et de la politique s’oppose au
message, à l’esprit et aux objectifs de l’Islam, cadre général et principe de vie qui « ne peut
relever de la conscience interne particulière.
»683 De plus, la politique pour les théocrates, est
un stimulant qui «
peut s’élever au plus haut niveau du culte, ibâdât. »684 Ainsi ancrés dans
une conception islamique de l’Etat, Ennahdha affirme dans son programme constitutionnel
que l’Etat « constitue bel et bien un “Etat civil” fondé sur la volonté populaire et le contrat
7
le
le
mercredi
677 T. PORTES, « Rached Ghannouchi : “L’Etat tunisien n’est pas laïque” », Le Figaro International [en ligne],
publié
2019],
2016,
https://www.lefigaro.fr/international/2016/06/22/01003-20160622ARTFIG00280-rached-ghannouchi-l-
etat-tunisien-n-est-pas-laique.php. Voir également F. DAHMANI, « Rached Ghannouchi : “islam et
politique sont indissociables
” », Jeune Afrique [en ligne], publié le lundi 27 août 2012, [consulté le 7
décembre 2019], https://www.jeuneafrique.com/140312/politique/rached-ghannouchi-islam-et-politique-
sont-indissociables/.
décembre
[consulté
juin
22
678 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 238. La conception d’Ennahdha et
des Frères musulmans égyptiens de l’Etat « civil » fait l’objet de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre II de la
PARTIE II de cette thèse relatif à
la signification du caractère « civil » de l’Etat, p. 437.
679 Y. BEN ACHOUR, « Le peuple, créateur de son droit, interprète de sa Constitution », in Konrad-Adenauer
Stiftung (dir.),
Mouvances du droit. Etudes en l’honneur du Professeur Rafâa Ben Achour, Tunis, Simpact,
Tome 1, 2015, p. 161.
680 Ibid., p. 160.
681 Document daté du 28 février 2012. Préparé par les députés nahdhaouis, il fixe les lignes directives des
idées du parti et son programme d’action au sein de l’ANC.
682 Y. BEN ACHOUR, « Le peuple, créateur de son droit, interprète de sa Constitution », précit., p. 159.
683 Ibid.
684 Ibid.
163



Page 165
social et que le pouvoir dans cette conception n’a ni caractère sacré ni caractère infaillible et
ne reconnaît nullement l’existence d’une église officielle.
»685 Or, l’absence d’une Eglise
officielle ne suffit pas à faire d’un Etat, un Etat « civil ». Ce programme relève à lui seul les
difficultés pour comprendre la notion d’Etat « civil » d’un pays appartenant à l’aire culturelle
islamique
686. Qui dit Etat « civil » dit exclure l’idée de bâtir la Constitution ou/et les lois sur
des normes, des règles et des principes islamiques. L’Etat « civil » suppose une séparation
entre les organes de l’Etat et les institutions religieuses. Bien qu’ils comprennent l’Etat
« civil » comme celui qui écarte les Uléma de l’arène politique, les islamistes veulent
construire l’Etat « civil » sur
« les valeurs de l’Islam »687. Selon les théocrates, les
gouvernants peuvent s’inspirer de l’Islam dans la mesure où les gouvernés l’acceptent. En
faisant de la volonté des gouvernés la source des décisions politiques, ils replacent le peuple
au centre des institutions.
Lors du neuvième congrès du parti, les Nahdhaouis avaient pour position que l’Etat gère les
affaires religieuses et que les gouvernants mettent en œuvre les principes de la charia. Au
cours du dixième congrès, ils ont admis la séparation des sphères politique et religieuse,
reconnaissant en filigrane le caractère « civil » de l’Etat et adoptant la lecture du texte
constitutionnel des démocrates. Cependant, si au sein de la coalition gouvernementale dirigée
par Nidaa Tounes, ils se sont adaptés au slogan de Béji CAÏD ESSEBSI « Un Etat civil, pour
un peuple musulman
», il est à craindre qu’une fois la majorité présidentielle688 et/ou
parlementaire acquise à leur cause, ils aient une lecture islamique de la Constitution
689.
685 Ibid.
686 Cf. la Section 1 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE II de cette thèse relatif à la signification du caractère
« civil » de l’Etat, p. 437.
687 Comme le rappelle la plateforme du 9ème congrès du parti Ennahdha, tenu du 12 au 16 juillet 2012.
688 Les élections présidentielles et législatives de 2019 font l’objet du Paragraphe C. qui suit. Il est cependant
nécessaire de préciser que Kaïs SAÏED, un juriste de formation, a été élu président de la République le 13
octobre 2019. Bien qu’il ne se revendique d’aucun parti politique, Kaïs SAÏED est un conservateur assumé.
Pour plus de précisions sur Kaïs SAÏED cf. « Tunisie : qui est vraiment Kaïs SAÏED ? »,
Le Point Afrique
le 11 décembre 2019],
[en
https://www.lepoint.fr/afrique/tunisie-qui-est-vraiment-kais-saied-11-10-2019-2340693_3826.php.
le vendredi 11 octobre 2019,
ligne], publié
[consulté
689 Les élections législatives du 6 octobre 2019 n’ont pas permis de dégager une majorité stable à l’Assemblée.
Ennahdha a néanmoins été le seul parti politique à remporter le quart des 217 sièges de l’ARP. Alors que le
14 novembre 2019, Rached GHANNOUCHI a été élu président de l’
ARP, le 15 novembre 2019, Habib
JEMLI, ancien secrétaire d’Etat à l’Agriculture a été proposé par le porte-parole du parti islamiste au poste
de chef du Gouvernement. Le même jour, Kaïs SAÏED l’a nommé chef du Gouvernement. Pour plus de
précisions sur ces deux points cf. F. DAHMANI « Tunisie : jeux d’alliances et volte-faces, les dessous de
l’élection de Rached Ghannouchi à la tête du Parlement », Jeune Afrique [en ligne], publié le vendredi 15
novembre 2019, [consulté le 11 décembre 2019], https://www.jeuneafrique.com/856604/politique/tunisie-
jeux-dalliances-et-volte-faces-les-dessous-de-lelection-de-rached-ghannouchi-a-la-tete-du-parlement/
et,
Jeune Afrique avec AFP « Tunisie : Habib Jemli devient le nouveau chef du gouvernement »,
Jeune
le 11 décembre 2019],
Afrique [en
le vendredi 15 novembre 2019, [consulté
ligne], publié
164



Page 166
Actuellement, le caractère « civil » de l’Etat est reconnu par les islamistes mais la culture et la
civilisation islamiques restent prégnantes.
Malgré le maintien de l’article premier de la Constitution du 1er juin 1959, ils pourraient
essayer d'obtenir que l’Etat gère les affaires religieuses et que les gouvernants mettent en
œuvre les principes de la charia. Depuis la Révolution du Jasmin, la société civile a pris
conscience de l’importance d’exprimer sa volonté mais en attendant la mise en place de la
Cour constitutionnelle, seules les autorités publiques, à l’instar du président de la République,
sont en charge de l’interprétation du texte constitutionnel. Vainqueur des élections
présidentielles du 15 septembre et du 13 octobre 2019
690, le nouveau président de la
République KAÏS SAÏED est un juriste conservateur «
extérieur au système »691. Si les
Tunisien(ne)s ont élu un président qui ne se revendique d’aucun parti politique, ils ont envoyé
11
2020,
janvier
https://www.jeuneafrique.com/857258/politique/tunisie-habib-jemli-devient-le-nouveau-chef-du-
gouvernement/. Par un vote de défiance en date du 10 janvier 2020, l’
ARP a désavoué le gouvernement
JEMLI. Le 20 janvier 2020, Kaïs SAÏED remplace Habib JEMLI par Elyes FAKHFAKH et le charge de
constituer un gouvernement. Pour plus de précisions sur ces deux points cf. F. DAHMANI « Tunisie : le
Parlement refuse la confiance au gouvernement de Habib Jemli »,
Jeune Afrique [en ligne], publié le
2020],
samedi
https://www.jeuneafrique.com/880228/politique/tunisie-le-parlement-refuse-la-confiance-au-
gouvernement-de-habib-jemli/, F. DAHMANI « Désignation d’Elyes Fakhfakh à la tête du gouvernement
tunisien : le pari risqué de Kaïs Saïed »,
Jeune Afrique [en ligne], publié le mardi 21 janvier 2020, [consulté
le 21 février 2020], https://www.jeuneafrique.com/884217/politique/designation-delyes-fakhfakh-a-la-tete-
ethttps://www.jeuneafrique.com/880228/politique/tunisie-
du-gouvernement-le-pari-risque-de-kais-saied/
le-parlement-refuse-la-confiance-au-gouvernement-de-habib-jemli/, B. DELMAS,
une
mosaïque gouvernementale »,
Le Point Afrique [en ligne], publié le jeudi 20 février 2020, [consulté le 21
février
https://www.lepoint.fr/afrique/tunisie-une-mosaique-gouvernementale-20-02-2020-
2363656_3826.php. En juillet 2020, Elyes FAKHFAKH a été poussé à la démission et en août 2020,
Hichem MECHICHI a été désigné chef du Gouvernement par Kaïs SAÏED.

« Tunisie :
[consulté
février
2020],
21
le
le
690 Le premier tour des élections présidentielles du 15 septembre 2019 a placé le juriste conservateur Kaïs
SAÏED (18,40 %) devant l’homme d’affaires et magnat de la télévision tunisienne Nabil KAROUI
(15,58 %). Kaïs SAÏED remporte le 13 octobre 2019 le second tour des élections présidentielles à plus de
70% des voix. Pour plus de précisions sur les deux tours des élections présidentielles de 2019 cf. F.
BOBIN, « Présidentielle en Tunisie : les trois inconnues du second tour »,
Le Monde Afrique [en ligne],
publié
2019],
2019,
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/09/23/presidentielle-en-tunisie-les-trois-inconnues-du-second-
tour_6012749_3212.html et, Le Monde avec AFP, « Tunisie : le juriste Kaïs SAÏED remporte largement
l’élection présidentielle »,
Le Monde [en ligne], publié le dimanche 13 octobre 2019, [consulté le 7
décembre 2019], https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/13/les-tunisiens-appeles-a-voter-
pour-le-second-tour-de-la-presidentielle_6015331_3210.html.
septembre
décembre
[consulté
lundi
23
691 Dans son billet qui analyse les propositions constitutionnelles de Kaïs SAÏED, Azza REKIK précise que :
«
Si Kaïs Saïed est indubitablement un homme politique conservateur, il refuse néanmoins de s’inscrire
dans la classification traditionnelle “progressistes / islamistes”. Il estime en effet qu’un tel clivage est
superficiel et que les revendications de la révolution tunisienne ne sont pas de nature identitaire mais de
nature économique et sociale.
» A. REKIK, « L’élection présidentielle en Tunisie : vers un renforcement
du rôle du président ?
», Le blog de Jus Politicum, revue internationale de droit constitutionnel [en ligne],
[consulté
le 11 décembre 2019], http://blog.juspoliticum.com/2019/11/07/lelection-presidentielle-en-
tunisie-vers-un-renforcement-du-role-du-president-par-azza-rekik/#_ftn5.
le
7
165



Page 167
une majorité d’islamistes à l’ARP692. Même si la directive d’interprétation prévue à l’article
146 guide l’interprétation de la Constitution, rien n’empêche qu’elle soit à son tour interprétée
dans un sens islamique. Tout dépend finalement des interprètes et des objectifs de
l’interprétation constitutionnelle.
C. Les objectifs de l’interprétation
La constitution ne formule pas les objectifs que l’interprétation doit poursuivre, elle trace un
cadre institutionnel
693 à l’exercice du pouvoir et à la fonction de juger : « les buts sont donc
implicites et demandent à être reconstruits.
»694 Si le texte constitutionnel ne disparaît pas
complètement derrière ses interprètes, les interprétations qui en sont faites devraient chercher
à l’adapter aux évolutions politiques et sociales. Or, la reconstruction par les interprètes des
buts de la constitution varie d’un interprète à l’autre. Tout comme le chef de l’Etat sous la
Cinquième République en France, le président de la République en Tunisie est l’arbitre des
institutions et le garant du respect de la Constitution. Il interprète le texte constitutionnel à
l’aune des présupposés théoriques dont il est équipé et qui conditionnent sa lecture de la
Constitution. A l’instar du Général de Gaulle en 1962, il est le seul à disposer, en vertu de
l’article 72 de la Constitution, de la compétence de principe, en matière d’interprétation du
texte constitutionnel.
Censée durer, la Constitution du 27 janvier 2014 prévoit aux articles 143 et 144, une
procédure de révision spécifique. Cependant, par l’article 144 : « Toute initiative de révision
de la Constitution est soumise, par le Président de l’Assemblée des représentants du peuple, à
la Cour constitutionnelle, pour dire que la révision ne concerne pas ce qui, d’après les termes
692 Avec 52 sièges sur 217 Ennahdha est arrivé en tête des élections législatives du 6 octobre 2019. Pour former
une majorité stable à l’
ARP, il aurait eu besoin de 109 sièges. Qalb Tounes, le parti de Nabil KAROUI
n’obtient quant à lui que 38 sièges. Pour plus de précisions sur les résultats des élections législatives du 6
octobre 2019 cf. Jeune Afrique avec AFP, « Législatives en Tunisie : Ennahdha en tête avec 52 sièges,
selon les résultats officiels »,
Jeune Afrique [en ligne], publié le dimanche 10 octobre 2019, [consulté le 11
décembre 2019], https://www.jeuneafrique.com/841028/politique/legislatives-en-tunisie-ennahdha-en-tete-
avec-52-sieges-selon-les-resultats-officiels/.
693 Les notions à texture ouverte que contient la Constitution cherchent à répondre aux attentes de l’ensemble
des forces politiques en présence. Pour plus de précisions sur ce point cf. H. L. A. HART,
The Concept of
Law,
2e éd., Oxford, Oxford University Press, 1994, pp. 125-129.
694 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 295.
166






Page 168
de la présente Constitution, ne peut faire l’objet de révision. »695 Dans l’attente de la mise en
place de la Cour constitutionnelle, aucune révision ne peut être engagée
696. Seules les
autorités publiques sont donc aptes à adapter par leur interprétation, la Constitution aux
évolutions politiques et sociales du pays. Le débat tunisien sur l’interprétation des dispositions
constitutionnelles n’est pas sans rappeler celui que connaîssent les Etats-Unis : les
constitutionnalistes sont divisés entre les « conservateurs » et les « libéraux ». Il est
intéressant de relever que cette division ne recoupe pas nécessairement celle entre théocrates
et démocrates. S’il est nécéssaire d’effectuer un parallèle entre la Tunisie et les Etats-Unis, il
est important de commencer par préciser l’état du débat au Etats-Unis.
Les « conservateurs » américains prônent l’intention des constituants ou une interprétation au
plus près du texte originel. « Ce courant interprétatif souligne que la constitution est avant
tout un document écrit dont les dispositions doivent être interprétées de manière
restrictive.
»697 Au lieu de promouvoir l’adaptation de la constitution aux évolutions
politiques et sociales, la volonté constituante telle que fixée dans le marbre constitutionnel,
constitue la limite à la transformation du texte par la pratique. « Cette conception fixiste de la
constitution commande de ne rien changer sous peine de dénaturation. En particulier, il
s’agit de mettre certains droits à l’abri des atteintes que les générations futures pourraient
leur faire subir.
»698 Ce courant interprétatif cherche donc à empêcher l’émergence de
nouvelles valeurs.
A ce courant de « conservateurs » s’oppose celui des « libéraux » ou « progressistes » qui
conçoit la constitution comme un ensemble de principes à actualiser, en fonction de la réalité
politique, économique et sociale du pays. Qualifiée de dynamique, cette approche de la
constitution a pour objectif d’adapter le texte au contexte dans lequel vivent les citoyens.
« Cette méthode insiste donc sur le fait que chacun des articles ou principes abstraits doit
être interprété et appliqué de façon à former un tout cohérent sur le plan des principes avec
695 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 144, alinéa premier.
696 La volonté du constituant originaire s’exprime aux articles 1, 2, 49 et 75 de la Constitution. Ces articles ne
peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle. La procédure de révision constitutionnelle est
soucieuse de respecter la volonté du constituant originaire puisque la Cour constitutionnelle à venir devrait
préserver ces articles de toute modification. Pour plus de précisions sur la procédure de révision
constitutionnelle telle que prévue par le Chapitre VIII de la Constitution du 27 janvier 2014 cf. le B. du
Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre I de la PARTIE II relatif à
l’expression tunisienne du
constitutionnalisme transformateur, p. 382.
697 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 301.
698 Ibid.
167




Page 169
les interprétations acceptées pour d’autres parties de la Constitution et avec les principes de
morale politique qui apportent la meilleure justification fondamentale possible à l’ensemble
de la structure constitutionnelle.
»699 L’intégrité constitutionnelle doit certes être respectée
mais les principes qui servent d’inspiration à l’interprétation, ne sont pas forcément écrits.
C’est d’ailleurs ce que Béji CAÏD ESSEBSI avait choisi de faire dans l’objectif de se faire
réélire en 2019 : il a livré une interprétation de la Constitution qui se basait exclusivement sur
les dispositions de l’article 2 et les normes internationales. Son discours du 13 août 2017
700 a
exhorté le législateur tunisien à réfléchir aux réformes à introduire en matière de libertés
individuelles et d’égalité homme / femme. C’est dans ce cadre qu’a été fixée par décret
701, la
création d’une Commission chargée de penser ces réformes
702. « L’égalité hommes / femmes
dans les droits successoraux et la levée de l’interdiction de mariage d’une Tunisienne avec un
non-musulman doivent être érigées en tête des avancées à accomplir pour faire entrer la
Tunisie de plain-pied dans le XXI
ème siècle. »703 Tout en exhortant les membres de la
Commission des Libertés Individuelles et de l’Egalité (COLIBE), à se conformer aux
dispositions de la nouvelle Constitution et aux normes internationales relatives aux droits de
l’Homme, il ouvre la voie à la modernisation du droit et à la reconnaissance par et dans la loi,
de l’égalité homme / femme en Tunisie.
L’article premier de la Constitution est passé sous silence. L'énoncé de l’article premier qui
fait de l’« Islam sa religion » n’est pas un obstacle à la modernisation du droit tunisien en
matière d’égalité homme / femme. Ceci surprend dans la mesure où, l’introduction dans
l’ordre juridique interne du droit international relatif aux droits des femmes est contredite par
la Déclaration générale du gouvernement selon laquelle la Tunisie « n’adoptera en vertu de la
Convention, aucune décision administrative ou législative qui serait susceptible d’aller à
699 R. DWORKIN, « Controverse constitutionnelle », Pouvoirs, 1991, n° 59, p. 9.
700 La journée du 13 août est traditionnellement considérée comme la fête de la femme puisque le Code du
Statut Personnel
, consacrant un certain nombre de droits aux Tunisiennes a été adopté le 13 août 1956.
701 Décret présidentiel n° 2017-111 du 13 août 2017, portant nomination des membres de la Commission des
Libertés Individuelles et de l'Egalité. JORT, n° 65 du 15 août 2017, p. 2594.
702 La Commission des Libertés Individuelles et de l’Egalité (COLIBE) est présidée par Madame Bochra
BELHAJ HMIDA. Elle est composée de Mesdames Salwa HAMROUNI, Dora BOUCHOUCHA et Ikbel
GHARBI et de Messieurs Abdelmajid CHARFI, Slim LAGHMANI, Salaheddine JOURCHI, Malek
GHAZOUANI, et Karim BOUZOULTA.
703 « Comment Bochra Belhaj Hmida conduira les travaux de la Commission Egalité et libertés individuelles,
missionnée par Caïd Essebsi »,
Leaders [en ligne], publié le jeudi 21 septembre 2017, [consulté le 27 août
2018],
http://www.leaders.com.tn/article/23017-egalite-et-libertes-individuelles-le-grand-defi-de-la-
commis sion-de-bce.
168




Page 170
l’encontre des dispositions de l’article premier de la Constitution ».704 En évoquant l’égalité
dans l’héritage Béji CAÏD ESSEBSI a affirmé qu’ : « Il ne faut pas croire que ceci va à
l’encontre de la religion. Notre constitution est celle d’un Etat civil. Cette égalité n’est pas
une affaire religieuse mais qui concerne les hommes.
»705 Détachant l’Islam de la politique et
du droit, il lit la Constitution tunisienne comme celle d’un Etat « civil ».
Ce premier discours basé exclusivement sur les dispositions de l’article 2 de la Constitution,
est appuyé par celui prononcé le 13 août 2018. A la suite de la publication du rapport de la
COLIBE, le 12 juin 2018706, Béji CAÏD ESSEBSI a solennellement affirmé707 qu’il est chargé
de veiller au respect de la Constitution, en application des dispositions de l’article 72. Il a
d’ailleurs rappelé qu’en l’élisant, le peuple tunisien lui a fait confiance et qu’il se doit
d’appliquer la Constitution, sans se soucier des référents théologiques, idéologiques ou
politiques des Tunisiens, puisque ces derniers varient d’un individu à l’autre
708. A l’appui de
l’article 21, il affirme que la Constitution dispose clairement de l’égalité homme / femme. Il
précise toutefois que même si l’Etat est « civil » en Tunisie, le peuple est musulman. Bien que
cette donnée soit importante et qu’il ne faille pas porter atteinte à l'identité du Tunisien, il
propose de modifier les dispositions du Code du Statut Personnel qui n’ont pour lui, aucun
rapport avec la religion. A l’instar de tous les codes, ce dernier doit être basé sur un droit
objectif. C’est la raison pour laquelle il insiste pour que l’égalité dans l’héritage soit
formalisée par une loi. Même si la proposition soumise à l’Assemblée des Représentants du
Peuple (ARP) laisse – conformément aux propositions de la COLIBE – le choix au défunt
»
le
[en
704 Voir sur cette question, « La levée des réserves à la Convention "CEDAW" et le maintien de la Déclaration
https://lib.ohchr.org/HRBodies
générale
/UPR/Documents/session13/TN/UNFPA_UPR_TUN_S13_2012_UNFPA_F.pdf.
[consulté
2018],
ligne],
août
705 A. KLAI, « Le discours du 13 août, véritable coup de tonnerre ou manœuvre politique ? », Espace Manager
[en ligne], publié le vendredi 18 août 2017, [consulté le 27 août 2018], https://www.espacemanager.com/le-
discours-du-13-aout-veritable-coup-de-tonnerre-ou-manoeuvre-politique.html.
29
706 Pour suivre toutes les actualités de la Commission des Libertés Individuelles et de l’Egalité :
https://colibe.org/actualites/. Le rapport de la
COLIBE devait être remis en mai au président de la
République mais pour éviter que les débats sur les élections municipales du 6 mai 2018 ne prennent le pas
sur le contenu du rapport de la
COLIBE, il n’a été remis que le 8 juin 2018.
707 Voir l’intégralité de son intervention en arabe, publié par Présidence Tunisie, en fin d’article de S. H.,
« Béji Caïd Essebsi : L’égalité successorale sera soumise à l’ARP »,
Business News, [en ligne], publié le
lundi 13 août 2018, [consulté le 27 août 2018], http://www.businessnews.com.tn/beji-caid-essebsi-legalite-
successorale-sera-soumise-a-larp,520,81889,3.
708 Il précise également que sa seule référence est la Constitution tunisienne qui est l’expression même de la
volonté du peuple. L’intégralité des propos cités de Béji CAÏD ESSEBSI au cours de son discours du 13
août 2018 sont traduits par nos soins à la suite de l’écoute du discours diffusé par Présidence Tunisie, en fin
d’article de S. H., « Béji Caïd Essebsi : L’égalité successorale sera soumise à l’ARP »,
Business News, [en
ligne]
, publié le lundi 13 août 2018, [consulté le 27 août 2018], http://www.businessnews.com.tn/beji-caid-
essebsi--legalite-successorale-sera-soumise-a-larp,520,81889,3.
169



Page 171
d’appliquer à ses héritiers les principes constitutionnels ou les principes de la charia, Béji
CAÏD ESSEBSI insiste sur son rôle de garant de la Constitution.
S’il précise qu’il faut appliquer les dispositions de la Constitution qui prévoient que l’Etat est
« civil » et juge fausses les affirmations selon lesquelles, le référent de la Tunisie est
islamique, il livre une lecture particulière de la Constitution. Malgré les réformes qu’il
avance, certaines voix se sont élevées pour contester la modernisation tardive du droit et de la
loi. Ces voix accusaient Béji CAÏD ESSEBSI de ne vouloir réformer la législation qu'en vue
de sa réélection. Par ailleurs, bien que les « libéraux » soient favorables à une lecture
dynamique de la Constitution, ils ne partageaient pas tous la lecture de Béji CAÏD ESSEBSI.
Considéré comme la «
constitution sociale »709 de la Tunisie, le Code du Statut Personnel est
symbole de modernité
710. Le remettre en cause reviendrait à porter atteinte à la modernité
tunisienne telle qu’envisagée et imposée par Habib BOURGUIBA. S’il fait primer les
dispositions de l’article 2 sur celles de l’article 1
er, l’interprétation de Béji CAÏD ESSEBSI
n’est qu’une manière de préserver l’esprit avec lequel la Constitution du 27 janvier 2014 a été
élaborée. L’heure est venue de savoir si cet esprit est présevé par l’actuel président de la
République.
Bien qu’il ne soit pas considéré comme étant un théocrate, Kaïs SAÏED a une lecture
conservatrice du droit, de la Constitution et de l’Islam en Tunisie. S’il se réfère régulièrement
aux articles de la Constitution
711, il est nécessaire pour lui de préserver les valeurs de la
société
712. Professeur de droit constitutionnel et d’institutions politiques, il lit les dispositions
709 Intervention du Professeur Monia BEN JEMIA à Sciences Po Bordeaux, le jeudi 28 mars 2019, au
séminaire du LAM (Les Afriques dans le Monde) au sujet des « Femmes et de la transition politique en
Tunisie ».
710 Ce code participe à la qualification du constitutionnalisme tunisien de constitutionnalisme transformateur.
Bien que ce constitutionnalisme fasse l’objet de développements ultérieurs il est important de souligner
qu’il est caractérisé par la reconnaissance d’un catalogue étendu de droits. Tel est notamment le cas du
CSP. Pour plus de précisions sur ce point cf. R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU,
« Aspects généraux du nouveau constitutionnalisme latino-américain »,
in C.-M. HERRERA (dir.), Le
constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui : entre renouveau juridique et essor démocratique ?,
op.cit.
, pp. 31-32. Voir surtout la Section 1 du Chapitre 2 du Titre I de la PARTIE II de cette thèse relatif au
constitutionnalisme transformateur en Tunisie, p. 374.
711 S’il insiste régulièrement sur la liberté religieuse, il ne parle que rarement de la liberté de conscience. Cette-
dernière est pourtant consacrée à l’article 6 de la Constitution du 27 janvier 2014. Pour plus de précisions
sur ce point cf. C. LAFRANCE, « Présidentielle en Tunisie : quatre questions sur le programme de Kaïs
Saïed en matière de libertés »,
Jeune Afrique [en ligne], publié le mardi 8 octobre 2019, [consulté le 18
décembre
2019], https://www.jeuneafrique.com/834460/politique/presidentielle-en-tunisie-quatre-
questions-sur-le-programme-de-kais-saied-en-matiere-de-libertes/.
712 Bien qu’il ne précise pas quelles sont ces valeurs, il est facile de penser qu’elles découlent de
l’ «
appartenance culturelle et civilisationnelle [de la Tunisie] à l’Ummah arabe et islamique » (cinquième
paragraphe du préambule de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014).
170





Page 172
constitutionnelles de manière restrictive et, conservatrice. L’exemple le plus frappant dans ce
domaine est sa conception des droits des femmes et de l’égalité dans l’héritage. Dans sa
prestation de serment, sa conception fixiste de la Constitution se traduit notamment par sa
volonté de mettre les droits des Tunisiennes à l’abri des atteintes que les générations futures
pourraient leur faire subir. L’alinéa premier de l’article 46 de la Constitution précise en effet
que « [l]
’Etat s’engage à protéger les droits acquis713 de la femme et veille à les consolider et
à les promouvoir.
»714 Le 23 octobre 2019 alors qu’il prête serment devant l’Assemblée des
Représentants du Peuple (ARP), il affirme qu’ « il n’est pas question de toucher aux droits
des femmes.
»715 De quels droits s’agit-il ? Il est possible de penser qu’il fait référence aux
« droits acquis de la femme » tels que consacrés à l’article 46 de la Constitution. Allusion à
l’ensemble des droits reconnus à la Tunisienne par les dispositions du Code du Statut
Personnel (CSP) du 13 août 1956, les droits acquis renvoient essentiellement au divorce, au
libre et plein consentement au mariage et à la possibilité d’adopter
716. Est-ce à dire que dans la
sphère privée la femme en Tunisie ne peut bénéficier d’autres droits ? Il poursuit son discours
en évoquant la nécessité de renforcer, conformément à l’article 46 de la Constitution, les
droits économiques et sociaux des femmes. Il passe donc sous silence les droits qui touchent à
leur vie familiale.
Dit en d’autres termes, il ne cherche absolument pas à adapter le texte constitutionnel aux
évolutions politiques et sociales de la Tunisie du XXIème siècle. Pis encore, il rappelle que
dans le Coran, l’héritage est fondé non pas sur une égalité formelle mais sur l’idée de
justice
717. L’homme et la femme ne seraient pas égaux en droits successoraux puisque
713 Pour une définition explicite de l’expression « droits acquis de la femme » cf. le 2. du A. du Paragraphe 2 de
la Section 1 du Chapitre 2 du Titre II de cette thèse, relatif à
la signification de l’expression « droits acquis
de la femme »,
p. 278.
714 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 46, alinéa premier.
715 AFP et Reuters, « Le nouveau président Kaïs Saïed appelle les Tunisiens à “s’unir contre le terrorisme” »,
le 18 décembre 2019],
le 23 octobre 2019,
France 24
https://www.france24.com/fr/20191023-tunisie-direct-live-nouveau-president-kais-saied-prestation-
serment?fbclid=IwAR0dL8sKPQrqUt5BGr4rcB-jwL1j-XJaUGef8DT3NLKtqFkerpPlOIeji_c&ref=fb.
716 La polygamie, la répudiation, le tuteur matrimonial et le droit de contrainte sont abolis en Tunisie depuis le
ligne], publié
[consulté
[en
13 août 1956.
717 Voir l’interview accordée par Kaïs SAÏED à la Radio Express FM sur sa conception de la fonction
présidentielle et sa vision de
le 18 décembre 2019],
[en
https://www.youtube.com/watch?v=EJ2Gg_PK3Dg&feature=youtu.be (en arabe). Kaïs SAÏED maintient
ce discours le 13 août 2020 à l’occasion de l’anniversaire du CSP. Pour plus de précisions sur ce point voir
L. BLAISE, « Tunisie : le discours du président contre l’égalité dans l’héritage irrite la société civile »,
RFI
[en
2020],
https://www.rfi.fr/fr/afrique/20200817-tunisie-reactions-position-president-contre-egalite-
heritage?fbclid=IwAR0zTy3ZTsIVpiuPct6J8AmHCvsOApcb3iHQoGaiutUfCwPNe50qgcbaS2M&ref=fb.
la Tunisie,
[consulté
[consulté
octobre
ligne],
ligne],
publié
2020,
lundi
août
17
le
le
9
171



Page 173
l’homme représente le chef de la famille718. Même s’il ne s’oppose pas à ce que le défunt
redistribue à sa convenance son héritage à ses descendants, il comprend la dignité, la liberté et
la justice dans leur acception coranique
719. Sa lecture du droit des femmes est donc fidèle aux
débats constituants qui ont secoués l’ANC lors de l’élaboration de l’article 46 : il ne crée pas
un nouveau domaine du possible en évoquant l’égalité en droits et dans la loi du Tunisien et
de la Tunisienne
720. Cet exemple-là est donc révélateur de sa lecture littérale ou conservatrice
du texte constitutionnel
721.
A cela s’ajoute sa volonté de rétablir la peine de mort. Le 28 septembre 2020, au cours du
Conseil national de sécurité, le Chef de l’Etat a solennellement déclaré que « celui qui a
commis un meurtre doit être condamné à mort.
»722 Bien qu’elle n’ait pas été abolie723, la
peine de mort n’a, depuis 1991, plus été appliquée en Tunisie
724. A la suite de son discours du
28 septembre 2020
725, Amna GUELLALI, directrice régionale adjointe pour l’Afrique du
Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International a déclaré que « [l]a reprise des exécutions
serait un coup dur pour toutes les avancées en matière de droits humains que le pays a
718 Redevable de l’équilibre des dépenses pour les siens, il est naturel que l’homme hérite d’une plus grande
part que la femme. Cette conception de la famille est basée sur l’interdépendance de ses membres. Elle
rejoint d’ailleurs l’idée de complémentarité entre l’homme et la femme prônée par
Ennahdha au moment de
l’élaboration des articles 21 et 46 de la Constitution.
719 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mr Kaïs SAÏED ainsi que des représentants
de l’
UGTT, Mme Ikbel BEN MOUSSA et Mr Mohamed GUESMI », 28 mars 2012 [en ligne], [consulté le
4 avril 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252f1 (en arabe).
720 Pour plus de précisions sur les conditions d’élaboration de l’article 46 de la Constitution et sur la distinction
entre égalité
en droits et, dans la loi cf. le Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre II relatif à la
reconnaissance de l’égalité en droits du Tunisien et de la Tunisienne,
p. 274.
721 Le 13 août 2020, il a déclaré que le Coran était clair au sujet de l’héritage et qu’il n’était pas sujet à
interprétation. Au cours de son discours, il a affirmé que : «
Le système de l’héritage en islam n’est pas
basé sur l’égalité théorique mais est fondé sur la justice et l'équité. L'égalité dans la pensée libérale est
l'égalité formelle qui n'est pas fondée sur la justice comme elle veut bien paraitre, de sorte que l'égalité
n'est appréciée que par ceux qui sont financièrement capables d’en profiter. » S. T., « La Première dame
fait de l’ombre à l’égalité dans l’héritage »,
Business News, [en ligne], publié le jeudi 13 août 2020,
[consulté
le 9 octobre 2020], https://www.businessnews.com.tn/la-premiere-dame-fait-de-lombre-a-
legalite-dans-
lheritage,537,101159,3?fbclid=IwAR0LjPSyNqrnYIf7Ju23QFTYV1epfo3PFLhRmvoWRLPi-
_MprWwjucxiKEg.
722 M. GALTIER, « En Tunisie, le Président exhume la peine capitale », Libération [en ligne], publié le mardi
29 septembre 2020, [consulté le 9 octobre 2020], https://www.liberation.fr/planete/2020/09/29/en-tunisie-
le-president-exhume-la-peine-
capitale_1800823?fbclid=IwAR1UkS1yfPYPfx3GYm9A1oR_2pH6b4kDmmX374HQEi9jHoNN6q47IP0
E1Qw.
723 Depuis 2012, la Tunisie a voté en faveur de la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies appelant
à un moratoire sur l'application de la peine de mort.
724 R. BEN ACHOUR, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », précit., p. 790.
725 Discours de Kaïs Saïed sur la peine de mort en date du 28 septembre 2020, [en ligne], [consulté le 9 octobre
2020], https://www.youtube.com/watch?v=yvDN_n8R5jg (en arabe).
172



Page 174
connues jusqu’à présent. »726 Même s’il est encore tôt pour savoir si le président mettra à
exécution ses propos, il est utile de s’interroger sur l’avenir du droit à la vie, consacré à
l’article 22 de la Constitution
727. Force est de constater qu’en l’absence de la Cour
constitutionnelle, seuls les présidents de la République sont habilités à interpréter les
dispositions de la Constitution. La lecture conservatrice que le président Kaïs SAÏED a du
texte constitutionnel contraste radicalement avec celle de son précédesseur.
Bien qu’ils aient leurs adeptes, ces deux courants interprétatifs sont très peu homogènes : qu’il
soit conservateur ou libéral, chaque interprète va lire le droit et la Constitution en fonction de
ses valeurs et de ses principes fondamentaux. Ces derniers peuvent relever des idéaux de la
démocratie ou de l’Islam. La création d'une Cour constitutionnelle permettrait d’harmoniser
ou du moins, d’identifier les principes qui serviraient de fondement à l’ordre constitutionnel.
Dans l’attente de sa mise en place, le législateur essaie d’allier tant bien que mal le caractère
« civil » de l’Etat à l’Islam. Malgré les différents types d’interprétation de la Constitution en
combinaison des articles 1 et 2, un autre point reste primordial pour l’avenir du pays. Il s’agit
des interprétations possibles de l’article premier faisant de « l’Islam sa religion ».
Paragraphe 2
Les interprétations de l’article premier faisant de
« l’Islam sa religion »
Comme il a précédemment été affirmé, la doctrine et les autorités publiques sont actuellement
chargées d’interpréter la Constitution du 27 janvier 2014. Mais alors que les juristes essaient
de dégager les multiples significations à donner à la formule « Islam sa religion » de l’article
premier de la Constitution, sans en choisir aucune
728 (A), les autorités publiques font le choix
d’une interprétation déterminée
729 parmi les multiples significations identifiées (B). Si la
726 Voir également le communiqué de presse d’Amnesty International, « Tunisie. La déclaration du président en
faveur de la peine de mort est choquante »,
Amnesty International [en ligne], publié le mardi 29 septembre
2020, [consulté le 9 octobre 2020], https://www.amnesty.fr/presse/tunisie-la-dclaration-du-prsident-en-
faveur-de-la-.
727 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 22.
728 Ils mobilisent ainsi l’interprétation connaissance. Selon Riccardo GUASTINI, l’interprétation connaissance
est un acte qui consiste à dégager les significations possibles d’un texte sans en choisir aucune.
729 Ici, il est essentiellement fait référence à l’interprétation décision. Même si à la base, l’interprétation
décision est un acte de connaissance, il se transforme en un acte de volonté puisqu’il réside dans le choix
d’une signification déterminée parmi les multiples significations identifiées.
173







Page 175
première activité d’interprétation relève de la connaissance, la seconde est un acte de volonté,
de décision et également, de création
730.
A.
La valeur juridique attribuée à l’article 1er de la Constitution : une interprétation
dépendant de l’interprète
La formulation de l’article premier de la Constitution du 27 janvier 2014 précise que : « La
Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue
et la République son régime. » Cet énoncé est ambigu et pose deux questions auxquelles il est
important de répondre : d’une part, y a-t-il une religion d’Etat en Tunisie ? Autrement dit, « la
religion musulmane pratiquée en Tunisie est
[-elle] impulsée et/ou contrôlée par l’Etat »731 ?
D’autre part, le droit musulman
732 est-il une source du droit tunisien ? « En d’autres termes,
que
est-ce
règlements
droit
musulman ?
»733 Aujourd’hui comme hier, les Tunisiens interprètent les dispositions de cet
conformer
doivent
lois
les
les
au
ou
se
article en fonction de leurs présupposés idéologiques et politiques. Ils s’accordent uniquement
sur son caractère polysémique. En effet, comme le dit Chaker HOUKI, cet article serait
juridiquement normatif, alors que pour le Professeur Abdelfattah AMOR, « cette formule n’a
pas de valeur juridique précise.
»734
Si pour Hédi KERROU, l’article premier est mobilisé pour « pallier l’omission du législateur
ou en cas de silence ou d’ambiguïté du droit
»735, pour Mohamed ARBI HACHEM, l’article
premier
« relève de l’ordre international public tunisien. »736 Non seulement les dispositions
de l’article premier posent les principes fondamentaux à l’aune desquels est appréciée la
norme internationale, mais les préceptes et valeurs de l’Islam vont servir de source principale
730 L’interprétation création quant à elle consiste soit à attribuer au texte une interprétation nouvelle non
comprise dans les significations identifiables par l’interprétation connaissance, soit à tirer du texte des
normes qualifiées d’implicites par des moyens logiques, des raisonnements non déductifs ou au moyen
d’arguments analogiques. L’interprétation création est selon Ricardo GUASTINI un véritable acte de
création normative, puisqu’à l’appui d’un texte, un nouveau domaine du possible peut être créé. Cf. R.
GUASTINI,
Leçons de théorie constitutionnelle, (traduit et présenté par V. CHAMPEIL-DESPLATS),
Paris, Dalloz, 2010, 270 p.
731 F. HACHED, « La laïcité : un principe à l’ordre du jour de la IIème République tunisienne ? », précit., p. 30.
732 Pour plus de précisions sur l’expression « droit musulman », cf. Note de bas de page 277 et,
J.-P. CHARNAY, Esprit du droit musulman, op.cit., p. 6.
733 F. HACHED, « La laïcité : un principe à l’ordre du jour de la IIème République tunisienne ? », précit., p. 30.
734 C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., p. 152.
735 Ibid., p. 153.
736 Ibid.
174






Page 176
pour le Code du Statut Personnel737. Même si les propos de ces deux juristes concernent
l’article premier de la Constitution du 1
er juin 1959, ils peuvent s’appliquer à l’article premier
de la Constitution actuelle. Il en est de même des propos du juge d’ancien régime Mabrouk
BEN MOUSSA. « Pour le juge M. Ben Moussa, bien que la Constitution n’ait pas prévu la
charia comme source de droit, le statut de l’islam dans la Constitution ne devrait pas être
réduit à son article 1
er, mais doit être associé au préambule qui précise que le peuple tunisien
proclame son attachement aux préceptes de l’islam et l’article 38 qui insiste sur la condition
de l’islamité du chef de l’Etat.
»738
Dans le cadre de la Constitution du 27 janvier 2014, il est possible d’associer le paragraphe 3
du préambule qui exprime l’attachement du peuple « aux enseignements de l’Islam » et
l’article 74 qui établit la « confession musulmane » comme condition pour présenter sa
candidature à la présidence de la République. Bien que le texte constitutionnel ne dispose pas
explicitement de la charia, les juristes précités la considèrent comme une source matérielle du
droit. Les principes et valeurs de l’Islam s’imposeraient alors au législateur et au juge.
Mohamed HABIB CHERIF précise d’ailleurs « que l’islam, par essence, n’est pas seulement
une religion de culte, mais il est à la fois Etat et religion et que le droit en est naturellement
une partie intégrante.
»739 Le droit musulman serait donc une source du droit tunisien. Mais,
si ces auteurs voient en l’Islam la religion de la Tunisie comme Etat musulman, « pour
d’autres, il s’agit d’une religion d’Etat
»740.
En effet, pour le Professeur Mohamed CHARFI, la religion qu’est l’Islam est contrôlée et
gérée par l’Etat, puisqu’il appartient à l’Etat « d’assurer la construction, l’entretien et le
fonctionnement des lieux de culte, comme il lui appartient d’assurer l’enseignement
religieux.
»741 La religion serait donc pour lui, protégée par l’Etat. « Il est intéressant de noter
737 Au cours de son audition du 13 mars 2012 par la Commission du préambule, le Professeur Hafedh BEN
SALEH avance que l’Etat a fait de la
charia une source d’inspiration essentielle pour les dispositions du
Code du Statut Personnel. Néanmoins, la charia – pour être appliquée – doit être conforme à la modernité,
adaptée au présent et ouverte aux évolutions et changements à venir. Les constituants ne peuvent en faire
une source formelle des lois, mais s’inspirer de ses principes généraux, tels que la justice, l’égalité ou
encore la sûreté. Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission du préambule, des
principes fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mrs Sadok BELAÏD et Hafedh
BEN SALAH », 13 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 4 avril 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/
518e5bfc7ea2c422bec252e2 (en arabe).
738 C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., p. 153.
739 Ibid., p. 154.
740 F. HACHED, « La laïcité : un principe à l’ordre du jour de la IIème République tunisienne ? », précit., p. 30.
741 M. CHARFI, Introduction à l’étude du droit, op.cit., pp. 82-83.
175



Page 177
que le principe d’une religion d’Etat n’est pas propre aux pays musulmans. »742 Alors que la
Constitution irlandaise du 1
er juillet 1937 est adoptée « [a]u nom de la Très Sainte Trinité »743,
l’article 3-1 de la Constitution grecque du 9 juin 1975 proclame que « [l]a religion dominante
en Grèce est celle de l’Eglise orthodoxe orientale du Christ.
»744
Selon le Professeur Michel VERPEAUX, « [l]a consécration d’une religion comme
dominante ou officielle ou de l’Etat et encore moins la référence du Préambule et des phrases
précédant le texte au Dieu, aussi bien que le maintien des liens entre l’Etat et l’Eglise pour ce
qui est de la nomination ou le paiement du traitement des ministres des cultes ne suffisent pas
à transformer un Etat en Etat théocratique ou non laïque ou à conduire à la suppression de la
liberté religieuse.
»745 La consécration d’une religion d’Etat n’exclut pas forcément les autres
religions de la Constitution et n’empêche pas l’Etat de garantir à ses citoyens, les libertés de
croyance, de conscience et de religion. D’ailleurs, la reconnaissance constitutionnelle d’une
religion officielle ne veut pas dire que le pouvoir séculier est au service de la religion
dominante
746. Est-ce vraiment le cas ? Afin de mieux comprendre les propos du Professeur
Mohamed CHARFI, il est essentiel de comparer l’organisation constitutionnelle des rapports
entre la religion et l’Etat en Irlande à celle qui a lieu en Tunisie
747. De la sorte, il sera plus
facile d’évaluer si le pouvoir en Tunisie est soumis au respect de la religion dominante.
Le premier alinéa de l’article 44 de la Constitution irlandaise de 1937 prévoit que « l’Etat
reconnaît que l’hommage de l’adoration publique est dû au Dieu Tout-Puissant. Il révérera
Son nom ; il respectera et honorera la religion.
»748 Le deuxième alinéa de cet article précise
que l’Etat s’engage à «
ne doter aucune religion »749 d’un statut particulier. Il en est de même
en Tunisie : même si l’Islam est reconnu comme la religion officielle, les dispositions
constitutionnelles n’interdisent pas expressément les autres religions, confessions ou cultes.
742 F. HACHED, « La laïcité : un principe à l’ordre du jour de la IIème République tunisienne ? », précit., p. 33.
743 M. VERPEAUX, « La garantie de la liberté religieuse impose-t-elle un Etat laïque ? », in J. ILIOPOULOS-
744
745
STRANGAS (ed.), Constitution & Religion, Bruxelles, Bruylant, Coédition Sakkoulas, 2005, p. 6.
Ibid., p. 5.
J. ILIOPOULOS-STRANGAS, « La garantie de la liberté religieuse impose-t-elle un Etat laïque et
notamment la séparation des Eglises de l’Etat ? »,
in J. ILIOPOULOS-STRANGAS (éd.), Constitution &
Religion, op.cit.,
p. 26.
746 M. VERPEAUX, « La garantie de la liberté religieuse impose-t-elle un Etat laïque ? », précit., pp. 5-6.
747 Ayant exposé le contexte d’élaboration de la Constitution irlandaise de 1922, il était plus pertinent de
reprendre la comparaison avec le cas irlandais. La comparaison avec la Constitution grecque de 1975 aurait
été intéressante mais dans l’objectif d’être exhaustif, il était préférable de reprendre un cas déjà
contextualisé.
J. ILIOPOULOS-STRANGAS, « La garantie de la liberté religieuse impose-t-elle un Etat laïque et
notamment la séparation des Eglises de l’Etat ? »
précit., p. 25.
Ibid.
748
749
176


Page 178
D’ailleurs, Ali MEZGHANI considère que la formule de l’article premier faisant de « l’Islam
sa religion » n’a pas d’effet juridique. « Qu’il soit doté d’une religion, cela veut dire
qu’il
750 est censé veiller sur les affaires religieuses aussi bien islamiques que chrétiennes et
juives, sans plus. Dès lors, toute interprétation normative de l’article 1
er de la Constitution
n’est en aucun cas fidèle à la vérité historique.
»751 Même si l’Islam est reconnu comme la
religion officielle, les institutions religieuses sont et demeureront toujours séparées des
institutions politiques et juridiques.
Pourtant, la Constitution du 27 janvier 2014 ne dispose que de l’Islam, contrairement au cas
irlandais. Il aurait été préférable que « l’Etat soit le gardien des religions d’autant que
l’article 6 ne manque pas d’affirmer solennellement l’engagement de celui-ci de diffuser les
valeurs de modération et de tolérance.
»752 Mais, comment respecter les autres religions si la
Constitution ne les reconnaît pas ?
L’Etat tunisien doit d’une part, protéger la religion et le sacré et d’autre part, garantir la liberté
de conscience. Bien que la Constitution du 27 janvier 2014 ne dispose que de l’Islam, la
protection étatique du sacré ne cible aucun culte et aucune religion en particulier. L’article 44
de la Constitution du 1
er juillet 1937 impose également à l’Etat irlandais de respecter et
d’honorer « la religion » et de garantir « la liberté de conscience, la profession et la pratique
libre de la religion, … sous réserve de l’ordre public et de la moralité.
»753 En Tunisie et en
Irlande, la liberté de conscience est comprise dans la religion et ses bases : aucune disposition
constitutionnelle n’est consacrée aux individus athées, non croyants et/ou non pratiquants.
Même si au sein des deux Etats la souveraineté appartient au peuple, les deux Constitutions
contiennent de multiples références et symboles religieux. Les deux sociétés sont
traditionnellement et culturellement attachées aux rites et pratiques du Catholicisme et de
l’Islam. Pour autant, les deux Etats respectent-ils les autres religions ?
Alors que l’article 44 de la Constitution irlandaise précise que l’Etat ne fait aucune
discrimination entre les différents statuts religieux, la Constitution tunisienne est muette à ce
sujet. Plus encore, alors que le même article traite du droit de l’enfant d’aller dans une école
subventionnée par l’Etat sans assister à l’enseignement religieux, l’article 39 de la
Constitution tunisienne précise que l’Etat veille « à l’enracinement des jeunes générations
Ici, il est également fait référence à l’Etat.
750
751 C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., p. 156.
752 R. BEN ACHOUR, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », précit., p. 790.
753 M. VERPEAUX, « La garantie de la liberté religieuse impose-t-elle un Etat laïque ? », précit., p. 6.
177


Page 179
dans leur identité arabe et islamique. »754 Il est facile de penser que l’enseignement religieux
des mineurs est obligatoire en Tunisie et qu’il incombe à l’Etat de l’inculquer. Quid du droit
des enfants à ne pas assister aux cours d’éducation religieuse ? Qu’en est-il du respect par
l’Etat du droit des parents d’inscrire leurs enfants dans des établissements non religieux ?
Alors que la Constitution irlandaise répond à ces questions et traite de toutes les religions sur
un pied d’égalité, la Constitution tunisienne n’accorde de statut privilégié qu’à l’Islam et reste
dans le flou constitutionnel pour ce qui est de l’organisation et du fonctionnement effectif des
relations entre l’Islam et l’Etat.
Pour le Doyen Yadh BEN ACHOUR et la féministe Hafidha CHEKIR, même si l’Islam
dispose de certains privilèges, l’article premier de la Constitution en fait simplement « une
identité culturelle.
»755 L’Islam ne serait donc pas normatif mais aurait uniquement un effet
déclaratif. Rien dans la formulation de l’article premier n’affirme la primauté de l’Islam sur
les autres caractéristiques de la Tunisie. L’article premier servirait donc d’annonce, puisqu’il
ne ferait qu’exposer les grands traits qui caractérisent l’Etat. Mais alors, une constitution peut-
elle contenir des dispositions purement déclaratoires et sans portée normative ? Afin de
répondre de manière claire à la question, il est essentiel de dire que la norme constitutionnelle
est la signification conférée par un interprète, à un énoncé des sources du droit. Elle est le
produit d’une interprétation et suppose la médiation d’un pouvoir d’appréciation de
l’interprète
756. Or, puisque les juristes échouent à trancher le débat relatif à la valeur à
attribuer à l’article premier de la Constitution, il est logique qu’en attendant la mise en place
de la Cour constitutionnelle, ce soient les autorités publiques qui interprètent le contrat social
du 27 janvier 2014.
754 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 39, deuxième alinéa.
755 F. HACHED, « La laïcité : un principe à l’ordre du jour de la IIème République tunisienne ? », précit., p. 30.
756 R. GUASTINI, Leçons de théorie constitutionnelle, (traduit et présenté par V. CHAMPEIL-DESPLATS),
Paris, Dalloz, 2010, 270 p.
178





Page 180
B.
Le choix des autorités publiques d’une interprétation déterminée de la formule
« l’Islam sa religion »
Ce n’est qu’en janvier 2015757, après l’installation du premier gouvernement, que le système
politique de la Deuxième République tunisienne est officiellement et complètement entré en
vigueur. Bien que – comme dans tout régime parlementaire – l’effectivité du pouvoir est
attribuée au gouvernement, élu directement par le peuple, le président de la République « s’est
transfiguré en une autorité supérieure de fait sous couvert de la fonction arbitrale
présidentielle, tandis que le chef du gouvernement Habib Essid, un technocrate, sans parti,
désigné par le Président, fait office d’autorité subalterne de fait, faisant écho à la volonté
présidentielle.
»758 Attribuée au président de la République par l’article 72 de la Constitution,
la fonction arbitrale varie d’un chef de l’Etat à l’autre
759. Chaque président « veille au respect
de la Constitution
» à sa manière760.
Contrairement à l’interprétation connaissance qui consiste en une opération scientifique
dépourvue de tout effet pratique
761, l’interprétation décision et l’interprétation création sont
des opérations politiques, accomplies par des organes d’application, qui entraînent des
conséquences juridiques. Précédemment, il a été dit que le défunt président de la République a
757 Arrivé en tête aux élections législatives du 26 octobre 2014, le 5 janvier 2015, le parti Nidaa Tounes charge
Habib ESSID de former un gouvernement. Ancien secrétaire d’Etat sous BEN ALI et ministre-conseiller de
Hamadi JEBALI au cours de la période transitoire, Habib ESSID présente un premier gouvernement à
l’
ARP le 26 janvier 2015. Le 2 février 2015, il présente la deuxième version de son gouvernement, (la
première n'ayant pas été avalisée), qui est cette fois, acceptée par l’
ARP le 5 février. Il s’agit d’une coalition
entre
Nidaa Tounes, Ennahdha, Afek Tounes, l’Union Patriotique Libre (UPL) et le Front de Salut National
(FSN).

758 H. MRAD, De la Constitution à l’accord de Carthage : Les premières marches de la Deuxième
République, Tunis, Nirvana, 2017, p. 9.
759 Sur l’évolution du rôle et des fonctions du président de la République dans le régime parlementaire cf. « Le
régime parlementaire »,
in P. LAUVAUX et A. LE DIVELLEC (dir.), Les grandes démocraties
contemporaines, Paris, PUF, 2015, pp. 196-207.
760 Le régime parlementaire en Tunisie est inspiré du « système dualiste [français] renouvelé, expérimenté
avant-guerre, qui restitue une part d’autorité gouvernementale au chef de l’Etat sur le fondement de son
élection au suffrage universel direct. Ce système a pris en France la figure du présidentialisme majoritaire
dans lequel le chef de l’Etat est aussi le chef de la majorité parlementaire et gouverne en tant que tel.
» P.
LAUVAUX et A. LE DIVELLEC (dir.),
Les grandes démocraties contemporaines, op.cit., p. 203. Du fait
de son élection au suffrage universel direct, le président Béji CAÏD ESSEBSI détenait une part d’autorité
gouvernementale. Suite aux élections législatives du 26 octobre 2014 et, du fait du mode de scrutin à la
proportionnelle au plus fort reste, aucun parti politique n’a pu disposer d’une majorité pour gouverner seul.
Leader de
Nidaa Tounes, Béji CAÏD ESSEBSI était en 2015, l’un des chefs de la coalition
gouvernementale formée en partie avec
Ennahdha. En 2019, la configuration des pouvoirs exécutif et
législatif est somme toute différente : bien qu’élu au suffrage universel direct, Kaïs SAÏED se situe en
dehors du jeu partisan et ne se réclame d’aucun parti politique. Mais, à l’instar des élections législatives du
26 octobre 2014, les élections législatives du 6 octobre 2019 n’ont permis à aucun parti politique de
disposer d’une majorité pour gouverner seul.

761 Interprétation généralement faite par des juristes comme précisé dans le paragraphe précédent.
179




Page 181
relié – par sa lecture du texte constitutionnel – le caractère « civil » de l’Etat à l’Islam comme
religion. Cette liaison des articles 1 et 2 de la Constitution a permis à son parti de remporter
les élections législatives et présidentielles de 2014. La lecture du texte constitutionnel par Béji
CAÏD ESSEBSI a donc dépassée l’acte d’interprétation puisqu’il s’agit en fait d’un véritable
acte de création normative. C’est à l’appui des dispositions constitutionnelles et de la directive
d’interprétation que Béji CAÏD ESSEBSI crée un nouveau domaine du possible : il met en
œuvre des institutions « civiles » pour un peuple musulman. Kaïs SAÏED procède-t-il ainsi ?
Massivement mobilisés pour les élections de 2014, 55% des Tunisiens se sont abstenus de
voter le 15 septembre 2019 au premier tour des élections présidentielles
762. Déçus par les
partis et les hommes politiques au pouvoir, ils ont désigné Kaïs SAÏED
763 président de la
République. Sans véritable programme politique, Kaïs SAÏED est élu grâce à un message
simple : « les formations politiques traditionnelles n’ont pas su répondre aux attentes de la
jeunesse en matière de travail, de liberté et de dignité.
»764 Ce message ravive la flamme
révolutionnaire et lui rallie les jeunes désœuvrés, une frange des diplômés chômeurs, de la
gauche, les nationalistes arabes et les islamistes entre autres
765. Bien qu’il ait des idées
conservatrices assez tranchées
766, il n’a pas fait de ses convictions personnelles un slogan
762 Contre 37% le 23 novembre 2014 au premier tour des élections présidentielles. Pour plus de précisions sur
ce point cf. M. VERDIER, « En Tunisie, les jeunes plébiscitent le “révolutionnaire-conservateur” Kais
Saied »,
La Croix [en ligne], publié le lundi 16 septembre 2019, [consulté le 17 décembre 2019],
https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/En-Tunisie-jeunes-plebiscitent-revolutionnaire-conservateur-
Kais-Saied-2019-09-16-1201047912.
763 Juriste de formation, Kaïs SAÏED n’est pas un professionnel de la politique. Les Tunisiens le connaissent
surtout grâce à ses multiples interventions télévisées. Il intervenait régulièrement pour expliquer des points
de droit et des articles de la Constitutions du 1
er juin 1959 et de celle du 27 janvier 2014.
764 K. MOHSEN-FINAN, « Kaïs Saïed, le candidat tunisien qui cultive la différence », Orient XXI [en ligne],
publié le mercredi 6 octobre 2019, [consulté le 20 décembre 2019], https://orientxxi.info/magazine/kais-
saied-le-candidat-qui-cultive-la-difference,3325.
765 Les destouriens et les modernistes à l’instar d’Abir MOUSSI, de Mohsen MARZOUK, d’Abdelhamid
ZBIDI et de Youssef CHAHED ont plus de mal à se rallier à sa cause.
766 Issue d’une famille pieuse mais réformiste, il estime que la religion est un choix personnel. Fin connaisseur
de la Constitution du 27 janvier 2014, ses discours renvoient à la liberté religieuse mais ne mentionnent pas
la liberté de conscience. S’il considère que l’Etat est une personne morale a-religieuse, il estime que l’Islam
est la religion de l’
Umma, de la communauté des croyants musulmans. En faveur de la peine capitale pour
les cas de terrorisme et de viol, il est également opposé à la dépénalisation de l’homosexualité. Bien qu’il
critique l’article 230 du Code pénal qui criminalise la sodomie et qui autorise les tests anaux, il affirme
qu’il faut préserver les valeurs de la société. Est-ce à dire que les droits et libertés prévus par la Constitution
sont, selon lui, compris dans l’Islam ? Seule sa lecture à venir du texte constitutionnel le dira. Son discours
du 28 septembre 2020 laisse pourtant croire qu’il privilégie la loi de talion à la justice de l’Etat de droit.
Pour plus de précisions sur son programme en matière de libertés cf. C. LAFRANCE, « Présidentielle en
Tunisie : quatre questions sur le programme de Kaïs Saïed en matière de libertés »,
Jeune Afrique [en
ligne]
,
2019],
https://www.jeuneafrique.com/834460/politique/presidentielle-en-tunisie-quatre-questions-sur-le-
programme-de-kais-saied-en-matiere-de-libertes/.
le mardi
décembre
[consulté
octobre
publié
2019,
18
le
8
180





Page 182
politique. Il considère justement que les revendications révolutionnaires des Tunisien(ne)s ne
sont pas de nature identitaire mais de nature économique et sociale
767.
Bien qu’il soit attaché aux dispositions de la Constitution, il n’est pas aussi soucieux de
respecter la volonté des constituants que d’écouter les revendications du peuple. Comme
l’affirme l’historienne Sophie BESSIS, son projet
768 politique se résume à la formule
suivante :
A sha’b yurîd, « Le peuple veut »769. Il estime que le peuple a été déposé de son
pouvoir et cherche par la fonction présidentielle à lui restituer ses droits souverains. En
réalité, son projet est « une remise en question du système politique doublé d’une nécessité de
repenser la Constitution de 2014.
»770 A l’opposé de Béji CAÏD ESSEBSI sa volonté n’est
pas de faire un choix de société et de fixer la nature de l’Etat. Il se réapproprie les slogans
révolutionnaires et veut faire du niveau local le centre de la décision politique.
Ayant enseigné le droit constitutionnel et les institutions politiques, il maîtrise les rouages du
régime parlementaire et connaît l’histoire politique et juridique de la Tunisie. Il sait donc
qu’au sein d’un régime parlementaire, l’essentiel du pouvoir réside dans la chambre élue
directement par le peuple. Contrairement à son prédécesseur, Kaïs SAÏED ne cherche pas à
préserver la technique du tawâfuq ou choix du compromis par consensus mais à favoriser
l’expression de la volonté multiple du peuple. Conscient de la réalité de la fonction
présidentielle dans le régime parlementaire, il compte actuellement sur le rôle de l’ARP. Il
précise d’ailleurs que s’il n’a pas le soutien de l’ARP pour réaliser les réformes de ses vœux,
la sanction qu’il subira sera de nature politique et non juridique. Seul ce que décident le
peuple et ses représentants réunis en assemblée compte pour lui
771.
767 A. REKIK, « L’élection présidentielle en Tunisie : vers un renforcement du rôle du président ? », Le blog
de Jus Politicum
, revue internationale de droit constitutionnel [en ligne], [consulté le 11 décembre 2019],
http://blog.juspoliticum.com/2019/11/07/lelection-presidentielle-en-tunisie-vers-un-renforcement-du-role-
du-president-par-azza-rekik/#_ftn5.
768 Lors du débat télévisé qui l’a opposé à son concurrent Nabil KAROUI, Kaïs SAÏED a martelé qu’il n’avait
pas de programme mais qu’il pensait au projet politique à offrir aux Tunisiens cf. le débat entre les
candidats Kaïs SAÏED et Nabil KAROUI au second tour de la présidentielle en date du 11 octobre 2019,
[en ligne], [consulté le 18 décembre 2019], https://www.youtube.com/watch?v=vGf35QHvYUg (en arabe).
[en
769 Interview de Sophie BESSIS, « Tunisie : lendemains d’élections », publié le vendredi 18 octobre 2019 par
2019],
[consulté
l’IREMMO
https://www.youtube.com/watch?v=3LAsTFDTAyA&t=1s&fbclid=IwAR1vPLkY8xft6HpKITGLVGNmi
7RW_-YKQnBIUTTtjH-d-ecvWYJGXk9GOpc.
décembre
ligne],
770 K. MOHSEN-FINAN, « Kaïs Saïed, le candidat tunisien qui cultive la différence », Orient XXI [en ligne],
publié le mercredi 6 octobre 2019, [consulté le 20 décembre 2019], https://orientxxi.info/magazine/kais-
saied-le-candidat-qui-cultive-la-difference,3325.
20
771 Voir l’interview accordée par Kaïs SAÏED à la Radio Express FM sur sa conception de la fonction
le 18 décembre 2019],
présidentielle et sa vision de
https://www.youtube.com/watch?v=EJ2Gg_PK3Dg&feature=youtu.be (en arabe).
la Tunisie,
[consulté
ligne],
[en
le
181




Page 183
Arrivé en tête des élections législatives du 6 octobre 2019, Ennahdha optera-t-il pour la
technique du tawâfuq ou sera-t-il soucieux de respecter la volonté du peuple ? Seuls les débats
parlementaires à venir le diront. Pour autant, comment un parti religieux comme Ennahdha,
peut-il procéder pour que ses aspirations politiques soient conformes aux concessions qu’il a
faites durant le processus constituant et qui sont consignées dans le texte constitutionnel ?
Soucieux de conserver le pouvoir et de prouver aux observateurs internationaux qu’il est
l’acteur politique à
l’origine des concessions qui ménagent
l’une des
transitions
démocratiques du monde arabe les plus inédites, Ennahdha va progressivement se plier aux
exigences de la démocratie, en se conformant à la volonté électorale des Tunisiens. Au cours
de son dixième congrès tenu à Hammamet du 20 au 22 mai 2016, le parti islamiste « a en effet
décidé de séparer le volet politique de la prédication, de rompre avec l’islam politique des
Frères musulmans, de devenir moins wahhabite que tunisien, en tant que parti politique
"spécialisé" dans la politique, intégré dans le jeu institutionnel et démocratique
».772 Rached
GHANNOUCHI veut diriger Ennahdha « vers un parti politique, national, civil à référent
islamique, qui œuvre dans le cadre de la Constitution du pays et s’inspire des valeurs de
l’islam et de la modernité
»773. Les théocrates sortent de l’islam politique pour entrer dans une
démocratie musulmane
774. Le discours des islamistes avance et s’adapte progressivement aux
exigences de la Tunisie du XXI
ème siècle.
Seulement comme l’affirme le Professeur Hatem MRAD « [c]’est dans la politique de détail
qu’on pourra évaluer l’étendue du changement d’Ennahdha sur le plan doctrinal. Est-ce
qu’elle va continuer à rejeter la logique démocratique égalitaire entre les hommes et les
femmes en matière d’héritage ? Est-ce qu’ils vont accepter l’égalité sur le plan politique et la
refuser dans la vie privée ? Est-ce qu’ils vont accepter la liberté pleine et entière des
femmes ? Les droits des homosexuels ? L’abolition de la peine de mort ? Ou vont-ils
772 H. MRAD, De la Constitution à l’accord de Carthage : Les premières marches de la Deuxième
République, op.cit., p. 11.
773 Y. BELLAMINE, « Retour sur le 10ème Congrès d’Ennahdha », Huffpost Maghreb/Tunisie, [en ligne],
publié le lundi 23 mai 2016, [consulté le 24 août 2018], https://www.huffpostmaghreb.com/2016/05/23
/ennahdha-tunisie_n_10105590.html.
774 La démocratie suppose le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Dans une démocratie
musulmane, le peuple est musulman. Autrement dit même s’il gouverne, il reste attaché aux valeurs et
principes de l’Islam. Seulement l’Islam n’est plus en confrontation directe avec les institutions de l’Etat : le
domaine politique est distingué du domaine religieux et, les partis islamistes acceptent le pluralisme
politique et les procédures démocratiques. Ces-dernières découlent en partie des principes de représentation
et de séparation des pouvoirs. Pour plus de précisions sur la mue d’
Ennahdha cf. « Tunisie : Ennahdha acte
sa mue en parti civil »,
Jeune Afrique [en ligne], publié le dimanche 22 mai 2016, [consulté le 24 août
2018], http://www.jeuneafrique.com/327596/politique/tunisie-ennahdha-acte-mue-parti-civil/.
182




Page 184
continuer à faire prévaloir la morale communautaire islamique ? Y aura-t-il une différence
profonde pour eux entre l’islam comme un dogme, et à l’avenir, l’islam comme référence
morale ?
»775 Du fait des élections législatives du 6 octobre 2019, Ennahdha est le parti qui
dispose du plus grand nombre de sièges à l’ARP. Si les débats sur l’amendement de la loi
électorale et le décès de Béji CAÏD ESSEBSI ont retardé si ce n’est stoppé ceux qui sont
relatifs à la loi sur l’égalité successorale, se pose la question de savoir si la nouvelle
configuration de l’
ARP permettra son adoption776. Seul l’avenir et les débats parlementaires
relatifs au projet sur l’égalité homme / femme en matière d’héritage, le diront
777. Le
Professeur Monia BEN JEMIA précise qu’au sein de l’ARP, on assiste actuellement à une
«
guerre des interprétations »778 entre islamistes et sécularistes. Alors que les premiers
estiment que le projet de loi en discussion est contraire au texte clair et intangible du Coran,
les seconds considèrent que l’article premier de la Constitution fait de l’Islam la religion de la
majorité des Tunisiens et non une source du droit.
775
H. MRAD, De la Constitution à l’accord de Carthage : Les premières marches de la Deuxième
République, op.cit.
, p. 306.
776 Le projet de loi relatif à l’égalité successorale a été approuvé par le Gouvernement de Youssef CHAHED le
23 novembre 2018 puis déposé à l’ARP.
777 La présidente de la Commission des Libertés Individuelles et de l’Egalité (COLIBE) Bochra BELHAJ
HMIDA a récemment affirmé que le projet de loi sur l’égalité successorale pourrait être adopté sans le
soutien d’
Ennahdha. La seule condition étant que les députés progressistes soient tous présents à l’ARP le
jour du vote. Pour plus de précisions sur ce point cf. S. ATTIA, « Tunisie – Bochra Belhaj Hmida : “
Le
projet de loi sur l’héritage est un pas de géant
” » Jeune Afrique [en ligne], publié le jeudi 13 décembre
2018 et mis à
le 11 décembre 2019],
https://www.jeuneafrique.com/mag/679408/politique/tunisie-bochra-belhaj-hmida-le-projet-de-loi-sur-
lheritage-est-un-pas-de-geant/.
le mardi 12 novembre 2019,
[consulté
jour
778 Intervention du Professeur Monia BEN JEMIA à Sciences Po Bordeaux, le jeudi 28 mars 2019 au séminaire
du LAM (Les Afriques dans le Monde) au sujet des « Femmes et de la transition politique en Tunisie ».
183













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184














Page 186
CONCLUSION
Du fait de la constitutionnalisation simultanée de deux conceptions de l’Etat, la Constitution
tunisienne du 27 janvier 2014 est un ensemble de potentialités sur la nature de l’Etat et de la
société. La Constitution consacre deux positions antagonistes extrêmes et crée, de ce fait, une
situation d’attente qui ne sera résolue que par la pratique politique ou l’interprétation juridique
du texte constitutionnel. Le compromis dilatoire auquel ont abouti les constituants, renvoie
aux interprètes authentiques l’interprétation du texte constitutionnel. L’ambiguïté et la
contradiction des formulations constitutionnelles employées sont et devront être exploitées
par les interprètes lors de l’application du contrat social tunisien. Alors que ces derniers lisent
la Constitution à l’aune de leurs présupposés théologiques, politiques ou autres, la décision
relative au choix de société et à la nature de l’Etat, relève également du législateur.
185


















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186



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CONCLUSION DU TITRE I
La cohabitation forcée des théocrates et des démocrates à l’ANC a conduit à l’adoption d’une
Constitution de compromis. Ses dispositions ambiguës et contradictoires renvoient la
détermination de la nature de l’Etat aux acteurs publics. S’il est facile de penser qu’en vertu
de la directive d’interprétation, la volonté des constituants de faire de la Tunisie un Etat
« civil » à référent islamique est respectée, sans la mise en place de la Cour constitutionnelle,
la nature véritable de l’Etat ne sera pas déterminée. Elle dépend actuellement de la lecture
présidentielle qui en est faite.
Bien que l’Islam comme religion d’Etat, la langue arabe comme langue officielle et le
caractère « civil » de l’Etat fixent en partie la nature de l’Etat en Tunisie, ce ne sont pas les
seules composantes de l’identité constitutionnelle tunisienne. Cette dernière est également
composée des droits de l’Homme garantis par la Constitution. L’identité constitutionnelle
tunisienne reste cependant partagée entre les valeurs humaines universelles et les valeurs
arabes et musulmanes du peuple tunisien.
187















Page 189
188



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Titre II Une identité constitutionnelle à la croisée des
valeurs universelles et nationales
Qualifiée de révolution de la liberté et de la dignité779, la révolution du 17 décembre 2010 au
14 janvier 2011 s’est fondée sur la volonté des Tunisiens de se rattacher à l’ensemble de
l’humanité. Ces derniers réclamaient le respect des valeurs universelles que sont la dignité, la
liberté, l’égalité et la justice. Ces valeurs
780 sont « aux fondements de tout l’arsenal juridique
des droits humains
»781 dans le sens où l’être humain est universel par son essence, sa nature.
Si la Constitution du 27 janvier 2014 est le fruit d’un accord sur les valeurs à graver dans le
marbre constitutionnel, les théocrates n’en ont pas eu la même perception que les démocrates.
Ce qui relève de l’universel et des droits de l’Homme a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses
polémiques au sein de l’ANC. En effet, les expressions et formulations employées étant
vagues et sujettes à interprétation, les références à l’universel et aux valeurs humaines
782
étaient compromises, voire neutralisées par les valeurs identitaires (Chapitre 1).
L’obsession tunisienne de l’identité arabe et musulmane limite et dénature les revendications
et objectifs de la révolution. La frilosité du constituant pour ce qui relève de l’humain et sa
préférence pour ce qui est divin mettent à mal le rattachement des Tunisiens à l’ensemble de
l’humanité. La quête du particulier poursuivie par une partie des constituants
783 révèle les
traits qui distinguent les Tunisiens de leurs semblables maghrébins, orientaux, européens et
779 Paragraphe 2 du préambule de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 : « Fiers du combat de notre
peuple pour l’indépendance, l’édification de l’État et la délivrance de la tyrannie, et en réponse à sa libre
volonté. En vue de réaliser les objectifs de la Révolution de la liberté et de la dignité, Révolution du 17
décembre 2010 - 14 janvier 2011, fidèles au sang versé par nos braves martyrs et aux sacrifices des
Tunisiens et Tunisiennes au fil des générations et rompant avec l’oppression, l’injustice et la corruption ;
»
Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
deuxième paragraphe du préambule.

780 Sur le rapport entre droit et valeurs, cf. J.-C. ROCHER, Fondements éthiques du droit, Livre 1.
Phénoménologie, Paris, FAC éditions, 1993, 216 p.
781 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 383.
782 Le préambule de la Constitution du 27 janvier 2014 ne fait référence qu’aux valeurs humaines. Dans
l’objectif de rester fidèle à la formulation de la Constitution, cette expression sera employée dans la suite
des développements. Ceci n’empêche pourtant pas d’employer l’expression «
valeurs universelles ».
Qu’elles soient humaines ou universelles ces valeurs renvoient à la dignité, à la liberté, à l’égalité et, à la
justice.
783 Dont les islamistes d’Ennahdha.
189





Page 191
occidentaux784. Les spécificités identitaires du cadre constitutionnel national sont souvent
génératrices de repli. Ces «
éléments de résistance, ou de divergence »785 par rapport aux
standards globaux, s’expliquent en partie par le fait que la constitution est « un lieu
d’expression de l’identité d’un pays.
»786 Elle réaffirme ses caractéristiques les plus
spécifiques et autochtones
787. Dès lors, il apparaît logique, voire normal, que l’identité
constitutionnelle tunisienne soit respectueuse des seuls droits reconnus à l’Homme par l’Islam
(Chapitre 2). L’universel auquel il est fait référence dans la Constitution de la Deuxième
République se concentre sur des particularismes culturels régionaux et locaux
788.
784 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 388.
785 T. GROPPI, « La Constitution
constitutionnel ? »,
précit., p. 348.
tunisienne de 2014 :
illustration de
la globalisation du droit
786 Ibid.
787 H. W. O. OKOTH-OGENDO, « Constitutions without Constitutionalism: Reflexions on an African
Political Paradox », précit., p. 65.
788 La Constitution tunisienne actuelle passe sous silence les déclarations internationales et régionales relatives
aux droits de l’Homme. Pour plus de précisions sur ce point cf. le A. du Paragraphe 1 de la Section 2 du
Chapitre 2 du Titre II de cette partie relatif à
la criante absence des déclarations internationales des droits
de l’Homme,
p. 290.
190





















Page 192
Chapitre 1 La neutralisation des valeurs humaines par les valeurs identitaires
Le philosophe français Ruwen OGIEN déclare qu’ « [à] première vue, normes et valeurs
appartiennent à des familles de notions différentes. Dans les théories des normes, il est
question de règles, raisons, principes, devoirs, droits, obligations, etc. Dans les théories des
valeurs, on parle plutôt de bien, mal, meilleur, pire, etc.
»789 Alors que le concept de norme
renvoie au droit, celui de valeur est lié à la philosophie et surtout, à l’éthique
790. Se pose donc
la question de savoir si les énoncés constitutionnels véhiculent aussi bien des normes que des
valeurs. Bien qu’il existe différentes manières de distinguer les normes des valeurs
791, les
deux concepts ne sont jamais clairement séparés, du fait de leur commune vocation
prescriptive. Plus encore, après la Seconde Guerre mondiale, certaines valeurs philosophiques
à l’instar de la dignité humaine, ont investi le droit « pour mettre fin à certaines pratiques
négatrices de l’humanité de l’homme.
»792 La protection juridique accrue des droits de
l’Homme, tant au niveau interne qu’international
793, est concomitante à l’émergence d’une
«
nouvelle vague de constitutionnalisme. »794 Grâce à la chute du mur de Berlin, les nouvelles
démocraties apparues en Europe et un peu partout dans le monde, se sont dotées de
constitutions écrites souvent rigides, partageant certaines caractéristiques matérielles
communes. C'est à cette occasion que les observateurs ont commencé à parler de
«
constitutionnalisme global »795.
789 R. OGIEN, « Normes et valeurs », in CANTO-SPERBER (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie
morale, Paris, PUF, Tome 2, 2004, p. 1354.
790 A. DE LASTIC, « Une approche philosophique du sens des valeurs. Se transformer soi-même pour
https://ccfd-
transformer
terresolidaire.org/IMG/pdf/valeurs-delastic.pdf, pp.2-11.
791 R. OGIEN, « Normes et valeurs », précit., pp. 1354-1368.
792 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
le monde
[consulté
5 mai
2019],
ligne],
» [en
le
?
généraux de la Constitution », précit., p. 382.
793 Les Constitutions qui naissent après la Seconde Guerre mondiale contiennent des catalogues de droits qui
influencent les textes internationaux des droits de l’Homme. Ces derniers impactent à leur tour
l’élaboration et la rédaction de nouvelles constitutions.
794 T. GROPPI, « La Constitution
la globalisation du droit
constitutionnel ? »,
précit., p. 344. A l’instar de Lorraine E. WEINRIB, certains juristes évoquent le
concept de “
postwar constitutional paradigm”, cf. L. E. WEINRIB, “The Postwar Paradigm and American
Exceptionalism”,
in S. CHOUDRHY (ed.), The Migration of Constitutional Ideas, Cambridge, Cambridge
University Press, 2006, p. 89.
tunisienne de 2014 :
illustration de
795 Bruce ACKERMAN parle de “word constitutionalism cf. B. ACKERMAN, “The Rise of World
Constitutionalism”, 83 Virginia Law Review, pp. 771-797. Le Professeur Mark TUSHNET évoque quant à
lui, la “
globalization of domestic constitutional law” cf. M. TUSHNET, “The Inevitable Globalization of
Constitutional Law”,
précit., p. 987. Voir D. S. LAW, M. VERSTEEG, “The Evolution and Ideology of
Global Constitutionalism”,
précit., pp. 1163-1257 mais surtout les travaux menés par A.-M. SLAUGHTER
synthétisés dans son ouvrage,
A New World Order, Princeton, Princeton University Press, 2004, 226 p.
191




Page 193
A l’époque de la globalisation, la circulation des modèles constitutionnels et des catalogues de
droits se produit aux différents stades de la vie d’une constitution ; celui de son élaboration et
celui de son application. Même si de nos jours la circulation du droit est inévitable, le recours
au droit comparé et aux textes internationaux relatifs aux droits de l’Homme, peut être
volontaire ou imposé. Au cours du processus constituant tunisien, les théocrates et démocrates
ont eu volontairement recours aux modèles étrangers
796. Cependant, si les constitutions
contiennent désormais «
des marques d’appartenance à la communauté globale »797, elles
restent des «
instruments d’expression de l’identité nationale »798. Bien que la standardisation
et la convergence des droits et libertés consacrés transforment les constitutions, l’inspiration
internationale du constituant tunisien (Section 2) est à relativiser. La Constitution du 27
janvier 2014 n’est pas importée. Elle est l’œuvre des seuls Tunisiens.
Conçue comme une « structure identitaire »799, la Constitution « conduit le groupe social à se
construire une identité à la fois reflet de la réalité et projection idéale de ce qu’elle veut
être.
»800 Elaborée par des hommes et des femmes aux idéaux philosophiques et axiologiques
inconciliables, la Constitution tunisienne navigue « entre les valeurs universelles de la liberté,
de l’égalité et de la dignité et entre des valeurs liées à une spécificité culturelle hautement
discutée.
»801 Les valeurs culturelles liées à l’identité arabe et musulmane prévalent
matériellement et formellement
802 sur les valeurs humaines. La lecture du texte constitutionnel
– à commencer par le préambule – permet d’ailleurs de constater cette obsession de
l’identité (Section 1).
796 A rappeler qu’au stade du processus constituant, certains Etats étrangers et organisations internationales
sont intervenus pour poser des conditions, en vue d’inciter les constituants à adopter une/des solutions
spécifiques. Cf. le 2. du B. du Paragraphe 1 de la Section 1 de ce chapitre relatif aux
conséquences
économiques et internationales du soutien au peuple palestinien, p. 208 et, le B. du Paragraphe 1 de la
Section 2 de ce chapitre relatif à
l’appui des organisations nationales et internationales à l’ANC, p. 234.
tunisienne de 2014 :
illustration de
la globalisation du droit
797 T. GROPPI, « La Constitution
constitutionnel ? »,
précit., p. 347.
798 Ibid.
799 M.-C. PONTHOREAU, « La constitution comme structure identitaire », in D. GHAGNOLLAUD (dir.),
Les 50 ans de la Constitution 1955-2008, Paris, Lexis Nexis / Litec, 2008, pp. 31-42.
800 F. BORELLA, « Préface », in S. PIERRE-CAPS, Nation et peuples dans les Constitutions modernes, F.
BORELLA (dir.), Thèse de doctorat en droit, Nancy, Université de Nancy II, Presses Universitaires de
Nancy, 1986, p. 13.
801 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 382.
802 Le Professeur Salwa HAMROUNI précise que « le pouvoir constituant tunisien commence toujours par
nous rappeler les valeurs arabo-musulmanes avant de citer les valeurs humaines universelles.
» S.
HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution »,
précit., p. 387.
192





Page 194
Section 1
L’obsession de l’identité arabe et islamique du peuple
Faute d’avoir fait de la charia la source des lois et de l’Islam, le fondement de la Constitution,
les théocrates ont inséré des dispositions relatives à l’identité arabe et islamique du peuple. En
dehors de l’espace européen, l’identité constitutionnelle tend à s’estomper dans la projection
de l’identité culturelle. De manière générale, le préambule « est la partie de la Constitution
qui reflète le mieux l’entendement constitutionnel des constituants, ce que Carl Schmitt
appelle les “décisions politiques fondamentales”.
»803 En retraçant l’histoire qui précède
l’élaboration de la constitution et en véhiculant un certain nombre de valeurs et de principes
spécifiques, le préambule et les principes généraux
804 permettent de cerner les traits
caractéristiques de l’identité d’un peuple. Même si la Tunisie n’appartient pas uniquement aux
seuls espaces arabo-musulmans (Paragraphe 1), les spécificités identitaires et valeurs
culturelles nationales ont dominé le processus constituant et prévalent au sein des dispositions
constitutionnelles actuelles, sur l’universalité de l’espèce humaine (Paragraphe 2). Les
particularités du cadre constitutionnel national traduisent donc bien une divergence avec les
standards globaux.
Paragraphe 1
L’appartenance de la Tunisie aux seuls espaces arabo-musulmans
Au premier plan, le préambule expose les références les plus caractéristiques du texte
constitutionnel
805. Ces dernières sont assez spécifiques puisqu’ « ancrées dans un
particularisme excessif et sélectif. Excessif vu la redondance liée à l’appartenance arabo-
803 Extrait de V. L. ORGARD, “The Preambule in Constitutional Interpretation”, 8 International Journal of
Constitutional Law, 2010, p. 715. C’est nous qui traduisons.
804 Généralement situés à l’intérieur des premiers articles du texte constitutionnel.
805 Ce paragraphe est exclusivement consacré à l’étude du cinquième paragraphe du préambule de la
Constitution du 27 janvier 2014. «
Considérant le statut de l’Homme en tant qu’être doué de dignité et en
vue de consolider notre appartenance culturelle et civilisationnelle à l’Ummah arabe et islamique, en se
basant sur l’unité nationale fondée sur la citoyenneté, la fraternité, l’entraide et la justice sociale, et en vue
de consolider l’unité du Maghreb, en tant qu’étape vers la réalisation de l’unité arabe, la complémentarité
avec les peuples musulmans et africains et la coopération avec les peuples du monde, en vue de défendre
les opprimés en tout lieu et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ainsi que la juste cause de tous les
mouvements de libération, à leur tête le mouvement de libération de la Palestine, et en vue de combattre
toutes les formes d’occupation et de racisme ;
» Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie
indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, cinquième paragraphe du préambule.

193








Page 195
musulmane et sélectif car réduisant l’histoire de la Tunisie à la conquête arabo-
musulmane.
»806 L’histoire de la Tunisie est donc réduite à la conquête arabo-musulmane (A)
et l’intérêt porté à l’environnement arabe et musulman est doublé par l’engagement des
constituants à défendre le mouvement de libération de la Palestine (B).
A.
La réduction de l’histoire de la Tunisie à la conquête arabo-musulmane
Au lieu de rattacher les Tunisiens à l’ensemble de l’humanité, les constituants insistent sur la
consolidation de « l’unité du Maghreb » comme étape à la « réalisation de l’unité
arabe
»807 (1). L’appartenance de la Tunisie à l’aire culturelle et civilisationnelle arabe et
islamique prime donc sur son appartenance à l’espèce humaine. Même si être Tunisien c'est
être maghrébin et africain, il n’est pas constitutionnellement reconnu comme étant
méditerranéen. Plus encore, son histoire berbère n’est pas consacrée par le texte
constitutionnel (2).
1. La consolidation de « l’unité du Maghreb » comme étape à la « réalisation de l’unité
arabe »
Avant d’évoquer la « réalisation de l’unité arabe » le constituant tunisien s’attache, en tête du
cinquième paragraphe du préambule de la Constitution, à consolider « l’appartenance
culturelle et civilisationnelle
808 [de la Tunisie] à l’Ummah arabe et islamique ». Transcription
anglo-saxonne d’Al Oumma Al Islamiya, l’Umma ou Ummah « désigne la communauté des
croyants musulmans, soit la communauté islamique mondiale.
»809 Employé pour la première
fois par le Prophète Mahomet, son histoire aurait commencé avec l’
Hégire810. Selon la
définition du Professeur Antoine SFEIR, il y a une distinction à faire entre le caractère
806 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 387.
807 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
cinquième paragraphe du préambule.
808 Sur la différence entre culture et civilisation cf. le 1. du A. du Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 1 du
Titre 1 de cette partie relatif à la place du référent islamique au sein de la Constitution, p. 86.
809 « Oumma », in A. SFEIR (dir.), Dictionnaire du Moyen-Orient : histoires/cultures/révolutions, Paris,
Bayard Editions, 2011, p. 656.
810 Soit le 16 juillet 622 de l’ère chrétienne. Cf. Annexe 1 – Glossaire – Hégire.
194








Page 196
islamique de la communauté des croyants et l’arabité ou identité arabe. Or, « l’arabe811, se
trouve face à une confusion quant à la définition même de son identité. Arabophone, Arabe de
race ou musulman, être Arabe aujourd’hui n’est pas évident.
»812 La construction de l’identité
arabe est difficile et les mythes politiques qui fondent la filiation et la nation arabe, rendent la
distinction entre islamité et arabité d'autant plus complexe. La confusion entre islamité et
arabité est d’ailleurs entretenue par les constituants. Ces derniers inscrivent au sein du
préambule la poursuite de deux objectifs : celui du renforcement de l’appartenance de la
Tunisie à l’ « Ummah arabe et islamique » et celui de la réalisation de l’« unité arabe ».
Contrairement au préambule de la Constitution de la Deuxième République, le préambule de
la Constitution du 1
er juin 1959 distingue bien « les enseignements de l’Islam » de l’
«
appartenance [de la Tunisie] à la famille arabe »813.
Il va sans dire que toute tentative de définition de l’identité arabe passe nécessairement par le
rattachement à l’origine et à la nation arabes. Comme toute identité, l’identité arabe s’est
construite par rapport aux autres, principalement les Ottomans et les Occidentaux. Du temps
de l’occupation européenne des pays du Proche-Orient et d’Afrique du Nord, ce sont les
Occidentaux qui « dictèrent ce qui était oriental, arabe. Le “moi arabe” est originairement
un “vous Arabes”.
»814 Dans l’objectif de lutter et de combattre cet Occident dominateur et
colonisateur, « les intellectuels “arabes” ont produit “l’arabité” en recourant à une
démarche qui a consisté à se définir par rapport à l’autre, en lui empruntant ses théories.
»815
Les intellectuels arabes ont effacé les spécificités territoriales, afin d’unir les populations et
résister à l’occupant, qu’il soit ottoman ou occidental. L’arabité a cependant été construite
contre les sentiments nationaux, alors qu’elle devait se faire à partir d’eux
816. Aujourd’hui,
811 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Arabe.
812 A. AJOURY, Les mythes dans les constructions identitaires au Liban, Mémoire en Sciences politiques,
Beyrouth, Université Saint-Joseph, 2005, p. 44.
813 Le quatrième paragraphe du préambule de la Constitution du 1er juin 1959 dispose de la volonté du peuple
tunisien de «
demeurer fidèle aux enseignements de l’Islam, à l’unité du Grand Maghreb, à son
appartenance à la famille arabe, à la coopération avec les peuples “africains pour édifier un avenir
meilleur et à la solidarité avec tous les peuples” qui combattent pour la justice et la liberté,
» Cf.
Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 1
er juin 1959, quatrième
paragraphe du préambule.
814 A. AJOURY, Les mythes dans les constructions identitaires au Liban, op.cit., p. 45.
815 Ibid.
816 D. SCHNAPPER, « Existe-t-il une identité française ? », in J.-C. RUANO-BORBALAN (éd.), L’identité,
l’individu, le groupe, la société, Auxerre, Sciences Humaines, 1998, p. 304.
195



Page 197
être arabe consiste à partager la même Histoire, la même tragédie817 et surtout les mêmes
espoirs
818.
A l’instar de l’identité arabe, le nationalisme arabe819 s’est exclusivement basé sur les critères
linguistique, culturel et historique
820. Les idéologues du nationalisme arabe ont ainsi négligé
le territoire et les frontières. « Théoriquement, le nationalisme arabe mettait les Arabes de
différentes religions et confessions sur le même rang, et par conséquent éliminait la
discrimination politique et sociale utilisée sous l’empire ottoman et par la suite par l’armée
turque. Mais, pratiquement, l’arabité ne fonctionnait pas de cette manière.
»821 Croyant
délaisser le critère religieux pour rassembler les populations composant les provinces de
l’Empire ottoman, le nationalisme arabe ou arabisme a servi de substitut à l’Islam en tant
qu’idéologie unificatrice. Du fait de la décadence de l’Empire ottoman au XIX
ème siècle,
l’Islam était menacé par les puissances occidentales et il n’existait plus de califat pour fournir
à l’ensemble des fidèles une direction globale.
Bien que se voulant détaché de la religion, le nationalisme arabe baignait dans les rites et
traditions religieuses islamiques. En effet, la question de la filiation telle que comprise dans
l’Islam, était essentielle dans l’établissement de l’origine arabe. Dans la culture arabo-
musulmane, « la filiation est un élément essentiel de légitimation. Dans l’islam, il est interdit
d’adopter des enfants et par suite de donner son nom à une personne étrangère au groupe ou
à la famille. On remarque d’ailleurs l’existence du préfixe “ben” ou “ibn” devant bon
nombre de noms de familles arabes. Ces termes signifient “ fils de”.
»822 La filiation telle que
comprise dans l’Islam est donc au fondement de la légitimation et de la reconnaissance de
817 L’occupation de la Palestine.
818 La libération des territoires palestiniens occupés et la réalisation de l’unité arabe.
819 Sur le nationalisme en général voir E. GELLNER, Nation et nationalisme, (traduit par B. PINEAU), Paris,
Payot, 1989, 208 p. Sur le nationalisme arabe en particulier voir O. CARRE,
Le Nationalisme arabe, Paris,
Payot & Rivages, 1996, 304 p.
820 Les chrétiens d’Orient à l’exemple des Libanais Constantine ZREIK et Edmond RABBATH furent les
pionniers et premiers théoriciens du nationalisme arabe. Grâce à l’influence des Libanais ayant fréquentés
les missions occidentales à Beyrouth, au Mont Liban et à Alep, les Syriens furent les premiers musulmans à
prendre conscience de leur arabisme. Le nationalisme arabe s’est développé en réaction au nationalisme
turc qui rejetait les Arabes musulmans. Pour plus de précisions sur ce point cf. A. AJOURY,
Les mythes
dans les constructions identitaires au Liban, op.cit.
, p. 46.
821 Ibid.
822 Ibid., p. 50.
196




Page 198
l’identité arabe. Toutefois, les populations autochtones en Tunisie n’étaient pas arabes. Elles
ont été arabisées à partir du VII
ème siècle823.
Habib BOULARES constate d’ailleurs que « [j]usqu’à présent, il n’est pas rare de rencontrer
des personnes instruites qui ne savent pas qu’il a fallu plus de cinquante ans pour asseoir en
Ifriqiya le pouvoir arabe, des générations pour atteindre l’objectif de l’islamisation générale
et des siècles pour assurer l’arabisation du pays. Peut-être cette ignorance était-elle due, en
partie, à la facilité avec laquelle les Musulmans d’Arabie ont conquis les régions voisines en
Orient.
»824 La conquête arabe de la Tunisie a permis de généraliser en Ifriqiya825 la langue
arabe et l’Islam. S’étendant aux populations et territoires d’Afrique du Nord, les berbères qui
s’y trouvent vont s’exprimer en arabe. Se développeront alors progressivement, les différents
dialectes qui varient d’un pays arabe à l’autre et d’une rive à l’autre de la Méditerranée. Mais
rapidement, le critère religieux va prendre le pas sur le critère linguistique.
Afin d’étendre l’empire arabe des Omeyyades826 et rester au pouvoir, les dirigeants arabes
devaient adopter l’Islam. Le concept d’Umma va alors servir à regrouper la communauté des
croyants musulmans, dans l’objectif de lutter contre le non-croyant ou le non-musulman.
Historiquement, culturellement et axiologiquement connoté, le concept d’Umma est repris par
les constituants tunisiens. Ces-derniers cherchent à consolider l’ « appartenance culturelle et
civilisationnelle [de la Tunisie] à l’Ummah arabe et islamique ». Pourquoi avoir qualifié
l’Ummah d’islamique, alors que le concept renvoie ontologiquement à la communauté des
croyants musulmans ? Pourquoi insister sur le caractère arabe de l’Ummah alors qu’il est
originellement arabe ? Il semblerait que les constituants aient impérativement voulu rattacher
leur pays à l’unité morale et spirituelle que constitue l’Ummah. Cette appartenance permettrait
de relever les traits linguistiques, religieux et moraux qui définissent les sociétés arabes et
musulmanes dont fait partie la Tunisie. Pour mémoire, l’Ummah date des conquêtes arabes et
des premiers temps de l’Islam. Il visait à unir les musulmans du globe, au-delà des frontières
823 « C’est donc en 647 que fut organisée la Ghazouat ou l’expédition des “Sept Abd-Allah”, ainsi libellée par
les chroniqueurs parce qu’elle a bénéficié de la participation de plusieurs compagnons du Prophète dont
sept avaient pour prénom Abd-Allah avec à leur tête le commandant en chef Abd-Allah Ibn Abi-Sarh, frère
de lait du Khalife en exercice à Médine, Othman Ibn ‘Affane. Les Musulmans, à partir de l’Egypte, avaient
déjà poussé l’avantage jusqu’en Cyrénaïque. Vingt mille hommes ont été mobilisés pour cette nouvelle
“ouverture” à l’Ouest. » H. BOULARES, Histoire de la Tunisie : Les grandes dates de la préhistoire à la
révolution,
Tunis, Cérès Editions, 2011, pp. 193-194.
824 Ibid., p. 193.
825 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Ifriqiya.
826 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Omeyyades.
197




Page 199
et de l’identité arabe ou autre des peuples. En Tunisie pourtant, le renforcement de
l’appartenance à l’Ummah se base sur l’ « unité nationale ». Or, le concept de nation, né au
XVI
ème siècle, est concomitant à la naissance des Etats modernes. Les concepts de nation et
d’Ummah se voient réunis en une même phrase alors qu’ils appartiennent à des temps
radicalement différents et qu’ils renvoient à des réalités contradictoires.
Ce premier objectif des constituants est doublé par la volonté du peuple de réaliser « l’unité
arabe ». Alors que la Constitution de l’indépendance dispose de l’ « appartenance [de la
Tunisie] à la famille arabe », la Constitution de la Deuxième République traite d’un idéal
d’« unité arabe », fruit des idéologues du nationalisme arabe. Version dépassée des
nationalismes européens du XIX
ème siècle, le nationalisme arabe est fondé sur la conception
objective ou allemande de la nation, par opposition à sa conception subjective ou française. Se
basant exclusivement sur les critères linguistique, culturel et historique, les nationalistes
arabes affirment l’existence d’une nation arabe en devenir, qui serait une et indivisible et qui
s’étendrait du Maroc à l’Irak
827. Cet idéal de la nation arabe s’oppose pourtant à la
reconnaissance des Etats-Nations, des peuples et des diverses patries indépendantes arabes. Le
préambule tunisien actuel cherche à « consolider l’unité du Maghreb » en vue de « réaliser
l’unité arabe ». En 1959, il n’était pas question de « consolider l’unité du Maghreb » puisque
les constituants affirmaient souverainement la volonté du peuple, de « demeurer fidèle […], à
l’unité du Grand Maghreb ». L’unité des pays arabes d’Afrique du Nord existait et les
Tunisiens ne l’envisageaient pas comme une étape à la réalisation de « l’unité arabe ».
Contrairement au nationalisme arabe du XIXème siècle, la construction par étapes de « l’unité
arabe » laisse penser que les constituants tunisiens ont pris conscience des échecs des
diverses expressions du nationalisme arabe. Ils cherchent effectivement à l’adapter aux
réalités régionales et politiques dans lesquelles évolue la Tunisie. Bien qu’elle ait été prévue
comme un objectif à accomplir par les générations présentes et à venir, les constituants
tunisiens ancrent l’unité arabe dans le temps présent, induisant qu’elle serait à terme,
réalisable.
Selon la Constitution du 1er juin 1959, les Tunisiens étaient solidaires de tous les peuples.
Cependant, depuis le 27 janvier 2014, ils ne sont dorénavant complémentaires que des peuples
827 A. AJOURY, Les mythes dans les constructions identitaires au Liban, op.cit., p. 55.
198





Page 200
qui partagent leur vision d'une identité arabe, des valeurs islamiques ou/et du continent
africain. Ils écartent leurs composantes
Imazighen828 et leur rattachement géographique et
historique au bassin méditerranéen. Si la majorité des Tunisiens est arabe et musulmane, il
n’en ait pas de même des minorités juives, chrétiennes et berbères.
2. L’occultation de l’appartenance méditerranéenne et des acquis historiques autres
qu’arabes
Exposant les valeurs fondatrices de la Deuxième République, le Professeur Salwa
HAMROUNI affirme que le pouvoir constituant tunisien est guidé par « des préceptes
idéologiques fixes.
»829 Ayant fait de l’Islam, la base de la culture nationale, les Nahdhaouis
ont réduit l’Histoire de la Tunisie à la conquête arabo-musulmane. Tout ce qui était en lien de
près ou de loin avec l’héritage arabo-musulman, devait figurer dans le texte constitutionnel.
Que faire alors des Tunisiens chrétiens ou juifs ? Quelle place la Constitution consacre-t-elle
aux Imazighen ou populations berbères ? A vrai dire aucune. L’ « unité nationale » et
l’« unité arabe » dont dispose le préambule sont comprises dans l’Islam et ses bases.
Contrairement au Maroc où le constituant « a exprimé son attachement à une unité, forgée
par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est
nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen
»830, le
constituant tunisien passe sous silence les populations et minorités qui ne sont ni arabes ni
musulmanes.
Pourtant, comment réduire l’Histoire de la Tunisie à la seule conquête arabo-musulmane sans
évoquer la période romaine ? Que faire de l’héritage phénicien et des richesses accumulées
grâce à la navigation dans le bassin méditerranéen ? L’appartenance méditerranéenne de la
Tunisie est oblitérée « malgré l’objectivité de l’appartenance géographique et malgré
l’appartenance de la Tunisie à l’union pour la méditerranée.
»831 Il en est de même de
l’appartenance au continent africain. Ceci est d’autant plus surprenant que les travaux
préparatoires à la Constitution, notamment ceux de la Commission du préambule, prouvent
828 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Amazigh.
829 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 387.
830 Ibid.
831 Ibid.
199






Page 201
que l’importance de l’environnement géographique et culturel tant méditerranéen qu’africain,
a été soulignée.
En effet, au cours de son audition du 12 mars 2012832, Ahmed BEN SALAH met l’accent sur
la précision des termes employés lors de l’élaboration du chapitre premier de la Constitution
de 1959. Il insiste sur l’appartenance africaine de la Tunisie et sur l’importance de sa
constitutionnalisation. Il considère que les origines de la Tunisie sont liées aux civilisations
d’Afrique du Nord et à celles du continent africain dans son intégralité. Il montre également
l’importance de l’appartenance de la Tunisie à l’espace méditerranéen. Il affirme d’ailleurs
que cette appartenance prime sur les origines et le rattachement du peuple tunisien à l’Umma.
Alors pourquoi les considérations d’Ahmed BEN SALAH n’ont-elles pas été prises en
compte par les constituants et intégrées au sein du préambule ? Il est intéressant de relever
qu’il avait été question d’ajouter dans le préambule, l’appartenance méditerranéenne de la
Tunisie. Cette proposition d’amendement n’a pourtant été acceptée que par 105 députés sur
les 217. La raison principale de ce refus réside dans la volonté d’une partie des constituants,
de s’engager pour la cause palestinienne et d’envoyer un message à la communauté
internationale : celui du refus de la Tunisie d’appartenir à un espace géographique également
occupé par l’Etat d’Israël
833.
Le préambule de la Constitution du 27 janvier 2014 est en recul par rapport à celui de la
Constitution du 1
er juin 1959. Alors que la nouvelle Constitution dispose de « la
complémentarité avec les peuples musulmans et africains et la coopération avec les peuples
du monde
»834, l’ancienne Constitution insistait sur la fidélité du peuple tunisien « à la
coopération avec les peuples “africains pour édifier un avenir meilleur et à la solidarité avec
tous les peuples” qui combattent pour la justice et la liberté
»835. La coopération avec les
peuples africains n’était – sous le règne de l’ancienne Constitution – qu’une étape à la
réalisation d’un monde meilleur. Actuellement, l'unité avec les peuples musulmans et
832 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mrs. Ahmed BEN SALAH et Yadh BEN
ACHOUR », 12 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 13 septembre 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs
/518e5bfc7ea2c422bec252df (en arabe).
833 Bien que ces développements ne figurent pas clairement dans les travaux préparatoires à la Constitution, le
Professeur Salwa HAMROUNI les expose dans son article précité. En ce qui concerne les tenants et les
aboutissants de l’engagement des constituants en faveur de la cause palestinienne, cf. le B. qui suit.
834 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
cinquième paragraphe du préambule.
835 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 1er juin 1959, quatrième
paragraphe du préambule.
200




Page 202
africains est une fin en soi. Plus encore, les Tunisiens ne sont plus solidaires de l’intégralité
des peuples du monde puisque leur solidarité se résume à renforcer leur engagement et leur
attachement aux peuples arabes, qui plus est musulmans. Ils cherchent certes à « défendre les
opprimés en tout lieu » mais leur préférence va à la cause palestinienne.
B.
La défense des peuples opprimés en particulier, le mouvement de libération de la
Palestine
L’identité collective trouve ses fondements dans les spécificités culturelles propres aux
Tunisiens mais elle s’est aussi forgée
836 par réaction à l’implantation d’un « ennemi
commun
»837 dans le bassin méditerranéen : l’Etat israélien. Dans l’objectif de lutter contre les
anciens colons occidentaux et l'actuel ennemi israélien, l’arabité s’est construite contre les
sentiments nationaux, alors qu’elle devait se faire à partir d’eux
838. Aujourd’hui, être Arabe
consiste à partager la même Histoire, celle de la civilisation arabe et musulmane et des
mouvements de libérations nationales ; la même tragédie, celle de l’occupation de la Palestine
et surtout les mêmes espoirs, à savoir la réalisation de l’unité arabe et la libération des
territoires palestiniens occupés.
Contrairement au préambule de la Constitution du 1er juin 1959839, celui de la Constitution du
27 janvier 2014 a fait l’objet de tractations entre les partisans de la solidarité avec les peuples
arabes et musulmans et les défenseurs de la souveraineté nationale. Initiateurs des révolutions
du Printemps arabe, les Tunisiens ont pensé ériger leur Constitution en modèle. Ils ont voulu
l’exporter dans les autres pays arabes d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. La volonté des
constituants de faire de la Constitution un modèle valable régionalement (1) allait s’exprimer
par l’insertion au sein du préambule de l’engagement et du soutien de la Tunisie au
« mouvement de libération de la Palestine ». Or, l’inscription constitutionnelle de cet
836 A l’instar de toutes les identités arabes.
837 « La Constitution ne peut toutefois à elle seule constituer l’identité collective puisque la Nation trouve ses
fondements dans les préconditions constitutionnelles telles qu’une langue, une histoire, une culture ou/et
une religion communes, voire un ennemi commun.
» in M.-C. PONTHOREAU, « La constitution comme
structure identitaire », précit., p. 32.
838 D. SCHNAPPER, « Existe-t-il une identité française ? » précit., p. 304.
839 Inspiré et rédigé par les partisans du Néo-Destour, le préambule de la Constitution du 1er juin 1959 ne
mentionne ni l’attachement au nationalisme arabe, ni l’engagement des Tunisiens en faveur du peuple
palestinien. Il dispose uniquement de la souveraineté nationale et de l’indépendance de la Tunisie.
201






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engagement allait entraîner certaines conséquences économiques et internationales pour la
Tunisie (2).
1. La volonté des constituants de faire de la Constitution un modèle valable
régionalement
Pour mémoire, le 6 mars 2012840, lors de l’étude des principaux axes du préambule et avant
même l’élaboration d’un projet de préambule, les constituants ont pensé l’exportation de leur
Constitution
841. Au-delà des « “timbresspécifiques »842 propres à la Tunisie, les constituants
ont intégré au sein du préambule, des éléments fondateurs de l’identité et du nationalisme
arabes
843. L’insertion de la cause palestinienne suppose que la Constitution du 27 janvier 2014
est un modèle régional à suivre. En effet, « Bruce Ackerman a identifié des “moments
constitutionnels” tout à fait essentiels autres que le moment constituant qui correspondent à
des ruptures porteuses de sens et constitutives de l’identité constitutionnelle.
»844 La cause
palestinienne est au fondement des identités arabes. Elle a servi à catalyser les sentiments et la
plupart des mouvements nationalistes arabes autour de la volonté de réaliser l’unité arabe.
Seulement comme l’affirme Béligh NABLI, le « lien entre les peuples arabes et la cause
palestinienne
ne saurait masquer les turpitudes et ambivalences de leurs dirigeants. »845
Gamal Abdel NASSER est l’un des dirigeants arabes qui a instrumentalisé la “cause
palestinienne
” pour asseoir son leadership politique sur la région846.
Contrairement à lui, Habib BOURGUIBA « osait envisager la question palestinienne en
termes critiques d’impératifs de paix négociée avec Israël selon les résolutions de l’ONU.
840 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution, « Etude des principaux axes du préambule », 6 mars 2012
[en ligne]
, [consulté le 10 mars 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252d7 (en
arabe).
841 Cf. le 3. du A. du Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE I relatif à un
préambule pensé comme un modèle, p. 106.
842 P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, op.cit., p. 74.
843 A l’instar de la cause palestinienne et du refus de la normalisation des relations des Etats arabes avec
« l’entité sioniste ». Ces deux points font l’objet du présent paragraphe.
844 M.-C. PONTHOREAU, « La constitution comme structure identitaire », précit., p. 34.
845 B. NABLI, « La profonde onde de choc qui secoue le monde arabe connaîtra des répliques révolutionnaires
et contre-révolutionnaires »,
El Watan Week-end décortiqué sur le site de l’IRIS [en ligne], publié le
vendredi 1er novembre 2013, [consulté le 10 octobre 2020] https://www.iris-france.org/44466-la-profonde-
onde-de-choc-qui-secoue-le-monde-arabe-connatra-des-rpliques-rvolutionnaires-et-contre-rvolutionnaires/.
846 Ibid. Pour une étude détaillée du rapport des Arabes à la cause palestinienne voir le « Chapitre 6. La
Palestine : symbole de l’unité et de la division des Arabes »,
in B. NABLI, Comprendre le monde arabe,
op.cit.
, pp. 193-222.
202






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[…] Il stigmatisait ainsi le projet hégémonique de Nasser, qui aspirait à bâtir la nation arabe
sous la direction égyptienne et comptait se servir de la Ligue arabe et du problème
palestinien à ses propres fins. Conscient que la question palestinienne mettait aussi en jeu
l’indépendance de la Tunisie, il dénonça la prétention hégémonique de Nasser en affirmant :
“La Tunisie ne sera le satellite de personne.”
»847 La volonté de BOURGUIBA d’émanciper
la Tunisie de la domination coloniale française et de l’hégémonie politique égyptienne a
empêché les constituants entre 1956 et 1959 de faire de la cause palestinienne, un fondement
de l’identité tunisienne. Dans un tel contexte, pourquoi les constituants ont-ils inséré la cause
palestinienne au sein de leur carte d’identité nationale, entre 2011 et 2014 ?
Les mentions qui figurent dans le préambule sont généralement considérées comme
essentielles et hissées en tête du texte constitutionnel
848. Bien que le Doyen Yadh BEN
ACHOUR ait exhorté les constituants à s’éloigner de tout sujet de controverse
849, la majorité
constituante présidée par Ennahdha, voulait envoyer un message à la communauté
internationale : celui de l’engagement politique du pays en faveur du mouvement de libération
de la Palestine.
A ce stade de la réflexion, il est essentiel de comprendre la position de la Tunisie sur la
question palestinienne en se penchant sur le rôle des acteurs politiques, à l’instar de Habib
BOURGUIBA et sur l’élaboration du texte de la Constitution du 1
er juin 1959.
Au cours de son audition du 14 mars 2012 par la Commission du préambule850, Ahmed
MESTIRI
851 a précisé que les contextes d’élaboration des constitutions impactaient l’écriture
et la compréhension des textes constitutionnels. Comparant les conditions historiques ayant
présidé à l’élaboration des deux Constitutions, il constate qu’elles ont toutes deux pour
objectif de construire une nouvelle étape : en 1959, la Constitution a été élaborée dans un
847 M. BRONDINO, « Bourguiba, Policy Maker entre mondialisation et tunisianité : une approche systémique
et interculturelle »,
in M. CAMAU et V. GEISSER (dir.), Habib Bourguiba. La trace et l’héritage, Aix-en-
Provence, Karthala, 2004, p. 470.
848 M.-C. PONTHOREAU, « La constitution comme structure identitaire », précit., p. 33.
849 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mrs. Ahmed BEN SALAH et Yadh BEN
ACHOUR », 12 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 24 mars 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5
bfc7ea2c422bec252df (en arabe).
850 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Audition de Mrs Ahmed MESTIRI et Moustapha
FILALI », 14 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 4 avril 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5
bfc7ea2c422bec252e6 (en arabe).
851 Un des membres de la première ANC tunisienne (1956-1959).
203





Page 205
contexte de crise852, une période de transition et de passage d’un régime d’occupation
coloniale à une indépendance et une souveraineté nationale. En 2014, la Constitution est le
résultat d'une révolution ayant entrainé la chute du régime autoritaire de Zine El Abidine BEN
ALI. Certes, l'objectif respectif des deux constitutions n’était pas le même, mais leur
application dépendait de la prise en compte par les acteurs juridiques et politiques, du
contexte national et international dans lesquels se situait alors le pays.
Obtenant progressivement et suivant un "plan par étapes853", la souveraineté de la Tunisie à la
France, Habib BOURGUIBA et la majorité destourienne à l’ANC ont cherché, entre 1956 et
1959, à établir la constitution d’un Etat indépendant. Ayant exclu les yousséfistes du Front
National, Habib BOURGUIBA s’était assuré une mainmise sur le pouvoir politique et
constituant. Alors que les défenseurs de l’identité arabe et musulmane étaient réduits au
silence, les partisans du Néo-Destour ont organisé l’élaboration et la rédaction de la
constitution. Contrairement à Gamal Abdel NASSER, Habib BOURGUIBA a agi de manière
souveraine et s’est positionné à contre-courant des discours nationalistes arabes. « Durant les
années 1960, le panarabisme
854 sous le leadership de Nasser portait l’espoir des masses
arabes, qui considéraient que la libération de la Palestine ne pouvait se réaliser que par la
guerre afin, comme disait un slogan de l’époque, de “jeter les Juifs à la mer”.
»855 Or,
l’indépendance politique revendiquée par le Combattant Suprême n’était pas seulement une
indépendance nationale vis-à-vis de l’occupant français ou occidental. Elle faisait également
face aux positions arabes dominantes. Ainsi, le préambule de la Constitution de 1959 ne fait-il
aucune mention ni de la nation arabe, ni de la cause palestinienne. Fervent défenseur du
modèle tunisien de paix négociée pour l’indépendance, Habib BOURGUIBA invitait les
Palestiniens à lutter eux-mêmes pour l’indépendance de leur Etat, en acceptant la légalité
internationale et les résolutions de l’ONU.
Le fait de partager un environnement géographique et linguistique commun n’empêchait pas
Habib BOURGUIBA d’affirmer l’existence de pays, nations et patries arabes indépendantes.
Il allait même plus loin en se prononçant en faveur de la reconnaissance de deux Etats
852 Le contexte était celui des décolonisations et des luttes pour l’indépendance des Etats-Nations arabes. Mais,
la crise était également interne au
Néo-Destour. La question était de savoir qui de Habib BOURGUIBA ou
de Salah BEN YOUSSEF allait prendre la direction du parti.
853 Cf. Note de bas de page 222.
854 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Panarabisme.
855 M. BRONDINO, « Bourguiba, Policy Maker entre mondialisation et tunisianité : une approche systémique
et interculturelle », précit., pp. 467-468.
204




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indépendants et souverains : l’un israélien et l’autre palestinien. « En effet, en 1965, à Jéricho,
devant les réfugiés palestiniens, le président tunisien prononce un retentissant discours dans
lequel, pour sortir de l’impasse, il appelle le leadership palestinien et les dirigeants arabes à
reconnaître la réalité du fait israélien et il souligne la nécessité d’entamer un processus de
négociation lucide avec Israël.
»856
Il est intéressant de constater que la Constitution du 27 janvier 2014 dispose davantage des
caractéristiques de l’identité et du nationalisme arabes que la Constitution du 1
er juin 1959.
Pourtant contemporaine de l’occupation des territoires palestiniens et de la fondation de l’Etat
d’Israël, cette dernière ne fait pas état de l’engagement et du soutien de la Tunisie au peuple
palestinien. Contrairement au premier processus constituant, la composition de l’ANC entre
2011 et 2014, était plus hétérogène. La majorité constituante présidée par le parti Ennahdha a
eu la possibilité d’exprimer librement et publiquement sa volonté. Il est donc possible de
penser que les idées yousséfistes sont réapparues en filigrane, dans le discours des défenseurs
de l’identité arabe et musulmane. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont œuvré à faire de la
Constitution tunisienne un modèle de Constitution arabe. De là cette question : qu’est-ce
qu’un modèle en droit constitutionnel ?
Selon le Professeur Marie-Claire PONTHOREAU, « [l]a définition lexicale du terme de
“modèle” renvoie à deux niveaux de significations complémentaires : un modèle est une
représentation construite et souvent simplifiée de la réalité qui peut être ce qui sert de support
à une tentative de reproduction ou bien un instrument de mesure (l’origine latine du mot
“modulus” signifie “mesure”.)
»857 Du fait de l’embrasement des régimes autoritaires
environnants, les constituants pensaient que la Tunisie pouvait encore une fois servir
d’exemple, de modèle à imiter pour les sociétés arabes. Comme les théocrates présidaient une
grande partie des commissions constituantes, ils ont considéré comme une réalité, l’idéologie
nationaliste arabe et leur désir de fonder l’unité arabe. Toutefois, le mythe de la nation arabe
856 A. AIT-CHAALAL, « Habib Bourguiba et les Etats-Unis (1956-1987) : une relation pragmatique,
constante et indépendante »,
in M. CAMAU et V. GEISSER (dir.), Habib Bourguiba. La trace et
l’héritage, op.cit., p. 451. Sur la politique internationale et la position de H. BOURGUIBA sur le problème
palestinien à l’époque de la présidence égyptienne d’Anouar EL SADATE, cf. « Bourguiba, le sage
international »,
in S. BESSIS et S. BELHASSEN (dir.), Bourguiba, Tunis, Editions Elyzad, 2012, pp. 372 à
378.
857 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 187.
205




Page 207
revendiqué par les islamistes et une partie des constituants conservateurs est construit sur la
volonté d’anéantir l’occupant israélien et de libérer les territoires palestiniens
858.
Il est assez logique de retrouver cette volonté dans les travaux préparatoires à la Constitution.
Le
Pacte républicain signé le 1er juillet 2011 par les forces politiques de l’Instance Supérieure
pour la Réalisation des Objectifs de la Révolution
(ISROR)859, consacrait déjà un principe
relatif à « l’indépendance nationale, au droit à l’autodétermination, à la lutte contre
l’occupation et le racisme, l’approfondissement de la conscience arabe commune, la
solidarité maghrébine, africaine et internationale et le soutien de toutes les causes justes à la
tête desquelles la cause palestinienne et la lutte contre “toutes les formes de normalisation
avec l’entité sioniste”.
»860 Les débats sur le soutien de la cause palestinienne, témoignent de
la volonté d’une partie des constituants
861 de reconstruire la réalité de l’occupation israélienne
telle que la majorité des populations arabes la perçoivent et la comprennent : autrement dit
comme la privation du peuple palestinien de son territoire et de sa souveraineté.
La cause palestinienne est une question qui se pose « en permanence quels que soient
l’époque et le lieu.
»862 En conséquence, ériger la cause palestinienne en une cause juste et la
graver dans le marbre constitutionnel transforme la Constitution tunisienne et son préambule
en modèle historique, puisque ce dernier « renvoie à une réalité juridique exemplaire que
l’on
863 s’efforce de reproduire. »864 La Constitution tunisienne devient ainsi, le fer de lance du
nationalisme arabe. En agissant ainsi, les constituants tunisiens donnent leur vision du
858 Il faut rappeler que dans le préambule, l’appartenance méditerranéenne de la Tunisie n’est pas mentionnée,
car certains constituants ne voulaient pas que leur pays appartienne à la même zone géographique qu’Israël.
859 Cf. Annexe 2 – Chronologie de la transition tunisienne, 11 février 2011.
860 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 289.
861 Le 26 mars 2012, au cours de l’étude des principaux axes du préambule, les constituants vont s’opposer sur
l’insertion au sein de la Constitution, de l’engagement de la Tunisie à défendre les peuples opprimés et les
mouvements de libération nationaux, avec en tête de liste, le mouvement de libération de la Palestine. Seule
une partie des constituants conçoit la cause palestinienne comme une cause fondamentale, même si
l’occupation des terres palestiniennes a été considérée comme un coup de poing en plein cœur de l’
Umma.
Ils jugent d’ailleurs qu’il faut allier à l’engagement en faveur de la cause palestinienne, la lutte contre le
sionisme et disposer de Jérusalem comme de la capitale de la Palestine au sein de la Constitution. D’après
eux, la Palestine n’aurait aucun sens sans Jérusalem. Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission du préambule, des principes fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Etude des principaux axes du préambule », 26 mars 2012 [en ligne], [consulté le 19 septembre 2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c42 2bec252e9 (en arabe).
862 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 189.
863 Il est plus convenable ici de modifier la citation et d’écrire : « Que les sociétés arabes devraient s’efforcer
de reproduire. »
864 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 187.
206




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problème palestinien, même si elle n’est qu’une des représentations du conflit israélo-
palestinien.
Toutefois, si les différents Etats arabes du pourtour méditerranéen partagent une langue et une
religion communes, la cause palestinienne est une cause politique qui ne suscite pas
l’unanimité des pays arabes
865. Qui plus est, pour servir de modèle – qu’il soit historique ou
instrument de mesure – la Constitution tunisienne doit être reconnue comme « une expérience
étrangère qui sert de référence pour le travail constituant ou législatif
»866 par les
représentants du peuple d’un autre ou d’autres Etats. Or, dans le contexte tunisien, seuls les
constituants nationaux pensent leur Constitution comme un modèle. Ils ne prennent pas en
compte que pour véritablement servir de modèle, la Constitution doit être plus qu'une
référence. Elle doit surtout être réappropriée et adaptée à la réalité sociologique et juridique
du peuple qui s'inspire du modèle.
Le 26 mars 2012, au cours de l’étude des principaux axes du préambule, certains constituants
ont estimé que bien que la cause palestinienne soit fondamentale
867, la Constitution n’avait
pas pour objet de traiter du problème israélo-palestinien. Deux grands pôles se dessinent alors
au sein de l’ANC : l'un veut faire de la Constitution tunisienne le fer de lance de l’identité et
du nationalisme arabe ; l'autre souhaite qu’elle soit l’expression de la souveraineté du peuple
et de l’Etat tunisien. Ces derniers considèrent d'ailleurs que dans sa définition matérielle, la
Constitution a pour fonction de régir les rapports entre gouvernants et gouvernés, de traiter les
affaires intérieures de la Tunisie et non d’un autre Etat. Raison pour laquelle en s’opposant, ils
proposent de s’en tenir à disposer de l’engagement de la Tunisie à défendre les mouvements
de libération et toutes les causes justes, sans plus de précision. Ce point de vue ne l'emportera
pas. Le cinquième paragraphe du préambule de la Constitution tunisienne actuelle prévoit
« de défendre les opprimés en tout lieu et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ainsi
que la juste cause de tous les mouvements de libération, à leur tête le mouvement de
libération de la Palestine, et […] de combattre toutes les formes d’occupation et de
racisme.
»868
865 La cause palestinienne a d’ailleurs été à l’origine du déclenchement de la guerre civile libanaise de 1975 à
1990.
866 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 188.
867 Du fait de la persécution religieuse du peuple palestinien et de la privation de sa terre.
868 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
cinquième paragraphe du préambule.
207





Page 209
Bien que la lutte contre « toutes les formes de normalisation avec l’entité sioniste »869 inscrite
au sein du Projet de Constitution du 22 avril 2013 ait finalement été supprimée, les
constituants ont préservé les dispositions relatives à la cause palestinienne. Ces deux segments
de phrase sont problématiques car ils ne suscitent pas le consensus chez les Tunisiens. Le
dissensus existe également dans la communauté internationale et même dans les différents
pays du monde arabe. Leur insertion au sein de la Constitution entraîne par ailleurs des
conséquences économiques et diplomatiques certaines.
2. Les conséquences économiques et internationales du soutien au peuple palestinien
Le 27 mars 2012870, les membres de la Commission du préambule ont débattu sur la manière
d’exprimer l’engagement de la Tunisie en faveur des mouvements de libération nationale
871.
Avant d’aborder la question de la criminalisation de la normalisation avec
l’entité sioniste872,
les constituants se sont encore une fois opposés sur l’insertion de la cause palestinienne. Deux
grandes orientations se sont dessinées. Chacune d’elle était caractérisée par des positions
différentes.
Certains ont estimé que la cause palestinienne était une cause fondamentale mais qu’il ne
fallait pas l’inclure dans la Constitution. Norme des normes, une constitution selon eux, n’a
pas vocation à établir des programmes politiques ou/et stratégiques. Même s’ils partageaient
ce point de vue, d'autres ont considéré que l’insertion de la cause palestinienne pouvait
représenter une ingérence dans les affaires intérieures de l’Etat palestinien. En outre, ils ont
estimé que l’engagement en faveur de la cause palestinienne enverrait un message négatif à la
communauté internationale car il témoignerait de la frustration du peuple palestinien
873.
869 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 289. Phrase explicitée dans le
paragraphe qui suit.
870 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Etude des principaux axes du préambule », 27 mars 2012
[en ligne]
, [consulté le 20 septembre 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422be c252ec
(en arabe).
871 A la tête desquels figure le mouvement de libération de la Palestine.
872 Cette formule est empruntée aux travaux préparatoires à la Constitution. Elle est employée telle qu’elle pour
rester fidèle aux propos des constituants.
873 Ils jugent d’ailleurs qu’il faudrait plutôt envoyer un message positif ou rempli d’espoir.
208







Page 210
Parallèlement, si les constituants pensent la Constitution comme modèle régional, le texte
constitutionnel peut-il disposer des compétences régaliennes d’une autre entité, qu’elle soit
étatique ou autre ? Délimitant juridiquement la souveraineté d’un Etat, le texte constitutionnel
n’a vocation à régir que l’organisation des pouvoirs publics et à garantir les droits et libertés
des nationaux. Toutefois constitutionnaliser la question palestinienne était pour certains, un
moyen d’arriver au règlement du conflit israélo-palestinien. La question reste ouverte : est-ce
à la Constitution d’un Etat ou aux résolutions internationales de gérer ce conflit ? La
Constitution d’un Etat peut-elle matériellement contenir les instruments et moyens de
résolution d’un conflit qui dépasse ses frontières et influence la communauté internationale ?
Disposer de la cause palestinienne aurait deux conséquences certaines : en premier lieu, cela
entraînerait à plus ou moins long terme, le pouvoir constituant à réviser la Constitution, pour
modifier la position politique et conjoncturelle de l’Etat tunisien
874. En second lieu, l'impact
sur les relations internationales et les conséquences politiques certaines devraient être
mesurées. Les Etats soutenant Israël – à commencer par les Etats-Unis – pourraient mettre un
terme aux relations diplomatiques et/ou économiques entretenues avec la Tunisie. Certes, les
constituants pensent la Constitution comme un modèle régional à suivre, mais ils veulent
aussi et surtout, la rattacher au mouvement du constitutionnalisme global. La Tunisie doit
alors satisfaire certaines exigences constitutionnelles pour s’assurer la reconnaissance et
l’acceptation de la communauté internationale. « D’un point de vue sociologique, l’adhésion à
la “société mondiale” d’Etats-Nations requiert une certaine conformité avec les normes et
standards de la “culture mondiale”. Les Etats cherchent à démontrer cette conformité en
incorporant ces normes dans leurs Constitutions.
»875 C’est la raison pour laquelle les tenants
de ce premier avis, ont exhorté les membres de la Commission à ne pas inscrire le soutien à la
cause palestinienne dans la Constitution. Espérant gagner une légitimité internationale en se
conformant à certains standards constitutionnels
876, le but était d'assurer la reconnaissance du
régime constitutionnel par la communauté internationale
877.
874 Bien que les défenseurs du nationalisme arabe souhaitent la création d’un Etat palestinien indépendant et
distinct de l’Etat israélien, il est fort probable – surtout depuis que Jérusalem a été déclarée capitale
d’Israël – que l’entité et les territoires dits occupés se réduisent et soient intégrés à l’Etat israélien.
875 D. S. LAW, M. VERSTEEG, “The Evolution and Ideology of Global Constitutionalism”, précit., p. 1179.
876 J. MERCIER, « Sur la standardisation constitutionnelle », IXème Congrès Mondial de l’AIDC, Les défis
constitutionnels : Globaux et locaux,
16-20 juin 2014, Oslo, [en ligne], [consulté le 10 septembre 2018],
http://www.jus.uio.no/english/research/news-and-events/events/conferences/2014
/wccl-cmdc/wccl
/papers/ws5/w5-mercier.pdf, pp.1-19.
877 D. S. LAW, M. VERSTEEG, “The Evolution and Ideology of Global Constitutionalism”, précit., p. 1182.
La reconnaissance de l’Etat par la communauté internationale lui confère trois avantages notables : sa
reconnaissance politique par la communauté internationale et son acceptation par les gouvernements, la
209



Page 211
En effet, celle-ci pourrait dans un premier temps servir à apaiser les tensions entre théocrates
et démocrates. De cette façon, le gouvernement tunisien risquerait moins d'être confronté à
des menaces extérieures et pourrait par conséquent, consacrer davatange de ressources à la
consolidation du contrôle politique sur le territoire étatique. La reconnaissance de la
communauté internationale donnerait alors l’opportunité à l’Etat de participer à diverses
organisations internationales qui ont un impact sur les décisions politiques collectives
878.
Encore une fois, ce point de vue n'a pas remporté l'unanimité.
Une partie des constituants a considéré que la spécificité de la cause palestinienne résidait
dans l’extrême violence
879 de l’occupation coloniale subie par les Palestiniens. Ce point
crucial appelait à un positionnement clair et imposait au pouvoir constituant d’employer des
termes explicites, témoignant de l’engagement constitutionnel de la Tunisie. L’inscription
constitutionnelle de la cause palestinienne aurait par conséquent supposé que les futures
assemblées représentatives et dispositions législatives prennent en considération l’engagement
politique des constituants. Le principal argument de ce point de vue était que le soutien au
mouvement de libération de la Palestine enverrait un message positif à la communauté
internationale. Indubitablement, celle-ci apprécierait le combat d'un peuple pour la libération
de son territoire et la réappropriation de l’exercice de ses droits souverains. D’autres
constituants du même avis ont ajouté que l’Etat n’était pas politiquement libre, puisqu’il
devait assumer certaines positions internationales et s’engager pour des causes, telles que la
cause palestinienne
880.
Bien que la Tunisie comme tout Etat, ait des positions et orientations politiques au niveau
international, il est légitime de s’interroger sur les conséquences de l’engagement des
représentants du peuple, pour une cause qui par essence, est problématique. Si pour les
stabilité de son autorité sur le territoire national, le bénéfice des ambassades et des privilèges diplomatiques
d’usage.
878 Ces organisations internationales améliorent généralement la réputation de l’Etat et l’aident à examiner
d’importantes questions politiques ayant une dimension transnationale. Elles peuvent également régler les
différends étatiques entre Etats, sans prendre forcément en compte l’avis ou/et l’acceptation du ou des
régime(s) concerné(s).
879 Puisque le peuple palestinien a été exilé de sa terre et que celle-ci a été occupée par la force des armes par
des colons étrangers. Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission du préambule,
des principes fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Etude des principaux axes du préambule »,
27
2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252ec (en arabe).
septembre
[consulté
ligne],
2012
mars
[en
20
880 Il est intéressant de noter que les constituants se sont posé la question de savoir si l’engagement
constitutionnel de la Tunisie en faveur du mouvement de libération de la Palestine est de nature formelle ou
matérielle. Ils ont par conséquent affirmé que si l’engagement n’est que formel, il n’apporterait aucune
plus-value à la Constitution.
le
210




Page 212
constituants tunisiens il est question de la Palestine, la communauté internationale ne
reconnaît que l’Etat d’Israël. La reconnaissance constitutionnelle et le soutien accordé au
mouvement de libération de la Palestine, pourraient causer des problèmes d’ordre
diplomatique à la Tunisie. Au cours de la réunion du 27 mars 2012, le débat soulève la
question de la criminalisation de la normalisation avec l’entité sioniste (Israël). Il est
intéressant de noter que les constituants emploient le terme « entité » pour faire référence à
Israël. Ils ne lui reconnaissent pas la qualité d’Etat et la qualifie de « sioniste » et non
d’israélienne. Les termes employés témoignent de l’engagement politique des constituants et
placent les Tunisiens à contre-courant d’un bon nombre d’Etats de la communauté
internationale.
C’est la raison pour laquelle certains constituants considèrent que la constitutionnalisation de
la criminalisation de la normalisation avec l’entité sioniste, aurait des impacts négatifs et
nuirait économiquement à la Tunisie. Or, pour un pays qui cherche à assurer une transition
démocratique et dont le processus constituant a été médiatisé et analysé par les observateurs
internationaux, il était/est fondamental d’attirer les investisseurs étrangers. C’est d’ailleurs ce
qu’ont pensé les défenseurs de cet avis, puisqu’ils ont jugé que cette constitutionnalisation
représenterait une contrainte sérieuse au développement économique du pays : il pourrait
bloquer l’entrée des flux et/ou investissements étrangers sur le marché tunisien.
Cet avis n’a pourtant pas empêché les constituants d’inscrire la lutte contre « toutes les formes
de normalisation avec l’entité sioniste
»881 au sein du Projet de Constitution du 22 avril 2013.
A noter que le Pacte républicain contenait déjà cette formule. Les forces démocratiques ont
dû alors accepter – sous réserve de la renonciation par les islamistes à l’inscription de l’Islam
comme religion de l’Etat – les dispositions relatives à la condamnation de la normalisation
avec l’entité sioniste. Les différentes versions de la Constitution élaborées par l’ANC,
contenaient donc les principes posés par le Pacte républicain à l’instar de la lutte contre
l’entité sioniste. »882 Cette disposition
formes de normalisation avec
« toutes les
problématique ne disparaîtra qu’ « à la suite de l’intervention de la République fédérale
allemande par la voix de son président.
»883 Mais le représentant d’un Etat étranger peut-il
881 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 289.
882 Ibid.
883 Ibid. Malgré de nombreuses recherches, aucun document n’a permis d’accéder au contenu et à la teneur des
propos du président de la République fédérale allemande.
211




Page 213
intervenir au stade du processus constituant ? Surtout, quels sont l’objectif et l’impact de son
intervention ?
La circulation des idées et des modèles constitutionnels à l’époque de la globalisation est une
évidence en Tunisie, au moment du processus constituant. « Ainsi, une certaine dose de
circulation est induite par des facteurs externes à l’Etat à travers le recours, de la part
d’organisations internationales ou d’Etat étrangers, à des outils de conditionnalité plus ou
moins accentués sous la forme de mesures d’incitation qui visent à l’adoption de solutions
spécifiques.
»884 Dans le contexte tunisien, l’intervention du président de la République
fédérale allemande a convaincu les constituants conservateurs de retirer la lutte, voire la
criminalisation de la normalisation des relations avec l’Etat israélien. Certes, au stade du
constitution-making, seule la volonté des constituants nationaux est souveraine et aucune
ingérence d’un Etat étranger ou d’une organisation internationale n’est permise et/ou tolérée.
Cependant, les conseils prodigués aux constituants par les acteurs de la scène internationale,
peuvent les guider et leur permettre de faire le choix éclairé de certains standards
constitutionnels. Ce choix se justifie ici par le besoin de reconnaissance internationale de la
Tunisie. Il est en effet essentiellement question de la légitimation externe de l’Etat tunisien et
de sa reconnaissance par la communauté et les organisations internationales.
Conscients de l’impact politique, économique et diplomatique d’une phrase telle que la lutte
contre l’entité sioniste, certains constituants ont proposé que le législateur tunisien se charge
de la question
885, lors de la séance du 27 mars 2012. Même si la criminalisation de la
normalisation des relations avec l’entité sioniste n'a pas été retenue, la Constitution actuelle
fait référence à la cause palestinienne. En d'autres termes, les valeurs culturelles nationales et
régionales priment constitutionnellement sur l’appartenance à l’universalité de l’espèce
humaine.
884 T. GROPPI, « La Constitution
constitutionnel ? »,
précit., p. 348.
tunisienne de 2014 :
illustration de
la globalisation du droit
885 Alors que certains constituants insistaient sur l’importance de la constitutionnalisation de la criminalisation
de la normalisation avec
l’entité sioniste, d’autres voulaient que la question soit contenue dans le Code
pénal. Le fait de renvoyer cette question au domaine de la loi permettrait au législateur de disposer de
manière claire et précise sur les conditions matérielles (l’identification des pratiques, avis ou transactions
considérées comme faisant partie de la normalisation) et sur l’impact (les peines encourues par celui qui
commet le crime) de la normalisation avec l’entité sioniste. D’autres encore voulaient que cette question
fasse l’objet d’un principe constitutionnel. Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents,
Commission du préambule, des principes fondamentaux et de révision de la Constitution,
« Etude des
principaux axes du préambule », 27 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 20 septembre 2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252ec (en arabe).
212




Page 214
Paragraphe 2
La prévalence des valeurs identitaires sur les valeurs universelles
Les mouvements protestataires à partir du 17 décembre 2010, ont permis aux Tunisiens de
contester l’oppression, l’injustice, la corruption et le népotisme du régime autoritaire du
Président Zine El Abidine BEN ALI. A cette fin, l’ANC avait la charge d’élaborer une
constitution fondant la Deuxième République sur les valeurs révolutionnaires et universelles
de dignité, de liberté, d’égalité et de justice sociale. « A l’image du pouvoir constituant, la
Constitution tunisienne flotte finalement entre les valeurs universelles de la liberté, de
l’égalité et de la dignité et entre des valeurs liées à une spécificité culturelle hautement
discutée.
»886 La référence à l’universel n’a pourtant pas été une chose aisée : l’opposition de
la majorité constituante à l’introduction des valeurs humaines, a été combattue par
l’opposition démocratique et la société civile.
Le Professeur Salwa HAMROUNI avoue que « [l]’universalité des valeurs, celle des droits
de l’homme nous semble être prononcée à demi-mots.
»887 Les valeurs liées aux spécificités
culturelles sont placées avant les valeurs humaines. Ces dernières font l’objet d’expressions
vagues et laissent aux interprètes de la Constitution, une marge de manœuvre certaine. Ce
d’autant plus que l’indétermination de sens des valeurs liées aux spécificités culturelles, peut
devenir un prétexte pour limiter les valeurs humaines. Les valeurs identitaires prévalent donc
formellement et matériellement sur les valeurs humaines (A). Inscrites au sein du préambule
et des premiers articles de la Constitution, elles renvoient à certains symboles au fondement
de la Deuxième République (B).
A.
Une prévalence formelle et matérielle
Le préambule de la Constitution du 27 janvier 2014 est « largement imprégné par une
référence abondante aux particularismes culturels. D’ailleurs, il est étonnant de voir que
même l’ordre des référentiels exprime cette prévalence du particulier. Ainsi, le pouvoir
constituant tunisien commence toujours par nous rappeler les valeurs arabo-musulmanes
886 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 382.
887 Ibid., p. 384.
213








Page 215
avant de citer les valeurs humaines universelles. »888 Bien qu’ayant cerné les spécificités de
l’identité arabe et islamique du peuple, les valeurs humaines
889 dont dispose le préambule
n’ont – jusqu’à présent – pas encore été définies. Avant d’analyser formellement et
matériellement le préambule, il est nécessaire d’identifier les valeurs humaines dont dispose la
Constitution. D’après le Professeur Salwa HAMROUNI, « la liberté, la dignité et l’égalité
sont aux fondements de tout l’arsenal juridique des droits humains
»890, dans le sens où l’être
humain est universel par son essence même, sa nature. Les valeurs universelles sont donc
celles qui se rattachent de près ou de loin à ces trois concepts clefs que sont la liberté, la
dignité et l’égalité.
Pour commencer, le troisième alinéa du préambule de la Constitution du 27 janvier 2014
proclame « l’attachement de notre peuple aux enseignements de l’Islam et à ses finalités
caractérisées par l’ouverture et la tolérance, ainsi qu’aux valeurs humaines et aux principes
universels et supérieurs des droits de l’Homme.
»891 Puis il fait reposer le patrimoine
civilisationnel de la Tunisie, premièrement « sur les fondements de notre identité arabe et
islamique » et deuxièmement, sur « l’acquis civilisationnel de
l’humanité ». Les
particularismes culturels du peuple tunisien priment donc formellement sur la référence à
l’universel.
Pourtant, les travaux préparatoires de la Commission révèlent que les valeurs humaines
énoncées dans les différents brouillons du préambule, ont été qualifiées de «
nobles »892. Cette
888 Ibid., p. 387.
889 Analysant les valeurs juridiques fondamentales, le Professeur Antal ADAM précise que les valeurs
juridiques sont celles qui peuvent être créées, soutenues et protégées par les normes juridiques
. Il poursuit
en affirmant que : «
Parmi ces groupes de valeur on peut mentionner, en priorité, la vie, la santé, la dignité
et la sécurité de l’Homme, ses droits – entre autres le droit à la propriété – les libertés fondamentales, les
droits politiques, les droits sociaux et à la protection de la santé, les droits d’information, les droits
biogénétiques et biomédicaux ainsi que l’environnement naturel, la biosphère, l’environnement secondaire
c’est-à-dire construit, comme les organisations, organes et établissements étatiques, religieux et sociaux.
»
A. ADAM, « Sur les valeurs juridiques fondamentales »,
in J. DU BOIS DE GAUDUSSON, P. CLARET,
P. SADRAN, et B. VINCENT (eds.),
Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic, Démocratie et liberté :
tension, dialogue, confrontation
, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 28.
890 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 383.
891 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
troisième paragraphe du préambule.
892 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution : « Brouillon numéro 1 du préambule du Projet de
2018],
Constitution
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25307 (en arabe), le brouillon numéro 1 n’employait
pas le terme arabe de valeurs « ميقلا » mais celui d’exemple « لثملا » ; « Brouillon numéro 2 du préambule de
2018],
la
Constitution »,
14 mai
[consulté
[consulté
octobre
octobre
ligne],
ligne],
2012
2012
avril
[en
[en
23
le
»,
le
5
5
214




Page 216
qualification suppose que certaines valeurs soient considérées comme nobles alors que
d’autres ne le soient pas. Egalement, les constituants n’ont voulu constitutionnaliser que les
principes universels et supérieurs des droits de l’Homme. Autrement dit, ils ne consacrent pas
directement les droits de l’Homme mais les principes universels et supérieurs qui peuvent
découler de certains droits humains. Quels seraient ces droits et a fortiori quels seraient ces
principes ? Ces derniers découleraient-ils de la dignité, de la liberté et de l’égalité ? Seraient-
ils contenus dans les textes internationaux relatifs aux droits et libertés fondamentaux ?
Comment identifier un principe universel et supérieur des droits de l’Homme et écarter celui
qui ne l’est pas ? La Constitution n’apporte aucune précision.
Synonymes de « règles juridiques abstraites, fournissant les bases d’un régime juridique
susceptible de s’appliquer à de multiples situations concrètes, soit pour les réglementer de
façon permanente, soit pour résoudre les difficultés qu’elles font naître
»893, le sens premier
des principes est large et laisse libre l’interprétation des acteurs publics, en ce qui concerne les
droits de l’Homme. Les expressions employées pour faire référence à l’universel étant
particulièrement vagues, les interprètes de la Constitution peuvent leur attribuer de multiples
sens. Ceci pose la question de l’effectivité et du respect des principes des droits de l’Homme
par les institutions de la Deuxième République.
5
le
»,
1er
[en
août
2012
ligne],
octobre
[consulté
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25319 (en arabe), le brouillon numéro 2 remplaçait
le terme d’exemple par celui de valeurs ; « Brouillon numéro 3 du préambule de la Constitution », 30 mai
2012 [en ligne], [consulté le 5 octobre 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec2532a
(en arabe) ; « Brouillon de la Commission du préambule, des principes fondamentaux et de révision de la
Constitution
2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec2535b (en arabe) ; « Le texte initial du préambule,
des principes généraux et de révision de la Constitution avant les recommandations du Comité mixte de
le 5 octobre 2018],
coordination et de rédaction », 20 octobre 2012 [en
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25373 (en arabe) ; « Le texte du préambule, des
principes généraux et de révision de la Constitution après les modifications du Comité mixte de
coordination et de rédaction », 20 octobre 2012 [en
le 5 octobre 2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25374 (en arabe), cette version est la première à
contenir - suite aux valeurs humaines -, les principes des droits de l’Homme ; « Préambule, principes
généraux et révision de la Constitution : Le texte final proposé à l’Assemblée Nationale Constituante et
soumis à
le 5 octobre 2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25375 (en arabe)
; « La dernière version du
préambule du Projet de Constitution après l’examen de la Commission des propositions de la plénière, de la
société civile et du débat national », 29 mars 2013 [en ligne],
[consulté le 5 octobre 2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec253b1 (en arabe), cette version de préambule qualifie
les principes des droits de l’Homme d’universels ; « Le texte révisé du préambule, des dispositions
générales et de la révision de la Constitution », 1
er avril 2013 [en ligne], [consulté le 5 octobre 2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/51c01bb07ea2c413d844a8ea (en arabe).
la discussion », 20 octobre 2012
ligne], [consulté
ligne], [consulté
[consulté
ligne],
[en
893 M. VIRALLY, « Le rôle des “principes” dans le développement du Droit international », in M. VIRALLY
(dir.), Le Droit international en devenir : Essais écrits au fil des ans, Paris, PUF, 1990, p. 197.
215




Page 217
La référence aux valeurs humaines est d’autant plus compromise que la nouvelle Constitution
ne traite pas du droit international des droits de l’Homme. La Déclaration Universelle des
Droits de l’Homme (DUDH) a servi de référence aux différentes Commissions constituantes à
l’exemple de la Commission du préambule et celle des droits et libertés. Certains experts
894
ont même attiré l’attention des constituants sur «
un gain en crédibilité internationale »895
dont pourrait bénéficier la Tunisie en faisant référence au droit international des droits de
l’Homme en général et, à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en particulier.
Sur ce point, la Constitution du 27 janvier 2014 est moins favorable que la Constitution du 1
er
juin 1959 qui garantissait en son article 5 alinéa 1 « les libertés fondamentales et les droits de
l’Homme dans leur acception universelle, globale, complémentaire et interdépendante
. »896
La première Constitution tunisienne est plus ouverte sur l’universel que celle de la révolution.
Même si certaines valeurs humaines à l’exemple de la dignité, sont consacrées au sein de la
Constitution de la Deuxième République, elles ont pu être entérinées parce qu’elles étaient
dépourvues de sens unique et univoque. Il en est de même des valeurs identitaires.
En effet, « les valeurs liées aux spécificités culturelles restent indéterminées et en étant
indéterminées elles deviennent un prétexte pour limiter les valeurs universelles de la dignité,
de l’égalité et de la liberté.
»897 Si la définition des principes autorise les pouvoirs publics à
une grande latitude en matière d’interprétation des droits de l’Homme, la précision avec
laquelle le constituant caractérise les enseignements de l’Islam et le patrimoine civilisationnel
reposant sur les fondements de l’identité arabe et islamique des Tunisiens, restreint le pouvoir
d’interprétation. La religion peut être utilisée par les interprètes authentiques, pour restreindre
les valeurs humaines par des principes et valeurs inspirés de l’Islam. Il est alors essentiel de
894 Voir à ce propos la lecture du premier brouillon de la Constitution par les Professeurs Slim LAGHMANI,
Salwa HAMROUNI et Salsabil KLIBI lors de la première journée d'étude Abdelfattah AMOR organisée
par l’
ATDC et l’ARTD le 15 janvier 2013 à la Bibliothèque Nationale, [en ligne], [consulté le 26 octobre
2018], https://www.youtube.com/watch?v=J30t4k-Lgg8 (en arabe). Voir également, l’intervention du
Professeur Salwa HAMROUNI portant sur le préambule et les principes généraux au cours de la deuxième
journée d'étude Abdelfattah AMOR à l'Africa autour du thème «
La Constitution, entre discussion et
adoption
». Cette journée a été organisée par l'ATDC en partenariat avec DRI le 9 janvier 2014, [en ligne],
[consulté le 26 octobre 2018], https://www.youtube.com/watch?v=diJKnh78hA4 (en arabe).
895 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 154.
896 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 1er juin 1959, article 5,
alinéa premier.
897 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 386.
216



Page 218
savoir ce qu'il faut entendre par enseignements de l’Islam et fondements de l’identité arabe et
islamique
898.
Bien que les valeurs universelles soient à la fois « partout et nulle part »899, elles sont « à la
remorque de valeurs plus spécifiques que sont les valeurs identitaires.
»900
B.
L’importance des valeurs et des symboles de la Deuxième République
La constitution n’est pas un texte juridique comme les autres puisqu’elle doit pouvoir
appartenir à tous. Elle fonde à la fois le système juridique et, la communauté étatique
901. Le
droit ne suffit pourtant pas à renouveler le consensus fondamental qui a présidé à l’élaboration
de la constitution. L’appropriation de la constitution par les citoyens, se fait grâce à l’insertion
constitutionnelle d’un ensemble de croyances
902, valeurs et symboles903. En les activant en
permanence, la constitution remplit sa fonction intégrative
904, qui s’exprime notamment par la
puissance symbolique de
la constitution. Il apparaît alors
intéressant « d’entendre
“symbolique” comme naguère E. Durkheim ou E. Cassirer : est dit symbolique, pour ces
auteurs, tout ce qui a statut de représentation collective et rapport avec leur fonctionnement
spécifique. S’il est vrai, en ce sens, qu’une Constitution est toujours d’une certaine façon
l’enregistrement des valeurs collectives d’une époque ou de plusieurs époques successives, en
même temps que la référence de tel acte, de tel geste ou de telle pratique à ces valeurs, toute
Constitution est un produit symbolique.
»905 En d'autres termes, sans référence aux faits, le
898 Sur ces deux points cf. le B. du Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE I relatif
à
l’attachement du peuple aux « enseignements de l’Islam », p. 108 et, le 1. du A. du Paragraphe 1 de la
Section 1 de ce chapitre relatif à
la consolidation de « l’unité du Maghreb » comme étape à la « réalisation
de l’unité arabe »,
p. 194.
899 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 386.
900 Ibid.
901 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., pp. 269-270.
902 J. CHEVALLIER, « Pour une sociologie du droit constitutionnel », in L’architecture du droit, Mélanges en
l’honneur de Michel Troper, Paris, Economica, 2006, p. 297.
903 Le Professeur Claude KLEIN précise par ailleurs que « la constitution est pratiquement devenue l’un des
attributs symboliques de la souveraineté, au même titre que le drapeau, l’hymne national, le palais
présidentiel ou encore celui de l’Assemblée nationale. Dans un certain imaginaire, on ne conçoit pas qu’un
Etat puisse exister ou être “parfait” sans la présence de ces divers éléments, véritables “gadgets” de la
respectabilité étatique internationale.
» C. KLEIN, « Pourquoi écrit-on une constitution », in M. TROPER,
L. JAUME (dir.), 1789 et l’invention de la Constitution, Paris, LGDJ, 1994, p. 91.
904 D. GRIMM, “Integration by Constitution”, 3,
I-CON, 2005, p. 193. Voir également M.-C.
PONTHOREAU, « La constitution comme structure identitaire », précit., p. 34.
905 B. LACROIX, « Les fonctions symboliques des constitutions : bilan et perspectives », in J.-L.
SEURIN (dir.), Le constitutionnalisme aujourd’hui, op.cit., p. 189.
217






Page 219
renvoi constitutionnel aux valeurs est sectaire. Pourtant, sans référence aux valeurs, la
compréhension des faits constitutionnels est impossible
906. Une constitution n’est adaptée à la
société que si elle restitue certaines caractéristiques identitaires du peuple.
Bien que les différentes conceptions de l’identité sociale et étatique aient structuré la
Constitution du 27 janvier 2014, cette dernière contient à son tour des éléments qui fondent et
structurent l’identité du peuple. Symboliquement, la référence faite à la langue arabe renvoie à
un système de valeurs déterminé. La langue arabe est étroitement liée à l’Islam (1). Même si
pour la plupart des Tunisiens, l’Islam est la religion de la majorité des citoyens, du fait de
l’emploi de la langue arabe, les valeurs de la société sont teintées de religiosité. Ce système de
valeurs est d’ailleurs soutenu par un certain nombre de symboles qui caractérisent plus
spécifiquement la République tunisienne (2).
1. Le lien entre la langue arabe et l’Islam
En dépit des multiples interprétations pouvant découler de la formulation de l’article premier
de la Constitution du 27 janvier 2014, le Professeur Salwa HAMROUNI affirme qu’il « ne
contient aucune norme prescriptive, et qu’il se limite à annoncer un fait : l’Islam est la
religion de la Tunisie, de la majorité des Tunisiens. Mais il est vrai aussi que symboliquement
faire la référence à l’Islam comme religion et à l’arabe comme langue renvoie à un système
de valeurs bien déterminé.
»907 La structure ouverte du texte constitutionnel laisse libre
l’interprétation et offre une marge de manœuvre qui préserve le pouvoir discrétionnaire du
pouvoir politique. « La puissance symbolique d’une Constitution s’accroît avec les
ambiguïtés de son interprétation. C’est dans ce sens que le symbolisme de la Constitution
n’est jamais univoque et incontestable.
»908 S’ajoute à l’ambiguïté de « l’Islam sa religion »
de l’article premier, la nécessité d’explorer la religiosité de la langue arabe.
Pour les croyants, le Coran est sacré car d'origine divine. Sa langue, l'arabe est la langue du
tanzîl ou de la révélation. Utilisée par Dieu pour communiquer avec Mahomet, elle a été
sacralisée. « Donc, phénomène particulier à l’islam : le droit musulman est sacré à un double
906 Ibid., p. 192.
907 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 388.
908 M.-C. PONTHOREAU, « La constitution comme structure identitaire », précit., p. 34.
218







Page 220
point de vue. Et par son origine, et par son signifiant. La chaîne verbale – le signifiant – ne se
borne pas à “porter” ou permettre la modulation intellectuelle des propositions de conduite –
le signifié –, il est également suscitateur d’émotion religieuse.
»909 Il serait par conséquent
interdit d’employer une autre langue que l’arabe pour formuler les règles de droit applicables
aux musulmans
910. L’arabe est un don de Dieu qui doit servir à la formulation des valeurs et
des normes qui s’appliquent aux musulmans.
Le droit en pays d’Islam doit donc se fonder sur une connaissance exacte des subtilités et de la
religiosité de la langue. D’ailleurs, « [l]a culture musulmane s’est posée comme une
logocratie : le contenu de la norme l’emportait sur sa procédure d’application. Le droit,
porté par la langue de la Révélation était plus sacré que les comportements qu’il régissait et
qui participent à l’imperfection de la nature humaine.
»911 Autrement dit, celui qui maîtrise
parfaitement l’arabe, accède à la vérité de la révélation, perce les mystères de la foi et par
conséquent, détient la sagesse. Il accède aux normes religieuses et peut les communiquer à la
communauté des croyants. Il semble alors logique que traduire le Coran ait été interdit
pendant longtemps. Béligh NABLI constate d’ailleurs que si le Coran « peut être traduit, il
n’est rituellement valide qu’en arabe
»912. Ne pouvant porter atteinte à la parole révélée, il
fallait savoir restituer le message divin avec les éléments de contexte que contient la langue
arabe. Par conséquent, la connaissance même excellente de l’arabe par un étranger, ne lui en
livre pas la dimension affective, religieuse.
Il en est de même de l’invitation à adopter certains modes de vie intrinsèques à l’inconscient
collectif des arabophones ou des musulmans. « D’autant plus que les catégories mentales
(modes de raisonnement, système de causalité, hiérarchie des valeurs, ordonnancements
théologiques ou philosophiques…) se reflètent dans la langue, mais sont [également]
influencée par elle.
»913 La syntaxe et la sémantique arabes transmettent des valeurs
islamiques spécifiques, tangibles dans la réalité quotidienne. La particularité de cette langue
est son système normatif et axiologique déterminé. Les mots sont religieusement connotés et
comme tous signifiants, ils peuvent renvoyer à de multiples signifiés. Sachant ce qui précède,
909 J.-P. CHARNAY, Esprit du droit musulman, op.cit., p. 11.
910 Ibid. Pour plus de precisions sur le lien entre la langue arabe et l’Islam voir le paragraphe « Arabe et
arabité », in B. NABLI, Comprendre le monde arabe, op.cit., pp. 11-13.
911 J.-P. CHARNAY, Esprit du droit musulman, op.cit., p. 207.
912 B. NABLI, Comprendre le monde arabe, op.cit., p. 12.
913 J.-P. CHARNAY, Esprit du droit musulman, op.cit., p. 32.
219





Page 221
pourquoi la Constitution tunisienne a-t-elle été pensée, élaborée et rédigée en arabe littéraire,
alors même que le dialecte des constituants est le tunisien ?
« Pour qu’une langue ou un dialecte soient représentatifs de l’identité culturelle et de
l’appartenance de ceux qui les parlent, il faut toutefois qu’ils fassent l’objet d’une
reconnaissance, de leur part et de la part des autres. Ainsi, les différentes langues arabes
parlées ou les dialectes nationaux n’ont pas de véritable poids, puisqu’il n’y a aucune volonté
politique pour qu’ils soient reconnus officiellement comme des
langues à part
entière.
»914 Utilisée par les dirigeants des régimes arabes qui ont pris place après les
indépendances, la langue arabe a servi à développer les idéologies du nationalisme arabe.
Pourtant, l’arabe devait unifier les populations du pourtour méditerranéen au-delà des
frontières nationales. Cette vision unificatrice de la langue est partagée par les Arabes et les
Occidentaux qui « aident à créer un phénomène d’identification, de ressemblance entre les 22
Etats arabes par opposition à l’Occident ou même à d’autres pays musulmans comme la
Turquie ou l’Iran.
»915
Pour ce qui est du cas particulier de la Tunisie, après l’indépendance, l’affirmation de l'arabe
comme langue unique de la République n’a pas été chose aisée, l’identité linguistique des
Tunisiens étant multiple
916. Ainsi, la richesse linguistique et le métissage de l’arabe tunisien
seront examinés dans un premier temps. Puis, la raison pour laquelle les constituants ont
choisi l'arabe plutôt que le dialecte tunisien comme langue constituante, sera abordée. En
Tunisie et plus généralement dans les pays du Maghreb, les individus emploient trois langues
de manière concurrente : la langue maternelle qui est la langue de l’environnement proche de
l’individu, de sa communauté de base, de sa
assabiya ou tribu917 ; la langue française qui est
la langue de la colonisation, de l’économie et de l’administration postcoloniale
918 et enfin, la
langue arabe dialectale – la langue du Coran qui véhicule les principes axiologiques de sa
communauté de religion, de l’
Umma Arrabiya919.
914 A. AJOURY, Les mythes dans les constructions identitaires au Liban, op.cit., p. 61.
915 Ibid., p. 60.
916 G. GRANDGUILLAUME, « Langue, identité et culture nationale au Maghreb », Peuples Méditerranéens,
Oct.- Déc. 1979, N° 9, pp. 3-38.
917 Cette langue peut être l’arabe comme le berbère.
918 La langue française est généralement perçue comme la langue de l’émancipation sociale et de la
différenciation de la masse. C’est une langue d’ouverture. Le plus souvent, le français et l’arabe sont des
langues écrites à la seule différence que l’arabe parlé, est différent de l’arabe écrit puisque teinté du dialecte
local.
919 Dans son article précité, Gilbert GRANDGUILLAUME établit un tableau qui contient les trois langues
employées par les populations arabes du Maghreb. A chaque langue correspond un système de valeurs
220




Page 222
Le problème de la langue en Tunisie est qu’elle véhicule des référents culturels français
introduits dans la langue pendant le protectorat. Le modèle français de droit administratif a été
importé et il est appliqué depuis 1881. Or, la langue de l’administration et de la justice était le
français jusqu’à ce que les juges administratifs et judiciaires affirment l'usage nécessaire de la
langue arabe et son caractère exclusif au sein de l’Etat-Nation.
920 Au moment de
l’indépendance, une politique d’arabisation a été menée par les gouvernements successifs
921
mais Habib BOURGUIBA a obtenu que le contenu des manuels scolaires (surtout en
Histoire/Géographie) suive les programmes d’enseignements français. S'il est vrai que l'arabe
est maintenu, force est de constater qu'il est impacté par les idées, notions et concepts propres
à la perception française de l’enseignement
922. Malgré le métissage de la langue, l’arabe est la
seule langue reconnue comme étant officielle au moment de la décolonisation et de
l’édification constitutionnelle de l’Etat-Nation. Affranchissant l’identité tunisienne de
l’identité française, l’arabe inscrit la Tunisie au cœur d’une civilisation et d’une culture
arabes, qui plus est musulmanes. Par conséquent, l'arabe apparaît légitimé à deux titres :
déterminé par la communauté de rattachement. Pour plus de précisions cf. G. GRANDGUILLAUME,
« Langue, identité et culture nationale au Maghreb »,
précit., p. 29.
Communauté de base
Nation arabe
Nation moderne
(QAWM)
(UMMA)
(WATAN)
Langue maternelle
Langue arabe classique
Langue française ?
920 Les juges administratifs et judiciaires tunisiens faisaient systématiquement référence à l’article premier de
la Constitution du 1
er juin 1959 pour justifier de la nécessité de l’emploi de la langue arabe. En matière
administratives, cf. T. A., cass., affaire n° 15, 13 déc. 1976 c/La direction générale des impôts, Recueil,
1975-77, pp. 109-110 ; T. A., REP, affaire n° 1158, 7 juin 1985, Hédi Mabrouk c/Le ministre des Finances,
Recueil, 1975-1977, p. 99 ; T. A., REP, affaire n° 4641, 30 déc. 1995, Hédi Belhadj c/CNRPS et autres,
RTD, 1996, p. 410. En matière judiciaire, cf. C. A., Tunis, arrêt n° 21168, 12 oct. 1960, RJL 1960, II,
Recueil 1985-1987, p. 99 ; Ch. civ., arrêt n° 4729, 21 fév. 1967, RTD, pp. 123-124.
921 L’exemple le plus marquant est celui du Journal Officiel de la République tunisienne. « Le journal “Erraïd
Ettounsi” (en Arabe) est historiquement le premier journal tunisien.
[…] Sous le protectorat, il est devenu
bilingue, avec donc en plus une édition en langue française, et il a pris le nom de Journal Officiel Tunisien
par le décret du 27 janvier 1883. Avec la proclamation de la République, le journal officiel a changé de
nom devenant le Journal Officiel de la République Tunisienne (JORT). Malgré l’indépendance, le Journal
Officiel continue à être édité en deux langues, notamment parce que plusieurs services de l’administration
tunisienne fonctionnent encore en langue française. Mais en cas de différence de rédaction des textes
français et arabes, c’est la version arabe qui prime ; l’arabité de la langue officielle de l’Etat est en effet
un élément fondamental de la souveraineté.
[…] Aujourd’hui, l’art. 1er de la Constitution affirme
clairement que la langue de l’Etat tunisien est l’arabe. De ce fait, seule la version arabe du JORT constitue
“l’édition originale”, la version française n’étant qu’une “traduction”.
» M. CHARFI, Introduction à
l’étude du droit, op.cit.,
pp. 141-143.
922 D. ABBASSI, Entre Bourguiba et Hannibal. Identité tunisienne et histoire depuis l’indépendance, Aix-en-
Provence, Karthala, 2005, 239 p.
221





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langue de la révélation, il est sacré par son origine ; langue du lien entre les peuples arabes à
travers le monde, il lui est aussi reproché d'avoir été instrumentalisée par les idéologues du
nationalisme arabe.
Malheureusement, cette conception de la langue et de l’identité arabes prévalant au moment
de la fondation des Etats-Nations dans le monde arabe, n'explique pas la raison pour laquelle
les constituants n’ont pas utilisé le dialecte tunisien entre 2011 et 2014, pour rédiger la
Constitution de la Deuxième République. Non seulement le dialecte tunisien n’a pas été
reconnu officiellement mais la Constitution a dû être écrite en arabe littéraire pour servir de
modèle et être diffusée à l’ensemble des pays arabes et musulmans secoués par le Printemps
arabe. Nonobstant ces points, un collectif présidé par Salsabil KLIBI a considéré comme
important de familiariser les citoyens avec le texte constitutionnel. En traduisant ses articles
de l’arabe classique au tunisien
923, il a permis de rendre le droit constitutionnel moins
technique et plus accessible.
L’article premier de la Constitution qui consacre la langue arabe comme langue officielle, est
appuyé par l’article 39 qui précise que l’Etat « veille à l’enracinement des jeunes générations
dans leur identité arabe et islamique et leur appartenance nationale. Il veille à la
consolidation de la langue arabe, sa promotion et sa généralisation.
»924 De manière
intéressante, le soutien de la langue arabe vient en complément de la mission de l’Etat qui est
d’inculquer aux jeunes générations, les fondements de leur identité arabe et islamique. La
langue arabe est un instrument au service de la promotion de l’identité et du nationalisme
arabe. Comme toutes les langues, elle structure une identité, elle est le véhicule d’une culture
spécifique. Bien que la suite de l’article 39 précise que l’Etat « encourage l’ouverture sur les
langues étrangères et les civilisations », le Professeur Slim LAGHMANI n'en remarque pas
moins que de nombreux débats ont eu lieu sur cet article « qui disposait de l’identité “arabo-
923 Une Constitution écrite en dialecte tunisien a été publiée à l’initiative de l’Association Tunisienne de Droit
Constitutionnel
(ATDC) fin mars 2014 et est diffusée à plus de 4.000 exemplaires. Cf. « Communiquer
entre l’arabe et le français, en Tunisie, aujourd’hui »,
Histoire et culture dans la Tunisie contemporaine -
Hypothèses
le 26 octobre 2018],
[en
http://hctc.hypotheses.org/1070.
le samedi 10 mai 2014,
ligne], publié
[consulté
924 Article 39 de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 : « L’instruction est obligatoire jusqu’à l’âge de
seize ans. L’État garantit le droit à l’enseignement public et gratuit à tous ses niveaux. Il veille à mettre les
moyens nécessaires au service d’une éducation, d’un enseignement et d’une formation de qualité. L’État
veille également à l’enracinement des jeunes générations dans leur identité arabe et islamique et leur
appartenance nationale. Il veille à la consolidation de la langue arabe, sa promotion et sa généralisation.
Il encourage l’ouverture sur les langues étrangères et les civilisations. Il veille à la diffusion de la culture
des droits de l’Homme.
» Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du
27 janvier 2014, article 39, deuxième alinéa.

222




Page 224
musulmane”. On a longuement insisté pour y inscrire et ajouter “ouverte sur les langues
étrangères et les civilisations”. Cette dernière écriture est une bataille de dernière heure.
»925
Admettant par là même qu’ouvrir l’enseignement aux langues étrangères rendrait la culture
nationale plus perméable aux idées venues d’ailleurs, les fondements de l’identité arabe et
islamique pourraient être amenés à évoluer en fonction des valeurs nouvelles importées.
Vectrices d’une culture et d’un cadre de pensée bien déterminés, les langues étrangères ont été
considérées comme un danger par une partie des constituants conservateurs de l’ANC
926.
A l’instar de la langue qui est une partie de la production culturelle, « le droit est à la fois un
système de pensées et de valeurs qui correspond à une certaine représentation (construction
du monde), un langage, et un système d’autres signes non langagiers.
»927 Chaque droit
reflète la réalité d’une manière particulière et voit dans les choses, ce que la société veut y
voir
928. Les sociétés croyantes comme la société tunisienne associent au droit, des
représentations collectives psychiques liées à l’Islam, puisque justement l’arabe est la langue
de la révélation.
Or, l’intégration des citoyens comme processus mental collectif ne peut être ordonné,
commandé par le droit
929. « Une constitution aura un effet intégrateur seulement si elle
exprime les valeurs fondamentales et les aspirations de la société et si cette dernière perçoit
que sa constitution reflète précisément ces valeurs dans lesquelles elle s’identifie et qui sont
la source de sa nature propre.
»930 Afin de restituer la réalité sociale et sociétale du peuple et
poser les bases constitutionnelles de l’identité, la Constitution devait consacrer la langue
arabe, en plus de la religion. « La constitution est alors imaginée comme un imaginaire
collectif ; c’est le stade du miroir chez LACAN qui conduit le groupe social à se construire
une identité à la fois reflet de la réalité et projection idéale de ce qu’elle veut être.
»931 De
façon plus prosaïque, la constitution doit aussi contenir des symboles qui permettent aux
citoyens de s’identifier.
925 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
926 Ibid.
927 Y. BEN ACHOUR, Normes, foi et loi, Tunis, Cérès Production, 1993, pp. 48-49.
928 Ibid., p. 52.
929 D. GRIMM, “Integration by Constitution”, précit., p. 196.
930 Ibid., p. 199.
931 F. BORELLA, « Préface », in S. PIERRE-CAPS, Nation et peuples dans les Constitutions modernes,
op.cit., p. 13.
223





Page 225
2. Les symboles dans la Constitution
Le Professeur Peter HÄBERLE avoue que « [l]es prétendus symboles de l’Etat sont dans une
perspective traditionnelle l’expression de l’Etat, souvent pensé comme préexistant à la
Constitution.
»932 Le drapeau, l’hymne, les armoiries et la capitale ont longtemps été
considérés comme des éléments étatiques. Cependant, en plus de symboliser l’Etat, ils
«
indiquent la dimension culturelle de la collectivité politique »933, « ils “portent” des
fonctions intéressant la société civile.
»934 La Constitution du 27 janvier 2014 précise en son
article 4 que « [l]e drapeau de la République tunisienne est rouge, en son milieu figure un
disque blanc comportant une étoile rouge à cinq branches entourée d’un croissant rouge,
conformément à ce qui est prévu par la loi. L’hymne national de la République tunisienne est
“Humat Al-Hima”. II est fixé par loi. La devise de la République tunisienne est “Liberté,
Dignité, Justice, Ordre”.
»935 Avant de s’attarder sur chacun des trois symboles, il est
essentiel d’étudier l’emplacement de l’article 4 dans l’architecture constitutionnelle.
Se trouvant au sein du Chapitre premier relatif aux principes généraux, l’article 4 serait, selon
la conception culturaliste du Professeur Peter HÄBERLE, un article-symbole. Du fait qu’il est
placé « dans le contexte d’autres valeurs fondamentales, [il est] dès lors conçu de façon
normative.
»936 Les articles 1 et 2 évoquent les caractéristiques de l’Etat et l’article 3 traite de
la souveraineté. Se pose alors la question de savoir si la valeur normative des symboles
contenus dans l’article 4 fait consensus. Si la valeur symbolique du drapeau national est
certaine, sa valeur axiologique ne fait pas l’unanimité. La majorité des Tunisiens est d’accord
pour affirmer que le drapeau tunisien a symboliquement participé à l’œuvre d’unification
nationale. « Créé en 1831, il avait pour objectif de permettre de reconnaître la flotte
tunisienne et de pouvoir la distinguer des flottes étrangères. […] Ce drapeau ressemble en
partie à celui de la Turquie car il a été créé sous le règne d’Hussein II Bey
937, vassal de
932 P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, op.cit., p. 34.
933 Ibid.
934 Ibid.
935 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 4.
936 P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, op.cit., p. 35.
937 Les auteurs ne sont pas unanimes sur la date et la paternité du drapeau. Alors que certains font remonter sa
création à 1827, d’autres - à l’instar de Chaker HOUKI - précisent que « l’émergence de notre emblème
national dans sa forme et symboles actuels remonte au 19
ème siècle et notamment pendant le règne de
Mustapha Bey (1835-1837) et Ahmed Bey (1837-1855), lorsqu’il a été utilisé dans les différentes armées et
lors de cérémonies officielles, et que c’est sur ordre de Ahmed Bey que le drapeau tunisien a été conçu
dans sa forme actuelle en renfermant une étoile à cinq branches avec la couleur de sang étamine (rouge
224




Page 226
l’Empire ottoman, comme tous les Beys. »938 Signe de reconnaissance, le drapeau tunisien est
pourtant devenu un signe d’appartenance
939. Le symbolisme du drapeau fait donc l’unanimité
des Tunisiens.
Ces derniers s’opposent pourtant sur sa valeur axiologique. Pour certains, l’étoile rouge à cinq
branches « pourrait renvoyer aux cinq piliers de l’islam. Dans ce cas, le respect exigé, alors,
de tout citoyen à l’égard du drapeau implique le respect de l’islam quelles que soient les
raisons, soit par comportement civique ou obligation juridique
. »940 Selon cet avis, les
Tunisiens seraient tenus d'observer les
ibadat941, cinq obligations ou cinq piliers de l’Islam.
« Ces ibadat, marques d’adoration de l’homme pour Dieu, obligatoires et codifiées, sont la
profession de foi ou chahada
942, l’aumône légale ou zakat943, le jeûne du mois de ramadan ou
sawm
944, la prière ou salat945 et le grand pèlerinage à La Mecque ou hajj946. »947 Liée à
l’Islam et inscrite dans la Constitution, l’étoile rouge à cinq branches aurait une valeur
religieuse, qui plus est juridique. Cet avis n’est pourtant pas partagé par tous les Tunisiens.
Pour certains en effet, « les symboles et couleurs qui distinguent le drapeau tunisien
remontent à la nuit des temps. Ils sont antérieurs à la conquête islamique et à la présence des
mamelouks
948 ottomans sur le sol tunisien. »949 Les différents symboles qui caractérisent le
drapeau national – à savoir la couleur rouge, le disque blanc contenant l’étoile à cinq branches
et le croissant – remonteraient à l’ère de Carthage. La couleur ourjouane ou pourpre renverrait
aux ancêtres des Tunisiens, les Phéniciens africains
950. Ils auraient découvert, industrialisé et
commercialisé « le pourpre, mollusque d’origine marine produisant une substance rouge
foncé tirant sur le violet et dont la valeur s’approchait beaucoup de l’or et qui fut l’une des
vif). » C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., p. 157. Il semblerait pourtant que la plupart des
auteurs fait remonter la création du drapeau au XIX
ème siècle et la paternité aux Beys de Tunis.
938 W. TAMZINI, Tunisie, Bruxelles, De Boeck, coll. Monde arabe/Monde musulman, 2013, p. 122.
939 F. RUEDA, « L’hymne et le drapeau : des symboles de l’Etat en droit comparé », [en ligne], [consulté le 12
octobre 2018], www.academia.edu, p. 1.
940 C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., p. 157.
941 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Ibadat.
942 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Chahada.
943 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Zakat.
944 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Sawm.
945 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Salat.
946 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Hajj.
947 R. ALILI, Qu’est-ce que l’islam ?, op.cit., p. 86.
948 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Mamelouk.
949 C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., p. 157.
950 Ces derniers tirent leur nom du grec phonios qui signifie rouge.
225




Page 227
sources de richesse de Carthage. »951 Cette couleur symbolisait la prospérité et/ou un rang
social élevé. L’orientaliste Eusèbe BASSEL rapproche le disque blanc du disque solaire qui
représentait Baâl Hamoun ou le Dieu Suprême. Le croissant et l’étoile symboliseraient –
selon l’archéologue CAUKLER – les caractéristiques de Carthage. Pour d'autres, le croissant
signifierait l’eau de la vie et ferait référence à TANIT, « déesse ailée, portant une colombe
dans une main et une fiole de parfum dans l’autre.
»952 Ces symboles ne renverraient donc pas
aux cinq piliers de l’Islam et n’auraient aucune valeur normative. Se pose pourtant la question
de savoir si la loi relative au drapeau de la République tunisienne prévoit une valeur
normative à ces symboles.
L’article 4 de la Constitution actuelle reprend les dispositions de l’article 4 de la Constitution
du 1
er juin 1959. Les deux articles renvoient à la loi, le soin de prévoir le drapeau national. La
loi organique n° 99-56 du 30 juin 1999, relative au drapeau de la République tunisienne
953,
n'apporte pas de précisions sur la valeur normative des symboles du drapeau national. C’est
d’ailleurs toujours cette loi qui est applicable actuellement, alors même que la Constitution du
1
er juin 1959 a été remplacée par celle du 27 janvier 2014. Que faire donc en cas de
profanation ? L’atteinte au drapeau serait-elle considérée comme un blasphème et dans ce cas
sanctionnée ? La sanction serait-elle de nature juridique ou religieuse ? L’état actuel du droit
tunisien ne permet pas de répondre convenablement à ces interrogations, auxquelles s'ajoute
le statut de l’hymne national.
« Le choix de l'hymne national, et son inscription éventuelle dans la Constitution, peut tout
d'abord être considéré comme l'affirmation et l'expression de l’identité de la Nation. Il peut
également se révéler être l'expression d'une idéologie.
»954 Humat Al-Hima ou Défenseurs de
la Patrie est l’hymne révolutionnaire qu’entonnaient les militants du Néo-Destour sous le
protectorat. Il a remplacé Al Iyalla Attounisia l’Hymne de la Régence de Tunis, au moment
où la monarchie a été abolie
955 et la République proclamée. L'hymne avait essentiellement
pour fonction, d’affirmer et d’affranchir l’identité de la Nation tunisienne des Français. C’est
donc un chant patriotique qui a servi aux idéologues du Néo-Destour pour rassembler et unir
951 C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., p. 158.
952 Ibid.
953 JORT, n° 54 du 6 juillet 1999, p. 1088.
954 A. ROUX, « Hymne national et Constitution », rapport au colloque “ Droit et musique ”, Faculté de Droit
et de Science politique, Aix en Provence, 30 juin-1
er juillet 2016, [en ligne], [consulté le 12 octobre 2018],
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01449230/document
, p. 4.
955 Le 25 juillet 1957.
226




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les forces vives de la Nation. Bien qu’il ait été remplacé le 28 mars 1958 par l’hymne national
Ala Khalidi, Rendez éternel956, le président BEN ALI le remettra à l’ordre du jour dès le 12
novembre 1987
957 suite à son coup d’Etat. De nos jours, deux vers du poète tunisien Abou El
Kacem CHEBBI y sont incorporés
958. Extraits de son poème La volonté de vivre, ces deux
vers ont été repris par les Tunisiens, les Egyptiens et les Yéménites lors des soulèvements
populaires de 2010-2011.
Les Tunisiens se reconnaissent dans ces symboles et la Constitution leur permet de retrouver
les signes qui font de leur identité ce qu’elle est. C’est en cela qu’ « une constitution, toute
constitution, est un emblème. Remarque d’évidence, dira-t-on, s’il n’est pas de constitution
qui n’officialise les figures en lesquelles le groupe se reconnaît, hymne, drapeau ou
devise.
»959 Pour ce qui est de la devise de la République tunisienne, elle a été modifiée pour
contenir la valeur révolutionnaire de la Dignité. Alors que la Constitution de la Première
République consacrait en son article 4 les valeurs de « Liberté, Ordre, Justice », le nouvel
article 4 place la
Dignité après la Liberté960 et intervertit la Justice et l’Ordre, aboutissant
ainsi à Liberté, Dignité, Justice, Ordre.
Les valeurs qui sous-tendent la Constitution du 27 janvier 2014 témoignent « d’une identité
éclatée entre l’aspiration à l’universel et le frein identitaire, entre un humanisme universel et
un particularisme culturel en quête de reconnaissance.
»961 Finalement, grâce au droit
comparé, à l’expertise tant nationale qu’internationale et surtout aux parcours individuels des
constituants, les valeurs humaines coexistent et se partagent le texte constitutionnel avec les
valeurs identitaires et les spécificités culturelles nationales.
956 Hymne national officiel. Humat Al-Hima avait été employé de manière temporaire entre la fin de la
monarchie et la proclamation de l’hymne national officiel.
957 Pour plus de précisions sur l’évolution de l’hymne national tunisien, voir « L’évolution de l’hymne national
tunisien »,
Wepostmag [en ligne], [consulté le 12 octobre 2018], http://www.wepostmag.com/levolution-de-
hymne-national-tunisien/.
958 Deux vers sont intégrés à la fin de l’hymne national : « Lorsqu’un jour le peuple veut vivre, force est pour le
destin de répondre, force est pour les ténèbres de se dissiper, force est pour les chaînes de se
briser.
» C’est nous qui traduisons.
959 B. LACROIX, « Les fonctions symboliques des constitutions : bilan et perspectives », précit., p. 195.
960 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution, « Brouillon de la Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution », 1
er août 2012 [en ligne], [consulté le 5 octobre 2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec2535b (en arabe).
961 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 388.
227






Page 229
Section 2
L’inspiration internationale du constituant
La Constitution du 27 janvier 2014 n’est ni « importée » ni « imposée » et encore moins
« préfabriquée dans un atelier constitutionnel – national, étranger ou international –. Si telle
avait été la situation, l’adoption du nouveau texte se serait réalisée dans de meilleurs
délais.
»962 Ayant opté pour la politique de la page blanche, aucun texte, qu’il soit
constitutionnel ou autre, ne devait servir de base à l’écriture de la Constitution. Ont alors été
écartés le texte constitutionnel du 1
er juin 1959, les constitutions en vigueur dans le monde et
les projets proposés par des experts nationaux, internationaux ou les associations et
organisations de la société civile
963. Les 217 élus de l’ANC devaient « (ré)écrire
complètement le texte constitutionnel.
»964 L’absence d’expertise constitutionnelle des
membres élus, a cependant conduit les Commissions constituantes à élaborer un texte
constitutionnel à partir des réflexions, consultations, auditions et avis fournis par des experts
en droit constitutionnel nationaux et internationaux.
Ces experts ont constitué un appui indispensable pour les constituants et s’en priver aurait
constitué « une prise de risque et de potentialités d’échec [de la Constitution] peu
compréhensibles.
»965 D'autant plus que la Tunisie « possédait et possède de nombreux
experts constitutionnels capables d’élaborer un texte constitutionnel de grande qualité ou de
constituer un pôle susceptible d’alimenter un processus participatif dans lequel ils pourraient
prendre la pleine mesure de leur rôle.
»966 Actifs au niveau national et international, ces
experts ont une culture juridique comparative. Ils collaborent avec un ensemble de collègues
africains et européens qui partagent leurs préoccupations. Leurs entretiens avec les membres
des Commissions constituantes, ont impacté l’écriture du texte constitutionnel967. Ce dernier
962 F. DELPEREE, « La Constitution nouvelle », in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS,
P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la
Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit.,
p. 23.
963 La société civile est l’ensemble des associations, des groupements d’intérêts (formalisés ou non), des
organisations (qu’elles soient non gouvernementales ou pas) engagé dans la défense et la diffusion des
droits civils, politiques, économiques et sociaux.
964 X. PHILIPPE, « Les processus constituants après les révolutions du printemps arabe. L’exemple de la
Tunisie : rupture ou continuité ? », précit., p. 536.
965 Ibid., p. 545.
966 Ibid., p. 532.
967 La volonté originelle de certains constituants était de ne pas avoir recours aux experts extérieurs. De
nombreux constituants n’ont pas souhaité se laisser influencer par des spécialistes qui n’avaient pas été
directement élus par le peuple. De plus, certains d’entre eux avaient des désaccords personnels avec des
experts. Ceci n’a pourtant pas empêché les Commissions constituantes d’auditionner des spécialistes
228





Page 230
est également influencé par les parcours individuels des constituants. En effet, leurs
formations universitaires dans leur pays ou à l’étranger, ont contribué à l’élaboration d’une
Constitution conforme aux standards constitutionnels globaux (Paragraphe 2).
Bien que les constituants aient choisi de faire table rase de l’ancienne Constitution, ils se sont
appuyés sur certaines Constitutions étrangères et des textes internationaux relatifs aux droits
de l’Homme. Le recours au droit comparé n’avait pas pour objectif d’ « imposer un modèle de
pensée ou une forme de constitution déterminée mais [devait] offrir une idée de la variété des
solutions existantes et de leur taux d’efficacité en termes de fonctionnement.
»968 En d'autres
termes, aucun modèle constitutionnel n’a servi d’exemple exclusif à la Constitution de la
révolution. Source d’inspiration, le droit comparé a permis aux constituants d’importer,
d'intégrer et de "tunisifier" plusieurs mécanismes étrangers.
En plus d’avoir mobilisé et auditionné des experts nationaux, certaines institutions
internationales à l’instar du Conseil de l’Europe – via la Commission de Venise et de
l’Organisation des Nations Unies (ONU) – via le Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD), ont apporté leur soutien au processus participatif tunisien
(Paragraphe 1). Le recours au droit comparé et aux experts au stade du processus constituant
permet de comprendre « la présence d’éléments de convergence et de standardisation, surtout
sur le terrain des droits et libertés.
»969 La Constitution actuelle n'est pas seulement l’un des
instruments d’expression de l’identité nationale, elle est aussi une marque d’appartenance à la
communauté globale
970.
nationaux et internationaux de droit constitutionnel et d’institutions politiques. D’ailleurs, en avril 2013, le
Comité de coordination chargé de rédiger le texte du projet final de Constitution a fait appel à un groupe
d’experts juristes/linguistes mais ce dernier a décliné l’invitation. Il estimait qu’elle était trop tardive.
968 X. PHILIPPE, « Tours et contours des transitions constitutionnelles … Essai de typologie des
transitions »,
in X. PHILIPPE et N. DANELCIUC-COLODROVSCHI (dir.), Transitions constitutionnelles
et Constitutions transitionnelles. Quelles solutions pour une meilleure gestion des fins de conflit ?, op.cit.,
p. 22.
969 T. GROPPI, « La Constitution
constitutionnel ? »,
précit. p. 346.
970 Ibid., pp. 346-347.
tunisienne de 2014 :
illustration de
la globalisation du droit
229








Page 231
Paragraphe 1
L’apport de la comparaison des textes constitutionnels et le rôle des
organisations nationales et internationales
Selon les vœux des Tunisiens, la Constitution devait être écrite par le peuple et pour le peuple,
autrement dit, elle devait être
made in Tunisia971. La souveraineté théorique du pouvoir
constituant originaire conduit à penser que juridiquement, il n’est tenu de respecter que les
normes qu’il élabore et qu’il s’impose de respecter
972. Les travaux préparatoires à la
Commission des droits et libertés
973 prouvent qu’une place spéciale a été donnée aux
constitutions étrangères et aux textes internationaux relatifs aux droits de l’Homme (A).
Même si «
la référence à un modèle [constitutionnel] donné est dépassée »974, le recours des
constituants au droit constitutionnel comparé avait un objectif bien déterminé : « disposer
d’un ordre constitutionnel correspondant aux standards internationaux.
»975 Cet objectif est
d’ailleurs soutenu par l’intervention plus ou moins directe de puissances étrangères dans le
processus constituant. L’appui des organisations nationales et internationales à l’ANC (B) a
eu pour but « d’orienter le pouvoir constituant local en faveur des principes libéraux afin de
satisfaire les paramètres imposés par l’adhésion aux organisations internationales.
»976
971 C’est-à-dire purement tuniso-tunisienne.
972 R. DECHAUX, « La légitimation des transitions constitutionnelles », in X. PHILIPPE et N. DANELCIUC-
COLODROVSCHI (dir.),
Transitions constitutionnelles et Constitutions transitionnelles. Quelles solutions
pour une meilleure gestion des fins de conflit ? op.cit., p. 170.
973 Les développements qui suivent se baseront en partie sur les travaux préparatoires de la Commission des
droits et libertés. Devant constitutionnaliser un certain nombre de droits et de libertés, cette Commission a
eu recours au droit constitutionnel comparé. Ses travaux préparatoires renvoient à des constitutions
étrangères et à quelques textes internationaux / régionaux relatifs aux droits de l’Homme. Il est également
intéressant de relever que, les constituants précisent et inscrivent dans les travaux préparatoires de la
Commission, la place et le rôle qu’ils attribuent aux textes constitutionnels étrangers. Ces derniers leur
servent de source d’inspiration. La Commission des pouvoirs législatif, exécutif et des relations entre eux a
également eu recours au droit comparé mais - comme la Commission des droits et libertés - elle a précisé
que ses travaux se baseraient sur la technique de la page blanche.
974 N. DANELCIUC-COLODROVSCHI, « L’incidence des influences constitutionnelles externes sur
l’écriture et l’adoption des constitutions postconflictuelles », in X. PHILIPPE et N. DANELCIUC-
COLODROVSCHI (dir.),
Transitions constitutionnelles et Constitutions transitionnelles. Quelles solutions
pour une meilleure gestion des fins de conflit ? op.cit.,
p. 116.
975 Ibid.
976 Ibid., p. 111.
230







Page 232
A.
La place des constitutions étrangères et des textes internationaux relatifs aux
droits de l’Homme au sein du processus constituant
Le 25 juin 2012, le rapport d’avancement des travaux de la Commission des droits et libertés
précise qu'elle a décidé – et ce, dès sa première réunion du 13 février 2012 – que l’élaboration
des dispositions relatives aux droits et libertés allait se faire à partir de la technique de la page
blanche
977. Même si elle prend en considération tous les projets de Constitutions proposés et
soumis à l’ANC, elle ne donnera la priorité à aucun d’eux
978. Pour mémoire, l'ANC s'est basée
sur la Constitution de 1959, des projets de Constitutions élaborés par des experts nationaux,
des associations et organisations de la société civile
979. Certaines constitutions étrangères ont
de surcroît, été distribuées à l’ANC et au bureau de la Commission. Il s'agit notamment des
Constitutions marocaine, turque, jordanienne, égyptienne, américaine, espagnole, portugaise,
suédoise et sud-africaine.
Il était ainsi possible aux constituants d’emprunter aux systèmes juridiques « des uns et des
autres un certain nombre de mécanismes, de procédures, d’équilibres ayant fait leur preuve
ou
[qui sont] suffisamment séduisants pour inciter à les expérimenter. »980 Si pour certains les
constitutions deviennent des «
boîte[s] à outils »981 dans lesquelles puiser, pour d’autres, il y
aurait «
un fonds commun de concepts, de techniques et de procédures »982 que partagent les
constitutions et qui traduit l’universalisation et/ou la banalisation du langage constitutionnel.
977 Il en est de même de la Commission des pouvoirs législatif, exécutif et des relations entre eux. La
Commission précise dans son rapport final du 19 février 2013 que la Commission adopte la technique de la
page blanche. Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission des pouvoirs législatif,
exécutif et des relations entre eux,
« Rapport final de la Commission des pouvoirs législatif, exécutif et des
relations
le 17 octobre 2018],
[en
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25393 (en arabe).
février 2013
eux », 19
[consulté
ligne],
entre
978 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des droits et libertés, « Rapport de
l’avancement des travaux de la Commission des droits et libertés », 25 juin 2012 [en ligne]
, [consulté le 17
octobre 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec2534a (en arabe).
979 Il s’agit essentiellement des projets de Constitution proposés par le parti Justice et Développement, le bloc
Al Aridha Al Chaabiya, le Professeur Sadok BELAÏD, l’UGTT, Jawhar BEN MABROUK du réseau
«
Doustourna », l’avocat Youssef OBEID, Tahar BELKHODJA, le Comité des experts (de Yadh BEN
ACHOUR), celui de «
Watani Habibi » auxquels s'ajoutent le projet de Constitution de l’Association
Tunisienne des Femmes Démocrates
, le projet proposé par Boubakr EL TAYEB, la Déclaration commune
relative à la liberté de conscience et de croyance (du Comité du 18 octobre pour les droits et libertés) et des
propositions d'ateliers de réflexion et leurs recommandations relatives «
à l’avenir des arts et des médias en
Tunisie
». Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des droits et libertés,
« Rapport final de la Commission constituante des droits et libertés concernant le chapitre des droits et des
libertés de
le 17 octobre 2018],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25367 (en arabe).
la Constitution », 13 septembre 2012 [en
ligne], [consulté
980 N. DANELCIUC-COLODROVSCHI, « L’incidence des influences constitutionnelles externes sur
l’écriture et l’adoption des constitutions postconflictuelles », précit., p. 116.
981 Ibid.
982 F. DELPEREE, « La Constitution nouvelle », précit., p. 25.
231




Page 233
L’ANC apparaît ainsi « comme une usine à recevoir, à digérer et à transformer les idées et
les pratiques venues d’ailleurs. Et à leur donner une touche proprement tunisienne.
»983 Dans
l’objectif d’être exhaustif ne seront cités que les emprunts les plus flagrants, de mécanismes et
de procédures empruntés aux constitutions étrangères.
Alors que les constitutions des pays arabo-musulmans du Proche-Orient et d’Afrique du Nord
ont servi d’éléments de réflexion sur le rapport entre religion et institutions, les constituants
ont regardé dans les constitutions du sud, ce qu’ils pouvaient y puiser. Par exemple, le droit à
un environnement sain prévu à l’article 45 et la justice transitionnelle de l’article 148, ont été
empruntés à la Constitution de l’Afrique du Sud. Les constituants se sont aussi inspirés des
droits, libertés, procédures et mécanismes énoncés dans les constitutions occidentales. Il
existe d'autres exemples, tels que la protection des personnes handicapées directement
inspirée de la Constitution suisse, la procédure de défiance constructive est quant à elle,
allemande et l’exception de constitutionnalité belge. En ce qui concerne le régime politique, la
diarchie de l’exécutif est directement inspirée de la France et du Portugal. Les constituants ont
d’ailleurs puisé dans la Constitution française de la Cinquième République l’article 3 qui
traite de la souveraineté, la distinction faite entre les lois organiques et ordinaires
984 et celle
déjà opérée par la Constitution du 1
er juin 1959, entre les matières qui relèvent du pouvoir
législatif et celles qui relèvent du pouvoir réglementaire général. A l’instar de l’article 51-1 de
la Constitution du 4 octobre 1958, un article 60 qui prévoit le statut de l’opposition
parlementaire
985, a été introduit.
Mais, comme le précise le Professeur Francis DELPEREE « Carthage n’est ni Athènes, ni
Rome. Pas plus qu’elle n’est Londres ou Paris. Seuls des emprunts ponctuels sont
concevables
. »986 Seuls les mécanismes et procédures de référence permettant à l’ordre
constitutionnel en élaboration de correspondre aux standards internationaux, ont été
empruntés aux constitutions étrangères. Il en est de même des textes internationaux.
983 Ibid., p. 27.
984 AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des pouvoirs législatif, exécutif et des
relations entre eux,
« Rapport final de la Commission des pouvoirs législatif, exécutif et des relations entre
eux », 19 février 2013 [en ligne], [consulté le 17 octobre 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs
/518e5bfc7ea2c422bec25393 (en arabe).
985 Pour plus de précisions sur les multiples emprunts aux constitutions étrangères, cf. F. DELPEREE, « La
Constitution nouvelle », précit., pp. 26-27.
986 Ibid., p. 28.
232





Page 234
Plusieurs engagements internationaux et régionaux relatif aux droits de l’Homme ont été
étudiés par les membres de l’ANC. Il s’agit essentiellement de la Déclaration Universelle des
Droits de l’Homme (DUDH), de la Charte arabe des Droits de l’Homme, de la Déclaration du
Caire relative aux Droits de l’Homme dans l’Islam, de la Charte africaine des Droits de
l’Homme et des Peuples, de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), des
accords de non prescription des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité, des
principes fondamentaux du traitement des prisonniers, de l’accord spécial relatif à la liberté de
vote et de la protection du droit à l’organisation syndicale, du Pacte International relatif aux
Droits Civils et Politiques (PIDCP), du Pacte International relatif aux Droits Economiques,
Sociaux et Culturels (PIDESC), de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discriminations à l’égard des femmes (CEDEF), de la Convention relative aux droits de
l’enfant et de la Convention sur les droits des personnes handicapées
987.
La consultation de ces textes par les membres de l’ANC, a notamment permis à la
Commission
des
droits
et
libertés,
d’étudier
les
accords
et
engagements
internationaux/régionaux et d’inclure dans son travail, la troisième et quatrième générations
des droits et libertés
988. Néanmoins, contrairement à la Constitution du 1er juin 1959, celle du
27 janvier 2014 ne fait aucune référence à la DUDH. L’article 7 est pourtant proche dans sa
formulation de l’article 16 de la DUDH puisqu’il définit le rôle de la famille comme « cellule
de base de la société ». Cet article 7 se rapproche également de la formulation du premier
alinéa de l’article 18 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples selon
lequel « [l]a famille est l’élément naturel et la base de la société. Elle doit être protégée par
l’Etat qui doit veiller à sa santé physique et morale ». D’autres articles, à l’instar de
l’article 49, sont directement inspirés de la
Convention Européenne des Droits de l’Homme989.
Pour ce qui est de l’emprunt de certains mécanismes étrangers, celui-ci a été suggéré par les
experts nationaux et internationaux auditionnés. Dans son rapport du 25 juin 2012, la
Commission des droits et libertés précise qu’elle a consacré dix-huit heures, soit 25 séances
de travail, aux auditions des experts et des associations et organisations de la société civile. In
987 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des droits et libertés, « Rapport final
de la Commission constituante des droits et libertés concernant le chapitre des droits et des libertés de la
Constitution », 13 septembre 2012 [en ligne], [consulté le 17 octobre 2018], https://majles.marsad.tn/fr/
docs/518e5bfc7ea2c422bec25367 (en arabe).
988 Ibid.
989 L’article 49 fait l’objet des développements du B. du Paragraphe 2 de cette section relatif au rôle des
experts constitutionnels des Facultés de droit tunisiennes, p. 244.
233




Page 235
fine, elle a élaboré un texte typiquement tuniso-tunisien, en adaptant les mécanismes et
procédures empruntés au système politique tunisien dans lequel ils ont été insérés.
B.
L’appui des organisations nationales et internationales à l’ANC
Qualifié de participatif, le processus constituant était ouvert aux citoyens990 et plus largement
aux associations de la société civile
991 et aux Organisations Non Gouvernementales (ONG)
nationales ou internationales. La participation de ces organisations
992 a débuté avec la mise en
place du processus électoral qui devait conduire les Tunisiens à élire les membres de
l’ANC
993. Bien qu’elles aient encadré le processus d’élaboration de la Constitution, ces
organisations ont permis d’apporter une certaine expertise juridique aux constituants
994. « Le
défi des organisations gouvernementales et non gouvernementales, qu’elles soient nationales
ou internationales, consiste à diffuser et à transmettre cette expertise et ces outils à
l’ensemble des parties prenantes au processus constituant, qu’il s’agisse des représentants de
la société civile ou des constituants.
»995 Les différentes commissions constituantes ont
auditionné des associations de la société civile. Tel a notamment été le cas de la Commission
des droits et libertés qui a consulté plusieurs experts et représentants de ligues et organisations
nationales. Ces dernières organisations « doivent jouer un rôle essentiel en matière
d’appropriation des processus constituants car ce sont elles qui devront alimenter le débat et
990 B. ABDELKAFI, « L’assemblée nationale constituante et la société civile : Quelle relation ? », in
M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.)
Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., pp. 139-149.
991 Chargées de défendre et de promouvoir les droits civils et politiques, économiques et sociaux.
992 Le terme « organisation » sera compris et employé comme un terme générique. Il désigne ici, l’ensemble
des associations, groupements d’intérêts et ONG actifs en Tunisie à partir des premières élections
constituantes libres du pays.
994 Un rôle de premier plan a été
993 Pour plus de précisions sur ce point cf. C. GADDES, « Les élections du 23 octobre 2011 », in M.
MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.)
Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., pp. 101-117.
l’organisation AL BAWSALA (LA BOUSSOLE :
http://www.albawsala.com/) qui, à travers le projet Marsad (http://www.marsad.tn/fr/) a publié de
nombreux documents de l’ANC. Son rôle visait essentiellement à observer le travail et à assister
juridiquement les membres de l’ANC. Pour plus de précision sur les fonctions de l’organisation cf. A.
YAHYAOUI, « Observer l’Assemblée nationale constituante »,
in M. MARTINEZ SOLIMAN, S.
BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution
de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., pp. 253-261.
joué par
995 X. PHILIPPE, « Le rôle des organisations non gouvernementales dans les processus constituants
postconflictuels : expertise ou plaidoyer ? »,
in X. PHILIPPE et N. DANELCIUC-COLODROVSCHI
(dir.),
Transitions constitutionnelles et Constitutions transitionnelles. Quelles solutions pour une meilleure
gestion des fins de conflit ? op.cit.,
p. 154.
234





Page 236
représenter la société civile auprès du constituant. »996 Certes, leur expertise dépend du
contexte mais celles qui ont été auditionnées par la Commission des droits et libertés, avaient
une certaine connaissance technique de l’objet social qu’elles défendaient. Avant de
s’intéresser à ces organisations et de détailler leur rôle, il est essentiel de savoir pourquoi les
commissions constituantes ont eu recours à des experts, alors même que les Tunisiens avaient
fait le choix d’un «
processus constituant participatif »997 et non d’un comité d’experts998.
De multiples raisons peuvent être avancées. Parmi elles, les 217 élus à l’ANC étaient des
hommes et des femmes politiques qui manquaient – pour certains – de compétence technique
et juridique. Or, le droit et les institutions ont un rôle déterminant à jouer dans l’édification
constitutionnelle de l’Etat. Il semble alors nécessaire de recourir à des « experts capables d’en
utiliser les ressources.
»999 La consultation de ces experts produit d’ailleurs des « effets
avantageux pour les acteurs politiques qui
[les] sollicitent. »1000 Les experts et représentants
des organisations auditionnées ont donc
joué «
le rôle de conseillers du prince-
constituant.
»1001 Ils « ne sont plus sollicités pour livrer une constitution “clé en mains”, mais
bien plutôt pour se prononcer sur telle ou telle question constitutionnelle ou pour
accompagner le processus de transition. L’expertise constitutionnelle demandée peut
consister en une simple information pour éclairer un point de droit.
»1002 Les membres de la
Commission des droits et libertés avaient besoin d’être éclairés par les représentants des
organisations nationales, sur la situation de certains droits et libertés en Tunisie. Dans son
rapport du 24 juillet 2012, la Commission expose des entretiens menés avec les experts de ces
organisations
1003.
996 Ibid.
997 X. PHILIPPE, « Les processus constituants après les révolutions du printemps arabe. L’exemple de la
Tunisie : rupture ou continuité ? », précit., p. 536.
998 Pour la distinction entre les deux types de processus constituants, cf. X. PHILIPPE, « Les processus
constituants après les révolutions du printemps arabe. L’exemple de la Tunisie : rupture ou continuité ? »,
précit., p. 536.
999 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Le rôle de l’expertise dans la transition constitutionnelle », in
X. PHILIPPE et N. DANELCIUC-COLODROVSCHI (dir.), Transitions constitutionnelles et Constitutions
transitionnelles. Quelles solutions pour une meilleure gestion des fins de conflit ? op.cit.,
p. 137.
1000 Ibid.
1001 Ibid., p. 142.
1002 Ibid., p. 143.
1003 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des droits et libertés, « Les auditions
effectuées au sein de la Commission des droits et libertés de février jusqu’en juillet », 24 juillet 2012 [en
ligne]
, [consulté le 20 octobre 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7e a2c422bec25359 (en
arabe).
235




Page 237
Ainsi, le 26 mars 2012, ont été auditionnés Abdessattar BEN MOUSSA et Zouhair EL
YAHYAOUI respectivement président et membre de la Ligue Tunisienne des Droits de
l’Homme (LTDH), de même que Saïda EL AKREMI, présidente de
l’
Association
Internationale pour le Soutien aux Prisonniers Politiques
1004. Chaque personne auditionnée
devait exposer l’objet social et les objectifs de l’association qu’elle représentait, présenter
l’état du droit et/ou de la liberté défendus par elle. Souvent les représentants des organisations
exposaient les moyens nécessaires pour la mise en œuvre effective du droit ou de la liberté. Ils
recommandaient aux constituants des mesures constitutionnelles à prendre, en vue de leur
protection.
Ces experts ont finalement été des médiateurs entre les élus et les électeurs. Leur rôle a
consisté à « assurer le passage vers un ordre constitutionnel et politique démocratique, qui
constitue le cadre général dans lequel s’inscrit aujourd’hui la thématique de la transition et
[qui] justifie le recours à l’expertise. »1005 D'une part, les auditions des experts des
organisations nationales ont essentiellement consisté à améliorer le système de garantie et
d’application des droits et libertés ; d'autre part, les organisations internationales
1006 ont eu le
mérite d’apporter « une connaissance générale des questions constitutionnelles, un soutien
technique, de la formation, des retours d’expériences comparées aux constituants et aux
associations.
»1007 En effet, les nouvelles exigences démocratiques revendiquées par les
révolutionnaires supposaient une connaissance des paradigmes de la démocratie, du droit et
1004 Le rapport précité fait état de toutes les auditions effectuées par la Commission des droits et libertés de
février à juillet 2012. Le 27 mars 2012, Imane Al TARIKI, présidente de l’association
Liberté et Justice et
Sihem BENSEDRINE, représentante officielle du
Conseil National des Libertés en Tunisie (CNLT) ont été
auditionnées. Le 28 mars 2012, la Commission a entendu Sondes GARBOUJ, présidente de la section
tunisienne de l’organisation de réconciliation nationale et Monzer AL CHARMI, rapporteur de
l’association tunisienne de lutte contre la torture. Le 18 avril 2012, c’était au tour de Najiba HAMROUNI,
présidente du
Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) et le 23 avril 2012, de Hichem
SNOUSSI, président de l’organisation relative à l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme
. Le 24 avril 2012, ont été entendus, Sami BEN YOUNES et Sami BAHRI, représentants de
l’
Organisation Tunisienne de Défense des Droits des Personnes Handicapées (OTDDPH) de même que
Basma SOUDANI, présidente de la
Ligue des Électrices Tunisiennes (LET). Enfin, le 25 avril 2012, c’était
au tour de Mrad SALIH et d’Ali BEN ASSI, présidents de l’association tunisienne des chômeurs.
1005 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Le rôle de l’expertise dans la transition constitutionnelle », précit.,
p. 143.
1006 A l’exemple du Centre Carter et de Democracy Reporting International (DRI).
1007 X. PHILIPPE, « Le rôle des organisations non gouvernementales dans les processus constituants
postconflictuels : expertise ou plaidoyer ? »,
précit., p. 154. Pour un aperçu général du rôle des experts
internes et externes au moment du processus constituant en Tunisie cf. N. MEKKI, « Le processus
constituant tunisien : quels enseignements pour les pays de la région ? », Arab Law Quartely 32 (2018),
pp. 1-30. Pour un aperçu particulier du rôle du Centre Carter entre 2011 et 2014 cf. The Carter Center,
The
Constitution-Making Process in Tunisia,
Final Report, 2011-2014, [en ligne], [consulté le 11 décembre
2018],
https://www.cartercenter.org/resources/pdfs/news/peace_publications/democracy/tunisia-
constitution-making-process.pdf (en anglais), 206 p.
236



Page 238
des institutions. De plus, les experts juridiques formés au sein de l’ancien régime n’étaient pas
tous susceptibles d'avoir une capacité d’innovation constitutionnelle. Les constituants ont dû
« s’approprier eux-mêmes les principes de ce que doit comporter leur constitution et ont donc
[eu] besoin de formation et de compréhension des enjeux pour acquérir la connaissance des
solutions envisageables qu’elles ne possèdent pas au départ.
»1008 C’est la raison pour
laquelle, les pouvoirs publics ont après la révolution, multiplié les appels à la démocratisation
et aux organisations internationales relatives aux droits de l’Homme.
« Le 28 février 2011, la Tunisie adresse une invitation permanente à toutes les procédures
thématiques de l’ONU relatives aux droits de l’Homme
1009. Cette invitation permet la visite,
en Tunisie, de plusieurs rapporteurs spéciaux de l’ONU
1010, lesquels élaborent des rapports
sur plusieurs
formulent diverses
recommandations.
»1011 Maîtrisant le langage constitutionnel, les experts internationaux
thèmes afférents aux droits de
l’Homme et
étaient les mieux à même d’alimenter le débat et de soutenir l’activité technique de rédaction
de la Constitution. Bien que le processus constituant ait été purement national, le Conseil de
l’Europe et l’
Organisation des Nations Unies (ONU) ont apporté leur assistance à l’ANC1012.
Leur objectif était de favoriser la mise en place d’un processus constituant participatif et
ouvert, qui puisse aboutir au vote d’une Constitution dotée d’une forte légitimité et approuvée
par l’ensemble du corps social.
Pour ce faire, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a en 2012,
conclu « un accord de coopération avec l’ANC, dans le but de poursuivre la stratégie de
l’UNCT de soutenir la transition en Tunisie.
»1013 Cet accord a permis d’organiser des
1008 X. PHILIPPE, « Le rôle des organisations non gouvernementales dans les processus constituants
postconflictuels : expertise ou plaidoyer ? », précit., p. 157.
1009 Un accord avec le Bureau du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme est conclu en juillet 2011 et
établit la création d'un Bureau des Droits de l’Homme des Nations-Unies en Tunisie.
1010 Il s’agit du Rapporteur spécial sur la torture, du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la
justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, du Rapporteur spécial sur les défenseurs des
droits de l’Homme, du Rapporteur spécial sur la liberté d’expression et, du Rapporteur spécial sur
l’indépendance des juges et des avocats.
1011 D. CHALEV, M. SHAQUOURA et A. ABASS, « Rôle des Nations Unies dans le processus constitutionnel
tunisien et résultat en termes de garanties relatives aux Droits de l’Homme »,
in M. MARTINEZ
SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., p. 464.
1012 L’United Nations Country Team (UNCT) a été l’équipe des Nations-Unies mobilisée en Tunisie à la suite
de la révolution, au moment du processus constituant. Elle était composée de plusieurs agences de l’
ONU.
1013 D. CHALEV, M. SHAQUOURA et A. ABASS, « Rôle des Nations Unies dans le processus constitutionnel
tunisien et résultat en termes de garanties relatives aux Droits de l’Homme », précit., p. 465.
237




Page 239
dialogues locaux et nationaux entre les citoyens et les institutions de la période transitoire1014.
Ainsi, entre 2012 et 2013, le PNUD a-t-il soutenu les rencontres à l’initiative du Dialogue
national organisées entre les constituants et la société civile, dans les vingt-quatre
gouvernorats tunisiens. L’appui des organisations onusiennes à l’ANC s'est également
manifesté d’autres manières
1015. « Une
lettre commune contenant d’importantes
recommandations
1016 sur la nécessité d’intégrer des normes internationales aux garanties
visant la protection des droits de l’Homme et la primauté du droit, est adressée [par l’UNCT]
à chacun des membres de l’ANC en août 2012.
»1017 En juillet de la même année, une
conférence organisée par le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme (HCDH) a rassemblé
différentes organisations de la société civile. Elle leur a permis de participer activement au
processus constituant en encourageant leur position pour favoriser une meilleure protection
constitutionnelle des droits de l’Homme. Grâce aux auditions menées par les Commissions
constituantes, certains représentants de l’UNCT ont d’ailleurs réussi à se faire entendre. Ils ont
pu prodiguer des conseils sur le contenu d'avant-projets.
Dans son rapport final du 13 septembre 2012, la Commission des droits et libertés a
notamment fait état de sa séance de travail avec l’Organisation des Nations Unies pour
l’Education, la Science et la Culture (UNESCO), au sujet de la liberté d’expression et
d’information. Elle a auditionné Tony MANDELL du Centre juridique et démocratique du
Canada, sur
les garanties constitutionnelles et
juridiques du droit d’expression et
d’information ; Bimabanegh HARIMURTI sur la Charte générale d’information, au sujet de
la transition démocratique en Indonésie et Joseph TOULOUÏ AMIN médiateur journalistique
le
27
[en
ligne],
[consulté
2014/2013,
1014 Voir la mise à jour de l’année 2012-2013 du projet d’appui au processus constitutionnel et parlementaire et
au dialogue national en Tunisie élaboré par le PNUD, newsletter « The UN Constitutional », parution I,
2018],
hiver
https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/UNConstitutional-Issue1.pdf (en anglais), p. 13.
1015 Il a notamment consisté à soutenir le groupe de l’ANC chargé des relations publiques et des relations avec
la société civile, pour élaborer un programme de travail pour ses actions ; à présenter à l’ANC différentes
options constitutionnelles et institutionnelles pour la gestion des relations entre le pouvoir exécutif et le
pouvoir législatif dans un contexte démocratique ; à former les membres des Commissions constituantes
aux techniques de dialogue et à l’animation des consultations publiques avec la société civile ; à organiser
des journées de consultation (les 14 et 15 septembre 2012) permettant de mettre en place un dialogue
institutionnel avec les organisations de la société civile en se fondant sur les travaux des Commissions
constituantes ; à discuter des différentes options et à faciliter les échanges entre les citoyens et l’ANC, pour
ce qui est de leurs attentes.
mars
1016 Des recommandations sont également adressées par différentes ONG à l’instar de Human Rights Watch
(HRW). Voir le communiqué de presse du 22 janvier 2013, [en ligne], [consulté le 27 octobre 2018],
http://www.hrw.org/fr/news/2013/01/22/tunisie-lettre-l-assemblee-nationale-constituante-tunisienne-sur-le-
projet-de-consti.
1017 D. CHALEV, M. SHAQUOURA et A. ABASS, « Rôle des Nations Unies dans le processus constitutionnel
tunisien et résultat en termes de garanties relatives aux Droits de l’homme », précit., p. 466.
238



Page 240
en Afrique du Sud, au sujet de la liberté d’expression et d’information. Les experts ont livré
leur expérience personnelle et professionnelle sur l’état de la liberté d’expression et
d’information dans chacun des pays concernés.
En plus du soutien technique et des recommandations faites aux constituants, les agences des
Nations-Unies en Tunisie se sont exprimées sur le contenu de dispositions constitutionnelles
relatives aux droits de l’Homme. Elles ont voulu attirer l’attention des constituants sur la
nécessité d’intégrer certaines normes internationales après la publication de l’avant-projet
final du texte constitutionnel du 1
er juin 2013. « Suite au projet présenté le 1er juin 2013,
l’UNCT effectue une analyse des droits de la Constitution axée sur les droits de l’homme,
laquelle permet d’identifier les progrès accomplis ainsi que les principales difficultés en
matière de conformité et d’ouverture aux obligations juridiques internationales de l’État
tunisien.
»1018 Se fondant sur cette analyse, l’UNCT a adressé ses recommandations aux
autorités, pour améliorer l’avant-projet final de texte constitutionnel en y intégrant les droits
de l’Homme davantage
1019. Les organisations onusiennes n'ont pas été les seules à formuler
des recommandations.
Le président de l’ANC Mustapha BEN JAAFAR, a soumis le texte constitutionnel à l’avis de
la Commission de Venise
1020. Un groupe de rapporteurs composé de quatre Professeurs de
droit (Guido NEPPI MODONA, Sergio BARTOLE (Italie), Jean-Claude SCHOLSEM
(Belgique) et Ben VERMUELEN (Pays-Bas)), de deux juges en exercice et de deux anciens
juges
(Slavica BANIC
(Croatie),
Jean-Claude COLLIARD,
Jacqueline
de
GUILLENCHMIDT (France) et Wilhelmina THOMASSEN (Pays-Bas)), d’un membre de la
Commission de réforme législative irlandaise (Finola FLANAGAN) et de l’ancien président
de la Chambre des représentants maltais (Michael FRENDO), a été formé pour partager ses
observations sur le texte
1021, avec l’ANC, dès le 17 juillet 20131022. Les rapporteurs ont
1018 Ibid.
1019 Le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme communique aux membres de l’ANC un guide abrégé des
constitutions et droits de l’Homme. En janvier 2014, son Bureau adresse au président de l’ANC une lettre
faisant l’éloge des progrès accomplis par l’ANC et demande la constitutionnalisation de garanties plus
solides en matière de protection des droits de l’Homme.
1020 Sur le rôle et les fonctions de la Commission de Venise, cf. G. MALINVERNI, « L’expérience de la
Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) », Revue universelle des
droits de l’homme,
1995, pp. 386-394.
1021 Le groupe de rapporteurs a également fait appel à un expert externe du Congrès des pouvoirs locaux et
l’analyse des provisions
rapporteurs sur
les
régionaux. Christian BEHRENDT devait aider
constitutionnelles relatives à la décentralisation.
239




Page 241
effectivement constaté
les standards
démocratiques et les droits de l’Homme. Cependant, ayant relevé des contradictions
1023, ils
texte constitutionnel avec
la compatibilité du
ont suggéré aux constituants de clarifier
les ambiguïtés de certaines dispositions
constitutionnelles. Mêmes si les constituants n’ont pas tenu compte de l’intégralité des
recommandations de la Commission de Venise, certaines dispositions ont été remaniées ou
intégrées dans la version finale de la Constitution
1024.
Bien qu’aucune visite de la Tunisie n’ait été effectuée par ces rapporteurs et que les autorités
tunisiennes n’aient pas formulé d’observations en réponse à l’avis, la Commission de
Venise
1025 a assisté les constituants tout au long du processus1026. En 2012, elle a organisé
plusieurs échanges sur le projet de Constitution et d’autres textes législatifs. De leur côté, les
membres de l’ANC ont effectué, les 29 et 30 mars 2012, une visite d’étude à Strasbourg et à
Karlsruhe
1027. Ces voyages ont permis aux membres de l’ANC, d’appréhender le droit et les
institutions des systèmes juridiques étrangers. Ils sont revenus en Tunisie avec plusieurs
principes, mécanismes et procédures dont l’efficacité avait été avérée. Il est évident que les
organisations nationales et internationales ont apporté un soutien logistique, technique et
juridique aux constituants mais, la Constitution tunisienne est un produit purement tunisien.
Certes les membres des commissions constituantes ont été conseillés par des experts
le
1022 Voir les observations de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de
Venise) sur le projet final de la Constitution de la République tunisienne, Avis 733/2013. Doc. CDL-AD
(2013)034
2018],

octobre
[en
https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL%282013%29034-f
.
[consulté
ligne],
juillet
2013,
1023 Il s’agit essentiellement de l’organisation des relations entre l’Etat et la religion, de la place accordée à
l’Islam dans la nouvelle architecture constitutionnelle et institutionnelle et de l’accès à la nouvelle Cour
constitutionnelle.
23
17
du
1024 Alors que le texte de l’avant-projet final du texte constitutionnel ne donnait qu'au président de la
République la compétence de déférer à la Cour constitutionnelle, un projet de loi pour un contrôle de
constitutionnalité, le texte final prévoit à l'article 120, l’accès de la Cour constitutionnelle à l’opposition. De
même, la Commission de Venise avait suggéré à l’ANC que les restrictions apportées aux droits
fondamentaux prévues à l’article 48 soient conformes au principe de proportionnalité et de nécessité dans
une société démocratique. Ces recommandations ont été intégrées à la version finale de l’article 49 de la
Constitution actuelle. Voir respectivement les paragraphes 175, 176 et 42 des observations de la
Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur le projet final de la
Constitution de la République tunisienne, Avis 733/2013. Doc. CDL-AD (2013)034 du 17 juillet 2013, [en
ligne],
2018],
https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL%282013%29034-f
.
[consulté
octobre
23
1025 L’avis des rapporteurs a été délivré en moins d’un mois. Publié le 17 juillet 2013, leurs observations ont été
adoptées par la Commission de Venise lors d’une séance plénière du mois d’octobre 2013. Pour plus de
précisions sur ce point cf. M. DE VISSER, “A Critical Assessment of the Role of the Venice Commission
in Processes of Domestic Constitutional Reform”,
American Journal of Comparative Law, Vol. 63(4),
2015, No. 4, p. 979.
1026 Pour mémoire, en avril 2013, le ministre des droits de l’Homme et de la justice transitionnelle a demandé à
la Commission de Venise d’analyser la loi prérévolutionnaire relative au Haut-Comité des Droits de
l’Homme et des Libertés Fondamentales.
le
1027 Cette visite fait l’objet d’une étude détaillée dans le dernier chapitre de cette thèse.
240



Page 242
nationaux et spécialistes du droit constitutionnel mais, ils se sont surtout servis de leurs
expériences personnelles pour intégrer dans le texte constitutionnel des techniques apprises de
leurs formations et séjours à l’étranger.
Paragraphe 2
L’importance des parcours individuels des constituants et le rôle
des spécialistes nationaux de droit constitutionnel
La Constitution tunisienne actuelle contient des droits et des libertés que l’on retrouve dans un
certain nombre de textes constitutionnels étrangers. A l’ère globale, les Hommes et les idées
circulent. Dans le contexte tunisien d’élaboration de la Constitution, il est intéressant de
relever que les constituants ont eux-mêmes élaboré le texte constitutionnel en y intégrant un
certain nombre de mécanismes inspirés de modèles constitutionnels étrangers. Le choix de
l’emprunt n’est donc pas uniquement dû à l’intervention des organisations nationales et
internationales, il est surtout le fait des constituants eux-mêmes. Leurs formations
universitaires et séjours d’étude à l’étranger, ont largement motivé l’ANC à suivre l’exemple
des modèles qui fonctionnent ailleurs et/ou qui sont réputés (A). Ces emprunts sont aussi dus
au rôle des experts constitutionnels des Facultés de droit tunisiennes (B). Auditionnés par les
Commissions constituantes, élus au sein de l’ANC ou œuvrant au sein d’organisations
nationales/internationales en marge du processus constituant, ils ont été inspirés par le droit
comparé et ont à leur tour, inspiré les constituants.
A.
L’impact des formations universitaires et séjours à l’étranger des constituants1028
L’étude des curriculums vitae des 217 élus à l’ANC révèle que plusieurs d’entre eux ont
effectué des formations universitaires ou des séjours d’études plus ou moins longs à
l’étranger. Certains se sont déplacés dans la région : onze députés d’Ennahdha ont suivi des
1028 Ce paragraphe est exclusivement basé sur une étude personnelle faite à partir d’une analyse des curriculums
vitae des 217 élus à l’ANC. Ayant pu trouver toutes les informations biographiques sur le site Majles
Marsad de l’ONG tunisienne AL BAWSALA, le travail a consisté à relever l’élément international du
parcours des constituants, la ou les langues étrangères pratiquées et l’intérêt plus ou moins marqué et porté
à la théologie et à l’Islam. Les éléments les plus marquants qui servent l’argumentation, seront exposés ici.
Le travail sur les biographies de chacun des élus ayant été conséquent, il ne peut être restitué dans son
intégralité en annexes à cette thèse.
241









Page 243
études ou poursuivi une carrière dans un pays arabo-musulman en Afrique et/ou en Orient1029.
Certains se sont réfugiés dans des pays musulmans voisins, comme l’Algérie
1030 ou la
Libye
1031, pour échapper à la répression des régimes autoritaires de BOURGUIBA et de BEN
ALI, d’autres encore, ont exploré l’Occident. L’analyse des biographies des 89 députés du
bloc parlementaire Ennahdha permet de relever que 18 d’entre eux ont fait des études dans un
pays occidental
1032 : la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie, le Canada ou
les Etats-Unis. Même si tous n’ont pas voyagé, certains
1033 ont effectué leurs études primaires
dans une école franco-arabe en Tunisie.
La formation scolaire dans une structure bilingue et/ou les études universitaires à l’étranger,
influencent
les schémas
traditionnels des constituants. Ces schémas nationaux de
représentation du monde et de la société varient pourtant d’un élu à l’autre. Karima SOUID,
élue de la circonscription de France 2 au sein du Bloc Démocrates, est née et a grandi en
France. Tunisienne d’origine, elle se fait la porte-parole des Tunisiens à l’étranger et milite en
faveur de la reconnaissance de la bi-nationalité et du principe d’égalité. Son identité, ses
acquis sociaux et culturels et, ses expériences personnelles et professionnelles ont façonné son
esprit et modelé ses engagements politiques. Le regard qu’elle porte sur la Tunisie
1034 est
radicalement différent de celui porté par un élu – théocrate ou même démocrate – né et ayant
exclusivement grandi dans le pays.
1029 Le bloc parlementaire Ennahdha est composé de 89 membres. Ces derniers sont classés par le site d’AL
BAWSALA. Le numéro qui précède le nom et le prénom du député est celui qui correspond à son
classement par l’
ONG nationale. Les députés nahdhaouis qui ont effectué des déplacements dans le monde
arabo-musulman sont : 20. Kamel BEN ROMDHANE (Maroc), 28. Habib ELLOUZE (Algérie), 38. Kamel
BEN AMARA (Qatar), 48. Ahmed MECHERGUI (Syrie), 55. Béchir CHAMMEM (Lybie, Soudan), 66.
Mohamed TAHAR TLILI (Oman), 72. Ameur LARAYEDH (Algérie), 73. Adel BEN ATTIA
(Mauritanie), 82. Abdelhalim ZOUARI (Algérie), 85. Salma SARSOUT (Maroc) et, Abdelmajid NAJAR
(Egypte, Qatar, Maroc, Emirats Arabes Unis, Algérie).
1030 C’est notamment le cas de : 28. Habib ELLOUZE et 72. Ameur LARAIEDH (Algérie).
1031 C’est le cas de : 55. Béchir CHAMMEM.
1032 Les dix-huit députés ayant étudié et/ou séjourné à l’étranger sont : 1. Néji JMAL (France), 2. Habib
BRIBECH (Etats-Unis), 3. Dalida BABA (France), 8. Zied LADHARI (France, Etats-Unis, Pays-Bas), 11.
Halima GUENI (France), 13. Walid BENNANI (Belgique), 18. Imen BEN MHAMED (Italie),
23. Meherzia LABIDI (France), 30. Ferjani DOGHMANE (France), 35. Béchir LAZZEM (France),
47. Oussama AL SAGHIR (Italie), 48. Ahmed MECHERGUI (France), 49. Ahmed SMIAI (France),
50. Fathi AYADI (Allemagne), 66. Mohamed TAHAR TLILI (France), 67. Mohamed ZRIG (Canada), 69.
Mohamed ESSGHAIER (France) et, 77. Zied DOULATLI (France).
1033 Classé 36ème par le site d’AL BAWSALA, Mohamed SAIDI a fait ses études primaires à Béja. Deux autres
députés n’appartenant à aucun bloc parlementaire ont également étudié dans des écoles franco-arabes. Il
s’agit de (17.) Tahar HMILA qui a entamé sa scolarité à l’école franco-arabe de Msaken et de (26.) Ahmed
Nejib CHEBBI qui a effectué son cycle primaire à l’école franco-arabe de l’Ariana.
1034 Celui d’une femme qui plus est binationale.
242




Page 244
Le cursus des constituants à l’étranger leur a permis de s’approprier des idées, des procédures
et des mécanismes ayant fonctionné dans leur pays d'études. Par ailleurs, l’ouverture sur
d'autres systèmes politiques se fait aussi grâce à l’apprentissage d’une ou de plusieurs
langues. Cette connaissance conduit les constituants à s’intéresser à une civilisation, une
culture, des concepts nouveaux donc différents du système juridique et linguistique tunisien.
Du fait du protectorat français, les constituants pour la plupart, maîtrisent le français et
certains d’entre eux ont un diplôme de langue étrangère qu'ils peuvent enseigner
1035. Tel est
notamment le cas de Béchir NEFZI du bloc CPR qui est diplômé d’une Maîtrise en chinois et
littérature chinoise de l’Institut Supérieur des Langues Vivantes de Tunis, d’un Master I en
études chinoises de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris et d’un
Master II en études asiatiques de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes de Paris.
D’autres ne connaissent que l’arabe et œuvrent pour sa diffusion. C'est le cas du député
Mourad AMDOUNI
1036 : membre du mouvement de la poésie du Chili et de l’Union des
Ecrivains arabes. Il a fondé plusieurs clubs littéraires et a participé à différents colloques en
Tunisie, en Irak, en Syrie, en Lybie, en Algérie et en Jordanie. Ses textes ont été enseignés à
l’Université de Bagdad et dans d’autres universités algériennes. Le prix maghrébin de la
poésie lui a été décerné en 1999 et le titre de poète de 2008 lui est attribué par Poètes Sans
Frontières. Mouldi RIAHI du bloc Ettakatol est lui aussi très actif. En coordination avec
l’enseignement de la langue arabe en France, il a participé à la réforme de son enseignement
dans les écoles françaises en Tunisie. En reconnaissance pour son travail, il a reçu en 2002
l’insigne de Chevalier de L’Ordre des Palmes académiques du ministère de l’Education
français. En œuvrant pour la diffusion des langues étrangères en Tunisie ou de l'arabe dans les
pays étrangers, les constituants ont voulu insuffler dans le ou les systèmes juridiques, de
nouvelles idées et manières de penser. La circulation de ces idées et le déplacement des
constituants ont grandement influencé l’élaboration et l’écriture du texte constitutionnel.
Engagés dans des organisations internationales ou régionales, certains élus ont été sollicités
par d’autres Etats, pour intervenir en tant qu’expert dans un domaine précis. C’est l’exemple
de Moncef CHEIKHROUHOU du bloc Alliance démocratique qui a été membre du Conseil
économique et social des Nations Unies et qui – à la demande du gouvernement chinois – a
1035 (7.) Jawhara TISS a une maîtrise en anglais, (16.) Amel AZZOUZ est agrégée en littérature anglaise et
parle français. De son côté, (59.) Mounira OMRI a enseigné le français pendant quinze ans avant d'être élue
à l’ANC.
1036 Député qui n’appartient à aucun bloc parlementaire.
243




Page 245
fondé puis dirigé le programme Executive MBA, destiné au patronat à Pékin. En ce qui
concerne Mohamed Elarbi Fadhel MOUSSA du Bloc Démocrates, ses fonctions sont
nombreuses : Professeur d’université, il est depuis 1992, l’invité de plusieurs universités
étrangères. Expert international auprès de multiples organisations internationales, il a été de
2004 à 2006, directeur des programmes et stages au sein de l’Organisation Internationale de
Droit du Développement à Rome
1037. Engagé dans plusieurs associations et organisations
nationales et internationales des droits de l’Homme, il participe à des conférences et forums
le droit et
internationaux sur
la science politique. Certains constituants se sont
personnellement investis dans une cause donnée
1038, d’autres sont politiquement actifs dans
une région du monde
1039. Il semble alors difficile voire impossible, de distinguer le rôle
d’expert du constituant « de son positionnement politique et institutionnel ainsi que de ses
convictions et engagements.
»1040
Il est donc logique de penser qu’à l’ère de la globalisation, les constituants nationaux étaient
les mieux à même d’introduire dans le texte constitutionnel des procédures importées et
empruntées à d’autres systèmes juridiques. Le recours à ces emprunts a été facilité par les
constituants, spécialistes du droit constitutionnel et des institutions politiques et par les
experts constitutionnels des Facultés de droit tunisiennes. Ces derniers agissaient dans le
cadre d’organisations nationales en marge des travaux de l’ANC.
B.
Le rôle des experts constitutionnels des Facultés de droit tunisiennes
Les experts constitutionnels travaillent généralement au sein d’universités, d’associations ou
de groupes de réflexion et les constituants cherchent à tirer parti de leurs connaissances du
droit constitutionnel et des institutions politiques. Les élus de l’ANC préfèrent solliciter des
1037 De 2006 à 2008, il s’était engagé au Caire, dans le centre régional arabe de l’organisation.
1038 Après des études en France, Mabrouka MBAREK élue du bloc CPR, a travaillé au Yémen puis aux Etats-
Unis, comme auditrice spécialisée dans le contrôle financier, la sécurité informatique et la gestion des
risques et de prévention de la fraude. Puis, elle s’est consacrée aux
ONG humanitaires et de droits de
l’Homme au Moyen-Orient.
1039 C’est le cas d’Amira MARZOUK qui n’appartient à aucun bloc. Membre du parlement africain depuis mai
2012, elle est le rapporteur de la Commission de justice et de droits de l’Homme de ce parlement. En
septembre 2012, elle a participé à la Commission d’investigation relative au litige entre le Nord et le Sud
Soudan en tant que représentante de la région Nord Afrique de ce parlement. En décembre 2012, elle a
participé à la mission spéciale d’observation des élections au Burkina Faso et en février 2013, à celle au
Kenya.
1040 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Le rôle de l’expertise dans la transition constitutionnelle », précit.,
p. 136.
244






Page 246
experts nationaux plutôt que des experts étrangers, pour leurs compétences techniques de
grande qualité et parce qu’ils peuvent « comprendre les réalités spécifiques du terrain
auxquelles ils sont confrontés.
»1041 Cependant, il n’est pas facile de distinguer les experts
nationaux des experts internationaux puisqu’ils se retrouvent souvent « dans les mêmes
réseaux internationaux professionnels, académiques ou autres, contribuant à intensifier cette
circulation du droit et de ses acteurs qui caractérise le monde actuel
»1042.
Ayant suivi de très près les projets de Constitution élaborés par l’ANC, l’Association
Tunisienne de Droit Constitutionnel (ATDC) a consacré une journée d’étude assortie de
propositions concrètes, à chaque version du texte constitutionnel. Même si certains de ses
membres ont été auditionnés par des commissions constituantes
1043, l’association en elle-
même n’a jamais pu intervenir de manière directe dans les travaux de l’ANC
1044. Ses activités
d’expertise en droit constitutionnel ont pourtant bénéficié aux constituants. L’exemple qui en
témoigne particulièrement, est le remaniement de l’article premier de la Constitution. Alors
que le Professeur Sadok BELAÏD se basait sur celui de la Constitution du 1
er juin 1959, les
Professeurs Yadh BEN ACHOUR, Fadhel MOUSSA et Slim LAGHMANI avaient proposé
de le modifier. « L’Association Tunisienne de Droit Constitutionnel, présidée par Farhat
Horchani, a joué un rôle important dans cette remise en cause : elle a été la première à
proposer de remplacer l’article premier par deux articles, un premier article consacré aux
questions d’ordre culturel et un second article qui aborde les enjeux normatifs et
juridiques.
»1045 Introduite dans l’avant-projet final du texte constitutionnel, la combinaison
de ces deux articles
1046 s’opposait pourtant à l’article 141 définissant les points qui ne
pouvaient pas faire l’objet d’amendements
1047. Cette contradiction a été soulevée par les
juristes de l’ATDC et de la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis. Ils
1041 C. CHAUVEL, C. RODRIGUES et, R. DE SILVA, « Réflexions sur l’élaboration des constitutions à
travers le monde : Etude comparative des bonnes pratiques et des enseignements tirés »,
in M. MARTINEZ
SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., p. 365.
1042 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Le rôle de l’expertise dans la transition constitutionnelle », précit.,
p. 139.
1043 Notamment l’audition du Professeur Slim LAGHMANI par la Commission des pouvoirs législatif, exécutif
et des relations entre eux.
1044 Le Comité des experts présidé par le Doyen Yadh BEN ACHOUR a pourtant proposé un projet de
Constitution à l’ANC.
1045 S. BELAÏD, « Un Etat dans la société. L’identité de l’Etat tunisien dans la Constitution », précit., pp. 392-
393.
1046 La formulation de ces deux articles a essentiellement été l’œuvre de Salsabil KLIBI et de Ghazi
GHERAÏRI.
1047 S. BELAÏD, « Un Etat dans la société. L’identité de l’Etat tunisien dans la Constitution », précit., p. 393.
245



Page 247
ont alors immédiatement proposé de former une commission d’experts en droit, chargée de
trancher le débat de la valeur normative des deux articles.
Qu’ils soient membres du Comité d’experts de l’ISROR ou de l’ATDC, les juristes qui
œuvraient en dehors de l’ANC, ont également facilité l’intégration ou la greffe d'éléments de
droit comparé, dans la Constitution et le système juridique national. « Tout en répondant aux
standards démocratiques, les différents outils qui sont mis à la disposition des constituants
ont une histoire propre. Ils sont apparus et se sont développés dans des contextes politiques,
économiques et culturels différents. Le pouvoir constituant doit donc mener en amont une
véritable étude de transposabilité et de compatibilité des outils qu’il va retenir. Leur réunion
hasardeuse peut s’avérer au mieux inefficace et au pire dangereuse.
»1048 Cette étude a été
menée par les spécialistes nationaux du droit constitutionnel et des institutions politiques. Elle
a été guidée par la volonté des experts d’aider les constituants à se conformer aux standards
constitutionnels globaux. Pour se faire, les experts nationaux étaient tenus de savoir ce qui a
fonctionné ou non « tant en termes de processus constitutionnel qu’en termes de contenu
constitutionnel.
»1049Au cours de l’entretien organisé à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis, Salsabil KLIBI a insisté sur l’apport de certains juristes à la
Constitution tunisienne. Il est intéressant d’en donner quelques exemples.
Les premières versions du texte constitutionnel contenaient des limitations spécifiques à
plusieurs droits et libertés
1050. Selma MABROUK, membre de la Commission des droits et
libertés et d'autres professeurs de droit, membres de l’
ATDC1051 à l’instar de Slim
LAGHMANI, « ont commencé, dès la première version, à faire pression sur la commission
pour intégrer une clause générale et pour éliminer les limitations spécifiques dans certains
articles.
»1052 Après que les experts nationaux aient étudié l’article 19 du Pacte International
1048 N. DANELCIUC-COLODROVSCHI, « L’incidence des influences constitutionnelles externes sur
l’écriture et l’adoption des constitutions postconflictuelles », précit., p. 122.
1049 C. CHAUVEL, C. RODRIGUES et, R. DE SILVA, « Réflexions sur l’élaboration des constitutions à
travers le monde : Etude comparative des bonnes pratiques et des enseignements tirés »,
précit., pp. 364-
365.
1050 Il s’agissait essentiellement de la liberté d’expression, de réunion, d’association ainsi que des libertés
syndicales.
1051 Par exemple, voir le rapport de l’Association Tunisienne de Droit Constitutionnel (ATDC) sur l’avant-projet
le 27 octobre 2018], http://www.fichier-
ligne], [consulté
final du
texte constitutionnel, [en
pdf.fr/2013/06/03/projet/preview/page/1/ (en arabe).
1052 A. GUELLALI, « La clause générale de limitation dans la nouvelle Constitution : Genèse, portée et défis »,
in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.)
Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., pp. 392-393.
1052 Ibid, p. 413.
246




Page 248
relatif aux Droits Civils et Politiques et les articles 8, 9, 10, 11 et 18 de la CEDH, un article
48 a été intégré dans l’avant-projet final du 1
er juin 2013. Cet article précise que « [l]a loi
détermine les limitations aux droits et libertés garantis dans cette Constitution ainsi que les
modalités de leur exercice d’une manière qui ne touche pas à leur substance. La loi protège
les droits d’autrui, l’ordre public, la défense nationale, ou la santé publique. Les instances
judiciaires veillent à la protection des droits et libertés de toute violation.
»1053 Du fait de leur
spécialité, les juristes des Facultés de droit étaient les mieux à même de formuler des articles
conformes aux standards constitutionnels globaux
1054. Ces formulations ont été prises en
compte et
intégrées dans
l’avant-dernière version du
texte constitutionnel. Puis,
conformément aux observations de la Commission de Venise et suivant la mise en place de la
Commission des consensus, les constituants ont modifié la formulation de la clause générale
de limitation des libertés. Ils ont intégré les remarques des rapporteurs internationaux et ont
exigé que « toute ingérence respecte le principe de proportionnalité et de “nécessité dans une
société démocratique”.
»1055 L’insertion de l’article 49 au sein de la Constitution est
l’exemple le plus caractéristique de l’apport et du rôle des experts constitutionnels nationaux.
Il est également intéressant de savoir que « Hafidha Chekir est celle qui a fait partie du
comité des experts formés par le Doyen Yadh Ben Achour et [qui] a insisté sur l’inscription de
l’article 46 et de l’égalité en droits de l’homme et de la femme.
»1056 Maître de conférences,
spécialiste des questions portant sur le principe d’égalité, elle a pleinement contribué à
1053 Ibid. Salsabil KLIBI affirme que « c’est le Professeur Slim Laghmani qui a introduit l’article 49 de la
Constitution. Il revient aux Pactes de 1968 et aux publications des premières versions de la Constitution
pour l’établir.
» Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis. La Tunisie a adhéré au
Pacte International relatif aux Droits
Civils et Politiques
en 1968, en vertu de la loi n° 68-30 du 29 novembre 1968, autorisant l’adhésion de la
Tunisie au
Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels et au Pacte
International relatif aux Droits Civils et Politiques.

1054 Il est intéressant de relever que les constituants ont également fait appel à des juristes qui ne sont pas
forcément des Professeurs des Facultés de droit. C’est l’exemple de Monsieur Nidhal MEKKI, ancien
conseiller au Parlement sous BEN ALI et à l’Assemblée Nationale Constituante de Tunisie. Dans son
article précité il affirme d’ailleurs que : «
L’assistance juridique interne est assurée par des juristes ou
conseillers travaillant au sein-même de l’assemblée constituante. Leur rôle est de conseiller les
constituants sur des questions juridiques de manière individuelle ou collective. Il va sans dire que ces
experts et conseillers doivent être des juristes très compétents, dotés d’une connaissance profonde de toutes
les branches du droit et en particulier du droit constitutionnel. Ils doivent, en outre, avoir des
connaissances en matière de légistique. Ils doivent être suffisamment nombreux pour répondre aux besoins
d’une assemblée comptant plusieurs dizaines d’élus.
» N. MEKKI, « Le processus constituant tunisien :
quels enseignements pour les pays de la région ? »,
précit., p.10.
1055 Voir le paragraphe 42 des observations de la Commission européenne pour la démocratie par le droit
(Commission de Venise) sur le projet final de la Constitution de la République tunisienne, Avis 733/2013.
le 23 octobre 2018],

juillet 2013,
Doc. CDL-AD
https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL%282013%29034-f
.
(2013)034 du 17
[consulté
ligne],
[en
1056 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
247



Page 249
l’élaboration et à l’adoption de la dernière version de l’article 46 de la Constitution. Il en est
de même du Doyen Yadh BEN ACHOUR « qui a insisté pour intégrer la liberté de
conscience au sein de l’article 6 ! Aucun expert international ne s’y est mêlé. Le Professeur
Xavier Philippe était chargé par une délégation du DRI
1057 et aidait les membres de l’ANC
puis de l’ARP.
»1058 La Constitution tunisienne, bien qu’inspirée par certains traités
internationaux et constitutions étrangères, est le produit des constituants élus, aidés par des
experts tant nationaux qu’internationaux. Si elle respecte les exigeances démocratiques
communément admises en droit intrrntaional, elle les adapte à la société et au système
juridique en Tunisie. Salsabil Klibi constate d’ailleurs que « les experts internationaux étaient
même surpris des avancées de la Tunisie et leur disaient (aux constituants) qu’ils avaient
atteint un bon point.
»1059
La volonté des Tunisiens de faire table rase du passé et d’élaborer un texte qui soit
typiquement "tuniso-tunisien" a donc été respectée.
1057 Democracy Reporting International (DRI) est une ONG internationale agissant en Tunisie au moment du
processus constituant.
1058 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
1059 Ibid.
248



















Page 250
CONCLUSION
Partagée entre l’universel et le particulier, la Constitution tunisienne s’insère dans le
mouvement du
constitutionnalisme global1060. Se conformant en grande partie aux standards
constitutionnels globaux, elle contient cependant, des caractéristiques identitaires qui
renvoient à des spécificités régionales et nationales particulières. La formulation vague et
ambiguë du préambule et des premiers articles du texte constitutionnel laisse une grande
marge d’interprétation aux interprètes authentiques et aux autorités politiques.
Lieu d’expression de l’identité, la Constitution actuelle est finalement respectueuse des droits
reconnus à l’Homme par l’Islam.
1060 Le constitutionnalisme global fait l’objet de la PARTIE II de cette thèse.
249






















Page 251
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Chapitre 2 Une identité constitutionnelle respectueuse des droits reconnus à l’Homme
par l’Islam
Aux premières revendications d’égalité et de justice sociale s’est ajoutée la protestation contre
la répression politique. Les Tunisiens exigeaient un régime démocratique qui leur assure les
libertés élémentaires et qui reconnaisse et préserve pleinement leur dignité. Consacrées par la
Constitution du 27 janvier 2014, les valeurs humaines que sont la dignité, la liberté et l’égalité
sont adaptées aux spécificités culturelles et aux valeurs arabo-musulmanes du peuple tunisien.
Bien que voulant se rattacher à l’ensemble de l’humanité, les constituants ne reconnaissent
que les seuls droits de l’Homme situé (Section 1). Dans l’objectif de ne pas dénaturer les
revendications de la révolution, les valeurs de dignité et de liberté devaient être
constitutionnalisées. Il en a été de même de l’égalité bien que la Constitution ne consacre
pleinement que l’égalité devant la loi. Les démocrates œuvrent actuellement pour la
reconnaissance législative de l’égalité en droits entre les Tunisiennes et les Tunisiens.
Même si les valeurs humaines sont adaptées aux spécificités culturelles des Tunisiens, elles
sont contenues dans les instruments internationaux approuvés et ratifiés par la Tunisie. Du fait
de la garantie des mêmes droits et libertés et de la constitutionnalisation d’un certain nombre
d’institutions, les systèmes constitutionnels convergent. Leur convergence est qualifiée par les
juristes nationaux ou/et
internationaux de constitutionnalisme global1061. Or,
la
constitutionnalisation des droits et libertés est le résultat de deux processus inter-liés de
l’internationalisation du droit. Les processus informels
1062 ayant été étudiés, il est temps
d’analyser
les processus formels (d’approbation et de ratification des
instruments
internationaux) qui conduisent à la convergence des droits et des libertés reconnus dans les
catalogues constitutionnels.
1061 Pour une définition exhaustive du constitutionnalisme global cf. le A. du I. de l’introduction générale de
cette thèse, relatif aux discours sur le constitutionnalisme global, p. 25.
1062 A savoir : l’apport de la comparaison des textes constitutionnels, le rôle des organisations nationales et
internationales, l’importance des parcours individuels des constituants et le rôle des spécialistes nationaux
de droit constitutionnel. Pour plus de précisions sur les éléments liés aux processus informels, cf. la
Section 2 du chapitre précédent relatif à
l’inspiration internationale du constituant, p. 228.
251






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Alors, afin de rattacher
janvier 2014 au mouvement du
constitutionnalisme global1063, il est intéressant de se pencher sur la valeur et les effets des
la Constitution du 27
conventions internationales dans l’ordre juridique interne (Section 2). Liée par un certain
nombre d’accords, la Tunisie est tenue de respecter ses engagements internationaux. Même si
un certain nombre de droits et de libertés a été définitivement entériné, il est essentiel de
savoir si le droit international des droits de l’Homme prime sur les dispositions
constitutionnelles. Dans l’attente de la mise en place de la Cour constitutionnelle, des
instances nationales
1064 ont été prévues pour garantir et protéger de manière efficace et
effective les droits et libertés des Tunisiens.
1063 L’expression tunisienne du constitutionnalisme global fait l’objet de la PARTIE II de cette thèse.
1064 Les instances constitutionnelles indépendantes du Chapitre VI de la Constitution, articles 125 à 130.
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Section 1
La consécration constitutionnelle des seuls droits de l’homme situe
En plus de revendiquer l’égalité et la justice sociale, les Tunisiens réclamaient les droits et
libertés inhérents à la dignité humaine. Base anthropologique de l’Etat constitutionnel
1065, le
contenu de la dignité humaine provient de « la culture d’un peuple et des droits universels de
l’humanité, vécue à travers l’individualité de ce peuple qui trouve son identité dans ses
traditions et expériences historiques, et exprime ses espérances à travers ses projets et sa
volonté d’organiser l’avenir.
»1066 Certes, les valeurs humaines de dignité1067 et de liberté sont
reconnues par le texte constitutionnel (Paragraphe 1) mais leur conception dépend de la
culture et des traditions
1068 tunisiennes. Il en est de même de l’égalité. La société tunisienne
reste de fait, conservatrice et patriarcale et seule l’égalité devant la loi a fait consensus à
l’ANC. Cependant, ce pays historiquement réformiste travaille sur des réformes législatives
qui tendent à reconnaître l’égalité en droits entre le Tunisien et la Tunisienne (Paragraphe 2).
Paragraphe 1
La reconnaissance des valeurs humaines de dignité et de liberté
Le 17 décembre 2010, le suicide du jeune vendeur ambulant Mohamed BOUAZIZI, a été
expliqué par l’humiliation qu'il a ressentie lorsque l’Etat en lui confisquant sa charrette, l’a
privé de son travail, donc de sa source de revenus. Au surplus, la policière Faida HAMDI le
giflant lors de l'interpellation, l’aurait publiquement déshonoré
1069. Sa dignité d'être humain a
pour lui, été bafouée par les pouvoirs publics et ce, à double titre : il perdait son droit à un
1065 Ce type d’Etat est composé d’éléments réels et idéaux qui visent à décrire un état "possible d’être" et un
état "optimal de devoir être" de l’Etat et de la société. Les divers éléments qui composent ce type d’Etat
sont d’après le Professeur Peter HÄBERLE, la dignité humaine, le principe de la souveraineté populaire, la
Constitution comme contrat social de base, le principe de la séparation des pouvoirs, le principe de l’Etat de
droit, la garantie des droits fondamentaux et l’indépendance des juridictions. Pour plus de précisions sur la
définition et les caractéristiques de l’Etat constitutionnel cf. P. HÄBERLE,
L’Etat constitutionnel, op.cit.,
249 p.
1066 Ibid., p. 11.
1067 La définition de la dignité fait l’objet du Paragraphe 1 qui suit.
1068 Qu’elles soient religieuses ou autres.
1069 Les rumeurs et l’indignation suscitées par l’acte de Mohamed BOUAZIZI sont à l’origine de ce mythe. La
policière n’aurait ni frappé ni insulté le jeune vendeur. Acquittée de toutes les charges retenues contre elle,
Faida HAMDI a livré à plusieurs reprises sa version des faits. Cette dernière prouve que les révolutions
contribuent à
inventer des mythes populaires. Pour plus de precisions sur ce point cf. F.
KHOSROKHAVAR,
The New Arab Revolutions that Shook the World, op.cit., p. 37.
253








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travail décent et à une vie digne. L’indignation populaire qui s'en est suivie, a servi de socle à
la transformation des révoltes sporadiques des régions périphériques en une révolution à
l’échelle nationale.
De fait, les revendications de justice et d’égalité sociales, les demandes répétées de libertés
économiques, civiques et politiques ne pouvaient aboutir sous le régime autoritaire de BEN
ALI. Bien que certains droits et libertés aient été constitutionnalisés, aucune garantie
constitutionnelle et/ou institutionnelle ne permettait la protection des individus en cas de
violation des droits de l’Homme. Dans la Constitution du 1
er juin 1959, l’Etat n'avait pas à
préserver la dignité de ses citoyens. Il fallait donc reconnaître constitutionnellement la dignité
pour se rattacher à l’ensemble de l’humanité (A). Une fois constitutionnalisée, la dignité
permettait la consécration de la plupart des droits découlant de la liberté (B).
A.
L’évidence de la dignité
Les slogans révolutionnaires des Tunisiens contenaient pour la plupart, le terme karamah,
c'est-à-dire "dignité". Ils réclamaient la reconnaissance pleine et entière de leur dignité d'être
humain et la consécration de l’intégralité de leurs droits de citoyens. Il est néanmoins
intéressant de se demander, comme le fait le Professeur Peter HÄBERLE, s’il existe « un
noyau de la dignité humaine indépendante des sphères culturelles.
»1070 En effet, la valeur
universelle de la dignité transmet à l’individu une certaine conception normative de la
personne
1071. Ainsi, « [o]n partira de la thèse selon laquelle l’ensemble des garanties des
droits personnels et des devoirs doit permettre à l’homme de devenir, d’être et de demeurer
une personne. Dans cette assurance d’être une personne et d’avoir une identité qui,
juridiquement organisée, protège le domaine de la vie de manière spécifique, la dignité
humaine occupe sa place centrale. La manière dont l’homme devient une personne donne
aussi des indications sur ce qu’est la dignité humaine.
»1072 Il est intéressant de savoir
comment le Tunisien est devenu une personne juridiquement protégée.
1070 P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, op.cit., p. 141.
1071 Ibid., p. 142.
1072 Ibid., pp. 141-142.
254







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Se sentant déshumanisé et déshonoré, M. BOUAZIZI se suicide par le feu en place publique.
Acte d’insurrection contre le régime politique, le suicide est contraire à l’Islam (1). Au-delà
des spécificités culturelles, le concept de dignité empêche l'objectification de l'être humain et
permet l’expression universelle de la promotion du sujet
1073. En sécularisant la notion de
karamah et en rendant les citoyens sujets de leurs actes, la nouvelle Constitution tunisienne
réalise pleinement la dignité humaine (2). Bien que cette notion soit déjà dans l’Islam et ses
bases, de sa reconnaissance constitutionnelle découlent plusieurs droits (3).
1. L’immolation par le feu de Mohamed BOUAZIZI : un acte contraire à l’Islam
Dans le monde musulman, le suicide est un acte qui traduit une rupture avec les préceptes
islamistes et qui reflète un haut degré de sécularisation de la société
1074. En effet, les Uléma
considèrent l’acte comme une violation du commandement divin selon lequel personne ne
peut s’ôter la vie. L’acte de M. BOUAZIZI est compris comme une profanation de la norme
religieuse fixée au verset 145 de la Sourate 3 Al-Imran, selon laquelle « [p]ersonne ne peut
mourir que par la permission d’Allah et au moment prédéterminé.
»1075 La mort ne peut donc
résulter que de la volonté souveraine d’Allah, de Dieu.
Quelle conséquence le suicide de M. BOUAZIZI a-t-il sur la représentation de l’Homme dans
les sociétés arabo-musulmanes secouées par le Printemps arabe ? En se donnant la mort, le
vendeur ambulant désacralise la vie. Ne bénéficiant pas d’un travail décent et de conditions de
vie dignes, son être et son existence n’ont plus de sens à ses yeux. Son corps est réifié. En se
détachant des commandements de la parole révélée, il devient le maître de sa destinée. Loin
d'adhérer à ce qui précède, l’imaginaire collectif a pris possession de son décès et a érigé le
jeune homme en martyr. Avant de revenir sur la notion de martyr, il est essentiel de rappeler
que son suicide est devenu un modèle de protestation sociale et a déclenché une série
1073 Ibid., p. 141.
1074In the Arab world, self-immolation by fire – particularly after the movements to Islamize society – is a
daring action, denoting a rupture with Islamist rhetoric and reflecting a high level of secularization.”
F.
KHOSROKHAVAR,
The New Arab Revolutions that Shook the World, op.cit., p. 208.
1075 Traduction du Coran en français [en ligne], [consulté le 4 décembre 2018], https://www.coran-
francais.com/coran-francais-sourate-3-0.html. Ce commandement religieux figure de manière plus explicite
au
verset 29 de la Sourate 4 An-Nisa qui ordonne « ne vous tuez pas vous-mêmes » et au verset 195 de la
Sourate 2 Al-Baqara, « ne vous jetez pas par vos propres mains dans la destruction. » Traduction du Coran
en français [en ligne], [consulté le 4 décembre 2018], https://www.coran-francais.com/coran-francais-
sourate-4-0.html et, https://www.coran-francais.com/coran-francais-sourate-2-0.html.
255







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d’imitations en Tunisie et dans les pays arabes1076. Le 22 décembre 2010, Houcine NEJI, un
jeune chômeur escalade le poteau d’une ligne à haute tension à Sidi Bouzid pour protester
contre le chômage massif des jeunes. Il meurt électrocuté et sa mort relance la révolte sociale
qui s’étend alors aux petites villes voisines, telles que Meknassy et Menzel Bouzaïane. A la
même période au Maroc, un jeune s’immole par le feu au cours d’un sit-in organisé par des
professeurs devant le ministère de l’Education à Rabat
1077. Les réactions en chaînes ne
s’arrêtent pas avant le décès de huit personnes et le renversement du régime BEN ALI
1078.
Les souffrances endurées avant la mort disparaissent devant les conséquences symboliques de
l’acte. D’une part, les hommes politiques et les régimes autoritaires en place perdent leur
immunité et doivent justifier les conditions de vie de leurs citoyens devant la communauté
internationale. D’autre part, des individus dont l’existence était inconnue, acquièrent une
reconnaissance post-mortem et la qualité de martyr. Qu’est-ce alors qu’un martyr ? La notion
conserve-telle encore un sens religieux ? Même si les Tunisiens célèbrent la mort héroïque de
M. BOUAZIZI
1079, il y a une déconnexion entre la connotation religieuse du terme et sa
signification populaire actuelle. Dorénavant, la mort que s’inflige un musulman est un acte
politique dont la portée religieuse est écartée, voire ignorée.
Il est intéressant de relever que « [s]ur le plan étymologique, l’expression souvent utilisée
dans les hadiths
1080 et dans la charia pour désigner la mort dans le chemin d’Allah est
chahada (martyre) et chahid (martyr). Dans le Coran, par contre, ces deux mots, utilisés sous
différentes formes et à cinquante-six reprises, désignent plutôt le témoignage, et non la mort
sacrée.
»1081 La notion de martyr a une double acception en Islam. Le sens général du terme
1076 Pour plus de précisions sur l’ensemble des suicides dans les pays arabes (tels qu’au Maroc, en Mauritanie,
en Algérie et en Arabie Saoudite) à partir de 2010 cf. F. KHOSROKHAVAR,
The New Arab Revolutions
that Shook the World, op.cit., p. 209.
1077 Ibid.
1078 L’immolation par le feu a même atteint certains Etats européens à l’exemple de l’Italie. Le 11 février 2011,
Noureddine ADNANE, un jeune Marocain de 27 ans s’est immolé à Palerme en Sicile, pour protester
contre la confiscation de sa marchandise par les autorités municipales. Il est décédé le 16.
1079 Des chansons et des vidéos ont été créées en son honneur. Une vidéo sur YouTube le déclare : « héros de la
nation tunisienne, fondateur de la démocratie
». Le chant d’un homme en dialecte tunisien accompagne des
images du jeune homme et des traductions françaises et anglaises de la chanson. Certains propos lui sont
attribués à l’exemple de : «
Le tumulte s’accroît ; avec un long fracas s’élancent des vaisseaux, des
barbares soldats. Partout plane la mort et le glaive homicide perce aux pieds des autels le héros intrépide.
Mohamed Bouazizi l’aigle porteur du feu, bienfaiteur de l’humanité, oiseau d’augure de bonheur.
» cf.
« Mohamed Bouazizi Héros Tunisian Révolution Tunisie Túnez سنوت ةروثلا » [en ligne], [consulté le 4
décembre 2018], https://www.youtube.com/watch?v=5Nir6FcXDM8&feature=related
.
1080 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Hadîths.
1081 A. DIZBONI, « Le concept de martyre en islam », Théologiques, 13(2), 2005, [en ligne], [consulté le 4
décembre 2018], https://doi.org/10.7202/013605ar, p. 71.
256




Page 258
renvoie à « l’intention du croyant et [à] la nature de ses actes sans que la mort survienne
obligatoirement sur un champ de bataille.
»1082 Ainsi, le décès d’une femme en couches est-il
qualifié de chahada. Autrement dit, tout acte qui provoque la mort peut entraîner la
qualification de chahid, s’il résulte d’un effort du croyant et de sa volonté d’atteindre un
objectif déterminé.
Le sens particulier du terme suppose par contre « la mort du croyant dans une guerre pour la
cause d’Allah (djihad). Dans les hadiths et dans la charia, le mot chahid renvoie souvent à
cette signification spécifique.
»1083 Même si ce sens est celui qui prévaut de nos jours, la
notion de martyr est devenue areligieuse depuis la mort de M. BOUAZIZI. En effet, dans les
Etats arabo-musulmans secoués par la vague révolutionnaire, le décès des individus par
immolation est un acte de protestation contre le régime autoritaire en place. Victime
d'exactions, le corps est réifié et devient le médium par lequel témoigner des injustices subies.
Etrangement, ce n'est pas celui qui se donne la mort qui revendique la position de martyr, c'est
la société elle-même qui la lui attribue, après l’acte. Détachés des considérations religieuses,
certains concepts généralement compris dans l’Islam et ses bases acquièrent depuis la
Révolution du Jasmin un sens plus séculier. Il en est ainsi de karamah, dignité.
2. La dignité de l’Homme dans l’Islam : entre sécularisation de karamah et
reconnaissance de la citoyenneté
Les slogans révolutionnaires des Tunisiens contenaient pour la plupart, le terme karamah1084
car ils réclamaient la reconnaissance de leur dignité d’être humain et la consécration de
l’intégralité de leurs droits de citoyens. Mais que recouvre exactement le concept de dignité
humaine ? Au croisement de la philosophie et du droit, l’acception moderne de la dignité
humaine
1085 vise « à caractériser un attribut intrinsèque à tout individu de par son insertion à
la collectivité humaine ; elle est dans l’ADN juridique de toute personne, sans même que
1082 Ibid.
1083 Ibid.
1084 Au singulier, le terme karamah en arabe signifie aussi la générosité.
1085 La conception moderne de la dignité humaine remonte à la Seconde Guerre mondiale. Pour plus de
précisions sur ce point cf. le 3. qui suit.
257






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chacun en soit nécessairement conscient. »1086 Inhérente à l’humanité de l’Homme1087, elle est
un concept abstrait, absolu et universel qui s’adresse à tout un chacun.
Longtemps réifiés par les régimes autoritaires de BOURGUIBA et BEN ALI, les Tunisiens
ont voulu adhérer à la définition de karamah déjà présente dans l’Islam, dans son acception
moderne. La notion de dignité étant appréhendée en fonction de la culture et des traditions
d’un peuple, il est essentiel d’étudier aussi, les premiers écrits qui y font référence, certains
versets du Coran. En envisageant les différentes acceptions, il sera plus aisé de comprendre la
condition de l’Homme en Islam et le type de société arabo-musulmane dans laquelle vivent
les Tunisiens.
A l'origine et dans l’Islam, karamah n'a pas la définition actuelle de la dignité humaine. Ses
significations sont multiples : elles varient d’un verset à l’autre du Coran et dépendent de
l’interprète et du contexte d’interprétation. Le verset 13 de la Sourate 17 Al-Hujurat par
exemple, avise les Hommes par la formule suivante : « Ô hommes ! Nous vous avons créés
d'un mâle et d'une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que
vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d'entre vous [de l’arabe
ْمُكَمَرْكَأ, akramakum],
auprès d'Allah, est
le plus pieux. Allah est certes Omniscient et Grand-
Connaisseur.
»1088 Traduit par le plus noble d’entre vous, le terme akramakum est le
superlatif de karim, qui a la même racine que karamah. Ceux qui disposent du plus haut degré
de karamah sont les plus pieux. Ce verset signifie qu’aucune distinction en termes d’ethnicité
ou de nationalité ne doit être faite entre les Hommes. Le seul élément anoblissant l’Homme
ou le dignifiant est la piété. Définie ici comme l’idéal de l’humanité, la dignité est baignée de
religiosité. Tous les versets qui emploient le terme karamah ne revêtent pourtant pas la même
signification.
1086 P. CASSIA, Dignité(s), Paris, Dalloz, collection Les sens du droit, 2016, p. 51.
1087 Ancrée dans l’idée du statut unique du genre humain, la dignité de la personne humaine porte en elle
quelque chose d’évident. Consubstantielle à l’Homme : la personne humaine en est dotée du seul fait de sa
naissance et ne peut jamais s’en défaire. La recherche des ingrédients principiels du concept de dignité
trouve son origine dans différentes traditions : la tradition sécularisée de l’image judéo-chrétienne de
l’individu, la doctrine philosophique éthique de Kant et, la conception moderne qui consiste en une
affirmation politico-morale de rejet du nazisme. Pour plus de précisions sur les conceptions religieuses,
kantienne et moderne de la dignité cf. « Chapitre 2. L’essence de la dignité de la personne humaine »,
in P.
CASSIA,
Dignité(s), op.cit., pp. 60-67.
َنْلَع َج َو ٰىَثنُأ َو ٍۢ
ٌريِب َخ ٌميِلَع َ
Coran [en ligne], [consulté le 4 décembre 2018], https://www.coran-francais.com/arabe/s-49-0.html.
1088 « ۚ ا ٓوُف َراَعَتِل َلِئٓاَبَق َو ا ًۭ
َّللَّٱ َدن ِع ْمُك َم َرْكَأ َّنِإ ًۭ
َنْقَل َخ اَّنِإ ُساَّنلٱ اَهُّيَأٓ
َي ۚ ْمُك ٰىَقْتَأ ِ
بوُعُش ْمُك ٰ
َّللَّٱ َّنِإ »
رَكَذ ن ِ
ّم مُك ٰ
258





ٰ
Page 260
Dans un autre verset le 70 de la Sourate 17 Al-Isra : « Certes, Nous avons honoré [de
l’arabe اَنْمَّرَك, karramna] les fils d'Adam. Nous les avons transportés sur terre et sur mer,
leur avons attribué de bonnes choses comme nourriture, et Nous les avons nettement
préférés à plusieurs de Nos créatures.
»1089 Le terme arabe karramna de ce verset est ici
traduit par honorer. Renvoyant au terme karamah, il aurait donc pu être traduit par dignifier
mais ici, l’Homme est honoré puisque Dieu a attribué la dignité aux descendants d’Adam avec
une prééminence sur d’autres créatures. Cette dignité est attribuée par Dieu à l’Homme et
aucune organisation politique ne peut par conséquent la lui dénier. Reconnaître ceci signifie
actuellement admettre que l’Homme est un citoyen à part entière.
L’explication de ce verset rejoint la définition attribuée à la notion de dignité par le Professeur
Farhad KHOSROKHAVAR. Selon lui, elle renvoie aux droits humains inaliénables et au
droit d’être citoyen. La citoyenneté
1090 signifierait alors, la prise en compte et le respect par
les autorités publiques du droit de vote. Ces dernières autorités devraient également respecter
le groupe d’individus qui constitue le peuple souverain
1091. Si le Coran consacre la dignité
humaine, les autocrates du monde arabo-musulman se sont éloignés des prescriptions de la
parole révélée. L’explication de ce verset par le Professeur Farhad KHOSROKHAVAR
conduit à penser que la dérive du régime politique en Tunisie a dénié la dignité humaine aux
Tunisiens, les a privés de leur souveraineté
1092 et de leurs droits, en tant que citoyens.
A préciser cependant, que le sens de la dignité donné par le Professeur Farhad
KHOSROKHAVAR est le résultat de deux processus interdépendants : la sécularisation de la
notion religieuse de
karamah1093 et l’import de l’Occident de l’idée de citoyenneté. Du fait de
l’immolation de M. BOUAZIZI, les Tunisiens se sont soulevés pour la reconnaissance de leur
dignité en tant qu’Hommes, l’exercice de leur souveraineté en tant que peuple et l’application
de leurs droits en tant que citoyens. Voulant inscrire leur Constitution au mouvement du
1089 «
لي ِضْفَت اَنْقَل َخ ْن َّم ِ
ًۭ
ّم ٍۢ
ري
ِثَك ٰىَلَع ْم
ُه ٰ
َنْلَّضَف َو ِت ٰ
َبِ
ّيَّطلٱ َن ِ
ّم مُه ٰ
َنْق َز َر َو ِر ْحَبْلٱ َو ِ
ّرَبْلٱ ىِف ْمُه ٰ
َنْل َم َح َو َمَداَء ٓىِنَب اَن ْم َّرَك ْدَقَل َو
ligne], [consulté le 4 décembre 2018], https://www.coran-francais.com/arabe/s-17-0.html.
» Coran [en
1090 Pour une définition exhaustive du concept de citoyenneté cf. le Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE II de
cette thèse relatif à un Etat « civil » pour un peuple musulman, p. 435.
1091 “The notion of dignity, meaning inalienable human rights and the right to be a citizen whose vote should be
respected and whose collective group constitutes the sovereign people, is new in the Muslim word.”
F.
KHOSROKHAVAR,
The New Arab Revolutions that Shook the World, op.cit., p. 64.
1092 Même si Dieu est souverain en Islam, le peuple était théoriquement souverain sous l’empire de la
Constitution du 1
er juin 1959. Cf. le 2. du A. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre I de la
PARTIE I de cette thèse, relatif à
l’adaptation de l’Islam à la conception occidentale de la souveraineté,
p. 75.
1093 Comprise dans l’Islam comme l’attribution par Dieu de sa dignité à l’Homme.
259




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constitutionnalisme global, les constituants devaient réaliser « la dignité humaine en rendant
les citoyens sujets de leurs actes. La dignité humaine retrace en ce sens l’évolution telle
qu’elle s’est développée et est en train de se développer du rapport citoyen/Etat (et compte
tenu de l’effacement de la séparation entre l’Etat et la société, du rapport Etat/société-
citoyen).
»1094 Non seulement la mort intentionnelle que s’inflige un musulman n’est plus en
lien avec la religion mais la dignité humaine n’est plus attribuée par Dieu à l’Homme. Elle
suppose dorénavant l’établissement d’un Etat constitutionnel
1095 qui préserve les droits
inaliénables de l’Homme et ceux du citoyen. En consacrant les différentes générations des
droits de l’Homme, la Constitution du 27 janvier 2014 représente l’Homme en tant
qu’individu digne et sujet de droits
1096.
3. La reconnaissance constitutionnelle des droits découlant de la dignité
Le catalogue des droits consacrés par le Chapitre II de la Constitution du 27 janvier 2014 est
particulièrement important. Il contient 28 articles
1097 et consacre les droits des quatre
générations. La nouvelle Constitution adhère aux standards internationaux et à l’universalité
des droits de l’Homme, tout en les tempérant par des spécificités culturelles propres aux
Tunisiens
1098. De la sorte, « nous pourrons considérer l’homme dans son unité et sa diversité
et partager l’avis de Monsieur Mohamed Bedjaoui, qui estime que la conception, l’exercice et
la jouissance des droits de l’Homme, ne peuvent pas se faire de la même manière partout
dans le monde. Les droits de l’Homme sont influencés par plusieurs phénomènes spécifiques,
ayant un caractère historique, politique, économique et culturel.
»1099 Il en est ainsi des droits
découlant de la dignité. Bien que la constitutionnalisation de ces droits soit le résultat d’un
1094 P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, op.cit., pp. 142-143.
1095 Concept élaboré par la doctrine italienne et allemande. Voir surtout P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel,
op.cit.,
249 p. Cette forme d’Etat se répand à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale en parallèle
avec une protection internationale accrue des droits de l’Homme. Pour plus de précisions sur ce point, cf. T.
GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” »,
précit.,
pp.7-25.
1096 “From this perspective, the current meaning of karamah, the dignity of a person as a citizen, is related to
the individuation process and the legal recognition of a person as a judicial entity and, more so, an
awareness of the inviolable nature of a person that should be recognized as such by government.”

F. KHOSROKHAVAR,
The New Arab Revolutions that Shook the World, op.cit., p. 65.
1097 Articles 21 à 49 de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014.
1098 Ne seront envisagés ici que les seuls droits qui découlent de la dignité humaine.
1099 M. BEDJAOUI, « La difficile avancée des droits de l’Homme vers l’universalité », R. U. D. H., Vol. 1,
1989, pp. 5-13. Voir également le texte n° 32 de R. BEN ACHOUR, « Les Droits de l’Homme :
Universalité ou spécificités ? », Congrès mondial de l’Association Internationale de Droit Constitutionnel,
Rotterdam, 13-17 juillet 1999,
in D. JAZI, R. BEN ACHOUR, S. LAGHMANI (dir.), Les Droits de
l’Homme par les textes,
Tunis, Centre de Publication Universitaire, 2004, pp. 126-134.
260





Page 262
processus historique et culturel propre à la Tunisie, le manque d’unité en matière de définition
de la dignité et, sa formulation en des termes généraux dans les textes internationaux relatifs
aux droits de l’Homme, accentuent le potentiel d’universalité des droits qui en découlent.
Avant d’évoquer ces droits dans le contexte tunisien, il convient de rappeler la façon dont le
droit international a pris en compte la dignité.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’ampleur des atrocités commises par les
acteurs politiques et les agents de l’Etat pousse la communauté internationale à traduire
l’injonction morale «
plus jamais ça ! »1100 en termes juridiques. L’impact des horreurs de la
période 1939-1945 provoque une prise de conscience de la dignité, substance normative des
droits de l’Homme. Jusque-là, la dignité n’était pas explicitement consacrée dans les textes
internationaux relatifs aux droits de l’Homme et n’avait pas vocation à être appliquée en tant
que telle. Demander le respect d’un droit fondamental revenait à se prévaloir de la valeur de
dignité dont il procède. Concept universel, la dignité a pourtant été formalisée dans de
multiples textes juridiques internationaux.
Depuis 1946, une vingtaine de conventions internationales relatives aux droits de l’Homme
font référence à la dignité
1101. La première d’entre elle est la Charte des Nations Unies du 26
juin 1946. Dans son préambule, elle affirme la résolution des peuples des Nations Unies à
« proclamer à nouveau [leur] foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et
la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits de l’homme et des femmes, ainsi
que des nations, grandes et petites. » Si le mot dignité entre ainsi dans le vocabulaire
1100 P. CASSIA, Dignité(s), op.cit., p. 65.
1101 Parmi les plus importantes figurent :
-
Le préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 qui énonce que
«
la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits
égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde
», et
l’article 1
er qui précise que « tous les êtres humains naissent libres et égaux dans la dignité et en droits » ;
Le préambule du
Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques et du Pacte International relatif
aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels
du 16 décembre 1966 qui énonce que les droits égaux et
inaliénables de tous les membres de la famille humaine «
découlent de la dignité inhérente à la personne
humaine
». L’article 10 du premier pacte et l’article 13 du second pacte renvoient également à la notion de
dignité ;
L’article 5 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 28 juin 1981 qui énonce que
« tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de
sa personnalité juridique
» ;
Le préambule de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 qui affirme
que «
l’Union se fonde [notamment] sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de
liberté, d’égalité et de solidarité
».
-
-
-
261




Page 263
juridique, il n’est pas encore un droit applicable et opposable1102 en tant que tel mais un guide
d’interprétation des garanties reconnues à l’Homme, par les différentes conventions.
Cette conception de la dignité comme écrin des droits fondamentaux est notamment reprise
par la DUDH du 10 décembre 1948 et, par le PIDCP du 16 décembre 1966. La DUDH élève
en effet, la dignité au rang des valeurs universelles au fondement de la communauté humaine.
Le préambule et l’article premier de la Déclaration évoquent la dignité sans en donner une
définition, alors que les autres articles énumèrent et précisent la teneur des droits et libertés de
l’Homme. A la différence des droits fondamentaux subjectifs, la dignité est encore dépourvue
de portée juridique. Sa substance et son contenu restent inconnus. « Même après avoir été
affirmé dans des déclarations internationales, le principe de dignité ne fut cependant pas
encore perçu comme autonome et opératoire, c’est-à-dire susceptible d’être invoqué
directement devant les tribunaux.
»1103 La définition de la dignité est délicate1104 et son
contenu dépend de l’interprétation
1105 et de la culture d’un peuple.
De manière générale, la dignité permet de mesurer juridiquement la valeur des êtres humains
et d’énoncer les traitements inacceptables qu’ils peuvent subir. Elle exige de sauvegarder
l’Homme de l’asservissement et de la dégradation par exemple. Cette affirmation rappelle la
conception kantienne de la dignité
1106. Selon Kant, l’Homme doit rester maître de son être ;
d’une part, chaque individu est tenu d’agir en considérant l’humanité comme une fin et non
comme un moyen ; d’autre part, les êtres humains sont hors du champ mercantile car – du fait
de leur dignité – ils ne peuvent être réifiés. Ces deux sens donnés à la dignité vont amener la
consécration de multiples droits dans les conventions internationales relatives aux droits de
l’Homme.
1102 Compris dans le sens où une personne a la possibilité d’en demander l’application ou/et la sanction.
1103 M. FABRE-MAGNAN, « Dignité humaine »,
in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, H. GAUDIN,
J.-P. MARGUENAUD, S. RIALS et F. SUDRE (dir.),
Dictionnaire des Droits de l’Homme, Paris, P.U.F.,
2008, 1
ère édition, p. 286.
1104 Alors que le terme ne figure pas dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme du 4 novembre
1950, la Cour européenne des droits de l’Homme a reconnu dans plusieurs arrêts que la dignité est
l’essence même de la Convention. Cf. C.E.D.H., arrêt du 22 novembre 1995,
C.R. c/ Royaume-Uni, req.
n° 20190/92 et, C.E.D.H., arrêt du 22 novembre 1995, S.W. c/ Royaume-Uni, req. n° 20166/92 à propos du
viol d’une femme par son époux. Voir également C.E.D.H., arrêt du 29 avril 2002,
Petty c/ Royaume-Uni,
req. n° 2346/02.
1105 M. FABRE-MAGNAN, « Dignité humaine », précit., p. 287.
1106 Ibid.
262





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Il ne doit donc pas échapper à la manière nationale – tunisienne ou autre – que les concepts
juridiques tel que la dignité et les droits et libertés qui en découlent, reposent sur « des
précompréhensions elles-mêmes fondées sur des valeurs, croyances et pratiques culturelles
diverses.
»1107 Ces précompréhensions sont en partie fondées sur la conception kantienne de la
dignité et, largement inspirées de l’histoire européenne.
Socle des droits fondamentaux, la dignité ne devient un droit applicable et opposable qu’à
partir de l’adoption de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le chapitre
premier de la Charte consacre cinq articles à la dignité. « Alors que le premier d’entre eux
reprend la proclamation solennelle et générale selon laquelle la dignité humaine est
inviolable, les suivants la déclinent en droits identifiables : droit à la vie et interdiction de la
peine de mort (article 2) ; droit à l’intégrité de la personne, qui implique en particulier
l’interdiction du clonage humain, des pratiques eugéniques ayant pour but la sélection des
personnes et de la vente de tout ou partie du corps humain (article 3) ; interdiction de la
torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (article 4) ; interdiction de
l’esclavage et du travail forcé (article 5).
»1108 Alors que la dignité est indérogeable et
inviolable, les droits fondamentaux qui en découlent peuvent être limités pour des raisons
d’intérêt général. Le noyau dur des droits qui constitue la substance de la dignité est composé
du droit à la vie, de l’interdiction de la torture, des traitements inhumains ou dégradants et, de
l’interdiction de l’esclavage. Ce noyau est centré sur l’idée que l’Humain ne peut être réifié
dans sa chair et/ou dans son esprit par l’action d’un tiers ou la sienne
1109.
Or, comme l’affirme Mohamed BEDJAOUI, la conception, l’exercice et la jouissance de ces
droits ne peuvent pas se faire de la même manière partout dans le monde
1110. Avant de savoir
si la Constitution du 27 janvier 2014 consacre ces droits et si le législateur les restreint, il est
essentiel de se pencher sur la conception constitutionnelle de la dignité en Tunisie. Le
préambule de la Constitution du 1
er juin 1959 proclame la volonté du peuple de « consolider
l’unité nationale et de demeurer fidèle aux valeurs humaines qui constituent le patrimoine
commun des peuples attachés à la dignité de l’Homme ». L’expression patrimoine commun
1107 M.-C. PONTHOREAU, « “Global Constitutionalism” un discours doctrinal homogénéisant. L’apport du
comparatisme critique », précit., pp. 123-124.
1108 P. CASSIA, Dignité(s), op.cit., p. 113.
1109 L’article 15 de la CEDH permet aux Etats de déroger à l’application de certains droits en cas de crise, à
l'exception de trois droits inhérents par essence, à la dignité de la personne : le droit à la vie, l’interdiction
de la torture, des traitements inhumains ou dégradants et, l’interdiction de l’esclavage.
1110 M. BEDJAOUI, « La difficile avancée des droits de l’Homme vers l’universalité », précit., pp. 5-13.
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des peuples renvoie à l’Histoire mondiale en général et à l’histoire européenne en particulier.
Les enseignements de la Seconde Guerre mondiale sont partagés par les peuples du monde
qui héritent également du concept de dignité. Bien que le préambule de la Constitution du 27
janvier 2014 évoque les valeurs humaines et, place « l’Homme en tant qu’être doué de
dignité » avant la consolidation de l’ « appartenance culturelle et civilisationnelle à l’Ummah
arabe et islamique », aucune référence n’est faite au patrimoine commun des peuples attachés
à la dignité de l’Homme. La conception constitutionnelle de la dignité est certainement
impactée par les spécificités culturelles et les valeurs arabo-musulmanes du peuple tunisien.
Nonobstant, le Chapitre II de la Constitution du 27 janvier 2014 consacre le noyau dur des
droits qui constitue la substance de la dignité. Considéré comme sacré par l’article 22 de la
Constitution, le droit à la vie interdit les atteintes au corps et à l’esprit. L’emploi du terme
"sacré" n’est pas anodin. Il renvoie à la conception de l’Homme dans l’Islam. Crée à l’image
de Dieu, l’Homme ne peut se donner la mort, celle-ci est l’œuvre du divin. « Ainsi, ni
l’avortement, ni le libre choix de sa mort ne sauraient être autorisés.
»1111 Cependant, il peut
être porté atteinte à ce droit «
dans des cas extrêmes fixés par la loi. »1112 En l'occurrence,
l’
Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) légalisé en 1963, est un acte gratuit1113. Quant à
la peine capitale, « [a]u lieu d’être abolie, la peine de mort est maintenue bien que la Tunisie
ne l’ait plus appliqué depuis 1991.
»1114 Il est donc légal d'interrompre la vie ou plus crûment,
de tuer, que ce soit en pratiquant l'avortement qui peut non seulement protéger la femme mais
lui permettre aussi de disposer librement de son corps ou en utilisant la peine de mort comme
sanction définitive d'un crime. Dans ces circonstances, comment le législateur peut-il
respecter la dignité humaine s'il peut porter atteinte au droit à la vie ?
1115 Ne viole-t-il pas la
clause générale de limitation prévue à l’article 49 de la Constitution
1116 ?
1111 R. BEN ACHOUR, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », précit., p. 791.
1112 Article 22 de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014.
1113 Article 214 du Code pénal (modifié par la loi n° 65624 du 1er juillet 1965 et par le décret-loi n° 73-2 du
2 septembre 1973, ratifié par la loi n° 73-57 du 19 novembre 1973) : «
L’interruption artificielle de la
grossesse est autorisée lorsqu’elle intervient dans les trois premiers mois dans un établissement hospitalier
ou sanitaire ou dans une clinique autorisée, par un médecin exerçant légalement sa profession.
Postérieurement aux trois mois, l’interruption de la grossesse peut aussi être pratiquée, lorsque la santé de
la mère ou son équilibre psychique risquent d’être compromis par la continuation de la grossesse ou
encore lorsque l’enfant à naître risquerait de souffrir d’une maladie ou d’une infirmité grave. Dans ce cas,
elle doit intervenir dans un établissement agréé à cet effet.
» Les débats sur l'abolition de la peine de mort
ont amené une partie des membres de la Commission des droits et libertés à comparer la peine de mort à
l’IVG. La légalisation de l’IVG dans certains pays européens les conduisait à penser qu’en fonction du
contexte culturel propre à la Tunisie, la peine de mort serait légale.
1114 R. BEN ACHOUR, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », précit., p. 790.
1115 Au moment des débats constituants, les membres de la Commission des droits et libertés s’opposaient sur la
suppression de la peine de mort. Alors que pour certains, la peine de mort est contraire aux principes de
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Les constituants auraient dû prévoir une disposition qui interdise la peine de mort pour les
crimes de droit commun et les délits politiques. Certes, la peine de mort est déjà interdite pour
les femmes enceintes et les mineurs, par les instruments internationaux ratifiés par la
Tunisie
1117, mais il aurait fallu que les articles de la Constitution en disposent de manière
explicite. Le maintien – qu’il soit constitutionnel ou législatif
1118 – même informel de la peine
de mort, contredit les avancées de la Tunisie en matière de droits fondamentaux. Reste que
conformément aux dispositions de l’article 49, « [l]es instances juridictionnelles se chargent
de la protection des droits et libertés contre toute violation.
»1119
S’agissant du droit à l’intégrité de la personne, l’article 23 de la Constitution prévoit
que « [l]’Etat protège la dignité de l’être humain et son intégrité physique et interdit la
torture morale ou physique.
»1120 Du fait de la ratification le 23 septembre 1988 de la
Convention des Nations Unies contre la torture ou autres peines et traitements cruels,
inhumains ou dégradants
1121, l’article 23 a fait l’unanimité des députés et ce, dans toutes les
versions de Constitution élaborées par l’ANC. « En se fondant sur les instruments
internationaux des droits de l’homme ratifiés par la Tunisie, cela emporte, en toute logique,
l’interdiction de l’esclavage, le travail forcé, la traite des êtres humains, en particulier les
personnes vulnérables tels que les femmes, les enfants, les réfugiés, les personnes
handicapées ainsi que l’interdiction de l’exploitation sexuelle et commerciale, l’interdiction
de l’utilisation du corps humain dans la médecine à des fins de profits, etc.
»1122 Bien que les
conventions internationales ratifiées par la Tunisie donnent des indications sur les différents
pardon et de tolérance intrinsèques à l’Islam ; pour d’autres, elle est l’application de la loi du talion, prévue
dans le
Coran.
1116 La clause générale de limitation prévue à l’article 49 de la Constitution, définit un noyau essentiel de droits
inviolables. Pour plus de précisions sur ce point cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 2 du
Titre I de la PARTIE II de cette thèse, relatif à
l’expression tunisienne du constitutionnalisme
transformateur
, p. 382.
1117 Il s’agit essentiellement de l’article 6 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques dont la
Tunisie fait partie depuis 1969 et de la Convention internationale sur les droits de l’enfant ratifiée le
30 janvier 1992. Depuis le 22 avril 1983, la Tunisie est aussi tenue de respecter la Charte africaine des
Droits de l’Homme et des Peuples et depuis le 16 juin 1995, la Charte africaine des droits et du bien-être de
l’enfant.
1118 L’article 43 du Code pénal tunisien interdit l’application de la peine de mort aux mineurs de dix-huit ans.
Cette peine est remplacée pour les 13 – 18 ans, par une peine de dix ans de prison ferme.
1119 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 49, deuxième alinéa.
1120 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 23.
1121 Convention du 10 décembre 1984.
1122 R. BEN ACHOUR, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », précit., pp. 785-786.
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types d’atteinte à la dignité humaine et à l’intégrité physique et morale de la personne, la
détermination de la nature des atteintes revient au législateur et au juge national.
L’adhésion de la Tunisie le 29 juin 2011 au Protocole facultatif1123 de ladite Convention
conduit les constituants à ajouter dans l’article 23, une phrase qui fait de la torture un crime
imprescriptible. D’ailleurs, afin de se conformer à l’article 3 du Protocole qui incite les Etats
signataires à mettre en place un mécanisme national de visite chargé de prévenir la torture, les
députés à l’ANC adoptent la loi organique n° 2013-43 du 23 octobre 2013, relative à
l’Instance nationale pour la prévention de la torture
1124. Pour autant, si la Constitution
préserve le droit à l’intégrité de la personne et condamne le crime de torture, le traitement des
personnes de couleur en Tunisie est manifestement contraire à la dignité humaine. Or, un
« traitement peut être considéré par certains pouvoirs publics comme constitutif d’une
atteinte à la dignité humaine, alors qu’ailleurs dans le monde ce comportement ou cette
activité – éventuellement insultant, détestable, inapproprié ou violent – serait toléré.
»1125
Ayant été le premier pays arabo-musulman à avoir aboli l’esclavage1126, la Tunisie d’ancien
régime ne disposait d’aucun texte juridique qui protège les Tunisiens ou les étrangers résidant
en Tunisie des discriminations commises à leur égard. Ni la Constitution du 1
er juin 1959, ni
les lois n’appréhendaient ou ne réprimaient les agissements individuels et/ou collectifs,
universellement prohibés au nom de la dignité. Ces agissements constitués de différents types
de discriminations compartimentent ou hiérarchisent les êtres humains en fonction de leur
couleur, de leur nationalité, de leur croyance, de leur sexe, de leur orientation politique ou
philosophique. Selon l’article 21 de la Constitution actuelle : « Les citoyens et les citoyennes
sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination. L’État
garantit aux citoyens et aux citoyennes les libertés et les droits individuels et collectifs. Il leur
assure les conditions d’une vie digne.
»1127 Mais, ce n’est que le 9 octobre 2018 que
1123 Protocole du 18 décembre 2002.
1124 JORT, n° 85, 25 octobre 2013, pp. 3075-3078.
1125 P. CASSIA, Dignité(s), op.cit., p. 114.
1126 L’esclavage est aboli en Tunisie depuis le décret beylical du 23 janvier 1846. Le décret beylical du 29 mai
1890 a regroupé par la suite tous les textes relatifs aux pratiques esclavagistes. Depuis le 7 novembre 2017,
l’expérience tunisienne de l’abolition de l’esclavage de 1841 à 1846 est inscrite au registre « Mémoire du
Monde » de l’
UNESCO. Pour plus de précisions sur ce point, cf. « L’abolition de l’esclavage en Tunisie,
inscrite sur le “Mémoire du Monde” de l’UNESCO », Business News [en ligne], publié le mercredi 8
le 13 décembre 2018], http://www.businessnews.com.tn/labolition-de-
novembre 2017, [consulté
lesclavage-en-tunisie-inscrite-sur-le—mémoire-du-monde—de-lunesco,520,75914,3.
1127 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 21.
266




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l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) a adopté la loi organique n° 11 de 2018
relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
1128 dont les premières
victimes sont les personnes de couleur.
Certes, elles disposent dorénavant d’une protection législative mais jusqu’à présent, aucune
plainte et aucune action en justice pour discrimination raciale n’a abouti. Deux mois
seulement après l’adoption de cette loi, un Ivoirien du nom de Falikou COULIBALY était
mortellement poignardé à Tunis
1129. Aux crimes et délits de discrimination raciale s’ajoutent
des signes évidents de ségrégation : les élèves noirs des écoles primaires et secondaires à Sidi
Makhlouf doivent prendre des bus scolaires différents de ceux occupés par des élèves
blancs
1130. Qu’elles soient Tunisiennes ou autres, les personnes de couleur en Tunisie
subissent fréquemment des vexations physiques ou verbales
1131. Si les pouvoirs publics
considèrent actuellement certains traitements comme constitutifs d’une atteinte à la dignité
1128 Afin de conforter l’égalité en droit, la loi n° 2018-50 du 23 octobre 2018 relative à l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale a été promulguée au
JORT n° 86 du 26 octobre 2018. Cette loi vise à
éliminer toutes les formes et manifestations de discrimination raciale pour protéger la dignité humaine et
réaliser l’égalité entre les individus. Cette loi comprend deux volets. Alors que le premier volet de la loi
vise à sensibiliser et à diffuser la tolérance et l’acceptation de l’autre, le deuxième volet réprime les
infractions de discrimination raciale. «
A cet égard, loi prévoit un dispositif spécial pour la répression des
infractions de discrimination raciale. Les plaintes sont déposées auprès du procureur de la République ou
du juge cantonal compétent et elles sont inscrites dans un registre spécial. Pour accélérer le jugement de
l’affaire, la loi prévoit que la phase d’instruction ne doit pas dépasser les deux mois à partir de la date de
l’enregistrement de la plainte. Les peines prononcées par le tribunal peuvent concerner aussi bien les
personnes physiques que les personnes morales.
» Democray Reporting International, rapport sur la mise
en œuvre de la Constitution tunisienne au niveau du cadre juridique, 10
ème édition, 31 mars 2020, [en ligne],
[consulté le 12 octobre 2020], https://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2020/09/2020-09-09-
TN_FR-rapport-semestriel-2020-03.pdf, p. 26. La loi prévoit également la création d’une Commission de
lutte contre la discrimination raciale rattachée au ministère chargé des Droits de l’Homme.
1129 S. MOSBAH, « Racisme : “La Tunisie doit proclamer son africanité !” », Le Monde Afrique [en ligne],
publié le samedi 29 décembre 2018, [consulté le 6 janvier 2019], https://www.lemonde.fr/afrique/
article/2018/12/29/racisme-la-tunisie-doit-proclamer-son-africanite_5403434_3212.html?fbclid=IwAR3N
BWs0KMvuc3Q0GoaUt1OzVW-BcRE8aLHzUrNjp5STLMwJZW2cRZqEe2k#. Le lendemain du crime,
le ministre chargé des Droits de l’Homme a reçu les membres de la famille de la victime et la justice a
appréhendé les cinq individus impliqués dans l’agression. Au cours de la garde à vue, l’identité du
meurtrier a été révélée. Bien que le motif raciste du crime n’ait pas clairement été identifié, ce meurtre a
permis de relancer la mobilisation contre le racisme dans l’espace public en Tunisie. Pour plus de
précisions sur ce point cf. S. ATTIA, « Meurtre de Falikou Coulibaly en Tunisie : l’association des
Tunisiens en Côte d’Ivoire rejette les amalgames »,
Jeune Afrique [en ligne], publié le vendredi 28
décembre 2018, [consulté le 1
er janvier 2020], https://www.jeuneafrique.com/696284/societe/meurtre-de-
falikou-coulibaly-en-tunisie-lassociation-des-tunisiens-en-cote-divoire-rejette-les-amalgames/.
1130 Même si aucun document officiel ne rapporte ces faits, le reportage mentionné ci-après prouve leur
véracité : « Racisme en terre d’Islam – Être Tunisien noir, le racisme au quotidien » [en ligne], [consulté le
21 février 2018], https://www.youtube.com/watch?v=z9zgpcwMoFo (en anglais).
1131 Idem avec le reportage « Nuances – Documentaire Racisme Tunisie – 2016 » [en ligne], [consulté le 21
février 2018], https://www.youtube.com/watch?v=6smLYPr-HaA.
267



Page 269
humaine et légifèrent dans ce sens, la société civile est en charge d’éduquer et de faire évoluer
les mentalités
1132.
Bien que la jouissance et l’exercice des trois droits fondamentaux intrinsèques à la dignité ne
soient pas pleinement réels
1133, les avancées en matière de droits de l’Homme sont notables.
La Constitution du 27 janvier 2014 consacre la plupart des droits qui découlent des valeurs
humaines de dignité mais aussi de liberté.
B.
La consécration de la plupart des droits découlant de la liberté1134
Le deuxième alinéa de l’article 21 de la Constitution précise que « [l]’Etat garantit aux
citoyens et aux citoyennes les libertés et les droits individuels et collectifs.
»1135 Quelles sont
ces libertés que consacre la Constitution et qu’il incombe à l’Etat de garantir ? Selon le
Professeur Rafâa BEN ACHOUR, « on ne peut mesurer l’effectivité des droits et libertés sans
nous pencher sur la composante principale de la liberté individuelle : “la sûreté”.
»1136
Consacrée aux articles 27, 28, 29 et 30 de la Constitution, la sûreté suppose que la privation
de liberté ne soit pas arbitraire et qu’elle soit conditionnée à un certain nombre de principes.
Quels sont-ils ? L’article 27 dispose du principe de la présomption d’innocence : « Tout
inculpé est présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité, au cours d’un procès
équitable qui lui assure toutes les garanties nécessaires à sa défense en cours de poursuite et
lors du procès.
»1137 En vertu de l’article 102 de la Constitution, le procès équitable est
l’apanage d’un « pouvoir [juridictionnel] indépendant, qui garantit l’instauration de la
1132 C’est d’ailleurs le rôle que s’est attribuée l’Association M’Nemty, présidée par Saadia MOSBAH, qui
œuvre pour une Tunisie plurielle permettant à chacun de s’épanouir dans sa diversité. Son objectif principal
est de combattre les différentes formes de discrimination raciale en sensibilisant, conscientisant et éduquant
pour éradiquer tout racisme, qu’il soit institutionnel, culturel et/ou social.
1133 Cela est notamment démontré dans la Section 2 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE II de cette thèse
relatif à une citoyenneté contredite par les conventions sociales liées à l’Islam, p. 488.
1134 Ce paragraphe est essentiellement consacré aux droits constitutionnels qui découlent de la liberté. L’analyse
de leur effectivité est livrée au sein du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE II de cette thèse, relatif à
un
Etat « civil » pour un peuple musulman,
p. 435.
1135 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 21, deuxième alinéa.
1136 R. BEN ACHOUR, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », précit., p.786.
1137 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 27.
268






Page 270
justice, la suprématie de la Constitution, la souveraineté de la loi et la protection des droits et
libertés.
»1138
A ce premier principe s’ajoute celui de l’article 28 : la légalité des délits et des peines. La
peine est personnelle et la condamnation ne peut être prononcée pour la commission d’une
infraction non prévue par la loi, au moment où elle a été commise, sauf en cas de texte plus
favorable à l’inculpé. L’article 29 traite lui du principe « selon lequel la garde à vue et la
détention provisoire (préventive) ne peuvent avoir lieu qu’en cas de flagrant délit ou sur
décision judiciaire.
»1139 Plus encore, il établit les droits du détenu à être informé de ses
droits, de ce qui lui est reproché, de sa possibilité d'être représenté par un avocat
1140. De
l’article 30 découle le principe pour le détenu de préserver sa dignité en bénéficiant d'un
traitement humain. Toutefois, les points grâce auxquels l’article 30 est véritablement novateur
sont qu’il impose à l’Etat de prendre en considération l’intérêt de la famille, de veiller à la
réhabilitation du détenu et à sa réinsertion sociale.
Dans l'article 24 aussi, la Constitution s'intéresse à l'humain et au quotidien des Tunisiens, en
préservant leur vie privée et ce qui la constitue : intimité, domicile, correspondances,
communications, données personnelles sont protégés. Tout comme la liberté de circulation et
le droit de quitter le territoire national, « [d']autres libertés viennent également consolider,
voir enrichir la sphère des libertés intellectuelles, comme la liberté de pensée et d’opinion, la
liberté d’expression, la liberté d’information
1141 et la liberté de publication à propos
desquelles aucune autorisation préalable ne saurait être exercée.
»1142 Dans l’objectif
1138 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 102, alinéa premier.
1139 R. BEN ACHOUR, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », précit., p. 787.
1140 Pour plus de précisions sur les avancées de la Tunisie en matière de droit au procès équitable cf. « |.1.4. LE
DROIT A UN PROCES EQUITABLE
(ARTICLES 27, 28, 29 ET 108 DE LA
CONSTITUTION) », Democray Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution
tunisienne au niveau du cadre juridique, 10
ème édition, 31 mars 2020, [en ligne], [consulté le 12 octobre
https://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2020/09/2020-09-09-TN_FR-rapport-
2020],
semestriel-2020-03.pdf, pp. 19-20.
1141 Les nouvelles technologies et le droit à la culture sont également consacrés : l'article 32 dispose du droit à
l'information, à l'accès à l'information et aux réseaux de communication et l'article 42 garantit le droit à la
culture et à la liberté de création.
1142 R. BEN ACHOUR, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », précit., p. 788. Ces libertés sont
contenues dans l’article 31. Le 2 mars 2011, le décret-loi n° 10 a abrogé les lois qui instituaient le
Conseil
Supérieur de la Communication
(CSC) et a créé l’Instance Nationale de Réforme de l’Information et de la
Communication (INRIC). La nouvelle instance était chargée de faire des propositions pour la réforme du
secteur de l’information et de la communication dans le respect des normes internationales en matière de
liberté d’expression. En collaborant avec une sous-commission des médias dépendante de l’
Instance
Supérieure pour la Réalisation des Objectifs de la Révolution
(ISROR), elle a rédigé trois projets de loi
fondamentaux en matière d’information. Le premier est relatif à l’accès aux documents administratifs, le
269




Page 271
d’apporter une protection adéquate à la liberté d’expression et d’information, l’article 127 de
la Constitution prévoit la création de l’Instance de la communication audiovisuelle.
Chargée de la régulation et du développement de la communication audiovisuelle, la Haute
Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) a été mise en place le
3 mai 2013
1143. Au 31 mars 2020, l’Instance de la communication audiovisuelle n’a toujours
pas été créée. Le gouvernement de Youssef CHAHED avait pourtant préparé un projet de loi,
le projet n° 2017/97 relatif à l’Instance de la communication audiovisuelle et l’a transmis à
l’ARP. Ce même gouvernement était également en train de préparer un autre projet de loi
relatif au secteur de l’audiovisuel mais la HAICA s’y oppose fermement. Elle considère que le
projet en préparation ne répond pas aux standards en vigueur relatifs aux instances de
régulation audiovisuelle dans le droit comparé
1144. De nos jours, seule la HAICA est donc
chargée du secteur de la communication audiovisuelle en Tunisie.
Enfin, à ces droits individuels qui découlent de la liberté, s’ajoutent les droits civils et
politiques. Même si la notion de citoyenneté n’a pas encore été définie
1145, il est important de
noter qu’elle impose des droits et des devoirs aux citoyens et citoyennes
1146. D'ailleurs, la
citoyenneté induit que l’Etat garantisse l’égalité des chances entre les hommes et les femmes,
pour accéder aux divers postes à responsabilités et ce, dans tous les domaines
1147, ainsi que la
représentativité des femmes et la parité dans les assemblées élues. « Elle implique forcément
aussi le droit de participer à la vie publique, c’est-à-dire, à exercer les “pouvoirs” liés à la
deuxième concerne la rédaction d’un nouveau Code de la presse et le dernier porte sur la création d’une
Haute instance régulant le secteur de l’audiovisuel. Le 2 novembre 2011, le gouvernement transitoire de B.
CAÏD ESSEBSI a adopté deux décrets lois : le décret-loi n° 115 de l’année 2011, relatif à la liberté de la
presse, de l’impression et de l’édition et le décret-loi n° 116 de l’année 2011, relatif à la liberté de la
communication audio-visuelle et à la création d’une instance supérieure indépendante pour le secteur de la
communication audio-visuelle. Le premier décret supprime l’autorisation préalable à la publication de
périodiques et d'ouvrages, consacre la liberté du journaliste d’accéder aux informations et de les diffuser et
reconnaît la protection de ses sources. Le deuxième prévoit la création d’une
Haute Autorité Indépendante
de la Communication Audiovisuelle
(HAICA), qui sert d’instrument de régulation des médias audiovisuels.
1143 Pour plus de précisions sur la mise en place de la HAICA, cf. E. KLAUS, « L’autorité de la HAICA sur le
secteur tunisien des médias : Un anachronisme transitionnel ? »,
L’Année du Maghreb, 13, 2015, [en ligne],
[consulté le 2 janvier 2019],
https://journals.openedition.org/anneemaghreb/2606, pp. 295-304.
1144 Pour plus de précisions sur ce point cf. Democray Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de
la Constitution tunisienne au niveau du cadre juridique, 9
ème édition, 30 septembre 2019, [en ligne],
janvier 2020], https://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-
[consulté
TN_rapport_suivi_mise-en-oeuvre_constitution_septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, p. 59.
le 1
1145 La définition de la citoyenneté fait l’objet du B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre II
de la PARTIE II de cette thèse, p. 450.
1146 L’analyse de ces derniers fait également l’objet du B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre
II de la PARTIE II de cette thèse, p. 450.
1147 Ces différents points sur l’égalité et la place de la femme dans la société tunisienne, font l’objet du
Paragraphe 2 qui suit.
270




Page 272
souveraineté. Ainsi, il est clairement indiqué [à l’article 34] que les droits d’élection, de vote
et d’éligibilité sont garantis conformément aux dispositions de la loi.
»1148 Ces droits sont
protégés par une instance constitutionnelle indépendante, l’Instance Supérieure Indépendante
pour les Elections (ISIE), prévue aux articles 125 et 126. Chargée d’assurer la régularité, la
sincérité et la transparence du processus électoral et référendaire, l'ISIE a été mise en place au
cours de la période transitoire
1149, pour superviser et contrôler les élections1150. Actuellement,
l’ISIE est la seule instance constitutionnelle indépendante du Chapitre VI de la Constitution
qui a été mise en place depuis l’entrée en vigueur de la Constitution du 27 janvier 2014.
L'autre pôle essentiel mis en exergue par M. BOUAZIZI, est celui des droits économiques et
sociaux. Ceux-ci sont consacrés à l’article 40 qui prévoit le droit au travail pour tous et un
salaire équitable ; l'article 36 garantit le droit syndical et le droit de grève et l'article 35 assure
la liberté de constituer des partis politiques, des syndicats et des associations. L'article 37 lui,
assure la liberté de réunion et de manifestation.
Les droits de troisième génération tels que les droits collectifs de la femme (article 46), des
enfants (article 47) et des personnes handicapées (article 48) sont aussi préservés. Il en est de
même des nouveaux droits qui concernent la protection de l’environnement (article 45), le
droit à l’eau (article 44) et le droit au sport (article 43) qui complètent le droit à la santé de
1148 R. BEN ACHOUR, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », précit., pp. 787-788.
1149 L’ISROR avait la charge de préparer et d’adopter les textes fondateurs de la période transitoire, pour ensuite
les présenter pour adoption, au gouvernement. Le 18 avril 2011, elle a adopté le décret-loi n° 2011-27
portant création d’une
Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE). Ce décret prévoyait un
collège électoral composé de quatre représentants de la magistrature proposés par l’
Association des
magistrats tunisiens
. Adopté par le Conseil de l’ISROR le 6 avril 2011, le décret est transmis au
gouvernement pour être promulgué par le président provisoire de la République et publié. Cependant, le
texte publié au
Journal Officiel n'est pas la version adoptée par le Conseil de l’ISROR. Deux nouvelles
conditions concernant le collège électoral composé des magistrats avaient été rajoutées dans la version
publiée : premièrement, tous les candidats devaient être proposés à égalité entre l’
Association des
magistrats tunisiens
et le nouveau syndicat des magistrats. Deuxièmement, les candidats à l’élection
devaient être des magistrats de troisième grade. Ces modifications ont entraîné le retrait de l’
Association
des magistrats tunisiens
et interrompu les élections des membres de l’ISIE. Pour faire face au blocage,
l’
ISROR a alors décidé d’utiliser une procédure exceptionnelle prévue à l’article 8 du décret-loi, la
candidature librement ouverte. Bien que l’
Association des magistrats tunisiens ait bloqué les élections des
membres de l’
ISIE, neuf membres ont été élus le 9 mai 2011. Pour faire face aux blocages des magistrats,
l’
ISROR décide d’utiliser une procédure exceptionnelle prévue à l’article 8 du décret-loi n° 2011-27, qui a
permis de compléter la composition de l’
ISIE le 17 mai 2011.
1150 Ceci peut notamment se vérifier par son rôle de premier plan lors des élections municipales et régionales du
6 mai 2018. Voir « ISIE : Les résultats définitifs des municipales 2018 dévoilés », Huffpost Maghreb [en
2019],
ligne]
,
https://www.huffpostmaghreb.com/entry/isie-les-resultats-definitifs-des-municipales-2018-
devoiles_mg_5b2111a8e4b0bbb7a0e38d50. De manière plus générale et pour plus d’informations sur le
rôle et les activités de l’
ISIE, consulter le site internet de l’Instance : http://www.isie.tn/.
le mercredi
[consulté
janvier
publié
2018,
juin
13
le
3
271




Page 273
l'article 381151. Ces derniers articles sont d'autant plus importants qu'ils pallient en partie la
mise en œuvre sans cesse retardée, de l’article 129 qui prévoit la création de l’Instance du
Développement Durable et des Droits des Générations Futures
1152. Créée par la loi organique
n° 2019-60 du 9 juillet 2019
1153, cette instance a des compétences consultatives et
d’études
1154 : elle devra obligatoirement être consultée sur les projets de loi relatifs aux
domaines économiques, sociaux et environnementaux. Certains experts encore dubitatifs
quant à la réalité d'une économie verte fructueuse, estiment que sa mise en place fera naître
une controverse « entre le gouvernement qui cherche à libérer l’activité économique et
l’investissement afin de relancer le développement à tout prix, et l’instance dont le rôle est
d’assurer l’exploitation rationnelle des ressources naturelles […] et de préserver un
environnement sain pour les générations actuelles et futures.
»1155
Le respect de l’ensemble des libertés et des droits individuels et collectifs des Tunisiens est
soumis, en vertu de l’article 128 de la Constitution, au contrôle d'une autre instance, celle des
droits de l’Homme. A noter cependant que le projet de loi organique n° 2016-42 relatif à
l’Instance déposé à l’APR en 2016, n’a été adopté à l’unanimité par les députés que le
16 octobre 2018
1156. Créée par la loi organique n° 2018-51 du 29 octobre 20181157, la nouvelle
instance dispose d’attributions larges en matière de protection et de sauvegarde des droits de
l’Homme
1158. Elle n’est cependant pas dotée de moyens efficaces pour mettre fin aux
1151 Les droits économiques et sociaux prévus par la Constitution du 27 janvier 2014 sont exposés et analysés au
sein du A. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre I de la PARTIE II de cette thèse, relatif à
l’importance de la nouvelle voie sociale dans le constitutionnalisme tunisien, p. 390.
1152 « Environnement : Appel à l’activation de l’Instance du développement durable », Le Temps [en ligne],
janvier 2019], http://www.letemps.com.tn/
publié
article/107693/environnement-appel-%C3%A0-l%E2%80%99activation-de-linstance-du-d%C3%A9
veloppement-durable.
le dimanche 15 avril 2018, [consulté
le 3
1153 JORT n° 59 du 23 juillet 2019, p. 2323 et ss.
1154 Pour plus de précisions sur la composition et les missions de l’Instance cf. Democray Reporting
International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution tunisienne au niveau du cadre juridique, 9ème
édition, 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté le 1 janvier 2020], https://democracy-reporting.org/wp-
content/uploads/2019/12/web_DRI-TN_rapport_suivi_mise-en-
oeuvre_constitution_septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, p. 59.
1155 J. TOUIR, « Les organes constitutionnels indépendants dans la Constitution – Bien-fondés politiques,
processus de création et horizons »,
in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS,
K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus,
principes et perspectives, op.cit.,
p. 586.
1156 « Tout ce que vous devez savoir sur l’Instance des Droits de l’Homme », Huffpost Maghreb [en ligne],
publié le mardi 16 octobre 2018, [consulté le 3 janvier 2018], https://www.huffpostmaghreb.com/entry/la-
loi-instituant-linstance-des-droits-de-lhomme-votee-a-larp_mg_5bc5e577e4b0a8f17ee5f515.
1157 JORT, n° 89 du 6 novembre 2018, p. 4938 et ss.
1158 Elle peut « donner son avis sur les projets de lois relatifs aux droits de l’homme et aux libertés, réaliser des
études et faire des propositions pour améliorer la protection des droits de l’homme, émettre des
recommandations en cas de violation des droits de l’homme, effectuer des visites sur les lieux de détention,
mais également elle peut mener des investigations en cas de violation des droits de l’homme, de sa propre
272



Page 274
violations des droits de l’Homme qu’elle peut constater : elle ne peut que saisir la justice de
dossiers de violation dont elle a connaissance ou informer les pouvoirs et l’opinion publics.
Son autorité n’est donc essentiellement que morale
1159. De plus, malgré l’exhaustivité du
catalogue des droits consacrés, il est à regretter l’absence de certaines libertés et/ou leur
insuffisance. C’est notamment le cas de l’article 39 qui dispose du caractère public et gratuit
de l’enseignement pour les enfants mais ne l'a rendu obligatoire que jusqu’à seize ans.
Pourquoi les constituants n’ont-ils pas respecté les dispositions de la Convention sur les droits
de l’enfant de 1989 et du Code de protection de l’enfant de 1995 qui définissent l’enfant
comme un être humain âgé de moins de dix-huit ans ? Quid également de l’instruction et de la
formation professionnelle des adultes ? Aucune réponse n’est apportée par les travaux
préparatoires à la Constitution et les dispositions du texte constitutionnel actuel.
De plus, même si le principe d’égalité entre l’homme et la femme est consacré à l’article 46,
seule l’égalité devant la loi est actuellement effective en Tunisie. Se référant à Sieyès, Claude
FRANCK affirme que « les intérêts par lesquels [les citoyens] se rassemblent sont les seuls
par lesquels ils peuvent réclamer des droits politiques.
»1160 Autrement dit, les droits qui
découlent de la qualité de citoyen concernent l’égalité des citoyens devant la loi. Ce type
d’égalité postule que le législateur a une compétence liée, puisqu’il ne peut mettre en œuvre
que l’égalité posée par la Constitution. De plus, bien qu’il reconnaisse les droits qui découlent
de la qualité de citoyenne, il devrait corriger les inégalités de fait qui existent entre les
hommes et les femmes.
Contrairement à l’égalité devant la loi, l’égalité dans la loi suppose que le législateur a, par
rapport à la Constitution, une compétence discrétionnaire. Ainsi, il élabore des régimes
juridiques différenciés en fonction de chaque situation juridique. Or, dans l’Islam, l’homme et
la femme ne disposent pas des mêmes droits et des mêmes devoirs. Le Code du Statut
Personnel est incomplet et ne permet pas aux femmes de jouir des mêmes droits que les
initiative ou suite à une plainte. » Democray Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la
Constitution tunisienne au niveau du cadre juridique, 9
ème édition, 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté
https://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-
le
TN_rapport_suivi_mise-en-oeuvre_constitution_septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, p. 58.
janvier
2020],
1
1159 Ibid.
1160 C. FRANCK, « VI - Le principe d'égalité », in Annuaire international de justice constitutionnelle, Les
techniques juridictionnelles du contrôle de constitutionnalité des lois - Dix ans de saisines parlementaires -
Le droit de propriété dans les jurisprudences constitutionnelles européennes
, 1-1985, 1987, [en ligne],
[consulté le 22 février 2019], https://www.persee.fr/docAsPDF/aijc_0995-3817_1987_num_1_1985_889.
pdf, p. 191.
273




Page 275
hommes. Cependant, les réformes législatives en cours visent à corriger les inégalités portant
de fait atteinte à l’égalité telle qu’envisagée par les conservateurs et théocrates au sein de
l’ANC.
Paragraphe 2
Vers la reconnaissance de l’égalité en droits du Tunisien et de la
Tunisienne
L’égalité entre l’homme et la femme suppose la jouissance par les personnes des deux sexes
des mêmes droits et des mêmes devoirs. Ce n’est actuellement pas le cas en Tunisie. Modèle
de l’évolution du droit dans des sociétés traditionnellement religieuses ou conservatrices, la
Tunisie est toujours un exemple régional de réformes juridiques. Depuis l’adoption du Code
du Statut Personnel (CSP), elle est un modèle de promotion des droits des femmes dans le
monde arabe (A). Bien que révolutionnaire en 1956, ce code incomplet ne permet pas aux
femmes de jouir des mêmes droits que les hommes.
Or, un décalage existe entre les règles de droit et les faits économiques et sociaux. « Prenant
en charge, à l’égal des hommes, le développement économique et social de la collectivité, de
la famille et de chacun de ses membres, les femmes continuent de n’être pourtant, au plan du
droit, que des “mineurs”.
»1161 Le statut légal de la femme varie d’ailleurs en fonction de la
sphère publique ou privée dans laquelle elle se trouve. De plus, le droit de la famille est
tiraillé entre la rénovation et la conservation du modèle patriarcal, autant qu'entre les droits
universels et les spécificités culturelles
1162.
L’article 21 de la Constitution laisse penser que l’égalité dans et devant la loi est respectée et
que l’égalité en droits et dans les faits est reconnue. Seulement, même si l’égalité est
constitutionnelle (B), la Tunisienne ne dispose pas encore des mêmes droits que le Tunisien.
Il est encore habituel que l’homme hérite le double de la part de la femme et que l’héritage
soit interdit à la femme non musulmane mariée à un musulman. Pour autant, ces us et
1161 S. BEN ACHOUR, « Les chantiers de l’égalité au Maghreb », Mélanges offerts au Doyen Sadok Belaïd,
Centre de Publication Universitaire, Tunis, 2004, p. 137.
1162 N. CHAABANE, « Les droits de succession en question », Revue tunisienne de fiscalité, 2009, n° 12.
274








Page 276
coutumes sont en train de changer : les réformes législatives actuelles conduisent à penser que
la reconnaissance de l’égalité dans la loi et en droits, sera bientôt établie.
A.
Le Code du Statut Personnel ou la première révolution par le droit
Premier texte juridique adopté à l’indépendance, le Code du Statut Personnel (CSP) organise
les droits des femmes au sein de la famille. Révolutionnaire en 1956, ce code reconnaissait
plusieurs droits à la femme et consacrait ainsi, l’avancée du droit dans un Etat arabo-
musulman. Bien qu’il soit le fruit du réformisme tunisien (1), il ne consacre que les droits
acquis de la femme (2). En plus de découvrir le sens de l’expression, il est intéressant de
savoir si, en plus des droits acquis, la Tunisienne peut acquérir de nouveaux droits.
1. La question féminine dans la pensée des réformistes tunisiens
Compris comme la première « tentative de remise en cause historique du soi musulman
amorcée vers la deuxième moitié du 19
e siècle (al Islah), le réformisme1163, dont les thèmes
majeurs sont le redressement moral, politique et social de la nation, se présente aussi comme
un moment inaugural dans l’émergence de la question de l’émancipation de la femme
musulmane.
»1164 Né dans un contexte de colonisation, le réformisme religieux vise à réviser
le phénomène islamique à la lumière des besoins de la société moderne. « Il s’agit, d’une part,
de restaurer les valeurs “authentiques” de l’islam en l’épurant des multiples déviances qui en
ont entaché le cours et le message, et d’autre part, de réformer les institutions politiques et
sociales frappées de stagnation et d’obscurantisme.
»1165 Alimenté par les Tanzimat ottomans
et les échanges avec l’Occident, le réformisme s’exprime en Tunisie en 1856, grâce à
l'historien et homme politique Ahmed IBN ABI DHIAF
1166. A l’époque, il s'intéresse à la
politique et inspire une modernisation des institutions étatiques. L’enseignement est réformé,
le droit est codifié, la justice et l’administration sont organisées. Cette année-là, A. IBN ABI
1163 Le réformisme tel qu’il s’exprime en Tunisie au XIXème siècle fait l’objet de la Section 1 du Chapitre 1 du
Titre II de la PARTIE II de cette thèse, relatif à la tradition réformiste tunisienne, p. 320.
1164 S. BEN ACHOUR, « Les chantiers de l’égalité au Maghreb », précit., p. 138.
1165 Ibid., pp. 138-139.
1166 Pour plus de précisions sur la vie, l’œuvre et l’apport d’A. IBN ABI DHIAF cf. le 2. du A. du Paragraphe 1
de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE II de cette thèse, relatif à
KHEREDINE et IBN ABI
DHIAF, précurseurs du constitutionnalisme tunisien,
p. 325.
275








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DHIAF écrit – paradoxalement dans le plus pur conformisme – Rissala fil mar’a (Essai sur la
femme)
1167. Bien que novatrices, les réformes qu'il envisage1168 ne rencontrent pas
l’assentiment populaire. Une déconnexion s’opère entre les réformes élaborées et les besoins
de la société. Délaissées pour un temps, elles font leur chemin et s’expriment quelques années
plus tard, dans les écrits de plusieurs penseurs tunisiens
1169.
Durant l’entre-deux-guerres1170, le réformisme tunisien apparaît d’une nouvelle manière avec
Tahar HADDAD
1171, penseur, syndicaliste et homme politique. Dans son ouvrage Imra’atuna
fi al shariâ wal mujtamâ (Notre femme dans la loi et la société), Tahar HADDAD s’insurge
contre la condition d’infériorité des femmes et traite de leur émancipation
1172. « Procédant à
une lecture libérale du texte coranique par référence à ses fins (maqasid), il bouleverse les
schémas traditionnels de la dogmatique juridique et proclame que l’islam consacre la valeur
d’égalité entre les hommes et les femmes, levant par-là “l’hypothèque canonique” sur le
statut juridique des femmes.
»1173 Heurtant les milieux zitouniens1174, cet ouvrage creuse les
clivages entre les conservateurs et les libéraux, les modernistes et les traditionnalistes
religieux. Si les derniers prônent l’application de la charia dans les domaines politiques,
économiques et sociaux, les premiers cherchent à adapter les prescriptions religieuses à
l’esprit des temps modernes. Même si les modernistes soulignent l’esprit libéral du Coran à
l’égard des femmes, ils partagent avec les traditionnalistes une conception religieuse du droit
des femmes.
Le clivage ainsi créé entre deux pans radicalement opposés de la société s’exacerbe avec
l’arrivée au pouvoir de BOURGUIBA. Ce dernier « fait de l’émancipation de la femme le
1167 Cet essai est une réponse aux interrogations de Léon ROCHES, Consul général de France en Tunisie.
1168 Pour plus de précisions sur la pensée réformiste de KHEREDINE et d’A. IBN ABI DHIAF, cf. le 1. du A.
du Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE I de cette thèse, relatif à la place du
référent islamique au sein de la Constitution
, p. 86. Voir également la Section 1 du Chapitre 1 du Titre I de
la PARTIE II de cette thèse, relative à
la tradition réformiste tunisienne, p. 320.
1169 En 1897, le cheikh M. ESSNOUSSI publie L’Epanouissement de la fleur ou étude sur la femme en Islam,
où il préconise l’éducation des filles. Quinze ans plus tard, C. BENATTAR, A. THAALBI et H. SEBAÏ
publient
L’Esprit libéral du Coran qui plaide pour l’éducation des filles et la suppression du voile.
1170 Marquée par les tensions coloniales, les replis identitaires et les revendications nationalistes.
1171 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Tahar HADDAD.
1172 Paru en arabe en 1930, l’ouvrage de Tahar HADDAD dénonce l’analphabétisme des femmes, la polygamie,
la répudiation, le confinement dans l’espace domestique et l’asservissement aux hommes. Analysant la
condition de la femme au regard de l’Islam, il traite de sa personnalité, de ses droits civils (à l’exemple du
témoignage, de la capacité de gestion de ses biens et de l’héritage), du mariage (en prenant en compte sa
liberté dans le choix du conjoint, son devoir conjugal et la polygamie) et du divorce. Il traite également de
l’éducation, des mariages forcés et prématurés des femmes et du voile.
1173 S. BEN ACHOUR, « Les chantiers de l’égalité au Maghreb », précit., p.140.
1174 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Zeïtouniens.
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levier de sa politique moderniste et de son combat pour le “redressement moral de la
société”.
»1175 Promulgué le 13 août 1956, le CSP révolutionne le droit tunisien et soumet
l’ordre conjugal à la modernité. La polygamie, la répudiation, le tuteur matrimonial et le droit
de contrainte, sont abolis. Alors que le divorce judiciaire et le libre et plein consentement des
futurs époux sont instaurés, l’adoption est autorisée. Pourtant en 1973, sous peine « d’être
socialement et culturellement invalidé et politiquement contesté, le chef (Zaîm)
1176 recule
devant les valeurs pérennes et le donné immuable : d’où le maintien de la dot et du statut du
mari en sa qualité de chef de famille, la reconduction des inégalités successorales, le silence
sur la question du mariage de la musulmane avec un non musulman.
»1177 En matière de
statut personnel, la religion n’est jamais loin de la règle de droit retenue et le statut de la
femme reste celui d’un mineur juridique.
Même s’il est en avance par rapport aux codes de statut personnel maghrébins, le CSP ne
déroge pas à la logique patriarcale. L'emploie d'un registre moderne consacrant un certain
nombre de droits à la femme, n'empêche pas le maintien du privilège de la masculinité dans la
société. Les vides juridiques qu’il laisse, ses contradictions et ambiguïtés sont interprétés par
les juges qui réintroduisent des considérations religieuses dans le droit tunisien
1178. Ainsi, au
nom de la tradition, les juges «
n’adm[ettaient] pas la filiation naturelle1179, vo[yaient] dans
l’apostasie
1180 et la disparité de culte des cas d’empêchement à succession1181, rend[aient] nul
de nullité absolue le mariage de la Tunisienne – prédéterminée musulmane – avec un non
1175 S. BEN ACHOUR, « Les chantiers de l’égalité au Maghreb », précit., p. 143. Pour plus de précisions sur
l’instrumentalisation de la question féminine par BOURGUIBA avant l’indépendance, cf. S. BESSIS
« Bourguiba féministe : les limites du féminisme d’Etat bourguibien »,
in M. CAMAU et V. GEISSER
(dir.),
Habib Bourguiba. La trace et l’héritage, op.cit., pp. 101-112.
1176 Autrement dit BOURGUIBA.
1177 S. BEN ACHOUR, « Les chantiers de l’égalité au Maghreb », précit., p. 143.
1178 L’ensemble des jurisprudences judiciaires et administratives relatives aux droits des femmes sont
répertoriées par Chaker HOUKI. Cf. le paragraphe relatif aux « Effets sur les juges »,
in C. HOUKI, Islam
et Constitution en Tunisie, op.cit.,
pp. 424-454. Voir également M. BEN JEMIA, « Le juge tunisien et la
légitimation de l’ordre juridique positif par la charia »,
in B. DUPRET (dir.), La charia aujourd’hui. Usage
de la référence au droit islamique, op.cit.,
pp. 153-170.
1179 Dans le jugement n° 16198 du 28 octobre 2003 et le jugement n° 16189/53 du 2 décembre 2003, le
Tribunal de Première Instance de la Manouba a opté pour l’établissement de la filiation d’un enfant né hors
mariage. Pour plus de précisions, cf. le paragraphe relatif au «
Droit de l’enfant à l’établissement de sa
filiation naturelle
», in C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., pp. 441-442.
1180 Sur ce point, cf. le paragraphe relatif au « Droit de l’individu de changer de religion », in C. HOUKI, Islam
et Constitution en Tunisie, op.cit., pp. 442-443.
1181 Ce n’est pourtant pas le cas dans plusieurs arrêts rendus par le juge judiciaire, cf. les paragraphes relatifs au
«
Droit de la femme étrangère et non-musulmane d’hériter de son conjoint musulman », au « Droit du
conjoint étranger et non musulman d’hériter de sa femme tunisienne et musulmane
» et, au « Droit de la
femme tunisienne et musulmane d’hériter de son conjoint étranger et non-musulman
», in C. HOUKI, Islam
et Constitution en Tunisie, op.cit.,
respectivement aux pp. 427-429, 429-432 et 432-437.
277



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musulman1182. »1183 Si le CSP en 1956, était révolutionnaire et en avance sur son temps, il ne
l’est plus aujourd’hui puisqu’il ne consacre pas l’égalité en droits des Tunisiennes et des
Tunisiens. Or, l’égalité
en droits ne peut être laissée à la libre détermination des juges1184.
Même si le principe d’égalité est finalement constitutionnalisé, l’article 46 de la Constitution
du 27 janvier 2014 dispose encore des droits acquis de la femme.
2. La signification de l’expression « droits acquis de la femme »
Allusion à l’ensemble des droits reconnus à la Tunisienne, l’expression « droits acquis de la
femme » renvoie aux dispositions du CSP du 13 août 1956. L’inscription de l’expression au
sein de la nouvelle Constitution n’est donc pas anodine. Le premier alinéa de l’article 46
précise que « [l]’Etat s’engage à protéger les droits acquis de la femme et veille à les
consolider et les promouvoir.
»1185 Le divorce, le libre et plein consentement au mariage et la
possibilité d’adopter
1186 font partie des droits acquis de la Tunisienne.
Traditionnellement holiste, la société tunisienne accorde comme la plupart des sociétés arabo-
musulmanes, une place importante à la famille. Cellule naturelle et fondement de la société, la
famille a suscité de nombreux débats à l’ANC. Ancrée dans une conception conservatrice,
cette vision de la famille ne permettait pas l’égalité entre l’homme et la femme, même dans le
mariage. La consécration des droits acquis de la femme renvoie donc à ses droits au sein de la
vie privée. Autrement dit, les articles 21
1187 et 28 du Projet de brouillon ne reconnaissaient
1182 Dans le jugement n° 26855 du 29 juin 1999, le Tribunal de Première Instance de Tunis a considéré que le
mariage d'une musulmane avec un non-musulman est valable. Voir aussi le «
Droit de la musulmane
tunisienne de choisir son conjoint
», in C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., pp. 437-440.
1183 S. BEN ACHOUR, « Les chantiers de l’égalité au Maghreb », précit., p. 143.
1184 Sous l’empire de la Constitution du 1er juin 1959, lorsque le juge se référait uniquement aux dispositions du
CSP, il adoptait des solutions plus proches du droit musulman que du principe universel d’égalité [Voir à
titre d’exemple, Cass.civ., arrêt n° 4487-2006 du 16 janvier 2007 et TPI de Tunis, jugement n° 65760 du 3
décembre 2007]. A l'inverse, lorsqu’il associait les dispositions constitutionnelles aux dispositions du
CSP,
il finissait par adopter des solutions modérées et progressistes. Cf. le paragraphe relatif aux « Effets sur les
juges »,
in C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., pp. 424-454.
1185 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 46, alinéa premier.
1186 Pour mémoire, la polygamie, la répudiation, le tuteur matrimonial, le droit de contrainte sont abolis en
Tunisie depuis le 13 août 1956.
1187 L’article 21 du Projet de brouillon précise que l’Etat garantit les droits de la famille, cellule naturelle et de
la société. L’Etat veille à la protéger et à garantir sa stabilité afin qu’elle remplisse le rôle qui est le sien
dans le cadre de l’égalité entre les époux. L’Etat veille à fournir les conditions nécessaires au mariage et à
garantir un logement décent ainsi qu'un revenu minimum assurant la dignité de ses membres. La traduction
française de la première version du texte constitutionnel est inspirée de celle donnée par le Professeur
Monia BEN JEMIA. Cf. M. BEN JEMIA, « Lecture de l’article 46 de la Constitution »,
in M. MARTINEZ
278






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que le modèle patriarcal où la femme est le complément de l’homme au sein de la cellule
familiale. En disposant des droits acquis de la femme, les théocrates et démocrates ont
néanmoins trouvé un terrain d’entente au niveau des signifiants employés. L’expression sert le
compromis « entre ceux qui sont favorables à l’élimination de toutes les discriminations qui
persistent [à l’égard des femmes] et ceux favorables au statut quo, notamment concernant
l’inégalité dans l’héritage.
»1188 Si l’expression reste vague, elle est acceptée par les
théocrates et les démocrates. Elle renvoie aux droits reconnus à la Tunisienne par le CSP.
Bien que consacrés par le texte constitutionnel, les droits acquis ne réalisent pas l’égalité en
droits et dans la loi de l’homme et de la femme. Malgré cela, en vertu de l’article 46 de la
Constitution, l’Etat veille désormais à consolider et surtout, à promouvoir les droits acquis
des femmes. En plus de les protéger, l’Etat doit aider les Tunisiennes à en acquérir de
nouveaux.
Afin de comprendre les différents obstacles à la reconnaissance d’une égalité parfaite entre
l’homme et la femme, il est essentiel de revenir aux débats constituants et à la confusion entre
le juridique et le religieux, pour ce qui est de la condition des femmes.
B.
Une égalité constitutionnelle
Avant d’en venir à constitutionnaliser l’égalité des sexes, les débats constituants menés par les
théocrates ont fait de la femme l’associée/le partenaire de l’homme dans la vie publique et
son complément dans la vie privée/familiale. Mais les partis modernistes et la société
civile ont catégoriquement refusé l’idée de complémentarité (1). Les constituants n'ont donc
consacré que l’égalité de l’homme et de la femme devant la loi, d'autant plus que les
dispositions de l’article premier constituaient un obstacle à la reconnaissance d’une égalité
dans la loi de l’homme et de la femme (2). Le constat est sans appel : les spécificités
culturelles prévalent sur le principe d’égalité au sein de la nouvelle Constitution. Nonobstant
cette situation, les réformes juridiques actuelles visent à consacrer l’égalité en droits du
Tunisien et de la Tunisienne (3).
SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., p. 433.
1188 Ibid., p. 438.
279







Page 281
1. Le refus catégorique de la complémentarité
Moins de cinq mois après les premiers accrochages à l’ANC1189, une nouvelle polémique
concernant la complémentarité des sexes a surgi à la Commission des droits et libertés (CDL).
Présidée par Farida LABIDI, la CDL devait élaborer des projets d’articles conformes aux
objectifs de la Révolution, aux spécificités arabo-musulmanes des Tunisiens et aux principes
généraux des droits de l’Homme
1190. En inscrivant la complémentarité dans la première
version du texte constitutionnel
1191 en date du 14 août 2012, le parti de Rached
GHANNOUCHI a fait une nouvelle fois scandale auprès des partis modernistes.
Les islamistes considéraient que « l’Etat couvre et protège les droits de la femme1192 et
apporte son soutien aux acquis de la femme comme étant un véritable partenaire de l’homme
dans la construction de la nation, leurs rôles étant complémentaires au sein de la
famille.
»1193 Les théocrates opéraient une distinction entre la sphère publique et la sphère
privée en matière d’égalité hommes/femmes. D’après les Nahdhaouis, au sein de la famille, la
femme a des fonctions complétant celles de l’homme
1194. Autrement dit, la consécration de la
complémentarité n’était pas – en théorie – opposée à l’égalité des droits dans la sphère
publique. L’idée de complémentarité ne fait que traduire dans le texte constitutionnel et en
matière de vie privée et familiale, la seule différence de genre. Il est important de préciser que
le Projet de brouillon ne garantissait pas de manière explicite l’égalité entre l’homme et la
1189 Ces accrochages concernaient la volonté d’Ennahdha de faire de la charia, la source de la législation. Cf. le
3. du A. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE I de cette thèse, relatif au
changement de discours des islamistes au pouvoir, p. 79.
1190 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des droits et libertés, « Rapport
mensuel », 23 avril 2012 [en ligne]
, [consulté le 17 décembre 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs
/518e5bfc7ea2c422bec25306 (en arabe).
1191 Intitulé « Projet de brouillon ».
1192 L’article 28 du Projet de brouillon précise que l’Etat protège les droits de la femme et soutient ses acquis
dans la mesure où elle est une véritable associée/partenaire de l’homme dans la construction de la nation et
possède un rôle complémentaire au sein de la famille. L’Etat garantit l’égalité des chances entre l’homme et
la femme pour assumer les différentes responsabilités. L’Etat garantit l’éradication de toutes les formes de
violence contre la femme. La traduction française de cet article est inspirée de celle du Professeur Monia
BEN JEMIA. Cf. M. BEN JEMIA, « Lecture de l’article 46 de la Constitution »,
précit., p. 432.
1193 Z. KRICHEN, « Le mouvement Ennahdha à l’épreuve du processus constituant, de la consécration de la
Charia à la liberté de conscience », in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS,
K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus,
principes et perspectives, op.cit.,
p. 188.
1194 Les débats relatifs à la complémentarité ne concernent que la sphère privée. Ceux relatifs à la place des
femmes et à leurs droits dans la sphère publique seront envisagés dans le 3. qui suit.
280




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femme dans la vie publique : les articles 61195 et 221196 prévoyaient l’égalité en droits et
devant la loi de tous les citoyens mais aucune mention n’était faite des citoyennes et encore
moins de l’interdiction des discriminations à l’égard des femmes.
Habitués à ne faire de concessions que sous la pression de la rue, les Nahdhaouis n’ont cédé
qu’après la journée de manifestations du 13 août 2012, lancée par la députée du Bloc
Démocrates
Selma MABROUK1197. Face aux Palais des Congrès à Tunis, des Tunisiens et
des Tunisiennes clamaient haut et fort que la femme est un être complet et à part entière
1198.
La mobilisation populaire a conduit à la suppression de l’idée de complémentarité et à la
consécration de l’égalité au sein de la famille. La victoire des partis progressistes ne mettait
fin qu’à la première bataille idéologique entre théocrates et démocrates. La guerre des idées
n’aurait été remportée par les démocrates qu’avec la consécration constitutionnelle du
principe d’égalité dans la loi entre l’homme et la femme. A la manière de Zied KRICHEN, il
est facile de penser que l’égalité dans la loi est « une idée révolutionnaire qui aurait pu mener
– si elle avait été retenue – à une révision radicale de toutes les législations tunisiennes
discriminatoires à l’égard de la femme.
»1199 Notamment en ce qui concerne le droit
successoral car en Tunisie comme dans nombre de pays musulmans, la femme n’hérite de ses
parents que 50% de la part héritée par son frère
1200.
En plus de supprimer le principe de complémentarité dans la vie privée, le Brouillon de projet
du 14 décembre 2012 abandonne les notions d’association/de partenariat dans la vie publique
et inscrit dans le marbre constitutionnel le terme de citoyenne
1201. L’égalité en droits des
1195 L’article 6 du Projet de brouillon prévoit que tous les citoyens sont égaux en droits et en devoirs et qu’ils
sont égaux devant la loi. La traduction française de cet article est inspirée de celle du Professeur Monia
BEN JEMIA. Cf. M. BEN JEMIA, « Lecture de l’article 46 de la Constitution »,
précit., p. 433.
1196 L’article 22 du Projet de brouillon indique que les citoyens sont égaux en droits et en devoirs devant la loi,
sans discrimination aucune. La traduction française de cet article est inspirée de celle du Professeur Monia
BEN JEMIA.
Ibid.
1197 La journée du 13 août est considérée comme la Fête de la Femme. Le 13 août 2012 les Tunisiens et
Tunisiennes fêtaient le cinquante-sixième anniversaire de la promulgation du
Code du Statut Personnel.
Cette journée a également été l’occasion de manifester contre l’inscription de la «
complémentarité » entre
l’homme et la femme au sein de la Constitution.
1198 Le Monde avec AFP, « Manifestations en Tunisie pour la défense des droits des femmes », Le Monde [en
2018],
ligne],
https://www.lemonde.fr/tunisie/article/2012/08/14/manifestations-en-tunisie-pour-la-defense-des-droits-
des-femmes_1745836_1466522.html.
le mardi
décembre
[consulté
publié
2012,
août
1199 Z. KRICHEN, « Le mouvement Ennahdha à l’épreuve du processus constituant, de la consécration de la
14
20
le
Charia à la liberté de conscience », précit., p. 188.
1200 Sur les avancées en matière d’égalité successorale, cf. le B. du Paragraphe 2 de la Section 2 qui suit.
1201 N. CHAABANE, « Les droits des femmes dans la constitution tunisienne de 2014 », in La femme et son
environnement, sa priorité … Mélanges en l’honneur de la professeure Soukaina Bouraoui
, Tunis, Centre
de Publication Universitaire, 2018, pp. 229-240. Voir également H. BEN MAHFOUDH et M. TABEI,
281




Page 283
citoyens et citoyennes est constitutionnalisée et le principe d’égalité est reconnu sans
discrimination à l’égard des femmes. Si l’égalité devant la loi entre l’homme et la femme
n’est inscrite dans le chapitre relatif aux droits et libertés qu’avec le projet définitif de
Constitution du 1
er juin 2013, le Brouillon de projet a au moins le mérite de créer un
consensus constitutionnel entre théocrates et démocrates.
L’alinéa premier de l’article 21 actuellement en vigueur, indique que « [l]es citoyens et
citoyennes sont égaux en droits et devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination
aucune.
»1202 Et l’article 46 précise que : « L’Etat s’engage à protéger les droits acquis de la
femme et veille à les consolider et à les promouvoir. L’Etat garantit l’égalité des chances
entre l’homme et la femme pour l’accès aux diverses responsabilités et dans tous les
domaines. L’Etat s’emploie à consacrer la parité entre la femme et l’homme dans les
assemblées élues. L’Etat prend les mesures nécessaires en vue d’éliminer la violence contre
la femme.
»1203 Avant d’en venir à expliquer les trois derniers alinéas1204 de l’article précité, il
est essentiel de connaître les obstacles qui s’opposent à la reconnaissance d’une égalité dans
la loi, du Tunisien et de la Tunisienne.
2. Les obstacles à la reconnaissance d’une égalité dans la loi
L’article 3 des dispositions finales du Projet de brouillon1205 précisait que l’ « Islam en tant
que religion de l’Etat » ne pouvait faire l’objet d’aucune révision. Bien qu’ayant conservé
l’article premier de la Constitution du 1
er juin 1959, l’Islam était pour les Nahdhaouis la
religion de la Tunisie, de l’Etat et non seulement, de sa population ou de la majeure partie des
Tunisiens. Ceci supposait d’une part que les actes juridiques soient matériellement conformes
aux préceptes de la charia et d’autre part, que l’interprétation des dispositions du CSP se fasse
« Tunisie. Table ronde », in Annuaire international de justice constitutionnelle, Egalité, genre et
Constitution – Populisme et démocratie
, 34-2018, 2019, pp. 477-496.
1202 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 21, premier alinéa.
1203 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 46.
1204 L’analyse précise de ces alinéas fait l’objet du 3. qui suit.
1205 Pour mémoire, l’article 148 du Brouillon de projet du 14 décembre 2012, l’article 136 du Projet de
Constitution
du 22 avril 2013 et l’article 141 de l’avant-projet final du texte constitutionnel du 1er juin
2013, énonçaient la liste des dispositions non révisables de la Constitution, parmi lesquelles l’Islam comme
«
religion de l’Etat ». Ces différents articles contredisaient l’article premier de la Constitution, puisqu’en
faisant de l’Islam la religion de l’Etat, la religion devait régner sur les institutions étatiques.
282






Page 284
à l’aune des prescriptions religieuses. Ces dernières légitiment d’ailleurs les discriminations à
l’égard des femmes, comme dans le verset 11 de la Sourate 4 An-Nisa’, selon lequel le fils
hérite le double de la part de la fille
1206.
Egalement présente à l’article 141 du projet de Constitution du 1er juin 2013, la disposition
faisant de l’Islam la religion de l’Etat, ne disparaîtra qu’avec l’avènement de la version finale
du texte constitutionnel
1207. Supprimée de la Constitution du 27 janvier 2014, la lecture de
l’article premier est tout de même liée à celle de l’article deuxième, en vertu de l’article 146.
Même si l’égalité en droits et devant la loi sans discrimination aucune à l’égard des femmes
est constitutionnalisée, que faire en cas d’invocation du référent religieux de l’article premier
de la Constitution ? Il faudrait opter pour une interprétation non rigoriste mais conforme à
l’esprit du droit musulman. Autrement dit, les droits de la Tunisienne et le principe
constitutionnel d’égalité seraient à concilier avec les valeurs religieuses. Si cette conciliation
est possible, comment expliquer le maintien de la Déclaration générale du gouvernement
tunisien à la Convention, pour l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard
des
femmes
(CEDEF) ?1208 Le
référent
religieux suspend constitutionnellement la
consécration de l’égalité en droits et dans la loi du Tunisien et de la Tunisienne et l’effectivité
des conventions internationales relatives aux droits des femmes
1209. Le constituant ayant été
défaillant, c’est actuellement le législateur qui se charge de l’égalité en droits et dans la loi.
3. Vers la consécration de l’égalité en droits
L’égalité en droits de l’homme et de la femme suppose que l'un et l'autre jouissent des mêmes
droits. A l’ANC, les théocrates et les démocrates s’opposent une nouvelle fois lors des débats
relatifs à l’inscription de l’égalité des chances entre l’homme et la femme et au moment de la
1206 « Voici ce qu'Allah vous enjoint au sujet de vos enfants : au fils, une part équivalente à celle de deux
filles. S'il n'y a que des filles, même plus de deux, à elles alors deux tiers de ce que le défunt laisse.
Et s'il n'y en a qu'une, à elle alors la moitié. Quant aux père et mère du défunt, à chacun d'eux le
sixième de ce qu'il laisse, s'il a un enfant. S'il n'a pas d'enfant et que ses père et mère héritent de lui,
à sa mère alors le tiers. Mais s'il a des frères, à la mère alors le sixième, après exéc ution du
testament qu'il aurait fait ou paiement d'une dette. De vos ascendants ou descendants, vous ne savez
pas qui est plus près de vous en utilité. Ceci est un ordre obligatoire de la part d'Allah, car Allah est,
certes, Omniscient et Sage.
» Traduction du Coran en français [en ligne], [consulté le 27 décembre 2018],
https://www.coran-francais.com/coran-francais-sourate-4-0.html.
1207 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
1208 La réponse à cette question est apportée dans le B. du Paragraphe 2 de la Section 2 qui suit.
1209 Ces différents points sont abordés dans la suite des développements de ce chapitre.
283






Page 285
consécration de la parité dans les assemblées élues. Les alinéas 2 et 3 de l’article 46 de la
Constitution actuelle précisent que : « L’Etat garantit l’égalité des chances entre l’homme et
la femme pour l’accès aux diverses responsabilités et dans tous les domaines. L’Etat
s’emploie à consacrer la parité entre la femme et l’homme dans les assemblées élues. » Si
l’interprétation du deuxième alinéa est très large puisqu’il permet la garantie de l’égalité des
chances entre l’homme et la femme pour l’accès aux diverses responsabilités et dans tous les
domaines, le troisième alinéa ne prévoit la parité qu’au sein des assemblées élues. Les
brouillons constitutionnels antérieurs au projet final de Constitution du 1
er juin 2013, ne
prévoyaient la garantie de l’égalité des chances que pour assumer les diverses responsabilités.
De quelles responsabilités s’agissait-il ? Aucune disposition constitutionnelle ne le précisait.
L’article 28 du Projet de brouillon qui avait permis aux islamistes d’inscrire dans la
Constitution les notions d’association/de partenariat dans la vie publique et l’idée de
complémentarité entre les sexes dans la vie privée, ne prévoyait l’égalité des chances que dans
la complémentarité. Autrement dit, la place de la femme pour les islamistes est celle qu’elle
occupe au sein de la cellule familiale. Ses responsabilités ne peuvent relever que du domaine
privé. Ce n’est qu’avec l’avènement du projet final de Constitution du 1
er juin 2013 et la
consécration de l’égalité des chances entre l’homme et la femme dans tous les domaines, que
l’interprétation de l’égalité des chances entre les deux sexes s’étend à la sphère publique. Les
Tunisiennes ont les mêmes responsabilités que les Tunisiens, donc les mêmes devoirs que les
hommes en ce qui concerne les droits civils et politiques, économiques et sociaux, culturels et
environnementaux.
Si la participation des femmes à la vie politique ne fait aucun doute puisqu’elles bénéficient
du droit de vote et d’éligibilité depuis la mise en place du régime républicain par
BOURGUIBA, les élections constituantes du 23 octobre 2011 ont été l’occasion pour elles,
d’accéder pour la première fois à une assemblée constituante. Depuis la consécration du terme
citoyenne dans les différentes versions du texte constitutionnel, les Tunisiennes disposent des
mêmes droits civils et politiques que les Tunisiens. Elles peuvent même prétendre à la
fonction présidentielle puisque l’article 74 alinéa 1 de la Constitution du 27 janvier 2014
prévoit que « [l]a candidature à la présidence de la République est un droit pour toute
électrice ou tout électeur de nationalité tunisienne par la naissance et de confession
284



Page 286
musulmane. »1210 Dans ce cas, pourquoi l’ « Etat s’emploie[-t-il] à consacrer la parité entre la
femme et l’homme dans les assemblées élues
»1211, la citoyenne tunisienne dispose
véritablement des mêmes droits civiques et politiques que le citoyen tunisien ?
La reconnaissance par le constituant de la « violence contre les femmes » à l’alinéa 4 de
l’article 46 témoigne de la prise de conscience qu’en Tunisie, la place de la femme au sein de
la famille et les atteintes répétées à son intégrité physique et morale méritent des mesures de
discriminations positives, pour qu’elle soit considérée comme une citoyenne à part entière et
qu'elle puisse participer activement à la vie publique. Même si dorénavant l’ « Etat s’emploie
à consacrer la parité entre la femme et l’homme dans les assemblées élues », le constituant
n’a pas précisé quel type de parité, horizontale ou verticale, est à la charge de l’Etat.
Si les femmes ont pu siéger à l’ANC au même titre que les hommes, le décret-loi n° 35-2011
du 10 mai 2011 relatif à l’élection de l’ANC n’a prévu que la parité verticale par alternance.
Ce type de parité suppose que chaque liste électorale comporte un nombre égal d’hommes et
de femmes, conformément à la règle de l’alternance
1212. Cette parité est également consacrée
par l’article 24 de la loi organique n° 16 du 26 mai 2014, relative aux élections et aux
référendums, qui vise à régir les élections de l’ARP. N’ayant pas prévu la parité horizontale,
les députés de l’opposition saisissent l’Instance provisoire chargée du contrôle de
constitutionnalité de la loi organique précitée. L’Instance juge dans la décision n° 2014/02,
que le seul principe de parité horizontale n’est pas contraire à la Constitution
1213. Alors que la
parité horizontale suppose que la moitié des listes électorales présentées par les partis
politiques soient présidées par des femmes, « seulement 12 % de femmes étaient têtes de liste
aux élections législatives de 2014.
»1214
1210 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article
74, alinéa premier.
1211 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article
46, troisième alinéa.
1212 M. BEN JEMIA, « Lecture de l’article 46 de la Constitution », précit., p. 435.
1213 Décision n° 2014/02, JORT du 23 mai 2014, n° 041. La décision précise que la parité impose à l’Etat des
obligations de moyens et non de résultat. Autrement dit, la loi organique n’est pas inconstitutionnelle du
seul fait de ne pas avoir prévu la parité horizontale. Dans sa décision n° 2015/02 du 8 juin 2015, la même
Instance a confirmé sa position : pour elle, les dispositions de la loi électorale sont une mise en œuvre
satisfaisante de la Constitution en matière de parité. Voir sur ce point N. CHAABANE, « Les droits des
femmes dans la constitution tunisienne de 2014 », in La femme et son environnement, sa priorité …
Mélanges en l’honneur de la professeure Soukaina Bouraoui, op.cit.,
p. 231.
1214 « Droits des femmes en Tunisie : L’ONG “Aswat Nissa” relève les différences entre la Constitution et la
réalité »,
Huffpost Maghreb [en ligne], publié le lundi 24 août 2015, [consulté le 24 décembre 2018],
http://www.huffpostmaghreb.com/2015/08/24/droits-femmes-tunisie_n_8030852.html.
285





Page 287
Héla SKHIRI, chargée du programme national ONU Femmes a fait savoir que « l’inscription
de la parité horizontale et verticale dans la loi électorale offre davantage de chances aux
femmes d’être élues lors des prochaines élections locales, ainsi qu’une meilleure
représentation dans les conseils municipaux et régionaux.
»1215 Ce n’est pourtant que le
15 juin 2016 que le législateur tunisien a intégré les deux principes de parité à l’article 49 du
projet de loi relatif aux élections et référendums
1216. La loi relative aux élections et
référendums a été modifiée par la loi organique n° 2017-7 du 14 février 2017
1217. La parité
n’est désormais plus uniquement verticale : pour les élections municipales et régionales, les
partis et coalitions électorales qui présentent des listes candidates dans plus d’une
circonscription électorale doivent désigner autant de têtes de listes femmes que de têtes de
listes hommes
1218. Alors que les élections municipales et régionales du 6 mai 2018 ont
respecté la parité verticale, l’ISIE constate pourtant que la parité horizontale ne s’est vue
accorder que 29.55 % des femmes élues en tête de liste. « Ainsi, avec 47 % de femmes élues,
le but de parité, recherchée par la loi électorale, a presque été atteint. A noter que le taux de
participation a été de 33.7 % pour un vote sur 2173 listes, composées de 49 % de femmes et
de 51 % d’hommes.
»1219 Même si la parité horizontale était à parfaire, il y avait une véritable
promotion du leadership et de la participation politique des Tunisiennes.
Les élections législatives du 6 octobre 2019 changent cependant la donne. Bien que l’article
24 de la loi relative aux élections et référendums prévoie la parité entre les hommes et les
femmes au niveau des listes candidates aux élections législatives, le 6 octobre 2019 parmi les
1 506 listes «
seules 14,5 % des têtes de listes sont des femmes. »1220 La participation politique
le
1215 N. DEJOUI, « Héla SKHIRI : “La parité horizontale et verticale offre davantage de chances aux femmes
d’être élues” »,
L’économiste maghrébin [en ligne], publié le samedi 30 septembre 2017, [consulté le 24
décembre
http://www.leconomistemaghrebin.com/2017/09/30/hela-skhiri-parite-horizontale-
verticale-offre-davantage-de-chances-aux-femmes-detre-elues/.
2018],
17
publié
1216 « Tunisie : la parité hommes-femmes pour les élections municipales a été adoptée », Jeune Afrique [en
2018],
ligne],
http://www.jeuneafrique.com/334670/politique/tunisie-parite-hommes-femmes-elections-municipales-a-
ete-adoptee/. Promulguée le 26 mai 2014, il s’agit de la loi n° 2014-16 du 26 mai 2014 relative aux
élections et référendums.
décembre
[consulté
vendredi
2016,
juin
1217 JORT, n° 14 du 17 février 2017, p. 731 et ss.
1218 Democray Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution tunisienne au niveau du
cadre juridique, 9
ème édition, 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté le 1 janvier 2020], https://democracy-
reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-TN_rapport_suivi_mise-en-
oeuvre_constitution_septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, p. 21.
1219 « Avancée historique en Tunisie : 47 % de femmes élues aux élections municipales », ONU FEMMES
le 24 décembre 2018],
le mercredi 16 mai 2018,
Maghreb
http://maghreb.unwomen.org/pt/actualites-evenements/actualites/2018/05/elections-tunisie-2018.
ligne], publié
[consulté
[en
24
1220 Déclaration préliminaire de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne en Tunisie, élections
2020],
législatives
2019
http://www.epgencms.europarl.europa.eu/cmsdata/upload/90fb0fb2-c52f-4120-bbfa-
[consulté
octobre
janvier
ligne],
[en
du
le
le
3
6
286



Page 288
des Tunisiennes est en recul et la Tunisie revient sur ses avancées en matière de parité
hommes/femmes.
Il est vrai que le texte constitutionnel pose les jalons de l’égalité mais sans l’intervention du
législateur et la participation politique des Tunisien(ne)s, les dispositions constitutionnelles
restent vaines. Il en est de même du droit à la sûreté qui vise à protéger les femmes et à
éradiquer toute forme de violences à leur encontre. La constitutionnalisation du devoir de
l’Etat d’éliminer la violence faite aux femmes, pousse le législateur tunisien à prendre en
charge les avancées visant à reconnaître l’égalité dans la loi. Le dernier alinéa de l’article 46
de la Constitution indique que « [l]’Etat prend les mesures nécessaires en vue d’éliminer la
violence contre la femme.
»1221 Même si l’emploi du singulier ne permet pas de caractériser
les diverses formes de violences que subissent les femmes, la formulation de l’article prouve
que les constituants sont conscients qu’il est plus souvent porté atteinte à l’intégrité physique
et morale des femmes qu’à celle des hommes.
La violence subie par les femmes se manifeste tant dans l’espace public que dans l’espace
privé. Elle est physique, morale, matérielle (économique) et/ou sexuelle. C’est d’ailleurs la
raison pour laquelle l’Etat tunisien est chargé de prendre les mesures nécessaires en vue de
l’éradiquer. Il s’agit alors pour l’Etat d’identifier les différents types de violences et d’essayer
de les prévenir dans un premier temps. Pour ce faire, il faudrait, réformer le CSP et supprimer
toutes les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes encore présentes dans les lois.
C’est ainsi que le 26 juillet 2017, la Tunisie a voté une loi « historique » contre les violences
faites aux femmes qui modifie entre autres, l’article 227 bis du Code pénal. Désormais,
l’auteur d’un acte sexuel sur une mineure de moins de quinze ans, ne peut échapper à des
poursuites pénales en épousant sa victime
1222. L’adoption de la loi a eu le même effet domino
f38fa53a294a/TUNISIE_2019-10-08_Declaration-preliminaire-MOE-UE.pdf, p. 9. Cette même déclaration
précise que les circonscriptions électorales de Tunis 1, Tunis 2, Ben Arous ou encore de l’Ariana ont eu
plus de 20 % de candidates en têtes de listes. Seulement Médenine, Siliana et Zaghouan ont eu moins de
5 % de candidates en têtes de listes. Dans la circonscription de Tataouine, aucune femme n’a été tête de
liste.
1221 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article
46, quatrième alinéa.
1222 Le Monde avec AFP, « La Tunisie vote une loi “historique” contre les violences faites aux femmes », Le
le 19 décembre 2018],
Monde
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/07/27/la-tunisie-vote-une-loi-historique-contre-les-violences-
faites-aux-femmes_5165571_3212.html.
ligne], publié
juillet 2017,
jeudi 27
[consulté
[en
le
287





Page 289
que la révolution. Les législateurs jordanien et libanais ont respectivement abrogé le 1er1223 et
le 16 août 2017
1224, les dispositions qui permettaient au violeur d’échapper aux poursuites
pénales en se mariant à sa victime. Mais tout comme la Constitution, la loi n’est efficace que
dans la mesure où elle est appliquée. « Comme l’explique le Professeur Michel Troper, les
principes constituent un instrument rhétorique puissant. Leur évocation au début du
processus constituant et leur inscription dans le texte final démontrent l’intention de les
employer dans la suite du débat. Faisant partie du système constitutionnel, ces principes
peuvent servir de fondement à l’argumentation des autorités d’application, notamment celle
des juges.
»1225 Inscrit dans la Constitution, le principe d’égalité va être mobilisé par les
groupes de pression qui militent pour les droits des femmes et par les juges. Les réformes
actuelles qui consacrent l’avancée des droits des femmes en Tunisie, doivent également être
appliquées par les autorités locales dans l’ensemble des gouvernorats de la République. Il
s’agira de savoir si les maires disposent d’une marge de manœuvre dans l’application de ces
réformes et si, à cause de considérations religieuses, ils peuvent refuser d’appliquer les
avancées juridiques en cours
1226.
De manière plus générale, se pose la question de savoir si le référent religieux empêche
l’entrée en vigueur des conventions internationales relatives aux droits de l’Homme,
auxquelles prend part la Tunisie. De manière plus particulière, il s’agit de s’assurer que la
CEDEF est pleinement effective dans le système juridique national. Il est donc essentiel
d’analyser
les processus formels d’approbation et de ratification des
instruments
internationaux et d’étudier le sort qui leur est réservé dans l’ordre juridique interne.
Section 2
La valeur et les effets des conventions internationales dans l’ordre
juridique interne
L’ancrage universel de la Constitution du 27 janvier 2014 est compromis à plus d’un titre.
D’une part,
les expressions et formulations employées sont vagues et sujettes à
1223 De l’article 308 du Code pénal jordanien.
1224 De l’article 522 du Code pénal libanais.
1225 N. DANELCIUC-COLODROVSCHI, « L’incidence des influences constitutionnelles externes sur
l’écriture et l’adoption des constitutions post conflictuelles », précit., p. 130.
1226 Les réponses à ces questions sont apportées dans le B. du Paragraphe 2 de la Section 2 qui suit.
288







Page 290
interprétations ; aussi, les références à l’universel et aux valeurs humaines sont neutralisées
par les valeurs identitaires
1227. D’autre part, le refus de prendre en considération les
instruments spécifiques des droits de l’Homme se traduit par le silence de la Constitution sur
le droit international des droits de l’Homme.
Dans un article intitulé “International Human Rights Law as a Framework for Emerging
Constitutions in Arab Countries”
1228, Saïd MAHMOUDI analyse la référence aux droits de
l’Homme dans les Constitutions des pays arabes. Si l’article 6 de la Constitution du Yémen et
le préambule de la Constitution égyptienne font explicitement référence à la Charte des
Nations Unies et/ou à la
DUDH1229, la Constitution tunisienne et le préambule de la
Constitution marocaine se réfèrent en des termes généraux aux droits de l’Homme
1230. Or,
contrairement au préambule de la Constitution marocaine de 2011, la Constitution tunisienne
de 2014 ne mentionne ni le droit international ni la
DUDH1231. Sur ce point, la Constitution du
27 janvier 2014 est moins ouverte sur les droits de l’Homme que celle du 1
er juin 1959
(Paragraphe 1). Malgré les avancées notables de la Tunisie en matière de droits de l’Homme,
les conventions internationales ne produisent pas toutes leurs effets dans l’ordre juridique
interne (Paragraphe 2). L’entrée en vigueur de certaines d’entre elles est contredite par le
référent religieux de l’article premier de la Constitution.
Paragraphe 1
Une Constitution moins ouverte sur les droits de l’Homme que celle
du 1er juin 1959
Ayant suivi les projets de Constitution élaborés par l’ANC, les experts de l’ATDC1232 avaient
rappelé aux constituants l’importance de la référence au droit international et à la DUDH.
1227 Cf. le Chapitre 1 du Titre II de cette partie relatif à la neutralisation des valeurs humaines par les valeurs
identitaires, p. 191.
1228 S. MAHMOUDI, “International Human Rights Law as a Framework for Emerging Constitutions in Arab
Countries”,
in R. GROTE & T. J. RÖDER (eds.), Constitutionalism, Human Right and Islam after the Arab
Spring, op.cit.
, pp. 535-544.
1229 Ibid., p. 536.
1230 Ibid.
1231 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 384.
1232 Voir à ce propos la lecture du premier brouillon de la Constitution par les Professeurs Slim LAGHMANI,
Salwa HAMROUNI et Salsabil KLIBI lors de la première journée d'étude Abdelfattah AMOR organisée
par l’
ATDC et l’ARTD le 15 janvier 2013 à la Bibliothèque Nationale, [en ligne], [consulté le 26 octobre
289







Page 291
Alors que leur prise en compte aurait facilité la crédibilité internationale de la Tunisie, les
déclarations internationales des droits de l’Homme ont dans un premier temps, été absentes
des dispositions de la Constitution (A). Ce n’est qu’après d’âpres critiques adressées par les
experts de l’ATDC que les constituants ont finalement inséré l'article 20, relatif au droit
international et à la valeur juridique des différentes conventions approuvées et ratifiées par la
Tunisie (B).
A.
La criante absence des déclarations internationales des droits de l’Homme
La référence aux valeurs humaines est compromise puisque la nouvelle Constitution n’évoque
pas le droit international des droits de l’Homme. La DUDH a pourtant servi de référence aux
différentes commissions constituantes, à l’exemple de la Commission du préambule et celle
des droits et libertés. De plus, plusieurs engagements internationaux et régionaux relatifs aux
droits de l’Homme et aux libertés fondamentales ont été étudiés par les membres de
l’ANC1233. Les valeurs universelles contenues dans les conventions internationales auraient
permis d’élargir celles de la Constitution du 27 janvier 2014. La DUDH des Nations Unies de
1949 contient d’ailleurs un catalogue de droits plus vaste que celui du texte tunisien. Source
d’inspiration, les textes internationaux relatifs aux droits de l’Homme ne figurent pas
expressément dans le texte constitutionnel du 27 janvier 2014.
Ceci n’est pas sans rappeler l’article précité de Saïd MAHMOUDI qui distingue les
Constitutions des pays arabes en fonction des références explicites ou implicites aux droits de
l’Homme. S’il classe les Constitutions tunisienne(s) et marocaine(s) au rang des Constitutions
2018], https://www.youtube.com/watch?v=J30t4k-Lgg8 (en arabe). Voir également, l’intervention du
Professeur Salwa HAMROUNI portant sur le préambule et les principes généraux au cours de la deuxième
journée d'étude Abdelfattah AMOR à l'Africa autour du thème «
La Constitution, entre discussion et
adoption
». Cette journée a été organisée par l'ATDC en partenariat avec DRI le 9 janvier 2014, [en ligne],
[consulté le 26 octobre 2018], https://www.youtube.com/watch?v=diJKnh78hA4 (en arabe).
1233 Ceci a été dit : il s’agit essentiellement de la Charte arabe des Droits de l’Homme, de la Déclaration du
Caire relative aux Droits de l’Homme dans l’Islam, de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des
Peuples, de la
CEDH, des accords de non prescription des crimes de guerre et des crimes contre
l’Humanité, des principes fondamentaux du traitement des prisonniers, de l’accord spécial relatif à la liberté
de vote et de la protection du droit à l’organisation syndicale, du
PIDCP, du PIDESC, de la CEDEF, de la
Convention relative aux droits de l’enfant et de la Convention sur les droits des personnes handicapées.
Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission des droits et libertés, « Rapport final
de la Commission constituante des droits et libertés concernant le chapitre des droits et des libertés de la
Constitution », 13 septembre 2012 [en ligne]
, [consulté le 17 octobre 2018], https://majles.marsad.tn/fr/
docs/518e5bfc7ea2c422bec25367 (en arabe).
290






Page 292
qui se réfèrent en des termes généraux aux droits de l’Homme1234, il est intéressant de
comparer la référence à l’universel du préambule de la Constitution tunisienne à celle de la
Constitution marocaine. La comparaison ainsi menée est au service d’une démonstration :
celle de la naissance d’un constitutionnalisme identitaire dans les pays d’Afrique du Nord et
du Proche-Orient secoués par le
Printemps arabe1235.
Contrairement au préambule tunisien du 27 janvier 2014, le préambule marocain du 29 juillet
2011
1236 énonce le point suivant : « Mesurant l'impératif de renforcer le rôle qui lui revient
sur la scène mondiale, le Royaume du Maroc, membre actif au sein des organisations
internationales, s'engage à souscrire aux principes, droits et obligations énoncés dans leurs
chartes et conventions respectives, il réaffirme son attachement aux droits de l'Homme tels
qu'ils sont universellement reconnus, ainsi que sa volonté de continuer à œuvrer pour
préserver la paix et la sécurité dans le monde. » Malgré l’attachement du Maroc aux
spécificités identitaires de son peuple
1237, le préambule engage le Royaume sur la scène
internationale : le renforcement de son rôle mondial est un impératif, il est un membre actif au
sein des organisations internationales et, il réaffirme sa volonté de continuer à œuvrer pour
préserver la paix et la sécurité dans le monde. A l’opposé, les particularismes culturels du
peuple en Tunisie priment formellement sur la référence à l’universel
1238 et, le rôle de la
République est moins mondial que régional.
En effet, alors que sous l’empire de la Constitution du 1er juin 1959, la coopération avec les
peuples africains n’était qu’une étape à la réalisation d’un monde meilleur, actuellement
l'unité avec les peuples musulmans et africains est une fin en soi
1239. Les dispositions du
préambule du 27 janvier 2014 suggèrent aux Tunisiens de coopérer avec les peuples du
1234 S. MAHMOUDI, “International Human Rights Law as a Framework for Emerging Constitutions in Arab
Countries”, précit., p. 536.
1235 Cf. la Section 2 du Chapitre 2 du Titre I de la PARTIE II de cette thèse, relatif à l’émergence d’une version
originale du constitutionnalisme dans la région : le constitutionnalisme identitaire, p. 402.
1236 Adoptée par référendum le 1er juillet 2011 à 98,5 % des suffrages, la nouvelle Constitution marocaine ne
sera promulguée que le 29 juillet.
Dahir n° 1-11-91 du 29 juillet 2011, BO n° 5964 du 30 juillet 2011,
p. 1902.
1237 Le préambule de la Constitution exprime l’attachement du Royaume du Maroc « à une unité, forgée par la
convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie
de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen
” ». S. HAMROUNI, « Les valeurs
fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes généraux de la Constitution »,
précit., p. 387.
1238 Cf. le A. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE I de cette thèse, relatif à
une prévalence formelle et matérielle, p. 213.
1239 Cf. le 2. du A. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE I de cette thèse,
relatif à
l’occultation de l’appartenance méditerranéenne et des acquis historiques autres qu’arabes,
p. 199.
291




Page 293
monde. Or leur collaboration n’est qu’une contribution, une aide, qui peut être plus ou moins
éphémère. En aucun cas cette collaboration ne relève de l’impératif. Certes les constituants se
basent sur « la paix dans le monde et la solidarité humaine » mais ceci n’est fait que dans
l’objectif de concrétiser la volonté du peuple «
d’être créateur de sa propre histoire »1240.
Alors que le préambule de la Constitution du 1er juin 1959 proclame la volonté du peuple de
« demeurer fidèle aux valeurs humaines qui constituent le patrimoine commun des peuples
attachés à la dignité de l’Homme, à la justice et à la liberté et qui œuvrent pour la paix, le
progrès et la libre coopération des nations
»1241, les valeurs universelles du préambule de la
Constitution du 27 janvier 2014 sont présentées de façon inorganisée et souvent suivies de
valeurs identitaires. Il en est ainsi de la fraternité, de l’entraide et de la justice sociale, de la
coopération avec les peuples du monde, du triomphe des opprimés en tout lieu, du droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes et de la défense de la juste cause de tous les mouvements de
libération.
Malgré la prévalence des valeurs identitaires sur les valeurs universelles et en dépit de
l’importance de l’appartenance aux espaces arabo-musulmans, aucune référence n’énonce
clairement l’engagement de la Tunisie au sein d’une organisation régionale, qu’elle soit arabe
ou autre.
Si le préambule marocain ne précise pas quelles sont les organisations internationales au sein
desquelles œuvre le Royaume, il souscrit aux principes, droits et obligations énoncés dans
leurs chartes et conventions respectives. A la différence des constituants tunisiens qui ne
consacrent pas directement les droits de l’Homme mais les principes universels et supérieurs
qui peuvent découler de certains droits humains, la commission consultative marocaine1242
réaffirme l’attachement du Maroc aux droits de l'Homme tels qu'ils sont universellement
reconnus. Bien qu’aucun instrument spécifique ne soit mentionné, le renvoi aux chartes et
conventions des organisations internationales dont le Maroc fait partie, permet aux interprètes
1240 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, sixième
paragraphe du préambule.
1241 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 1er juin 1959, troisième
paragraphe du préambule.
1242 Composée de 17 membres nommés par le Roi, cette commission avait pour mission principale de modifier
la Constitution en vigueur. Voir O. BENDOUROU, « La nouvelle Constitution marocaine du 29 juillet
2011 »,
précit., p. 512.
292





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de la Constitution de s’inspirer des textes internationaux relatifs aux droits de l’Homme1243,
pour élargir les droits et obligations contenus dans la Constitution marocaine du 29 juillet
2011. Ceci n’est pas permis par la Constitution tunisienne actuelle.
Mais, bien que la Constitution marocaine du 29 juillet 2011 semble être plus ouverte sur le
droit international des droits de l’Homme que la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014,
cette ouverture est soumise à conditions. En effet, « la ratification et l’effectivité des
conventions internationales ne peuvent se concevoir que dans la mesure où elles respectent
l’identité nationale qui est sujette à confusion.
»1244 Il est vrai que le Maroc s’engage à donner
aux conventions internationales dûment ratifiées et publiées, la primauté sur le droit interne. Il
s’engage également à harmoniser les dispositions pertinentes de sa législation nationale mais
ceci ne peut se faire que dans le cadre des dispositions de la Constitution et des lois du
Royaume, autrement dit, dans «
le respect de son identité nationale immuable »1245. Malgré la
référence plus ou moins explicite aux instruments internationaux des droits de l’Homme, les
spécificités identitaires de peuple au Maroc priment sur l’universalité des droits de l’Homme.
Il est donc intéressant de se pencher sur l’effectivité des préambules marocains précédents.
« Si le Préambule des Constitutions de 1992 et 1996 a affirmé l’attachement du Maroc aux
droits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus, il n’a pas été accompagné de
mesures législatives rendant possibles son application.
»1246 Le préambule est resté une
simple déclaration
1247 et, la révision de certaines lois (anti-terroriste1248 ou sur les partis
politiques
1249 par exemple) a restreint les droits et libertés des Marocains. Or, ces restrictions
sont en contradiction avec les conventions internationales relatives aux droits de l’Homme
ratifiées par le Maroc, telles que le PIDCP. Il est certainement important que les droits de
l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus soient constitutionnalisés mais, sans
1243 Tels que la Charte des Nations Unies et la DUDH.
1244 O. BENDOUROU, « La nouvelle Constitution marocaine du 29 juillet 2011 », précit., p. 515.
1245 Treizième aliéna du préambule de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011.
1246 O. BENDOUROU, « La nouvelle Constitution marocaine du 29 juillet 2011 », précit., p. 515.
1247 « [L]e Conseil constitutionnel n’a pas saisi l’opportunité qui lui était présentée en 1994 lors de l’examen
de la loi relative à l’installation des stations terriennes de réception (liberté d’information) pour confirmer
le caractère juridique et non déclaratif du Préambule. La décision rendue revêt un caractère plus politique
que constitutionnel à imputer à la composition de ce conseil et à sa dépendance à l’égard du pouvoir
politique. » Ibid.
1248 O. BENDOUROU, Libertés publiques et Etat de droit au Maroc, Rabat, Friedrich Ebert, collection Droit
public, 2004, 266 p.
1249 O. BENDOUROU, « La loi marocaine relative aux partis politiques », in Année du Maghreb, Paris, CNRS,
2006, pp. 293-301.
293




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législation nationale adaptée et sans contrôle de conventionalité, le droit international ne peut
être appliqué nationalement.
Actuellement au Maroc, même si le préambule fait partie intégrante de la Constitution1250, la
primauté des conventions internationales ratifiées et publiées ne s’exerce sur le droit interne
que dans le respect de l’identité nationale
1251. Autrement dit, une convention internationale
n’est ratifiée que dans la mesure où elle respecte les dispositions de la Constitution. « On peut
[donc], à titre d’exemple, souligner que les conventions internationales qui sont en
contradiction avec l’islam, qui constitue l’une de ses composantes essentielles, n’ont pas leur
place dans le droit interne.
»1252 Si le préambule marocain du 29 juillet 2011 fait du rôle du
Maroc sur la scène mondiale un impératif, l’engagement constitutionnel du Royaume n’est
possible que dans le respect de l’identité nationale.
Bien que les dispositions constitutionnelles ouvertes sur le droit international des droits de
l’Homme assurent au Maroc la reconnaissance et l’acceptation de la communauté
internationale, le droit international des droits de l’Homme n’est effectif dans l’ordre juridique
interne que s’il est conforme à l’Islam. Afin de mener à bien la comparaison avec le Maroc, il
est utile de savoir quelle est la valeur juridique des conventions approuvées et ratifiées par la
Tunisie dans l’ordre juridique interne. De la sorte, il sera plus facile de voir si l’Islam comme
composante de l’identité constitutionnelle peut bloquer la ratification des conventions
internationales.
B.
La valeur juridique des conventions approuvées et ratifiées par la Tunisie
Alors qu’actuellement et en vertu de l’article 20 de la Constitution « [l]es conventions
approuvées par le Parlement et ratifiées sont supérieures aux lois et inférieures à la
Constitution
»1253, les travaux préparatoires à la Constitution révèlent l’intention de certains
constituants de ne reconnaître d’effet juridique qu’aux conventions qui ne contredisent pas les
1250 Dernier alinéa du préambule de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011.
1251 Avant-dernier alinéa du préambule de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011. Il ne s’agit pas ici
d’analyser les composantes de l’identité nationale marocaine mais de démontrer que l’ouverture au droit
international des droits de l’Homme proposée par le texte constitutionnel est contredite par les dispositions
constitutionnelles relatives à l’Islam et la pratique.
1252 O. BENDOUROU, « La nouvelle Constitution marocaine du 29 juillet 2011 », précit., pp. 515-516.
1253 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 20.
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principes et valeurs de l’Islam1254. De plus, les brouillons de la Constitution précisent que « la
supériorité des traités sur les lois était limitée aux conventions approuvées par la chambre
des représentants du peuple ce qui excluait l’ensemble des conventions déjà ratifiées par la
République.
»1255 Ceci ouvrait la voie à la méconnaissance des conventions ratifiées par le
pouvoir exécutif sous l’empire de la Constitution du 1
er juin 1959. Avant de voir que le
gouvernement de transition présidé par Mohamed GHANNOUCHI a ratifié un certain nombre
des conventions internationales, il est intéressant de se pencher sur l’article 20 de la
Constitution actuelle.
Grâce aux experts en droit constitutionnel de l’ATDC et aux travaux de la Commission des
consensus, l’article 20 a été inséré à la Constitution. Cet article confère aux conventions
internationales approuvées par le Parlement et ratifiées par le président de la République
1256,
une valeur supra-législative
1257 et
infra-constitutionnelle. Conférant aux conventions
internationales une force juridique particulière, l’article 20 est selon le Professeur Tania
GROPPI un «
élément caractérisant l’Etat constitutionnel »1258 puisqu’il ouvre le texte
constitutionnel au droit international des droits de l’Homme. La disposition n’est pourtant pas
nouvelle en droit constitutionnel tunisien. L’article 32 de la Constitution du 1
er juin 1959
reconnaissait déjà aux traités «
une autorité supérieure à celle des lois. »1259 Dans les deux
Constitutions, les « traités n’ont une autorité supérieure aux lois nationales qu’après leur
approbation par le pouvoir législatif par une loi.
»1260 Se pose alors la question de la valeur
des traités ratifiés par le président de la République mais non soumis à l’approbation du
Parlement et des accords en forme simplifiée. Alors que les premiers auraient une valeur
1254 Pour plus de précisions sur ce point, cf. le Paragraphe 2 qui suit.
1255 S. HAMROUNI, « Les valeurs fondatrices de la deuxième République dans le préambule et les principes
généraux de la Constitution », précit., p. 383.
1256 D’après l’alinéa 6 du paragraphe 2 de l’article 77 de la Constitution du 27 janvier 2014, le président de la
République est compétent pour ratifier les traités et ordonner leur publication. Le paragraphe 3 de l’article
92 précise que le chef du Gouvernement conclut les traités internationaux à caractère technique. En d'autres
termes, la signature de ces traités relève exclusivement de la compétence du chef du Gouvernement. Selon
la circulaire du Premier ministre du 4 novembre 1988, les accords à caractère technique n’engagent ni la
souveraineté de l’Etat, ni les finances publiques et ne concernent nullement les matières qui relèvent du
domaine de la loi.
1257 Cela comprend les lois organiques et ordinaires.
1258 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
p. 22.
1259 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 1er juin 1959, article 32,
dernier alinéa.
1260 B. AJROUD, « Les traités dans la Constitution du 27 janvier 2014 », in Konrad-Adenauer Stiftung (dir.),
Mouvances du droit. Etudes en l’honneur du Professeur Rafâa Ben Achour, op.cit., p. 106. A noter que les
traités énumérés à l’article 67 de la Constitution sont soumis à l’approbation de l’
ARP et n’entrent en
vigueur qu’après leur ratification. Cette catégorie de traité a donc une valeur supra-législative.
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législative, en vertu de l’alinéa 3 de l’article 92 de la Constitution du 27 janvier 2014, les
seconds auraient une valeur infra-législative
1261.
La valeur supra-législative conférée par l’article 20 aux conventions internationales
approuvées et ratifiées, permet de penser qu’elles vont servir de normes de référence au
contrôle de constitutionnalité des lois, même si elles doivent être conformes à la Constitution.
De plus, la référence expresse à la publication dans l’article 77 paragraphe 2 alinéa 6, suppose
que le défaut de publication puisse être soulevé d’office, par le juge administratif et
judicaire
1262. Néanmoins, le Professeur Rafâa BEN ACHOUR critique l’ambiguïté de la
formulation de l’article 20 « car bien qu’elle montre une certaine ouverture au système
international elle pourrait tout de même représenter une source de résistance, au nom des
spécificités locales
1263. »1264 C’est d’ailleurs le cas de la CEDEF1265. En effet, l’opposition du
traité à l’ordre public tunisien peut être invoquée pour des considérations religieuses. Si tel est
le cas, la valeur supra-législative du traité pourrait être remise en cause, bien que l’invocation
de l’exception de l’ordre public, soit contraire au droit international. C’est ce que la Cour
Permanente de Justice Internationale (CPJI) a confirmé dans un avis du 21 février 1925
relatif à l’échange des populations turques et grecques, dans lequel elle précise qu’un Etat
« qui a valablement contracté des obligations internationales est tenu d’apporter à sa
législation des modifications nécessaires pour assurer l’exécution des engagements pris.
»1266
La lecture de l’article 20 pose également la question de savoir pourquoi les constituants font
référence au Parlement, alors que seule la chambre basse qu'est l’Assemblée des
Représentants du Peuple, exerce actuellement le pouvoir législatif en Tunisie. En arabe,
l’article 20 de la Constitution précise que les conventions internationales sont approuvées par
Al Majles anniabi, l’Assemblée représentative. Les autres articles de la Constitution ne font
référence qu’au Majles annoueb, l’Assemblée des Représentants du Peuple. Est-ce volontaire
de la part des constituants ? L’Assemblée représentative, l’ARP et le Parlement renvoient-ils à
1261 Ibid., pp. 118-120.
1262 Si et seulement si la jurisprudence tunisienne va dans le même sens que la jurisprudence française en
matière de défaut de publication des traités internationaux dans l’ordre juridique interne. En ce qui
concerne le refus des juges français des deux ordres de juridiction d’appliquer une convention non publiée,
voir Cons. d’Etat, Ass., 13 juillet 1965,
Société Navigator, Rec. Cons. d’Et., p. 422 ; Cass. Civ. I, 16 mai
1961,
Le Breton c./Delle Loesch, JDI 1962, p. 416.
1263 R. BEN ACHOUR, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », précit., p. 792.
1264 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
p. 22.
1265 Voir le A. du Paragraphe 2 qui suit.
1266 CPJI, avis du 21 février 1925 sur l’échange des populations turques et grecques, série B, n° 10, p. 20.
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la même entité, au même organe législatif ? Aucune réponse n’est apportée à ces questions et
la disposition constitutionnelle laisse libre l’interprétation.
Pour mémoire, la plupart des conventions internationales relatives aux droits de l’Homme
ratifiées par la Tunisie ont été le fait du gouvernement de transition présidé par
M. GHANNOUCHI
1267. Il est alors plus facile de comprendre la première partie de
l’article 20, selon laquelle les conventions approuvées par le Parlement sont supérieures aux
lois et inférieures à la Constitution. Ce serait une stratégie des islamistes qui vise à empêcher
l’entrée en vigueur des conventions et accords internationaux relatifs aux droits de l’Homme
qu’ils n’auraient pas approuvés. Le gouvernement de M. GHANNOUCHI a pourtant
approuvé l'adhésion de la Tunisie à plusieurs conventions internationales importantes : la
Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions
forcées, le Statut de Rome portant sur la Cour Pénale Internationale, le protocole non
obligatoire annexé à la Convention internationale contre la torture et les protocoles non
obligatoires annexés au
PIDCP1268. L’ancien régime craignait de se conformer aux
dispositions de ces conventions mais il semble que leur ratification soit toujours un point
délicat, puisqu’elle n’est pas le fait du Parlement comme l’indique l’article 20 mais du
gouvernement de transition
1269.
Alors que l’article 20 de la Constitution précise que les conventions internationales
approuvées par le Parlement et ratifiées par le président de la République ont une valeur
supra-législative et infra-constitutionnelle, l’article premier empêche certaines d’entre elles de
produire tous leurs effets dans l’ordre juridique interne.
1267 Pour en savoir plus, cf. Le Monde avec AFP et Reuters, « La Tunisie compte ses morts et avance sur les
droits de l’homme »,
Le Monde [en ligne], publié le mardi 1er février 2011, [consulté le 20 décembre 2018],
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/01/la-tunisie-compte-ses-morts-et-avance-sur-les-droits-de-
l-homme_1473798_3212.html#7iWVc7EDlGQT0fmj.99.
1268 Ibid.
1269 L’entrée en vigueur du décret-loi n° 14-2011 conduit Fouad MEBAZZA, président de la République par
intérim à exercer le pouvoir législatif et exécutif sous forme de décrets-lois après délibération du Conseil
des ministres. Le pouvoir exécutif revient également à un gouvernement provisoire dirigé par Mohammed
GHANNOUCHI. Les Chambres des députés et des conseillers ayant officiellement été dissoutes, le pouvoir
exécutif a exercé un certain nombre de compétences législatives. «
N’ayant plus aucune attache avec
l’ancien ordonnancement de la Constitution du 1er juin 1959 devenue caduque,
[le décret-loi n° 14-2011]
est paradoxalement un acte constitutif, générateur d’une nouvelle légalité, fondateur d’un ordre nouveau
constitutionnel.
» Ce décret régit l’organisation et le fonctionnement provisoires des institutions de l’Etat
dans l’attente de l’élection d’une ANC. Pour plus de précisions sur ce décret-loi cf. R. BEN ACHOUR et S.
BEN ACHOUR, « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité
révolutionnaire »,
précit., pp.722-723.
297





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Paragraphe 2
Les effets des conventions internationales dans l’ordre juridique
interne
L’article 120 de la Constitution prévoit le contrôle de la constitutionnalité des traités (A). Ce
contrôle produit des effets dans l’ordre juridique interne puisqu’en vertu de l’article 121 de la
Constitution, les décisions de la Cour constitutionnelle sont obligatoires et s’imposent à tous
les pouvoirs publics. Pourtant, « la valeur infra-constitutionnelle des traités peut poser le
problème de l’éventuelle opposition de certaines conventions à certaines dispositions qui
protègent expressément la religion musulmane dans la constitution.
»1270 En d'autres termes,
l’article premier de la Constitution empêche certaines conventions de produire tous leurs
effets dans l’ordre juridique interne. Il en est ainsi des conventions internationales relatives
aux droits des femmes (B).
A.
Le contrôle de la constitutionnalité des traités
En vertu de l’article 120 de la Constitution, la Cour constitutionnelle est compétente pour
contrôler la constitutionnalité des traités que lui soumet le président de la République, avant la
promulgation du projet de loi relatif à leur approbation. Dans la Constitution du 1
er juin 1959,
l’alinéa 2 de l’article 72 ne prévoyait la saisine obligatoire du Conseil constitutionnel que
pour les traités conclus dans le cadre du Grand Maghreb arabe et qui modifiaient la
Constitution. Le Conseil constitutionnel avait cependant élargi sa compétence en la matière.
En effet il « a exercé un contrôle constitutionnel sur les projets de loi d’approbation des
traités. Il s’était déclaré compétent pour tous les traités qui étaient mentionnés dans l’ancien
article 32 § 21271. Il a déduit par ailleurs le caractère obligatoire de la saisine du Conseil
lorsque les traités relevaient en même temps du domaine de l’article 72 alinéa 1
er de la
1270 B. AJROUD, « Les traités dans la Constitution du 27 janvier 2014 », précit., p. 117.
1271 Paragraphe 2 de l’article 32 de la Constitution tunisienne du 1er juin 1959 : « Les traités concernant les
frontières de l’Etat, les traités commerciaux, les traités relatifs à l’organisation internationale, les traités
portant engagement financier de l’Etat, et les traités contenant des dispositions à caractère législatif, ou
concernant le statut des personnes, ne peuvent être ratifiés qu’après leur approbation par la Chambre des
députés.
» Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 1er juin 1959,
article 32, deuxième alinéa.

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constitution1272. Il a ainsi pu contrôler la conformité et la comptabilité des traités à la
constitution. Il a par ailleurs vérifié la conformité et la compatibilité des projets de loi aux
traités.
»1273 Même si de nos jours, le contrôle de constitutionnalité ne concerne pas les projets
de lois d’approbation des traités mais les traités déjà approuvés par le Parlement par une loi,
les deux Constitutions ne reconnaissent la saisine du juge constitutionnel qu’au Chef de l’Etat.
Conformément à la Constitution du 27 janvier 2014, la Cour constitutionnelle peut juger un
traité inconstitutionnel s’il contient des dispositions non conformes à la Constitution. Les
dispositions transitoires du Chapitre X précisent au paragraphe 7 de l’article 148, la création
par l’ANC d’une instance provisoire, chargée du contrôle de constitutionnalité des projets de
loi, au cours des trois mois qui suivent la promulgation de la Constitution. Cette instance
provisoire est créée par la loi organique n° 2014-14 du 18 avril 2014
1274 et prend fin dès la
mise en place de la Cour constitutionnelle. Alors que le premier paragraphe de l’article 3 de la
loi organique précise que la saisine de l’Instance est reconnue au président de la République,
au chef du Gouvernement ou à 30 députés au moins, le deuxième paragraphe définit les
projets de lois possiblement soumis au contrôle de constitutionnalité. Il s’agit des textes de
lois adoptés par l’ANC ou par l’ARP non encore promulgués. Il est alors logique de penser
que l’Instance provisoire pourrait exercer un contrôle de constitutionnalité sur les projets de
loi d’autorisation de ratification des traités
1275. Les décisions de l’Instance sont selon le
paragraphe 2 de l’article 21 de la loi organique, motivées et publiées au Journal Officiel de la
République tunisienne. Elles sont en vertu du paragraphe 3 de l’article 21, obligatoires à
l’égard de tous les pouvoirs.
L’article 120 de la Constitution prévoit également l’exception d’inconstitutionnalité.
Désormais, l’une des parties au litige peut demander le contrôle de constitutionnalité d’une loi
et par extension, celle d’un traité. « La partie requérante demande dans ce cas la non
application de la loi sur la base de l’article 20 de la nouvelle constitution tunisienne car les
1272 Voir l’avis 69 du 9 novembre 2005 relatif au projet de loi portant approbation de la Convention sur la
commission africaine de l’énergie.
1273 B. AJROUD, « Les traités dans la Constitution du 27 janvier 2014 », précit., pp. 113-114.
1274 JORT n° 32, du 22 avril 2014.
1275 Les dispositions transitoires de la Constitution n’autorisent pas les tribunaux ordinaires à contrôler la
constitutionnalité des lois. Le troisième paragraphe de l’article 3 de la loi organique n° 2014-14 du 18 avril
2014 reprend d’ailleurs cette interdiction. Conformément aux dispositions de la nouvelle Constitution, le
juge ordinaire ne peut effectuer un contrôle de conventionalité alors même que les traités ont une valeur
supra-législative dans l’ordre juridique interne.
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traités ratifiés et approuvés par l’Assemblée des représentants ont une autorité supérieure
aux lois.
»1276 Toute loi qui s’oppose à un traité devra donc être écartée.
Par ailleurs, il faut lier les dispositions de l’article 120 à celles de l’article 82 de la
Constitution qui précisent qu’ « [e]xceptionnellement et au cours du délai de renvoi, le
Président de la République peut décider de soumettre au référendum les projets de loi
adoptés par l’Assemblée des représentants du peuple relatifs à l’approbation des traités
internationaux, aux libertés et droits de l’Homme ou au statut personnel. Le recours au
référendum vaut renonciation au droit de renvoi. Si le référendum aboutit à l’adoption du
projet, le Président de la République le promulgue et ordonne sa publication dans un délai
n’excédant pas dix jours à compter de la date de proclamation des résultats.
»1277 Autrement
dit et en ce qui concerne les projets de lois d’approbation des traités acceptés par référendum,
la Cour constitutionnelle pourrait se déclarer incompétente. Ce n’est pas sans rappeler la
décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962 du Conseil constitutionnel français, qui s'est
déclaré incompétent pour statuer sur une loi adoptée par référendum et relative à l’élection du
président de la République au suffrage universel direct
1278.
De plus, en vertu du deuxième alinéa de l’article 121 de la Constitution, la Cour
constitutionnelle rend des décisions motivées et obligatoires qui s’imposent à tous les
pouvoirs. Si la future Cour déclare inconstitutionnelles les dispositions d’un traité, il n’est pas
adopté
1279. En France, quand l’engagement international comporte une clause contraire à la
Constitution, l’autorisation de le ratifier ou de l’approuver ne peut intervenir qu’après la
révision du texte constitutionnel. Le contrôle effectué par le Conseil constitutionnel est un
contrôle de compatibilité : la Constitution peut être révisée pour recevoir le traité. Bien que la
Constitution du 27 janvier 2014 soit muette à ce sujet, il est logique de penser que la
Constitution doit être révisée pour recevoir le traité. Se pose alors la question de la révision de
l’article premier de la Constitution. Au fondement de l’identité constitutionnelle, l’article
1276 B. AJROUD, « Les traités dans la Constitution du 27 janvier 2014 », précit., p. 115.
1277 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article
82, alinéas 1 et 2.
1278 Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a notamment estimé qu’il résultait « de l'esprit de la
Constitution qui a fait du Conseil constitutionnel un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics
que les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par le
Parlement et non point celles qui, adoptées par le Peuple à la suite d'un référendum, constituent
l'expression directe de la souveraineté nationale.
» Cette jurisprudence a depuis, été confirmée par la
décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992 concernant le contrôle de constitutionnalité de la loi
référendaire, autorisant la ratification du Traité sur l’Union européenne.
1279 B. AJROUD, « Les traités dans la Constitution du 27 janvier 2014 », précit., p. 117.
300




Page 302
premier ne peut, en vertu de son deuxième alinéa, faire l’objet d’aucune révision. Si la
question de sa révision ne se pose actuellement pas
1280, les dispositions constitutionnelles
relatives à l’identité priment sur celles des conventions internationales dans l’ordre juridique
interne. Ceci est d’ailleurs également le cas au Maroc.
Si le préambule marocain du 29 juillet 2011 affirme que les conventions internationales ont
une valeur supérieure à l’ensemble des normes de droit interne y compris la Constitution, la
Constitution demeure au sommet de la hiérarchie des normes. Rédigé en français avant d’être
traduit en arabe
1281, le préambule pose le principe de la primauté des conventions
internationales dûment ratifiées sur le droit interne du pays. Mais, « la version arabe – qui est
incontestablement la seule faisant foi – évoque plus précisément la “législation nationale”
(at-tašrî’ât al-wataniya) signifiant ainsi que si les traités priment sur la loi, lato sensu, ils ne
s’imposent aucunement à la Constitution elle-même.
»1282 La Constitution prime les normes
internationales dans l’ordre juridique interne.
A l’instar de la France et, en vertu de l’article 55 de la Constitution du 29 juillet 2011 « si la
Cour constitutionnelle […] déclare qu’un engagement international comporte une disposition
contraire à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu’après la révision de la
Constitution. » Le contrôle effectué par la Cour constitutionnelle est donc un contrôle de
compatibilité. Contrairement à la Constitution tunisienne de 2014, la Constitution marocaine
de 2011 est explicite à ce sujet. Seulement si l’article 133 dispose de l’exception
d’inconstitutionnalité, la Cour constitutionnelle n’est pas compétente en matière de contrôle
de conventionalité des traités. « Il reviendra en particulier au juge constitutionnel de préciser
les modalités d’exercice d’un futur contrôle de conventionalité, et surtout de clarifier la place
de l’islam dans cette nouvelle organisation juridique.
»1283 Au Maroc et en Tunisie, la Cour
constitutionnelle a pour tâche de définir le rôle de l’Islam au sein des institutions. Mais à
1280 Aucune révision de la Constitution du 27 janvier 2014 ne peut être entreprise sans la mise en place de la
Cour constitutionnelle. L’alinéa premier de l’article 144 de la Constitution précise que « [t]
oute initiative de
révision de la Constitution est soumise, par le Président de l’Assemblée des représentants du peuple, à la
Cour constitutionnelle, pour dire que la révision ne concerne pas ce qui, d’après les termes de la présente
Constitution, ne peut faire l’objet de révision.
» Pour plus de précisions sur la procédure de révision
constitutionnelle telle que prévue par le Chapitre VIII de la Constitution du 27 janvier 2014 cf. le B. du
Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre I de la PARTIE II de cette thèse, relatif à
l’expression
tunisienne du constitutionnalisme transformateur, p. 382.
1281 D. MELLONI, « La Constitution marocaine de 2011 : une mutation des ordres politique et juridique
marocains », Pouvoirs, 2013, n° 145, p. 15.
1282 Ibid., p. 16.
1283 Ibid.
301




Page 303
l’opposé de la Tunisie, les décisions de la Cour constitutionnelle au Maroc « pourraient
parfaitement, en vertu de la présence en son sein d’un membre (a priori un alim) proposé par
le secrétaire général du Conseil supérieur des Ouléma, donner lieu à un contrôle
d’islamité.
»1284 Ceci n’est pas permis par les dispositions de la Constitution du 27 janvier
2014
1285. Il n’empêche qu’en Tunisie, le futur juge constitutionnel devra s’assurer du respect
des dispositions de l’article 1
er de la Constitution.
De plus au Maroc, malgré la mise en place de la Cour constitutionnelle le Roi est, en vertu de
l’article 42 de la Constitution, le protecteur « des droits et libertés des citoyennes et des
citoyens. » En Tunisie, malgré le retard accumulé dans la mise en place de la Cour
constitutionnelle, l’Instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois se
charge du contrôle de constitutionnalité. Créée par la loi organique n° 2018-51 du 29 octobre
2018, l’Instance des droits de l’Homme est quant à elle supposée protéger les droits et libertés
fondamentaux des Tunisiens
1286. Contrairement au Maroc1287, la Cour constitutionnelle tarde à
être mise en place en Tunisie. Certes en matière de contrôle de constitutionnalité, la
Constitution du 27 janvier 2014 n’est pas pleinement effective mais, ceci ne fait pas d’elle une
«
constitution nominale »1288. La transition d’un régime autoritaire à un régime démocratique
prend nécessairement du temps
1289.
1284 Ibid., p. 15. Le premier alinéa de l’article 130 de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011 prévoit
que « [l]
a Cour Constitutionnelle est composée de douze membres nommés pour un mandat de neuf ans
non renouvelable. Six membres sont désignés par le Roi, dont un membre proposé par le Secrétaire général
du Conseil Supérieur des Oulémas, et six membres sont élus, moitié par la Chambre des Représentants,
moitié par la Chambre des Conseillers parmi les candidats présentés par le Bureau de chaque Chambre, à
l’issue d’un vote à bulletin secret et à la majorité des deux tiers des membres composant chaque
Chambre.
» Le dernier alinéa de l’article 130 précise que « [l]es membres de la Cour constitutionnelle sont
choisis parmi les personnalités disposant d’une haute formation dans le domaine juridique et d’une
compétence judiciaire, doctrinale ou administrative, ayant exercé leur profession depuis plus de quinze
ans, et reconnues pour leur impartialité et leur probité.
»
1285 Les deux premiers alinéas de l’article 118 de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 indiquent
que « [l]a Cour constitutionnelle est une instance juridictionnelle indépendante, composée de douze
membres, choisis parmi les personnes compétentes, dont les trois-quarts sont des spécialistes en droit et
ayant une expérience d’au moins vingt ans. Le Président de la République, l’Assemblée des représentants
du peuple et le Conseil supérieur de la magistrature désignent chacun quatre membres, dont les trois-
quarts sont des spécialistes en droit. Les membres de la Cour constitutionnelle sont désignés pour un seul
mandat de neuf ans.
» Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27
janvier 2014, article 118, alinéas 1 et 2.

1286 Malgré l’adoption de la loi organique la concernant, l’Instance des droits de l’Homme n’a toujours pas été
mise en place.
1287 La Cour constitutionnelle marocaine a vu le jour le 4 avril 2017. Pour plus de précisions sur ce point cf.
« Maroc : Mohammed VI installe la Cour constitutionnelle »,
Jeune Afrique [en ligne], publié le mercredi 5
avril 2017, [consulté le 11 mai 2019], https://www.jeuneafrique.com/425192/politique/maroc-mohammed-
vi-installe-cour-constitutionnelle/.
1288 Suivant une approche qualifiée d’ontologique, K. LOEWENSTEIN classifie les constitutions sur la base du
niveau de concordance entre le texte constitutionnel et la réalité politique (c’est-à-dire, sur la base de
l’effectivité des normes constitutionnelles). La “
constitution normative” est selon lui, celle qui pose des
302



Page 304
Les deux Etats se rejoignent pourtant sur deux points. D’une part, des considérations
religieuses interfèrent dans la mise en place ou/et le fonctionnement de la juridiction
constitutionnelle. D’autre part, les dispositions constitutionnelles relatives à l’identité priment
sur celles des conventions internationales dans l’ordre juridique interne.
L’article 20 de la Constitution du 27 janvier 2014 précise que seules les conventions
internationales approuvées par le Parlement et ratifiées par le président de la République, ont
une valeur supra-législative et infra-constitutionnelle. Autrement dit, les dispositions des
conventions internationales contraires à la Constitution, devront nécessairement être écartées
par le juge lors d’un litige. L’ « opposition entre les normes constitutionnelles et les normes
conventionnelles peut concerner les dispositions qui protègent la religion musulmane
mentionnées expressément dans la constitution.
»1290 Le référent religieux du texte
constitutionnel qu’il soit tunisien ou marocainne permet pas l’entrée de certaines
dispositions conventionnelles dans l’ordre juridique interne. Il en est ainsi des conventions
internationales relatives aux droits des femmes. Que ce soit au Maroc ou en Tunisie, les
réserves à la CEDEF qui concernent l’égalité dans l’héritage entre l’homme et la femme sont
maintenues
1291.
limites aux titulaires du pouvoir et dont le texte est conforme à la réalité politique. La “constitution
nominale
” est quant à elle, la constitution qui, tout en limitant le pouvoir politique, n’est pas appliquée.
Bien qu’elle soit appliquée, la “
constitution sémantique” cristallise le système politique qui existe, sans
poser de limites aux titulaires du pouvoir. Cf. K. LOEWENSTEIN,
Political Power and the Governmental
Process, Chicago, University of Chicago Press, 1957, p. 147 et D. GRIMM, “Types of Constitution”, in
M. ROSENFELD, A. SAJO (eds.), The Oxford Handbook of Comparative Constitutional Law, op.cit.,
p. 107. G. SARTORI qualifie “de façade” les constitutions “nominales” de K. LOEWENSTEIN. Cf. G.
SARTORI, “Constitutionalism: A Preliminary Discussion”,
American Political Science Review, 1962,
p. 861.
1289 « La compréhension de la dynamique des systèmes étatiques conduit à prendre en considération à la fois les
règles et leur contexte d’application. En effet, les facteurs politiques et sociaux conditionnent non
seulement l’établissement de l’ordre juridique, mais aussi son évolution et sa transformation.
» M.-E.
BAUDOIN, « Le droit constitutionnel et la démocratie à l’épreuve du temps »,
in J. DU BOIS DE
GAUDUSSON, P. CLARET, P. SADRAN, et B. VINCENT (eds.),
Mélanges en l’honneur de Slobodan
Milacic, Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation
, op.cit., p. 39.
1290 B. AJROUD, « Les traités dans la Constitution du 27 janvier 2014 », précit., p. 120.
1291 O. BENDOUROU, « Réflexions sur la Constitution du 29 juillet 2011 et la démocratie », in
O. BENDOUROU, R. EL MOSSADEQ et M. MADANI (dir.), La nouvelle Constitution marocaine à
l’épreuve de la pratique
, Casablanca, La Croisée des Chemins, 2014, [en ligne], [consulté le 26 février
2019], https://www.fes.org.ma/common/pdf/publications_pdf/constitution/constitution_fr.pdf, p. 135.
303





Page 305
B.
Le sort des conventions internationales relatives aux droits des femmes
La valeur infra-constitutionnelle des conventions internationales approuvées par le Parlement
et ratifiées par le président de la République, amène à penser que les dispositions
conventionnelles contraires à la Constitution, seront écartées par le juge. Bien que la nouvelle
Constitution fasse référence à la religion, l’Islam n’est pas une source formelle du droit
tunisien
1292. En vertu de l’article 39, l’Etat veille à la fois à « l’enracinement des jeunes
générations dans leur identité arabe et islamique » et à « la diffusion de la culture des droits
de l’Homme. » Il est alors intéressant de savoir de quelle façon la Cour constitutionnelle à
venir et les juges ordinaires vont concilier les dispositions constitutionnelles relatives à
l’Islam aux droits de l’Homme. Il est également important de questionner l'avenir
constitutionnel de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à
l’égard des femmes (CEDEF) et de s’interroger sur le sort réservé à la Convention de New
York sur le consentement au mariage, l’âge minimal du mariage et l’enregistrement des
mariages dans l’ordre juridique interne.
Lorsqu'en 1967, la Tunisie a ratifié cette Convention1293, elle l'a fait sans réserve1294 mais le
gouvernement tunisien a adopté deux circulaires interdisant aux officiers d’état civil de
célébrer l’union d’une musulmane avec un non-musulman
1295. Pourtant ni le CSP de 1956, ni
la loi réglementant l'état civil de 1957, n'empêchent le mariage d'une Tunisienne avec un non-
musulman
1296. Les deux circulaires n’ont été annulées par le ministre de la Justice que le 13
septembre 2017, bien qu'elles aient toujours été en vigueur dans l’ordre juridique interne,
alors que la Constitution du 1
er juin 1959 avait déjà été remplacée par la Constitution du
27 janvier 2014. Dès lors, la convention internationale n’avait jusqu’à récemment, aucun effet
1292 Ceci n’empêche pourtant pas le législateur de s’inspirer de l’Islam.
1293 Convention adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 10 décembre 1962.
1294 B. AJROUD, « Les traités dans la Constitution du 27 janvier 2014 », précit., p. 124.
1295 Circulaire du ministère de l’Intérieur du 17 mars 1962 et circulaire du 5 novembre 1973 portant interdiction
de célébrer le mariage d’une Tunisienne avec un non musulman. Cette dernière circulaire vient rappeler aux
officiers d’état civil et aux notaires, l’interdiction de célébrer ces mariages.
1296 K. BENDANA, « Tunisie : au nom des Femmes », Le Point Afrique [en ligne], publié le vendredi 13
octobre 2017, [consulté le 19 décembre 2018], http://afrique.lepoint.fr/actualites/tunisie-au-nom-des-
femmes-13-10-2017-2164173_2365.php#xtor=CS2-240. L’article 5 du
CSP qui prévoit les empêchements
au mariage est écrit de manière ambiguë. La version arabe qui fait foi évoque « ةيعرشلا عناوملا ». Cette
expression peut être interprétée de deux manières. Alors que certains affirment qu’elle doit être traduite par
« empêchements religieux », d’autres penchent pour « empêchements légaux ». Dans l’objectif de rendre
plus claire la formulation de l’article 5, la circulaire du 5 novembre 1973 a été adoptée. Cette dernière opte
pour l’interprétation religieuse de l’article. C’est la raison pour laquelle, au lendemain de la révolution, peu
de voix se sont élevées pour la révision de l’article 5 du
CSP. Il a semblé plus logique d’annuler les
circulaires problématiques. Malgré cela, les juges peuvent interpréter l’article 5 dans l’optique religieuse.
304




Page 306
juridique, notamment à cause de l’interprétation conservatrice des dispositions de l’article 1er
de la Constitution.
Alors même que depuis le 13 septembre 2017, les deux circulaires n’ont plus aucun effet
juridique, le maire de La Marsa et celui de Sidi Bou Saïd ont refusé de célébrer le mariage de
deux Tunisiennes avec des non musulmans
1297. Les raisons avancées sont liées à
l’interprétation de l’article 5 du CSP et à la tradition et aux us et coutumes des Tunisiens. En
effet, l’article 5 du CSP qui dispose des empêchements au mariage est écrit de manière
ambiguë. La version arabe qui fait foi évoque « ةيعرشلا عناوملا ». Cette expression peut être
interprétée de deux manières. Alors que certains affirment qu’elle doit être traduite par
« empêchements légaux », d’autres penchent pour « empêchements religieux ».
Malgré les progrès notables de la Tunisie en matière d’égalité hommes / femmes, les
changements juridiques sont vains si les mesures qui consacrent l’égalité dans la loi ne sont
pas appliquées
1298. Certes, l’Etat est chargé par la Constitution du 27 janvier 2014 de
promouvoir les droits des femmes mais comment procéder quand les représentants de l’Etat
au niveau local refusent d’obtempérer ? La véritable question est finalement de savoir qui de
la mentalité ou du droit doit évoluer en premier. L’équilibre entre l’Islam comme religion
d’Etat et les droits universels de l’Homme, est tributaire de l’évolution de la conscience
collective et de son impact sur l’Etat et ses représentants.
Pour cela, il est nécessaire que l’Etat favorise la mise en œuvre de programmes scolaires
d’éducation à l’égalité des sexes
1299. Tout en veillant à enraciner les « jeunes générations dans
leur identité arabe et islamique et leur appartenance nationale », l’article 39 de la
Constitution exhorte l’Etat à veiller à « la diffusion de la culture des droits de l’Homme ».
Ceci suppose de ne pas sacraliser le modèle patriarcal basé sur une complémentarité de
1297 Ibid.
1298 L’annulation des circulaires de 1962 et de 1973 laissent libre, le choix des Tunisiennes. Le ministre de la
Justice a fondé l’annulation des deux circulaires sur les articles 21 et 46 de la Constitution actuelle et, sur
les conventions internationales sans préciser lesquelles.
1299 Le 2 janvier 2019 l’ARP a adopté une loi sur la protection des enfants contre l’exploitation et les agressions
sexuelles. Le 1
er février 2019, date d’entrée en vigueur de la loi, la Tunisie introduira des programmes
d’ «
éducation à la santé sexuelle » dans les écoles primaires. L’objectif de la loi est de libérer la parole et
de prévenir contre les violences sexuelles à l’école. Pour plus de précisions sur ce point cf. F.-E.
BENDAMI, « En Tunisie, l’éducation sexuelle bientôt dans les programmes scolaires »,
Slate.FR [en
ligne]
, publié le jeudi 2 janvier 2020, [consulté le 7 janvier 2020], http://www.slate.fr/story/185849/tunisie-
education-sexuelle-bientot-programmes-
scolaires?fbclid=IwAR2RTNyKGIFwH4hteaIKQclBamc3axUUsmZupcMsLMReGN2sumQhw5qaMlY.
305





Page 307
l’homme et de la femme au sein de la cellule familiale mais plutôt, d’inviter les enfants à voir
sur un pied d’égalité les rapports entre les deux sexes.
Si la Tunisie est en train de faire tomber une à une les lois archaïques qui font de la femme un
mineur juridique, à la manière de Hafidha CHEKIR, il est facile de penser qu’ « [e]n dépit de
l’élaboration de textes juridiques qui protègent les femmes et leur reconnaissent des droits
importants, leur statut demeure fragile ; les discriminations qui persistent à leur encontre, au
nom des traditions ou d’us et coutumes empreints de sacralité et de religiosité, sont
consacrées dans la loi interne au pays considéré, dans la pratique sociale et dans les réserves
émises lors de la ratification de conventions internationales, principalement la Convention
internationale relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes (CEDAW).
»1300
En adhérant à la CEDEF le 12 juillet 1985, la Tunisie avait cependant formulé de multiples
réserves
1301. Le 23 avril 2014, le gouvernement tunisien a notifié au Secrétaire général de
l’
ONU sa volonté de les lever1302. L’introduction dans l’ordre juridique interne du droit
international relatif aux droits des femmes
1303, est pourtant contredite par la Déclaration
1300 H. CHEKIR, « Le combat pour les droits des femmes dans le monde arabe », FMSH-WP-2014-70, juin
2014, [en ligne], [consulté le 20 décembre 2018], https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01005544
/document, p. 1.
1301 La première réserve concernait le paragraphe 2 de l’article 9 de la CEDEF. Les femmes ne bénéficiaient
pas des mêmes droits que les hommes en ce qui concerne la nationalité des enfants. La deuxième réserve
portait sur les paragraphes C. D. F. G. et H. de l’article 16. Les femmes ne jouissaient pas des mêmes droits
que les hommes lors du mariage et de sa dissolution. En ce qui concerne la tutelle, la curatelle, la garde et
l’adoption des enfants, elles n’avaient pas les mêmes droits non plus, ne pouvant d'ailleurs pas choisir leur
nom de famille, leur profession ou occupation. Il en était de même en matière de propriété, d’acquisition, de
gestions, d’administration, de jouissance et de dispositions des biens. Suite à l’adhésion à la
CEDEF, la
Tunisie avait adopté une série de lois qui témoigne de l’avancée du droit en matière d’égalité hommes /
femmes. Pour plus de précision sur les lois adoptées, cf. le paragraphe relatif aux « Effets sur le
législateur », in C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., pp. 397-420. La Tunisie avait
également émis une réserve au paragraphe premier de l’article 29 : elle refusait que les différends relatifs à
l’interprétation et/ou à l’application de la
CEDEF soient soumis à la Cour Internationale de Justice.
1302 Le gouvernement tunisien avait annoncé la levée des réserves faites à la CEDEF le 24 octobre 2011 par un
décret-loi n° 103-2011 du 24 octobre 2011,
JORT n° 82, du 28 novembre 2011, p. 2325. Sur le plan
juridique, cette annonce n’a été effective qu’à partir de la notification au Secrétaire général de l’
ONU de la
décision du gouvernement tunisien, soit le 23 avril 2014.
1303 Sur ce point la Tunisie et le Maroc se rejoignent. « Ainsi, les conventions internationales qui sont en
contradiction avec l’Islam, qui constitue l’une
[des] composantes essentielles [de l’identité nationale
marocaine]
, n’ont pas leur place dans le droit interne. On songe particulièrement à la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée en 1979 et ratifiée par le
Maroc avec des réserves liées au droit musulman, notamment à la question de l’héritage. » O.
BENDOUROU, « Réflexions sur la Constitution du 29 juillet 2011 et la démocratie »,
précit., p. 135. Voir
également N. BERNOUSSI, « La Constitution de 2011 et le juge constitutionnel »,
in Centre d’études
internationales (dir.),
La Constitution marocaine de 2011 : analyses et commentaires, Paris, LGDJ, 2012,
p. 222.

306




Page 308
générale du gouvernement tunisien selon laquelle la Tunisie « n’adoptera en vertu de la
Convention, aucune décision administrative ou législative qui serait susceptible d’aller à
l’encontre des dispositions de l’article premier de la Constitution.
»1304 L’interprétation
donnée aux dispositions de l’article premier de la Constitution est alors fondamentale. Aussi,
se pose la question de savoir comment qualifier l’Etat de « civil » si – pour des considérations
religieuses – le droit tunisien n'accepte toujours pas l’égalité en matière d’héritage. De fait,
une telle situation « pourrait conduire à l’engagement de la responsabilité internationale de
l’Etat tunisien si l’un des Etats parties estimait que les obligations mentionnées dans la
Convention n’ont pas été respectées par la Tunisie.
»1305
Plus généralement, la Cour constitutionnelle à venir pourrait s’inspirer de l’avis n° 2-20061306
de l’ancien Conseil constitutionnel selon lequel « [...] la protection de la famille fait partie
des objectifs proclamés dans le préambule de la constitution. [...] il est loisible au législateur,
dans le cadre de ses attributions, de déterminer, les contenus appropriés aux objectifs
proclamés dans la Constitution, à la lumière, d’une part, des valeurs consacrées par celles-ci
et d’autre part, des principes communs consacrés dans les conventions internationales y
afférentes et que la République tunisienne a acceptées par l’effet de la ratification. » Les
principes communs consacrés dans les conventions internationales ratifiées par la Tunisie
pourraient être ceux des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Il suffirait qu’à
l’instar du juge constitutionnel français, le juge constitutionnel tunisien se base sur le
préambule de la nouvelle Constitution pour dégager un bloc de constitutionnalité. Le
préambule de la Constitution du 27 janvier 2014 exprime en effet l’attachement du peuple
« aux valeurs humaines et aux principes universels et supérieurs des droits de l’Homme. »
Même s’ils sont synonymes de « règles juridiques abstraites, fournissant les bases d’un
régime juridique susceptible de s’appliquer à de multiples situations concrètes, soit pour les
réglementer de façon permanente, soit pour résoudre les difficultés qu’elles font naître
»1307,
ces principes pourraient renvoyer à ceux contenus dans la DUDH et repris par les Pactes
internationaux relatifs aux droits de l’Homme de 1966. Grâce à l'adhésion aux deux Pactes
1304 Voir sur cette question voir le rapport présenté par M. BEN JEMIA et H. CHEKIR, « La levée des réserves
à la "CEDAW" mais non au maintien de la déclaration générale », CEDAW en Tunisie 2011 –
Association
Tunisienne des Femmes démocrates et United Nations Population Fund, [en ligne], [consulté le 20
décembre 2018], http://nawaat.org/portail/wp-content/uploads/2013/03/Cedaw-francais.pdf, p. 3.
1305 B. AJROUD, « Les traités dans la Constitution du 27 janvier 2014 », précit., p. 124.
1306 JORT, n° 20 du 10 mars 2006, pp. 535-5337.
1307 M. VIRALLY, « Le rôle des “principes” dans le développement du Droit international », précit., p. 197.
307




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internationaux en 19681308 et au premier protocole facultatif se rapportant au PIDCP1309, le
juge constitutionnel pourrait dégager les principes supérieurs et universels des droits de
l’Homme des textes internationaux ratifiés par la Tunisie. Ces textes n’auraient plus de valeur
infra-constitutionnelle mais « feraient partie de la Constitution tunisienne et auront une
valeur constitutionnelle.
»1310
1308 S. LAGHMANI, « Tableau des engagements élaborés par Slim LAGHMANI à jour à la date du 28 octobre
2003 »,
in D. JAZI, R. BEN ACHOUR, S. LAGHMANI (dir.), Les Droits de l’Homme par les textes,
op.cit.
, p. 342.
1309 Adhésion du 14 mai 2011. Décret n° 551 du 14 mai 2011, JORT, n° 36 du 20 mai 2011, p. 725.
1310 B. AJROUD, « Les traités dans la Constitution du 27 janvier 2014 », précit., p.125.
308









Page 310
CONCLUSION
Même si la dignité, la liberté et l’égalité sont constitutionnalisées, ces valeurs universelles
prennent un sens particulier en Tunisie : elles doivent être conformes aux préceptes de
l’Islam. La Constitution possède un catalogue de droits et de libertés commun aux différentes
constitutions à travers le monde mais ces trois valeurs universelles sont comprises en fonction
des spécificités culturelles et traditionnelles des Tunisiens. « Or, c’est cette inscription des
droits universels de l’homme dans la singularité d’une société politique qui fait aujourd’hui
problème.
»1311 Erigé en postulat, la religiosité de la société tunisienne occulte la dimension
universelle des droits de l’Homme
1312. Seulement, pour que l’Etat soit véritablement « civil »
au sens de l’article 2 de la Constitution, il faut que l’ensemble des conventions internationales
relatives aux droits de l’Homme puisse avoir des effets dans l’ordre juridique interne. Aucune
considération religieuse ne devrait primer sur les droits et libertés fondamentaux.
Ainsi, il s’agit de savoir si l’Etat « civil » peut se conformer aux droits universels de l’Homme
tout en ayant l’Islam pour référence. Pour ce faire, il est intéressant d’étudier la naissance, le
sort et l’essor du constitutionnalisme et de l’idée de Constitution en Tunisie. Il sera ainsi plus
facile d’appréhender les conflits inhérents au constitutionnalisme tunisien et de saisir ce
qu’implique un Etat « civil » pour un peuple musulman.
1311 S. PIERRE-CAPS, « Le droit constitutionnel entre universalisme et particularisme », in J. DU BOIS DE
GAUDUSSON, P. CLARET, P. SADRAN, et B. VINCENT (eds.),
Mélanges en l’honneur de Slobodan
Milacic, Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, op.cit.
, p. 214.
1312 Ibid.
309














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310



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CONCLUSION DU TITRE II
La volonté des Tunisiens de faire table rase du passé et d’élaborer une Constitution fidèle aux
aspirations révolutionnaires a été respectée. Partagée entre l’universel et le particulier, la
Constitution du 27 janvier 2014 est faite par les Tunisiens et pour les Tunisiens. Bien que les
valeurs universelles de dignité, de liberté, d’égalité soient comprises et interprétées dans
l’Islam et ses bases, la Constitution aspire à s’inscrire au mouvement du constitutionnalisme
global.
La Tunisie connaît cependant un constitutionnalisme national et les Tunisiens ont une idée
bien déterminée de la Constitution. Il est donc intéressant de sonder le constitutionnalisme
tunisien et l’idée de constitution en Tunisie en plus de savoir si le constitutionnalisme tunisien
actuel s’érige en discours alternatif au constitutionnalisme global.
311


















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312



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CONCLUSION DE LA PARTIE I
Menés par les théocrates, les débats constituants à l’ANC se polarisent autour de l’identité et
de la politique gouvernementale d’Ennahdha. Si le processus constituant aboutit à l’adoption
d’une constitution de compromis, le rôle de l’Islam au sein de l’Etat et des institutions n’est
pas clairement défini. Il le sera par l’interprétation de la Constitution du 27 janvier 2014.
Composante essentielle de l’identité constitutionnelle, l’Islam pose la question de la place de
la Constitution de la Deuxième République au sein du mouvement du constitutionnalisme
global.
De tradition réformiste, la Tunisie connaît un constitutionnalisme national. Depuis
l’occupation ottomane, les idées modernes venues d’Occident impactent les penseurs et
hommes d’Etat tunisiens. L’Etat « civil » tel que posé par l’article 2 de la Constitution du 27
janvier 2014 est donc le fruit d’un constitutionnalisme typiquement tunisien. Conciliant tant
bien que mal l’Islam comme religion avec les composantes constitutionnelles du caractère
« civil » de
l’Etat, ce constitutionnalisme proposerait-il un discours alternatif au
constitutionnalisme global ? Tel est la question à laquelle il est fondamental de répondre.
313












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314



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PARTIE II. LES CONFLITS INHERENTS AU
CONSTITUTIONNALISME TUNISIEN
A l’ère globale, l’intensité des échanges juridiques conduit les systèmes constitutionnels et les
catalogues de droits à s’uniformiser. En dépit de ce constat, peu d’études s’intéressent à
l’impact réel de la globalisation du droit constitutionnel sur une culture ou un système
juridique particulier. L’analyse de la réalité constitutionnelle tunisienne amène justement le
comparatiste à mettre l’accent sur les effets cachés de la globalisation du droit constitutionnel.
« Malgré un monde aux prétentions globalisantes, [les comparatistes] découvriraient que
l’intensité du contact met réellement l’accent sur un sentiment de différence, et non de
similitude. […] Une conscience accrue de l’altérité peut générer un besoin d’identité et de
tradition, tandis qu’un contact accéléré et une juxtaposition avec d’autres traditions peuvent
signifier que toutes les parties développent un sens aigu de l’identité.
»1313 Afin de mettre
l’accent sur les différences entre les systèmes constitutionnels, le comparatiste accorde une
attention particulière à la contextualisation et aux spécificités culturelles des systèmes
constitutionnels étudiés
1314. Pour concevoir différemment
la globalisation du droit
constitutionnel, il est tenu d’appréhender sans préjugés la structure des systèmes juridiques et
la dimension muette des droits
1315 qu’il étudie.
L’étude du sort et de l’essor du constitutionnalisme tunisien offre une vision critique des
discours sur le constitutionnalisme global (Titre I). En effet, l’analyse de la naissance du
constitutionnalisme et l’idée de constitution en Tunisie, révèle les contradictions entre les
réformes imposées qui promeuvent les idées constitutionnalistes et le contexte des pratiques
nationales du droit. De plus, en étudiant les manifestations actuelles du constitutionnalisme
tunisien, il est plus facile d’envisager des discours alternatifs aux discours doctrinaux
1313 H. MUIR WATT, “Globalization and Comparative Law”, précit., p. 587.
1314 Bien que la définition du post-modernisme dépende de la discipline dans laquelle il est employé, la critique
post-moderniste du droit comparé part de l’idée que le raisonnement et le langage sont déterminés par des
cadres épistémologiques et culturels spécifiques. La comparaison en droit est donc prisonnière des cadres
de références culturels. Le comparatiste doit en être conscient et redoubler d’effort en matière de
contextualisation. Voir A. PETERS and H. SCHWENKE,
Comparative Law Beyond Post-Modernism”,
précit.
, pp. 801-802. Voir également M. VAN HOECKE and M. WARRINGTON, Towards a New Model
for Comparative Law
”, précit., pp. 495-536.
1315 R. SACCO, « Le droit muet », R.T.D.Civ., 1995, p. 783.
315





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homogénéisant du constitutionnalisme global1316. Comme le suggère le Professeur Marie-
Claire PONTHOREAU, « les constitutionnalistes comparatistes, instruits par la réalité
constitutionnelle, ne peuvent échapper à
formes de
constitutionnalisme.
»1317 Développées à partir de l’étude du cas tunisien, celles-ci posent la
l’approche différenciée des
question suivante : le cas tunisien est-il singulier ou peut-il servir d’exemple régional, à
l’émergence de nouveaux types de constitutionnalisme ?
Dans l’objectif de répondre à la question, il est nécéssaire de comparer la Tunisie avec ses
voisins les plus proches (géographiques et surtout culturels). La comparaison avec l’Egypte et
le Maroc est guidée par un objectif bien précis : démontrer la singularité ou les similitudes de
l’expérience tunisienne avec des réalités constitutionnelles voisines. A l’instar de la Tunisie,
le Maroc et l’Egypte font de l’Islam, l’une des composantes de leur identité constitutionnelle.
Bien qu’elle marque «
une divergence par rapport aux standards globaux »1318, cette identité
constitutionnelle
systèmes
constitutionnels
1319. A l’heure actuelle, la Tunisie est pourtant le seul pays arabo-musulman
régionale des
convergence
l’échelle
permet
la
à
qui tente d’aménager l’Islam avec les fondements du constitutionnalisme du type occidental.
A ce titre, elle s’érige en exemple et serait la promotrice d’une nouvelle forme de
constitutionnalisme dans la région.
L’étude approfondie des aspects culturels du droit en Tunisie permet néanmoins un constat :
celui des contradictions du constitutionnalisme tunisien. Si les discours à son sujet sont
progressistes et se veulent cohérents, les pratiques qui en découlent sont souvent
discriminatoires (Titre II). Bien que l’article 2 de la Constitution du 27 janvier 2014 fonde le
caractère « civil » de l’Etat sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit,
l’expression des droits et libertés inhérents à la citoyenneté est contredite par le référent
islamique de la Constitution. Ce référent empêche l’avancée et la pleine effectivité des droits
et libertés en Tunisie. De plus, le retard accumulé dans la mise en place de la Cour
constitutionnelle pose la question de l’effectivité du constitutionnalisme tunisien actuel.
1316 M.-C. PONTHOREAU, « “Global Constitutionalism” un discours doctrinal homogénéisant. L’apport du
comparatisme critique », précit., pp. 105-134.
1317 Ibid., p. 133.
1318 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
p. 13.
1319 Les Professeurs D. S. LAW et M. VERSTEEG évoquent l’émergence de « familles constitutionnelles ». Cf.
D. S. LAW, M. VERSTEEG, “The Evolution and Ideology of Global Constitutionalism”,
précit., pp.1182-
1183.
316





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Titre I Sort et essor du constitutionnalisme tunisien
Afin d’identifier les transformations juridiques nationales qui accompagnent la globalisation
du droit constitutionnel, il est dans un premier temps intéressant d’analyser la naissance du
constitutionnalisme et l’idée de constitution en Tunisie (Chapitre 1). La retranscription en
droit français de l’appropriation de l’idée de constitution en Tunisie, a supposé une
contextualisation des plus poussées. Ainsi, il était essentiel d’appréhender la culture et le droit
d’un pays en voie de développement. En procédant de la sorte, la focale d’observation du
comparatiste change. La perspective qu’il adopte pour étudier la globalisation du droit
constitutionnel n’est plus globale mais locale. Alors, son regard se décentre. Il quitte
l’Occident pour le Maghreb. L’observation et l’étude du droit d’un pays arabo-musulman
interrogent les manifestations locales du constitutionnalisme.
L’analyse des dispositions de la Constitution du 27 janvier 2014 et des applications qui en
sont faites, amène dans un deuxième temps le comparatiste à penser le constitutionnalisme
tunisien actuel comme une alternative aux discours unificateurs sur le constitutionnalisme
global (Chapitre 2). Le constitutionnalisme tunisien replace le peuple au centre de la
constitution et la constitution au cœur de la réflexion sur le constitutionnalisme. L’Islam
comme composante de l’identité du peuple questionne pourtant la compatibilité de la religion
avec les fondements du constitutionnalisme. Si le constitutionnalisme tunisien réussit à
aménager son
identité constitutionnelle avec
les composantes
traditionnelles du
constitutionnalisme, la différence deviendrait une partie intégrante des discours sur la
globalisation du droit constitutionnel. Dans ce cas et seulement ainsi, le constitutionnalisme
tunisien s’érigerait en modèle pour les Etats de la région.
317











Page 319
318



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Chapitre 1 La naissance du constitutionnalisme et l’idée de constitution en Tunisie
Dans un article intitulé « Le peuple, créateur de son droit, interprète de sa Constitution »1320,
le Doyen Yadh BEN ACHOUR affirme que la Révolution du Jasmin a permis aux Tunisiens
de renouer avec leur tradition réformiste et constitutionnaliste. Bien que les réformes et idées
constitutionnalistes aient initialement été imposées à la Sublime Porte et à la Régence de
Tunis par l’Occident, les dignitaires du régime beylical ont joué un rôle déterminant dans la
naissance et l’affirmation de la tradition réformiste (Section 1).
Si les textes au fondement du constitutionnalisme1321 ont été dictés aux Beys par les
Européens (qu’ils aient été Anglais, Français ou Italiens), la notion de constitution « fait
[dorénavant] partie des quelques idées-forces qui animent l’histoire récente »1322. Suggéré par
la France et l’Angleterre, le Pacte fondamental de 1857 a par exemple, servi la mise en place
du protectorat français en Tunisie, ce que les Tunisiens ont difficilement accepté. S'y ajoute le
peu d'intérêt montré à l’introduction de ce texte et le manque de correspondance entre les
réformes insufflées par les Européens dans les années 1850 et la réalité tunisienne. Pour
autant, elles ont été récupérées par les penseurs et/ou politiques tunisiens.
Ayant originellement servi les desseins coloniaux des Européens, l’idée occidentale de
constitution (Section 2) a été instrumentalisée par Habib BOURGUIBA au moment de
l’indépendance. Détournée de ses fonctions par les partisans du Néo-Destour entre 1956 et
1959, elle a été au service du pouvoir politique de BOURGUIBA et de BEN ALI. Ce n’est
qu’avec le renversement du régime autoritaire de ce dernier que le peuple s'est trouvé à
l’origine de la constitution. Ses revendications constitutionnelles replacent d’ailleurs la
constitution au centre de la réflexion sur le constitutionnalisme en Tunisie.
1320 Y. BEN ACHOUR, « Le peuple, créateur de son droit, interprète de sa Constitution », in Konrad-Adenauer
Stiftung (dir.),
Mouvances du droit. Etudes en l’honneur du Professeur Rafâa Ben Achour, op.cit., pp. 141-
170.
1321 A l’instar des décrets abolissant l’esclavage, du Pacte fondamental de 1857 et, de la Constitution de 1861.
1322 Y. BEN ACHOUR, « Le peuple, créateur de son droit, interprète de sa Constitution », précit., p. 147.
319









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Section 1
La tradition réformiste tunisienne
La contextualisation qu’induit l’étude de la tradition réformiste et constitutionnaliste
tunisienne conduit nécessairement à rechercher dans l’Histoire, les événements et les acteurs à
l’œuvre au moment de la naissance du constitutionnalisme. En multipliant les angles de
visions sur la tradition réformiste et constitutionnaliste tunisienne, « le comparatiste peut ainsi
prétendre à une prise de conscience de la complexité juridique et à une compréhension
critique du droit.
»1323 L’interdisciplinarité1324 aide le comparatiste à saisir la partie invisible
du droit. En recherchant dans l’Histoire les origines du constitutionnalisme tunisien
(Paragraphe 1), le comparatiste aborde le droit en profondeur. Il cherche à saisir les éléments
structurels
1325 et culturels1326 du système juridique étudié. Or, l’approche culturelle du droit
dans un contexte colonial et post-colonial sert un objectif bien déterminé : envisager
autrement le constitutionnalisme en général et la constitution en particulier.
Imposés à la Tunisie par les Européens dans un contexte d’occupation ottomane, le Pacte
fondamental et la Constitution de 1861 préludent l’instauration du protectorat français.
L’absence de conviction réelle d’introduire les réformes et l’inadéquation entre le texte
constitutionnel et le contexte politique expliquent la fragilité du constitutionnalisme des
origines (Paragraphe 2).
Paragraphe 1
Aux origines du constitutionnalisme tunisien
Bien que les réformes politiques du XIXème siècle1327 n’aient pas empêché la Tunisie de vivre
sous protectorat, elles avaient pour objectif initial de redresser le pays et d’enrayer son déclin.
Impuissant à imposer son pouvoir à ses provinces et à contenir l’avancée européenne, les
1323 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 75.
1324 Voir V. GROSSWALD CURRAN, “Cultural Immersion, Difference and Categories in U.S. Comparative
Law”, American Journal of Comparative Law, n°46, 1998, p. 43 et. P. LEGRAND, « Au lieu de soi », in P.
LEGRAND (dir.),
Comparer les droits, résolument, op.cit., p. 11.
1325 A l’instar des concepts et institutions.
1326 Autrement dit la manière de raisonner en droit.
1327 Ces différentes réformes font l’objet des A. et B. de ce paragraphe.
320









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puissances occidentales enjoignent l’Homme malade1328 de procéder à des réformes pour
améliorer les conditions de vie des
dhimmis1329 de l’Empire. Sous suzeraineté ottomane1330, la
Tunisie est alors supposée appliquer les réformes adoptées à Istanbul. L'occupation ottomane
et la circulation des idées occidentales sont à l’origine d’un mouvement moderniste dans le
pays (A).
L’influence occidentale sur les sociétés arabo-musulmanes date de la campagne d'Egypte
napoléonienne et de la colonisation de l’Algérie par la France. Le décalage entre le monde
musulman décadent et les avancées occidentales conduit à la soumission progressive du
pouvoir beylical aux puissances européennes. Celles-ci initient un processus d’acculturation
juridique et imposent leurs choix socio-culturels à la Tunisie. C’est ainsi que par la force des
choses, certains textes fondateurs du constitutionnalisme tunisien sont adoptés (B). Il s’agit
essentiellement des décrets abolissant l’esclavage, du Pacte fondamental de 1857 et de la
Constitution de 1861.
A.
Le contexte d’occupation ottomane et la circulation des idées venues d’Occident
Les élites qui tentent de déclencher la Nahdha1331 ou renaissance arabo-musulmane, se
trouvent désarmées face à la décadence du monde musulman. Même si les idées réformistes
progressent grâce aux réflexions de KHEREDINE et d’IBN ABI DHIAF (2), l’avancée du
constitutionnalisme tunisien est bloquée par les circonstances politiques, économiques et
sociales désastreuses du pays. C’est alors que les puissances européennes imposent à la
Sublime Porte et à ses provinces, plusieurs réformes politiques (1).
1328 Pour mémoire, les puissances européennes dénommaient ainsi l’Empire ottoman décadent au XIXème siècle.
1329 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Dhimmi.
1330 « Soumise, à compter de 1574 à la domination turque, la Tunisie est parvenue à se libérer de la suzeraineté
de la Sublime Porte, le 10 juillet 1705, date à laquelle Hussein Ben Ali proclamé Bey sur le champ de
bataille, a fondé la dynastie qui a régné sur la Tunisie jusqu'au 25 juillet 1857. Cette dynastie a donné, en
deux siècles et demi, à la Tunisie 19 souverains dont 7 ont régné depuis le protectorat.
» V. SILVERA,
« Le régime constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1
er juin 1959 », Revue française de science
politique
, 10ème année, 1960, n° 2, p. 367.
1331 Initialement, la Nahdha correspond à une période d’effervescence culturelle et intellectuelle dans le monde
arabe et musulman. Elle est marquée par une volonté de réforme des sociétés au niveau social et politique
entre autres. Pour plus de précisions sur la
Nahdha cf. A.-L. DUPONT, « Nahda, la renaissance arabe »,
Manière de voir, n°106, août 2009. Disponible sur le site du Monde diplomatique [en ligne], [consulté le 15
octobre 2020], https://www.monde-diplomatique.fr/mav/106/DUPONT/17685.
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1. Des réformes imposées à la Sublime Porte et à la Régence de Tunis par l’Occident
Au XIXème siècle, le mouvement des idées réformistes exerce son influence sur la Tunisie des
Beys. La Sublime Porte adopte alors deux textes réformateurs importants1332 : le Khati Cherif
de Gul-Khaneh
1333 en 1839 et le Khati Houmayoun1334 en 18561335. Sans se conformer aux
réformes entreprises par la
Sublime Porte, Ahmed Bey (1837-1855)1336 entreprend la
modernisation de l’armée tunisienne
1337. En 1838, il crée l’Ecole militaire (ou Ecole
Polytechnique) du Bardo. « Cette école a formé, grâce aux enseignements des maîtres
tunisiens tels que Mahmoud Qabadu et étrangers tels que l’Italien Calligaris une élite
fortement ouverte aux idées modernistes
1338 et prônant la nécessaire réforme d’une société en
état de décadence et de délabrement.
»1339
L’influence des idées européennes est renforcée par le voyage d’Ahmed Bey en France1340,
encouragé par sa mère d’origine sarde et son grand conseiller génois Guiseppe RAFFO. Ce
séjour le convainc d’engager la réforme de la Régence de Tunis, en favorisant l’ouverture des
dignitaires du régime qui l’accompagnent
1341 aux idées modernistes. Les réformes ainsi
engagées ne s’adressent pas uniquement aux musulmans. Elles visent à permettre aux
chrétiens résidant en Tunisie, de jouir d’une sécurité absolue et aux esclaves, d’être
1332 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Tanzimat.
1333 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Khati Cherif de Gul-Khaneh.
1334 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Khati Houmayoun.
1335 « Le pays était sous la suzeraineté de la Porte Sublime, c’est-à-dire qu’il faisait partie formellement de
l’Empire Ottoman ; mais en réalité la monarchie instituée était presque détachée de l’Empire ; le bey
exerçait tous les pouvoirs du souverain. Pour traduire cette ambiguïté juridique, on parlait de la
régence
de Tunis
et non du Royaume de Tunisie. » M. CHARFI, Introduction à l’étude du droit, op.cit., p. 104.
1336 Dates de son règne.
1337 « En effet, les envoyés de la “Sublime Porte” ont tenté à plusieurs reprises de convaincre le Bey de Tunis
d’appliquer les textes des réformes turques de 1839. Les oulémas ont recommandé l’application des
“Tanzimat” turcs en Tunisie.
Le Cheikh Brahim Riahi (qui à l’occasion de son pèlerinage à la Mecque en
1838 a rencontré le Cheick Al Islam turq Arif) a prononcé en 1845 un sermon dénonçant le pouvoir absolu.
Ahmed Bey, sans se conformer à ces sollicitations, tendant à limiter son pouvoir, a entrepris une
modernisation de son armée.
» M. R. BEN HAMMED, Histoire des idées politiques : Depuis le XIXème
siècle, Occident Monde arabo-musulman, op.cit.
, p. 199.
1338 Ahmed Bey confie la direction de l’Ecole militaire du Bardo à « un officier orientaliste italien, le colonel
Caligaris, et fait venir des professeurs français, italiens et anglais, pour y enseigner les mathématiques, la
topographie, l’artillerie, l’organisation des armées, l’architecture des fortifications, l’histoire, la
géographie et les langues italienne et française. Il associe à sa direction, un cheick de formation classique
et de grande notoriété, Mohamed Kabadou. Ce co-directeur est chargé avec le directeur italien et des
étudiants de l’école, de rédiger des condensés des cours donnés par les professeurs étrangers et de traduire
en Arabe des livres militaires européens.
» H. BOULARES, Histoire de la Tunisie : Les grandes dates de
la préhistoire à la révolution, op.cit., pp. 447-448.
1339 Ibid. Les jeunes officiers ainsi formés furent plus tard, les partisans les plus fidèles de KHEREDINE. Ils
ont réclamé et essayé de réformer l’administration tunisienne.
1340 Sur invitation du roi Louis-Philippe, Ahmed Bey séjourne en France en novembre-décembre 1846.
1341 A l’instar de KHEREDINE et d’IBN ABI DHIAF.
322




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affranchis. Ahmed Bey autorise la construction à Carthage d’une chapelle au nom de Saint
Louis et l’agrandissement de la Cathédrale de Bab Bhar à Tunis
1342. Il désaffecte le Souk des
esclaves ou Souk-Al-Birka en 1841 et interdit la traite des Noirs en 1843. Il abolit l’esclavage
en 1846 et institue trois commissions chargées de délivrer des attestations d’affranchissement
aux esclaves de Tunis
1343.
Malgré l’accélération du rythme des réformes et le programme ambitieux engagé par Ahmed
Bey pour moderniser le pays, les finances de la Régence sont obérées par sa participation à la
guerre de Crimée, aux côtés de l’armée ottomane. Les hommes au pouvoir tels que le ministre
Mustapha KHAZNADAR (1837-1873) dépensent sans compter. « Arrivé au pouvoir dans un
contexte caractérisé par une crise financière, un mécontentement des contribuables et des
critiques acerbes des consuls européens du mode de gouvernement
1344, Mohamed Bey s’est
trouvé obligé d’entreprendre de nouvelles réformes.
»1345 De fait, en 1856, les Consuls
d’Angleterre Richard WOOD
1346 et de France Léon ROCHES1347, ainsi que le Grand Vizir1348
turc, conseillent à Mohamed Bey (1855-1859)
1349 d’adopter de nouvelles réformes. Malgré
ses efforts, ces réformes tardent à voir le jour.
L’application des Tanzimat à Tunis sous le règne d’Ahmed Bey signifiait que la Tunisie était
une simple province de l’Empire ottoman dont elle serait dépendante
1350. Or, « Mohamed Bey
était moins hostile qu’Ahmed Bey à un rapprochement avec la Porte.
»1351 Les réformes
voulues et vivement conseillées par l’Angleterre et la France sont pourtant adoptées à la suite
1342 Décret du 27 février 1845. L’évêque catholique romain reçoit également des dons et une résidence dans la
Régence.
1343 Pour plus de précisions sur ces différents points, cf. le B. de ce paragraphe.
1344 Le Bey était le seul à pouvoir organiser politiquement la Tunisie. Son autorité n'avait pas de limites.
1345 I. BEN HASSEN, « Le Pacte Fondamental », in Etudes à la mémoire du Doyen Abdelfattah AMOR, Sfax,
Ecole Doctorale de la Faculté de Droit de Sfax, 2014, p. 31.
1346 Consul d’Angleterre à Tunis de 1855 à 1879.
1347 Consul de France à Tunis de 1855 à 1863.
1348 « Au début du XIXème siècle, une administration embryonnaire était constituée avec un Premier Ministre
(Le Grand Vizir) et trois ministres s’occupant l’un de la guerre et l’autre de la marine ; quant au troisième
il portait le titre de Ministre de la Plume, en quelque sorte un Garde des Sceaux avec des fonctions de
conseiller. Enfin, les caïds représentaient le pouvoir central dans les régions.
» M. CHARFI, Introduction
à l’étude du droit
, op.cit., p. 104.
1349 Dates de son règne.
1350 « Le refus d’Ahmed Bey d’appliquer les principes consacrés par le Khatti-Chérif s’explique, outre le souci
de renforcer son autonomie par rapport à la Sublime Porte, par la spécificité de la société tunisienne. En
effet, Ahmed Bey, pendant tout son régime, a essayé de renforcer et de concrétiser son autonomie. Il savait
pouvoir compter dans sa résistance aux pressions de l’Empire Ottoman sur l’appui de la France, dont les
efforts tendaient à isoler la Régence pour mieux contrôler les confins de l’Algérie.
» I. BEN HASSEN,
« Le Pacte Fondamental »,
précit., p. 37.
1351 Ibid., p. 38.
323




Page 325
d’un fait divers qui scandalise les puissances européennes. Le 23 juin 1857, un jeune
musulman est renversé par la charrette d’un juif du nom de Samuel SFEZ. Le ton monte entre
les deux hommes : si le musulman blasphème le Judaïsme, le juif ivre, blasphème à son tour
l’Islam et maudit le Bey de Tunis. Assailli par la foule, le charretier juif est traîné devant le
Grand Mufti Beyram (beau-frère de Mohamed Bey) qui le fait incarcérer. Deux jours plus
tard, le
Tribunal du Charâa1352 le déclare coupable à l’unanimité et le condamne à mort.
Transmettant la sentence au Bey, les Uléma menacent de donner leur démission et de l'accuser
de mépris pour l’Islam, s’il retarde l’exécution de la peine. Malgré la demande d'un sursis à
exécution de R. WOOD et L. ROCHES au Bey, Samuel SFEZ est décapité à La Marsa. Le
soir même, son corps est remis à sa famille à Tunis. L’émotion est très grande : les Juifs se
barricadent chez eux et les étrangers adressent des réclamations à leur gouvernement,
notamment des mesures de prévention et des garanties de non répétition.
Comme « la menace de recourir à la force était le moyen le plus efficace aux yeux des
puissances étrangères pour obliger le Bey à introduire des réformes
»1353, Léon ROCHES
demande à son gouvernement d’envoyer la flotte impériale à Tunis. Son but est de convaincre
le Bey, ses ministres, les Uléma et les Tunisiens, de rompre avec le fanatisme et d’entrer de
plain-pied dans la voie du progrès et de la civilisation occidentale. L’arrivée le 31 août 1857,
du vice-amiral THREHOUART et de sa flotte en rade de La Marsa, achève de persuader le
Bey du bien-fondé des demandes des Consuls français et anglais1354. Lors d'une audience, le
vice-amiral contraint le Bey à donner des garanties aux puissances européennes pour que des
événements similaires à l'affaire SFEZ, ne se reproduisent plus. Le 5 septembre 1857, il est
invité à visiter l’escadre française et alors que les membres de l’équipage passent en revue les
autres unités de la petite flotte, le Bey a l’impression d’avoir été piégé et fait prisonnier : il
promet d’adopter les réformes nécessaires et de promulguer les textes juridiques demandés. A
son retour au Palais, il ordonne la rédaction du document dans la nuit même. « Le lendemain,
le pacte fondamental était prêt. Le 9 septembre 1857, le pacte fut lu au palais du Bardo dans
une cérémonie imposante à laquelle assistaient les hauts fonctionnaires de la Régence et le
corps consulaire.
»1355
1352 Tribunal religieux composé des Uléma, Muftis et Cadis de la Régence.
1353 I. BEN HASSEN, « Le Pacte Fondamental », précit., p. 34.
1354 Ibid.
1355 Ibid., p. 35.
324



Page 326
Bien qu’il fasse aujourd'hui partie des textes juridiques fondateurs du constitutionnalisme
tunisien, le
Pacte fondamental1356 a donc été imposé par les puissances étrangères1357.
L’absence de réelle conviction dans l’introduction des réformes souhaitées
1358 par les
Européens et la Sublime Porte, fait qu’elles ont été difficilement acceptées par la société
tunisienne
1359. Cependant, le voyage d’Ahmed Bey en France a permis aux dignitaires du
régime d’opérer une comparaison entre les sociétés européennes progressistes et la société
tunisienne en déclin. Dans l’objectif de réformer la société et de renouveler les conceptions en
vigueur, les réformateurs tels que KHEREDINE et IBN ABI DHIAF empruntent des concepts
modernes aux puissances européennes et les déclarent conformes à la tradition musulmane
pour pouvoir les faire appliquer.
2. KHEREDINE et IBN ABI DHIAF, précurseurs du constitutionnalisme tunisien
A l’occasion de leur séjour en France, KHEREDINE et IBN ABI DHIAF apprécient la
modernité de la civilisation occidentale. Ils acquièrent d’ailleurs « la conviction de la
nécessaire réforme de leur société par un recours au progrès réalisé en Occident. De tout
cela a résulté un besoin de renouvellement des conceptions jusque-là admises.
»1360 Avant
d’analyser l’impact du séjour français sur les deux penseurs et de savoir en quoi consistent les
réformes de la société qu’ils envisagent, il est intéressant de préciser le contexte national dans
lequel les Tunisiens évoluent et de dresser le portrait des deux réformistes.
Dans les années 1860, de nombreux jeunes Tunisiens voyagent en Europe et reviennent avec
des idées nouvelles dont la diffusion est favorisée par la création de l’Imprimerie Officielle le
20 juillet 1860. A partir de 1873
1361, l’édition en arabe du journal Al Raid devient une tribune
1356 Pour plus de précisions sur la nature du Pacte fondamental de 1857, cf. le 2. du B. qui suit.
1357 Pour plus de précisions sur l’imposition du constitutionnalisme par le Européens, cf. le A. du Paragraphe 2
qui suit.
1358 Analphabète, Mohamed Bey n’a pu, de manière pleinement consciente adhérer aux idées réformistes du
Pacte fondamental.
1359 La pénétration des idées européennes a été facilitée par le régime des Capitulations de 1536. Ce dernier
garantissait aux ressortissants des puissances occidentales résidant à Tunis et dans les provinces de
l’Empire ottoman, le droit d’être soustraits au pouvoir des autorités locales. En plus du droit à la libre
circulation et des privilèges commerciaux divers, les
Capitulations reconnaissaient aux Européens un
privilège de juridiction. Ces derniers étaient jugés par leur consul quand ils étaient défendeurs dans des
instances civiles ou commerciales.

1360 M. R. BEN HAMMED, Histoire des idées politiques : Depuis le XIXème siècle, Occident Monde arabo-
musulman, op.cit., p. 199.
1361 Date à laquelle KHEREDINE a accédé à la direction du gouvernement.
325






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de communication de la politique de réforme entreprise par le nouveau ministre
KHEREDINE. Al Raid publie des comptes rendus d’ouvrages imprimés en Tunisie ou
ailleurs, des articles de vulgarisation scientifique, littéraire ou historique, des exposés sur les
structures politiques des pays européens
1362. C’est ainsi que les élites tunisiennes s’ouvrent
aux idées nouvelles importées d’Occident, adaptées par KHEREDINE et IBN ABI DHIAF à
la société tunisienne.
KHEREDINE est un ancien esclave, acheté1363 par un dignitaire de l’Empire ottoman qui lui
aurait donné une bonne éducation et enseigné la langue turque. Acheté une seconde fois par
un agent d’Ahmed Bey à Istanbul, il est élevé au palais beylical où il reçoit une éducation en
langue arabe et en science musulmane en 1839 et 1840. Entré dans l’armée, il acquiert des
connaissances militaires sous la direction d’une commission d’officiers envoyés par la France,
pour organiser et instruire les troupes du Bey. Devenu militaire, il accompagne Ahmed Bey à
Paris, en 1846. Avant d’être nommé à la tête du ministère de la Marine et d’être promu
Président du Grand Conseil en janvier 1857, il est chargé de plaider la cause de l’Etat tunisien
contre Mahmoud BEN AYED (l’ancien fermier général de Tunisie)
1364 devant un tribunal
arbitral
1365.
La confiance du Bey et ses différents déplacements en Europe1366 – particulièrement en
France – font de lui un personnage politique phare de la Tunisie beylicale. Ses missions
diplomatiques et ses séjours occidentaux le font réfléchir sur les causes de la décadence du
monde arabo-musulman et sur les progrès réalisés par les Etats européens
1367. Il observe le
1362 M. R. BEN HAMMED, Histoire des idées politiques : Depuis le XIXème siècle, Occident Monde arabo-
musulman, op.cit., p. 200.
1363 Né en Circassie aux alentours de 1820, KHEREDINE est un Mamelouk. Les Mamelouks sont des esclaves
chrétiens d’origine européenne convertis à l’Islam. En Tunisie, ils avaient accès aux plus hautes fonctions
de l’Etat. Ils fournissaient les cadres politico-militaires de l’Etat beylical.
1364 « Mustapha Khaznadar n’est certainement pas étranger aux différents vols du Trésor commis par des hauts
fonctionnaires qu’il a lui-même placés à la tête des finances. En effet, Mahmoud Ben Ayed, fermier général
de la Tunisie, qui s’envole en 1852 avec quatre-vingts millions est l’associé du premier ministre en même
temps que son confident.
» H. KAROUI, A. MAHJOUBI (dir.), Quand le soleil s’est levé à l’Ouest :
Tunisie 1881 - Impérialisme et Résistance,
Tunis, Cérès Productions, 1983, p. 21.
1365 Ce tribunal prononce sa sentence le 30 novembre 1856.
1366 Le Bey a souvent chargé KHEREDINE de missions auprès des Cours européennes (Angleterre, France,
Allemagne, Italie, Autriche, Suède, Hollande, Danemark et Belgique). Pour plus d’informations sur la vie,
l’œuvre et l’apport de KHEREDINE, voir le documentaire d’AL-JAZEERA, «
», du vendredi
25 mai 2018, [en ligne],
[consulté le 25 juin 2018], http://doc.aljazeera.net/video/%D8%AE%D9%
8A%D8%B1-%D8%A7%D9%84%D8%AF%D9%8A%D 9%86-%D8%A7%D9%84%D8%AA%D9%88
% D9%86%D8%B3%D9%8A (en arabe).
ريخ-نيدلا
يسنوتلا
-
1367 Au cours de leur séjour parisien de novembre-décembre 1846, KHEREDINE et IBN ABI DHIAF
observent les institutions du pouvoir libéral et s’intéressent aux notions telles que la souveraineté de la loi,
la représentation politique, les libertés individuelles, la garantie de la propriété privée, la justice, la gestion
326




Page 328
pouvoir politique et sa limitation par le droit, ainsi que la protection des libertés individuelles
dans les systèmes libéraux. Du fait de son origine circassienne, de sa formation, de ses
fonctions et de ses missions à l’étranger, KHEREDINE est l’un des précurseurs du droit
comparé dans les sociétés arabo-musulmanes. Sa pensée vise essentiellement à l’instauration
d’un pouvoir limité et modéré en pays d’Islam. Ce pouvoir est d’ailleurs pour lui, conforme à
la pensée politique islamique.
Il publie Aqwaan al massalik fi marifat ahoual el mamélik en 1867 à l’Imprimerie Officielle.
Dès les premières lignes de son ouvrage, il recommande de regarder ailleurs
1368, de « ne pas
fermer les yeux
»1369 sur tout ce qui est louable et conforme aux enseignements de la parole
révélée,
chez les non musulmans1370. L’introduction est traduite en français en 1868, sous le
titre « Réformes nécessaires aux Etats musulmans : la plus sûre direction pour connaître
l’état des nations ». Alors que la première partie vise à expliquer l’organisation et les
institutions de l’Empire ottoman et des Etats européens
1371, la seconde donne des indications
sur les différentes régions du monde.
En ce qui concerne Ahmed IBN ABI DHIAF, originaire de Siliana, il a appris le Coran et
suivi des enseignements religieux à la
médersa1372 et à la Zitouna1373 à Tunis. En 1822, il
devient adl (notaire) et kattib (secrétaire à la chancellerie) en 1827. Rédacteur habile et
cultivé, il exercera ses missions de secrétaire sous Mustapha Bey, Mustapha Sahib AT TABA,
Ahmed Bey et Mustapha KHAZNADAR. Homme de confiance, il est missionné par le Bey
Hussayn II auprès de la Sublime Porte, pour le défendre contre les accusations de trahison des
intérêts ottomans, lancées par les dignitaires turcs de l’Empire. Afin de défendre
convenablement le Bey, il trouve des arguments politiques, juridiques et religieux. Chargé de
se rendre une nouvelle fois à Istanbul en 1842, il plaide la non-application à Tunis, du Khati
rationnelle du pouvoir, son contrôle et la théorie de la séparation des pouvoirs. L’observation laisse ensuite
place à la réflexion : ces deux penseurs s’interrogent sur les raisons de la décadence du monde arabo-
musulman et sur la nécessaire réforme du système de pouvoir traditionnel qui repose sur l'omnipotence du
monarque.
1368 Autrement dit, chez les peuples d’une religion différente.
1369 M. R. BEN HAMMED, Histoire des idées politiques : Depuis le XIXème siècle, Occident Monde arabo-
musulman, op.cit., p. 206.
1370 Il reproche aux Uléma et aux hommes d’Etat leur hostilité à l’égard de toute innovation si elle est d’origine
européenne.
1371 L’introduction de cet ouvrage est rééditée à Istanbul et traduite en turc et en anglais.
1372 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Médersa.
1373 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Zitouna.
327




Page 329
Cherif de Gul-Khaneh de 1839. Collaborateur de confiance d’Ahmed Bey, il l’accompagne
avec KHEREDINE à Paris en 1846.
Observateur attentif du système politique français, il est fasciné par la civilisation occidentale.
En 1857, il est chargé d’élaborer le
Pacte fondamental ou Ahd el amen1374 et devient
progressivement un fervent défenseur des Tanzimat ottomans. Ecarté du pouvoir à la suite de
l’insurrection de 1864
1375, il est conseiller auprès du Premier ministre en 1870 mais
démissionne pour des raisons de santé en 1872. Connu pour son Ithaf ahl az-zaman bi akbar
muluk Tunis wa ahd al aman, Cadeau aux contemporains ou chronique des rois de Tunis et
du Pacte fondamental, il défend ardemment la prééminence de la monarchie constitutionnelle.
Il y expose l’histoire de la Tunisie et fait un plaidoyer en faveur du Pacte fondamental.
A l’instar de KHEREDINE, le séjour en France d'Ahmed IBN ABI DHIAF influence ses
idées et sa manière de penser. Pour lui, le pouvoir limité et mesuré est la meilleure forme de
gouvernement. Dans sa chronique, il écrit que c'est en observant les campagnes et
l’équipement militaire français qu'il a compris que l’ardeur au travail et la prospérité des
Français découlaient « de la liberté qui leur était garantie par l’existence d’institutions telles
que les Assemblées permettant la participation du peuple à l’exercice et au contrôle du
pouvoir.
»1376
Ahmed IBN ABI DHIAF défend les mêmes idées que KHEREDINE1377. Les deux hommes
militent en faveur de la reconnaissance d’un pouvoir politique limité par le droit, exhortant les
musulmans à refuser et à rejeter le gouvernement despotique, ne serait-ce que pour deux
raisons : la première est religieuse. Selon lui, les versets du Coran et les hadîths du Prophète
1374 « Le texte définitif du “Pacte Fondamental” de 1857 (“ahd al aman”), la déclaration dans laquelle le Bey
de Tunis reconnaît solennellement à ses sujets, sans distinction de religion et de condition, un certain
nombre de droits et qui a servi de base à la Constitution de 1861, a été rédigé, à la lumière des
observations du Bey et des membres de la Commission chargée de le préparer, par Ahmed Ibn Abi Dhiaf.
»
M. R. BEN HAMMED,
Histoire des idées politiques : Depuis le XIXème siècle, Occident Monde arabo-
musulman
, op.cit., p. 229.
1375 Cf. le A. du Paragraphe 2 qui suit.
1376 M. R. BEN HAMMED, Histoire des idées politiques : Depuis le XIXème siècle, Occident Monde arabo-
musulman, op.cit., p. 247.
1377 L’ensemble de la pensée de KHEREDINE est exposée dans le 1. du A. du Paragraphe 1 de la Section 2 du
Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE I de cette thèse, relatif à
la place du référent islamique au sein de la
Constitution, p. 86 et suivantes. C’est la raison pour laquelle seule la pensée d’IBN ABI DHIAF est
exposée ici. S’inspirant l’un l’autre, leurs idées se rejoignent. Pour un résumé de leur pensée, voir
également M. R. BEN HAMMED, « Le constitutionnalisme dans la pensée de Khérédine et Ibn Abi
Dhiaf »,
in Mélanges offerts au Doyen Sadok Belaïd, Centre de Publication Universitaire, Tunis, 2004,
pp. 135-157.
328





Page 330
défendent à l’individu d’agir capricieusement et de n’obéir qu’à sa seule volonté. Comme
KHEREDINE, il incite les musulmans à recommander le bien et à interdire le mal, au lieu de
se soumettre et d’obéir à un prince injuste pour éviter la guerre civile. La seconde raison est
rationnelle : s’inspirant d’IBN KHALDOUN, il estime que l’arbitraire, l’insécurité et le
pillage des biens par les monarques, empêchent les sujets de vivre dignement et paisiblement.
Opposant le pouvoir absolu, Mulk al mutlaq, au pouvoir limité par le droit, Mulk al muqaïd bi
quanun, il estime que ce dernier peut s’obtenir par la révolution d’un peuple en quête de
liberté contre le despotisme ou par l’octroi d’une Constitution. Bien que la Constitution du 27
janvier 2014 n’ait pas été octroyée aux Tunisiens, il est à remarquer que la Révolution du
Jasmin
est une synthèse des deux conditions évoquées1378 par IBN ABI DHIAF.
Ahmed IBN ABI DHIAF considère que le Coran et la Sunna du Prophète constituent la loi
fondamentale, dont l'objectif est de limiter le pouvoir, rendre la justice et respecter la liberté
des individus. Ces deux réformistes considèrent l’organisation nouvelle du pouvoir politique
en fonction des idéaux de justice et de liberté des civilisations arabe et islamique. Ils
cherchent à concilier les valeurs authentiques des civilisations arabe et islamique, avec les
valeurs modernes de la civilisation occidentale, pour se conformer à l’esprit du temps. Au lieu
de rejeter les innovations qui leur sont contemporaines, ils cherchent à les ajuster et à les
adapter à la société arabo-musulmane dans laquelle ils vivent : ils rappellent d’ailleurs que
l’Islam encourage le progrès et impose à ses fidèles d’emprunter tout ce qui peut mieux les
armer dans la vie.
Afin de faire accepter et de prouver les avantages des avancées occidentales et/ou des
Tanzimat promulgués par la Sublime Porte, ils empruntent l’idée de constitution1379 à
l’Occident. De fait, ils pensent que la mise en place d’un pouvoir politique limité serait
respectueux des droits et libertés individuels, puisque la constitution est d’essence divine en
pays d’Islam
1380. S'ils considèrent que les Tanzimat sont des réformes législatives édictées par
les hommes, ils les interprètent à l’aune de l’Islam. En effet, les Tanzimat précisent les
prescriptions divines, les valeurs et les principes de l’Islam, tout en réformant les institutions
1378 Pour plus de précisions, cf. le B. du Paragraphe 2 de la Section 2 de ce chapitre relatif au besoin d’une
culture constitutionnelle travaillée par les gouvernés, p. 367.
1379 Pour plus de précisions sur l’introduction de l’idée de constitution en Tunisie, cf. la Section 2 de ce
chapitre.
1380 Pour plus de précisions sur l’idée de constitution dans la pensée politique de KHEREDINE, cf. le 1. du A.
du Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE I de cette thèse, relatif à
la place du
référent islamique au sein de la Constitution
, p. 86.
329




Page 331
en place. Ainsi, bien que les réformes du monde arabo-musulman aient été imposées à la
Sublime Porte et à la Régence de Tunis par l’Occident, elles sont – du fait de la réflexion de
KHEREDINE et d’IBN ABI DHIAF – conformes à la pensée politique en Islam.
L’observation des peuples occidentaux et l’intérêt porté à leurs constitutions, poussent les
deux réformateurs à penser que les pays musulmans peuvent parvenir à une organisation
politique égale sinon supérieure, à celles des puissances européennes du XIX
ème siècle. Ils
jugent en effet qu'étant donné sa dimension transcendantale, l’Islam est de fait, supérieur aux
civilisations occidentales
1381. Grâce à leur capacité à conjuguer leurs idées aux réformes
entreprises par les Beys de Tunis, ils aboutissent à l’adoption de plusieurs textes fondateurs du
constitutionnalisme tunisien.
B.
Les textes fondateurs du constitutionnalisme tunisien
A partir du règne d’Ahmed Bey, la Tunisie opte pour les réformes et la modernité. Sous
l’influence de la Sublime Porte et des puissances européennes, elle entérine un certain nombre
de textes fondateurs du constitutionnalisme tunisien. Il s’agit essentiellement des décrets
abolissant l’esclavage (1), du Pacte fondamental de 1857 (2) et de la Constitution de 1861 (3).
1. Les décrets abolissant l’esclavage
A l’occasion de la commémoration du 173ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage,
l'ancien président de la République Béji CAÏD ESSEBSI a proclamé le 23 janvier, journée
nationale de l’abolition de l’esclavage
1382. En effet, sous l’impulsion d’Ahmed Bey, avant
même les Etats-Unis et la France, la Tunisie désaffecte le Souk des esclaves ou Souk-Al-Birka
en 1841 et interdit la traite des Noirs en 1843. Elle abolit l’esclavage en 1846 et institue trois
commissions chargées de délivrer des attestations d’affranchissement aux esclaves libérés de
Tunis. Seulement, « l’abolition de l’esclavage en Tunisie a été vivement recommandée par les
1381 M. R. BEN HAMMED, Histoire des idées politiques : Depuis le XIXème siècle, Occident Monde arabo-
musulman, op.cit., p. 251.
1382 W. NASRAOUI « Tunisie : le 23 janvier Journée de l’abolition de l’esclavage, une décision “historique” »,
Jeune Afrique [en ligne], publié le mercredi 23 janvier 2019, [consulté le 30 janvier 2019],
https://www.jeuneafrique.com/713313/societe/tunisie-le-23-janvier-journee-de-labolition-de-lesclavage-
une-decision-historique/.
330










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puissances européennes. On ne peut exclure, en effet, l’influence grandissante des idées
abolitionnistes venant de l’Europe et diffusées par les sociétés et les voyageurs européens qui
étaient nombreux en Afrique du nord à cette époque
1383. »1384
Afin de se conformer aux idéaux humanistes du siècle des Lumières et de répondre aux
demandes des Consuls d’Angleterre et de France
1385, Ahmed Bey proclame que toute
personne née dans la Régence est libre. Il fait détruire les magasins d'esclaves et procède à la
suppression des droits perçus par le gouvernement sur la vente des esclaves. « Le 6 septembre
1841, le bey a interdit la vente des esclaves sur tous les marchés de la régence. En avril 1842,
il avait interdit toute importation d’esclaves.
»1386 Quelques mois plus tard, il décide que les
enfants d’esclaves nés après cette date, seront également libres. Dans l’objectif de parer à un
quelconque mécontentement, voire au soulèvement des marchands et propriétaires d’esclaves,
il obtient différentes
fatwa1387 assurant que l’abolition de l’esclavage n’est pas incompatible
avec la charia, aidé en cela par le Prophète Mahomet qui considérait que l’affranchissement
d’un esclave était un acte de charité.
En effet, dans un hadîth rapporté par Al-BÛKHARI et IBN MÂJAH, Mahomet aurait affirmé
qu’il serait l’adversaire de trois personnes le jour du jugement dernier. Celui qui asservit un
homme, le vend et en récolte les bénéfices est l’une des trois. Le verset 89 de la Sourate 5 Al-
Maidah du Coran précise aussi : « Allah ne vous sanctionne pas pour la frivolité dans vos
serments, mais Il vous sanctionne pour les serments que vous avez l'intention d'exécuter.
L'expiation en sera de nourrir dix pauvres, de ce dont vous nourrissez normalement vos
familles, ou de les habiller, ou de libérer un esclave.
»1388 Plus encore, il était de tradition
d’affranchir des esclaves au moment de l’enterrement d’un Bey. Cet usage servait à honorer le
disparu. Suivant le cortège funèbre, les esclaves portaient leurs lettres d’affranchissement.
1383 Le nombre d’échanges de lettres des consuls européens à Tunis et les correspondances avec les sociétés
abolitionnistes de Paris et de Londres, témoignent du rôle décisif joué par les milieux européens dans le
mouvement abolitionniste de Tunis.
1384 N. ABDEDDEYEM, « L’abolition de l’esclavage en Tunisie », in Etudes à la mémoire du Doyen
Abdelfattah AMOR, op.cit., p. 21.
1385 Alors que Thomas READ, Consul d’Angleterre demande l’interdiction de l’exportation des esclaves, le
Consul de France demande l’interdiction de leur importation et la fermeture du marché aux esclaves.
1386 N. ABDEDDEYEM, « L’abolition de l’esclavage en Tunisie », précit., p. 23.
1387 L’une des plus importantes à l’époque est celle du Mufti Sidi Brahim RIAHI.
1388 Traduction du Coran en français [en ligne], [consulté le 30 janvier 2019], https://www.coran-
francais.com/coran-francais-sourate-5-0.html.
331





Page 333
Alors que le 23 janvier 1846, Ahmed Bey promettait aux Consuls européens d’affranchir tous
les esclaves de la Régence, c'est dès le 26 janvier qu'un décret abolissant l’esclavage est
promulgué. « Ce dernier texte évoquait comme objectif de rendre service aux pauvres
esclaves, dans leur vie présente et d’éviter à leurs propriétaires des châtiments dans l’au-
delà, étant donné que la plupart d’entre eux ne se conduisaient pas avec leurs esclaves selon
les recommandations de l’islam.
»1389 Si les Tunisiens aisés de la cité ont accepté le décret
abolissant l’esclavage de leurs domestiques, il en a été autrement des paysans dans le sud du
pays où les esclaves travaillaient dans l’agriculture et les travaux d’irrigation. Si le rythme de
l’esclavage s'y est vu ralenti, l’abolition n’en a pas été effective dans la pratique
1390 pour
autant. Il faudra attendre plusieurs décennies pour que le décret du 29 mai 1890 condamne
l’esclavage de manière explicite et reconnaisse aux esclaves le droit à la liberté. En vertu de
l’article 2 du décret désormais, les propriétaires d’esclaves devaient attester de leur
affranchissement, en leur remettant un acte notarié certifié par un tribunal. Des sanctions
telles que des amendes ou des peines d’emprisonnement étaient prévues pour ceux qui
continuaient à asservir des personnes ou à alimenter ce commerce.
Bien qu' « à la suite de l’abolition un processus de paupérisation et de marginalisation
sociale est devenu perceptible à une grande échelle, dans la mesure où l’affranchissement
assurait l’émancipation juridique mais non sociale de l’esclave
»1391, il est essentiel d’insister
sur le fait que la Tunisie du XIX
ème siècle a participé à l’évolution du monde, en interdisant ce
qui était religieusement toléré ou permis. Ses avancées réformistes vont d’ailleurs se
consolider et déboucher sur l’adoption du Pacte fondamental de 1857.
2. Le Pacte fondamental de 1857
Le Pacte fondamental a été adopté à la suite d’un accident de l’Histoire1392 et sous la pression
des puissances européennes qui défendaient les communautés israélite et étrangère contre le
pouvoir du Bey. « En Tunisie, le souci de sécuriser est manifestement le fait générateur du
1389 N. ABDEDDEYEM, « L’abolition de l’esclavage en Tunisie », précit., p. 24.
1390 L’institution des Mamelouks est restée en vigueur jusqu’à la conclusion du traité du 8 août 1830 qui interdit
la captivité des chrétiens sans distinction de nationalité.
1391 N. ABDEDDEYEM, « L’abolition de l’esclavage en Tunisie », précit., p.27. Voir également A. MOSBAH
« Etre noire en Tunisie » »,
Jeune Afrique [en ligne], publié le lundi 12 juillet 2004, [consulté le 30 janvier
2019], https://www.jeuneafrique.com/112359/archives-thematique/etre-noire-en-tunisie/.
1392 L’exécution arbitraire du juif tunisien Samuel SFEZ.
332






Page 334
déclanchement du processus d’institutionnalisation du pouvoir il y a un siècle et demi. »1393
En effet, le dispositif constitutionnel du XIX
ème siècle a été élaboré avec pour fil conducteur
de rassurer et de sécuriser les habitants, quelles que soient leur nationalité et leur confession.
Avec beaucoup d’insistance, les puissances étrangères ont demandé au Bey de garantir la
sécurité, el-amen, à son peuple. Généralement traduite par Pacte fondamental, la
dénomination arabe du pacte, Ahd el amen, devrait plutôt être traduite par Pacte de sécurité
juridique. Ainsi, le sens arabe de l’intitulé du pacte serait fidèlement respecté.
Déclaration par laquelle le Bey de Tunis « reconnaît solennellement à ses sujets, sans
distinction de religion et de condition, un certain nombre de droits
»1394, le Pacte fondamental
a essentiellement été rédigé par Ahmed IBN ABI DHIAF. C’est d’ailleurs en l’élaborant qu’il
devient un fervent défenseur des Tanzimat ottomans. Ceci dit, en quoi consiste véritablement
le Pacte fondamental ? « C’était une sorte de Déclaration des Droits de l’Homme en Tunisie,
garantissant, à tous les sujets de la Régence, la sécurité et l’égalité de droit sans distinction
de race ou de religion.
»1395 Composé d’un préambule, de onze articles et d’un serment final,
il consacre des droits et des libertés permettant de « réaliser un climat favorable à l’exercice
du culte et une coexistence pacifique entre les musulmans et les non musulmans.
»1396 Sur
onze articles, seuls quatre
1397 concernent les Tunisiens musulmans. Même si le contenu du
texte vise à protéger les droits et les intérêts des étrangers résidant dans la Régence, le Pacte
fondamental a le mérite de consacrer la liberté de conscience et de culte, celle du commerce et
de l’industrie, le principe d’égalité, le droit de propriété et la sécurité aux habitants.
Bien que très fortement influencé par l'Europe, ce texte est le premier du monde arabo-
musulman à avoir été promulgué par un gouvernant arabe et musulman, pour accorder au
peuple des droits et des libertés découlant de valeurs modernes au fondement du
constitutionnalisme. Dès lors, le Pacte fondamental mérite sa qualification de Déclaration des
Droits de l’Homme en Tunisie
1398. Il est donc essentiel d’étudier ces droits et libertés ainsi
consacrés qui entraînent la liberté de conscience et de culte. En effet, les dispositions du pacte
1393 N. BACCOUCHE, « L’institutionnalisation du pouvoir », in Etudes à la mémoire du Doyen Abdelfattah
AMOR, op.cit., p. 13.
1394 M. R. BEN HAMMED, Histoire des idées politiques : Depuis le XIXème siècle, Occident Monde arabo-
musulman, op.cit., p. 229.
1395 M. CHARFI, Introduction à l’étude du droit, op.cit., p. 105.
1396 I. BEN HASSEN, « Le Pacte Fondamental », in Etudes à la mémoire du Doyen Abdelfattah AMOR, op.cit.,
p. 43.
1397 Il s’agit des articles, 1, 2, 3 et 5.
1398 Pour une analyse plus précise de cette qualification, cf. le A. du Paragraphe 2 qui suit.
333




Page 335
s’adressent à « l’être humain vivant dans
faite de ses
croyances.
»1399 L’article 4 précise que les « sujets dhimmis ne subiront aucune contrainte
la Régence abstraction
pour changer de religion et ne seront point entravés dans l’exercice de leur culte ; leurs lieux
de culte seront respectés et protégés contre toute atteinte ou offense.
»1400 L’article 94 de la
Constitution de 1861 précisera quant à lui, que les Tunisiens non musulmans qui changeront
de religion resteront des sujets tunisiens
1401.
Géopolitiquement, l’objectif des Consuls anglais et français était aussi qu'en poussant la
Tunisie à se conformer aux réformes imposées à la Sublime Porte, leur pénétration au sein de
la Régence serait facilitée. Ainsi, le Pacte fondamental proclame-t-il aux articles 9 et 10, la
liberté du commerce et de l’industrie. Cette liberté est d’ailleurs à elle seule révélatrice de la
philosophie libérale, source d’inspiration pour les rédacteurs du pacte. L’article 5 préserve la
liberté du commerce et interdit à l’Etat d’intervenir dans un domaine réservé à l’initiative
privée. Cependant, l’alinéa premier de l’article 10 précise que « les étrangers qui voudront
s’établir dans nos Etats pourront exercer toutes les industries et tous les métiers, à condition
qu’ils se soumettront aux règlements établis et à ceux qui pourront être établis plus tard, à
l’égal des habitants du pays. Personne ne jouira, à cet égard, de privilège sur un
autre.
»1402 Autant dire que si le pacte consacre la liberté du commerce et de l’industrie, il
permet aussi aux étrangers de la Régence d’avoir la mainmise sur l’économie du pays. Il acte
la domination française et accélère l’avènement du protectorat en Tunisie
1403.
Pour ce qui est des points qui intéressent plus directement le quotidien de la population, les
articles 2, 3 et 5 du pacte garantissent le principe d’égalité devant l’impôt, devant la loi et
dans l’exercice du service militaire. D'ailleurs, l’article 3 a essentiellement été pensé pour
instaurer une égalité entre les sujets musulmans et non musulmans de la Régence, sans
distinction de religion, de nationalité ou de race. Cela dit, l’égalité ne peut être respectée que
par l’instauration de la justice, considérée comme une balance servant « à garantir le bon
1399 I. BEN HASSEN, « Le Pacte Fondamental », précit., 2014, p. 44.
1400 Ibid. Article traduit par Issam BEN HASSEN, auteur de l’article précité. Il est important de noter que le
Pacte fondamental du 10 septembre 1857 est intégralement reproduit en français, en annexe à
l’ouvrage
Etudes à la mémoire du Doyen Abdelfattah AMOR, Sfax, Ecole Doctorale de la Faculté de Droit
de Sfax, 2014, 276 p. Cependant, la traduction de l’article 4 renvoie aux seuls «
sujets israélites » et
«
synagogues », non aux « dhimmis » et « lieux de culte ». Contrairement à la traduction donnée par Issam
BEN HASSEN, l’annexe de l’ouvrage précité ne s'intéresse qu'à la communauté juive et omet les autres
dhimmis tels que la communauté chrétienne.
1401 Pour plus de précisions sur la Constitution de 1861 voir le 3. qui suit.
1402 I. BEN HASSEN, « Le Pacte Fondamental », précit., pp. 44-45.
1403 Pour plus de précisions, cf. le A. du Paragraphe 2 qui suit.
334




Page 336
droit contre l’injustice, le faible contre le fort. »1404 A la suite de l’affaire SFEZ, les résidents
étrangers ont adressé des réclamations à leur gouvernement, contraignant le Bey à donner des
garanties aux puissances européennes pour que des évènements similaires ne se reproduisent
plus. L’article 6 du pacte prévoit alors que « lorsque le tribunal criminel aura à se prononcer
sur la pénalité encourue par un sujet dhimmi, il sera adjoint audit tribunal un membre que
nous désignerons parmi les personnalités appartenant à sa communauté.
»1405 Conservant
l’esprit des
Capitulations1406, l’article 6 reconnaît un privilège de juridiction aux Européens
résidant dans la Régence.
En plus des privilèges commerciaux et juridictionnels, l’octroi du droit de propriété aux
étrangers favorise l'acquisition de terrains et de richesses agricoles, étape élémentaire à la
colonisation d'un pays. Le Professeur Mohamed CHARFI précise d’ailleurs que « pour tenir
compte des pressions étrangères, le Pacte Fondamental reconnaissait aux étrangers le droit
d’accès à la propriété immobilière.
»1407 Transposant l’article 18 du Khati Houmayoun de
1856, l’article 11 du pacte prévoit que les « étrangers qui se rendent dans notre Régence et
qui relèvent d’autres Etats pourront acheter toutes sortes de propriétés, telles que maisons,
jardins, terres, à l’égal des habitants du pays, à condition qu’ils se soumettent sans réserve
aux lois établies et aux lois à venir.
»1408 La reconnaissance du droit de propriété aux
étrangers confirme l’idée que le Pacte fondamental octroie des privilèges considérables aux
résidents étrangers et qu’il n’a pas été pensé comme accordant de manière directe des droits et
libertés aux Tunisiens
1409.
Il en est ainsi de la sécurité. Même si elle est garantie à tous les sujets, elle résulte des
réclamations et des pressions des Consuls anglais et français pour que le Bey prenne les
mesures qui garantiraient la non répétition de l’affaire SFEZ. Certes, le principe de sécurité
est au fondement du Pacte fondamental mais il ne résulte pas d’une volonté réelle des
Tunisiens d’introduire des réformes. D'ailleurs, les Uléma les ont difficilement acceptées. Le
1404 I. BEN HASSEN, « Le Pacte Fondamental », précit., p. 46.
1405 Ibid. Alors que la traduction d’Issam BEN HASSEN renvoie au « sujet dhimmi », le Pacte fondamental
prévu en annexe à l’ouvrage Etudes à la mémoire du Doyen Abdelfattah AMOR, évoque le seul « sujet
israélite
». Contrairement à la traduction livrée par Issam BEN HASSEN, l’annexe de l’ouvrage précité est
focalisée sur une seule communauté, celle des israélites et se soucie peu des autres
dhimmis à l’exemple de
la communauté chrétienne
.
1406 En vertu des Capitulations, les Européens résidant dans les provinces de l’Empire ottoman étaient jugés par
leur consul quand ils étaient défendeurs dans des instances civiles ou commerciales.
1407 M. CHARFI, Introduction à l’étude du droit, op.cit., p. 105.
1408 I. BEN HASSEN, « Le Pacte Fondamental », précit., p. 46.
1409 Pour plus de précisions, cf. le A. du Paragraphe 2 qui suit.
335




Page 337
Professeur Mohamed CHARFI affirme à ce titre que « [s]i le Pacte Fondamental a été une
sorte de déclaration d’intention, la Constitution va être par certains aspects, un programme
d’action et, par d’autres, une mise en pratique de ce qui a été promis.
»1410
3. La Constitution de 1861
De fait, le Pacte fondamental a été considéré comme une déclaration des droits profitant aux
résidants étrangers de la Tunisie, mais « Napoléon III a suggéré à Mohamed Sadok Bey de
consigner ces droits dans une constitution
»1411, ce qu'il a fait. C'est ainsi que la première
Constitution du monde arabo-musulman est promulguée par Mohamed Es Sadok Bey (1859-
1882) le 26 avril 1861. Alors que KHEREDINE avait animé les travaux de la Commission de
réforme chargée d’élaborer le texte constitutionnel, Ahmed IBN ABI DHIAF a rédigé la
Constitution de 1861. L'objectif de ce texte est d’instaurer une monarchie constitutionnelle,
seul régime capable de garantir la sécurité, la liberté et la justice aux habitants de la Régence.
Malgré le régime des Capitulations, l’organisation politique et sociale de la Tunisie des Beys
était essentiellement basée sur le Coran. De plus, depuis la fondation de la dynastie beylicale
par Hussein Bey en 1705, « le Bey de Tunis, chef de l’Etat tunisien, se comportait en
monarque absolu, exerçant confusément les pouvoirs législatif, exécutif et même judiciaire, la
justice étant également retenue par le Souverain.
»1412 Or, les réformes occidentales imposées
à la Sublime Porte et à la Régence de Tunis, ont servi à la modernisation des structures du
pays et à la limitation du pouvoir absolu des Beys. Avec la promulgation de la Constitution le
26 avril 1861, le pouvoir n’est plus à la disposition du Bey et les autorités publiques ont
besoin d’un titre de compétences pour agir. Même si certaines règles sont inspirées de la
charia, le droit positif régit désormais le pouvoir et la société. La Constitution organise et
distribue les pouvoirs au sein de l’Etat. « Cette distribution s’est accompagnée d’une
détermination des compétences ainsi que de la fin de l’irresponsabilité du prince.
»1413
1410 M. CHARFI, Introduction à l’étude du droit, op.cit., p. 105.
1411 B. KARRAY, « L’administration tunisienne dans la Constitution du 26 avril 1861 », in Etudes à la
mémoire du Doyen Abdelfattah AMOR, op.cit., p. 88.
1412 V. SILVERA, « Le régime constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1er juin 1959 », précit., p. 367.
1413 N. BACCOUCHE, « L’institutionnalisation du pouvoir », in Etudes à la mémoire du Doyen Abdelfattah
AMOR, op.cit., p. 16.
336







Page 338
L’article 9 de la Constitution établit même les droits et les devoirs du chef de l’Etat : « Tout
prince, à son avènement au trône, doit prêter serment, en invoquant le nom de Dieu, de ne
rien faire qui soit contraire aux principes du Pacte Fondamental et aux lois qui en découlent,
et de défendre l’intégrité du territoire tunisien. Ce serment doit être fait solennellement et à
haute voix en présence des membres du Conseil suprême et des membres du Charâa. C’est
seulement après avoir rempli cette formalité que le prince recevra l’hommage de ses sujets et
que ses ordres devront être exécutés. Le Chef de l’Etat qui violera volontairement les lois
politiques du royaume sera déchu de ses droits.
»1414 La responsabilité politique du Bey enfin
caractérisée, l'oblige à ne plus agir de manière arbitraire, à respecter les droits et libertés de
ses sujets et à défendre l’intégrité du territoire.
En d'autres termes, « [l]a Constitution du 26 avril 1861 marque la transformation de la
monarchie absolue en monarchie libérale.
»1415 Au cours d’une consultation juridique le 18
juillet 1921, les Professeurs Joseph BARTHELEMY et André WEISS ont défini les effets de
la Constitution de 1861 sur la souveraineté beylicale : « En octroyant la Constitution, le
souverain, jusque-là absolu, reconnaît à côté de sa propre souveraineté, la souveraineté du
peuple. Le bey abdique une partie de sa souveraineté et il soumet dès lors l’exercice de ses
pouvoirs à des formalités irrévocables.
»1416 Si le Pacte fondamental ne comporte aucune
réforme structurelle de l’organisation des pouvoirs publics, les réformes dictées par les
Européens à la Tunisie servent les Tunisiens : elles permettent l’adoption d’une Constitution
qui limite considérablement les pouvoirs du Bey et qui le responsabilise.
Le Bey n'est pas le seul à être politiquement responsable de ses actes puisqu’en vertu de
l’article 20, ses ministres le sont devant lui et devant le Conseil suprême. La définition de ce
dernier Conseil se trouve dans le Chapitre III de la Constitution, relatif à l’organisation des
ministères, du Conseil suprême et des tribunaux. Ainsi à l’article 21, le Conseil suprême
1417
sauvegarde les droits du Chef et des sujets de l’Etat
1418 : « Une monarchie constitutionnelle
1414 Constitution du 26 avril 1861 en annexe à l’ouvrage Etudes à la mémoire du Doyen Abdelfattah AMOR,
op.cit., p. 187.
1415 V. SILVERA, « Le régime constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1er juin 1959 », précit., p. 369.
1416 Ibid.
1417 La composition et les attributions du Conseil suprême sont prévues au Chapitre VI de la Constitution de
1861, aux articles 44 à 69. Ce Conseil est aux deux tiers composé de notables du pays. Le dernier tiers étant
constitué de ministres, de fonctionnaires civils et de militaires du Gouvernement.
1418 Les libertés et le principe d’égalité sont affirmés. De plus, la légalité des délits et des peines conditionne
dorénavant les prérogatives des juges professionnels, intégrés dans des formations collégiales.
337




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est substituée à la monarchie absolue avec la mise en place d’un Conseil suprême de 60
membres qui va partager le pouvoir avec le Bey.
»1419
Selon le Professeur Néji BACCOUCHE, « [u]n législateur central a remplacé le pouvoir
normatif diffus et précédemment exercé par les
oulémas. »1420 Les compétences législatives
du Conseil (articles 62, 63 et 69 de la Constitution) annoncent la codification du droit.
D’inspiration
malékite1421 et hanéfite1422, le premier Code civil et pénal tunisien est promulgué
en 1861. « Composé de 664 articles, [il traite] à la fois du droit pénal, de la procédure pénale,
de la procédure civile et de certains aspects de droit civil, essentiellement les obligations et
contrats.
»1423
Outre ses compétences législatives, le Conseil suprême est gardien des lois et du Pacte
fondamental
et défenseur des droits des habitants de la Régence1424. « Il s’oppose à la
promulgation des lois qui seraient contraires ou qui porteraient atteinte aux principes de la
loi, à l’égalité des habitants devant la loi et au principe de l’inamovibilité de la magistrature,
excepté dans
le cas de destitution pour un crime commis et établi devant un
tribunal.
»1425 Parallèlement, il exerce un contrôle sur la loi, en vertu de l’article 61 de la
Constitution et en cas de recours contre un arrêt du tribunal de révision en matière criminelle,
il s’assure que la loi a bien été appliquée et que la procédure a été respectée. Il agit alors tel un
juge de cassation. En plus de ses fonctions juridictionnelles, le Conseil suprême peut grâce à
l’article 64, contrôler annuellement les comptes et les dépenses de chaque ministère.
Pour ce qui est des compétences juridictionnelles, la fonction de juger est confiée à différents
tribunaux : le tribunal de police correctionnelle juge les contraventions de simple police
(article 22) ; le tribunal civil et criminel s'occupe des affaires qui ne dépendent pas des
conseils militaires et des tribunaux de commerce (article 23) ; le tribunal de révision se charge
1419 M. CHARFI, Introduction à l’étude du droit, op.cit., p. 105.
1420 N. BACCOUCHE, « L’institutionnalisation du pouvoir », précit., p. 14.
1421 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Malékisme.
1422 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Hanéfisme.
1423 N. BACCOUCHE, « L’institutionnalisation du pouvoir », précit., p. 14.
1424 Pour une analyse critique des droits consacrés par la Constitution du 26 avril 1861, cf. le A. du Paragraphe
2 qui suit.
1425 Article 60 de la Constitution du 26 avril 1861 en annexe à l’ouvrage Etudes à la mémoire du Doyen
Abdelfattah AMOR, op.cit, p. 196.
338





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des recours contre les jugements rendus par les tribunaux civil (article 24), militaire (article
26)
1426 et de commerce (article 25)1427.
Malgré un avenir prometteur, c'est contre toute attente que le Bey renonce le 30 avril 1864, à
l’application de la Constitution
1428. A cause des circonstances politiques, économiques et
sociales du pays, le fonctionnement du Conseil suprême est suspendu et le Code civil et pénal
est abrogé. « Ainsi, trois ans à peine après sa promulgation, la Constitution tunisienne
tombait en désuétude et n’était plus qu’un souvenir, une espèce de monument historique.
»1429
Si les réformes imposées par l’Occident étaient guidées par des visées coloniales, les textes
juridiques adoptés par la Régence n’étaient pas favorablement accueillis par les Tunisiens. Le
Bey n’acceptait qu’à contrecœur la limitation de son pouvoir et les « Uléma [soulevaient] la
question de la conformité des réformes imposées par la puissance étrangère avec la
Religion.
»1430 Les idées constitutionnalistes naissantes avaient échoué à s'ancrer dans le corps
social : les Tunisiens étaient préoccupés par leurs conditions de vie qui ne cessaient de se
dégrader.
Bien que les réformes actent la modernisation des institutions et du droit en Tunisie, les textes
adoptés étaient inadaptés au contexte politique, économique et social de la Régence
1431. Le
constat est donc celui de la fragilité du constitutionnalisme tunisien des origines.
Paragraphe 2
La fragilité du constitutionnalisme tunisien des origines
Comme cela a été dit précédemment, les réformes imposées et les avancées réformistes
préparaient l’établissement du protectorat français en Tunisie. Inadaptées à la société
1426 Le Conseil de guerre se charge en première instance des affaires militaires.
1427 Le Tribunal de commerce se charge en première instance des affaires commerciales.
1428 Pour plus de précisions, cf. le A. du Paragraphe 2 qui suit.
1429 V. SILVERA, « Le régime constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1er juin 1959 », précit., p. 370.
1430 I. BEN HASSEN, « Le Pacte Fondamental », précit., p. 48. Les Uléma avaient d’ailleurs refusé de siéger
dans les institutions prévues par la Constitution du 26 avril 1861, arguant que leurs fonctions religieuses
étaient en contradiction avec les activités politiques nouvelles. Pour plus de précisions, cf. M. KRAIEM,
Histoire de la Pensée Arabe (politique, culturelle et sociale), Tunis, La Maghrébine pour l’Impression et la
Publication du Livre, 2016, p. 307.
1431 De 1864 à l’établissement du protectorat français, la Tunisie redevient une monarchie absolue.
L’absolutisme des pouvoirs beylicaux était cependant tempéré à l’égard des étrangers, du fait du maintien
du régime des
Capitulations.
339








Page 341
tunisienne, elles instituaient le droit de propriété, les libertés et la sécurité des résidents
étrangers. La France, l'Angleterre et l'Italie, n'avaient pas dans leur projet d'amener les
Tunisiens à bénéficier de ces changements, si ce n'est fortuitement. Le constitutionnalisme
initialement imposé par les Européens (A), n’a pas vocation à préserver les droits et les
libertés des Tunisiens. Ainsi, lorsque la Constitution du 26 avril 1861 soumet les étrangers
résidant en Tunisie aux mêmes obligations légales et aux mêmes juridictions que les
Tunisiens, la France et l’Italie s’opposent à l’application du texte constitutionnel. Les
tentatives du Bey de se défaire des concessions consenties par les Capitulations, sont à chaque
fois mises à mal par la France.
Le Bey se trouve dans une position d'autant plus faible vis-à-vis de l'Europe que la Tunisie
connaît des difficultés financières « aggravées par le mécontentement croissant des
populations accablées d’impôts et indignées de l’influence pernicieuse du premier ministre
Khaznadar.
»1432 Celui-ci ayant pillé les deniers publics, Mohamed Es Sadok Bey se voit
contraint de solliciter l’aide financière des puissances européennes qui acceptent, à la
condition que le Bey renonce à l’application de la Constitution. Faussement imputée à la
révolte d’Ali BEN GHADAHEM, l’échec de la Constitution de 1861 est orchestré par la
France. Malgré le maintien du régime des Capitulations et l’établissement progressif du
protectorat français en Tunisie, la tradition réformiste tunisienne fait son chemin. Sous le
protectorat, elle se transforme (B) : alors que les réformistes et les précurseurs du
constitutionnalisme tunisien cherchaient à moderniser les structures de la Régence et à limiter
le pouvoir absolu des Beys, le Mouvement des Jeunes Tunisiens revendique l’autonomie
interne, puis l’indépendance du pays.
A.
Un constitutionnalisme imposé par les Européens
C'est à cause de son emplacement stratégique que les puissances européennes convoitaient la
Tunisie. En effet, « [l]’occupation de la Régence permet[tait] le contrôle de la voie de
passage entre la Méditerranée occidentale et la Méditerranée orientale et, par conséquent, du
commerce méditerranéen et même, depuis l’ouverture du Canal de Suez en 1869 et le
1432 V. SILVERA, « Le régime constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1er juin 1959 », précit., p. 370.
340






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déplacement de la route des Indes, celui de l’Extrême Orient1433. »1434 Le contrôle des routes
commerciales était un impératif économique pour quiconque cherchait des débouchés aux
surplus de capitaux et de produits fabriqués. Lorsqu'en 1873, l’Europe entre dans une longue
phase de dépression économique et de crise sociale qui durera jusqu'en 1896, la colonisation
apparaît alors comme le moyen d’exporter et d’écouler les capitaux et les biens d’équipement.
Pour faciliter son enracinement dans le terreau tunisien, la France et l'Angleterre soumettent le
pouvoir beylical à un processus d’acculturation juridique et font valoir leurs exigences,
notamment la garantie d’ el-amen, la sécurité, à leurs ressortissants. Pour rappel, l’exécution
arbitraire de Samuel SFEZ a précipité l’adoption du Pacte fondamental. Considéré comme
une Déclaration des Droits de l’Homme en Tunisie, il institue une distinction entre les
Tunisiens musulmans et les résidents étrangers et/ou non musulmans puisque seuls quatre
articles sur onze concernent les Tunisiens musulmans. Il s’agit des articles 1, 2, 3 et 5 qui
disposent respectivement de la sécurité, de l’impôt, de l’égalité devant la loi et du service
militaire. Il est donc intéressant de s’attarder sur leur formulation pour comprendre la façon
dont les principes, droits et libertés consacrés, profitaient aux Européens de la Régence.
L’alinéa premier de l’article 3 par exemple, précise que : « Les Musulmans et les autres
habitants du pays seront égaux devant la loi, car ce droit appartient naturellement à
l’Homme, quelle que soit sa condition. » Autrement dit, l’égalité étant dans la nature de
l’Homme, les musulmans et les non musulmans sont égaux devant la loi. Le caractère
universel de l’égalité est ici instrumentalisé. A l’origine, les réformes imposées par l’Occident
devaient accorder aux minorités religieuses de l’Empire ottoman les mêmes droits que la
majorité musulmane. Si l’article 3 reconnaît l’égalité des populations juives et chrétiennes de
l’Empire avec les musulmans, les droits des sujets dhimmis sont mis au service des résidents
étrangers. Progressivement, les Français, les Anglais et les Italiens vont bénéficier de
l’intégralité des droits des Tunisiens.
D’ailleurs, alors que l’article 8 du pacte prévoit qu’aucun sujet du Bey ne jouira de privilèges
sur un autre, l’article 6 conserve l’esprit des Capitulations : il reconnaît un privilège de
juridiction aux Européens résidant dans la Régence. Force est de constater que les dispositions
1433 L’ouverture du Canal permet aux Européens de parvenir aux Indes en empruntant la Méditerranée. Ils n’ont
donc plus besoin de contourner l’Afrique.
1434 H. KAROUI, A. MAHJOUBI (dir.), Quand le soleil s’est levé à l’Ouest : Tunisie 1881 - Impérialisme et
Résistance, op.cit., p. 27.
341





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du pacte se contredisent. D'une part, l’article 8 « faisait apparaître d’une manière non
équivoque les velléités du Bey de se délier par un acte unilatéral des concessions consenties
aux Européens par les Capitulations.
»1435 D'autre part, l’article 6 rappelait les réclamations
adressées par les résidents étrangers à leur gouvernement après l’affaire SFEZ. D'un autre
côté, si les non musulmans sont les seuls sujets qui bénéficient d’une protection juridique les
préservant de l’absolutisme beylical, comment considérer le Pacte fondamental comme une
Déclaration des Droits en Tunisie ? Il aurait fallu qualifier le Pacte fondamental de
Déclaration des Droits des sujets étrangers en Tunisie. D'autant plus que les articles 9, 10 et
11 du Pacte fondamental en proclamant la liberté du commerce et de l’industrie et le droit de
propriété pour
les étrangers,
favorisent
la mainmise européenne sur
l’économie
et l’installation progressive des Français en Tunisie.
L’article 4 lui, préserve la liberté de conscience et de culte des sujets dhimmis. Il est
intéressant de noter qu'en seconde partie, l’article précise que « l’état de protection dans
lequel [les sujets dhimmis] se trouvent doit leur assurer nos avantages comme il doit aussi
nous imposer leur charge.
»1436 Les non musulmans ayant les mêmes droits et libertés que les
Tunisiens, l’Etat doit les protéger au même titre que les nationaux. Le Pacte fondamental acte
la politique d’assimilation des étrangers en Tunisie qui bénéficient des droits des sujets
dhimmis et de ceux des Tunisiens. Ainsi, s'accélère l’avènement du protectorat français.
Parallèlement au pacte et contrairement à lui, la Constitution de 1861 est en faveur des
Tunisiens. Afin de le démontrer, il est essentiel d’analyser ici les effets de la loi qu’adopte le
Conseil suprême sur les habitants de la Tunisie. Une fois adoptée par le Conseil suprême et
scellée par le Bey, la loi devient indistinctement applicable à tous les habitants de la Tunisie.
« Cette obligation pour les étrangers de se soumettre à la loi locale s’accompagnait tout
naturellement de l’extension de la compétence des juridictions beylicales à l’égard de ceux-ci.
Ces juridictions étaient appelées désormais à rendre directement la justice.
»1437 Autrement
dit, l’adoption de la Constitution de 1861 partageait le pouvoir législatif entre le Conseil
suprême et le Bey. Il supprimait le système de la justice retenue et soumettait les étrangers aux
mêmes obligations légales et aux mêmes juridictions que les Tunisiens. De fait, « l’article 114
de la Constitution prévoit la création de juridictions nouvelles auxquelles seront soumis les
1435 V. SILVERA, « Le régime constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1er juin 1959 », précit., p. 368.
1436 Le Pacte fondamental du 10 septembre 1857 est intégralement reproduit en français, en annexe à
l’ouvrage Etudes à la mémoire du Doyen Abdelfattah AMOR, op.cit., p. 180.
1437 V. SILVERA, « Le régime constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1er juin 1959 », précit., p. 370.
342




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justiciables
future des
“Capitulations”.
»1438 Sans surprise, la France et l’Italie s’opposeront à l’application de
ce qui annonce, bien
l’abolition
étrangers
entendu,
l’article 114.
Le passage du Pacte fondamental à la Constitution est par conséquent profitable aux
Tunisiens : ils bénéficient d'un régime politique où le pouvoir du Bey est limité et ils
deviennent légalement les égaux des résidents étrangers. Le régime d’exception auquel étaient
jusque-là soumis les non musulmans est donc mis à mal : les résidents étrangers ne disposent
plus du privilège de juridiction et du droit d’être soustraits au pouvoir des autorités locales.
La Constitution du 26 avril 1861 distingue pourtant les droits et les devoirs des Tunisiens de
ceux des étrangers établis dans la Régence de Tunis. Alors que les premiers sont prévus au
Chapitre XII, les seconds sont consacrés au Chapitre XIII. Pour l’essentiel, les deux chapitres
reprennent les droits et les libertés prévus par le Pacte fondamental, à savoir la liberté de
conscience et de culte, celle du commerce et de l’industrie, le principe d’égalité, le droit de
propriété et la sécurité. Toutefois, contrairement au Pacte fondamental, l’article 113 de la
Constitution précise que : « L’article 11 du Pacte fondamental avait accordé aux sujets
étrangers la faculté de posséder des biens immeubles à des conditions à établir ; mais
quoique tout ce qui résulte dudit Pacte fondamental soit obligatoire, en considérant l’état de
l’intérieur du pays, il a été reconnu impossible d’autoriser les sujets étrangers à y posséder,
par crainte des conséquences. Aussi, une loi spéciale désignera les localités de la capitale et
ses environs, et des villes de la côte et leurs environs, où les étrangers pourront posséder. Il
est bien entendu que les sujets étrangers qui posséderont des immeubles dans les localités
désignées seront soumis aux lois établies ou à établir par la suite, à l’égal des sujets
tunisiens.
»1439 Autant dire que l’article 113 de la Constitution prouve à lui seul que les
Tunisiens sont conscients des visées coloniales de la France.
Si l'objectif du Pacte fondamental est de protéger les intérêts des étrangers résidant dans la
Régence, la Constitution de 1861 cherche à défendre l’intégrité du territoire tunisien. C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle elle ne soumet pas les nationaux et les étrangers aux mêmes
droits et obligations constitutionnels. Alors que les premiers disposent du droit de propriété et
1438 M. CHARFI, Introduction à l’étude du droit, op.cit., p. 106.
1439 La Constitution du 26 avril 1861 est intégralement reproduite en français, en annexe à l’ouvrage Etudes à la
mémoire du Doyen Abdelfattah AMOR, op.cit., p. 207.
343





Page 345
sont tenus de servir leur pays en effectuant le service militaire, les seconds sont dispensés du
service militaire et voient leur droit de propriété restreint sur le sol tunisien. Bien qu’ils
disposent de l’intégralité des droits et libertés consacrés par le Pacte fondamental, la
Constitution rappelle aux résidants étrangers qu’ils ne sont pas des nationaux. Octroyée par le
Bey, la Constitution du 26 avril 1861 se veut donc plus protectrice des intérêts de la Tunisie et
des Tunisiens.
Les avancées constitutionnelles de la Tunisie sont cependant amoindries par le contexte
politique, économique et social de la Régence. La politique fiscale de plus en plus oppressive
du
Bey1440 pousse les Tunisiens à vendre leurs biens et à emprunter à l’étranger à un taux
d’intérêt de 40 %. Le drame vécu par les Tunisiens coupe le Bey et sa cour du peuple dont la
situation s’aggrave car le pays connaît une longue période de sécheresse et d’épidémie de
typhus et de choléra
1441. Les Tunisiens n’arrivent plus à s’acquitter des impôts et « le
gouvernement qui, sous prétexte de réforme, engage le pays dans une politique d’emprunt, se
trouve incapable d’assurer le service de la dette.
»1442 Alors, dans l’objectif de regagner la
confiance des Tunisiens
1443 et d’assurer l’aide financière européenne à la Tunisie, le Bey
abroge, le 30 avril 1864, la Constitution de 18611444.
L’échec de la première expérience constitutionnelle en Tunisie sert les intérêts coloniaux de la
France. Le régime des Capitulations est préservé et la France propose la mise en place d’une
Commission financière internationale qui vise à rembourser la dette tunisienne
1445. En
l’acceptant, Mohamed Es Sadok Bey abandonne l’essentiel de la souveraineté du pays sur ses
1440 En septembre 1863, la mejba est doublée, passant de 36 à 72 piastres. Or, le travail agricole était payé 0,80
piastres par jour. Un ouvrier agricole devait être employé 45 jours d'affilée pour payer les 36 piastres de la
mejba. Cf. Annexe 1 – Glossaire – Mejba.
1441 Sous la pression de la politique fiscale oppressive du Bey, les tribus rivales de la Régence s’unissent sous le
commandement d’Ali BEN GHADAHEM. Lettré de la tribu
Majeur, Ali BEN GHADAHEM se proclame
«
Bey du peuple » et organise la révolte contre le pouvoir beylical. L’échec de la Constitution est
généralement imputé à la révolte de BEN GHADAHEM mais c'est négliger que son abrogation a surtout
été orchestrée par la France qui ne souhaitait pas que ses dispositions s’appliquent. Pour plus de précisions,
cf. H. KAROUI, A. MAHJOUBI (dir.),
Quand le soleil s’est levé à l’Ouest : Tunisie 1881 - Impérialisme et
Résistance
, op.cit., pp. 10-11.
1442 Ibid.
1443 Dès le 23 septembre 1861, les Uléma ont organisé une manifestation pour exprimer leur refus de la
Constitution du 26 avril 1861, demandant le retour au régime antérieur à la proclamation de la Constitution.
Pour plus de précisions, cf. M. KRAIEM,
Histoire de la Pensée Arabe (politique, culturelle et sociale),
op.cit., p. 308.
1444 En avril 1864, la France avait envoyé sa flotte en Tunisie pour obliger le Bey à renoncer à l’application de
la Constitution et à se défaire de ses ministres réformateurs tels que KHEREDINE et IBN ABI DHIAF.
1445 La France met alors les finances de la Régence sous tutelle et protège ainsi les intérêts de ses nationaux
qu’elle proclame créanciers du Bey.
344




Page 346
revenus, aux grandes puissances européennes « qui regorgent de capitaux et de produits
fabriqués, [et qui] exploitent cette situation pour accroître leurs intérêts dans ce pays et
préparer ainsi sa domination politique.
»1446 Dès lors, la Tunisie s’enfonce progressivement
et durablement dans la dépendance.
En 1869, « Khérédine est nommé Président de la Commission financière chargée de régler la
dette de la Tunisie et de protéger les intérêts des créanciers du gouvernement tunisien.
»1447
Certainement parce que KHEREDINE était un peu trop soucieux des finances et de
l’indépendance de la Tunisie, Mohamed Es Sadok Bey est contraint par les consuls étrangers
de se défaire de son premier ministre. Mohammed KHAZNADAR lui succède pour une
courte durée (de juillet 1877 à août 1878), suivi de Mustapha BEN ISMAÏL. Ce jeune homme
sans instruction et mal préparé à la conduite des affaires de la Régence, enfonce un peu plus le
la Tunisie dans la ruine, la mettant à la merci des Européens. « C’est dans ces conditions que
la France se lance, pour des raisons liées à la conjoncture européenne, à la conquête de la
Tunisie pour imposer le 12 mai 1881 à Mohammed Es Sadok Bey un traité
1448 qui consacre
son hégémonie dans ce pays.
»1449 Même si les institutions déjà présentes restent
formellement en place, la puissance coloniale gère – en plus des relations internationales – les
questions relatives à la finance et à l’armée
1450. Dans les faits, le traité n’est pas respecté et la
France soumet la Tunisie à sa tutelle : une tutelle diplomatique doublée d’une tutelle politique
et administrative.
Le 8 juillet 1882, Paul CAMBON (1882-1886) le ministre français résidant à Tunis fait signer
à Mohamed Es Sadok Bey une convention qui délègue sa souveraineté à la France, lui retirant
ainsi sa souveraineté interne. A sa mort, la tutelle politique et administrative de la Régence est
pleinement établie puisqu’Ali Bey, le prince héritier, accepte toutes les conditions imposées
par la France. Le 30 octobre 1882 est signé à Ksar Saïd, une convention qui reproduit celle de
1446 H. KAROUI, A. MAHJOUBI (dir.), Quand le soleil s’est levé à l’Ouest : Tunisie 1881 - Impérialisme et
Résistance, op.cit., p. 10.
1447 M. R. BEN HAMMED, Histoire des idées politiques : Depuis le XIXème siècle, Occident Monde arabo-
musulman, op.cit., p. 205.
1448 Le 8 mai, le général BREART marche sur Tunis et le 12, il se présente au Palais du Bardo avec une escorte,
après que le Consul de France en ait officiellement informé le Bey. Sous pression, Mohamed Sadok Bey est
forcé de signer l’acte du 12 mai 1881 ou Traité du Bardo, qui assure la prépondérance française en Tunisie.
Si le Bey ne peut plus traiter avec un pays étranger sans le consentement de la France, le gouvernement
français maintient l’apparence de la souveraineté intérieure du Bey : elle le maintient au pouvoir et
conserve son administration.
1449 H. KAROUI, A. MAHJOUBI (dir.), Quand le soleil s’est levé à l’Ouest : Tunisie 1881 - Impérialisme et
Résistance, op.cit., p. 11.
1450 Ibid., p. 18.
345




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juillet 1881, en insistant sur l’administration directe de la Tunisie par la France. Le Bey perd
alors toutes ses prérogatives au profit du ministre résidant à Tunis qui devient le véritable
maître de la Tunisie. Au mois de mars 1883, Paul CAMBON est chargé de préparer avec le
ministre des Finances, un acte qui établit les modalités du règlement de la dette tunisienne.
Annexé au traité du 30 octobre 1882, cet acte est signé par Ali Bey le 8 juin 1883. Ces deux
actes donneront naissance à la Convention de La Marsa qui établit un véritable protectorat en
Tunisie. « Ainsi, au lendemain de la mort de Mohammed Es Sadok, le Protectorat français en
Tunisie est pratiquement consommé. Le gouvernement de la République doit toutefois
compter avec la résistance de la population tunisienne à la domination étrangère, qui n’a pas
encore désarmé.
»1451
Les avancées juridiques imposées à la Tunisie ont donc préludé à son occupation coloniale.
Les textes fondateurs du constitutionnalisme tunisien ont en réalité consacré tout un ensemble
de droits et de libertés visant essentiellement à préserver les intérêts des résidents étrangers. A
aucun moment la France, l’Angleterre ou même l’Italie n’ont envisagé l’application de ces
avancées aux Tunisiens. Ces derniers sont d’ailleurs préoccupés par leurs conditions de vie
qui ne cessent de se dégrader et ne disposent pas d’une culture constitutionnelle appropriée
1452
pour assimiler les idées réformistes importées.
Pour autant, le Pacte fondamental de 1857 et la Constitution de 1861 donnent « les bases de
la démocratie tunisienne et des droits individuels et […] demeurent toujours juridiquement
valides.
»1453 Les idées constitutionnalistes font en effet leur chemin puisque l’idée de
Destour, terme voulant dire "Constitution" « fut à l’origine du mouvement nationaliste, le
parti du “Destour”, puis du Néo-Destour.
»1454 Même si depuis 1881, la France n’a jamais
voulu promouvoir une quelconque réforme constitutionnelle du régime beylical, la
revendication constitutionnelle du Destour est le seul moyen de hâter la libération du pays.
Alors que le combat pour l’indépendance a rapidement été confondu avec la lutte pour
l’élaboration d’une constitution, la tradition réformiste tunisienne a muté sous le protectorat
français. En empruntant aux Européens nombre d’idées modernes, les revendications
nationalistes et indépendantistes aboutissent finalement à la mise en place d’une Assemblée
1451 Ibid., p. 50.
1452 Sur la notion de culture constitutionnelle, cf. le B. du Paragraphe 2 de la Section 2 de ce chapitre relatif au
besoin d’une culture constitutionnelle travaillée par les gouvernés, p. 367.
1453 Y. BEN ACHOUR, « Le peuple, créateur de son droit, interprète de sa Constitution », précit., p. 148.
1454 Ibid., p. 147.
346




Page 348
nationale constituante, Jam’ia tachri’iyya ta’sisya wataniyya chargée d’élaborer une nouvelle
constitution au fondement de la Première République tunisienne.
B.
Les mutations de la tradition réformiste tunisienne sous le protectorat français
Avant d’analyser les mutations de la tradition réformiste tunisienne sous protectorat français,
il est essentiel de comprendre les raisons pour lesquelles les idées modernes et les réformes
développées par KHEREDINE et IBN ABI DHIAF n'ont pas réussi à s'ancrer en Tunisie.
Sans remettre en cause l’apport de leurs écrits, il s’agit ici de démontrer que la greffe de
l’emprunt juridique ne pouvait réussir sans la compréhension préalable du contexte propre à
l’élément emprunté. La réception de l’élément importé ne pouvait se réaliser sans l’existence
de préconditions sociales et culturelles adaptées. Le processus de sécularisation européen était
écarté par les penseurs, d’autant plus qu’avant la colonisation, les idées réformistes ne
circulaient qu’au sein des cercles restreints des intellectuels. Du fait de l’analphabétisme,
seules les élites lettrées avaient accès aux ouvrages imprimés et diffusés en quelques
exemplaires. Par conséquent, les réformes élaborées par les dignitaires n’avaient pas
d’ancrage social et culturel, d'autant plus que les Beys et les Uléma s’opposaient radicalement
aux changements institutionnels. Plus encore, les Tunisiens jugeaient asservissante la
politique fiscale induite par les réformes de modernisation des institutions.
Comme l’avoue Mustapha KRAÏEM, « [d]ans leur quasi-totalité, les élites de la Nahdha, y
compris ceux qui avaient passé de longs séjours en Europe, n’avaient pas réellement saisi le
mouvement profond qui, à l’origine et dans tous les domaines, avait permis le processus de
modernisation social, politique, économique et culturel de l’Occident Européen. »1455
L’observation des institutions de l’ordre juridique français à elle seule, ne permettait pas à
KHEREDINE et à IBN ABI DHIAF de saisir les raisons historiques et les causes de
l’évolution des systèmes constitutionnels européens. Leur perception des sociétés libérales
était par ailleurs marquée par les valeurs religieuses et précapitalistes de la Tunisie beylicale.
Or, « les changements adoptés en Europe ne furent possibles que grâce à un processus de
sécularisation, qui faisait de la religion non pas un facteur de la vie politique, qui s’imposait
1455 M. KRAIEM, Histoire de la Pensée Arabe (politique, culturelle et sociale), op.cit., pp. 313-314.
347







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aux habitants, mais une affaire privée intéressant les gens en tant que particuliers. »1456 En
Tunisie, l’Islam régissait tous les aspects de la vie en communauté et aucune critique de la
religion n’était admise. KHEREDINE et IBN ABI DHIAF sélectionnaient d’une part, les
idées et institutions européennes et d’autre part, ils s’assuraient de leur conformité avec
l’Islam avant de les importer en Tunisie. Décontextualisées et rendues conformes à la religion,
elles s’adaptaient à l’identité arabe et islamique de la Tunisie. Les idées libérales faisaient
pourtant leur chemin.
La variété des disciplines enseignées au collège Sadiki1457 et à l’Ecole Polytechnique du
Bardo convainc les élites
1458 de mettre leurs connaissances au service du pays et de la
population. Créée le 23 décembre 1905 par l’avocat Ali BACH-HAMBA, l’Association des
anciens élèves du collège Sadiki se donne pour mission de poursuivre l’œuvre réformiste de
KHEREDINE. « Les sadikiens se sentent bien outillés pour servir leur peuple face à une
puissance colonisatrice dont ils connaissent et la langue et l’esprit. A l’idéal de réforme de
Kheireddine, ils ajoutent la défense des intérêts d’une population désarmée et d’une jeunesse
ambitieuse.
»1459 Véhicule de référents culturels spécifiques, le français permet aux sadikiens
de s’approprier les idées européennes modernes. Assimilés par les élites, les référents
culturels et les idées européennes devaient être vulgarisés pour que les Tunisiens se les
accaparent. Alors, un journal indigène en langue française est créé, afin de rendre
publiquement compte des actions de la France
1460 et d’éveiller la conscience nationale. Son
titre est Le Tunisien et son premier numéro paraît le 7 février 1907. Edité en arabe en 1909, Le
Tunisien
devenu At-Tounousi, est le manifeste des Jeunes Tunisiens1461 qui veulent
démocratiser les idées libérales, défendre les intérêts des Tunisiens et diffuser les
revendications nationales.
La diffusion des idées modernes par l’enseignement et la presse est appuyée par la création
dix ans plus tard, du Parti Tunisien par Abdelaziz THAÂLBI. Ce parti demande la
1456 Ibid., p. 314.
1457 Fondé en 1875.
1458 Fondé en 1894 par le cardinal LAVIGERIE, le collège religieux Saint-Charles est transformé en lycée en
1889 et prend le nom de Lycée Carnot. Afin d’accéder à l’enseignement supérieur en France, les élèves du
Collège Sadiki doivent aller au Lycée Carnot pour obtenir le baccalauréat.
1459 H. BOULARES, Histoire de la Tunisie : Les grandes dates de la préhistoire à la révolution, op.cit.,
pp. 522-523.
1460 Autrement dit l’expropriation des terres et leur distribution aux colons.
1461 Alors que les Jeunes Turcs militent à Istanbul pour la modernisation de l’Empire ottoman, les Jeunes
Tunisiens essaient par leurs actions de moderniser les institutions de la Régence de Tunis.
348




Page 350
promulgation d’une Constitution (Destour), aidé en cela par deux événements primordiaux :
la Première Guerre mondiale pendant laquelle les Tunisiens se sont battus et sont morts aux
côtés des Français et la publication en 1918 des quatorze points du Président WILSON. Le
Parti Tunisien est alors prêt à revendiquer
la
liberté du peuple et
le droit à
l’autodétermination. La position de la France dans le camp des vainqueurs bloque cependant
les revendications nationales. Les activistes tunisiens découvrent par ailleurs que « dans
l’entendement des vainqueurs de la guerre, les principes de Wilson s’appliquent à l’Europe
centrale et l’Empire austro-hongrois et non aux pays colonisés.
»1462
C'est dans ce contexte que pour combattre « la propagande qui fait apparaître le régime
colonial comme une mission civilisatrice
»1463, La Tunisie martyre1464 paraît en 1920 à Paris,
en arabe et en français
1465. Souvent attribué à Abdelaziz THAÂLBI, La Tunisie martyre décrit
la réalité du protectorat français
1466 et réclame un nouveau statut pour le pays1467. Toutefois,
alors que le Parti Tunisien comptait sur la victoire de la gauche en France pour défendre les
revendications tunisiennes, le Parti libéral constitutionnel tunisien (Al-Hizb al-horr ad-
doustouri at-tounsi) est créé à Tunis la même année. Connu sous le nom Destour, le parti
élabore un programme politique composé de huit points : établir une nouvelle Constitution qui
garantisse la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, doter le pays d’une
assemblée législative élue, instaurer un pouvoir exécutif responsable devant l’assemblée,
mettre en place un pouvoir judiciaire indépendant, garantir le respect des libertés
individuelles, mettre un terme à la tutelle administrative de la France sur la Tunisie,
développer l’enseignement et reconnaître la langue arabe comme langue officielle.
1462 H. BOULARES, Histoire de la Tunisie : Les grandes dates de la préhistoire à la révolution, op.cit., p. 541.
1463 Ibid.
1464 Par ce pamphlet, Abdelaziz THAÂLBI idéalise « une Tunisie mythique qui n’aurait régressé que sous
l’impact de la colonisation. Il n’est pas aisé de connaître la conviction politique profonde de Thaalbi, mais
il est un fait qu’il a atteint son but de ressusciter la fierté nationale du Tunisien et de confondre l’occupant.
La Tunisie martyre fit pleurer le jeune Bourguiba et déplut au pouvoir colonial français, accusé de violer
ses propres déclarations et principes de gouvernement.
» A. LARIF-BEATRIX, « Habib Bourguiba,
l’intelligibilité de l’histoire »,
in M. CAMAU et V. GEISSER (dir.), Habib Bourguiba. La trace et
l’héritage
, op.cit., p. 44.
1465 La version arabe est généralement attribuée à Abdelaziz THAÂLBI et la version française à Ahmed
SAKKA et Ahmed ESSAFI. Tenu pour responsable par la France, Abdelaziz THAÂLBI est traduit en
justice pour complot contre la sûreté de l’Etat.
1466 Autrement dit, les atteintes répétées aux libertés des Tunisiens, les difficultés économiques, la paupérisation
de la population rurale et les expropriations territoriales.
1467 Il s’agit essentiellement de la séparation des pouvoirs et de l’élection d’une assemblée qui contrôlerait le
gouvernement.
349




Page 351
Essentiellement composé des classes les plus aisées, le Destour a mis ses idées modernes1468
au service des Tunisiens et de la lutte pour la fin du protectorat français mais ses objectifs
politiques étaient extrêmement réduits. « Il se contentait de critiquer l’action coloniale mais
ne croyait pas vraiment possible l’indépendance de la Tunisie.
»1469 De plus, les destouriens
croyaient que la fin du protectorat n’adviendrait que par l’intervention d’une puissance
étrangère et/ou à force de discussions avec la France car les représentants européens
bloquaient systématiquement leurs revendications constitutionnelles et institutionnelles
1470.
Une délégation du
Destour réussit à présenter son programme à Mohamed Naceur Bey1471
mais ses membres sont interpellés et arrêtés sur ordre de la France, pour incitation à la haine
raciale. En 1933, la France dissout le parti
1472 et ses membres décident de se scinder en
deux dès 1934 : le Vieux-Destour d'orientation conservatrice, d’Ahmed AS-SAFI et de Salah
FERHAT et le Néo-Destour, moderniste, qui devient un parti de masse. Contrairement aux
partisans du Vieux-Destour, les membres du Néo-Destour sont « en majorité, des jeunes
trentenaires provinciaux, issus d’une formation européenne au cours de laquelle ils ont, à
tout le moins, fréquenté les milieux de gauche en France.
»1473 Les formations européennes et
les séjours d’études à l’étranger leur permettent d’accéder à la culture politique et juridique
occidentale et d’appréhender dans leur contexte, les idées constitutionnalistes et les
institutions publiques
1474, notamment françaises1475.
Les vieux-destouriens revendiquent la promulgation d’une Constitution tunisienne tandis que
les néo-destouriens vont mettre leurs revendications constitutionnelles au service de
l’indépendance du pays
1476. Rassemblant la majorité des Tunisiens, le Néo-Destour estime
1468 Il familiarise les Tunisiens avec les idées libérales et notamment celle d’un pouvoir limité par le droit.
1469 C. DEBBASCH, La République tunisienne, op.cit., pp. 25-26.
1470 Le Destour se trouve contraint d’accepter la représentation des Tunisiens au sein d’un conseil où siègent
également des Français mais ni le ministre de la Défense, ni le représentant de la France ne sont
responsables devant ce conseil.
1471 Naceur Bey « fut à ce point attentif aux revendications destouriennes, qu’il faillit abdiquer, en 1922, à la
veille de l’arrivée à Tunis du président de la République, Alexandre Millerand.
» V. SILVERA, « Le
régime constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1
er juin 1959 », précit., p. 374. C’est d’ailleurs la
première fois dans l’histoire de la Tunisie beylicale que l’accord est total entre le monarque sensible aux
revendications nationalistes et son peuple.
1472 Le Destour reste cependant dirigé par Abdelaziz THAÂLBI jusqu’en 1944.
1473 H. BOULARES, Histoire de la Tunisie : Les grandes dates de la préhistoire à la révolution, op.cit., p. 566.
1474 Pour plus de précisions, cf. le Paragraphe 1 de la Section 2 qui suit.
1475 Au départ, les nationalistes sont soutenus par Moncef Bey qui développe en 1942, un programme
audacieux de réformes mais la France de Vichy rejette le programme de réformes et le dépossède en 1943.
1476 Les vieux-destouriens sont habitués aux méthodes du pouvoir, ils cherchent à favoriser un dialogue avec les
autorités françaises et comptent sur le soutien des milieux proches du pouvoir. Ils acceptent les concessions
faites par la France et sont convaincus que l’autonomie interne du pays ne peut s’obtenir que grâce à
l’intervention de l’armée d’une puissance étrangère. A l’opposé, les
néo-destouriens croient en la
dénonciation publique des dérives de la France. Ils comptent sur la mobilisation populaire et cherchent à
350



Page 352
que l’élection au suffrage universel d’une Assemblée Constituante permet l’établissement
d’un régime constitutionnel et par voie de conséquence, l’émancipation de la Tunisie. Aux
fondements de l’organisation du parti, le principe d’unité et l’expression souveraine de la
volonté nationaliste permettent de réunir une Assemblée Constituante
1477.
Il est intéressant de relever que les réformes et les idées libérales imposées à la Tunisie au
XIX
ème siècle, sont progressivement comprises dans leur contexte, assimilées par les élites et
mises au service des Tunisiens. Bien que ce processus ait été dicté par la volonté
indépendantiste du Néo-Destour, la tunisification progressive des enseignements européens
permet à la Tunisie de se doter d’une tradition réformiste et constitutionnaliste typiquement
nationale. Si l’emprunt des idées modernes aux systèmes juridiques et politiques européens
est instrumentalisé par les indépendantistes, les idées constitutionnelles telles que la
constitution, sont comprises d’une manière bien déterminée par les Tunisiens.
Section 2
L’idée de constitution en Tunisie
Sophie BESSIS et Souhayr BELHASSEN affirment que « la fin du Protectorat n’est pas une
rupture, telle que la concevait Abdelazziz Thaalbi dans La Tunisie martyre, mais
l’aboutissement d’une évolution qui a pris ses racines dans les principes mêmes de la
civilisation française.
»1478 La circulation des idées et des modèles constitutionnels est en
partie induite par la mobilité des personnes
1479. La formation française et les connaissances
juridiques de BOURGUIBA, ses déplacements et ses séjours à l’étranger, aident en effet les
Tunisiens à mieux appréhender les idées européennes et à concevoir l’idée de constitution
comme un acte d’institution et non plus comme un ordre existant1480. Ses engagements
politiques adaptent les idées importées à la réalité tunisienne et leur tunisification renouvelle
ainsi la tradition réformiste des origines.
faire naître un sentiment d’unité nationale chez les Tunisiens. Contrairement au Vieux-Destour, le Néo-
Destour
croit l’indépendance possible.
1477 Pour plus de précisions, cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 2 qui suit, relatif au détournement de l’idée
de constitution par le Néo-Destour, p. 358.
1478 S. BESSIS et S. BELHASSEN (dir.), Bourguiba, op.cit., p. 70.
1479 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
p. 12.
1480 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 153.
351







Page 353
Bien qu’instrumentalisée par H. BOURGUIBA au moment de l’indépendance, l’idée de
constitution s’implante durablement en Tunisie (
Paragraphe 1). La Constitution du 1er juin
1959 a été mise au service du pouvoir politique sous BOURGUIBA et BEN ALI.
Aujourd'hui, une culture constitutionnelle est actuellement nécessaire à l’appropriation de
l’idée de constitution (Paragraphe 2).
Paragraphe 1
L’instrumentalisation de l’idée de constitution par Habib
BOURGUIBA
Il s’agit ici de s’intéresser à l’idée de constitution lorsque la Tunisie n'était pas indépendante.
Conçue comme moyen de réaliser l’émancipation du pays, elle a été détournée de ses
fonctions initiales par le Néo-Destour (B). Même si elle est au service des revendications
nationalistes et indépendantistes des Tunisiens, l’importance accordée à l’idée de constitution
est en partie liée à la double formation et aux séjours à l’étranger du Combattant Suprême (A).
A.
L’importance de la double formation et des séjours à l’étranger du Combattant
Suprême
Da manière courante, les élites politiques des pays africains ont été formées par l’ancienne
puissance colonisatrice
1481. Ceci est notamment le cas de Habib BOURGUIBA. Avant
d’envisager sa formation en France et à l’étranger, il est intéressant de relever l’impact qu’a
eu sur lui, l’enseignement français à Tunis. Né en Tunisie en 1903, Habib BOURGUIBA1482
passe ses années de collège à Sadiki et sa seconde au Lycée Carnot. Sophie BESSIS et
Souhayr BELHASSEN relatent que « [l]es œuvres et les moments d’histoires étudiés en
français, déposés sur le fond arabe et musulman transmis par les cheikhs de la Zitouna, ont
trouvé chez Bourguiba un écho.
»1483 Qualifié de « fenêtre sur le monde »1484, Sadiki ouvre les
1481 Ibid., p. 155.
1482 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Habib BOURGUIBA.
1483 S. BESSIS et S. BELHASSEN (dir.), Bourguiba, op.cit., p. 39.
1484 Ibid.
352









Page 354
Tunisiens aux idées libérales, il s’inscrit dans la tradition réformiste tunisienne1485 tout en
relatant la gloire passée des Arabes.
L’apprentissage du français et de l’Histoire de France1486 éveille par ailleurs des idéaux de
liberté et les germes de la révolte chez les Tunisiens. Comme toutes les langues, le français
structure une identité et véhicule une culture spécifique. Assimilés par les nouvelles
générations, les référents culturels français sont mis au service de la Tunisie et des Tunisiens.
Ainsi, à l’occasion de la visite du résident général, un professeur de français du collège Sadiki
a affirmé qu’il était en train de confectionner « des bombes, qui, un jour, exploseront et dont
les éclats dépasseront les murs de cet établissement.
»1487 Le contact des élites avec la culture
occidentale crée une réaction salutaire en Tunisie :
l’apprentissage de
la
langue,
l’appréhension des concepts et l’assimilation des idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité
régénèrent la conscience nationale. Le rôle des enseignants est primordial dans la circulation
des idées venues d’ailleurs, leur assimilation par les Tunisiens est dépendante de l’ouverture
d’esprit et de la volonté de chaque acteur.
Ainsi, l’enseignement français a-t-il influencé Habib BOURGUIBA : après avoir passé son
baccalauréat à Tunis, BOURGUIBA s’inscrit à la Faculté de droit de Paris afin d’appréhender
le droit, la politique et l’économie à la manière d’un Français. Il dit lui-même s’attacher « à
découvrir les rouages de cette civilisation, et le secret de la puissance de ce pays qui réduisait
le mien à la condition coloniale.
»1488 A la Sorbonne, il suit des cours de philosophie, de
psychologie et des leçons de littérature et son intérêt principal va à la politique française.
D’ailleurs, dans l’objectif de dénoncer les exactions commises par la France en Tunisie, il
prend des cours de finances publiques à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. « Fort de sa
connaissance de l’histoire et de la société tunisienne, dépourvu de complexe vis-à-vis de
l’Occident, qu’il connaissait dans ses aspects les meilleurs et les pires
»1489, BOURGUIBA
met ses connaissances au service de la libération de son pays. Autrement dit, en important des
idées modernes en Tunisie, il les restitue avec les élements de contexte français.
1485 Pour plus de précisions sur l’évolution de la tradition réformiste tunisienne et la vision bourguibienne de
l’affaissement civilisationnel du monde arabo-musulman, cf. A. LARIF-BEATRIX, « Habib Bourguiba,
l’intelligibilité de l’histoire »,
précit., pp. 39-52.
1486 Il est essentiel de souligner que l’histoire de la révolution française était enseignée aux sadikiens.
1487 S. BESSIS et S. BELHASSEN (dir.), Bourguiba, op.cit., p. 39.
1488 Ibid., p. 57. Voir également H. BOURGUIBA, Ma vie, mes idées, mon combat, Tunis, Apollonia Editions,
2016, 350 p.
1489 A. LARIF-BEATRIX, « Habib Bourguiba, l’intelligibilité de l’histoire », précit., p. 50.
353





Page 355
De retour au pays en 1927, BOURGUIBA ressent les effets de l’ordre colonial. Malgré ses
diplômes, il frôle le chômage. L’inégalité de statuts entre les Français et les Tunisiens et le
décalage entre les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité et la réalité du pays, le convainc
de la nécessité de réformer la Tunisie et de l’amener à un régime semblable à celui de la
France, c'est-à-dire indépendant, souverain, moderne, libéral et laïque
1490. Etant donné ses
études en France, il possède les mêmes référents culturels que l’occupant
1491 ; sa connaissance
de la conjoncture internationale
1492 l’aide à œuvrer pour l’indépendance nationale. Dès lors,
comment a-t-il mis sa formation et ses connaissances au service de la politique internationale
et de l’avancée du droit en Tunisie ? Aussi, quelles sont les rencontres faites qui l'ont amené à
définir sa conception de la constitution ? « Bourguiba a procédé à une lecture systémique des
données internationales durant la décolonisation, tenant compte, avec réalisme, des données
géo-historiques de la petite Tunisie.
»1493
Sa vision des relations internationales et sa volonté de s’ériger en porte-parole des Tunisiens
font de lui «
un précurseur du modèle interculturel de négociation »1494, dont la diplomatie a
besoin. Il relie le singulier à l’universel, le local au global. Cette « lecture systémique de la
politique internationale
»1495 est doublée d’une « lecture interculturelle »1496 dans le sens où il
cherche à connaître l’autre, afin de mieux négocier avec lui. Il se sert des idées acquises en
France et des principes wilsoniens pour obtenir des concessions de la part des colons. Le
Combattant Suprême avait compris qu’un pays colonisé comme la Tunisie ne pouvait obtenir
seul son indépendance. Ce n’est qu’avec l’appui des Etats-Unis et qu’à travers l’
ONU1497 que
la Tunisie serait indépendante et aurait un rôle à l’échelle internationale.
1490 S. BESSIS et S. BELHASSEN (dir.), Bourguiba, op.cit., p. 68.
1491 En ce qui concerne la « formation intellectuelle de Bourguiba, son parcours personnel de leader
nationaliste, son rejet de l’idéologie communiste, son scepticisme face au panarabisme, sa connaissance et
ses rapports avec le monde arabe, l’Europe et les Etats-Unis ont structuré et façonné ses analyses et
orientations politiques. » A. AIT-CHAALAL, « Habib Bourguiba et les Etats-Unis (1956-1987) : une
relation pragmatique, constante et indépendante »,
in M. CAMAU et V. GEISSER (dir.), Habib Bourguiba.
La trace et l’héritage, op.cit.
, p. 448.
1492 Pour plus de précisions, cf. A. MARTEL, « Bourguiba et les représentants américains au Caire », in
M. CAMAU et V. GEISSER (dir.), Habib Bourguiba. La trace et l’héritage, op.cit., pp. 429-444.
1493 M. BRONDINO, « Bourguiba, Policy Maker entre mondialisation et tunisianité : une approche systémique
et interculturelle », précit., p. 465.
1494 Ibid.
1495 Ibid.
1496 Ibid.
1497 Pour une étude plus détaillée des relations entre Habib BOURGUIBA et les Etats-Unis, cf. A. AIT-
CHAALAL, « Habib Bourguiba et les Etats-Unis (1956-1987) : une relation pragmatique, constante et
indépendante »,
in M. CAMAU et V. GEISSER (dir.), Habib Bourguiba. La trace et l’héritage, op.cit.,
pp. 445-453. Pour une analyse des relations entre Habib BOURGUIBA et l’
ONU, cf. le paragraphe relatif à
« L’ONU, institution clé de la paix dans le monde »,
in M. BRONDINO, « Bourguiba, Policy Maker entre
mondialisation et tunisianité : une approche systémique et interculturelle »,
précit., pp. 465-466.
354



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Les idées circulent du fait de la mondialisation des échanges1498 et de l’internationalisation du
droit, la mobilité des acteurs, leur réflexion. Les rencontres qu’ils peuvent faire déterminent
ou du moins influencent, la politique et le droit. C’est ainsi qu’au cours de l’occupation
allemande de la Tunisie de novembre 1942 à mai 1943, que BOURGUIBA
1499 rencontre le
Consul américain, Hooker DOOLITTLE
1500. Leur conversation impactera la politique
française en Tunisie. Avant son départ clandestin pour Le Caire
1501, BOURGUIBA « aspire à
prendre langue avec les Américains dont il mesure la nouvelle puissance.
»1502 Le 17 mai
1943, le Combattant Suprême fait part au Consul américain de son attachement à l’Occident
et de ses sentiments pro-alliés. Il le convainc que la démocratie ne peut triompher sans
l’indépendance des peuples colonisés.
Bien que les Etats-Unis avec le Président WILSON soient favorables à l’indépendance des
pays d’Afrique du Nord, ils ne peuvent intervenir dans des questions relevant de la
souveraineté française. Toutefois, le consul américain mesure « tout l’intérêt qu’il y a à jouer
la carte d’un nationalisme modéré, résolument pro-occidental, pouvant servir de rempart à la
montée du communisme qui sort grandi de la guerre et qui commence à devenir le principal
ennemi.
»1503 Les échanges entre le nationaliste tunisien et le diplomate américain aident le
premier à obtenir des entretiens avec les autorités coloniales, pour débattre de la Tunisie.
1498 Ici, il s’agit essentiellement de la liberté du peuple et du droit à l’autodétermination.
1499 Si à son retour en Tunisie BOURGUIBA intègre rapidement le Destour, son activisme politique le fait
arrêter par le gouvernement français qui ordonne sa déportation dans le sud tunisien et ce jusqu’en 1936.
Arrêté à nouveau, il est libéré en 1942. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il prône le soutien à la
résistance française et s’oppose radicalement aux puissances de l’Axe.
1500 Hooker DOOLITTLE est « né dans la petite ville de Mohawk, de l’Etat de New York, le 27 janvier 1889.
Diplômé de la Cornell University en 1911, il avait passé quelques années dans les affaires avant
d’embrasser la carrière diplomatique. Il avait 28 ans lorsque, en janvier 1917, il fit l’objet d’une première
affectation en qualité de vice-consul à Tiflis. Sa carrière en Afrique du Nord débuta en mai 1933 lorsqu’il
fut nommé à Tanger. Il devait demeurer une décennie durant au Maghreb (à l’exception d’une brève
mission en Espagne, en 1937, à l’époque de la guerre civile). En février 1914, il fut nommé à Tunis et y
resta jusqu’en juillet 1943 (son séjour fût interrompu seulement par une brève mission à Rabat ;
naturellement, il dut quitter Tunis après le rétablissement de l’occupation allemande consécutive à
l’avancée des troupes alliées venant d’Algérie.
» L. C. BROWN, « “Mon ami” Hooker Doolittle : les
premiers contacts américains avec Habib Bourguiba »,
in M. CAMAU et V. GEISSER (dir.), Habib
Bourguiba. La trace et l’héritage
, op.cit., p. 412.
1501 Afin d'avoir le soutien de la Ligue arabe, BOURGUIBA fait un voyage au Caire le 25 mars 1945. Il
développe alors une nouvelle stratégie qui vise à concilier les autorités françaises et les partisans du Néo-
Destour.
Pendant son absence (jusqu'au 9 septembre 1949), Salah BEN YOUSSEF prend les rênes du Néo-
Destour
mais de retour en Tunisie, une lutte acharnée pour le leadership du parti les oppose.
1502 S. BESSIS et S. BELHASSEN (dir.), Bourguiba, op.cit., p. 139.
1503 Ibid., p. 140.
355



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L’échange entre les deux hommes crée d’ailleurs « un nouveau climat politique en
Tunisie
»1504 puisque les nationalistes ne sont pour un temps, plus inquiétés.
Une fois en Egypte, H. DOOLITTLE facilite par ailleurs « l’obtention par Bourguiba d’un
visa américain qui lui a permis d’aller plaider sa cause à Washington et auprès des
diplomates des Nations Unies à New York.
»1505 Ces rencontres et ces déplacements l’aident à
internationaliser la cause tunisienne. Bien qu'il se sache soutenu par les Américains, il sait que
la décolonisation repose sur ses négociations avec la France
1506. Tandis que la conjoncture
internationale
1507 et les échanges avec les autorités coloniales l’aident à obtenir des
concessions de la France
1508, le Néo-Destour revendique de son côté, l’établissement d’une
Constitution tunisienne.
H. BOURGUIBA se rend d’ailleurs facilement compte que « [l]a constitution n’est plus tant
le produit de l’histoire que le produit de la volonté de la nation.
»1509 Il décide alors
d’organiser le
Néo-Destour et la nation, avant de réunir une Assemblée Constituante1510.
Ainsi, dans l’objectif de regrouper le plus grand nombre de Tunisiens, l’organisation du parti
« s’inspire à la fois de l’esprit d’unité et de la nécessité d’un regroupement du peuple dans le
parti.
»1511 Une confusion émerge pourtant : le parti qui rassemble les Tunisiens devient
l’instrument de promotion et d’expression de la volonté de la nation
1512. Le concept de nation
est d’ailleurs doté d’un pouvoir émancipateur car il « secrète une idéologie politique, le
nationalisme.
»1513 Le Néo-Destour unit rapidement les Tunisiens1514 autour d’un objectif
1504 L. C. BROWN, « “Mon ami” Hooker Doolittle : les premiers contacts américains avec Habib Bourguiba »,
précit., p. 421.
1505 Ibid., p. 424.
1506 La Tunisie réclame alors la souveraineté de l’Etat mais souhaite qu’il reste lié à la France par un traité
librement négocié entre les deux parties. S. BESSIS et S. BELHASSEN (dir.),
Bourguiba, op.cit., p. 157.
Voir également A. MARTEL, « Bourguiba et les représentants américains au Caire », précit., p. 431.
1507 Les actions commises par la France en Tunisie du 20 janvier au 1er février 1952 ont une résonnance
internationale. Les pays afro-asiatiques qui siègent à l’
ONU décident alors de soutenir la requête présentée
par Salah BEN YOUSSEF. Le 4 février 1952, le différend franco-tunisien est porté devant le Conseil de
sécurité. Quelques temps plus tard, les Etats-Unis votent l’inscription de l’affaire tunisienne à l’
ONU. En
avril 1955, Salah BEN YOUSSEF est à Bandung (Indonésie). Membre actif de la délégation nord-africaine,
il assiste en tant qu’observateur, à la première conférence des peuples afro-asiatiques sur le monde colonial.
Pour plus de précisions, cf. S. BESSIS et S. BELHASSEN (dir.),
Bourguiba, op.cit., pp. 184, 188 et 203.
1508 A l’instar des conventions franco-tunisiennes d’autonomie interne du 3 juin 1955. Pour plus de précisions,
cf. M. CHARFI, Introduction à l’étude du droit, op.cit., pp. 110-111.
1509 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 153.
1510 Pour plus de précisions, cf. le B. qui suit.
1511 C. DEBBASCH, La République tunisienne, op.cit., p. 26.
1512 Instrument de lutte contre l’autorité coloniale, le parti s’organise en cellules et des militants sont implantés
dans les organes administratifs, politiques et économiques du pays.
1513 S. PIERRE-CAPS, Nation et peuples dans les Constitutions modernes, op.cit., p. 491.
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politique commun : la reconquête du pouvoir et de la souveraineté étatiques usurpés par
l’occupant français
1515. L’unité du parti et de la nation en Tunisie s’érige alors contre les
autorités coloniales françaises. L’idéologie nationaliste véhiculée par le Néo-Destour hâte
quant à elle la libération du pays sans pour autant savoir, comment et par quel acte le Néo-
Destour
parviendra à émanciper la Tunisie1516.
L’expression juridique de la nation se traduit par l’élection d’un pouvoir constituant. « En ce
sens, la nation s’exprime [juridiquement] quand elle se donne une constitution ; elle devient,
de fait, un postulat nécessaire à l’existence de la constitution : elle est un donné et non pas un
construit.
»1517 Bien que le Néo-Destour ait été construit sur le principe d’unité, il est
important de s’assurer qu’au moment de l’élaboration de la Constitution, la nation soit un
donné immuable. Avant même que le Bey n’accepte de sceller – le 29 décembre 1955 – le
décret portant convocation d’une ANC, H. BOURGUIBA avait éliminé ses adversaires
politiques. En écartant les défenseurs de l’identité arabe et musulmane et en s’alliant à
l’UGTT, il s’assurait le respect de la volonté et de l’unité nationale de la part de ses alliés.
Sa conception de la nation est clairement déterminée par sa formation juridique française. En
effet, le droit constitutionnel français opère « un retour à la relation originelle de la nation et
de la constitution.
»1518 L’unité politique des Tunisiens commande l’unité du pouvoir
constituant originaire. D’ailleurs, la loi électorale promulguée le 6 janvier 1956 fait le choix
du scrutin majoritaire à un tour, permettant au
Front National constitué le 15 mai 19561519 de
faire cavalier seul et au
Néo-Destour d’être la principale force au sein de l’ANC1520.
1514 A la suite de la Campagne de Tunisie (ensemble des combats en Tunisie de novembre 1942 à mai 1943,
entre les forces de l’Axe et les Alliés), les réclamations du parti se font plus vigoureuses et débouchent sur
la création par BOURGUIBA et Ferhat HACHED de l’
Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT).
Ce syndicat va rassembler en son sein une majorité de Tunisiens et se fera le fer de lance de
l’indépendance. Les manifestations politiques et les actions menées à l’encontre du gouvernement français
à Tunis, exacerbent le sentiment d’unité et poussent les Tunisiens à se construire une identité politique à
l’opposé de celle de l’occupant français.
1515 L’affiliation de tous les membres de la société tunisienne au parti politique mené par BOURGUIBA et
l’association du Bey à la politique syndicaliste et indépendantiste de l’
UGTT, conduit la dynastie beylicale
à mettre sur pied un gouvernement dans lequel sera Salah BEN YOUSSEF, Secrétaire général du
Néo-
Destour
. A peine né, ce gouvernement est destitué et BOURGUIBA est arrêté par les Français qui refusent
sa souveraineté à la Tunisie. Ce n’est que par l’intensification des révoltes et des actions terroristes que la
France promet une autonomie interne à la Tunisie, puis reconnaît le 20 mars 1956 l’indépendance du pays.
1516 Une réponse plus détaillée à ces questions est donnée dans le B. qui suit.
1517 S. PIERRE-CAPS, « Le constitutionnalisme et la nation », in J.-C. COLLIARD et Y. JEGONZO (dir.), Le
nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l’honneur de Gérard Conac,
Paris, Economica, 2001, p. 68.
1518 Ibid., p. 76.
1519 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Front National.
1520 Sur les 108 députés élus, 99 (soit 91,69 %) ont des affinités avec le Néo-Destour.
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Autrement dit, si BOURGUIBA met ses connaissances en droit constitutionnel français au
service des Tunisiens, il fait de la nation tunisienne un instrument de lutte contre la France et
du Néo-Destour, le seul détenteur du pouvoir politique et constituant. Certes, la nation
s’exprime au travers du Néo-Destour mais l’expression de la volonté nationale ne doit pas
traduire les seules aspirations du Combattant Suprême.
Par ailleurs, la constitution est formellement conçue comme un document écrit, voté par le
pouvoir constituant originaire, situé au sommet de la hiérarchie des normes et qui prévoit des
dispositions particulières en cas de révision du texte par le pouvoir constitué. Elle consiste
matériellement en des règles écrites ou non relatives à l’organisation des pouvoirs publics, à
leur fonctionnement, aux rapports mutuels entre ses organes, et dans certains systèmes
juridiques, en des règles écrites ou non relatives à la garantie des droits et des libertés
1521.
Selon le Néo-Destour, elle n’est conçue que comme « le moyen de réaliser l’émancipation de
la Tunisie.
»1522 La Constitution du 1er juin 1959 est certes la décision du pouvoir constituant
de la nation
1523 mais elle sert surtout les intérêts du Combattant Suprême. C’est d’ailleurs la
raison pour laquelle il est intéressant de savoir comment et pourquoi, elle a été détournée par
le Néo-Destour et son chef.
B.
Le détournement de l’idée de constitution par le Néo-Destour
Comme cela a été dit, la constitution est selon le Néo-Destour, un moyen au service de
l’indépendance de la Tunisie. L’élection au suffrage universel direct et secret d’une
Assemblée Constituante, puis l’établissement d’un régime constitutionnel spécifiquement
tunisien, devaient libérer la Tunisie de la domination coloniale. Au lieu de se focaliser sur le
pouvoir constituant, la lumière est sur le Combattant Suprême et son parti. La vie politique est
en effet monopolisée par le
Néo-Destour1524 et à la suite de la signature du protocole
d’indépendance le 25 mars 1956, les électeurs sont appelés aux urnes. Le Front National
1521 Pour de plus amples définitions de la constitution voir. J. GICQUEL et J.-E. GICQUEL (dir.), Droit
constitutionnel et institutions politiques, op.cit.,
pp. 191-217. Voir également le Chapitre 1 relatif à la
constitution dans l’ouvrage de F. HAMON, M. TROPER (dir.), Droit constitutionnel, op.cit., pp. 53-81.
1522 C. DEBBASCH, La République tunisienne, op.cit., p. 42.
1523 S. PIERRE-CAPS, « Le constitutionnalisme et la nation », précit., p. 70.
1524 La loi électorale du 6 janvier 1956 qui fait le choix du scrutin majoritaire à un tour renforce les grands
partis politiques à l’instar du Néo-Destour.
358






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remporte les élections constituantes1525 mais les pouvoirs les plus importants au sein de
l’Assemblée, sont confiés aux partisans du
Néo-Destour1526. La Constituante se transforme
progressivement en une émanation du parti et la Constitution est écrite par et pour Habib
BOURGUIBA.
L’installation de la première Assemblée Constituante est le résultat « d’une force de
résistance incarnée par le nationalisme, elle-même constitutive de la prise de conscience
d’une existence nationale.
»1527 Fer de lance de la lutte pour la libération nationale, le Néo-
Destour est à l’origine des revendications constitutionnelles. Si l’organisation du pouvoir
politique doit résulter de la volonté nationale, le fonctionnement de l’Assemblée Constituante
fonde en droit l’unité du pouvoir et la primauté du Néo-Destour. C’est en effet le bureau
politique du parti qui détermine l’ordre des séances à l’Assemblée qui ne se réunit que pour
entendre les discours du Combattant Suprême. « Personne n’ose alors le contredire. Si grand
est son prestige qu’il paraîtrait sacrilège de se dresser contre lui.
»1528 La Constituante n’est
donc appelée à voter que dans la mesure où la politique menée par BOURGUIBA nécessite
un appui. Sa légitimité charismatique et historique
1529 empêche les constituants de discuter ses
prises de parole et de position. Cette légitimité est d’ailleurs doublée d’une légitimité légale
dans la mesure où le 24 avril 1956 à l’Assemblée, il fait voter une motion qui organise ses
interventions en dehors des champs de compétences qui lui avaient été assignés.
Si le Bey scelle le 29 décembre 1955 le décret portant convocation d’une ANC, il fixe à la
Constituante la mission d’établir la Constitution de la monarchie constitutionnelle
1530. Or, le
jour d’ouverture des travaux constituants, BOURGUIBA déclare qu’ « [à] partir de ce jour,
1525 Au cours de la campagne électorale, le Front National se prononce en faveur d’une monarchie
constitutionnelle dotée d’un gouvernement fort et stable. Ce régime devait essentiellement servir à libérer la
Tunisie de la tutelle coloniale.
1526 Les élections constituantes du 25 mars 1956 confèrent le premier mandat représentatif aux partisans du
Néo-Destour. Le soutien politique des Tunisiens se transforme donc : il est légalisé et permet aux
nationalistes de disposer des postes les plus importants de la Constituante. «
M. Habib Bourguiba est
Président de l’Assemblée du 8 au 13 avril 1956 (date de la constitution de son premier gouvernement).
Puis, ce sera un membre du bureau politique du Néo-Destour, M. Djellouli Farès, qui sera désigné à la tête
de l’Assemblée. Les pouvoirs les plus importants de l’Assemblée sont concentrés dans le bureau et les
commissions. Or, cinq vice-présidents de l’Assemblée – les vice-présidents sont membres de droit du
bureau de la Constituante – sur six sont membres du bureau politique du Néo-Destour.
» C. DEBBASCH,
La République tunisienne, op.cit., p. 45.
1527 S. PIERRE-CAPS, « Le constitutionnalisme et la nation », précit., p. 80.
1528 C. DEBBASCH, La République tunisienne, op.cit., p. 46.
1529 Sur les différents types de légitimité cf. M. WEBER, « Les trois types purs de la domination légitime »,
(traduit en français par E. KAUFFMANN) in Sociologie, 2014/3, Vol. 5, pp. 291-302.
1530 Le Bey devait par ailleurs sceller la Constitution élaborée par la Constituante.
359




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nul autre que le peuple tunisien ne disposera des destinées du peuple. »1531 Cette déclaration
délie l’Assemblée de la mission fixée par le
Bey1532 et de la souveraineté beylicale. Le leader
nationaliste fait des Tunisiens les détenteurs de la souveraineté et des constituants, ceux qui
l’exercent en leur nom. Ce n’est plus le Bey qui est habilité à traiter des problèmes des
Tunisiens mais l’ANC.
Malgré tout, l’Assemblée dans la pratique ne fait qu’entériner la volonté du Néo-Destour et
les décisions de son chef
1533. Le 10 avril 1956, H. BOURGUIBA décide que la désignation du
chef du Gouvernement est une attribution de l’Assemblée et non du Bey. Le parti empiète sur
les prérogatives beylicales
1534 et « [l]’extension des attributions de la Constituante dans toutes
les matières est une illustration supplémentaire de ce phénomène de concentration du pouvoir
au bénéfice de
l’Assemblée, c’est-à-dire au bénéfice d’une émanation du Néo-
Destour.
»1535 Alors que le programme électoral du Front National prévoyait l’instauration
d’une monarchie constitutionnelle
la
proclamation de la République par BOURGUIBA le 25 juillet 1957
1536, modifie les projets
inspirée du régime parlementaire britannique,
constituants.
Interrogé sur la nature du régime et sur la Constitution en élaboration, il déclare : « Nous
essayons de nous orienter après les essais, tâtonnements, et nous sommes persuadés que dans
quelques mois, après avoir fait l’expérience de la formule actuelle, nous pourrons à ce
moment-là jeter la base d’une Constitution stable.
»1537 L’adaptation des travaux constituants
aux orientations politiques du Combattant Suprême, traduit l’empirisme avec lequel l’ANC a
1531 Déclaration de BOURGUIBA à la tribune de l’Assemblée, le 8 avril 1956. Propos repris le 24 avril 1956 :
«
il n’y a pas lieu à discussion sur les pouvoirs de l’Assemblée qui les a tous, institutionnels et législatifs. »
1532 Autrement dit, de doter le pays d’une constitution adaptée à la monarchie constitutionnelle tunisienne.
1533 L’Assemblée n’intervient donc que pour soutenir la politique gouvernementale. C’est ainsi que le 18 juillet
1956, l’Assemblée va appuyer la position du gouvernement en ce qui concerne l’évacuation des troupes
françaises du territoire tunisien.
1534 Le décret du 31 mai 1956 enlève au Bey ses pouvoirs de chef de famille régnante. La famille beylicale est
alors soumise aux règles de droit commun. Le décret du 3 août 1956 quant à lui, prive le
Bey de l’exercice
du pouvoir réglementaire. Ce dernier est alors transféré au Premier ministre ou président du Conseil. Pour
plus de précisions sur l’ensemble des décrets adoptés à cette période, cf. V. SILVERA, « Le régime
constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1
er juin 1959 », précit., p. 378.
1535 C. DEBBASCH, La République tunisienne, op.cit., p. 50.
1536 La résolution votée le 25 juillet 1957 par l’Assemblée Constituante vise à abolir le régime monarchique, à
proclamer l’Etat républicain et à attribuer à BOURGUIBA, la présidence de la République qui a d’ailleurs
exercé cette charge jusqu’à l’adoption de la Constitution. Pour plus de précisions sur la résolution du 25
juillet 1957, cf. Y. HASSEN, « La résolution de l’Assemblée nationale constituante en date du 25 juillet
1957 »,
in Association Tunisienne de Droit Constitutionnel (dir.), La République, op.cit., pp. 57-71.
1537 Déclaration du 6 septembre 1957 à la radiodiffusion suisse.
360




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fonctionné. La lenteur constatée pour élaborer la Constitution1538 reflète la volonté de
BOURGUIBA de proposer une constitution sur mesure
1539. Avant de constitutionnaliser un
régime politique bien précis, il s’attelle à réaliser la structure constitutionnelle de ses souhaits.
« La volonté d’unité du Président Bourguiba l’amène à exiger très vite un pouvoir concentré
dans un seul organe.
»1540 Seul le président de la République incarne selon lui, l’unité de la
nation. Préférant le régime présidentiel états-unien, le leader nationaliste tarde à définir
précisément, le régime politique de la Tunisie car il veut l’adapter à l’impératif d’unité. Le
président de la République détient le pouvoir exécutif et participe au pouvoir législatif, afin de
garantir l’unité de la nation
1541. Il dispose donc des pouvoirs reconnus au Chef de l’Etat dans
un régime présidentiel et parlementaire
1542. L’Assemblée Nationale ne sert quant à elle que
d’organe d’approbation de la politique présidentielle.
1543 Le monocamérisme traduit d’ailleurs
l’impératif d’unité qu'il exige.
Conçue par le Néo-Destour et pour BOURGUIBA, la Constitution du 1er juin 1959 traduit
l’impératif d’unité politique en des termes juridiques. Instrumentalisé par les hommes au
pouvoir, cet impératif bloque l’avènement du pluralisme politique et institutionnel. Imposée
par le haut alors qu’elle se voulait être la Constitution des Tunisiens, le texte constitutionnel
est au service du pouvoir politique. D'autant plus que la naissance d’une culture
constitutionnelle est nécessaire pour que les Tunisiens s’approprient l’idée même de
Constitution.
1538 Les constituants tunisiens ont travaillé environ trois ans pour doter le pays d’une constitution.
1539 Pour plus de précisions, cf. S. BESSIS et S. BELHASSEN (dir.), Bourguiba, op.cit., pp. 246-247.
1540 C. DEBBASCH, La République tunisienne, op.cit., p. 53.
1541 Le président de la République a un pouvoir d’initiative et de direction dans tous les domaines. Le chef de
l’Etat en Tunisie a par conséquent, plus de pouvoirs que le président des Etats-Unis. Contrairement aux
Etats-Unis où le président peut être destitué par la procédure d’ « impeachment », le Chef d’Etat tunisien ne
peut jamais être mis en accusation. Par ailleurs, il n’est pas responsable devant le peuple tunisien puisque la
Constitution du 1
er juin 1959 ne prévoit pas de recours au référendum, pour arbitrer les conflits entre le
Chef de l’Etat et l’Assemblée nationale. Avec la Constitution du 1
er juin 1959, le président de la
République n’est responsable devant le peuple que s’il représente sa candidature à l’élection présidentielle
et que les Tunisiens ne le reconduisent pas. Pour plus de précisions, cf. V. SILVERA, « Le régime
constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1
er juin 1959 », précit., pp. 392-393.
1542 Pour plus de précisions, cf. les paragraphes « Le chef de l’Etat est le Président d’une République
présidentielle
» et « Le Président du Conseil apparaît comme le Président du Conseil d’un régime
parlementaire
», in C. DEBBASCH, La République tunisienne, op.cit., pp. 56-59.
1543 « La Constitution adoptée tient largement compte de ses souhaits : le chef de l’Etat est élu en même temps
que l’Assemblée au suffrage universel et pour la même durée de cinq ans. Il est rééligible trois fois. Les
secrétaires d’Etat sont responsables devant lui. La Chambre n’a sur le chef de l’exécutif aucun pouvoir de
censure, il doit se contenter de l’informer. Il a non seulement l’initiative des lois “concurremment” avec
l’Assemblée, mais ses projets ont priorité et il a la possibilité de légiférer par décrets-lois.
» S. BESSIS et
S. BELHASSEN (dir.),
Bourguiba, op.cit., pp. 247-248.
361




Page 363
Paragraphe 2
Une culture constitutionnelle nécessaire à l’appropriation de l’idée
de constitution
Créée comme un instrument du pouvoir politique, la Constitution du 1er juin 1959 n’a jamais
été véritablement considérée par les citoyens (A). Afin d’inverser la tendance, il fallait
impérativement que les Tunisiens la voient comme un instrument du gouvernement limité
1544
et non seulement, comme un instrument du pouvoir. Cela ne sera possible que par la naissance
progressive – dans les mentalités et la pratique – d’une culture constitutionnelle (B). Cette
dernière n’émerge qu’avec le temps et grâce à la consolidation de la démocratie dans un pays
en pleine transition.
A.
La Constitution du 1er juin 1959, un instrument au service du pouvoir politique
La Constitution du 1er juin 1959 est « le système établi en Tunisie [qui] a été conçu en
fonction de la personnalité du Président Bourguiba.
»1545 Bien que les discours du
Combattant Suprême et les dispositions de la Constitution évoquent la souveraineté du peuple
et la séparation des pouvoirs
1546, l’essentiel du pouvoir était exercé par le président de la
République et son parti. Les articles de la Constitution distinguaient pourtant le pouvoir
législatif du pouvoir exécutif : si en vertu de l’alinéa premier de l’article 18 de la Constitution
« [l]e peuple exerce le pouvoir législatif par l’intermédiaire de la Chambre des députés et de
la Chambre des conseillers
1547, ou par voie de référendum »1548, le pouvoir exécutif était
exercé par le président de la République, assisté par un gouvernement dirigé par un Premier
ministre1549. Concrètement, le régime présidentiel mis en place par la Constitution du 1er juin
1959 accorde au président de la République, un pouvoir supérieur à celui des chambres
parlementaires. Cela fait « glisser la Tunisie dans un régime présidentialiste qui s’est
manifesté par un pouvoir accru du chef de l’Etat d’une part, sur la révision de la Constitution
1544 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 249.
1545 V. SILVERA, « Le régime constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1er juin 1959 », précit., p. 393.
1546 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 1er juin 1959,
dispositions du préambule et de l’article 3.
1547 Avant 1981, il s’agissait de la seule Assemblée Nationale. Après la révision du 1er juin 2002, le Parlement
tunisien a été composé de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers.
1548 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 1er juin 1959, article 18,
alinéa premier.
1549 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 1er juin 1959, article 37.
362







Page 364
et d’autre part, sur la promulgation de textes juridiques de moindre rang. »1550 Il est alors
intéressant de se pencher sur le pouvoir du président de la République en matière de révision
constitutionnelle car l’objectif de ces développements est de démontrer que l’ « excédence des
pouvoirs et
l’expérience
constitutionnelle de la Tunisie indépendante.
»1551 Ils ont par ailleurs contribué au désintérêt
texte constitutionnel ont caractérisé
l’ineffectivité du
des Tunisiens pour la Constitution et le droit constitutionnel.
La Constitution de la Première République a fait l’objet de douze révisions entre sa
promulgation et le 14 janvier 2011
1552. Initialement prévue aux articles 60 à 62 de la
Constitution du 1
er juin 19591553, la révision constitutionnelle est consacrée au Chapitre X1554.
Selon l’article 76, l’initiative de la révision appartient au président de la République ou au
tiers au moins des membres de la Chambre des députés, sous réserve qu’elle ne porte pas
atteinte à la forme républicaine de l’Etat
1555. Selon le préambule de la Constitution, cette
dernière
1556 est la meilleure garantie pour le respect des droits de l’Homme et pour
l’instauration de l’égalité des citoyens en droits et en devoirs. Par conséquent, il est nécessaire
de voir dans un premier temps, en quoi consiste le régime républicain pour les Tunisiens.
Dans un second temps, les différentes révisions constitutionnelles qui ont eu pour objectif de
maintenir BOURGUIBA et BEN ALI au pouvoir, seront analysées.
1550 S. GOUIA, « Le bilan des révisions de la Constitution de la Tunisie de 1959 : Une atteinte à la Constitution
par des changements anticonstitutionnels »,
in R. BEN ACHOUR
(dir.),
Les changements
anticonstitutionnels de gouvernement : approches de droit constitutionnel et de droit international
, Aix-en-
Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, Coll. « Les Cahiers de l’Institut Louis Favoreu », n° 3,
2014, p. 87.

1551 A. FATNASSI, « Pour une nouvelle identité constitutionnelle de la Tunisie », in Droit et Politique, Revue
Tunisienne d'études Juridiques et Politiques, n° 1, 2012, p. 53.
1552 Les douze révisions ont eu lieu en 1965, 1967, 1969, 1975, 1976, 1981, 1988, 1995, 1997, 1998, 2002 et
2008. «
Malgré l’intégration, à travers certaines de ces révisions, de valeurs universelles se rattachant aux
droits de l’Homme (comme les articles 5, 9, 12, et 13 révisés en 2002), à la démocratie et à l’Etat de droit
(comme les articles 8, 18, et 19, révisés en 2002 et 1976), à la promotion de la jeunesse (comme à travers
l’article 20 révisé en 2002), il a été impossible d’éviter l’effet négatif des mesures anticonstitutionnelles
maintenues ou introduites au fur et à mesure dans le texte de la Constitution de 1959. Ces effets négatifs
ont, par un effet de boule de neige sociale et politique fini par faire destituer le premier Président de la
République, puis, par préparer le terrain aux émeutes populaires de la révolution du 14 janvier 2011.
»
S. GOUIA, « Le bilan des révisions de la Constitution de la Tunisie de 1959 : Une atteinte à la Constitution
par des changements anticonstitutionnels »,
précit., p. 85.
1553 V. SILVERA, « Le régime constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1er juin 1959 », précit., p. 390.
1554 Des articles 76 à 78. La loi constitutionnelle n° 95-90 du 6 novembre 1995 transforme le Chapitre IX de la
Constitution en Chapitre X.
1555 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 1er juin 1959, article 76,
premier alinéa.
1556 Alors que l’article 76 de la Constitution dispose de la forme républicaine de l’Etat, le préambule de la
Constitution traite du régime républicain. Il semblerait que le texte constitutionnel ne fasse pas de
distinction entre les deux expressions. A l’instar du texte constitutionnel, les deux expressions sont
employées dans les développements qui suivent de manière indifférente.
363




Page 365
De manière générale, « [l]e régime républicain doit […] respecter trois conditions
cumulatives et interdépendantes de manière à ce que chaque défaillance au niveau de l’une
de ses composantes entraîne la dénaturation du régime lui-même.
»1557 Imprégné de l’idéal
républicain français
1558, la République1559 comprend trois composantes cumulatives et
interdépendantes. Deux d’entre elles sont substantielles : la République « désigne l’objet
propre et la fin du pouvoir politique et extensivement l’organisation de la Cité
1560. Ensuite, la
République implique toute forme d’organisation politique qui n’est pas despotique ou
tyrannique, elle est donc synonyme de démocratie.
»1561 La troisième est formelle : la
République signifie le caractère non monarchique de l’Etat. En Tunisie, sous l’empire de la
Constitution du 1
er juin 1959, le régime républicain n’a été conçu que dans sa composante
formelle. En effet, l’intérêt public ne gouvernait pas puisque la Constitution et le pouvoir
politique étaient au service du président. La révision constitutionnelle n° 76-37 du 8 avril
1976
1562 et celle du 1er juin 2002 qui modifient l’article 39 de la Constitution1563, prouvent
d’ailleurs que la dimension démocratique du régime républicain était absente de la pratique
politique sous l’ancien régime.
La révision de 1976 permet à tout « Président en exercice d’être rééligible à chaque
réélection alors que, jusque-là les mandats présidentiels étaient limités à trois.
»1564 Elle est
précédée de la révision de l’article 40 en 1975 qui « par son contenu, a donné à Habib
1557 A. FATNASSI, « Pour une nouvelle identité constitutionnelle de la Tunisie », précit., p. 60.
1558 Pour plus de précisions, cf. S. LAGHMANI, « Le concept de République dans la pensée occidentale », in
Association Tunisienne de Droit Constitutionnel (dir.), La République, op.cit., pp. 9-41.
1559 L’idéal républicain français a imprégné les élites tunisiennes au cours de la période de lutte pour
l’indépendance et au moment de l’élaboration de la Constitution du 1
er juin 1959. Afin de bien cerner le
régime républicain en Tunisie, il est nécessaire de clarifier le concept de République. Ce dernier est ici
compris dans son acception originelle, autrement dit telle que la tradition constitutionnelle française
l’envisage. Les trois composantes de la République sont exposées dans les développements qui suivent.
Pour plus de précisions, cf. A. FATNASSI, « Pour une nouvelle identité constitutionnelle de la Tunisie »,
précit., pp. 53-63.
1560 Dans son article précité, le Professeur Slim LAGHMANI insiste sur le concept romain de res publica. « La
République est, d’abord, étymologiquement, une détermination du champ politique : res publica la chose
publique ou le bien commun. Elle désigne l’objet propre et la fin du pouvoir politique et ce par opposition
à res privata. Cela correspond à la fois à une définition de l’Etat par opposition à la société civile et à une
doctrine de la légitimité du pouvoir politique par sa fin.
» Dans la suite de ses développements, le
Professeur Slim LAGHMANI évoque la souveraineté du
populus (de l’ensemble de la population), la
démocratie et l’élection, comme mode de désignation des gouvernants, composantes du concept romain de
res publica. S. LAGHMANI, « Le concept de République dans la pensée occidentale », précit., p. 14.
1561 A. FATNASSI, « Pour une nouvelle identité constitutionnelle de la Tunisie », précit., p. 60.
1562 Cette révision vise essentiellement à modifier l’article 39 de la Constitution et à attribuer la présidence à vie
à BOURGUIBA.
1563 Révision constitutionnelle n° 2002-5 du 1er juin 2002 qui modifie l’article 39 et autorise BEN ALI à être
rééligible sans limitation de mandat.
1564 S. GOUIA, « Le bilan des révisions de la Constitution de la Tunisie de 1959 : Une atteinte à la Constitution
par des changements anticonstitutionnels », précit., p. 87.
364



Page 366
Bourguiba, la possibilité d’être maintenu à vie dans ses fonctions de Président de la
République.
»1565 Par ailleurs, la révision de 2002 qui modifie les articles 39, 40 et 41, a été
qualifiée d’ « enterrement de la République » et de « projet qui tourne le dos aux aspirations
des Tunisiens à la démocratie.
»1566 Certains auteurs ironisent d'ailleurs en déclarant que « la
Constitution livre la présidence au hasard de la biologie, faisant de la présidence une
“présidence à espérance de vie”.
»1567
La République est la « [f]orme de gouvernement où le pouvoir et la puissance ne sont pas
détenus par un seul, et dans lequel le chef de l’Etat n’est pas héréditaire.
»1568 Pourtant, le
Néo-Destour et le RCD exerçaient l’essentiel du pouvoir et aucune alternance à la tête de
l’Etat n’était possible. Au moment des élections, seule s’exprimait la volonté du parti au
pouvoir et de son chef. Certes, la Tunisie était constitutionnellement un régime républicain et
non une monarchie mais la pratique politique violait la forme républicaine de l’Etat. Aucun
juge, qu’il soit constitutionnel
1569 ou ordinaire, ne protégeait la clause de l’article 761570, alors
même qu’elle était considérée comme « la substance de l’esprit tunisien qu’il ne faut pas
supprimer ou perdre.
»1571 Les révisions répétées de la Constitution portaient ainsi atteinte au
«
caractère permanent et fondamental de ce qui forme la Constitution ou en fait partie. »1572
L’identité constitutionnelle même étant bafouée par les hommes politiques au pouvoir, la
Constitution ne pouvait certainement pas servir à intégrer les Tunisiens et à faire naître une
culture constitutionnelle. Les unités politique et du pouvoir constituant originaire,
l’interprétation et les révisions que la Constitution avait subies empêchaient donc les
Tunisiens de considérer la Constitution comme « la garantie du consensus fondamental
nécessaire à la cohésion sociale.
»1573
1565 Ibid.
1566 Ibid., p. 88.
1567 Ibid.
1568 République, Le Petit Robert ; Dictionnaire de la langue française, op.cit., p. 1679. Il est intéressant de
noter qu’à l’exemple de la Constitution tunisienne du 1
er juin 1959, Le Petit Robert désigne par
"république" un régime politique et une forme de gouvernement.
1569 Instauré en 1987, le Conseil constitutionnel n’a été consacré par la Constitution qu’au moment de la
révision de 1995. Pour autant, le Conseil constitutionnel ne s’est jamais élevé au rang de juridiction puisque
le pouvoir politique avait la mainmise sur lui. Pour plus de précisions, cf. S. GOUIA, « Le bilan des
révisions de la Constitution de la Tunisie de 1959 : Une atteinte à la Constitution par des changements
anticonstitutionnels », précit., p. 88.
1570 Autrement dit, la forme républicaine de l’Etat.
1571 A. FATNASSI, « Pour une nouvelle identité constitutionnelle de la Tunisie », précit., p. 55.
1572 Ibid.
1573 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 266.
365




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Sous l’ancien régime, la Constitution a essentiellement été conçue « comme un instrument à
la disposition des détenteurs du pouvoir.
»1574 Disposant des croyances, valeurs et symboles
nationaux
1575 à l’instar de l’Islam, de la langue arabe (article 1), du drapeau et de la devise
(article 4), la fonction d’intégration pourtant, ne lui était clairement pas dévolue. Le CSP
servait de «
Constitution civile »1576 aux Tunisiens car contrairement à la Constitution, il
organisait et structurait la société civile. A l’image de la société, il consacrait à la fois les
valeurs religieuses et les
droits acquis de la femme1577. Alors que la Constitution du 1er juin
1959 a subi de multiples révisions et qu’elle a été remplacée par la Constitution du 27 janvier
2014, le
CSP dure dans le temps et offre ainsi une stabilité aux Tunisiens1578.
Comme l’affirme le Professeur Yves GAUDEMET : « Nous retrouvons [en Tunisie] cette
dissociation du temps politique et du temps civil ; que le premier soit un temps court et le
second un temps long comporte cette conséquence, paradoxale seulement à première vue, que
la constitution civile structure et organise finalement davantage une nation que sa
constitution politique.
»1579 Autrement dit, sous l’empire de la Constitution du 1er juin 1959,
les Tunisiens étaient exclus de l’arène politique car le texte constitutionnel était
instrumentalisé par les politiques. Au service de BOURGUIBA et de BEN ALI, la
Constitution n’a jamais été conçue comme un élément d’intégration et n’a pas aidé à la
naissance d’une culture constitutionnelle.
Au centre des revendications politiques, juridiques, économiques et sociales du fait de la
révolution, les Tunisiens sont en fait à l’initiative de la Constitution du 27 janvier 2014.
1574 Ibid., p. 272.
1575 Pour plus de précisions, cf. le B. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE I
de cette thèse, relatif à
l’importance des valeurs et des symboles de la Deuxième République, p. 217.
1576 Selon le Professeur Yves GAUDEMET, la « Constitution civile » est une formule qui « emprunte au droit
public le terme même de constitution pour l’appliquer à la société civile ; l’ambition est de fixer les
principes de celle-ci, dans la durée et pour organiser l’ordre social, “établir l’ordre civil et fonder l’ordre
moral”, pour reprendre les formules de Cambacérès.
» Y. GAUDEMET, « Le Code civil, “constitution
civile de la France” »,
in 1804-2004, Le Code civil, un passé, un présent, un avenir, Paris, Dalloz, 2004,
p. 298.
1577 Pour plus de précisions, cf. le Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre II de la PARTIE I de
cette thèse, relatif à
la reconnaissance de l’égalité en droits du Tunisien et de la Tunisienne, p. 274.
1578 Le Professeur Haykel BEN MAHFOUDH et Mouna TABEI parlent de « Constitution sociale » pour évoque
le
CSP. Sur ce point, voir H. BEN MAHFOUDH et M. TABEI, « Tunisie. Table ronde », précit., p. 478.
1579 Y. GAUDEMET, « Le Code civil, “constitution civile de la France” », précit., p. 299.
366






Page 368
B.
Le besoin d’une culture constitutionnelle travaillée par les gouvernés
Avant d’envisager la formation d’une culture constitutionnelle travaillée par les gouvernés, il
faut s’attarder sur la définition de la culture constitutionnelle. La culture juridique porte sur le
droit en général et la culture politique sur l’organisation politique d’une société
1580. La culture
constitutionnelle elle, s’intéresse « à la constitution comme institution du droit et d’une
communauté politique.
»1581 Elle concerne donc les phénomènes du pouvoir1582 et a pour objet
principal la constitution. D’après le Professeur Peter HÄBERLE, la constitution « est une
partie de la culture, elle constitue si on veut (plus précisément : il faut qu’elle constitue) au
moins le quatrième élément
»1583 de l’Etat1584. N’étant pas seulement un texte à interpréter, la
constitution est l’expression de l’identité. Moyen d’autoreprésentation culturelle, elle est le
miroir d’un peuple, son héritage et son patrimoine, le fondement même de ses espérances
1585.
Or, du fait de son instrumentalisation politique et de ses révisions répétées, les Tunisiens ne la
voyaient pas comme l’acte qui fonde l’identité et qui pose les bases du contrat social. Cela dit,
les Tunisiens portent-ils un intérêt aux phénomènes de pouvoir et par voie de conséquence,
considèrent-ils la constitution comme un acte d’institution ? En d'autres termes, existe-t-il
actuellement une culture constitutionnelle en Tunisie ?
La culture constitutionnelle naît des discours politiques, doctrinaux et/ou jurisprudentiels et de
la manière dont les citoyens (gouvernants, gouvernés) s’approprient la constitution
1586.
Jusqu’à présent, l’objet des développements a été de démontrer que sous l’ancien régime, les
discours politiques visaient à exalter la personnalité des présidents de la République. Les
dispositions constitutionnelles étaient quant à elles instrumentalisées par les gouvernants et les
gouvernés étaient écartés des considérations juridiques et constitutionnelles. Ces derniers
avaient tout de même conscience de la nécessité d’un pouvoir politique limité par le droit, ce
qui n’est d’ailleurs pas étranger à la tradition réformiste tunisienne. En effet, la Révolution du
Jasmin prouve que les enseignements d’IBN ABI DHIAF ont été suivis et que les idées
1580 Afin de mieux appréhender les définitions de la culture juridique et politique et de bien cerner leurs
différences, voir M.-C. PONTHOREAU,
Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., pp. 119-128.
1581 Ibid., p. 126.
1582 Si la culture politique est plus large que la culture constitutionnelle, les deux types de cultures partagent la
volonté de fonder l’identité nationale et l’unité d’une société politique donnée.
1583 P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, op.cit., p. 26.
1584 Selon la théorie générale de l’Etat, les trois autres éléments sont le peuple, le pouvoir et le territoire.
1585 P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, op.cit., p. 16.
1586 B. SCHLINK, « German Constitutional Culture
(ed.),
Constitutionalism, Identity, Difference and Legitimacy. Theoretical Perspectives, Durham-London, Duke
University Press, 1994, pp. 197-222.
in M. ROSENFELD
in Transition »,
367




Page 369
constitutionnalistes ont fait leur chemin. Comme cela a été dit, IBN ABI DHIAF estimait que
le pouvoir limité par le droit, Mulk al muqaïd bi quanun, pouvait s’obtenir par le biais de la
révolution d’un peuple en quête de liberté contre le despotisme ou par l’octroi d’une
constitution. Ainsi, la révolution du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011 a permis aux
Tunisiens de contester l’oppression, l’injustice, la corruption et le népotisme du régime
autoritaire du Président Zine El Abidine BEN ALI. Puis, la Constitution du 27 janvier 2014 a
mis en place un pouvoir politique limité et respectueux des libertés et droits individuels
1587.
Si elle avait pour objectif de résoudre les crises politiques, économiques, sociales et
sécuritaires du pays, la révolution a réveillé les consciences des Tunisiens. La société civile a
réalisé deux choses essentielles : d'une part, l’impact que pouvait avoir l’expression de sa
volonté ; d'autre part, l’importance du droit – notamment constitutionnel – dans la réalisation
pleine et entière de son aspiration démocratique et dans la consécration de ses droits et
libertés. Avant 2011, les réformes politiques ou juridiques étaient imposées par les
gouvernants mais actuellement, elles sont décidées par les gouvernés. Du fait des élections
constituantes, législatives et présidentielles, les Tunisiens voient la Constitution comme un
instrument de gouvernement limité et non seulement, comme un instrument du pouvoir. La
conception de la Constitution change : elle est dorénavant perçue « comme organisation de la
société civile et régulation des rapports sociaux.
»1588
Autrement dit, pour que se consolide la culture constitutionnelle naissante en Tunisie, les
Tunisiens doivent s’intéresser aux relations gouvernants / gouvernés et participer à
l’élaboration des politiques publiques. Pour ce faire, il faut que le processus de décision
politique et juridique conserve le caractère participatif du processus constituant : il s’agit alors
de multiplier les échanges entre les gouvernants et la société civile (associations et groupes de
pression). Cela ne signifie pas que les citoyens remplacent les représentants élus mais qu’ils
les assistent au cours de la formation des décisions politiques ou de l’élaboration des lois. Il
faudrait alors aménager des espaces d’expression pour les gouvernés au sujet des politiques
1587 Voir sur ce point M. TOUZEIL-DIVINA, « Printemps & Révolutions arabes : un renouveau pour la
séparation des pouvoirs ? », Pouvoirs, 2012, n° 143, pp. 29-45. Voir également M. TOUZEIL-DIVINA,
« Rêver un impossible rêve : à propos du régime parlementaire projeté en Méditerranée »,
in Revue
Méditerranéenne de Droit Public : Influences & Confluences constitutionnelles en Méditerranée,
Paris,
L’Epitoge – LGDJ, n° 3, 2015, pp. 31-52.
1588 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 249.
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Page 370
publiques, institutionnaliser les négociations collectives et les expressions organisées ou non,
de la volonté du peuple
1589.
C’est finalement en liant les phénomènes sociaux et politiques au droit que la Constitution
s’inscrit dans un contexte favorable à sa compréhension et à son application, par les citoyens.
Ces derniers deviennent ainsi les acteurs des normes politiques ou juridiques. Depuis la
révolution et l’adoption de la Constitution du 27 janvier 2014, il est enfin possible d’espérer
que les droits proclamés aient des effets tangibles dans la pratique. Le droit n’est plus imposé
par le haut, il provient des réclamations et revendications citoyennes. La représentation de la
constitution dans l’esprit collectif est donc en train de changer. Par ailleurs, avec le temps,
l’émergence de comportements et de pratiques conformes à la démocratie et aux droits
fondamentaux, participera à la consolidation de la culture constitutionnelle naissante. Le
temps de la transition démocratique est nécessairement un temps long. Comme l’affirme le
Professeur Denis BARANGER « [l]es constitutions modernes n’ont pas leur rythme propre :
elles l’empruntent hors d’elles, dans une temporalité qui a été érigée en un phénomène
intégralement refermé sur soi et inaccessible.
»1590 Si la constitution est au fondement des
institutions et des normes, elle oscille constamment entre ce qui est posé et ce qui sera créé
avec le temps. Elle fait naître une organisation politique qui a elle-même besoin de temps
pour s’implanter dans l’esprit et les institutions de la nation
1591.
1589 Les Tunisiens ont pu participer au processus constituant car le règlement intérieur de l’ANC du 20 janvier
2012 prévoyait que le Bureau de l’Assemblée charge un assesseur auprès du Président qui s’occuperait des
relations avec la société civile. Cf. B. ABDELKAFI, « L’Assemblée nationale constituante et la société
civile : Quelle relation ? »,
in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL
SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et
perspectives, op.cit.,
pp. 139-147. Le rapport précité traite également du rôle de l’ONG tunisienne AL
BAWSALA au sein de l’ANC et des rapports entre la société civile et les commissions constituantes, cf. A.
YAHYAOUI, « Observer l’Assemblée nationale constituante » et J. BEN MBAREK, « Processus
constitutionnel et société civile : de la négation à l’acceptation ? »,
in M. MARTINEZ SOLIMAN,
S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La
Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., respectivement aux pp. 253-261 et
263-270.
1590 D. BARANGER, « Temps et Constitution », précit., pp. 45-46.
1591 M. ALTWEGG-BOUSSAC, Les changements constitutionnels informels, Paris, LGDJ/Fondation Varenne,
2013, 527 p.
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370



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CONCLUSION
Initialement imposées par l’Occident, les idées constitutionnalistes ont impacté les
réformateurs tunisiens au XIX
ème siècle. Alors qu’elles avaient servi à ouvrir la pensée
politique arabe aux idées européennes, elles ont été récupérées par les nationalistes et mises
au service de l’indépendance du pays. Brimées par les pouvoirs publics sous l’ancien régime,
elles s’expriment au cours de la Révolution du Jasmin et aboutissent à l’adoption de la
Constitution du 27 janvier 2014.
Partagée entre l’aspiration à l’universel et
le repli identitaire, la Constitution du
27 janvier 2014 est un défi pour les constitutionnalistes : elle permet d’envisager le
constitutionnalisme tunisien actuel comme un discours alternatif au constitutionnalisme
global.
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Chapitre 2 Le constitutionnalisme tunisien actuel comme discours alternatif au
constitutionnalisme global
S’il est habituel pour les constitutionnalistes comparatistes d’étudier la convergence des
systèmes constitutionnels, l’objectif de ces développements est de changer de point de vue et
d'échelle d’observation. L’intérêt de la dimension culturelle du droit en Tunisie, transforme la
représentation de la globalisation du droit constitutionnel
1592. En effet, l’observation et l’étude
du droit d’un pays en voie de développement en modifie l'approche, interroge les
manifestations locales du constitutionnalisme et fait de la différence, une partie intégrante des
discours sur le constitutionnalisme global. Comme l’affirme d’ailleurs le Professeur Marie-
Claire PONTHOREAU « [à] l’ère globale, le regard se détourne du Nord où est né le
constitutionnalisme pour scruter le Sud afin d’y voir comment il s’acclimate et interroger les
interactions entre les différents Sud(s).
»1593
Dès lors, au lieu de promouvoir les discours de la constitutionnalisation d’une gouvernance
globale, l’étude de la réalité sociale, politique et constitutionnelle tunisienne conduit le
comparatiste à proposer de nouveaux discours qui promeuvent une approche différenciée de
la globalisation du droit. Développés à partir de l’étude de la Constitution du 27 janvier 2014,
il est question de penser le constitutionnalisme transformateur en Tunisie (Section 1) et
d’envisager l’émergence d’une version originale du constitutionnalisme dans la région : le
constitutionnalisme identitaire (Section 2). Ces discours alternatifs posent en filigrane, la
question de savoir si le cas tunisien est singulier ou s’il peut servir d’exemple régional à
l’émergence d’un ou de nouveaux types de constitutionnalismes. Même s’il s’agit ici de
discours alternatifs au constitutionnalisme global, il ne faut en aucun cas dénaturer ou diluer
les fondements mêmes du constitutionnalisme que sont la limitation du pouvoir et la garantie
de l’autonomie des individus
1594.
1592 G. HALMAI, Perspectives on Global Constitutionalism: The Use of Foreign and International Law, The
Hague, Eleven International Publishing, 2014, 259 p.
1593 M.-C. PONTHOREAU, « “Global Constitutionalism” un discours doctrinal homogénéisant. L’apport du
comparatisme critique », précit., p. 132.
1594 Ibid., p. 134.
373









Page 375
Section 1
Penser le constitutionnalisme transformateur en Tunisie
Selon
le Professeur Gilberto BERCOVICI, « [l]
e mouvement des constitutions
transformatrices commence au début du XX
ème siècle avec la Constitution de l’Inde de 1949 et
s’étend sur des pays de différentes cultures, comme l’Afrique du Sud, le Brésil, le Portugal et
l’Espagne, mais qui possèdent un caractère commun : la position périphérique dans
l’économie mondiale.
»1595 Renvoyant initialement et essentiellement aux expériences sud-
africaine
1596 et latino-américaine1597, les Constitutions qui s’inscrivent dans le mouvement du
constitutionnalisme transformateur naissent généralement dans un contexte marqué par des
inégalités sociales et des institutions corrompues. L’objectif de ces développements est de
définir le constitutionnalisme transformateur et de savoir s’il s’exprimerait actuellement, au
travers des dispositions de la Constitution du 27 janvier 2014 (Paragraphe 1).
Théorisé à partir de
la Constitution sud-africaine de 1996,
le constitutionnalisme
transformateur signifie « une pérennité de la promulgation, de l’interprétation et de
l’application constitutionnelles qui vise (non pas isolément, bien sûr, mais dans un contexte
historique de développements politiques propices) à transformer les institutions politiques et
sociales et les relations de pouvoir d’un pays dans une direction démocratique, participative
et égalitaire. Le constitutionnalisme transformateur induit un changement social à grande
échelle à travers des processus politiques non-violents ancrés dans le droit.
»1598 De manière
plus pragmatique, le constitutionnalisme transformateur se manifeste dans les catalogues de
droits constitutionnels et par la promotion constitutionnelle des acteurs de la démocratie.
En effet, pour qu’une constitution relève du constitutionnalisme transformateur, les
constituants doivent1599 s’attacher à promouvoir les droits économiques, sociaux et culturels,
afin de changer en profondeur, les structures économiques et sociales de leur pays. Par
1595 G. BERCOVICI, « La Constitution brésilienne de 1988, les Constitutions transformatrices et le nouveau
constitutionnalisme latino-américain »,
in C.-M. HERRERA (dir.), Le constitutionnalisme latino-américain
aujourd’hui : entre renouveau juridique et essor démocratique ?, op.cit.
, p. 117.
1596 Le terme de constitutionnalisme transformateur a été employé pour la première fois en 1997 par
K. E. KLARE, pour évoquer la seule expérience sud-africaine. Cf. K. E. KLARE, “Legal Culture and
Transformative Constitutionnalism”, South African Journal on Human Rights, vol. 14, p. 146.
1597 Pour une analyse plus détaillée des constitutions transformatrices évoquées par le Professeur Gilberto
BERCOVICI, cf. le A. du Paragraphe 1 qui suit.
1598 K. E. KLARE, “Legal Culture and Transformative Constitutionnalism”, précit., p. 150.
1599 Dans les catalogues de droits constitutionnels.
374






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ailleurs, ils tendent à placer le peuple et le pouvoir juridictionnel, au cœur des nouvelles
institutions
1600.
Initiateurs des révolutions du Printemps arabe, les Tunisiens ont pensé que leur Constitution
pouvait être un modèle pour les autres pays arabes d’Afrique du Nord et du Proche-Orient.
Ainsi, la démonstration suivante s’appuie-t-elle sur le cas tunisien et s'interroge-t-elle sur sa
potentielle généralisation aux pays arabes secoués par la vague révolutionnaire de 2010-2011.
L’étude de la Constitution du 27 janvier 2014 conduit à identifier les caractéristiques de ce
nouveau type de constitutionnalisme en Tunisie. D’une part, la révolution témoigne de la
volonté des Tunisiens de changer de politique sociale et économique. Ils élaborent un riche
catalogue de droits constitutionnels
1601 afin d'atteindre la justice sociale. D’autre part, en se
réappropriant la souveraineté, les Tunisiens se replacent au cœur des institutions : ils
promeuvent de nouveaux acteurs de la démocratie à l’instar des juges
1602 et des mécanismes
de démocratie directe et participative
1603. Si les traits saillants du constitutionnalisme
transformateur sont caractérisés en Tunisie, le constitutionnalisme tunisien actuel traduit-il un
nouveau modèle de droit constitutionnel (Paragraphe 2) ? Il est certainement nouveau par
rapport à la propre histoire du constitutionnalisme en Tunisie mais il l’est encore plus dans
une perspective globale, voire régionale.
Paragraphe 1
La caractérisation du constitutionnalisme transformateur en
Tunisie
Afin de pouvoir définir le constitutionnalisme transformateur en Tunisie, il importe d’aborder
ses manifestations et ses éléments d’identification (A), pour ensuite évoquer son expression
tunisienne (B).
1600 M.-C. PONTHOREAU, « “Global Constitutionalism” un discours doctrinal homogénéisant. L’apport du
comparatisme critique », précit., p. 133.
1601 Qu’ils soient civils et politiques ou économiques, sociaux et culturels.
1602 Cf. le Chapitre 2 du Titre II de cette PARTIE relatif au parachèvement du constitutionnalisme tunisien : la
mise en place de la Cour constitutionnelle, p. 509.
1603 Pour plus de précisions, cf. le B. du Paragraphe 1 qui suit relatif à l’expression tunisienne du
constitutionnalisme transformateur, p. 382.
375









Page 377
A.
Les éléments d’identification du constitutionnalisme transformateur
A ce stade de la réflexion, il s’agit d’identifier les différentes manifestations du
constitutionnalisme transformateur et de savoir quelles en sont les composantes essentielles.
Selon le Professeur Gilberto BERCOVICI, le mouvement des constitutions transformatrices
(indienne, sud-africaine, brésilienne, portugaise et espagnole1604) débute au XXème siècle. Il
est intéressant d’étudier l’expression de ce constitutionnalisme au travers de ces dernières
pour déterminer si la Constitution du 27 janvier 2014 s’inscrit dans le mouvement des
constitutions transformatrices.
La Constitution indienne de 1949 est célèbre pour être une constitution de la décolonisation,
dans le sens où elle scelle la libération de l’Inde de l’occupation coloniale et réaffirme la
souveraineté du peuple sur son territoire. Elle mériterait également d'être reconnue sur le plan
économique et social : conçue comme un plan de transformation de la société, elle a offert à
l’Etat les moyens nécessaires
1605 à la rénovation des structures sociales et économiques dans
lesquelles les Indiens vivaient
1606. Cette conception de la constitution comme plan de
transformation sociale a été reprise par d’autres constitutions : au Portugal en 1976, en
Espagne en 1978.
Œuvre du mouvement révolutionnaire qui a renversé le régime fasciste portugais le 25 avril
1974, la Constitution de 1976 proclame l’objectif de la République d’ « assurer la transition
au socialisme » (article 2). En d'autres termes, l’Etat est « voué à la socialisation des moyens
de production et richesse, à abolir l’exploitation de l’homme par l’homme (art. 9C), et [à]
l’appropriation collective des moyens de production
soutenir
importants
(art. 10.2).
»1607 Les Constitutions indienne et portugaise visent à inclure les secteurs
les plus
défavorisés dans l’ordre social. Elles constituent un programme d’actions pour transformer en
profondeur les institutions politiques, économiques et sociales de leurs pays
1608. La
1604 G. BERCOVICI, « La Constitution brésilienne de 1988, les Constitutions transformatrices et le nouveau
constitutionnalisme latino-américain », précit., p. 117.
1605 Prévus à la Partie III de la Constitution de 1949 relative aux droits fondamentaux et à la Partie IV, aux
articles 36 à 51 qui concernent les « Principes directeurs de la politique de l’Etat ». Ces principes directeurs
sont bien mis en avant aux articles 38 et 39 de la Constitution.
1606 G. BERCOVICI, « La Constitution brésilienne de 1988, les Constitutions transformatrices et le nouveau
constitutionnalisme latino-américain », précit., p. 117.
1607 Ibid., p. 118.
1608 C.-M. HERRERA, « Constitutionnalisme social et populisme constitutionnel en Amérique latine », in
C.-M. HERRERA (dir.), Le constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui : entre renouveau juridique
et essor démocratique ?, op.cit.,
p. 83.
376





Page 378
Constitution espagnole de 1978 ne propose pas un programme de transition vers le socialisme
mais un programme plus vaste « de politiques d’inclusion et de distribution
sociales.
»1609 Programme pour l’avenir, le modèle ibérique fournit des lignes d’action
politique à l’Etat. Le rôle de la constitution dépasse d’ailleurs la simple limitation du pouvoir
ou
la garantie des droits et
libertés fondamentaux des citoyens. Elle accentue
l’interdépendance entre l’Etat et la société : des normes et des principes constitutionnels à
contenu social et économique sont adoptés. En intervenant dans les domaines sociaux et
économiques, l’Etat entraîne une série d’évolutions sociétales importantes
1610.
L’exigence de transformation profonde de la société se trouve d’ailleurs dans des clauses
constitutionnelles qui fixent des objectifs à l’Etat. Il en est ainsi de l’article 2 de la
Constitution espagnole de 1978 et des « Principes directeurs de la politique de l’Etat » de la
Constitution indienne de 1949. Dans ces deux pays, l’Etat est obligé de soutenir la
transformation des structures économiques et sociales et de promouvoir les moyens de
garantir une existence digne et une justice sociale à tous. Depuis quand, comment mais
surtout pourquoi l’Etat est tenu de répondre à ces obligations ?
L’adoption de normes constitutionnelles à contenu économique et social se développe en
Europe dans la période d’entre-deux-guerres. « En effet, la constitutionnalisation de ce qui
était considéré jusqu’alors, et dans le meilleur des cas, comme des “politiques sociales” – qui
se répandaient dans les Etats européens depuis l’Allemagne de Bismarck -, donne à ces
interventions dans le domaine social et économique une dimension politique spécifique, de
caractère normatif, entraînant une série d’évolutions importantes.
»1611 Afin de modifier le
régime social existant et d’intégrer les secteurs défavorisés dans l’ordre social, le principe de
justice ou d’égalité sociale est constitutionnellement consacré. Ce principe doit garantir une
vie digne à l’Homme. Il amène par conséquent à la reconnaissance d’un ensemble de droits
sociaux
1612 qui nécessitent une intervention de l’Etat en matière économique1613.
1609 Ibid., p. 120.
1610 Ibid., p. 83.
1611 Ibid.
1612 A l’instar du droit au travail, du droit au logement, du droit à la santé, du droit à l’éducation, du droit aux
assurances sociales, du droit à la subsistance, «
et un ensemble de droits des travailleurs, ainsi que des
garanties spéciales, en particulier en matière d’association syndicale.
» C.-M. HERRERA, « Comment le
social vient au constitutionnalisme. Entre Etat et droits », in C.-M. HERRERA (dir.), La Constitution de
Weimar et la pensée juridique française,
Paris, Kimé, 2011, p. 31.
1613 L’intervention étatique se manifeste notamment par la planification, la nationalisation, des réformes agraires
ou et/de socialisation des moyens de production. Le Professeur Carlos Miguel HERRERA précise que le
constitutionnalisme social pousse également à « la limitation de la propriété privée par sa fonction sociale,
377




Page 379
Le modèle allemand et ibérique de constitution est importé en Amérique latine1614 et se
manifeste notamment dans la Constitution brésilienne de 1988
1615. Certains auteurs excluent
le processus constituant et la Constitution du Brésil de 1988 du mouvement des constitutions
transformatrices de l’Amérique latine. « D’après ces auteurs, même si la Constitution
brésilienne a devancé l’ordre typique du nouveau constitutionnalisme latino-américain
(environnement, reconnaissance et protection des droits des aborigènes, etc.), le fait même
que cette constitution dérive d’une transition accordée, qu’elle soit ensuite élaborée par un
Congrès et pas par une Assemblée constituante exclusive, ne permet pas que le texte de 1988
soit considéré comme le point de départ du nouveau constitutionnalisme latino-américain, qui
serait plutôt l’œuvre de la Constitution colombienne de 1991, suivie par les Constitutions du
Venezuela en 1999, de l’Equateur en 2008, et de la Bolivie en 2009.
»1616
L’article 3 de la Constitution brésilienne rejoint cependant les articles 2 de la Constitution
espagnole et les « Principes directeurs de la politique de l’Etat » de la Constitution indienne,
en présentant « un programme de transformations économiques et sociales à partir d’une
série de principes de politique sociale et économique que
l’Etat brésilien doit
poursuivre.
»1617 La réalité sociale est donc prise en compte par le droit constitutionnel qui
fixe dans le même temps des objectifs à l’Etat. Ce dernier doit par tous les moyens légaux
disponibles, transformer la société, c'est-à-dire lutter contre le sous-développement et les
inégalités sociales. Qualifiées de clauses transformatrices par le Professeur Gilberto
BERCOVICI
1618, ces dispositions constitutionnelles soulignent l’écart entre les injustices
sociales et le besoin de les éliminer. L’Etat est constitutionnellement tenu de promouvoir des
moyens qui réalisent de manière progressive et dynamique, une existence digne à tous. Cette
qui peut aller jusqu’à l’expropriation ou la socialisation », C.-M. HERRERA, « Comment le social vient
au constitutionnalisme. Entre Etat et droits », précit., p. 31.
1614 Il est intéressant de relever que la Constitution mexicaine de 1917 développe, avant la Constitution
allemande de Weimar, le dispositif originaire du constitutionnalisme social. Elle proclame les droits sacrés
des ouvriers et les fait reposer sur le principe de justice sociale. Pour plus de précisions sur ce point cf. C.-
M. HERRERA, « Constitutionnalisme social et populisme constitutionnel en Amérique latine »,
précit.,
p. 84. Contrairement à la Constitution mexicaine de 1917, les Constitutions des Etats latino-américains
d’entre-deux-guerres n’étaient pas disposées à méconnaître l’ordre social existant. Elles étaient plutôt
considérées comme des projets de modernisation économique et institutionnelle véhiculés par les élites
bourgeoises de ces pays.
1615 A l’instar de la Constitution espagnole de 1978, la Constitution brésilienne de 1988 propose un vaste
programme de politiques d’inclusion et de distribution sociales. La Constitution brésilienne fait d’ailleurs
partie du processus de reconstitutionnalisation de l’Amérique latine qui débute dans les années 1980.
1616 G. BERCOVICI, « La Constitution brésilienne de 1988, les Constitutions transformatrices et le nouveau
constitutionnalisme latino-américain », précit., p. 117.
1617 Ibid., p. 120.
1618 Ibid.
378



Page 380
conception de la Constitution et de l’Etat verra le jour en Afrique du Sud quelques années
plus tard, en 1996
1619, pour rompre définitivement avec la politique de l’apartheid1620.
Le seul exposé des différentes expressions constitutionnelles du constitutionnalisme
transformateur ne le définit pas complètement. Il est donc important de compléter les
manifestations constitutionnelles sus-évoquées du constitutionnalisme transformateur par ses
composantes essentielles.
Le caractère transformateur du constitutionnalisme est généralement identifié à partir d’ « une
large reconnaissance des droits, y compris des droits sociaux et collectifs
1621, avec des
leur effective réalisation
1622, d’une part, et un
instruments de garanties assurant
élargissement, sinon un approfondissement, des mécanismes de participation démocratique,
d’autre part.
»1623 Le développement des mécanismes de participation démocratique est au
fondement de ce nouveau type de constitutionnalisme. La notion de pouvoir constituant
originaire retrouve d’ailleurs sa place centrale dans le droit constitutionnel : elle fonde une
conception participative de la démocratie. Conçue comme « mandat direct du pouvoir
constituant
»1624, la constitution a alors deux fonctions : exprimer la volonté populaire de
configurer et de limiter l’Etat
1625 et prédéterminer les possibilités des pouvoirs constitués de
réviser la constitution
1626. Elle incarne donc « la juridisation des décisions politiques
1619 Surtout dans la Déclaration des droits, aux articles 7 à 39.
1620 Afin de lutter contre les inégalités et la pauvreté, la Constitution sud-africaine cherche à corriger les erreurs
du passé en rénovant l’ordre économique et social.
1621 Les droits sociaux prévus par la Constitution du 27 janvier 2014 sont exposés et analysés au sein du A. du
Paragraphe 2 qui suit.
1622 Sur la garantie juridictionnelle des droits et libertés des Tunisiens cf. le Chapitre 2 du Titre II de cette
PARTIE, relatif au
parachèvement du constitutionnalisme tunisien : la mise en place de la Cour
constitutionnelle,
p. 509509.
1623 C.-M. HERRERA, « La question du constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui », in C.-M.
HERRERA (dir.), Le constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui : entre renouveau juridique et essor
démocratique ?, op.cit.,
p. 9
1624 R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Se puede hablar de un nuevo consitutionalismo
latinoamericano como corriente doctrinal sistematizada ? », http://www.juridicas.unam.mx/wccl/ponen
cias/13/245.pdf, p. 4.
1625 Dans la conception traditionnelle du constitutionnalisme, la Constitution doit être rigide, garantie par une
juridiction constitutionnelle, avoir une force obligatoire, être interprétée, appliquée et avoir une influence
sur les rapports politiques. Le
constitutionnalisme transformateur insiste certes sur les éléments
traditionnels de définition de la constitution et sur ses fonctions de limitation des pouvoirs et de garantie
des droits constitutionnels mais il cherche surtout à penser la constitution comme expression directe de la
souveraineté du peuple. Pour plus de précisions, cf. R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU,
« Aspects généraux du nouveau constitutionnalisme latino-américain », in C.-M. HERRERA (dir.), Le
constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui : entre renouveau juridique et essor démocratique ?,
op.cit.,
pp. 30-31.
1626 Ibid., pp. 42-43. Voir également G. BERCOVICI, « La Constitution brésilienne de 1988, les Constitutions
transformatrices et le nouveau constitutionnalisme latino-américain »,
précit., p. 122. Pour ce qui est du cas
379




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fondamentales adoptées par la souveraineté populaire, le lien entre politique et droit, et le
mécanisme de légitimation démocratique de celui-ci.
»1627 L’ordre juridique posé par la
constitution est par conséquent, imprégné de normes constitutionnelles qui véhiculent en
permanence la volonté constituante. Du fait de sa légitimité démocratique, la constitution
retrouve sa centralité dans l’ordre juridique : son application et interprétation fortifient
d’ailleurs sa présence déterminante.
Cette nouvelle conception de la constitution impacte nécessairement celle de l’Etat. A partir
des années 1970, les nouvelles constitutions ne se limitent plus à établir des catalogues de
droits, des compétences et des pouvoirs séparés. Elles contiennent désormais des normes et
des clauses
1628 qui conditionnement le rôle de l’Etat en lui imposant des objectifs de
transformation de la société
1629. L’Etat doit constamment et de manière diligente, réaliser des
prestations qui assurent aux individus une vie digne. D’ailleurs, le contraste qu’il existe entre
la réalité sociale injuste et le besoin de l’éliminer rappelle constamment à l’Etat la nécessité
de soutenir la transformation de la structure économique et sociale.
Par ailleurs, « [s]i l’Etat-nation était fondé sur l’idée d’homogénéité sociale, la nouvelle
organisation serait érigée sur le principe d’hétérogénéité sociale.
»1630 Autrement dit, dans le
constitutionnalisme traditionnel
1631, l’Etat était conçu par les élites pour créer une société
homogène et une organisation étatique centralisé. Dans le constitutionnalisme transformateur,
les institutions étatiques sont cette fois créées par les classes populaires, afin d’être au plus
près des réalités territoriales, économiques et sociales. Il en est ainsi du constitutionnalisme en
spécifique de la Tunisie voir C.-E. SENAC, « Les limites au pouvoir de révision de la nouvelle Constitution
tunisienne », in Revue générale du droit, 2014, n° 14739, [en ligne], [consulté le 15 octobre 2020],
www.revuegeneraledudroit.eu/?p=14739.
1627 R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Aspects généraux du nouveau constitutionnalisme
latino-américain », précit., p. 30.
1628 A l’instar de l’article 2 de la Constitution espagnole de 1978, des « Principes directeurs de la politique de
l’Etat » de la Constitution indienne de 1949 et, de l’article 3 la Constitution brésilienne de 1988.
1629 R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Aspects généraux du nouveau constitutionnalisme
latino-américain », précit., pp. 31-32.
1630 C.-M. HERRERA, « La question du constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui », précit., p. 13.
1631 Conçu comme un courant idéologique, ce constitutionnalisme « démarrerait, comme il est bien connu, par
le radicalisme démocratique, se réaliserait ensuite pendant les révolutions libérales de la fin du XVIII
ème
siècle, et évoluerait enfin jusqu’aux constitutions de l’Etat de droit démocratique et social […] étayé par le
positivisme, qui a commencé avec le revirement conservateur du nouveau venu constitutionnalisme
révolutionnaire et a été prorogé jusqu’aux premières constitutions démocratiques durant la deuxième
décennie du XX
ème siècle. » R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Aspects généraux du
nouveau constitutionnalisme latino-américain »,
précit., p. 31.
380




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Tunisie : alors que l’Etat était conçu par les hommes d’Etat1632 pour assurer la souveraineté et
l’indépendance de la Tunisie
1633, les institutions actuelles sont créées et voulues par les
Tunisiens. Seulement et contrairement au contexte dans lequel est né le constitutionnalisme
social en Allemagne, la réalité sociale et économique de la Tunisie postrévolutionnaire est
beaucoup plus complexe. Si l’Etat est tenu d’intervenir dans l’économie, il doit également
lutter contre la corruption mais surtout surmonter le chômage et le sous-développement
1634. Si
son rôle est beaucoup plus profond, son domaine d’action est plus ample que celui des Etats
européens.
La prise en compte du pluralisme et de la diversité sociale par l’Etat implique par ailleurs de
reconnaître constitutionnellement les différentes composantes du corps social, telles que les
groupes vulnérables des femmes, des enfants, des jeunes, des handicapés et des personnes
âgées. Il est également fondamental que la constitution consacre la diversité économique du
pays, ce qui implique d’accorder aux citoyens et non seulement à l’Etat, un rôle actif dans la
société. Ce rôle des citoyens serait favorisé par la mise en œuvre de différents types de
démocratie : représentative, participative, délibérative ou référendaire. Ce nouveau type de
constitutionnalisme cherche finalement à résoudre les problèmes liés à l’inégalité sociale et
donne aux citoyens la possibilité de contrôler le pouvoir et de prendre leur destin en main.
Afin d’assurer ce contrôle, il faut que le contenu du texte constitutionnel soit en accord avec
ses fondements démocratiques dans le sens où « il doit générer des mécanismes pour la
participation politique directe des citoyens.
»1635 Né de luttes sociales1636 importantes, ce
nouveau type de constitutionnalisme replace le peuple au centre de la réflexion sur la
constitution et la constitution, au centre de la réflexion sur le constitutionnalisme.
1632 Les Beys et les ministres réformateurs dans un premier temps. Les présidents tels que BOURGUIBA et
BEN ALI dans un deuxième temps.
1633 Par rapport à l’Empire ottoman, puis la France.
1634 Pour une analyse détaillée de la situation économique actuelle de la Tunisie cf. S. ZERELLI, « Que Dieu
sauve l’économie de la Tunisie ! »,
Kapitalis [en ligne], publié le vendredi 27 décembre 2019, [consulté le
10 février 2020], http://kapitalis.com/tunisie/2019/12/27/que-dieu-sauve-leconomie-de-la-tunisie/. Voir
également la synthèse de l’Etude économique de l’
Organisation de Coopération et de Développement
Economique
(OCDE) de mars 2018 sur la Tunisie. Cette étude a été effectuée par le Comité d’examen des
situations économiques et des problèmes de développement le 15 janvier 2018, avec la participation des
représentants du gouvernement tunisien. Publiée par le Secrétaire général de l’
OCDE, elle est disponible à
l’adresse
suivante : http://www.oecd.org/fr/economie/etudes/Tunisia-2018-OCDE-etudes-economiques-
synthese.pdf. En 2019, l’
OCDE a émis deux documents relatifs aux priorités de réformes (juillet 2019) et
aux perspectives économiques (novembre 2019). Ces deux documents sont disponibles à l’adresse
suivante : http://www.oecd.org/fr/economie/tunisie-en-un-coup-d-oeil/.
1635 R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Aspects généraux du nouveau constitutionnalisme
latino-américain », précit., pp. 33-34.
1636 Le plus souvent révolutionnaires.
381




Page 383
Afin de savoir si la Constitution tunisienne de 2014 fait partie du mouvement des
constitutions transformatrices, il est maintenant nécessaire d’étudier les composantes du
constitutionnalisme transformateur à l’aune du texte constitutionnel du 27 janvier 20141637.
B.
L’expression tunisienne du constitutionnalisme transformateur
La Constitution de la Deuxième République prend en compte la diversité économique et
sociale des Tunisiens. En effet, « outre les droits civils et politiques, on retrouve les droits
économiques et sociaux (parmi lesquels le droit au travail : art. 40), les droits de troisième
génération (tels que les droits collectifs : de la femme, art. 46 ; des enfants, art. 47 ; des
personnes handicapées, art. 48) et les nouveaux droits, concernant la protection de
l’environnement ou les nouvelles technologies (droit à l’eau, art. 44 ; à un environnement
sain et équilibré, art. 45 ; à la protection des données personnelles, art. 24).
»1638 La
Constitution reconnaît les différentes composantes du corps social à l’instar des personnes
vulnérables
1639 et consacre les conditions nécessaires à une vie digne1640. En vertu de
l’alinéa 2 de l’article 21 de la Constitution, ces conditions sont de la responsabilité de l’Etat
qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs.
Ce rôle crucial de l’Etat « doit être analysé en relation avec les raisons des émeutes qui ont
mis fin au précédent régime autoritaire.
»1641 La Constitution du 27 janvier 2014 prend en
compte les revendications économiques et sociales des révolutionnaires et fixe à l’Etat
l’objectif de réaliser la justice sociale. L’Etat doit donc, par tous les moyens légaux
disponibles
1642, transformer la société telle qu’elle existait au moment de l’élaboration de la
1637 Les composantes essentielles du constitutionnalisme transformateur peuvent être regroupées et résumées
par quatre éléments : 1. La conception de la constitution comme plan de transformation de la société,
2. L’existence de normes et de principes constitutionnels à contenu social qui fixent des objectifs à l’Etat,
3. La présence constitutionnelle de droits sociaux et collectifs et, 4. La participation des citoyens aux
instances du pouvoir par le biais des mécanismes de démocratie directe ou/et participative.
1638 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
pp. 18-19.
1639 Tels que les femmes, les enfants, les jeunes, les personnes handicapées et âgées. Pour plus de précisions,
cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 2 du TITRE II de la PARTIE I de cette thèse, relatif à
la consécration de la plupart des droits découlant de la liberté, p. 268.
1640 C’est l’exemple de la constitutionnalisation du droit à la santé, à la couverture sociale et au travail. Cf. le A.
du Paragraphe 2 qui suit.
1641 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
pp. 19-20.
1642 C’est l’exemple de l’article 38 de la Constitution qui proclame que « [t]out être humain a droit à la santé ».
Cet article met à la charge de l’Etat l’obligation de garantir la prévention et les soins de santé au citoyen. Il
382






Page 384
Constitution. Les articles 21, 38 et 40 de la Constitution tunisienne de 2014 rejoignent ainsi
l’article 2 de la Constitution espagnole de 1978, les « Principes directeurs de la politique de
l’Etat » de la Constitution indienne de 1949 et l’article 3 la Constitution brésilienne de 1988.
La Constitution du 27 janvier 2014 est donc conçue comme un plan de transformation sociale
puisqu’elle inclut les secteurs défavorisés de la société et qu’elle sert de programme d’action à
l’Etat.
De plus, la restriction des droits et des libertés fondamentaux – qu’ils soient civils et
politiques ou économiques, sociaux et culturels – ne peut en aucun cas porter atteinte à leur
essence. La clause générale de limitation prévue à l’article 49 de la Constitution, définit un
noyau essentiel de droits inviolables. Elle dispose d’une part que dans un Etat « civil » et
démocratique, les restrictions visant à sauvegarder les droits d’autrui, la défense nationale, la
sûreté, la santé ou la morale publique, ne peuvent être déterminées que par la loi. Elles
doivent par ailleurs, respecter le principe de la proportionnalité des restrictions par rapport à
l’objectif poursuivi
1643. L’article 49 prévoit d’autre part que les instances juridictionnelles
assurent la protection des droits et libertés contre toute violation et qu’aucune révision ne peut
porter atteinte aux acquis en matière de droits de l’Homme et de libertés garanties par la
Constitution. Ces acquis font partie des clauses immuables ou non révisables de la
Constitution du 27 janvier 2014
1644.
Toutes ces dispositions sont rendues possibles par l’article 102 de la Constitution, selon lequel
le «
pouvoir juridictionnel »1645 assure la suprématie de la Constitution et la protection des
droits et libertés. De plus, une Cour constitutionnelle est prévue à la Section II du Chapitre V
de la Constitution aux articles 118 à 124
1646. Conformément au modèle européen de justice
constitutionnelle, elle exerce un contrôle concentré de la constitutionnalité des lois
1647. Dans
assure « les moyens nécessaires à la sécurité et à la qualité des services de santé » et garantit « la gratuité
des soins pour les personnes sans soutien ou ne disposant pas de ressources suffisantes.
» L’article 40 de la
Constitution précise quant à lui que l’Etat prend les mesures nécessaires pour garantir le droit au travail sur
la base du mérite et de l’équité. Pour plus de précisions sur ce point cf. le A. du Paragraphe 2 qui suit.
1643 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
p. 19.
1644 C.-E. SENAC, « Les limites au pouvoir de révision de la nouvelle Constitution tunisienne », in Revue
2020],
[consulté
octobre
14739,
ligne],
[en
15

le
générale
droit,
www.revuegeneraledudroit.eu/?p=14739.
2014,
du
1645 Dénommé ainsi par le Chapitre V de la Constitution du 27 janvier 2014.
1646 Cf. le Chapitre 2 du Titre II de cette partie, relatif au parachèvement du constitutionnalisme tunisien : la
mise en place de la Cour constitutionnelle, p. 509.
1647 Les dispositions transitoires du Chapitre X précisent au paragraphe 7 de l’article 148 la création par l’ANC,
au cours des trois mois qui suivent la promulgation de la Constitution, d’une instance provisoire chargée du
383




Page 385
l’attente de sa mise en place, des instances nationales1648 ont été prévues. Toutefois, sans Cour
constitutionnelle, il est difficile de parler d’effectivité complète du constitutionnalisme en
Tunisie. La lecture du texte constitutionnel conduit pourtant à penser que le pouvoir
juridictionnel est un des acteurs de la démocratie en Tunisie.
Bien que la culture constitutionnelle en Tunisie ait besoin d’être consolidée, l’idée de
constitution fait partie du patrimoine historique et constitutionnel du pays et a été l’une des
revendications révolutionnaires des Tunisiens. La Constitution du 27 janvier 2014 est conçue
par et pour le peuple. Les élections constituantes du 23 octobre 2011 ont été les premières
élections démocratiques libres du pays et l’ANC, la première assemblée représentant les
gouvernés. Le pouvoir constituant originaire a même prévu des limites aux pouvoirs
constituants dérivés
1649.
Prévue au Chapitre XIII de la Constitution, la procédure de révision est spécifique1650. Dès la
phase de l’initiative, elle se différencie de la procédure législative ordinaire puisqu’elle est
exclusivement confiée au président de la République ou au tiers des membres de l’ARP
(article 143 de la Constitution)
1651. L’article 144 précise d’ailleurs que « [t]oute initiative de
révision de la Constitution est soumise, par le Président de l’Assemblée des représentants du
peuple, à la Cour constitutionnelle, pour dire que la révision ne concerne pas ce qui, d’après
les termes de la présente Constitution, ne peut faire l’objet de révision.
»1652 La procédure de
révision de la Constitution est donc particulièrement soucieuse de respecter la volonté du
constituant originaire. Celle-ci s’exprime aux articles 1, 2, 49 et 75
1653 qui ne peuvent faire
l’objet d’aucune révision. Les dispositions immuables des constitutions
1654 « identifient le
contrôle de constitutionnalité des projets de loi. Cette instance provisoire est créée par la loi organique
n° 2014-14 du 18 avril 2014 et prend fin dès la mise en place de la Cour constitutionnelle. L’instance
provisoire exerce seule le contrôle de constitutionnalité des lois. Ce contrôle est concentré.
1648 Les instances constitutionnelles indépendantes du Chapitre VI de la Constitution, articles 125 à 130.
1649 C.-E. SENAC, « Les limites au pouvoir de révision de la nouvelle Constitution tunisienne », in Revue
2020],
[consulté
octobre
14739,
ligne],
[en
15
le
droit,
générale
www.revuegeneraledudroit.eu/?p=14739.
2014,
du

1650 Articles 143 et 144.
1651 En vertu de l’article 62 de la Constitution : « L’initiative des lois est exercée par des propositions de loi
émanant de dix députés au moins ou par des projets de loi émanant du Président de la République ou du
Chef du Gouvernement.
» Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution
du 27 janvier 2014, article 62, premier alinéa.

1652 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 144, premier alinéa.
1653 Ces articles concernent respectivement la forme de l’Etat, les droits et libertés fondamentaux garantis par la
Constitution, la durée du mandat présidentiel et son nombre.
1654 M. TROPER, « L’identité constitutionnelle », précit., pp. 123-131 et G.-J. JACOBSON, “The formation of
constitutional identities”, précit., pp. 129-142.
384




Page 386
noyau dur du système constitutionnel, qui, au nom de l’identité elle-même, doit être préservé
de toute modification, y compris celles réalisées à travers la procédure prévue pour la
révision constitutionnelle.
»1655 En d'autres termes, la révision de la Constitution est possible
mais elle ne peut changer qu’en restant fidèle à la structure du système constitutionnel et aux
aspirations des constituants originaires
1656. C'est
l’une des caractéristiques du
constitutionnalisme transformateur. D’ailleurs, afin de s’assurer du bien-fondé de la révision
constitutionnelle envisagée, la proposition de révision est examinée à la majorité absolue et la
révision n’est adoptée qu’à la majorité des deux tiers de l’
ARP1657.
En plus d’avoir constitutionnalisé une procédure de révision spécifique, les Tunisiens ont
prévu «
des mécanismes de légitimité et de contrôle sur le pouvoir constitué. »1658 Ces
derniers mécanismes expriment «
de nouvelles formes de participation obligatoires »1659 qui
actualisent sans cesse l’expression de la volonté des constituants originaires. Pour rappel, la
structure ouverte de la Constitution du 27 janvier 2014 a été favorisée par le caractère
participatif du processus constituant. Ce type de processus est celui « dans lequel la
constitution est le produit d’une écriture qui prend en considération les aspects politiques et
le contexte juridique, faisant appel à la participation de la société civile. Dans cette
hypothèse, la constitution est le résultat d’un processus intégré et plus long, où la création
aboutit à une construction graduelle du texte par une multiplication des formes de
1655 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
p. 14. La jurisprudence de la Cour suprême de l’Inde sur l’identité constitutionnelle est particulièrement
remarquable. Elle pose les limites à la révision constitutionnelle au nom de la “
basic structure of the
Constitution
”. Voir sur ce point, l’arrêt Kesavananda Bharati Sripadagalvaru and Ors. v. State of Kerala
and Anr., 1973 4 SCC 225 : “though the power to amend cannot be narrowly construed and extends to all
the Articles it is not unlimited so as to include the power to abrogate or change the identity of the
Constitution or its basic features.
” Le fait que l’identité constitutionnelle plonge ses racines dans le passé
est indiqué dans la décision
Minerva Mills Ltd. & Ors. vs Union of India & Ors. 1980 SCC (3) 625 : “But,
the Constitution is a precious heritage; therefore, you cannot destroy its identity.

1656 Sur ce point, voir R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Aspects généraux du nouveau
constitutionnalisme latino-américain »,
précit., pp. 42-43 et G. BERCOVICI, « La Constitution brésilienne
de 1988, les Constitutions transformatrices et le nouveau constitutionnalisme latino-américain »,
précit.,
p. 122.
1657 « En dépit de cette adoption, le Président de la République peut soumettre la révision à un referendum
(après le vote favorable des deux tiers des composants de l’ARP, art. 144, § 3) : dans ce cas, la révision est
adoptée si elle obtient le vote de la moitié des votants. » T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014
dans le cadre du “constitutionnalisme global” »,
précit., p. 18.
1658 R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Aspects généraux du nouveau constitutionnalisme
latino-américain », précit., p. 42.
1659 Ibid.
385



Page 387
participation et des échanges entre les constituants et la société civile, les associations et les
groupes de pression.
»1660
Le règlement intérieur de l’ANC du 20 janvier 2012 prévoyait que le Bureau de l’Assemblée
charge un assesseur auprès du Président qui s’occuperait des relations avec la société
civile
1661. Une rubrique sur le site web de l’ANC et une adresse électronique1662 étaient mises
à disposition de la société civile : les citoyens pouvaient formuler par mail des observations
sur les travaux des commissions constituantes et sur les évènements qu’elles organisaient.
L’un d’eux appelait les Tunisiens à participer aux travaux de l’ANC
1663. Supervisés par les
bureaux des commissions constituantes, six ateliers avaient été organisés les 14 et 15
septembre 2012
1664. A la suite des deux journées de participation citoyenne, les six
commissions constituantes ont élaboré des rapports qu’elles ont intégrés aux travaux et débats
constituants.
Le 16 septembre 2012, deux autres conférences nationales1665 ont été organisées : « la
première a eu lieu à la Faculté de droit de Tunis et a rassemblé les étudiants du nord et la
deuxième à la Faculté des Sciences de Sfax et a réuni les étudiants du centre et du sud, et ce,
1660 X. PHILIPPE, « Tours et contours des transitions constitutionnelles … Essai de typologie des
transitions », précit., p. 21.
1661 B. ABDELKAFI, « L’Assemblée nationale constituante et la société civile : Quelle relation ? » précit.,
pp. 139-147. Voir également J. BEN MBAREK, « Processus constitutionnel et société civile : de la
négation à l’acceptation ? »,
précit., pp. 263-270.
1662 L’adresse mail est la suivante : rsc@anc.tn.
1663 Les deux journées du 14 et du 15 septembre 2012 étaient placées sous le slogan « Pour une rédaction
participative de la Constitution
». Organisées avec le PNUD, elles avaient pour objectif de permettre aux
citoyens de s’exprimer sur la première version de Constitution. Pour y participer, les organisations et
associations de la société civile devaient remplir un formulaire disponible sur le site web de l’ANC. Des
Organisations Non Gouvernementales à l’instar d’AL BAWSALA, de HUMAN RIGHTS WATCH, du
Centre Carter, de DEMOCRACY REPORTING INTERNATIONAL, de NATIONAL DEMOCRATIC
INSTITUTE avaient été conviées.
1664 Trois ateliers avaient été prévus pour le 14 septembre et trois autres pour le 15. « Bien que le taux de
participation ait été élevé dans tous les ateliers, il semblait clair que l’atelier sur les droits et libertés et
l’atelier sur le préambule et les principes généraux aient été suivis par près d’une centaine de personnes
chacun. Les salles allouées à l’événement peinaient à contenir tous les participants. La volonté
d’influencer la rédaction des principes généraux qui symbolisent les fondements, la philosophie et la vision
générale de la nouvelle Constitution, ainsi que les droits et libertés qui garantissent le non-retour de la
tyrannie et l’instauration d’un État civil, d’un Etat de droit et des libertés publiques et individuelles
explique probablement l’engouement à participer à ces ateliers plutôt qu’aux autres. De plus, la crainte
que les droits fondamentaux ne soient pas expressément consacrés ni les garanties clairement prévues de
manière à assurer le respect des libertés de certains et à bafouer l’identité et les référents des autres peut
aussi expliquer cette participation massive. » B. ABDELKAFI, « L’Assemblée nationale constituante et la
société civile : Quelle relation ? »,
précit., p. 142.
1665 Afin de participer aux consultations nationales, les Tunisiens devaient remplir un formulaire disponible sur
le site web de l’ANC. La seule condition requise était de présenter sa carte d’identité le jour de la
manifestation. La promotion de l’évènement s’est faite par les médias et le site de l’ANC.
386




Page 388
en coordination avec le Ministère de l’Enseignement supérieur. »1666 Ces deux conférences
avaient pour objectif de consulter les étudiants et d’entendre leurs revendications. A Tunis,
elles ont recensé plus de quatre mille personnes. Publié sur le site web de l’ANC, le rapport
général des consultations nationales a permis aux 217 élus de prendre en compte les
revendications citoyennes
1667.
La société civile a également pu suivre les séances de vote de la Constitution article par
article
1668 : les citoyens devaient pour ce faire, remplir un formulaire disponible sur le site de
l’ANC à partir du 1
er novembre 20131669. Le processus constituant participatif a donc permis
aux Tunisiens d’être des acteurs de premier plan : ils ont, en collaboration avec les 217 élus à
l’ANC, élaboré la Constitution de leurs vœux.
Le caractère participatif du processus constituant a d’ailleurs été constitutionnalisé et sert
actuellement à qualifier le régime politique en Tunisie. Le préambule de la Constitution
prévoit l’édification d’« un régime républicain démocratique et participatif, dans le cadre
d’un État civil dans lequel la souveraineté appartient au peuple, par l’alternance pacifique au
pouvoir à travers des élections libres et sur le fondement du principe de la séparation des
pouvoirs et de leur équilibre, un régime dans lequel le droit de s’organiser reposant sur le
pluralisme, la neutralité de l’administration et la bonne gouvernance, constitue le fondement
de la compétition politique, un régime dans lequel l’État garantit la primauté de la loi, le
respect des libertés et des droits de l’Homme, l’indépendance de la justice, l’égalité de tous
les citoyens et citoyennes en droits et en devoirs et l’équité entre les régions
»1670. L’ensemble
de ces caractéristiques identifie actuellement le régime participatif tunisien. Cependant, en
plein processus constituant, la définition de ce régime ce ne fut pas chose aisée.
Les constituants étaient conscients que les Tunisiens avaient toujours été acteurs de l’histoire
du pays, qu’ils avaient un rôle à jouer dans l’élaboration d’une Constitution fidèle à leurs
1666 B. ABDELKAFI, « L’Assemblée nationale constituante et la société civile : Quelle relation ? », précit.,
p. 144.
1667 L’article 104 du règlement intérieur de l’ANC a été modifié pour permettre aux commissions constituantes
de prendre en compte les observations et propositions découlant du débat public et de la consultation
nationale.
1668 Sur le rôle de l’ONG tunisienne AL BAWSALA au sein de l’ANC et des rapports entre la société civile et
les commissions constituantes, cf. A. YAHYAOUI, « Observer l’Assemblée nationale constituante »,
précit., pp. 253-26.
1669 353 associations et organisations de la société civile y ont participé.
1670 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
quatrième paragraphe du préambule.
387





Page 389
aspirations et dans les élections présidentielles et législatives à venir. Mais, avant de définir le
régime démocratique et participatif, les travaux préparatoires de la Commission du préambule
en date du 28 mars 2012
1671 devaient en définir les objectifs. Au cours de son audition,
Mohamed GUESMI a insisté sur le fait que le préambule était la preuve d’un projet
constitutionnel commun que les Tunisiens se devaient de réaliser. Dans ce but et
conformément à la révolution de la liberté et de la dignité, il fallait que la Constitution mette
en place une démocratie participative qui équilibre les impératifs de la démocratie et de la
justice sociale. Si les constituants n'ont défini ni la démocratie ni la justice sociale, ils ont fait
des valeurs de dignité, de justice et du principe de l’alternance pacifique au pouvoir, les
fondements de la démocratie participative. Ce type de démocratie fait du peuple, le
souverain
1672 puisqu’il est la source et la finalité du pouvoir politique qu’il contrôle par le
biais des élections, de l’organisation des partis politiques et des associations de la société
civile. Cela se retrouve pourtant aussi dans les démocraties représentatives.
Contrairement à ces dernières, en Tunisie, les citoyens peuvent participer activement et de
manière transparente
1673 au pouvoir politique. Pour ce faire, l’article 139 de la Constitution
prévoit que « [l]es collectivités locales adoptent les mécanismes de la démocratie
participative et les principes de la gouvernance ouverte, afin de garantir une plus large
participation des citoyens et de la société civile à l’élaboration des projets de développement
et d’aménagement du territoire et le suivi de leur exécution, conformément à la loi.
»1674
Même si le dialogue social n’a pas été constitutionnalisé, cet article associe les citoyens à la
prise de décision au niveau local. Il est donc facile de penser que l’application des
dispositions constitutionnelles favorise l’esprit de concertation du peuple et l’appropriation de
la Constitution par les citoyens.
Pour autant, le développement de la démocratie participative ne remet pas en cause l’essence
du système de démocratie représentative. « La démocratie participative se positionne comme
1671 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution
, « Audition de Mr. Kaïs SAÏED ainsi que des représentants
de l’UGTT, Mme Ikbel BEN MOUSSA et, Mr. Mohamed GUESMI », 28 mars 2012 [en ligne],
[consulté
le 24 mars 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252f1 (en arabe).
1672 Ibid.
1673 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission du préambule, des principes
fondamentaux et de révision de la Constitution, « Audition de Mrs Ahmed MESTIRI et Moustapha
FILALI », 14 mars 2012 [en ligne],
[consulté le 4 avril 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5
bfc7ea2c422bec252e6 (en arabe).
1674 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 139.
388




Page 390
un complément de légitimité et une avancée démocratique, et non pas comme une substitution
définitive à la représentation. Cependant, cela remet en question la position traditionnelle des
partis politiques qui, bien qu’ils se maintiennent principalement dans le domaine des droits
politiques, voient leur rôle limité par l’action directe du peuple. Il s’agit en définitive, comme
il a été affirmé, d’une absorption de l’Etat par le collectif.
»1675 Dorénavant et contrairement
au constitutionnalisme tunisien des origines, la société civile est au fondement de la
Constitution et des institutions.
Etant donné tout ce qui précède, il est possible d’affirmer que la Constitution tunisienne de
2014 s’inscrit dans le mouvement des constitutions transformatrices : elle est conçue comme
un plan de transformation de la société, elle contient des normes et des principes
constitutionnels qui fixent des objectifs de vie digne et de justice sociale à l’Etat et, elle
consacre les droits sociaux et collectifs des Tunisiens
1676. Par ailleurs, elle rompt avec la
conception traditionnelle que les Tunisiens se faisaient de la Constitution et vise à faire des
citoyens, les acteurs de la norme constitutionnelle. Elaborée par et pour le peuple, elle est
adaptée et adoptée par les Tunisiens. L’ensemble de ces raisons permet de croire qu’elle a
vocation à durer. Même si les moyens de l’Etat sont et restent limités, les gouvernants
cherchent à appliquer le programme constitutionnel, particulièrement en ce qui concerne les
aspirations sociales du peuple. Reste donc à savoir si le constitutionnalisme tunisien actuel
traduit un nouveau modèle de droit constitutionnel.
Paragraphe 2
Le constitutionnalisme tunisien actuel, nouveau modèle de
droit constitutionnel ?
Ayant identifié les manifestations et composantes essentielles du constitutionnalisme
transformateur, il est intéressant de savoir si au travers de la Constitution du 27 janvier 2014,
le constitutionnalisme tunisien actuel traduit un nouveau modèle de droit constitutionnel.
Alors que la Constitution du 27 janvier 2014 révolutionne la conception de la constitution en
1675 R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Aspects généraux du nouveau constitutionnalisme
latino-américain », précit., p. 44.
1676 Pour plus de précisions sur ces trois points cf. le A. du Paragraphe 2 qui suit.
389







Page 391
Tunisie1677, il est important de questionner l’impact qu’elle a eu sur la représentation du droit
constitutionnel de manière générale et dans
le
constitutionnalisme tunisien actuel sert-il de modèle d’inspiration régional
1678 ? (B) Avant de
le monde arabe en particulier
:
répondre, il est nécessaire d’évoquer les changements que la Tunisie a connus grâce à la
Révolution du Jasmin. L’adoption de la Constitution du 27 janvier 2014 a transformé la portée
juridique et politique de la norme suprême. Du point de vue conceptuel, les Tunisiens sont
passés d’une «
constitution sémantique » à une « constitution normative »1679. Du point de vue
juridique, cette Constitution est plus garantiste des droits des Tunisiens que celle du 1
er juin
1959 : s’attachant à promouvoir les droits économiques et sociaux, les constituants ont
cherché à changer en profondeur, les structures économiques et sociales de leur pays. Il faut
donc étudier la nouvelle voie sociale dans le constitutionnalisme tunisien (A).
A.
L’importance de la nouvelle voie sociale dans le constitutionnalisme tunisien
Les Tunisiens réclamaient la reconnaissance de leur dignité en tant qu’êtres humains et la
consécration de l’intégralité de leurs droits en tant que citoyens. Or, les conditions nécessaires
à une vie digne passent par la consécration constitutionnelle du droit à la santé, à la couverture
sociale et au travail
1680. A ce stade-là de la réflexion, il est essentiel de savoir comment les
constituants ont appréhendé les droits économiques et sociaux et, si la Constitution du 27
janvier 2014 prévoit les instruments nécessaires à la réalisation de la justice sociale
1681.
L’article 38 de la Constitution proclame que « [t]out être humain a droit à la santé » ; il met à
la charge de l’Etat l’obligation de garantir la prévention et les soins de santé au seul citoyen. Il
assure « les moyens nécessaires à la sécurité et à la qualité des services de santé » et garantit
« la gratuité des soins pour les personnes sans soutien ou ne disposant pas de ressources
1677 Sur la conception de la constitution à la suite de l’adoption du texte constitutionnel du 27 janvier 2014,
cf. le B. du Paragraphe 1 qui précède, relatif à
l’expression tunisienne du constitutionnalisme
transformateur
, p. 382.
1678 Pour rappel, au cours du processus constituant, les Tunisiens ont pensé ériger leur Constitution en modèle
et ils ont voulu l’exporter dans les autres pays arabes d’Afrique du Nord et du Proche-Orient.
1679 Cf. Note de bas de page 1288. Pour une analyse des Constitutions tunisienne, marocaine et algérienne à la
suite des indépendances et une étude approfondie du constitutionnalisme maghrébin, cf. M. CAMAU,
« Caractère et rôle du constitutionnalisme dans les Etats maghrébins », in J. LECA (dir.), Développements
politiques au Maghreb
, Paris, CNRS, 1979, pp. 379-410.
1680 Seulement, suite à la révolution, les attentes du corps social avaient augmenté et les richesses à distribuer
avaient diminué.
1681 Proclamée comme l’un des objectifs de la révolution.
390






Page 392
suffisantes. »1682 D’un alinéa à l’autre, les concepts varient pourtant : alors que l’alinéa
premier traite de l’être humain, le deuxième évoque le seul citoyen et le troisième concerne
les personnes. De plus, il est opportun d’interroger le réalisme des dispositions énoncées et
d’affirmer que les moyens de l’Etat en matière sanitaire sont limités. Tous les gouvernorats ne
sont pas équipés des mêmes dispositifs sanitaires et quand ils le sont, ils ne sont pas tous
nécessaires à la sécurité et à la qualité des services de santé
1683. La réalité des services de
santé ne traduit donc pas les dispositions du texte constitutionnel bien qu’elles fixent à l’Etat
des objectifs de justice sociale. Il en est de même des droits de l’enfant (article 47) et de ceux
des personnes handicapées (articles 48) : même si les dispositions constitutionnelles mettent à
la charge de l’Etat de prendre toutes les mesures nécessaires à leur protection, leur non-
discrimination et leur intégration au sein de la société, « les structures publiques ou privées de
leur prise en charge sont encore en deçà des besoins.
»1684 Il y a donc un décalage entre la
norme constitutionnelle et son effectivité dans la pratique.
En ce qui concerne la couverture sociale, son omission par le constituant en 1959 n’avait pas
empêché le législateur de la généraliser. D'ailleurs, la constitutionnalisation de ce droit au
dernier alinéa de l’article 38, va nécessairement obliger l’Etat à le généraliser à l’ensemble
des personnes présentes sur le territoire tunisien.
Le droit au travail est quant à lui une véritable conquête sociale. L’article 40 garantit à tout
citoyen – homme et femme – le droit au travail. Il précise que l’Etat prend les mesures
nécessaires pour le garantir sur la base du mérite et de l’équité. Selon le Professeur Néji
BACCOUCHE, cet article est « une réponse forte au chômage qui frappe une frange
importante de la population, notamment les diplômés de l’université dans les zones dites
intérieures.
»1685 Le dernier alinéa de l’article précise également que les citoyens ont droit au
1682 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 38.
se
1683 Douze nouveau-nés sont morts dans une maternité de Tunis la deuxième semaine de mars 2019. De
nombreux médecins ont alors tiré la sonnette d’alarme sur l’état du secteur public en matière de santé. Les
témoignages
sociaux. S. ATTIA et W. NASRAOUI,
réseaux
« #BalanceTonHopital, le hashtag qui dénonce la situation chaotique des hôpitaux »,
Jeune Afrique [en
2019],
ligne],
https://www.jeuneafrique.com/748005/societe/tunisie-balancetonhopital-le-hashtag-qui-denonce-la-
situation-chaotique-des-hopitaux/?fbclid=IwAR0LV-BN_8MG3UJL0tnWaJ7XMjNwfazyVg1DX8gsUbLc
T4ipZwdfo0598QI.
sont multipliés
[consulté
publié
mardi
2019,
mars
mars
sur
les
14
12
1684 N. BACCOUCHE, « Les droits économiques et sociaux et la Constitution », in M. MARTINEZ
SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit., p. 477.
le
le
1685 Ibid., p. 479.
391




Page 393
travail « dans des conditions favorables et avec un salaire équitable. »1686 Les constituants
prennent en compte les revendications des diplômés chômeurs et essaient d’atteindre
l’objectif de justice sociale imposé par la révolution mais la notion de salaire équitable n'est
pas facile à déterminer. Est-ce au législateur ou au(x) juge(s) de le faire ? Les dispositions de
la Constitution ne le précisent pas. Une chose est sûre, pour se conformer aux dispositions de
mérite et d’équité de l’article 40, le service public de l’emploi doit être réorganisé. « L’égalité
devant ce service public et le principe de non-discrimination en matière d’emploi doivent être
assurés. Cette démarche s’inscrit dans le cadre des engagements internationaux de la Tunisie
qui avait ratifié, très tôt, plusieurs conventions de l’OIT, notamment celles n° 111 (en 1959)
et n° 122 (en 1965).
»1687 Du fait du népotisme et de la corruption des services publics de
l’ancien régime, les Tunisiens sont tenus d’instaurer de nouvelles structures, règles et
habitudes de pensée.
Quant à la justice sociale, l’article 12 impose à l’Etat de l’assurer, ce qui est « à la fois un
projet visant le bien-être collectif et une démarche entreprise pour contenir les inégalités et
injustices produites soit par la nature soit par le système social lui-même.
»1688 Certes, mais
faute de capitaux publics suffisants, l'Etat est réduit à jouer le rôle de régulateur. Par
conséquent, même si les articles de la Constitution posent les bases de l’Etat providence
1689, le
contexte socio-économique actuel n'est pas en adéquation avec le texte. Si la Constitution du
27 janvier 2014 proclame l’essentiel des droits économiques et sociaux de deuxième
génération, la seule proclamation de ces droits n’est pas suffisante pour rendre effective leur
jouissance. Malgré les difficultés structurelles de l’Etat tunisien, ces droits sont certainement
réalisables à long terme par la consolidation de la démocratie et de la culture
constitutionnelle
1690.
Il est fondamental de souligner qu’en dépit de la longueur du chapitre relatif aux droits et
libertés (28 articles), la Constitution n’est pas exhaustive sur les droits économiques et
1686 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 40.
1687 N. BACCOUCHE, « Les droits économiques et sociaux et la Constitution », précit., p. 481.
1688 Ibid.
1689 Compris comme l’ensemble des interventions de l’Etat dans le domaine économique et social. En assurant
un certain nombre de prestations aux citoyens, l’Etat cherche à leur garantir un niveau minimum de bien-
être économique et de protection sociale. Fondé sur la solidarité, il vise à assurer un minimum de justice
sociale.
1690 Pour plus de précisions cf. le B. du Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE II
de cette thèse, relatif au besoin d’une culture constitutionnelle travaillée par les gouvernés, p. 367.
392




Page 394
sociaux. Ceci est d’autant plus
les organisations syndicales étaient
particulièrement actives au cours du processus constituant
1691. « Mais il n’est pas exclu que ce
inattendu que
rôle politique joué par les deux principales organisations syndicales [autrement dit l’UGTT et
l’UTICA] ait suscité, au sein de l’Assemblée, une certaine méfiance à l’égard desdites
organisations et des droits économiques et sociaux dont elles sont porteuses.
»1692 Il est de
plus, nécessaire de rappeler que la gravité de la situation politique a poussé les constituants à
privilégier le compromis politique aux considérations socio-économiques.
Ainsi, la liberté du commerce et de l’industrie n’est-elle pas constitutionnalisée alors qu’elle
l’était dans le Pacte fondamental de 1857 et dans la Constitution de 1861. Ceci s’explique en
partie par la méfiance à l’égard des anciens dirigeants du syndicat des patrons, proches des
dirigeants de l’ancien régime. Le droit de propriété est garanti (article 41), le droit syndical et
le droit de grève sont préservés (article 36), le second étant compris dans le premier. Il aurait
fallu distinguer les deux droits et limiter l’interdiction du droit de grève aux agents actifs de la
douane, en évitant d’étendre l’interdiction aux agents qui ne disposent pas de prérogatives
exorbitantes de droit commun. D’ailleurs, le contexte postrévolutionnaire qui voit naître des
grèves au sein des forces de sécurité intérieure et de douane, pousse les constituants à les leur
interdire (dernier alinéa de l’article 36). « De même, la liberté du travail, en cas de grève, n’a
pas été consacrée par la Constitution en raison d’une très ferme hostilité du syndicat ouvrier
dont la constituante ne pouvait ignorer le poids sur le climat social, déjà très tendu depuis la
révolution.
»1693 Même si l’atteinte à cette liberté est incriminée par le Code pénal, ce type
d’incrimination est tombé en désuétude.
Il existe cependant, une lacune incompréhensible : l’interdiction du travail forcé n’est pas
constitutionnalisée, alors que la Tunisie a ratifié les conventions n
os 29 et 105 de
1691 A l’approche de l’expiration du mandat de l’ANC et de celui du gouvernement provisoire, l’UGTT a pris
l’initiative du
Dialogue national dont la première session a lieu le 16 octobre 2012. Afin de sortir le pays de
l’impasse politique, l’
Union Tunisienne de l’Industrie et du Commerce (UTICA), l’Ordre national des
avocats
et, la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) se regroupent pour instaurer un dialogue
entre tous les acteurs de la transition démocratique. Le Secrétaire général de l’
UGTT de l’époque, Houcine
ABASSI précise que le
Dialogue national ne remplace en aucun cas le gouvernement et qu’il n’en a pas la
même légitimité. Dans le but de réaliser les objectifs de la révolution et de contribuer à résoudre les crises
économique, sociale et sécuritaire que connaît la Tunisie, les acteurs du
Dialogue national sont invités à
établir un véritable dialogue qui les mènera à un consensus autour de la gestion de la période transitoire. De
plus, dès le mois de septembre 2013, un quartet composé de l’UGTT, de l’UTICA, de l’Ordre national des
avocats
et de la LTDH, se forme et propose une feuille de route destinée à aboutir au processus de transition
démocratique, en organisant des élections présidentielles et législatives.
1692 N. BACCOUCHE, « Les droits économiques et sociaux et la Constitution », précit., p. 479.
1693 Ibid., p. 480.
393




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l’Organisation Internationale du Travail. Par ailleurs, le dialogue social n’a pas été consacré
alors que la négociation collective avait produit ses effets au cours de la période transitoire.
Pourtant, la constitutionnalisation du droit au dialogue aurait favorisé l’esprit de concertation
du peuple, aujourd’hui encore absent de la culture constitutionnelle.
Bien que la Constitution du 27 janvier 2014 consacre l’essentiel des droits économiques et
sociaux des Tunisiens, « le dispositif constitutionnel ne suffit pas à lui seul à traduire au
concret les droits économiques et sociaux.
»1694 Si les politiques publiques sont de plus en
plus soucieuses du bien-être des Tunisiens, les structures et les services sanitaires de l’Etat
notamment, doivent encore être améliorés. Ceci ne sera d’ailleurs possible que dans la mesure
où la situation financière et économique du pays se stabilise et que la lutte contre la corruption
qui sévit encore dans les institutions, est amplifiée. L’objectif de justice sociale fixé à l’Etat
n’est donc réalisable qu’à long terme. Malgré tout, de par ses avancées consacrées par la
Constitution du 27 janvier 2014 et son inscription au mouvement des constitutions
transformatrices, le constitutionnalisme tunisien actuel sert-il de modèle d’inspiration
régional ?
B.
Le constitutionnalisme tunisien actuel comme modèle régional d’inspiration
Par le biais de la Révolution du Jasmin et de l’élection de l’ANC, le constitutionnalisme
tunisien actuel a introduit « l’aspiration aux changements révolutionnaires présents parmi les
peuples de plusieurs pays du continent
1695, en engendrant un constitutionnalisme engagé aux
transformations
et
économique.
1696 »1697 Du fait de la révolution du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, la
en profondeur, aux niveaux politique,
structurelles
social
société civile a pris conscience de l’impact que pouvait avoir l’expression de sa volonté.
1694 Ibid., p. 481.
1695 A partir du mois de décembre 2010, la révolution tunisienne a entraîné la remise en cause des régimes
autoritaires en Afrique du Nord et au Proche-Orient mais contrairement à la révolution tunisienne, les
révolutions du
Printemps arabe n’ont pas toutes été bénéfiques. En effet, le Yémen et la Lybie ont sombré
dans le chaos et la guerre et en Egypte, le pouvoir est instrumentalisé par l’armée. Afin de rester fidèle à
l’expression «
Printemps arabe » employée pour désigner les révolutions et ruptures constitutionnelles qui
ont eu lieu dans le monde arabo-musulman après les soulèvements populaires en Tunisie, il ne sera ici, pas
fait référence aux mobilisations des populations en Jordanie et au Maroc. Ces dernières ont entraîné des
processus de révision constitutionnelle.
1696 La conception de la constitution comme plan de transformation sociale fait l’objet du Paragraphe 1 qui
précède.
394






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Avant 2011, les réformes politiques ou juridiques étaient imposées par les gouvernants mais
depuis, elles sont décidées par les gouvernés. Bien que n’étant pas encore institutionnalisées,
les négociations collectives et les diverses expressions organisées ou non de la volonté du
peuple, produisent leur effet dans les pays de la rive Est et Sud de la Méditerranée. L’actualité
des pays arabes d’Afrique ne fait d’ailleurs que le confirmer
1698. L’annonce de la candidature
d’Abdelaziz BOUTEFLIKA pour briguer un cinquième mandat par exemple, a déclenché la
mobilisation de la population algérienne
1699. Conscients de leurs droits politiques et de
l’importance de l’expression de leur souveraineté, ils ont réclamé l’élaboration d’une nouvelle
constitution qui consacrerait un nouveau système politique
1700.
L’étude du constitutionnalisme et de la Constitution en Tunisie permet deux choses ; en
prenant en compte la réalité constitutionnelle
1701, il est plus évident d’apprendre de l’autre par
les différences et de comprendre dans le cadre de la globalisation, les problèmes auxquels les
constitutionnalistes sont confrontés
1702. Avant d’évoquer les limites1703 et les conflits
tunisien actuel
1704,
inhérents au constitutionnalisme
les raisons pour
lesquelles ce
constitutionnalisme est un modèle régional d’inspiration doivent être identifiées. Pour ce faire,
il sera démontré que
le constitutionnalisme
tunisien actuel révolutionne
le droit
constitutionnel, dans le sens où il permet de repenser concrètement, la notion de constitution
dans la région.
1697 G. BERCOVICI, « La Constitution brésilienne de 1988, les Constitutions transformatrices et le nouveau
constitutionnalisme latino-américain », précit., p. 116.
1698 La vague révolutionnaire initiée par la Révolution du Jasmin touche actuellement les régimes algérien et
soudanais. Bien que le Soudan ne fasse pas traditionnellement partie des pays arabo-musulmans d’Afrique
du Nord, son actualité juridique (les soulèvements populaires et les revendications constitutionnelles) doit
être relevée. Les mobilisations des populations algérienne et soudanaise s’inscrivent d’ailleurs dans la
continuité des contestations populaires du monde arabe et musulman à partir de 2010-2011. Cette vague
frappe actuellement le Liban.
1699 Pour plus de précisions sur les évènements déclencheurs des soulèvements populaires en Algérie cf. Z.
CHENAOUI, « Algérie : “On voulait une élection sans Bouteflika, on se retrouve avec Bouteflika sans
élection” »,
Le Monde [en ligne], publié le mercredi 13 mars 2019, [consulté le 14 mars 2019],
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/13/algerie-on-voulait-une-election-sans-bouteflika-on-se-
retrouve-avec-bouteflika-sans-election_5435337_3212.html?fbclid=IwAR3Wjvb3q50UwRXgOWOoiiGo
ZjQoFFSsJhIH5FRMUGWM2hLqt_ZQ6TOF8as.
1700 Bien que les développements s’attachent à l’actualité des pays arabo-musulmans d’Afrique du Nord, il est
pertinent de faire un parallèle entre les évènements algériens et les soulèvements de la population
soudanaise. Dans les deux Etats, les nationaux contestent le régime politique en place et revendiquent de
nouvelles institutions (autrement dit une nouvelle constitution). Il en est de même au Liban.
1701 Comme il a été dit précédemment, l’observation et l’étude du droit d’un pays en voie de développement
décentre le regard, interroge les manifestations locales du constitutionnalisme et fait de la différence une
partie intégrante des discours sur le constitutionnalisme global.
1702 M.-C. PONTHOREAU, « “Global constitutionalism” un discours doctrinal homogénéisant. L’apport du
comparatisme critique », précit., p. 128.
1703 Cf. le Paragraphe 2 de la Section 2 qui suit.
1704 Cf. le Titre II qui suit.
395



Page 397
Du fait de la Révolution du Jasmin, la notion de constitution reprend sens. Si elle a jusqu’à
présent été perçue dans le cadre du constitutionnalisme transformateur comme un plan de
transformation de la société
1705, elle est ici conçue comme « la traduction fidèle de la volonté
du pouvoir constituant du peuple.
»1706 Bien que le constitutionnalisme en Tunisie limite le
pouvoir et garantisse l’autonomie, les droits et les libertés des individus, il s’intéresse aux
«
fondements de la constitution c’est-à-dire [à] sa légitimité »1707, à partir des élections
constituantes du 23 octobre 2011. Conçue comme « mandat direct du pouvoir
constituant
»1708, la Constitution exprime la volonté populaire de configurer et de limiter
l’Etat
1709. Le pouvoir constituant n’est donc plus un concept externe au droit
constitutionnel
1710 : il est au fondement de l’ordre constitutionnel et il opère « désormais dans
la normalité du système constitutionnel, à
l’intérieur même de ses mécanismes
institutionnels
1711. »1712 L’ordre juridique posé par la Constitution est par conséquent,
imprégné de normes constitutionnelles qui véhiculent en permanence la volonté constituante.
Or, l’intérêt porté au sens matériel de la Constitution n’est pas nouveau : il fait l’objet du
nouveau constitutionnalisme qui s’exprime au travers de certaines Constitutions1713 en
Amérique Latine
1714. Quel est donc l’apport du constitutionnalisme tunisien actuel1715 ?
1705 Cf. le Paragraphe 1 de la Section 1 qui précède, relatif à la caractérisation du constitutionnalisme
transformateur en Tunisie, p. 375.
1706 R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Aspects généraux du nouveau constitutionnalisme
latino-américain », précit., p. 33.
1707 Ibid.
1708 R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Se puede hablar de un nuevo consitutionalismo
latinoamericano como corriente doctrinal sistematizada ? », précit., p. 4.
1709 R. VICIANO PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Aspects généraux du nouveau constitutionnalisme
latino-américain », précit., pp. 30-31.
1710 La légitimité de la constitution voulue par le peuple (comme pouvoir constituant originaire) est par nature
extra-juridique.
1711 La constitution disposerait donc de mécanismes qui facilitent la participation politique directe des citoyens,
la garantie des droits fondamentaux et des procédures de contrôle de constitutionnalité. Pour plus de
précisions sur les mécanismes de participation politique directe des citoyens en Tunisie, cf. le B. du
Paragraphe 1 de la Section 1 qui précède, relatif à
l’expression tunisienne du constitutionnalisme
transformateur
, p. 382. De manière plus générale, l’ensemble de ces mécanismes vise à rendre effective la
norme constitutionnelle et à appliquer la volonté souveraine du pouvoir constituant originaire.
1712 C.-M. HERRERA, « La question du constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui », précit., p. 11.
1713 Selon
le Professeur Carlos Miguel HERRERA « [l]es tenants de la thèse forte du nouveau
constitutionnalisme placent généralement sa naissance dans le processus colombien de 1990-1991, qui se
consolide avec la Constitution de l’Equateur de 1998, avant d’être approfondi par les Constitutions du
Venezuela (1999), puis de l’Equateur (2008) et de la Bolivie (2009). L’approbation par référendum serait
la clé de cet approfondissement. » Ibid., note de bas de page n° 2, p. 9.
1714 Pour une définition exhaustive du nouveau constitutionnalisme latino-américain, cf. R. VICIANO
PASTOR, R. MARTINEZ DALMAU, « Aspects généraux du nouveau constitutionnalisme latino-
américain »,
précit., p. 33.
1715 Essentiellement issu de la Constitution du 27 janvier 2014.
396




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Du fait de la Révolution du Jasmin, le nouveau constitutionnalisme s’exprime dans une région
habituée aux «
constitution[s] sémantique[s] »1716 et aux régimes autoritaires. L’adoption de la
Constitution du 27 janvier 2014 a aidé le peuple – qu’il soit tunisien, égyptien, yéménite ou
libyen – à prendre conscience de l’impact que pouvait avoir l’expression de sa volonté et de
l’importance du droit notamment constitutionnel, dans la réalisation pleine et entière de son
aspiration démocratique et dans la consécration de ses droits et libertés.
Les Constitutions arabes issues des indépendances visaient « principalement à affirmer
l’existence d’un Etat indépendant et souverain […] et à institutionnaliser un pouvoir de fait,
celui du président de la République, à l’intérieur d’un contexte marqué par la
personnalité
»1717 des chefs nationalistes et/ou indépendantistes. A l'inverse, les Constitutions
élaborées à la suite des révolutions du Printemps arabe, expriment la volonté du peuple
comme vecteur permanent de démocratisation
1718. Afin de prouver que les consciences arabes
ont été touchées par les soulèvements populaires et les revendications constitutionnelles, il est
intéressant d’analyser le rôle du peuple dans l’adoption de la Constitution égyptienne de
2014
1719 par exemple. « La nouvelle Constitution égyptienne, adoptée par référendum en
janvier 2014, est venue clore une transition constitutionnelle particulièrement chaotique
depuis la chute du Président Hosni Moubarak le 11 février 2011.
»1720 A cette date en effet,
les Egyptiens ont renversé le Chef de l’Etat en place et le Conseil Suprême des Forces Armées
(CSFA)1721 a suspendu puis amendé1722, la Constitution de 1971. Néanmoins, alors que le
1716 K. LOEWENSTEIN, Political Power and the Governmental Process, op.cit., p. 147.
1717 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
p. 15.
1718 C.-M. HERRERA, « La question du constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui », précit., p. 11.
1719 La comparaison avec l’Egypte est ici guidée par un objectif bien déterminé : prouver que la prise de
conscience par les Tunisiens de l’importance de l’expression de leur volonté, a eu un impact sur un pays
voisin également habitué aux régimes autoritaires. Contrairement aux autres pays secoués par les
révolutions arabes, les revendications constitutionnelles du peuple en Tunisie et en Egypte se sont traduites
par l’adoption de nouvelles constitutions et par l’établissement de nouvelles institutions. Par ailleurs,
comme l’affirme le Professeur Farhad KHOSROKHAVAR « [d]
ans d’autres parties du monde arabe,
l’effet de la révolution égyptienne était encore plus tangible que celui de la Tunisie, en raison de
l’importance de l’Egypte en tant que principale nation arabe, mais aussi parce qu’Al Jazeera pouvait
couvrir les évenements directement, contrairement à la Tunisie, où elle devait s’appuyer sur des vidéos et
des photos des citoyens locaux. Il faut aussi considérer que la Tunisie n’avait pas de portée géostratégique
dans la région comparable à l’Egypte, qui était un acteur majeur au Moyen-Orient et en Afrique du
Nord.
» F. KHOSROKHAVAR, The New Arab Revolutions that Shook the World, op.cit., p. 43. C’est nous
qui traduisons.
1720 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour
l’Egypte ? », précit., p. 515.
1721 Haut commandement de l’armée égyptienne créé le 28 janvier 2011 par le président déchu Hosni
MOUBARAK, pour assurer la sécurité du pays. Connu sous le nom de « Vendredi de la colère », le
28 janvier 2011 a enregistré des évènements sanglants entre les forces de police et les manifestants. Au
regard de l’incapacité de ces mêmes forces de gérer les manifestations qui ébranlaient le pays, le président
397



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peuple était à l’initiative de la chute du régime autoritaire, le CSFA a remplacé la Constitution
de 1971 par la Déclaration constitutionnelle du 30 mars 2011. L’article 6 de la Déclaration
prévoyait que la nouvelle Constitution serait élaborée par une assemblée de cent membres
choisis par le Parlement. Or le 10 avril 2012, le Conseil d’Etat a déclaré inconstitutionnelle la
première assemblée constituante élue en mars 2012
1723 car la moitié de ses membres avaient
été choisie non
par le Parlement mais en son sein. La seconde assemblée constituante1724 qui a
été élue par la chambre basse et la chambre haute du Parlement comptait près de 70 %
d’islamistes.
Bien qu’elle ait été rédigée par la première assemblée constituante élue par le pouvoir
législatif, la Constitution de 2012 ne reflétait pas l’ensemble des forces politiques du pays et
ne correspondait pas aux aspirations constitutionnelles des Egyptiens : la chute du régime
autoritaire de Hosni MOUBARAK a laissé libre, l’expression de l’islam politique des Frères
musulmans
1725. En plus des élections constituantes, ces derniers remportent les premières
élections législatives et présidentielles
1726 libres du pays.
Considérant que la Constitution n’exprimait la volonté souveraine que d’une partie ou d’un
parti des Egyptiens, la société civile a renversé le régime politique des Frères musulmans
1727
et a poussé le Président MORSI à la démission
1728. Si l’éviction de MORSI a suivi les
manifestations du 30 juin 2013, l’armée a déclaré sa destitution et a suspendu la Constitution
adoptée par référendum le 25 décembre 2012, pour adopter une feuille de route qui donne lieu
à une nouvelle période de transition
1729. Mise en œuvre par le président par intérim Adly
MANSOUR, la feuille de route donne naissance à la Déclaration constitutionnelle du 8 juillet
MOUBARAK a fait appel à l’armée. Alors que le 11 février 2011, il déclarait renoncer au pouvoir, il
confiait au
CSFA la mission de gérer les affaires du pays.
1722 Par référendum du 15 mars 2011.
1723 A majorité islamiste.
1724 Elue le 12 juin 2012, la chambre basse était contrôlée à 70 % par des islamistes (47 % de Frères musulmans
et 24 % de Salafistes). La chambre haute était quant à elle, composée à plus de 80 % d’islamistes.
1725 F. KHOSROKHAVAR, The New Arab Revolutions that Shook the World, op.cit., p. 43.
1726 Mohamed MORSI est élu à la tête de l’Etat égyptien le 24 juin 2013.
1727 Les Egyptiens contestaient la façon dont les Frères musulmans géraient le pays et réclamaient des élections
présidentielles anticipées.
1728 La destitution du Président MORSI est un sujet controversé : alors que certains spécialistes insistent sur le
rôle de l’armée dans ce processus et sont partisans du coup d’Etat militaire, d’autres affirment que les
manifestations du 30 juin 2013 et l’installation d’un gouvernement « civil » sont le fruit de la mobilisation
du peuple. Pour plus de précisions, cf. P. ASTIE, D. BREILLAT, C. LAGEOT, « Repères
étrangers (1
er juillet-30 septembre 2013) », Pouvoirs, 2014, n° 148, pp. 166-167.
1729 Allocution télévisée du chef de l’armée Abdel Fattah AL-SISSI du 3 juillet 2013.
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20131730. Contrairement à la première assemblée constituante élue par le pouvoir législatif, les
membres du Comité des 50 prévu par la Déclaration constitutionnelle, offrait une
représentation plus équilibrée des forces politiques et sociales en présence : il comprenait
deux représentants des mouvements islamiques, un de l’armée, trois de l’Eglise, trois d’Al-
Azhar
1731, trois leaders du mouvement Tamarod1732 et un représentant des principaux partis
politiques et syndicats
1733. « La plupart des membres de ce Comité étaient des libéraux ou des
représentants d’institutions proches de l’appareil d’Etat. Les Frères musulmans n’y étaient
pas représentés, puisque les deux sièges réservés aux partis islamistes étaient occupés par un
membre du parti salafiste al-Nour et par un dissident de la Confrérie.
»1734
La société civile égyptienne a pris conscience de l’impact que pouvait avoir l’expression de sa
volonté, même si l’armée conserve un rôle déterminant dans l’organisation et le
fonctionnement des institutions de la transition. Il est d’ailleurs légitime de démontrer que
malgré l’opacité des travaux constituants
1735 et l’élaboration de la Constitution de 2014 par un
Comité, la nouvelle Constitution égyptienne se soucie de refléter « les dimensions réelles des
forces politiques et sociales en Egypte dans la foulée des gigantesques manifestations du 30
juin 2013.
»1736 En effet, les rédacteurs de la Constitution de 2014 se sont efforcés de réaliser
1730 Composée de 33 articles, la Déclaration constitutionnelle du 8 juillet 2013 prévoyait une révision
constitutionnelle de la Constitution de 2012 organisée en trois phases. Il fallait premièrement attribuer à une
commission de dix experts en droit (six magistrats et quatre universitaires) le choix de fixer les dispositions
faisant l’objet de la future révision. Le 31 août 2013, la Commission des 10 propose un amendement
constitutionnel limité. Dans un deuxième temps, un comité composé de cinquante personnes publiques
devait approuver les travaux de la Commission des 10. Ce dernier Comité va pourtant au-delà de la mission
initiale qui lui était attribuée : le 3 décembre 2013, il propose un nouveau texte constitutionnel au président
de la République. La soumission de ce texte à référendum déclenche alors la troisième et dernière
phase prévue par la Déclaration constitutionnelle du 8 juillet 2013 : l’adoption de la Constitution de 2014.
Pour plus de précisions sur les trois phases, cf. A. MOHAMED-AFIFY, « La Constitution égyptienne de
2014 : entre traditions et tendances révolutionnaires »,
précit., pp. 122-123.
1731 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Al-Azhar.
1732 Pour plus de précisions sur le mouvement de la jeunesse égyptienne, cf. D. AMMOUN, « Mohamed Morsi
sera obligé de quitter le pouvoir »,
Le Point International [en ligne], publié le mardi 2 juillet 2013,
[consulté le 1
er août 2018], http://www.lepoint.fr/monde/mohamed-morsi-sera-oblige-de-quitter-le-pouvoir-
02-07-2013-1688328_24.php.
1733 Le Comité des 50 est formé par le décret présidentiel n° 570/2013 du 2 septembre 2013. Un communiqué
présidentiel précise que la nomination des membres a été faite en prenant en compte les propositions des
forces sociétales égyptiennes. Pour plus de précisions, cf.
Al-Masry Al-Youm du 7 août 2013.
1734 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour
l’Egypte ? », précit., p. 516.
1735 Fin octobre 2013, le Comité des 50 décide de se réunir à huit-clos mais publie chaque jour, un compte
rendu officiel de ses séances. Les seules séances retransmises en direct sont celles du 30 novembre et du 1
er
décembre 2013 consacrées à l’adoption du texte. Contrairement au Comité des 50, les séances plénières de
la Constituante de 2012 étaient retransmises en direct sur plusieurs chaînes de télévision. L’opacité des
travaux du Comité des 50 a longuement été critiquée.
1736 A. MOHAMED-AFIFY, « La Constitution égyptienne de 2014 : entre
traditions et
tendances
révolutionnaires », précit., p. 124.
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une conciliation entre les revendications des générations à l’initiative de la révolution du
25 janvier 2011 et des manifestations du 30 juin 2013 et celles des conservateurs égyptiens.
Alors que les premiers revendiquaient « un Etat moderne avec un réel exercice de la
démocratie
»1737 et
libertés
fondamentaux
1738, les seconds militaient en faveur de la constitutionnalisation des valeurs
traditionnelles
1739 de la société égyptienne à l’instar de l’Islam, de l’armée, du régime
la consécration constitutionnelle de
leurs droits et
présidentiel et de la chambre unique au Parlement.
Il faut souligner que les consciences arabes ont été influencées par la vague révolutionnaire
tunisienne : tandis que les régimes liberticides des pays arabes d’Afrique du Nord et du
Proche-Orient empêchaient les peuples de s’exprimer, la révolution tunisienne leur a donné la
force de braver les interdits imposés par les autocrates en place. Leur parole s’est libérée. Ils
ont manifesté leurs revendications économiques et sociales, politiques et constitutionnelles.
La Constitution égyptienne n’a pas été l’œuvre directe du pouvoir constituant du peuple mais
l’ordre juridique posé par la Constitution est imprégnée de la volonté des Egyptiens. Les
dispositions du
texte constitutionnel
traduisent
les aspirations contradictoires des
révolutionnaires et des conservateurs. Autrement dit, les consciences arabes impactées par la
vague révolutionnaire affectent à leur tour, la conception de la constitution dans les pays
arabo-musulmans. La constitution ne sert plus uniquement d’acte d’institution
1740. Elle n’est
plus – ou du moins ne devrait plus être – un instrument au service des gouvernants
1741. Elle
retrouve son fondement démocratique et sa définition matérielle. Elle est élaborée pour le
peuple : elle traduit en des termes constitutionnels ses souhaits et aspirations et consacre ses
1737 Ibid.
1738 Sur l’ensemble des libertés et des droits fondamentaux consacrés par la Constitution égyptienne de 2014 et
l’insuffisance des mécanismes de mise en œuvre, cf. le paragraphe « I – UNE CONSTITUTION PLUS
RESPECTUEUSE DES DROITS DE L’HOMME ? »,
in N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution
égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour l’Egypte ? », précit., pp. 517-526.
1739 « On peut distinguer au sein de cet ensemble deux courants principaux. Le premier tient à la religion
musulmane, dans une société orientale où la religion joue un rôle dominant. Ce courant tend en
conséquence à préserver la place prestigieuse de l’islam au sein de l’Etat. Le deuxième courant est lié aux
intérêts des couches politiques et économiques développées pendant trente ans sous la présidence de Hosni
Moubarak. Ce dernier courant s’accroche au rôle important au profit de l’armée, pierre angulaire de la
stabilité de ce pays.
» A. MOHAMED-AFIFY, « La Constitution égyptienne de 2014 : entre traditions et
tendances révolutionnaires »,
précit., p. 125.
1740 M.-C. PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), op.cit., p. 153.
1741 La pratique politique du texte constitutionnel égyptien traduit l’instrumentalisation du pouvoir par l’armée
et son chef, Abdel Fattah AL-SISSI. Ce dernier a en effet été à l’initiative d’une révision constitutionnelle
qui prolonge sa présidence, renforce ses pouvoirs et ceux de l’armée égyptienne. Pour plus de précisions
sur ce point, cf. « Egypte : la révision constitutionnelle renforçant Sissi approuvée à 88,83 % »,
Jeune
Afrique
2019],
24
https://www.jeuneafrique.com/766624/politique/egypte-la-revision-constitutionnelle-renforcant-sissi-
approuvee-a-8883/.
le mercredi
[consulté
ligne],
publié
9 août
2019,
avril
[en
le
400



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droits et libertés1742. Alors que jusqu’à présent, il a souvent été affirmé que la constitution et
le constitutionnalisme n’avaient pas de racines autochtones
1743, les révolutions tunisienne et
égyptienne prouvent que la théorie constitutionnelle a des racines dans le monde arabo-
musulman.
Ces révolutions réactivent en effet le passé : elles rappellent les modalités d’appropriation-
transposition du constitutionnalisme par les élites nationalistes arabes au moment des
décolonisations. « L’élite politique dans sa formulation du projet nationaliste a emprunté au
constitutionnalisme libéral certaines de ses idées forces
1744. […] Mais ces emprunts ont été
intégrés dans une thématique plus large, qui tendait à leur conférer une signification autre
que celle qu’ils revêtent en Occident.
»1745 Alors que les régimes autoritaires des pays arabes
d’Afrique du Nord et du Proche-Orient ont annihilés l’apport du constitutionnalisme des
origines, les révolutions de 2010-2011 le ressuscite. Le peuple redevient la source de tous les
pouvoirs.
En Tunisie, la Constitution a été élaborée par et pour le peuple et les mécanismes
constitutionnels mis en place, permettent la participation directe des citoyens à l’élaboration
des politiques publiques. En Egypte, la Constitution est actuellement instrumentalisée par
l’armée et son chef. Par conséquent, si les révolutions tunisienne et égyptienne ont abouti à
l’adoption de nouvelles constitutions, il est encore trop tôt pour présenter une vision
d’ensemble des expériences constitutionnelles des pays arabes d’Afrique du Nord et du
Proche-Orient. Si des consciences arabes se sont éveillées et que la notion de constitution a
repris son sens matériel dans une région du monde délaissée par les constitutionnalistes, seuls
l’actualité et l’avenir des systèmes constitutionnels arabes issus des révolutions répondront à
la question de savoir si le constitutionnalisme tunisien actuel sert de modèle régional
1742 Pour une analyse détaillée et nuancée des droits et libertés collectifs consacrés par la Constitution de 2014
et son apport à la justice sociale en Egypte, cf. A. MOHAMED-AFIFY, « La Constitution égyptienne de
2014 : entre traditions et tendances révolutionnaires »,
précit., pp. 137-141.
1743 La preuve du contraire se trouve dans l’article de M. CAMAU, « Caractère et rôle du constitutionnalisme
dans les Etats maghrébins »,
précit., pp. 379-410. Il est important de souligner que cet article traite des
Constitutions et du constitutionnalisme dans les Etats maghrébins avant les révolutions du
Printemps arabe.
1744 Formée par le système colonial, l’élite politique vivait au quotidien le décalage entre les conditions de vie
des nationaux et les valeurs et principes diffusés par les colons. Si elle aspirait à la modernité du fait de sa
formation, elle véhiculait dans le même temps les valeurs locales et le maintien des origines nationales. Il
est intéressant de relever que le constitutionnalisme qui s’exprime à la suite de la révolution tunisienne dans
le monde arabo-musulman conserve l’ambivalence entre modernité et identité.
1745 M. CAMAU, « Articulation d’une culture constitutionnelle nationale et d’un héritage bureaucratique : la
désarticulation du constitutionnalisme au Maghreb aujourd’hui », précit., p. 141.
401




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d’inspiration. C’est finalement au contact des autres expériences constitutionnelles du monde
arabo-musulman que le constitutionnalisme tunisien actuel retrouve sa singularité
1746.
De fait, le constitutionnalisme tunisien dans sa version de 2014, véhicule une particularité
commune aux autres constitutions nées des révolutions du Printemps arabe : une affirmation
constitutionnelle des caractéristiques identitaires qui traduit l’émergence d’une version
originale du constitutionnalisme dans la région : le constitutionnalisme identitaire.
Section 2
L’émergence d’une version originale du constitutionnalisme dans la
région : le constitutionnalisme identitaire
Afin de pouvoir faire le constat de l’émergence d’une version originale du constitutionnalisme
dans la région, il est essentiel de savoir en quoi consiste le constitutionnalisme identitaire.
Pour ce faire, il s’agit d’identifier ses éléments de définition et de relever la singularité du
constitutionnalisme identitaire tunisien. L’étude des manifestations du constitutionnalisme
identitaire (Paragraphe 1) sera ensuite conjuguée à celle de ses limites (Paragraphe 2).
Paragraphe 1
Les manifestations du constitutionnalisme identitaire
Pour
le Professeur Stéphane PIERRE-CAPS « [l]a
revendication
identitaire et
particularisante des peuples ne heurte pas seulement le processus d’universalisation des
droits. Elle se targue de l’universalisation du droit constitutionnel, concomitante à celle de
l’Etat, pour mieux revendiquer sa part de constitutionnalisme, mais au prix d’une profonde
dénaturation de celui-ci.
»1747 Ici, il s’agit essentiellement d’analyser l’autre face du
constitutionnalisme et de la Constitution en Tunisie : lieu d’expression de l’identité
1748, la
constitution sert à manifester des éléments de résistance par rapport au mouvement du
1746 M. TOUZEIL-DIVINA, « Printemps & Révolutions arabes : un renouveau pour la séparation des
pouvoirs ? », précit., pp. 29-45.
1747 S. PIERRE-CAPS, « Le droit constitutionnel entre universalisme et particularisme », précit., pp. 207-208.
1748 Au même titre que la constitution, « le droit constitutionnel s’inscrit d’emblée dans la singularité d’un
peuple, dont il exprime le droit à former un corps politique. » Ibid., p. 217.
402











Page 404
constitutionnalisme global. Dans les pays de la rive Est et Sud de la Méditerranée, ces
éléments sont essentiellement liés aux spécificités culturelles et notamment à la religion
qu’est l’Islam. Afin de savoir si les composantes du constitutionnalisme identitaire heurtent
celles du constitutionnalisme global, il est intéressant d’identifier les éléments de définition
du constitutionnalisme identitaire (A) qui s’expriment au travers des dispositions de la
Constitution du 27 janvier 2014 et de démontrer la singularité du constitutionnalisme
identitaire tunisien (B).
A.
Les éléments de définition du constitutionnalisme identitaire
En théorie, aucun lien n’existe entre le constitutionnalisme et l’identité, or « l’idée
d’ “identité constitutionnelle”, tout en ayant un autre sens, participe implicitement de ce
lien.
»1749 Ce lien s’établit à l’occasion de l’élaboration, de la révision ou de la mise en œuvre
de la Constitution, par la prise en compte de composantes sociologiques de nature
linguistique, ethnique, religieuse ou autre. « De manière générale, le constitutionnalisme
identitaire peut donc être conçu comme la “saisie”, positive ou négative par la norme et/ou la
pratique constitutionnelles de ces phénomènes sociologiques aux fins d’organiser le pouvoir
et l’Etat.
»1750 Ce constitutionnalisme suppose que la norme juridique et/ou les acteurs
politiques traitent le citoyen en prenant en considération certaines caractéristiques spécifiques
de son appartenance. Ces caractéristiques réaffirment des traits proprement distinctifs qui ne
coïncident pas forcément avec les caractéristiques traditionnelles du constitutionnalisme de
type occidental puisqu’ils « sont conjugués avec d’autres éléments qui, par leur culture et
leur histoire, n’ont pas un caractère global similaire mais relèvent des spécificités
locales.
»1751
Avant de savoir où se situent et comment se traduisent constitutionnellement les spécificités
locales des pays arabo-musulmans d’Afrique du Nord et du Proche-Orient
1752, il est important
de définir le constitutionnalisme de type occidental. Il sera, par la suite, essentiel de relever
1749 P. MOUDOUDOU, « L’Etat africain : Entre constitutionnalisme libéral et constitutionnalisme identitaire »,
in Revue juridique et politique, 68ème année, N° 3, 2014, p. 293.
1750 Ibid.
1751 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
p. 25.
1752 Impactés par les soulèvements populaires et les révolutions du Printemps arabe.
403






Page 405
que ce constitutionnalisme ignore la composante sociologique et identitaire des peuples arabes
qu’est l’Islam.
Comme l’affirme Placide MOUDOUDOU, « la notion de “constitutionnalisme” s’inscrit en
général dans une conception libérale du droit public, qui veut que les pouvoirs publics soient
essentiellement limités afin que soient garanties les principales libertés de l’individu. Plus
précisément, on parlera de “constitutionnalisme” pour désigner les régimes politiques qui,
grâce à l’établissement d’un contrôle de constitutionnalité exercé par une instance politico-
judiciaire “indépendante”, rendent possible la limitation du pouvoir législatif lui-même en
veillant à la conformité des lois à la constitution et à ses principes généraux, et non pas
simplement à la légalité des actions de l’exécutif et de l’Administration.
»1753 Né en Occident
à la suite des révolutions anglaise, américaine et française, son développement est inséparable
du libéralisme politique
1754 et de la démocratie moderne. Le Professeur Olivier BEAUD
précise en effet que « le constitutionnalisme ancien ou médiéval est devenu obsolète depuis la
naissance de la souveraineté de l’Etat moderne.
»1755 Les pouvoirs des gouvernants ne sont
plus limités par la tradition et/ou la coutume mais par les institutions étatiques qui peuvent
modifier le droit positif dans son intégralité.
Contemporain des révolutions du XVIIIe siècle, le constitutionnalisme libéral de type
occidental se développe grâce à l’instauration de gouvernements représentatifs. Seulement, du
fait de l’installation dans les pays arabes d’Afrique du Nord de régimes autoritaires suite aux
indépendances, «
aucun des trois pays du Maghreb1756 n’a suivi la France lorsqu’elle s’est
mise, à son rythme et à sa manière, au “constitutionnalisme” contemporain, avec les grandes
étapes de l’introduction du contrôle de constitutionnalité des lois, 1971, 2008 …
»1757 Avant
1753 P. MOUDOUDOU, « L’Etat africain : Entre constitutionnalisme libéral et constitutionnalisme identitaire »,
précit., pp. 292-293.
1754 Le Professeur Olivier BEAUD précise que le « constitutionnalisme procède indéniablement de la
philosophie politique libérale, sa spécificité provient du fait que la limitation du pouvoir politique qu’il
poursuit est réalisée au moyen du droit, au moyen de la constitution conçue comme juridique.
» Dans la
conception libérale, la constitution est le moyen juridique de protection de la souveraineté et des droits du
peuple. O. BEAUD, « Constitution et constitutionnalisme »,
précit., p. 134.
1755 Ibid.
1756 Dans son article relatif au « constitutionnalisme dans les pays du Maghreb », Thierry LE ROY fait
essentiellement référence à la Tunisie, au Maroc et à l’Algérie. Cf. T. LE ROY, « Le constitutionnalisme
dans les pays du Maghreb »,
in E. ZOLLER (dir.), Migrations constitutionnelles d’hier et d’aujourd’hui,
Paris, Editions Panthéon-Assas, 2017, pp. 69-79.
1757 Ibid., p. 74.
404




Page 406
les révolutions du Printemps arabe, les autocrates marocains, algériens1758 et tunisiens
empêchaient l’épanouissement du constitutionnalisme au Sud de la Méditerranée. Mais alors
qu’avec les révolutions de 2010-2011, les régimes autoritaires sont délégitimés, les trois pays
du Maghreb sont aujourd’hui confrontés à des difficultés d’ordre identitaire
1759. La zone
géographique, civilisationnelle et culturelle dans laquelle s’inscrivent ces pays, devient la
norme qui produit une identité.
Ainsi, comme l’affirme le Professeur Abdullahi AHMED AN-NA’IM, « pour être durable et
efficace, une constitution doit atteindre la légitimité islamique au sein de la population en
général, mais elle ne peut pas être qualifiée de constitution du tout si ou dans la mesure où
elle ne respecte pas les caractéristiques fondamentales du constitutionnalisme.
»1760 Tout en
gardant à l’esprit les fondements du constitutionnalisme
1761, prendre en considération
l’appartenance religieuse des peuples arabes est incontournable. Par conséquent, pour qu’une
version originale du constitutionnalisme s’épanouisse dans la région, l’Islam comme
phénomène sociologique saisi par le droit
1762, ne devrait s’opposer ni aux droits et aux libertés
fondamentaux, ni à leur protection juridictionnelle et encore moins, à l’instauration de l’Etat
de droit dans les pays arabo-musulmans.
Le défi de l’ANC élue le 23 octobre 2011, a été de rattacher la Constitution du 27 janvier
2014 au mouvement du constitutionnalisme global, tout en lui attribuant une légitimité ou du
moins, une identité constitutionnelle respectueuse de l’Islam. Comme l’affirme très justement
Thierry LE ROY « on retrouve bien, dans le cas tunisien, la revendication d’une identité
constitutionnelle nationale, précisément dans un moment d’ouverture aux influences
1758 Même si Thierry LE ROY fait référence à l’Algérie, le cas algérien ne sera pas développé dans la suite du
raisonnement. Pour plus d’informations sur ce point cf. « Algérie : vers un nouveau départ – Un an après la
révolte populaire : le régime post-Bouteflika », France Culture, le 17 février 2020, [en ligne], [consulté le
17 février 2020], https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/algerie-vers-un-nouveau-depart-
14-un-apres-la-revolte-populaire-le-regime-post-
bouteflika?fbclid=IwAR2H7KcdQUIrBzTtncOtHd3Oyb_E2tcZHXfgv8MtG5oy00y0h2PX7z-Oodk. Bien
que pouvant servir la démonstration, les soulèvements des peuples algériens et libanais ont délibérément été
exclus des développements. Concomitants à la rédaction de la thèse, ils n’ont pu faire l’objet d’une étude
approfondie. Voulant essentiellement travailler sur des Constitutions élaborées ou révisées à la suite des
révolutions du
Printemps arabe, il semblait plus logique d’analyser les Constitutions marocaine et
égyptienne.
1759 P. MOUDOUDOU, « L’Etat africain : Entre constitutionnalisme libéral et constitutionnalisme identitaire »,
précit., p. 292.
1760 A. AHMED AN-NA’IM, “The Legitimacy of Constitution-Making Processes in the Arab World: An
Islamic Perspective”,
in R. GROTE & T. J. RÖDER (eds.), Constitutionalism, Human Right and Islam
after the Arab Spring, op.cit.
, p. 30. C’est nous qui traduisons.
1761 Que sont les droits et libertés fondamentaux, leur protection juridictionnelle et la limitation du pouvoir.
1762 Notamment constitutionnel.
405




Page 407
internationales, et d’incorporation d’une tradition constitutionnaliste propre. »1763 Toute la
question est donc de savoir si l’Islam comme composante de l’identité constitutionnelle est
compatible avec les composantes traditionnelles du constitutionnalisme de type occidental.
Contrairement au cadre européen où l’identité constitutionnelle des Etats membres s’exprime
au travers des structures institutionnelles
1764, « à l’extérieur de l’espace européen, ce sont les
références aux spécificités culturelles liées à la tradition, l’histoire, la religion et plus
généralement à la culture d’un pays, qui ont le dessus.
»1765 Il est vrai que l’identité
constitutionnelle tend à s’estomper dans la projection de l’identité culturelle. D'autant plus
dans les pays arabo-musulmans d’Afrique du Nord et du Proche-Orient où l’identité culturelle
est d'essence religieuse. L’Islam comme composante de l’identité constitutionnelle de ces
pays, se trouve souvent au cœur des préambules et/ou des principes généraux des
constitutions
1766. Cela se traduit par des clauses immuables1767 ou non révisables qui visent à
préserver les fondements et la structure même de l’ordre juridique national. Bien que
l’identité constitutionnelle des pays arabo-musulmans d’Afrique du Nord et du Proche-
Orient
1768 ne soit pas uniquement religieuse, l’intérêt ici n’est porté que sur l’Islam et les
clauses non révisables des Constitutions tunisienne, égyptienne et marocaine
1769 qui en
disposent.
En Tunisie, l’architecture constitutionnelle est ainsi synthétisée « par les articles 1 et 2, qui
représentent deux des quatre dispositions intangibles
1770 [... qui] qualifient la forme de
1763 T. LE ROY, « Le constitutionnalisme dans les pays du Maghreb », précit., p. 77.
1764 Intervention du Professeur Marc BLANQUET au sujet « De l’identité constitutionnelle des Etats membres
à l’identité constitutionnelle de l’Union européenne
», au cours des séances de l’Académie de législation à
l’Université Toulouse 1 Capitole, le jeudi 5 avril 2012, [en ligne], [consulté le 13 août 2019],
http://www.dailymotion.com/video/xql0s9_de-l-identite-constitutionnelle-des-etats-membres-a-l-identite-
constitutionnelle-de-l-union-europeen_news.
tunisienne de 2014 :
illustration de
la globalisation du droit
1765 T. GROPPI, « La Constitution
constitutionnel ? »,
précit., p. 349.
1766 Ces principes sont généralement situés au sein des premiers articles de la constitution et sont le lieu
d’expression de l’identité constitutionnelle. Voir L. ORGARD, “The Preambule in Constitutional
Interpretation”,
précit., pp. 714-738. Voir également M.-C. PONTHOREAU, « La constitution comme
structure identitaire »,
précit., pp. 31-42.
tunisienne de 2014 :
1767 T. GROPPI, « La Constitution
la globalisation du droit
constitutionnel ? »,
précit., p. 349. Voir également M. TROPER, « L’identité constitutionnelle », précit.,
pp. 123-131 et G.-J. JACOBSON, “The formation of constitutional identities”,
précit., pp. 129-142.
1768 Elaborées ou révisées à la suite des soulèvements populaires et des révolutions du Printemps arabe.
1769 Le choix des Constitutions égyptienne et marocaine est justifié un peu plus loin dans le raisonnement.
1770 Les dispositions qui ne peuvent être modifiées sont les articles 1, 2, 49 et 75 de la Constitution. Alors que
l’article 49 est relatif aux acquis en matière de droits et de libertés garantis par la Constitution, l’article 75
dispose du nombre et de la durée des mandats présidentiels.
illustration de
406




Page 408
l’Etat. »1771 Alors que l’article premier fait de la Tunisie un Etat libre, indépendant et
souverain dont la religion est l’Islam, la langue l’arabe et la République le régime, l’article
deuxième fait de l’Etat un Etat « civil », fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la
primauté du droit.
Afin de cerner la place et le rôle de l’Islam dans la société, le droit et la Constitution en
Tunisie, il est intéressant de comparer les dispositions constitutionnelles tunisiennes relatives
à l’identité à celles du Maroc et de l’Egypte. Le choix de ces deux sociétés est guidé par
l’objectif de démontrer que l’importance accordée à l’Islam comme composante de l’identité
constitutionnelle en Tunisie, n'empêche pas la société et l’Etat d'être régis par le droit. La
comparaison menée permet également de cerner le lien entre constitutionnalisme et identité à
l’occasion de l’élaboration des Constitutions tunisienne et égyptienne et de la révision de la
Constitution marocaine. Au sein du mouvement du constitutionnalisme global, l’exception ou
la singularité tunisienne réapparait au contact d’autres constitutions du monde arabe et
musulman qui font de l’Islam, l'une des sources du droit.
B.
La singularité du constitutionnalisme identitaire tunisien
Comparer les dispositions des Constitutions tunisienne et égyptienne de 2014, démontrera que
la relation entre l’Etat et l’Islam en Tunisie est des plus singulières
1772. Cependant, pour
mener à bien la comparaison, le contexte dans lequel ont évolué la Tunisie et l’Egypte après la
chute des régimes autoritaires de BEN ALI et de MOUBARAK doit être rappelé :
contrairement au Maroc, l’Egypte partage avec la Tunisie le même type de régime politique, à
savoir républicain. De plus, à l’instar de la Tunisie, l’Islam est la religion de la majorité des
Egyptiens
1773. D’ailleurs, ces deux voisins ont pour habitude d’évoluer l’un en fonction de
1771 T. GROPPI, « La Constitution tunisienne de 2014 dans le cadre du “constitutionnalisme global” », précit.,
p. 23.
1772 Si la Tunisie perd sa singularité en comparaison des sociétés divisées à l’exemple d’Israël, de l’Inde et de
l’Irlande, elle la retrouve au contact des autres constitutions du monde arabe et musulman. Pour plus de
précisions sur ce point, cf. le 1. du A. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre I de la
PARTIE I de cette thèse, relatif au
problème de l’Islam comme religion de l’Etat, p. 137.
1773 La comparaison avec le Maroc ne fait pas l’objet de ces développements. Ici, il s’agit essentiellement
d’analyser la prise en compte de l’Islam par le droit constitutionnel à l’occasion de l’élaboration de la
constitution. Alors que le Maroc a connu une révision constitutionnelle, la Tunisie et l’Egypte ont elles, été
confrontées à la révolution et à la rupture constitutionnelle. D’ailleurs, l’Islam comme religion, est associé
au caractère « civil » et non monarchique de l’Etat dans ces deux pays.
407






Page 409
l’autre1774 : ils cherchent à s’arroger les avancées et les réformes à l’œuvre dans les Etats
arabes et musulmans d’Afrique du Nord et du Proche-Orient
1775. La société civile égyptienne
a suivi de près les soulèvements populaires et les troubles révolutionnaires tunisiens. En 2013,
les Tunisiens et les Egyptiens manifestaient contre les violences et les attentats terroristes. Le
caractère islamiste des Constitutions et l’islamisation rampante du pouvoir sont pour eux,
responsables de la situation désastreuse de leur pays. Alors que la société civile égyptienne
renverse le régime politique des Frères musulmans et pousse le Président MORSI à la
démission, les Nahdhaouis changent de stratégie politique pour rester au pouvoir et conserver
leur légitimité électorale.
Les débats relatifs à la nature de l’Etat et à la place de la religion dans le système juridique,
ont constitué l’un des principaux enjeux du processus d’élaboration de la Constitution
tunisienne du 27 janvier 2014 et de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014
1776. En
Tunisie, la suppression de la formule selon laquelle l’Islam est la religion de l’Etat, évite
l’islamisation du droit et des institutions. En Egypte, bien que le Comité des 50
1777 ne
comprenne que deux représentants islamistes, les dispositions de la Constitution de 2014
montrent que la population voulait que les prescriptions religieuses prévalent sur les
institutions de l’Etat. De fait, les Constitutions de 2012 et de 2014 reprennent mot pour mot
les dispositions de l’article 2 de la Constitution égyptienne de 1971 selon lesquelles « [l]es
principes de la charia islamique sont la source principale de législation. » Parallèlement,
« pour une bonne partie de la population, la charia pourrait avoir une dimension éthique plus
que juridique
»1778 selon Nathalie BERNARD-MAUGIRON. En d'autres termes, pour
certains, la mise en œuvre des préceptes religieux rétablira l'ordre moral, la justice sociale et
améliorera la gouvernance publique.
1774 La Tunisie et l’Egypte sont dotées d’une histoire et d’une culture riches qui font leur spécificité dans le
monde arabe et musulman.
1775 L’exemple le plus flagrant est la rivalité entre NASSER et BOURGUIBA lorsqu'il était question de la
conception du nationalisme arabe et de la résolution du conflit israélo-palestinien. Chacun voulait s’arroger
le leadership du monde et du nationalisme arabes. Pour plus de précisions, cf. le 1. du B. du Paragraphe 1
de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE I de cette thèse, relatif à
la volonté des constituants
de faire de la Constitution un modèle valable régionalement
, p. 202.
1776 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour
l’Egypte ? », précit., p. 526.
1777 Cf. note de bas de page 170.
1778 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour
l’Egypte ? »,
précit., p. 526.Voir également G. ANELLO, “‘Plural Shari’ah’. A Liberal Interpretation of the
Shari’ah Constitutional Clause of the 2014 Egyptian Constitution”,
Arab Law Quartely 31 (2017), pp. 74-
88.
408




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Contrairement à la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014, la Constitution égyptienne du
18 janvier 2014 consacre la valeur normative de la charia et fait de l’Islam la religion de
l’Etat. Cela signifie que l’Islam règne sur les institutions et que l’Etat n’est pas fondé sur le
droit objectif. Paradoxalement, l’interprétation progressiste et moderniste de l’article 2 par la
Haute Cour constitutionnelle, réduit considérablement la portée et la place de la charia dans
l’ordre juridique égyptien. « Cette juridiction, […] a ainsi décidé en 1985, dans un premier
arrêt de principe, que les juges du fond ne pouvaient refuser d’appliquer une loi qu’ils
estimaient contraire à la loi islamique et lui substituer un principe tiré de la charia. L’article
2 constitue une injonction à l’adresse du législateur et non du juge et il revient au premier, et
à lui seul, de modifier les textes en vigueur pour les rendre conformes à la loi
islamique
1779. »1780 Seul le législateur est tenu de respecter la loi islamique et les principes de
la
charia. D’ailleurs, dans un deuxième arrêt de principe du 15 mai 19931781, le juge
constitutionnel a opéré une distinction entre les principes absolus et les règles relatives de la
charia. A savoir, les premiers sont des normes islamiques contraignantes et immuables issues
des dispositions du
Coran, de la Sunna ou de l’ijmâ1782, les secondes « sont sujettes à
interprétation, évolutives dans le temps et dans l’espace, dynamiques, [elles] ont donné lieu à
des divergences d’interprétation et s’adaptent à la nature et aux besoins changeants de la
société.
»1783 Seuls les principes absolus de la charia sont obligatoires, fixés par la parole
révélée, leur source et leur signification sont sacrées.
Bien que l’interprétation de la Haute Cour constitutionnelle ait réduit le champ d’application
de l’article 2 aux seuls principes absolus de la charia et qu’elle n’impose son respect qu’au
seul législateur, une question reste en suspens : comment considérer que la Constitution et
1779 Haute Cour constitutionnelle (HCC), 4 mai 1985, n° 20/1°, Recueil des décisions de la Haute Cour
constitutionnelle (Rec.)
, vol. 3, pp. 209 et s. (en arabe). Pour une traduction française de l’arrêt,
cf. J. JACQUEMONT, « La Haute Cour constitutionnelle et le contrôle de constitutionnalité des lois », in
Annuaire international de justice constitutionnelle
, IV, 1988, pp. 569 et s.
1780 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour
l’Egypte ? », précit., p. 527.
1781 HCC, 15 mai 1993, n° 7/8°, Rec., vol. 5, part. 2, pp. 290 et s. (en arabe).
1782
Cf. Annexe 1– Glossaire – Ijmâ.
1783 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour
l’Egypte ? »,
précit., pp. 527-528. Il est à noter qu’une règle de la charia peut devenir un principe absolu si
elle remplit deux conditions : elle «
doit, tout d’abord, découler d’une disposition qui trouve son origine
dans les trois sources principales de la loi islamique : le Coran, la Sunna, le consensus jurisprudentiel des
spécialistes de la loi islamique (el foqaha). Ensuite,
[la règle] énoncée par l’une de ces trois sources doit
avoir une interprétation claire qui fait l’objet du consensus des spécialistes de la loi islamique. » A.
tendances
MOHAMED-AFIFY, « La Constitution égyptienne de 2014 : entre
révolutionnaires »,
précit., pp. 134-135. Voir également N. BERNARD-MAUGIRON, « La place de la
charia dans la hiérarchie des normes »,
in B. DUPRET (dir.), La charia aujourd’hui. Usage de la référence
au droit islamique, op.cit.
, pp. 59-61.
traditions et
409



Page 411
l’Etat respectent les revendications révolutionnaires d’une partie des Egyptiens1784 si le
législateur est tenu de respecter les principes absolus de la charia ? Le paradoxe égyptien
réside dans le fait que l’article 2 de la Constitution a été maintenu alors même que le peuple
avait renversé le régime politique des Frères musulmans et qu'il avait poussé le Président
MORSI à la démission. Il est nécéssaire d’indiquer que « l’adhésion de l’Etat égyptien à la
charia a toujours été considérée comme une tradition ancrée dans la République
égyptienne.
»1785
Bien que la religion soit l’une des caractéristiques de la Tunisie, la sécularisation des
institutions a été imposée par BOURGUIBA car il était contre un Islam réglant les institutions
et l’organisation étatiques. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en Tunisie, les
Constitutions n’évoquent que l’Islam, alors qu'en Egypte, les textes constitutionnels font
référence à la charia. Toutefois, si en Tunisie l’Islam est géré par l’Etat, le droit et la loi
peuvent avoir une connotation religieuse en fonction de l’interprète et de la lecture de l’article
premier. En effet, les représentants du peuple peuvent s’inspirer des préceptes et des principes
de l’Islam pour élaborer la loi, selon la volonté du peuple et les attentes du corps social. En
Egypte, la charia est constitutionnellement une source formelle et matérielle de la loi tandis
qu'en Tunisie, l’Islam peut concrètement servir de source d’inspiration au législateur, si telle
est la volonté du peuple.
L’exemple égyptien est donc révélateur de la volonté d’appartenir à une communauté close,
bien distincte et séparée de la communauté internationale. Les principes de la charia
empêchent d’une part, la consécration pleine et entière des libertés et des droits
fondamentaux
1786. Ils empêchent d’autre part, les constitutionnalistes de traiter de l’Etat de
droit en Egypte
1787. Certes, les revendications identitaires des peuples arabes se sont
exprimées avec plus de véhémence depuis la chute des régimes autoritaires. Pour autant,
l’expression des particularismes identitaires doit aller de pair avec les fondements du
1784 Les générations à l’initiative de la révolution du 25 janvier 2011 et des manifestations du 30 juin 2013
réclamaient la consécration du caractère « civil » de l’Etat.
1785 A. MOHAMED-AFIFY, « La Constitution égyptienne de 2014 : entre
traditions et
tendances
révolutionnaires », précit., p. 135.
1786 Cf. le B. du Paragraphe 2 qui suit, relatif à l’opposition de l’Islam aux composantes traditionnelles du
constitutionnalisme global, p. 419.
1787 L’Etat de droit est ici entendu selon la définition du Professeur Jacques CHEVALLIER. Il s’agit d’une
théorie de l’Etat selon laquelle le pouvoir est limité parce qu’assujetti à des règles. Les gouvernants et les
citoyens étant soumis au respect des normes juridiques, la règle de droit acquiert une force particulière
puisqu’elle
les fonctions des autorités publiques en place. Pour plus de précisions,
cf. J. CHEVALLIER,
L’Etat de droit, Paris, LGDJ, Lextenso éditions, 6e éd., p. 57.
légitime
410




Page 412
constitutionnalisme : l’Islam comme phénomène sociologique saisi par le droit1788, ne devrait
s’opposer ni aux droits et aux libertés fondamentaux, ni à leur protection juridictionnelle et
encore moins, à l’instauration de l’Etat de droit dans les pays arabo-musulmans. Pour y
arriver,
les
spécificités
identitaires doivent œuvrer
avec
les
fondements du
constitutionnalisme.
A ce jour, la Tunisie semble être la seule à adopter une version du constitutionnalisme
identitaire qui
tente de
se conformer aux
fondements du constitutionnalisme.
Progressivement, les acteurs politiques et juridiques intègrent l’Islam dans la réflexion et
l’application du constitutionnalisme national. En l'occurrence, l’expression juridique et
politique de l’Islam comme composante de l’identité constitutionnelle, tente de se faire
conformément – ou du moins sans contradiction flagrante – avec les fondements du
constitutionnalisme. La Tunisie veut faire en sorte que les libertés et les droits de l’Homme ne
contreviennent pas aux préceptes et aux principes de l’Islam. De fait, une première tentative
de conciliation entre les articles 1 et 2 de la Constitution et l’introduction du principe d’égalité
homme / femme, a été présentée par la COLIBE : elle vise l’égalité successorale entre les
hommes et les femmes. Toutefois, pour ne pas heurter les conservateurs Tunisiens, elle
introduit la possibilité pour le défunt d’appliquer les prescriptions religieuses en matière de
succession. En laissant la possibilité au mourant de choisir le régime successoral appliqué à
ses biens, l’égalité en matière d’héritage n'est pourtant qu'une option
1789.
Malgré cela, les pouvoirs publics et la société civile essaient de concilier l’Islam comme
composante de
l’identité
constitutionnelle
tunisienne
avec
les
fondements du
constitutionnalisme. De la sorte et seulement ainsi, le constitutionnalisme identitaire tel qu’il
s’exprime en Tunisie, peut s’inscrire dans le mouvement du constitutionnalisme global.
Autrement dit, certaines expressions du constitutionnalisme identitaire peuvent aller à
l’encontre des libertés et des droits de l’Homme, de leur protection juridictionnelle et de l’Etat
de droit. Il est donc intéressant de voir quelles sont les limites du constitutionnalisme
identitaire, qu’il soit tunisien, égyptien ou marocain.
1788 Notamment constitutionnel.
1789 Pour plus de précisions sur ce point cf. le B. du Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre 1 de la
PARTIE I de cette thèse, relatif au
choix des autorités publiques d’une interprétation déterminée de la
formule « l’Islam sa religion »,
p. 179.
411






Page 413
Paragraphe 2
Les limites du constitutionnalisme identitaire
Si le constitutionnalisme identitaire tente de lier le constitutionnalisme et l’Islam comme
composante de l’identité constitutionnelle des pays arabes d’Afrique du Nord et du Proche-
Orient, « jusqu’où peut-on aller dans la reconnaissance de la diversité sans perdre les
fondements à la base du constitutionnalisme ?
»1790 Jusqu’où en effet, peut-on aller dans
l’affirmation de l’émergence du constitutionnalisme identitaire dans la région, sans diluer ou
même violer les composantes traditionnelles du constitutionnalisme ? Les libertés et les droits
de l’Homme, leur protection juridictionnelle et la limitation du pouvoir doivent être préservés
pour pouvoir parler de constitutionnalisme. Il s’agit donc ici de questionner les limites du
constitutionnalisme identitaire en Tunisie, en Egypte et au Maroc1791. L’Islam comme
composante de l’identité constitutionnelle de ces Etats, peut s’opposer aux libertés et aux
droits de l’Homme chers au constitutionnalisme (B). De fait, la religion est souvent
instrumentalisée (A) pour éviter la consécration pleine et entière de l’égalité homme / femme
et l’entrée en vigueur du droit international relatif aux droits des femmes.
A.
L’instrumentalisation de l’identité constitutionnelle
En Tunisie, l’introduction dans l’ordre juridique interne du droit international relatif aux
droits des femmes est contredite par la Déclaration générale du gouvernement selon laquelle
1790 M.-C. PONTHOREAU, « “Global Constitutionalism” un discours doctrinal homogénéisant. L’apport du
comparatisme critique », précit., p. 130.
1791 Jusqu’ici, l’analyse menée s’intéressait à la prise en compte de l’Islam par le droit constitutionnel à
l’occasion de l’élaboration de la constitution. L’objectif de ces développements est de savoir si au sein des
constitutions élaborées ou révisées à la suite du
Printemps arabe, l’Islam est réellement essentiel et
structurel pour les Etats arabo-musulmans ébranlés par la révolution tunisienne ou s’il est simplement
instrumentalisé pour mettre en échec les droits de l’Homme et, l'égalité homme / femme. Alors que le
Maroc connaissait une révision constitutionnelle, la Tunisie et l’Egypte étaient confrontées à la révolution
et à une rupture constitutionnelle. D’ailleurs, l’Islam comme religion est associé dans ces deux pays, au
caractère « civil » et non monarchique de l’Etat. Si la Constitution marocaine du 29 juillet 2011 pose les
bases d’une monarchie constitutionnelle et fait du Roi, le Commandeur des Croyants, elle semble être plus
ouverte sur le droit international des droits de l’Homme que la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014.
Cette ouverture est pourtant soumise à conditions. Malgré la référence plus ou moins explicite aux
instruments internationaux des droits de l’Homme, les spécificités identitaires de peuple marocain priment
sur l’universalité des droits de l’Homme. L’engagement constitutionnel du Royaume concernant les droits
de la femme et le principe d’égalité n’est possible que dans le respect de l’identité nationale. La
comparaison menée avec le Maroc et l’Egypte, vise ici à savoir si l’Islam en tant que composante de
l’identité constitutionnelle est instrumentalisé pour résister à l’avancée nationale du
constitutionnalisme
global
ou s’il est/peut être compatible avec les droits de l’Homme et notamment ceux de la femme.
412







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la Tunisie « n’adoptera en vertu de la Convention1792, aucune décision administrative ou
législative qui serait susceptible d’aller à l’encontre des dispositions de l’article premier de
la Constitution.
»1793 Alors même que l’Islam n’est pas une source formelle du droit1794,
l’interprétation donnée aux dispositions de l’article premier de la Constitution est
fondamentale. En effet et comme cela a précédemment été dit, deux interprétations
principales de « l’Islam est sa religion » peuvent découler de la formulation vague de l’article
premier. Alors que pour les théocrates, l’Islam règne sur l’Etat puisqu’il est la religion de la
Tunisie, pour les démocrates, l’Islam est la religion sociologique de la grande majorité des
Tunisiens. Ces différentes lectures du même article conduisent à reconnaître deux valeurs bien
distinctes à l’article premier : dans le cas où l’Islam règne sur les institutions étatiques, la
religion est normative, alors que si l’Islam est une caractéristique du peuple, la religion a donc
une fonction descriptive et non prescriptive.
Jusqu’à présent, il a été démontré que le constitutionnalisme identitaire tel qu’il s’exprime en
Tunisie arrive à concilier l’Islam comme phénomène sociologique saisi par le droit
1795, avec
les libertés et les droits de l’Homme
1796. Ici, il s’agit de constater que l’interprétation
normative de l’article premier érige l’Islam
1797 en rempart contre l’avancée des droits de
l’Homme et l’égalité homme / femme.
La globalisation du droit constitutionnel a rassemblé des systèmes constitutionnels de
traditions et/ou de cultures juridiques différentes, autour d’un type bien déterminé de
structures
institutionnelles et de garantie des droits et
libertés1798. Autrefois,
le
constitutionnalisme
libéral de
type occidental concernait peu
l’aire culturelle et
civilisationnelle islamique. Grâce à la Révolution du Jasmin, il a influencé les constitutions
récemment élaborées ou révisées dans les pays arabes et musulmans d’Afrique du Nord et du
Proche-Orient. Or, la convergence accrue des systèmes constitutionnels de tradition et/ou de
1792 Il s’agit ici de la CEDEF à laquelle la Tunisie a adhéré le 12 juillet 1985.
1793 Voir sur cette question le rapport présenté par M. BEN JEMIA et H. CHEKIR, « La levée des réserves à la
"CEDAW" mais non au maintien de la déclaration générale », CEDAW en Tunisie 2011 –
Association
Tunisienne des Femmes démocrates et United Nations Population Fund
, [en ligne], [consulté le
20 décembre 2018], http://www.unfpa-tunisie.org/images/stories/pdfs/cedaw%20francais .pdf, p. 3.
1794 Ceci n’empêche pourtant pas le législateur de s’inspirer de l’Islam.
1795 Notamment constitutionnel.
1796 Chers au constitutionnalisme. Pour plus de précisions, cf. le B. du Paragraphe 1 qui précède, relatif à la
singularité du constitutionnalisme identitaire tunisien, p. 407.
1797 Comme composante de l’identité constitutionnelle.
1798 M.-C. PONTHOREAU, « “Global Constitutionalism” un discours doctrinal homogénéisant. L’apport du
comparatisme critique », précit., p. 107.
413




Page 415
cultures juridiques différentes, a fait émerger des éléments de résistance à la globalisation du
droit constitutionnel. L’Islam comme composante de la structure du système constitutionnel
en Tunisie, en Egypte et au Maroc, pose la question de savoir jusqu’où les constitutions qui se
revendiquent du constitutionnalisme identitaire peuvent aller dans l’expression d’une identité
constitutionnelle spécifique qui nie en partie le principe d’égalité. En d'autres termes, l’Islam
est-il réellement essentiel et structurel pour la Tunisie, l’Egypte et le Maroc ? Pourrait-il être
instrumentalisé pour mettre en échec les droits des femmes et le principe d’égalité ? Si les
droits des femmes ne sont pas respectés, il est difficile de parler de constitutionnalisme.
Si la Tunisie ne peut adopter en vertu de la CEDEF, une décision administrative ou législative
qui aille à l’encontre des dispositions de l’article premier, cela suppose que la religion qu’est
l’Islam soit normative. Ici l’Islam n’est plus conçu comme une composante sociologique des
Tunisiens
1799, il devient une source du droit, alors même que dans l’ordre juridique interne, il
a souvent été considéré comme ayant une fonction descriptive. Il est donc naturel de se
demander si la Déclaration générale du gouvernement tunisien n’a pas été pensée comme
rempart à l’introduction du droit international relatif aux droits des femmes, dans l’ordre
juridique interne.
Afin de répondre cette question, il est nécessaire de distinguer la place et le rôle de l’Islam
dans l’ordre juridique interne (1) et international (2). D’ailleurs, pour mieux cerner la logique
du gouvernement tunisien, il est essentiel de comparer la place et le rôle de l’Islam dans les
ordres juridiques internes
1800 et l’ordre juridique international. La comparaison sert ici la
démonstration : l’Islam peut être instrumentalisé pour bloquer l’avancée nationale des droits
et libertés fondamentaux chers au constitutionnalisme.
1. L’Islam dans l’ordre juridique interne
Dans l’ordre juridique interne, les dispositions relatives à l’Islam au sein de la Constitution du
1
er juin 1959 et du 27 janvier 20141801, témoignent des désaccords sur le rôle de l’Islam au
sein de l’Etat et des institutions. Volontairement imprécises et sujettes à interprétations, elles
1799 Pour mémoire, en élaborant l’article premier de la Constitution du 1er juin 1959, BOURGUIBA ne voulait
pas que l’Islam règle les institutions et l’organisation étatiques.
1800 Marocain et égyptien.
1801 A commencer par l’article premier.
414







Page 416
ont été comprises par Habib BOURGUIBA, Zine El-Abidine BEN ALI et Béji CAÏD
ESSEBSI comme faisant de l’Islam l’une des caractéristiques de la Tunisie
1802. En un mot,
l’Etat n’est pas détaché de la religion mais l’Islam ne règne pas sur l’Etat
1803. C'est ce dernier
qui gère la religion
1804. Si la religion ne sert pas de source formelle à la Constitution ou à
l’Etat, les représentants du peuple peuvent s’inspirer des préceptes et des principes de l’Islam
pour élaborer la loi, selon la volonté du peuple et les attentes du corps social.
Certes, le projet de loi organique sur l’égalité successorale adopté le 23 novembre 20181805
par le gouvernement de Youssef CHAHED, fait de l’égalité en matière d’héritage, une égalité
à la carte mais il marque une avancée pour les droits des femmes, tout en prenant en compte
les attentes du corps social. De la sorte, la saisie par le droit de l’Islam comme phénomène
sociologique concilie les libertés et les droits fondamentaux de l’Homme et l’identité
constitutionnelle dans l’ordre juridique interne.
La situation est somme toute différente au Maroc dans le sens où l’Islam joue un rôle
déterminant au sein de l’ordre juridique interne et qu’il n’est pas autant sujet à interprétation
comme en Tunisie. L’Islam est normatif au Maroc. Son rôle au sein de la Constitution et de
l’Etat marocain fait ainsi obstacle à la consécration pleine et entière de l’égalité de l’homme et
de la femme et à l’avancée du droit international relatif aux droits des femmes.
L’article 19 de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011 affirme que l’homme et la femme
jouissent des mêmes libertés et des droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et
environnementaux, dans le respect « des constantes et lois du Royaume. » Ceci permet à
l’Islam comme composante de l’identité constitutionnelle, de s’opposer à la reconnaissance de
l’égalité en droits entre les Marocaines et les Marocains. En effet et contrairement à la Tunisie
où les pouvoirs publics essaient de faire tomber une à une les lois contraires au principe
1802 La religion n’était et ne devait être que l’une des caractéristiques de la Tunisie. En ne modifiant pas l’article
premier de la Constitution de la Première République, les constituants pérennisaient les caractéristiques de
l’Etat tunisien de l’indépendance.
1803 Autrement dit, il existe en Tunisie un contrat social entre le peuple et le pouvoir mais l’Etat a pour
référence l’Islam.
1804 Puisqu’en vertu de l’article 72 de la Constitution, le président de la République veille au respect de la
Constitution, chaque président est libre de livrer sa propre lecture du texte constitutionnel. En d'autres
termes, Kaïs SAÏED, le président de la République actuel, pourrait interpréter l’article premier de la
Constitution comme faisant de l’Islam la religion de la Tunisie.
1805 « Tunisie : vers l’adoption du projet de loi sur l’égalité successorale hommes-femmes, une première dans le
monde arabe »,
Agence Ecofin Droits [en ligne], publié le mardi 27 novembre 2018, [consulté le
20 décembre 2018], https://www.agenceecofin.com/droits-humains/2711-62188-tunisie-vers-l-adoption-du-
projet-de-loi-sur-l-egalite-successorale-hommes-femmes-une-premiere-dans-le-monde-arabe.
415





Page 417
d’égalité, « le Code civil marocain, notamment le Code de la famille prévoit toujours des
discriminations à caractère religieux pour les non-musulmans du fait qu’il leur est interdit
d’hériter de musulmans.
»1806 Les femmes au Maroc1807 et les non musulmans n’ont donc pas
le même statut juridique que les hommes. Au sein du système constitutionnel marocain,
l’Islam constitue un frein à l’égalité en général et à l’égalité homme / femme en particulier.
D’ailleurs, le régime marocain n’est pas une république mais une monarchie constitutionnelle
et le Roi est l’Amir Al Mouminine ou le Commandeur des Croyants. En vertu de l’article 41
de la Constitution, il veille au respect de l’Islam, il est la clé de voûte des institutions. Alors
qu’en Tunisie, l’Etat et le législateur ont pour référence l’Islam, au Maroc les institutions
étatiques sont sous le contrôle du descendant du Prophète. L’Islam est donc une composante
essentielle de la structure du système constitutionnel : il met en échec le principe d’égalité
dans l’ordre juridique interne et empêche l’entrée en vigueur du droit international relatif aux
droits des femmes, comme en Egypte.
L’article 11 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014 dispose de l’égalité homme /
femme et du droit des femmes à occuper des fonctions publiques ; « la Constitution précise
toutefois qu’il [l’Etat] doit également permettre à la femme de concilier ses devoirs familiaux
et son travail dans la société.
»1808 Cet article 11 est celui de la Constitution de 1971 qui
consacrait la vision patriarcale des rapports hommes / femmes, prévoyant également
l'engagement de l’Etat à soutenir et à protéger la maternité et l’enfance. Ceci est
symptomatique de « la priorité accordée par les islamistes aux valeurs familiales et de leur
volonté d’enfermer les femmes dans leurs tâches domestiques de mères de famille.
»1809 Pour
mémoire, l’article 2 de la Constitution fait des principes de la charia, la source principale de
législation. Comme au Maroc, la Constitution en Egypte fait de l’Islam et plus précisément de
la charia, l’élément essentiel de la structure du système. Donc si dans l’ordre juridique
interne, la charia est une composante essentielle de la structure du système constitutionnel,
elle met à mal l’égalité homme / femme.
1806 O. BENDOUROU, « La nouvelle Constitution marocaine du 29 juillet 2011 », précit., p. 516.
1807 Qu’elles soient ou non musulmanes.
1808 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour
l’Egypte ? », précit., pp. 521-522.
1809 Ibid., p. 522.
416





Page 418
La Tunisie semble donc être le seul pays qui tente de concilier l’égalité et l’Islam comme
composante de l’identité constitutionnelle dans l’ordre juridique interne. Qu’en est-il de la
place et du rôle de l’Islam dans l’ordre juridique international ?
2. L’Islam dans l’ordre juridique international
En ce qui concerne l’ordre juridique international, du fait de la convergence accrue des
systèmes constitutionnels, le gouvernement tunisien a érigé l’article premier de la
Constitution en élément de résistance à la globalisation du droit constitutionnel. La Tunisie
essaie dans l’ordre juridique interne, de ménager le principe d’égalité homme / femme. De
son côté, l’interprétation normative de l’article premier de la Constitution montre que l’Islam
est instrumentalisé par les représentants de l’Etat, pour bloquer l’avancée du droit
international relatif aux droits des femmes, arguant que l’Islam, comme composante
sociologique et identitaire, s’oppose à l’entrée en vigueur du droit international relatif aux
droits des femmes.
La situation est différente au Maroc dans le sens où l’Islam joue un rôle déterminant au sein
de l’ordre juridique interne et international. En effet, « la ratification et l’effectivité des
conventions internationales ne peuvent se concevoir que dans la mesure où elles respectent
l’identité nationale qui est sujette à confusion.
»1810 Le Maroc s’engage à donner aux
conventions internationales dûment ratifiées et publiées, la primauté sur le droit interne et à
harmoniser les dispositions pertinentes de sa législation nationale. Cela se fera dans le cadre
des dispositions de la Constitution et des lois du Royaume, autrement dit dans « le respect de
son identité nationale immuable.
»1811 Les conventions internationales qui contredisent
l’Islam comme composante de l’identité constitutionnelle marocaine n’ont pas leur place en
droit interne
1812 : les réserves de la CEDEF concernant l’égalité dans l’héritage entre l’homme
et la femme sont donc maintenues par le Maroc
1813. Ici aussi, composante de l’identité
constitutionnelle, l’Islam empêche l’entrée en vigueur du droit international relatif aux droits
des femmes. Qu’en est-il en Egypte ?
1810 O. BENDOUROU, « La nouvelle Constitution marocaine du 29 juillet 2011 », précit., p. 515.
1811 Treizième alinéa du préambule de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011.
1812 O. BENDOUROU, « La nouvelle Constitution marocaine du 29 juillet 2011 », précit., pp. 515-516.
1813 O. BENDOUROU, « Réflexions sur la Constitution du 29 juillet 2011 et la démocratie », précit., p. 135.
417







Page 419
Dans l’ordre juridique international, la charia permet à l’Egypte d’émettre des réserves à la
CEDEF. Adhérant à la Convention le 18 septembre 1981, l’Egypte a confirmé avoir des
réserves
1814 vis à vis de l’article 16, relatif au mariage et aux rapports familiaux, notamment
l’égalité de l’homme et de la femme dans le mariage et lors de sa dissolution
1815. En effet, la
charia en Egypte n’accorde le divorce à la femme que sur décision du tribunal1816. D’ailleurs,
au moment de la ratification de la Convention, l’Egypte est restée circonspecte sur l’ensemble
des dispositions de l’article 2, ce qui lui permet de n’appliquer les dispositions de la CEDEF
que dans la mesure où elles ne contrarient pas la charia.
De plus et alors même que l’article 93 de la Constitution affirme que l’Etat égyptien s’engage
à respecter les traités, accords et textes internationaux relatifs aux droits de l’Homme qu’il a
ratifiés
1817, « il ne prévoit pas la supériorité du droit international sur le droit national et ne
confère que force de loi aux traités auxquels l’Egypte est partie.
»1818 Autrement dit, en cas de
conflit entre un traité et une loi, le dernier texte adopté prévaudra même s’il s’agit d’une loi
contraire à un traité antérieurement ratifié
1819. Les principes de la charia empêchent donc
l’avancée du droit international des droits des femmes. Là encore, il est difficile de parler de
constitutionnalisme lorsque les droits des femmes ne sont pas pleinement et entièrement
consacrés.
Assurément, il est logique que face à la globalisation du droit constitutionnel, les Etats d’une
tradition et/ou d'une culture juridique différente affirment leurs spécificités locales, leurs traits
identitaires les plus saillants. Toutefois, ces derniers ne peuvent empêcher la consécration
1814 Formulée le 16 juillet 1980 lors de la signature de la Convention.
1815 Il n’empêche que sous le règne de la Constitution de 1971, la Haute Cour constitutionnelle (HCC) s’est
inspirée du droit international pour interpréter de manière extensive des droits constitutionnels à l’instar du
droit au mariage (décision n° 34/1995). L’article 73(6) de la loi n° 47 de 1972 interdisait le juge du Conseil
d’Etat de marier des étrangers. Même si le droit au mariage et le droit de choisir son époux n’étaient nulle
part mentionnés dans la Constitution de 1971, la HCC a jugé qu’il ne fallait pas considérer que la
Constitution prohibe de tels droits. Elle les a rattachés à la liberté individuelle (article 41), à l’intimité
(article 45) et au droit de fonder une famille (article 9). La HCC a interprété le droit au mariage et le droit
de choisir son époux à l’aune des instruments internationaux qui traitent du droit de choisir son époux sans
distinction de race, de couleur ou/et de nationalité. Ses sources d’inspiration les plus importantes sont la
DUDH, la Convention de New York sur le consentement au mariage, l’âge minimal du mariage et
l’enregistrement des mariages et, la
CEDEF. Pour plus d’informations sur le raisonnement de la HCC voir
I. I. CHIHA, “Constitutionalisation of International Human Rights Law in the Jurisprudence of the
Egyptian Supreme Constitutional Court”,
Arab Law Quartely 32 (2018), pp. 244-245.
1816 Cette condition n’est pas imposée aux hommes en Egypte.
1817 Ils acquièrent après leur publication la valeur législative.
1818 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour
l’Egypte ? », précit., p. 523.
1819 I. I. CHIHA, “Constitutionalisation of International Human Rights Law in the Jurisprudence of the Egyptian
Supreme Constitutional Court”, précit., pp. 245-248.
418




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pleine et entière du principe d’égalité ou encore, s’opposer à l’avancée du droit international
relatif aux droits des femmes. L’Islam comme composante de l’identité constitutionnelle en
Tunisie, en Egypte et au Maroc, est le seul moyen de résister à l’avancée du
constitutionnalisme libéral et de conserver la spécificité du système constitutionnel local.
C'est ainsi que le gouvernement tunisien – contrairement à l’Egypte et au Maroc – a notifié au
Secrétaire général de l’
ONU, sa volonté de lever les multiples réserves1820 formulées à la
CEDEF1821. Simultanément, il maintient que la Tunisie « n’adoptera en vertu de la
Convention, aucune décision administrative ou législative qui serait susceptible d’aller à
l’encontre des dispositions de l’article premier de la Constitution
»1822 et il aménage le
principe d’égalité dans l’ordre juridique interne en l’adaptant à la réalité sociologique des
Tunisiens. Comme cela vient d’être démontré, ce n’est pas le cas de tous les pays arabo-
musulmans depuis les soulèvements populaires de 2010-2011. Au nom de l’Islam, la Tunisie,
l'Egypte et le Maroc s’opposent bien souvent aux droits de l’Homme incontournables dans le
constitutionnalisme global.
B.
L’opposition de l’Islam aux composantes traditionnelles du constitutionnalisme
global
Il s’agit ici de démontrer que l’Islam en tant que composante de l’identité constitutionnelle de
la Tunisie, de l’Egypte et du Maroc, s’oppose à la consécration et à la réalisation pleine et
entière des libertés et des droits essentiels au constitutionnalisme. Par conséquent, il est
nécessaire de rappeler les incohérences de la Constitution du 27 janvier 2014
1823, avant
d'analyser l’impact de son article 1
er sur les composantes constitutionnelles du caractère
« civil » de l’Etat
1824 et sur les libertés et les droits fondamentaux1825.
1820 Cf. Note de bas de page 1301.
1821 Cf. Note de bas de page 1302.
1822 Voir le rapport présenté par M. BEN JEMIA et H. CHEKIR, « La levée des réserves à la "CEDAW" mais
non au maintien de la déclaration générale », CEDAW en Tunisie 2011 –
Association Tunisienne des
Femmes démocrates et United Nations Population Fund
, [en ligne], [consulté le 20 décembre 2018],
http://www.unfpa-tunisie.org/images/stories/pdfs/cedaw%20francais .pdf, p. 3.
1823 Pour une analyse plus détaillée de l’ensemble des contradictions constitutionnelles en matière de religion en
Tunisie, cf. le 2. du B. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre 1 de la PARTIE I de cette
thèse, relatif à
la difficile conciliation du rôle de l’Etat en tant que protecteur de la religion et du sacré et
garant de la liberté de conscience
, p. 149.
1824 Cf. le Chapitre 1 du Titre II qui suit.
419






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Bien que l’Etat soit considéré comme « civil », les non musulmans sont exclus du texte
constitutionnel. Ceci n’est pas le cas de tous les non musulmans en Egypte
1826. Afin de
relativiser la spécificité du cas tunisien, une comparaison avec le voisin égyptien est
nécessaire (1). L’étude du cas marocain sert également la démonstration : l’exercice des droits
et de libertés consacrés par la Constitution du 29 juillet 2011 est conditionné par le respect de
l’Islam (2).
1. L’exclusion des non musulmans du texte constitutionnel
En ne constitutionnalisant que l’Islam, les constituants tunisiens ont exclu du texte
constitutionnel les autres religions et les individus athées, non croyants, non pratiquants ou
non musulmans. De plus, l’article 74 de la Constitution permet aux seuls Tunisiens de
confession musulmane de présenter leur candidature à la présidence de la République
1827. Si
la Constitution ne sacralise que le référent islamique de l’identité du peuple, elle ne respecte
ni l’athéisme
1828, ni le principe d’égalité des Tunisiens en matière de religion. Bien que
l’Islam ne soit pas une source du droit, il réduit sévèrement les libertés et les droits
fondamentaux des Tunisiens
1829, comme seule religion constitutionnellement reconnue. La
situation est somme toute différente en Egypte.
L’article 64 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014 consacre la liberté de croyance
mais il réserve « la liberté de pratiquer les cultes aux seuls fidèles des trois religions : Islam,
Christianisme, Judaïsme.
»1830 Cet article constitutionnalise l’interprétation constante faite par
la Cour suprême égyptienne
1831, de l’article 461832 de la Constitution du 11 septembre 1971.
1825 Cf. le Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 1 du Titre 2 qui suit, relatif aux droits et libertés brimés du
fait de leur inadéquation avec l’Islam, p. 498.
1826 Il est essentiellement question ici de s’intéresser au cas égyptien. Le cas tunisien est spécialement traité dans
le chapitre qui suit.
1827 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article
74, alinéa premier.
1828 Cf. le A. du Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 1 du Titre 2 qui suit, relatif à la liberté de ne pas avoir
de religion, p. 499.
1829 Pour une analyse détaillée des droits et libertés brimés par l’Islam en Tunisie, cf. le Paragraphe 2 de la
Section 2 du Chapitre 1 du Titre 2 qui suit, relatif aux
droits et libertés brimés du fait de leur inadéquation
avec l’Islam
, p. 498.
1830 A. MOHAMED-AFIFY, « La Constitution égyptienne de 2014 : entre
traditions et
tendances
révolutionnaires », précit., p. 135.
1831 Ancêtre de la Haute Cour constitutionnelle qui a fonctionné jusqu’en 1979, date de l’instauration de la
Haute Cour constitutionnelle.
1832 Ce dernier prévoyait que : « L'Etat garantit la liberté de croyance et la liberté de pratique religieuse. »
420






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En effet, elle « avait eu l'occasion de se prononcer sur la portée de l'article 46 et avait estimé
que le principe de la liberté d'exercice des pratiques religieuses devait être interprété comme
ne s'appliquant qu'aux seuls adeptes des trois religions du Livre : islamique, chrétienne et
juive.
»1833 Dans sa décision n° 7/2 du 1er mars 1975, la Cour suprême cherchait à exclure la
pratique du
Bahaïsme1834 qu’elle considérait comme génératrice de troubles à l’ordre public
dans un pays musulman
1835.
Si la Constitution du 18 janvier 2014 reprend à son compte la décision de la Cour suprême,
elle ne consacre que les religions traditionnellement admises dans les pays musulmans
1836.
Ceci suppose que les constituants aient volontairement exclu du texte constitutionnel les
autres religions (Bahaïsme et Bouddhisme entre autres), les athées, les non croyants, les non
pratiquants et les non musulmans.
Pour autant, à la suite de la chute du régime des Frères musulmans, le Comité des 50 a débattu
de la possibilité d’introduire au sein de la Constitution en discussion, une disposition
garantissant la liberté de pratique des cultes aux « non musulmans ». Cette expression
permettait de renvoyer à l’ensemble des fidèles d’une autre religion que l’Islam. Cependant,
les représentants d’Al-Azhar et du mouvement salafiste égyptien Al-Nour s’y sont
1833 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Haute Cour constitutionnelle égyptienne, gardienne des libertés
publiques »,
Egypte/Monde arabe, Le Prince et son juge, Deuxième série, 1999, [en ligne], [consulté le 22
août 2019], http://journals.openedition.org/ema/777, p. 8.
1834 Le Bahaïsme est une religion des disciples de Baha Allah et du babisme. Bab (1819-1850) est le fondateur
du
Bahaïsme. Au milieu du XIXème siècle, il se dit porteur d’un message visant à transformer la spiritualité
de l’humanité. L’âge de paix et de justice qu’il promet doit advenir par l’avènement d’un second messager
de Dieu,
Baha Allah (1817-1892). Ce dernier aura pour mission de rassembler les croyants du monde
autour de la paix et de la religion universelle.
Bab consacra sa vie à rédiger des écrits destinés à convaincre
du bienfondé de son message. La théologie du Bahaïsme est un syncrétisme de plusieurs religions : lors de
réunions rituelles dans des temples, les croyants lisent des passages des Evangiles et du
Coran. Lui aussi
préconise un jeûne annuel au cours du mois de
babi (du 2 et le 21 mars). Cependant, il n’a ni culte public,
ni sacrements spécifiques.
1835 La Cour suprême affirme dans cette décision que « [l]es travaux préparatoires des articles 12 et 13 de la
Constitution de 1923 qui ont été repris par les Constitutions précédentes montrent que la protection
constitutionnelle pour la liberté de culte consacrée par ses articles est limitée aux seuls trois religions du
livre, et ceci à condition que la pratique du culte ne provoque pas, le cas échéant, de troubles à l’ordre
public qui est constitué en grand partie de la loi islamique. La pratique du Bahaïsme n’entre pas ainsi dans
cette protection constitutionnelle, car d’un côté, le bahaïsme ne peut être considéré comme une parmi ces
trois religions, d’un autre, la pratique du Bahaïsme peut provoquer des troubles à l’ordre public dans un
pays musulman. » Cour suprême, n° 7/2 du 1er mars 1975, Recueil des arrêts de la Cour suprême, vol. 1,
p. 79.
1836 Les sociétés musulmanes traditionnelles avaient pour habitude de ne reconnaître et de ne protéger que les
Gens du Livre, autrement dit les croyants de l’ancien et du nouveau testament, qu’ils soient juifs ou
chrétiens. La Constitution égyptienne de 2014 conserve la tradition et la reprend à son compte.
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radicalement opposé. La Constitution à venir devait selon eux, respecter les traditions
ancestrales de la société égyptienne
1837.
En effet, les sociétés musulmanes traditionnelles ne reconnaissaient que les Gens du Livre ou
Ahl al-Kitâb conformément au Coran qui n’accorde de statut particulier qu’au Judaïsme et au
Christianisme car leurs fidèles suivent les enseignements divins révélés par un prophète et
consignés dans un livre. Cela les distingue d’ailleurs des religions polythéistes que le Coran
incite les musulmans à combattre. En respectant la tradition ancrée dans la société égyptienne,
la Constitution du 18 janvier 2014 prive les Egyptiens d’une autre religion que l’Islam, le
Christianisme ou le Judaïsme, de l’exercice d’une liberté fondamentale : la liberté de culte.
Sur ce point, l’Islam comme composante de l’identité constitutionnelle égyptienne, s’oppose à
l’une des libertés fondamentales essentielles au constitutionnalisme.
De plus, « [l]’article 3 de la Constitution de 2012 avait fait des principes des lois des
Egyptiens chrétiens et juifs la source principale des législations organisant leur statut
personnel, leurs affaires religieuses ainsi que le choix de leurs chefs spirituels.
»1838 Bien que
ce soit la première fois dans l’histoire du droit constitutionnel égyptien, que la personnalité
des lois en matière de droit de la famille soit consacrée par la Constitution, ce système est
discriminatoire dans l’ordre juridique égyptien. En effet, prévu par la loi n° 462
1839, il
n’accorde cependant qu’aux juifs et aux chrétiens d’organiser leurs affaires personnelles,
qu’elles soient religieuses et/ou familiales. Les autres « non musulmans » restent quant à eux
soumis, au droit de la famille des musulmans.
L’article 3 avait été introduit dans la Constitution de 2012 pour compenser les références à la
charia et il a été repris par la Constitution de 2014, à la demande des Eglises. Il est essentiel
de remarquer que le Comité des 50 avait voulu étendre le système de la personnalité des lois
en matière de droit de la famille, à l’ensemble des « non musulmans ». Toutefois, en ce qui
concerne le statut personnel, le droit général est plus ouvert que les lois religieuses,
notamment chrétiennes : l’Eglise copte par exemple, refuse souvent de reconnaître la validité
1837 A. MOHAMED-AFIFY, « La Constitution égyptienne de 2014 : entre traditions et
tendances
révolutionnaires », précit., p. 136.
1838 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour
l’Egypte ? », précit., p. 528.
1839 Alinéa 2 de l’article 6 de la loi n° 462 de 1995 relative à l’abolition des tribunaux religieux et
confessionnels et au transfert des requêtes pendantes aux tribunaux nationaux. Principe repris par la loi n° 1
de 2000, portant sur la procédure en matière de statut personnel. L’article 4 de cette loi a abrogé la loi n°
462 de 1995.
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des divorces prononcés par les tribunaux égyptiens1840 et n’autorise pas le remariage des
couples divorcés. Par ailleurs, elle refuse de reconnaître la conversion des coptes à une autre
religion, confession, croyance ou rite.
En droit égyptien, les musulmanes peuvent introduire une requête en divorce pour plusieurs
motifs : l’absence du mari sans motif légitime pendant plus d’un an, sa condamnation à une
peine de prison supérieure à trois ans, son aliénation mentale, une maladie grave et incurable
ou encore, pour défaut de paiement de la pension alimentaire ou pour préjudice (qu’il résulte
ou non de la polygamie). Comment considérer que les Egyptiens sont égaux en droits si le
statut personnel varie en fonction de la confession et si seuls les Gens du Livre ont la
possibilité de légiférer et de gérer les affaires religieuses et familiales de leurs fidèles ?
En considérant que la liberté de culte n’est reconnue que pour les adeptes des trois religions
monothéistes et que le droit de la famille s’applique de manière confessionnelle, l’Etat
égyptien a une vision de la société qui ne peut être ni athée, ni éloignée des prescriptions
religieuses
1841. Les normes et les règles ne sont donc pas purement juridiques mais d’essence
religieuse. En cela même, la Constitution de 2014 contredit-elle la liberté de culte et l’Etat de
droit comme fondements du constitutionnalisme. Est-ce également le cas au Maroc ? L’Islam
participe-t-il à l’exercice ou non, des libertés et des droits fondamentaux ?
2. L’exercice des droits et libertés conditionné par le respect de l’Islam
Par la Constitution marocaine du 29 juillet 2011, le Roi consacre une liste importante de
droits et de libertés aux Marocains mais la question de leur effectivité se pose. Des
contradictions existent entre les droits et les libertés proclamés et les restrictions qui les
accompagnent
1842. Par exemple, il est possible de suspendre ou d’interdire des associations si
elles portent atteinte à l’Islam. Dans l’article 12, la liberté d’association est consacrée et la loi
1840 Depuis 2008 et l’amendement du règlement de 1938 sur le statut personnel des coptes orthodoxes, le
divorce n’est possible qu’en cas d’adultère.
1841 De l’Islam, du Christianisme et du Judaïsme.
1842 Par ailleurs, l’exercice de certaines libertés traduit un décalage entre le texte constitutionnel et la pratique
politique. Pour plus de précisions, cf. O. BENDOUROU, « Les droits de l’homme dans la constitution
marocaine de 2011 : débats autour de certains droits et libertés »,
La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014,
[en ligne], [consulté le 22 août 2019], http://journals.openedition.org/revdh/907, pp. 1-24.
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fixe ses modalités d’organisation et d’exercice. En ce sens, la loi du 15 novembre 19581843
« prévoit des modalités de suspension et d’interdiction des associations fondées sur des
notions vagues et
large pouvoir
d’appréciation.
»1844 L’article 3 de la loi précise effectivement que « l’association ne doit pas
imprécises accordant ainsi aux autorités un
poursuivre des objectifs illicites, contraires aux lois, aux bonnes mœurs ou qui ont pour but
de porter atteinte à la religion islamique, à l'intégrité du territoire national, au régime
monarchique ou de faire appel à la discrimination. » Dans ce contexte, que signifie l’atteinte
à la religion islamique et au régime monarchique ?
La formulation vague de l’article permet une interprétation libre et donne aux pouvoirs
publics toute latitude d’interdire les associations qui critiquent les prérogatives étendues du
Roi, la place de l’Islam au sein de l’Etat et/ou son rôle dans la légitimation du pouvoir
monarchique. Combinée à l’interprétation discrétionnaire de l’article 3, la restriction qui
accompagne la liberté d’association la vide de sa substance. Conditionnée par le respect de
l’Islam, la liberté d’association ne peut s’exercer librement d’autant plus que la justice
marocaine souffre encore d'un manque d'indépendance et d'intégrité
1845.
Etant donné ce qui précède, comment affirmer que la Constitution du 29 juillet 2011 s’inscrit
dans le mouvement du constitutionnalisme global ? Malgré les avancées constitutionnelles
notables, le référent religieux est utilisé dans l’ordre juridique interne et interprété par le
pouvoir monarchique pour empêcher une quelconque dérive du régime. Le statut de la liberté
d’association et de la liberté de constituer des partis politiques est d’ailleurs similaire.
Prévue à l’article 7 de la Constitution du 29 juillet 2011, cette liberté de création de partis
politiques est déterminée par la loi organique du 22 octobre 2011
1846. Dorénavant, la
compétence de les interdire ne revient plus au chef du Gouvernement mais à la justice
1847. La
loi organique reprend à son compte la formulation de l’article 7 de la Constitution : les partis
politiques « ne peuvent avoir pour but de porter atteinte à la religion musulmane, au régime
monarchique, aux principes constitutionnels, aux fondements démocratiques ou à l’unité
1843 Cette loi a connu plusieurs modifications (notamment en 1973 et en 2002).
1844 O. BENDOUROU, « Les droits de l’homme dans la constitution marocaine de 2011 : débats autour de
certains droits et libertés », précit., p. 8.
1845 Tels ont été les propos de l’ancien secrétaire général du Parti de l’Istiqlal et ancien Premier ministre,
M. Abbas EL FASSI, lors d’une conférence de presse en date du 11 avril 2005.
1846 Dahir n° 1-11-166 du 22 octobre 2011 portant promulgation de la loi organique n° 29-11, relative aux partis
politiques, B.O. n° 5992 du 03-11-2011, p. 2360.
1847 La loi organique reprend ainsi les dispositions de l’article 9 de la Constitution du 29 juillet 2011.
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nationale et l’intégrité territoriale du Royaume. » Autrement dit, à l’instar des modalités
d’interdiction des associations, la justice peut interdire les partis politiques qui traitent des
pouvoirs étendus du Roi ou du rôle et de la place de l’Islam au sein de l’Etat. A cela s’ajoute
l’alinéa 3 de l’article 7 qui interdit les partis politiques d’être fondés sur la base religieuse.
Pour l’ancien ministre de la Justice Omar AZZIMAN, les magistrats agissent sur
instruction
1848. Ils peuvent sanctionner les partis politiques qui ne se conforment pas aux
règles établies par le pouvoir monarchique, ce qui est également le cas de la liberté de la
presse
1849. Les responsables des périodiques et les journalistes peuvent être inquiétés par la
Justice s’ils publient des articles qui portent atteinte à la religion islamique
1850, au régime
monarchique ou à l’intégrité territoriale.
De toute évidence, l’Islam est une composante de l’identité constitutionnelle en Tunisie, en
Egypte et au Maroc. Il structure les ordres juridiques nationaux alors même que la religion
telle que prévue par les Constitutions et interprétée par les pouvoirs publics, contredit souvent
les droits de l’Homme et les fondements de l’Etat de droit. Par conséquent, il est difficile de
parler de constitutionnalisme, nonobstant le fait que la Tunisie peut par exemple, servir de
modèle pour la promotion des droits des femmes dans la région.
1848 O. BENDOUROU, « Les droits de l’homme dans la constitution marocaine de 2011 : débats autour de
certains droits et libertés », précit., p. 8.
1849 Prévue à l’article 25 de la Constitution du 29 juillet 2011 et régie par la loi du 15 novembre 1958. Dahir
n° 1-58-378 du (3 joumada I 1378) 15 novembre 1958,
B. O. n° 2404 bis du 27/11/1958, p. 1914, modifié
par le dahir n° 1-73-285 du (6 rabia I 1393) 10 avril 1973,
B. O. du 11/04/1973, p. 535. En 2002, le
Parlement a adopté des amendements promulgués par le dahir n° 1-02-207 du (25 rajab 1423) 3 octobre
2002, portant promulgation de la loi n° 77-00,
B. O. n° 5080 du 6/2/2003, p. 131.
1850 Il est important de relever qu'en 2002, les amendements de la loi du 15 novembre 1958 ont introduit la
notion de «
valeurs sacrées », ce qui accroît les pouvoirs d’interprétation des juges et restreint par
conséquent, la liberté de presse. Des exemples précis d’atteintes à la liberté de la presse sont exposés dans
l’article précité d’Omar BENDOUROU, tels que des atteintes aux valeurs sacrées du Royaume et des
procès politiques relatifs à la diffamation. Pour plus de précisions, cf. « 3. Les atteintes à la liberté de
presse »,
in O. BENDOUROU, « Les droits de l’homme dans la constitution marocaine de 2011 : débats
autour de certains droits et libertés »,
précit., pp. 14-18.
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CONCLUSION
La globalisation différenciée des droits constitutionnels permet d’avancer l’idée de
l’émergence du constitutionnalisme transformateur dans la région, depuis l’adoption de la
Constitution tunisienne de 2014. Certes, les clauses constitutionnelles du texte du 27 janvier
2014 rendent visibles ce nouveau constitutionnalisme dans un Etat arabe et musulman du
bassin méditerranéen. Néanmoins, elles doivent être adaptées aux composantes d’une
nouvelle version du constitutionnalisme, le constitutionnalisme identitaire.
L’Islam comme composante essentielle des constitutions qui s’inscrivent au sein du
constitutionnalisme identitaire contredit souvent les fondements du constitutionnalisme. Seul
l’avenir des débats parlementaires relatifs à l’égalité successorale permettra d’affirmer l’idée
selon laquelle, la Tunisie est un modèle de promotion des droits des femmes et plus
généralement, du constitutionnalisme identitaire pour les pays de la région.
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CONCLUSION DU TITRE I
L’étude du constitutionnalisme tunisien permet de comprendre que le « concept de
constitutionnalisme a une histoire qui n’est pas linéaire ou plutôt qui repose sur plusieurs
traditions.
»1851 L’étude des travaux préparatoires à la Constitution du 27 janvier 2014 et
l’immersion dans la société tunisienne permettent au comparatiste d’affirmer que le
constitutionnalisme a un avenir et qu’il cherche tant bien que mal à concilier les valeurs
universelles et identitaires.
Pourtant, l’étude approfondie des aspects culturels du droit en Tunisie permet de constater les
contradictions du constitutionnalisme tunisien. Si son discours est progressiste et se veut
cohérent, les pratiques qui en découlent sont souvent discriminatoires.
1851 M.-C. PONTHOREAU, « “Global Constitutionalism” un discours doctrinal homogénéisant. L’apport du
comparatisme critique », précit., p. 134.
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Titre II Le constitutionnalisme tunisien : un discours
progressiste, des pratiques discriminatoires
Le Professeur Abdullahi AHMED AN-NA’IM l'affirme : « L’État est une institution politique
incapable d’avoir une religion.
»1852 La constitution de l’Etat est par conséquent, un texte
temporel et non spirituel
1853. Contrairement aux individus qui le composent, l’Etat doit être
constitutionnellement neutre à l’égard des religions
1854. Sa neutralité vise en effet à
« préserver la possibilité d’une piété religieuse reposant sur la conviction et le choix, et non
sur le conformisme imposé.
»1855 Si l’Etat doit garantir la liberté de religion, de croyance et de
culte, il est également tenu de protéger la liberté de conscience. Qu’ils soient croyants,
pratiquants, religieux ou athées, les individus doivent pouvoir exprimer sans entraves, leurs
convictions et leurs choix idéologiques, politiques ou religieux. Est-ce véritablement le cas en
Tunisie ? L’Etat est-il constitutionnellement neutre à l’égard des religions ?
Avant de répondre à ces questions, il est important de relever que la théorie du Professeur
Abdullahi AHMED AN-NA’IM rejoint celle du Professeur Andras SAJO qui milite pour une
conception laïque du constitutionnalisme
1856. Le constitutionnalisme laïc suppose que la
sphère publique soit séparée de la sphère privée qui comprend notamment la religion. Si la
1852 A. AHMED AN-NA’IM, « Etat laïc pour sociétés religieuses : rôle de l’islam dans les nouvelles
constitutions arabes et quête de la démocratie », Annuaire IEMed de la Méditerranée, 2014, p. 115.
1853 I. Ö KABUGLU, « La migration de l’idée de laïcité au Proche et au Moyen-Orient : Turquie, Egypte et
Tunisie »,
in E. ZOLLER (dir.), Migrations constitutionnelles d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Editions
Panthéon-Assas, 2017
, p. 82.
1854 A. AHMED AN-NA’IM, Islam and the Secular State: Negotiating the Future of Sharia, Harvard, Harvard
University Press, 2009, p. 85.
1855 A. AHMED AN-NA’IM, « Etat laïc pour sociétés religieuses : rôle de l’islam dans les nouvelles
constitutions arabes et quête de la démocratie », précit., p. 115.
1856 Pour le Professeur Andras SAJO, le terme "laïcité" suppose uniquement que l’organisation sociale,
politique et juridique soit séparée des considérations transcendantales. Sa théorie ne vise donc pas à
promouvoir un modèle de laïcité à l’instar de la laïcité française. Malgré la définition qu’il donne de la
laïcité, il précise que le concept juridique est flou et qu’il renvoie à une réalité sociale complexe. Même s’il
milite pour que la sphère et les institutions publiques soient détachées des considérations religieuses, il est
conscient de deux phénomènes. D’une part, il affirme que de nombreux pays accordent des concessions aux
religions pour ne pas heurter les sensibilités religieuses des citoyens. D’autre part, il précise que le
processus de laïcisation se fait lentement et qu'il arrive à son terme lorsque la religion cède à l’Etat
l’intégralité de ses pouvoirs sur les divers aspects de la vie des citoyens croyants. Pour plus de précisions
sur sa théorie, cf. A. SAJO, « Introduction à une conception laïque du constitutionnalisme. Prélude à un
concept de laïcité constitutionnelle »,
in H. RUIZ FABRI et M. ROSENFELD (dir.), Repenser le
constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la privatisation, op.cit.,
pp. 325-353.
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sphère publique est ouverte à la religion, elle est organisée et fonctionne sans elle1857.
Autrement dit, les règles constitutionnelles qui fixent l’organisation et le fonctionnement des
pouvoirs publics ne dépendent pas d'une religion. Le droit constitutionnel peut cependant
intervenir dans la sphère privée pour protéger les libertés individuelles à l’instar de la liberté
religieuse. En effet, « dans de nombreux systèmes juridiques, en raison de l’obligation
positive de l’Etat de promouvoir ou faciliter la jouissance des droits humains fondamentaux,
le libre exercice de la religion exige d’être soutenu par l’Etat sous réserve que ce soutien ne
soit pas discriminatoire et respecte la neutralité de l’Etat.
»1858 La neutralité de l’Etat sous-
tendue par la conception laïque du constitutionnalisme promeut donc la protection et la libre
expression des libertés et des droits fondamentaux.
Le constitutionnalisme n’existe d’ailleurs que « lorsque la société ne tient pas publiquement
compte des préoccupations transcendantales.
»1859 De fait, le constitutionnalisme laïc ne
s’applique qu’à des sociétés où la séparation des sphères publiques et privées existe dans la
pratique et dans les mentalités, avant d’être consacrée par le droit constitutionnel. Or comme
cela a été dit précédemment, dans les sociétés arabo-musulmanes « pour être durable et
efficace, une constitution doit atteindre la légitimité islamique au sein de la population en
général, mais elle ne peut pas être qualifiée de constitution du tout si ou dans la mesure où
elle ne respecte pas les caractéristiques fondamentales du constitutionnalisme.
»1860 La
neutralité de l’Etat peut-elle s’exprimer dans des Etats où la société reste culturellement et
traditionnellement attachée aux rites et aux pratiques de l’Islam ? Les constitutions de ces
Etats sont-elles des textes temporels ?
Dans le monde arabo-musulman secoué par la vague révolutionnaire de 2010-2011, le concept
de laïcité est considéré comme étant importé d’Occident
1861. « Non seulement le droit ignore
1857 Evoquant le catholicisme et la laïcité en France, pour le sociologue Emile POULAT, « [l]’espace public est
ouvert à tous, y compris aux églises, mais il est organisé et fonctionne sans elles, en vertu de règles qui ne
dépendent pas d’elles.
» E. POULAT, L’ère post-chrétienne. Un monde sorti de Dieu, Paris, Flammarion,
1994, p. 16.
1858 A. SAJO, « Introduction à une conception laïque du constitutionnalisme. Prélude à un concept de laïcité
constitutionnelle », précit., p. 337.
1859 Ibid., p. 340.
1860 A. AHMED AN-NA’IM, “The Legitimacy of Constitution-Making Processes in the Arab World: An
Islamic Perspective”, précit., p. 30. Nous traduisons.
1861 Pour plus de précisions sur ce point dans le contexte tunisien d’élaboration de la Constitution
cf. J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens »,
précit., p. 68. Pour ce qui est du
contexte égyptien d’élaboration de la Constitution, cf. A. KATBEH, “The Civil State (
dawla madaniya): A
New Political Term?”,
IFAIR (Young Initiative on Foreign Affairs and International Relations), publié le
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le concept, mais aussi et surtout le discours politique se défend de vouloir entreprendre une
quelconque laïcisation et s’efforce de montrer le caractère islamique de toutes les règles et
institutions.
»1862 Synonyme d’apostasie, d’athéisme ou d’incroyance, la laïcité est
socialement, juridiquement et politiquement inadmissible
1863. Alors, pourquoi chercher à
savoir si la théorie du constitutionnalisme laïc est applicable en Tunisie ?
Ayant précédemment comparé la relation entre l’Etat et l’Islam en Tunisie et en Egypte1864, il
est pertinent de poursuivre la comparaison menée entre les deux voisins méditerranéens
1865. Si
la comparaison permet d’élucider le sens de la notion d’Etat « civil » (Chapitre 1), elle est
guidée par un objectif bien précis : démontrer la spécificité du constitutionnalisme tunisien
actuel. Ce denier constitutionnalisme n’est pourtant parachevé que par la mise en place de la
Cour constitutionnelle (Chapitre 2).
lundi 24 février 2014, [en ligne], [consulté le 23 mars 2020], https://ifair.eu/2014/02/24/the-civil-state-
dawla-madaniya-a-new-political-term/.
1862 Le Professeur Néji BACCOUCHE poursuit en disant que « [l]es intellectuels les plus ouverts à la raison
n’osent pas annoncer leur laïcité à cause de la résonnance antireligieuse de la notion. La laïcité est
farouchement combattue au nom de l’islam et il serait vain de vouloir expliquer qu’elle protège la liberté
religieuse parce que celle-ci est perçue comme un affaiblissement de la religion.
» N. BACCOUCHE,
« Laïcité et Liberté religieuse (en particulier dans les Etats arabo-musulmans) »,
in I. Ö. KABOGLU (dir.),
Laiklik ve Démokrasi,
Ankara, Imge Kitabevi, 2001, p. 255.
1863 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 238.
1864 Pour plus de précisions sur ce point, cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre 1 de la
Partie II de cette thèse, relatif à la singularité du constitutionnalisme identitaire tunisien, p. 407.
1865 Contrairement au Yémen ou à la Lybie, les révolutions tunisienne et égyptienne ont abouti à l’adoption de
nouvelles constitutions. Ces dernières associent l’Islam comme religion, au caractère « civil » de l’Etat.
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Chapitre 1 Un Etat « civil » pour un peuple musulman
N’ayant jamais été des Etats théocratiques1866, l’Egypte et la Tunisie n’ont pas non plus été
des Etats laïcs
1867. La chute des présidents MOUBARAK et BEN ALI a permis à l’islam
politique de s’exprimer et de revendiquer sa place dans l’espace public. Craignant que les
mécanismes de la démocratie aident les partis religieux à imposer un commandement divin à
la société, au droit et à l’Etat, les constituants des deux pays ont fait appel à la notion d’Etat
« civil ». Qualifiée de notion «
charnière »1868, les partis religieux autant que les partis non-
religieux peuvent s'approprier l’Etat « civil ». Si le signifiant plaît aux différentes parties en
présence, le signifié dépend de l’orientation politique et idéologique de l’interprète. Ainsi,
« plus le concept normatif [est] incertain (conformément à l’incertitude sociale qu’il
exprime), moins il sera pertinent ou convaincant lorsqu’il sera appliqué.
»1869
Historiquement apparue en Egypte, la notion d’Etat « civil » a fait l’objet des débats
constituants égyptiens et tunisiens
1870. Dans les deux Etats voisins, la notion a pourtant
fonctionné comme «
une série de contre-qualifications de l’Etat. »1871 L’Etat « civil » n’est ni
militaire, ni sécuritaire, ni religieux, ni laïc
1872. Défini par ce qu’il n’est pas, il interroge le
chercheur sur ce qu’il est. Identifier la ou les significations du caractère « civil » de l’Etat
(Section 1) est donc important. Contrairement au préambule de la Constitution égyptienne de
2014
1873, la Constitution tunisienne de la même année, consacre doublement le caractère
1866 En d'autres termes, des Etats au sein desquels la religion participe de l’organisation et du fonctionnement
des institutions de l’Etat.
1867 Il s'agit des Etats au sein desquels la sphère religieuse est séparée de la sphère politique et juridique.
1868 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 63.
1869 A. SAJO, « Introduction à une conception laïque du constitutionnalisme. Prélude à un concept de laïcité
constitutionnelle », précit., p. 329. Bien que l’affirmation du Professeur Andras SAJO concerne le concept
de laïcité, elle est également transposable à la notion d’Etat « civil ».
1870 Contrairement à l’Egypte et à la Tunisie, le Maroc n’est pas une république mais une monarchie
constitutionnelle. Malgré la révision constitutionnelle de 2011, le rôle religieux et politique du Roi n’a pas
été remis en cause. Descendant du Prophète, le Roi est le Commandeur des croyants : il veille au respect de
l’Islam et protège les droits et les libertés des citoyennes et des citoyens (articles 41 et 42 de la
Constitution). A l’opposé des Constitutions égyptienne et tunisienne de 2014, le préambule de la
Constitution marocaine de 2011 fait du Maroc un Etat musulman souverain. L’identité de l’Etat marocain
ne fait pas de doute. A l’inverse, la notion d’Etat « civil » mérite d’être définie. Cette notion a fait l’objet
des débats constituants en Egypte et en Tunisie. L’ensemble des ces raisons exclut le Royaume du Maroc
des développements de ce chapitre.
1871 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 64.
1872 C. STEUER and A. BLOUËT, “The Notion of Citizenship and the Civil State in the Egyptian Transition
Process”, Middle East Law and Governance, vol. 7, 2015, n° 2, p. 239.
1873 Le préambule de la Constitution égyptienne de 2014 retient la notion de « gouvernement civil ». Pour plus
de précisions sur ce point, cf. N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne est-elle
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« civil » de l’Etat et elle le définit1874. Selon l’article 2, « [l]a Tunisie est un Etat civil, fondé
sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit.
»1875 S’il est essentiel de
savoir en quoi consistent les trois composantes du caractère « civil » de l’Etat en Tunisie, il
est fondamental de relever que les conventions sociales, les rites et les pratiques de l’Islam
déprécient
l’essence même des droits et des
libertés qui découlent de
la
citoyenneté (Section 2).
révolutionnaire ? », OrientXXI. Info, 4 décembre 2013, [en ligne], [consulté le 20 mars 2020],
https://orientxxi.info/magazine/la-constitution-egyptienne-est-elle-revolutionnaire,0444. Révisée en avril
2019, la Constitution égyptienne place désormais l’armée au-dessus du système constitutionnel. Dans sa
version amendée, l’article 200 de la Constitution érige l’armée en gardienne de la Constitution et fait d’elle,
la garante de la démocratie, des composantes fondamentales de l’Etat, de son caractère « civil », ainsi que
des acquis du peuple et des droits et libertés individuelles. Ce point fait l’objet de développements
ultérieurs.
1874 Le quatrième paragraphe du préambule et l’article 2 de la Constitution du 27 janvier 2014 en dispose.
L’article 49 de ladite Constitution s’y réfère également.
1875 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article 2,
premier alinéa.
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Section 1
La signification du caractère « civil » de l’Etat
Pour Rachel KANTZ FEDER, « [d]epuis 2011, [la] notion amorphe [d’Etat « civil »] a trouvé
son expression dans la transition politique égyptienne, la nouvelle constitution tunisienne, la
coopération entre les forces anti-régime en Syrie et la campagne pour les élections
législatives d’avril 2014 en Irak.
»1876 Afin de savoir ce qu’est un Etat « civil » pour un
peuple musulman (Paragraphe 1), il est nécessaire de comparer l’apparition de la notion et sa
consécration constitutionnelle en Egypte et en Tunisie. Contrairement à la Syrie et à l’Irak, les
révolutions en Tunisie et en Egypte ont abouti à l’adoption de nouvelles constitutions. Ces
dernières associent l’Islam comme religion, au caractère « civil » de l’Etat. Comme l’affirme
Salsabil KLIBI, l’article 2 de la Constitution du 27 janvier 2014 est « assez consistant avec
beaucoup de repères fixés par le constituant. Il contient trois éléments principaux de
définitions
»1877 : la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit.
Ces trois composantes seront étudiées à l’aune des Constitutions égyptienne et tunisienne de
2014. L’objectif de cette étude est de savoir si l’Islam comme religion s’oppose aux
fondements du constitutionnalisme. D’après les propos du Professeur Andras SAJO, ce
dernier est fondé sur « l’aptitude de l’homme à la raison et sur la souveraineté
populaire.
»1878 D'une part, l’ensemble des droits et des libertés qui découle de la citoyenneté,
doit être consacré et librement pratiqué
1879. D'autre part, les Etats égyptien et tunisien doivent
être soumis au droit (Paragraphe 2). Il est alors nécessaire de savoir si en Egypte et en
Tunisie, le droit est fondé sur la «
raison publique »1880 et si les lois n’émanent que de la
1876 Pour une vue d’ensemble des usages de la notion d’État « civil » dans les contextes révolutionnaires du
Printemps arabe, cf. R. KANTZ FEDER, “The Civil State in Political Discourse after the Arab Spring”,
Tel Aviv Notes, vol. 8, mai 2014, n° 10, pp. 1-6. Nous traduisons.
1877 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
1878 « Le constitutionnalisme se fonde sur l’aptitude de l’homme à la raison et sur la souveraineté populaire. La
première considération implique la reconnaissance par le droit d’un devoir de raison publique et le rejet
des raisons divines. La seconde exclut toute source de droit qui n’est pas laïque.
» A. SAJO, « Introduction
à une conception laïque du constitutionnalisme. Prélude à un concept de laïcité constitutionnelle »,
précit.,
p. 325.
1879 L’étude d’un certain nombre de droits et de libertés des citoyens égyptiens et tunisiens fait l’objet du 2. du
B. du Paragraphe 1 qui suit. Pour ce qui est de l’opposition entre Islam et pratique effective de la liberté de
conscience, voir essentiellement le Paragraphe 2 de la Section 2 qui suit.
1880 La « raison publique » développée par le Professeur Andras SAJO suppose que les choix juridiques soient
fondés sur des raisons accessibles à tous. Autrement dit sur des raisons qui ne relèvent pas des croyances
religieuses. Ces dernières doivent, pour s’exprimer sur la sphère publique, être traduites en raisons
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souveraineté populaire. De la sorte et seulement ainsi, le « gouvernement civil » égyptien
et l’Etat « civil » tunisien se conformeront-ils aux fondements du constitutionnalisme.
Paragraphe 1
Qu’est-ce qu’un Etat « civil » pour un peuple musulman ?
Au-delà du slogan employé au cours de la campagne présidentielle de 2014 par le président de
la Deuxième République, Béji CAÏD ESSEBSI
1881, aujourd'hui défunt, il s’agit de
comprendre la notion d’Etat « civil » dans un pays appartenant à l’aire culturelle islamique.
Qualifiée d’ «
ambiguë »1882, la notion d’Etat « civil » est généralement définie par ce qu’elle
n’est pas. Le « gouvernement civil » (houkouma madaniyya) en Egypte, signifie à la fois un
gouvernement non militaire et non religieux1883. L’Etat « civil » (dawla madaniyya) en
Tunisie, n’est ni un Etat militaire (dawla askariyya), gouverné par l’armée, ni un Etat
sécuritaire (dawla amniyya), gouverné par les forces de sécurité. Il n’est pas non plus un Etat
théocratique (dawla dinniyya), où la religion participe à l’organisation et au fonctionnement
des institutions de l’Etat. Bien que nécessaires
1884, ces définitions négatives ne permettent pas
d’identifier un Etat « civil ».
Selon les Professeurs Alfred STEPAN et Juan José LINZ1885, dans un Etat « civil », la
religion se plie aux impératifs de la démocratie et l’Etat respecte la religion : le peuple
souverain élabore la loi et les institutions étatiques admettent l’importance de l’Islam pour les
séculières. L’étude de la « raison publique » en Egypte et en Tunisie fait l’objet de développements
ultérieurs.
1881 La Tunisie était pour lui et pour bon nombre de Tunisiens : « Un Etat civil, pour un peuple musulman ».
Pour plus de précisions sur ce point, cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre 1 de la
PARTIE I de cette thèse, relatif à
la conciliation des dispositions des articles 1, 2 et 146, p. 160.
1882 R. KANTZ FEDER, “The Civil State in Political Discourse after the Arab Spring”, précit., p. 1.
1883 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne est-elle révolutionnaire ? », OrientXXI. Info,
4 décembre 2013, [en ligne], [consulté le 20 mars 2020], https://orientxxi.info/magazine/la-constitution-
egyptienne-est-elle-revolutionnaire,0444.
1884 Ces définitions négatives sont développées dans le A. qui suit.
1885 Dans un article intitulé "Democratization Theory and the ‘Arab Spring’", le Professeur Alfred STEPAN
cherche à savoir comment l’Islam et la démocratie peuvent coexister au sein d’un Etat. Il suggère alors que
les institutions religieuses soient séparées des institutions étatiques. Les autorités religieuses ne doivent pas
contrôler les représentants du peuple. Ces derniers ne peuvent intervenir dans les affaires religieuses que si
elles affectent les droits et les libertés des citoyens. La séparation entre les institutions religieuses et les
institutions étatiques peut s’effectuer de différentes manières. L’une d’elle s’exprime en Tunisie à la suite
de la révolution et prend le nom d’Etat « civil ». A. STEPAN and J.-J. LINZ, “Democratization Theory and
the ‘Arab Spring’”,
Journal of Democracy, Vol. 24, (April 2013), No. 2, p. 17.
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citoyens1886. En Tunisie, il existe un contrat social entre le peuple et le pouvoir1887, supervisé
par un Etat dont la référence est l’Islam. Est-ce également le cas en Egypte ? Même si la
Constitution du 18 janvier 2014 consacre la citoyenneté et la souveraineté du peuple, l’Islam
est la religion de l’Etat et « les principes de la charia islamique sont la source principale de
législation.
»1888 Par conséquent, afin de comprendre ce qu’est un Etat « civil » pour un
peuple musulman, il est nécessaire de comparer l’apparition de la notion, sa signification et sa
consécration constitutionnelle en Egypte et en Tunisie (A). L’article 2 de la Constitution du
27 janvier 2014 fait de la citoyenneté, la première composante de l’Etat « civil » (B). Il est
donc intéressant de s’attarder sur les droits et les libertés qui en découlent et de savoir s’ils
sont constitutionnellement consacrés et effectivement respectés dans la pratique, que ce soit
en Tunisie ou en Egypte.
A.
L’apparition de la notion et sa consécration constitutionnelle en Egypte et en
Tunisie
Dans un article intitulé « Etat laïc pour sociétés religieuses : rôle de l’islam dans les nouvelles
constitutions arabes et quête de la démocratie », le Professeur Abdullahi AHMED AN-NA’IM
préconise d’éviter la généralisation du rôle de l’Islam dans les pays arabes d’Afrique du Nord
et du Proche-Orient
1889. Pour appréhender la notion d’Etat « civil » en Egypte et en Tunisie, il
est essentiel d’accorder une importance particulière à l’Histoire et de prendre en considération
les contextes nationaux. Pour ce faire, il convient de connaître la façon dont la notion d’Etat
« civil » est apparue et ce qu’elle signifie (1), puis de quelle manière elle a été
constitutionnellement consacrée en Egypte et en Tunisie (2).
1886 Ibid., p. 19.
1887 Ce contrat est essentiellement basé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit (article 2
de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014).
1888 Article 2 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014.
1889 A. AHMED AN-NA’IM, « Etat laïc pour sociétés religieuses : rôle de l’islam dans les nouvelles
constitutions arabes et quête de la démocratie »,
précit., p. 116. Voir également B. DUPRET, “The
Relationship between Constitutions, Politics, and Islam. A comparative Analysis of the North African
Countries”,
in R. GROTE & T. J. RÖDER (eds.), Constitutionalism, Human Right and Islam after the Arab
Spring, op.cit.,
pp. 233-244 et, S. EL-DAGHILI, “Al-Dawlah al Madanîyah, A Concept to Reconcile Islam
and Modern Statehood?”,
in R. GROTE & T. J. RÖDER (eds.), Constitutionalism, Human Right and Islam
after the Arab Spring, op.cit.,
pp. 189-197.
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1. L’apparition de la notion d’Etat « civil » et sa signification en Egypte et en Tunisie
Le 7 juillet 2013, à l’occasion d’un entretien avec le journal La Presse de Tunisie, Ameur
LARAYEDH, élu d’Ennahdha à l’ANC a déclaré : « Il n’y a pas d’Etat religieux en islam.
Dans toutes les étapes de l’histoire de l’islam, l’Etat a toujours été un Etat civil.
»1890 Les
propos d’Ameur LARAYEDH s’inscrivent dans
la pensée des grands réformistes
musulmans
1891 que sont l’Egyptien Mohamed ABDUH (1849-1905) et son disciple Rachid
RIDHA
1892 (1865-1935)1893. Ces derniers démontrent dans leurs écrits que l’Etat « civil » est
substantiel à l’Islam.
Alors que le monde arabo-musulman connaît une période d’effervescence culturelle et
intellectuelle appelée
Nahdha1894, Mohamed ABDUH appelle de ses vœux la modernisation
de l’Etat. Cette dernière passe par l’instauration d’un Etat « civil » au sein duquel les
Uléma1895 seraient écartés du champ politique et les fuqahâ1896 du champ juridique. Les
autorités religieuses sont ainsi distinctes des autorités politiques et juridiques. Le pouvoir est
dit « civil » car les Uléma ne peuvent légitimement l’exercer. D’ailleurs, au sein de l’Etat
« civil », la loi n’exprime pas la volonté de Dieu, mais la volonté des hommes au pouvoir
1897.
Dans cette configuration, l’Etat reste cependant islamique : ses dirigeants sont musulmans, il
administre des populations à majorité musulmane et il applique la charia dans le processus
1890 Entretien à La Presse de Tunisie, le 7 juillet 2013.
1891 « Le mouvement réformiste se séparera en deux grandes branches : l’une qui va mobiliser les instruments
juridiques de la modernité occidentale dans un processus de sécularisation assumée du droit ; l’autre qui
s’emploiera à définir les contours d’une modernité juridique islamique par un retour aux sources de
l’islam. C’est dans le cadre de ce second courant du réformisme, que la charia sera mobilisée dans une
entreprise de refondation du droit islamique. » C’est surtout dans ce second courant que s’inscrit la pensée
de Mohamed ABDUH et de Rachid RIDHA. N. BERNARD-MAUGIRON et J.-P. BRAS (dir.),
La Charia,
Paris, Dalloz, coll. « A savoir », 2015, p. 69.
1892 A la suite de Jamal-al-Din AL AFGHANI (1838-1896) et de Mohamed ABDUH, Rachid RIDHA préconise
le renouveau (
tajdid) des écoles juridiques sunnites et promeut une réouverture de l’effort d’interprétation
(
ijtihad).
1893 Sur les réformistes musulmans avant la naissance des islamismes politiques, cf. L. DAKLHI « Les
mouvements réformistes musulmans (du milieu du XIX
ème siècle à nos jours) », Conférence Cycle 2012-
2013 : Religion et politique en Islam, EHESS, le 29 janvier 2013, [en ligne], [consulté le 11 décembre
2019],
https://www.canal-
u.tv/video/ehess/04_conference_de_leyla_dakhli_les_mouvements_reformistes_musulmans_du_milieu_du
_xixe_siecle_a_nos_jours.11322.
1894 Sur la Nahdha voir B. NABLI, Comprendre le monde arabe, op.cit., pp. 42-44.
1895 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Uléma.
1896 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Faqîh.
1897 Ces derniers ne peuvent prétendre exprimer la volonté de Dieu ou du Prophète.
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législatif, réglementaire et jurisprudentiel1898. Dans la pensée de Mohamed ABDUH et de
Rachid RIDHA, la
charia1899 est pourtant réformée. Seuls sont appliqués ses principes et ses
objectifs
1900. Ainsi, la charia n’est plus l’œuvre des docteurs de la loi (fuqahâ)1901 et ses textes
fondateurs (le Coran et la Sunna) peuvent à nouveau faire l’objet d’interprétation. Ce sont
alors les législateurs
1902 qui rendent les lois conformes à la charia et qui cherchent à atteindre
ses objectifs
1903.
L’exercice séculier du pouvoir prôné par Mohamed ABDUH et Rachid RIDHA1904 vise
finalement à éloigner l’Etat « civil » de l’Etat religieux
1905. Si les Nahdhaouis en Tunisie se
sont largement inspirés de la pensée des réformistes égyptiens pour définir le caractère
« civil » de l’Etat
1906, en Egypte, les Frères musulmans l'auraient essentiellement employé
après la révolution de 1952
1907, pour s’opposer à l’Etat militaire de Gamal ABDEL
NASSER
1908.
1898 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 66.
1899 La charia ne signifie pas « droit » au sens technique du terme. Elle renvoie plutôt à la Loi musulmane.
Signifiant « bonne orientation » et/ou « voie à suivre », elle serait prescrite par Dieu dans le
Coran et la
Sunna. Cf. Annexe 1 – Glossaire – Charia.
1900 La charia « traite principalement des valeurs et des principes généraux, plutôt que de règles et de
règlements minutieux, puisés dans un texte sacré, en accord avec la jurisprudence islamique. Pour le dire
dans un langage plus technique, c’est plus l’intention ou l’esprit de la loi qui importe que ses clauses
spécifiques. Ainsi les musulmans doivent-ils s’efforcer de découvrir les intentions, les principes et les
valeurs de la shari’a afin de se conformer à l’esprit de la loi, plutôt que d’en suivre aveuglément la lettre.
»
G. KRÄMER, « La politique morale ou bien gouverner à l’islamique
», Presses de Science Po, « Vingtième
Siècle. Revue d’histoire », 2004/2, n° 82, p. 134.
1901 Les fuqaha sont les spécialistes du fiqh. Cf. Annexe 1 – Glossaire – Fiqh. Produit doctrinal et
jurisprudentiel des
fuqahâ, le fiqh est élaboré à partir des quatre grandes écoles du sunnisme que sont le
malikisme, le hanafisme, le chafiisme et le hanbalisme. « Chaque école produit des manuels juridiques
[…]. Ces manuels consistent en compilations et en commentaires de cas, parmi lesquels les juges vont
rechercher celui ou ceux qui sont les plus proches du litige qui leur est soumis. Ils disposent ainsi de l’outil
qui leur permet de pratiquer le taqlid (imitation) en reconduisant la manière dont les membres de leur
école ont précédemment résolu ce type de cas. Et si aucun cas exactement identique ne vient à se présenter,
ils peuvent user des ressources du raisonnement par analogie. Ce dispositif dispense en principe de
s’engager dans la voie jugée périlleuse d’un ijtihad libre.
» N. BERNARD-MAUGIRON et J.-P. BRAS
(dir.), La Charia, op.cit., pp. 26-27.
1902 Et non plus les fuqahâ.
1903 Les buts de la charia (maqasid al-charia) sont l’ensemble des valeurs fondamentales que la Loi musulmane
doit suivre. Il s’agit essentiellement de la préservation de la religion, de la personne, de la raison, de la
famille et des biens.

1904 Il est intéressant de relever que le projet politique de Rachid RIDHA était panislamique. Il visait à restaurer
le
califat. Au XXème siècle, ses thèses sont appropriées par des acteurs politiques de premier plan, tels que
les nationalistes arabes et les Frères musulmans. Créés en 1928 par Hassan EL BANNA, le programme
politique des Frères musulmans s’inspire largement de la pensée de Rachid RIDHA : il prône l’islamisation
de la législation et le retour au
califat. Pour plus de précisions sur ce point, cf. N. BERNARD-
MAUGIRON et J.-P. BRAS (dir.),
La Charia, op.cit., pp. 78-79.
1905 Au sein duquel la religion participe à l’organisation et au fonctionnement des institutions de l’Etat.
1906 Pour plus de précisions sur ce point, cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre 1 de la
PARTIE I de cette thèse, relatif à la conciliation des dispositions des articles 1, 2 et 146, p. 160.
1907 La nuit du 22 au 23 juillet 1952, le roi Farouk Ier est renversé par un coup d’Etat militaire. Les Officiers
libres
installent le général NAGUIB à la tête de l’Etat. Un an plus tard, le chef des insurgés, Gamal Abdel
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Dans la conception des Frères musulmans, l’Etat « civil » est celui qui est gouverné par des
« civils » et non par l’armée. En Egypte, ce nouvel Etat doit succéder à l’Etat militaire
1909,
« par définition violent, usant d’une violence non légitime et autoritaire, repoussant toujours
à de lointaines échéances la restauration des mécanismes démocratiques.
»1910 La
dénonciation du rôle de l’armée dans la vie politique égyptienne a rallié les partis politiques et
la société civile à cette notion, employée par les Frères musulmans. L’Etat « civil » de leurs
vœux
1911 est celui qui refuse de voir l’armée gouverner. C’est aussi celui qui appelle le peuple
souverain à s’exprimer par la voix de ses représentants ou par référendum
1912. L’opposition
Etat « civil » / Etat militaire a aussi fonctionné en Tunisie.
Alors qu’en Egypte, l’armée a fait front avec le peuple pour conserver ses privilèges, en
Tunisie, « de fortes incertitudes pesaient sur le comportement de l’armée et des forces de
sécurité intérieures
»1913 au déclenchement de la révolution. Craignant un coup d’Etat
militaire, Ennahdha, les partis politiques et la société civile conçoivent l’Etat « civil » comme
celui qui s’oppose à la prise du pouvoir par les militaires. Les Tunisiens refusent également
l’instauration d’un Etat sécuritaire, gouverné par les forces de sécurité. Bras armé du régime
autoritaire de BEN ALI, les forces de sécurité avaient maintenu les Tunisiens dans la peur
1914
durant des années. L’Etat « civil » signifiait alors le refus de la violence politique illégitime
qu’elle soit militaire ou sécuritaire
1915. Si cette signification valait pour les Frères musulmans
en Egypte, ces derniers avaient aussi pour habitude d’associer le caractère « civil » de l’Etat
aux mécanismes de la démocratie, à l’instar des élections et du système de représentation.
NASSER évince le général NAGUIB et instaure la République. Clément STEUER et Alexis BLOUËT
l'expliquent dans l’article qui suit, C. STEUER and A. BLOUËT, “The Notion of Citizenship and the Civil
State in the Egyptian Transition Process”,
précit., p. 244.
1908 A. KATBEH, “The Civil State (dawla madaniya): A New Political Term?”, IFAIR (Young Initiative on
Foreign Affairs and International Relations), le 24 février 2014, [en ligne], [consulté le 23 mars 2020],
https://ifair.eu/2014/02/24/the-civil-state-dawla-madaniya-a-new-political-term/.
1909 P. HILL, “‘The Civil’ and ‘the Secular’ in Contemporary Arab Politics”, Muftah, 2013, p. 1.
1910 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 64.
1911 Même s’ils promeuvent la conception de l’Etat « civil » cher à Mohamed ABDUH et à Rachid RIDHA, ils
insistent surtout sur l’opposition de l’Etat « civil » à l’Etat militaire.
1912 P. HILL, “‘The Civil’ and ‘the Secular’ in Contemporary Arab Politics”, précit., pp. 1-2.
1913 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit., p. 65.
1914 La répression des Tunisiens par les forces de sécurité était monnaie courante dans la Tunisie de BEN ALI.
L’expression publique de leurs droits et libertés était ainsi, drastiquement limitée.
1915 En 2013, l'assassinat politique de Chokri BELAÏD et de Mohammed BRAHMI questionne l’implication
des appareils de sécurité de l’Etat et déclenche la colère des Tunisiens : le soulèvement et les révoltes
populaires qui s’en suivent, conduisent entre autres à la suspension des travaux de l’ANC.
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Bien avant la chute de Hosni MOUBARAK, la Confrérie des Frères musulmans avait souscrit
au lexique démocratique pour pénétrer l’arène parlementaire
1916. Sous l’Ancien régime, ils
avaient en effet dénoncé «
la discordance entre le discours officiel du pouvoir1917 et ses
pratiques autoritaires.
»1918 Afin de faire partie du paysage politique et d’intégrer la vie
institutionnelle, les Frères musulmans vont mêler aux mécanismes de la démocratie, des
éléments de la culture islamique
1919. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, à la suite de la
révolution de 2011, ils ne se sont pas opposés aux dispositions constitutionnelles qui
renvoient « à l’univers de sens du constitutionnalisme libéral, à savoir les articles
reconnaissant la souveraineté populaire (al-siyada li-l-sha’b), l’équilibre entre les pouvoirs
(al-tawazun bayn al-sulat), le multipartisme (nizam ta’ddud al-ahzab), l’indépendance des
juges et des droits et libertés individuelles.
»1920 Ayant rejeté l’établissement d’un Etat
religieux
1921, ils ne souscrivent au jeu démocratique que pour accéder au pouvoir. Ils
acceptent en effet le principe des élections et celui de la représentation, mais ils n’adhèrent
pas à l’ensemble des valeurs relatives aux droits de l’Homme
1922. Quatre mois après la chute
de MOUBARAK, les Frères musulmans n’avaient tenu aucun meeting politique avec les
partis non-religieux pour débattre des différents types de gouvernements démocratiques. Au
début de la révolution, le site internet de la Confrérie affichait un projet de programme
1916 A. BLOUËT, Le pouvoir pré-constituant. Analyse conceptuelle et empirique du processus constitutionnel
égyptien après la Révolution du 25 janvier 2011, op.cit., pp. 170-171.
1917 Le parti National Démocratique de Hosni MOUBARAK prônait la démocratie malgré les pratiques
autoritaires et liberticides du régime.
1918 A. BLOUËT, Le pouvoir pré-constituant. Analyse conceptuelle et empirique du processus constitutionnel
égyptien après la Révolution du 25 janvier 2011, op.cit., p. 171.
1919 Pour plus de précisions sur la transformation de l’islam politique en Tunisie au moment du processus
constituant de 2011-2014, cf. le 1 du B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 1 du Titre I de la
PARTIE I de cette thèse, relatif à
l’islam du juste milieu et la mise en œuvre des mécanismes de la
démocratie procédurale,
p. 66.
1920 A. BLOUËT, Le pouvoir pré-constituant. Analyse conceptuelle et empirique du processus constitutionnel
égyptien après la Révolution du 25 janvier 2011, op.cit., p. 172.
1921 Hasan AL-BANNA, fondateur des Frères musulmans a inventé la notion d’Etat religieux dans les années
1930. S’il dénonce la décadence du monde musulman, il pense que son renouveau passe par une réforme
d’ensemble qui touche à l’éthique, à la culture et à la politique. Il préconise alors l’instauration d’un Etat
islamique. Dans la pensée de Hasan AL-BANNA, l’Etat islamique est une entité politique qui rassemble
tous les musulmans du globe. Dans cet Etat, la souveraineté appartient à Dieu et la
charia a une valeur
normative. L’Islam est donc pour les Frères musulmans une religion et un Etat. Pour plus de precisions sur
ce point, cf. C. STEUER and A. BLOUËT, “The Notion of Citizenship and the Civil State in the Egyptian
Transition Process”,
précit., p. 245.
1922 Il s’agit ici de reprendre la distinction opérée entre démocratie procédurale et démocratie substantielle.
Alors que la démocratie procédurale suppose une certaine manière de gouverner qui reconnaît
l’intangibilité de principes tels que la représentation et la séparation des pouvoirs, la démocratie
substantielle recouvre un ensemble de valeurs relatives aux droits de l’Homme. S’ils se sont appuyés sur les
élections et le système de représentation pour accéder au pouvoir, les Frères musulmans et
Ennahdha n’ont
pas reconnu l’intégralité des valeurs démocratiques que sont la liberté, l’égalité, la garantie de la pluralité
des opinions et des confessions. Pour une définition antique et moderne de "démocratie", cf. J.-F.
KERVEGAN, « Démocratie »,
précit., pp. 149-155.
443


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politique datant de 2007 qui rejetait entre autres, l’idée qu’une femme ou qu’un non-
musulman puisse un jour être président de la République
1923.
Afin de protéger la liberté, l’égalité des individus, la pluralité des opinions et des confessions,
les partis politiques non-religieux se sont alliés à l’armée
1924 pour « limiter l’expression de la
volonté des islamistes dans la rédaction de la constitution.
»1925 Le 12 juillet 2011, le Conseil
Suprême des Forces Armées (CSFA) organisait une table ronde présidée par le ministre Ali
le 1
er novembre 2011,
EL-SELMI
1926 qui présentait
le « Projet de proclamation
constitutionnelle complétive »
1927. S’il favorisait considérablement le pouvoir de l’armée1928,
l’article premier du projet faisait de la République arabe d’Egypte, « un Etat civil
démocratique qui repose sur la citoyenneté et sur l’Etat de droit. » Les Frères musulmans
étaient-ils d’accord pour fonder l’Etat « civil » égyptien sur la citoyenneté et sur l’Etat de
droit ? Bien que leur programme politique ait été en faveur de l’établissement d’un Etat
« civil »
1929, ils s’opposaient catégoriquement à la consécration constitutionnelle du caractère
« civil » de l’Etat. Alors même qu’après le renversement de H. MOUBARAK, le signifiant
1923 Un autre point essentiel du projet de programme consistait en la mise en place d’une Haute Cour composée
d’imams nommés par les Frères musulmans. Cette cour devait essentiellement examiner les lois pour
s’assurer de leur conformité à la
charia. Pour plus de précisions sur ce point, cf. A. STEPAN and
J.-J. LINZ, “Democratization Theory and the ‘Arab Spring’”,
précit., p. 23.
1924 Le 11 février 2011, Omar SOULEIMAN annonce à la télévision que Hosni MOUBARAK abandonne le
poste de président de la République. Deux jours plus tard, le
CSFA adopte une « Déclaration
constitutionnelle » qui officialise la suspension de la Constitution de 1971, dissout les deux chambres du
Parlement et organise provisoirement les pouvoirs publics. Le
CSFA s’attribue alors la compétence
d’adopter des lois et de promulguer des décrets-lois. C’est ainsi que par le décret n° 1 du 15 février 2011, le
chef du
CSFA forme un comité de huit juristes, le Comité El-Bishry, qui a pour mission principale de
penser la révision de différents articles de la Constitution de 1971. Le 22 février 2011, ce Comité propose la
nomination par les parlementaires d’une commission constituante. Cette dernière est chargée d’élaborer une
nouvelle constitution. Le 19 mars 2011, après de multiples modifications par le
CSFA, les propositions du
Comité El-Bishry sont approuvées par référendum. Parallèlement, dans l’attente des élections législatives et
présidentielles, le
CSFA adopte le 30 mars 2011, une « Proclamation constitutionnelle » qui lui confie les
pouvoirs législatifs et présidentiels.
1925 A. BLOUËT, Le pouvoir pré-constituant. Analyse conceptuelle et empirique du processus constitutionnel
égyptien après la Révolution du 25 janvier 2011, op.cit., p. 170.
1926 Les partis non-islamistes et l’armée cherchaient à encadrer le pouvoir du Parlement dans la nomination de
la commission constituante et à limiter les pouvoirs de la commission dans la rédaction du projet de
constitution.
1927 Plus communément appelé « Document El-SELMI ».
1928 A. STEPAN and J.-J. LINZ, “Democratization Theory and the ‘Arab Spring’”, précit., p. 22.
1929 La situation était similaire en Tunisie. Sous la présidence BEN ALI, Ennahdha s’était accordé avec les
partis d’opposition démocratique sur le fait que l’Islam était géré par l’Etat. Le 1
er juillet 2011, en signant le
Pacte républicain, Ennahdha reconnaissait le caractère « civil » de l’Etat. Dans son programme politique,
le parti islamiste a explicitement renoncé à inscrire au sein de la Constitution que l’Islam était la religion de
l’Etat. Ses partisans l’ont cependant inséré dans les différentes versions du texte constitutionnel alors même
que l’article premier de la Constitution du 1
er juin 1959 avait été maintenu. Pour plus de précisions sur ce
point, cf. le 1. du A. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre 1 de la PARTIE I de cette thèse,
relatif au
problème de l’Islam comme religion de l’Etat, p. 137.
444



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« civil » avait fait l’objet d’un consensus entre les forces politiques en présence1930, il ne
signifiait pour les Frères musulmans que la mise à l’écart de l’armée du pouvoir politique
1931.
La notion d’Etat « civil » constituait d’une part, un espace d’opposition entre les islamistes et
les partis politiques non-religieux quant à la question de la citoyenneté
1932. Les Frères
musulmans refusaient d’autre part, sa constitutionnalisation puisqu’ils espéraient islamiser le
droit et transformer la loi, afin d’imposer le commandement divin
1933. A l’instar d’Ennahdha,
les Frères musulmans liaient l’Islam, la politique et le droit1934. En se servant des procédures
de la démocratie pour accéder au pouvoir, ils estimaient que l’Islam était la religion de l’Etat
et que les gouvernants devaient s’inspirer des principes et des objectifs de la charia pour
gouverner. Soucieux de conserver l’identité islamique des Egyptiens et de l’Egypte, ils
refusaient l’acception laïque de la notion d’Etat « civil ».
Favorables à une séparation entre l’Etat et la religion, certains partis non-religieux ont
mobilisé la notion d’Etat « civil » pour lutter contre l’instauration d’un Etat religieux
1935.
Conscients que la majorité des Egyptiens était traditionnellement et culturellement attachée à
la religion, les partis non-religieux ont invoqué la notion d’Etat « civil » pour éviter l’emploi
de la laïcité
1936. Craignant l’islamisation du droit et des institutions, ils ont milité pour que la
Constitution et la loi n’émanent que de la souveraineté populaire
1937 et que les citoyens soient
égaux
en droits et devant la loi sans discrimination aucune1938. Dans l’objectif de rallier les
1930 P. HILL, “‘The Civil’ and ‘the Secular’ in Contemporary Arab Politics”, précit., pp. 1-2.
1931 Autrement dit, l’instauration d’un gouvernement de civils.
1932 A. BLOUËT, Le pouvoir pré-constituant. Analyse conceptuelle et empirique du processus constitutionnel
égyptien après la Révolution du 25 janvier 2011, op.cit.,
p. 172. La question posée concernait la
compatibilité de la citoyenneté avec la
charia. En cas d’incompatibilité, laquelle des deux devait prévaloir
dans le processus législatif ? La réponse à la question est donnée dans le B. qui suit.
1933 A. SAJO, « Introduction à une conception laïque du constitutionnalisme. Prélude à un concept de laïcité
constitutionnelle », précit., pp. 326-327.
1934 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit, p. 67.
1935 La formulation ambigüe de l’article 1er de la Constitution tunisienne ne permettait pas à elle seule, de
définir le rôle de l’Islam dans la Constitution. La notion d’Etat « civil » a permis de sortir de l’impasse sur
la relation à établir entre l’Etat, le droit et la religion. Pour plus de précisions sur ce point, cf. le 2 du
Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre I de la PARTIE I de cette thèse, relatif à
l’insertion de
l’article 2 disposant du caractère « civil » de l’Etat,
p. 142.
1936 Dans les sociétés arabo-musulmanes, la laïcité est souvent considérée comme excluant ou s’opposant à la
religion. Interviewée par Amer KATBEH, Hiba ISAM AL-KARAR (fondatrice du parti social-démocrate
égyptien) avoue que l’Etat « civil » est l’équivalent de l’Etat séculier. Pourtant, à la différence de ce
dernier, l’Etat « civil » prend en considération la nature religieuse de la société égyptienne. A. KATBEH,
“The Civil State (dawla madaniya): A New Political Term?”, IFAIR (Young Initiative on Foreign Affairs
le 23 mars 2020],
and International Relations),
https://ifair.eu/2014/02/24/the-civil-state-dawla-madaniya-a-new-political-term/.
le 24 février 2014, [en
ligne], [consulté
1937 Ibid.
1938 P. HILL, “‘The Civil’ and ‘the Secular’ in Contemporary Arab Politics”, précit., p. 2.
445




Page 447
partis islamistes à leur conception de l’Etat « civil », les partis non-religieux se sont accordé
sur le fait qu’en Egypte, l’Etat avait pour référence l’Islam
1939. En 2012 aussi, le Grand Mufti
d’Egypte a précisé que la notion d’Etat « civil » ou dawla madaniyya n’était ni importée
d’Occident, ni contraire à la charia. S’il a insisté sur l’identité islamique de l’Egypte, il a
assuré sa compatibilité avec les droits des libertés qui découlent de la citoyenneté
1940.
Les Frères musulmans et Ennahdha se sont accordés avec les partis politiques non-religieux
sur la référence à l'Islam de l’Etat « civil », mais existe-t-il une différence entre l’Etat « civil »
égyptien et tunisien
1941 ? Pour le savoir, il est important de déterminer la façon dont les
Constitutions égyptienne et tunisienne de 2014 se réfèrent à la notion d’Etat « civil ».
2. La consécration constitutionnelle de la notion d’Etat « civil » en Egypte et en Tunisie
Au moment du vote final du texte constitutionnel tunisien, Ennahdha a renoncé à la formule
de l’article 141 de l’avant-projet final du texte constitutionnel qui faisait de l’Islam, la
«
religion de l’Etat »1942. Malgré l’ambiguïté de l’article premier de la Constitution du
27 janvier 2014
1943, l’Islam comme religion était lié au caractère « civil » de l’Etat. Acteur
banalisé du champ politique
1944, Ennahdha s’est finalement plié aux revendications des partis
non-religieux. En était-il de même en Egypte ?
Le préambule de la Constitution du 18 janvier 2014 insistait sur la « construction d’un Etat
démocratique moderne dont le gouvernement est civil ». Contrairement à l’article premier du
Document EL-SELMI, la Constitution de 2014 abandonnait le caractère « civil » de l’Etat. Il
1939 R. KANTZ FEDER, “The Civil State in Political Discourse after the Arab Spring”, précit., p. 2.
1940 Ibid.
1941 La différence entre les deux voisins méditerranéens fait l’objet des développements relatifs à la citoyenneté,
à la volonté du peuple et à la primauté du droit.
1942 Pour mémoire, l’article 148 du Brouillon de projet du 14 décembre 2012, l’article 136 du Projet de
Constitution
du 22 avril 2013 et l’article 141 de l’avant-projet final du texte constitutionnel du 1er juin
2013, énonçaient la liste des dispositions non révisables de la Constitution, dont l’Islam comme «
religion
de l’Etat
». Ces différents articles contredisaient l’article premier de la Constitution, puisqu’en faisant de
l’Islam la religion de l’Etat, la religion devait régner sur les institutions étatiques. Pour plus de précisions
sur ce point, cf. le 1. du A du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre I de la PARTIE I de cette
thèse, relatif au
problème de l’Islam comme religion de l’Etat, p. 137.
1943 L’accord sur le maintien de l’article 1er de la Constitution du 1er juin 1959 n’emporte pas l’accord sur la
signification de la formule «
l’Islam est sa religion ». Alors que pour les théocrates, l’Islam règne sur l’Etat
puisqu’il est la religion de la Tunisie, pour les démocrates, l’Islam est la religion sociologique de la grande
majorité des Tunisiens.
1944 J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ? Débats tunisiens », précit, p. 68.
446







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est intéressant de relever que la formule du préambule consacrait la volonté des Frères
musulmans de voir l’Egypte gouvernée par des « civils » et non par les militaires. Ceci
n’explique cependant pas pourquoi l’article premier du Document EL-SELMI qui faisait de
de la République arabe d’Egypte, un Etat « civil » a été abandonné. Afin de comprendre les
raisons pour lesquels les constituants égyptiens n’ont constitutionnalisé que le caractère
« civil » du gouvernement, il est nécessaire de reprendre la comparaison entre les deux voisins
méditerranéens.
Imposée par H. BOURGUIBA, la sécularisation de l’Etat et du droit en Tunisie ont empêché
les Tunisiens au cours des deux processus constituants, de faire de l’Islam, la religion de
l’Etat et des principes de la charia, la source principale de la législation. Contrairement à la
Constitution tunisienne de 1959, la Constitution égyptienne de 1971 consacrait la valeur
normative de la charia. L’article 2 de la Constitution de 1971 faisait de la charia « une source
principale de la législation ». Amendé en 1980, le pouvoir constituant dérivé faisait des
principes de la
charia, « la » source principale de la législation1945. Alors qu’en Tunisie,
l’article premier de la Constitution de 1959 et de 2014 était sujet à interprétations, en Egypte,
l’article 2 des Constitutions de 1971, de 2012 et de 2014 était explicite : l’Islam était la
religion de l’Etat.
Avant même l’adoption des Constitutions de 2012 et de 2014, l’article 2 de la Constitution de
1971 a été repris dans son intégralité par l’article 2 du Document EL-SELMI
1946. Bien que
l’armée et les partis non-religieux aient craint l’islamisation du droit et des institutions,
l’article 2
1947 a été inséré. Il est important d’expliquer l’opposition entre les articles 1 et 2 du
Document EL-SELMI et de savoir si les partis non-religieux étaient d’accord avec la formule
qui faisait de l’Islam, la religion de l’Etat et des principes de la charia, la source principale de
législation.
1945 Pour une analyse détaillée de cette phrase, cf. B. DUPRET et N. BERNARD-MAUGIRON, « Les principes
de la sharia sont la source de la législation : La Haute Cour constitutionnelle et la référence à la Loi
islamique »,
Egypte-Monde arabe, 1999, pp. 107-125.
1946 Au cours de la table-ronde du 12 juillet 2011, Ali EL-SELMI a négocié avec le parti Liberté et Justice des
Frères musulmans. Malgré la négociation, la volonté de l’armée et des partis non-religieux était d’encadrer
les pouvoirs de la commission constituante (qu’ils pensaient être à majorité islamiste) dans la rédaction du
projet de constitution.
1947 Ce dernier précise que « [l]’islam est la religion de l’Etat et l’arabe est sa langue officielle. Les principes
de la sharia islamique sont la source principale de législation. Pour les non-musulmans, le statut personnel
et les autres questions religieuses doivent être déterminées selon leurs propres règles.
»
447





Page 449
Comme l’affirme Alexis BLOUËT, l’article 2 est considéré comme faisant partie de l’identité
constitutionnelle égyptienne. Ainsi, il était « exclu du discours critique des non-islamistes qui
ne s’opposèrent pas à son maintien dans la nouvelle constitution.
»1948 Alors qu’en Tunisie,
Ennahdha démontre qu’il est l’acteur politique à l’origine des concessions, en Egypte, ce sont
les partis non-religieux qui désirent « renvoyer l’image d’acteurs responsables, en quête d’un
consensus avec les islamistes dans l’intérêt général.
»1949 A partir de 1971, les Constitutions
égyptiennes dans leur article 2, ont consacré l’identité religieuse des Egyptiens
1950 et de
l’Egypte. Conscient de cette identité, les partis non-religieux ne s’y sont pas opposés
1951. Ceci
s’explique en partie par la portée limitée attribuée par la Haute Cour constitutionnelle à cet
article dans l’ordre juridique égyptien
1952.
S’ils ne contestent pas sa reconduction dans la Constitution de 2012 et de 2014, les partis non-
religieux se sont ardemment opposés à l’insertion de l’article 219 dans la Constitution du 25
décembre 2012. Alors, les salafistes du parti Al-Nour souhaitaient remplacer les « principes
de la charia
» par les « règles de la charia »1953. Pour eux, le législateur et le juge ne devaient
pas être les seules autorités habilitées à interpréter les « principes de la charia ». Il fallait
également permettre aux Uléma de les déduire des sources textuelles et des règles de
raisonnement propres aux écoles juridiques sunnites. L’article 219 prévoyait que « [l]es
1948 A. BLOUËT, Le pouvoir pré-constituant. Analyse conceptuelle et empirique du processus constitutionnel
égyptien après la Révolution du 25 janvier 2011, op.cit., p. 311.
6,
1949 Ibid.
1950 Nathalie BERNARD-MAUGIRON précise pourtant que « [c]ette constance dans
la référence
constitutionnelle à la valeur normative de la charia ne signifie toutefois pas nécessairement la
revendication d’un rôle juridique ou politique spécifique pour les normes religieuses. Elle peut s’expliquer
aussi par un souci de réalisme et par la prise en considération du fait que la société égyptienne est pieuse
et conservatrice, et que la religion y fonctionne comme un marqueur identitaire.
» N. BERNARD-
MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? »,
La Revue des droits de
l'Homme,
2020],
ligne],
2014,
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en.
[consulté
avril
[en
15
1951 Hostiles à l’insertion de la notion d’Etat « civil » dans l’article 1er de la Constitution, les salafistes du parti
Al-Nour et les représentants d’Al-Azhar refusaient la constitutionnalisation de la nature « civile » de l’Etat
égyptien. A la suite d’un compromis avec les partis non-religieux, la Constitution égyptienne de 2013 a
retenu la notion de «
gouvernement civil » (hukuma madiniyya) dans le seul préambule. Pour des raisons
similaires et alors même que les Frères musulmans y étaient favorables, la notion d’Etat « civil » n’a pas été
introduite dans la Constitution de 2012. Pour plus de précisions sur ce point, cf. N. BERNARD-
MAUGIRON, « La Constitution égyptienne est-elle révolutionnaire ? »,
OrientXXI. Info, 4 décembre 2013,
[en ligne], [consulté le 20 mars 2020], https://orientxxi.info/ magazine/la-constitution-egyptienne-est-elle-
revolutionnaire,0444.
1952 Pour plus de précisions sur le rôle de la Haute Cour constitutionnelle dans l’interprétation des dispositions
de l’article 2 de la Constitution, cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre 1 de la
PARTIE II de cette thèse, relatif à la
singularité du constitutionnalisme identitaire tunisien, p. 407.
1953 Dans la doctrine islamique, les règles ou ahkam sont des termes qui renvoient à des qualifications déduites
le
des actes légaux.
448



Page 450
principes de la sharia comportent les textes fondamentaux1954, les canons de la jurisprudence,
les maximes légales
1955 et les sources reconnues par les écoles sunnites1956. » Vivement
contesté par les partis non-religieux
1957, l’article 219 est retiré du texte constitutionnel
égyptien en 2013
1958.
Il en est de même de l’article 4 de la Constitution du 25 décembre 2012. Ce dernier prévoyait
de confier au Collège des grands Uléma d’Al-Azhar, la possibilité de se prononcer de manière
consultative sur toutes les questions relatives à la
charia1959. L’avis du Collège liait le
Parlement dans le processus législatif. « Cet article visait à systématiser une pratique
impulsée auparavant à la discrétion des autorités politiques et laissait anticiper une
concurrence entre autorités civiles et religieuses quant à la définition de la portée que devait
avoir la référence à l’Islam dans le système juridique.
»1960 Opposé à cet article, le Grand
Imam d’Al-Azhar a souhaité préserver l’indépendance de l’institution religieuse vis à vis du
pouvoir politique
1961. C’est ainsi que la Constitution du 18 janvier 2014 a restitué le pouvoir
d’interprétation de la charia à la Haute Cour constitutionnelle, marquant ainsi « la volonté du
constituant de s’émanciper du pouvoir religieux.
»1962 Malgré le retrait de ces deux articles,
l’Islam est la religion de l’Etat et les principes de la charia sont la source principale de la
légalisation, en vertu de l’article 2 de la Constitution du 18 janvier 2014.
L’Egypte n’étant donc pas neutre à l’égard de la religion, les théories des Professeurs
Abdullahi AHMED AN-NA’IM et Andras SAJO ne peuvent s’appliquer. La question de
savoir si la consécration constitutionnelle d’une religion de l’Etat exclut de fait l’existence
1954 Les textes fondamentaux ne sont autres que le Coran, la Sunna, l’ijma’ et le qiyâs ou méthode de
raisonnement par analogie. Cf. Annexe 1 – Glossaire – Qiyâs.
1955 Les canons de la jurisprudence et les maximes légales sont déduits par les Uléma. Ils expriment les règles
méthodologiques générales et les principes qui sous-tendent les régulations islamiques.
1956 Autrement dit le malékisme, le hanafisme, le chafiisme et le hanbalisme.
1957 Il est important de relever que les avis et les interprétations des textes fondamentaux des Uléma sont très
variés. Ils dépendent en partie de l’école juridique sunnite à laquelle ils appartiennent.
1958 C. STEUER and A. BLOUËT, “The Notion of Citizenship and the Civil State in the Egyptian Transition
Process”,
précit., p. 254. Voir également A. MOHAMED-AFIFY, « La Constitution égyptienne de 2014 :
entre traditions et tendances révolutionnaires »,
précit., 101, 2015, pp. 141-142.
1959 En Tunisie à l’inverse, l’insertion de l’article 2 qui dispose du caractère « civil » de l’Etat évite la
constitutionnalisation par
Ennahdha d’un Haut Conseil islamique chargé du contrôle de la conformité des
lois à l’Islam. Pour plus de précisions sur ce point, cf. J.-P. BRAS, « Un Etat "civil" peut-il être religieux ?
Débats tunisiens »,
précit, p. 69.
1960 A. BLOUËT, Le pouvoir pré-constituant. Analyse conceptuelle et empirique du processus constitutionnel
égyptien après la Révolution du 25 janvier 2011, op.cit., p. 314.
1961 C. STEUER and A. BLOUËT, “The Notion of Citizenship and the Civil State in the Egyptian Transition
Process”, précit., p. 254.
1962 I. Ö KABUGLU, « La migration de l’idée de laïcité au Proche et au Moyen-Orient : Turquie, Egypte et
Tunisie », précit., p. 95.
449




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d’un Etat « civil » se pose pourtant. D’après les Professeurs Alfred STEPAN et Juan José
LINZ
1963, dans un Etat « civil », la religion se plie aux impératifs de la démocratie et l’Etat
respecte la religion : le peuple est souverain, il élabore la loi, mais les institutions étatiques
admettent l’importance de l’Islam pour les citoyens. Est-ce actuellement le cas en Egypte et
en Tunisie ? Dans ces deux Etats, les principes et les objectifs de la charia peuvent inspirer le
législateur. Ce dernier est élu par le peuple et doit le représenter en exprimant sa volonté
1964.
Toutefois, si en Tunisie, la charia et ses principes ne s’imposent à la société que si cette
dernière le décide explicitement, en Egypte, l’adhésion des Egyptiens à la charia est tacite.
L’Etat et les gouvernants égyptiens ont le droit d’appliquer la charia quand bien même les
citoyens s’y opposeraient
1965.
L’article 2 de la Constitution du 27 janvier 2014 qui fait de la Tunisie un Etat « civil »,
empêche le législateur d’adopter des lois contraires aux libertés et aux droits inhérents à la
citoyenneté. En Egypte, la suppression de la disposition sur la nature « civile » de l’Etat et le
maintien de l’article 2 de la Constitution de 1971 font de l’Islam, la source formelle et
matérielle du droit et de la loi. Et ce, bien que la Constitution du 18 janvier 2014 consacre à
l’instar de la Constitution du 27 janvier 2014, la notion de citoyenneté. Il reste donc à
déterminer si l’ensemble des droits et des libertés qui découle de la citoyenneté est
constitutionnellement consacré et effectivement pratiqué et si, le droit est fondé sur la « raison
civique
»1966, en Egypte et en Tunisie. Cette dernière suppose que les citoyens puissent
débattre et contester publiquement les raisons qui fondent le droit ou la loi
1967.
B.
La citoyenneté, première composante constitutionnelle de l’Etat « civil »
L’article 2 de la Constitution tunisienne de 2014 fait de la citoyenneté, la première
composante du caractère « civil » de l’Etat. Salsabil KLIBI explique qu’en Tunisie, « le lien
entre le citoyen et l’Etat doit être fondé sur les rapports de droit [et] rien ne doit avoir à faire
avec la confession.
»1968 Aucune discrimination entre les citoyens ne peut être faite sur la base
1963 A. STEPAN and J.-J. LINZ, “Democratization Theory and the ‘Arab Spring’”, précit., p. 19.
1964 Article 3 de la Constitution tunisienne de 2014 et article 5 de la Constitution égyptienne de 2014.
1965 La volonté du peuple et la primauté du droit font l’objet du Paragraphe 2 qui suit.
1966 A. AHMED AN-NA’IM, Islam and the Secular State: Negotiating the Future of Sharia, op.cit., p. 85.
1967 La « raison civique » sera exclusivement traitée dans le Paragraphe 2 qui suit.
1968 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
450






Page 452
de considérations religieuses, puisque seul le lien juridique entre les citoyens et l’Etat importe.
Est-ce véritablement le cas ? L’explication de Salsabil KLIBI s’applique-t-elle à l’Egypte ?
L’article 1 de la Constitution égyptienne de 2014 fonde le système juridique sur la citoyenneté
et la primauté de la loi. L’Islam comme religion de l’Etat et les principes de la charia comme
source principale de la législation, s’opposent pourtant à l’expression de certaines libertés et
de certains droits inhérents à la citoyenneté.
Initialement conçue comme le lien indéfectible, voire l’identité entre le citoyen et la cité1969,
la «
citoyenneté moderne est l’aboutissement d’une succession de conceptions1970 qui ne
forment pas une histoire continue.
»1971 Influencée par l’Esprit des lois de Montesquieu et le
Contrat social
de Rousseau, l’acception moderne de la citoyenneté1972 suppose un pacte social
entre les citoyens et l’Etat
1973. Considérés comme des associés qui participent collectivement
à l’autorité souveraine de l’Etat, les citoyens élaborent les lois, expression de la volonté
générale auxquelles ils se soumettent. L’acception moderne de la citoyenneté est cependant
occidentale. Pour bien cerner les enjeux de la citoyenneté en Egypte et en Tunisie, il est
nécessaire de commencer par étudier l’étymologie et le sens arabe de la citoyenneté,
muwâtana (1). Déterminer quels sont les droits et les libertés qui en découlent et qui sont
actuellement consacrés par les Constitutions égyptienne et tunisienne de 2014 se fera plus
précisément. La comparaison entre l’Egypte et la Tunisie servira aussi à identifier les droits et
les libertés du citoyen qui ne sont pas pleinement effectifs dans la pratique. Dès lors, il est
nécéssaire de définir le citoyen.
1969 Du latin civitas, la citoyenneté est l’aboutissement d’une histoire qui remonte aux cités de la Grèce antique.
Née au V
ème siècle et rattachée à la notion grecque de politeia (cité), elle fait de l’individu un membre qui
adhère aux finalités et aux règles de la
politeia. Membre de la cité, le citoyen dispose de prérogatives, de
droits et de devoirs qui lui confèrent un « droit de cité » : il exerce directement le pouvoir puisqu’il
participe à l’assemblée du peuple, prend la parole sur l’
agora et exerce des fonctions publiques. Soumis
aux mêmes lois, les citoyens adhèrent à la même religion de caractère civil au sein de la cité. Hommes
libres dans une société démocratique, les citoyens sont par ailleurs égaux devant la loi (exception faite des
femmes, des esclaves, des métèques et des étrangers).
1970 Pour plus de précisions sur les différentes conceptions de la citoyenneté à travers le temps et l’espace,
cf. l’introduction de l’ouvrage de A. LE PORS,
La citoyenneté, Que sais-je ?, Paris, PUF, 1999, pp. 3-9.
1971 Ibid., p. 3.
1972 Il est pertinent de préciser que la conception moderne de la citoyenneté exposée dans ce paragraphe, est
largement influencée par l’histoire occidentale (plus spécifiquement française) de la citoyenneté. «
Dans
cette perspective, on rappelle tout d’abord combien l’histoire occidentale du citoyen tisse sa trame avec
celle de l’affirmation de l’individu (comme sujet autonome) et celle de la promotion de l’égalité (comme
idéal politique). L’égalité politique des individus est à la fois une condition logique du renversement de
l’absolutisme et un impératif sociologique lié au déclin de l’univers des privilèges et des corps.
»
F. CONSTANT, La citoyenneté, Paris, Montchrestien, 2000, p. 19.
1973 A la base du système politique et juridique de l’Etat, la constitution est depuis la fondation des Etats-
Nations au XVI
ème siècle, le contrat social qui constitue la source de légitimité du pouvoir. Elle organise les
pouvoirs publics, les libertés et les droits fondamentaux. La constitution établit également le lien entre les
citoyens et l’Etat.
451



Page 453
Le citoyen est généralement celui qui a des droits et des obligations qu’il peut exercer dans
une cité
1974. La « qualité de citoyen s’acquiert le plus souvent sans acte volontaire en raison
de la naissance dans un espace géographique déterminé ou par filiation de ressortissants de
cet espace.
»1975 Si la citoyenneté est par conséquent un statut juridique qui confère des droits
et des obligations aux citoyens, au sein d’une collectivité politique, elle est aussi l’une des
manifestations de l’identité nationale
1976 (2). La citoyenneté engendre également un ensemble
de rôles sociaux spécifiques, liés à la participation active à la vie de la cité (3).
1. L’étymologie arabe de la citoyenneté, muwâtana
En arabe, le terme citoyenneté, muwâtana, a la même racine que watan1977, la patrie, le pays.
La patrie,
watan s’oppose généralement aux termes umma et qawm. Alors que l’umma1978
renvoie à la communauté des croyants musulmans, qawm1979 désigne la multitude de
qawmiyât, c'est-à-dire de tribus ou d’ethnies, ce qui va à l’encontre de l’unité islamique1980. A
l’inverse, la citoyenneté, muwâtana, se réfère à un lieu, un pays. Ainsi, lorsqu’une personne
est dite tawattanat, cela veut dire qu’elle a choisi une résidence et qu’elle s’y est installée,
istawtanat. Comme l’affirment Clément STEUER et Alexis BLOUËT, le terme muwâtana,
traduit l’effort fait vers quelque chose ou quelqu’un1981. Issu du verbe wâtana, la muwâtana
suppose le partage du même pays, le lien entre les citoyens muwâtinun et leur cité, madîna.
Le qualificatif « civil », madani, de l’Etat tunisien ou du gouvernement égyptien vient
d’ailleurs du mot madîna qui signifie cité. La madîna est l’équivalent arabe de la cité grecque,
politeia née au Vème siècle. Les individus, membres de la madîna s’engagent volontairement
1974 Le citoyen est généralement défini par opposition au non-citoyen : mineurs, étrangers, personnes
condamnées pénalement.
1975 M. KRAÏEM DRIDI, « Citoyenneté et égalité devant la loi », in R. BEN ACHOUR (dir.), Constitution,
citoyenneté et justice constitutionnelle : Entre exigence démocratique et recompositions territoriales
,
Tunis, Centre de Publication universitaire, 2014, pp. 68-69.
1976 Bien que la comparaison entre les deux voisins méditerranéens soit maintenue au sein de ce paragraphe, les
paragraphes 2 et 3 portent essentiellement sur la Tunisie.
1977 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Watan.
1978 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Umma.
1979 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Qawm.
1980 Pour plus de précisions sur la différence entre qawmî et wâtanî dans les contextes égyptien et syrien de
naissance des nationalismes arabes, cf. E. KIENLE, « De la langue et en deçà : nationalismes arabes à
géométrie variable »,
Égypte/Monde arabe, Mutations, Première série, [en ligne], [consulté le 12 avril
2020], http://journals.openedition.org/ema/1478, pp. 153-170.
1981 C. STEUER and A. BLOUËT, “The Notion of Citizenship and the Civil State in the Egyptian Transition
Process”, précit., p. 240.
452






Page 454
et participent activement aux règles de la cité. S’ils rejettent la vie en communauté (umma) ou
en tribu (qawm), ils sont des citoyens au sens occidental du terme. Autrement dit, ils sont liés
à un pays, watan. Comment expliquer l’importance de la patrie (watan) et de la cité (madîna),
dans la définition arabe de la citoyenneté (muwâtana) ?
Née avec la formation des Etats-Nations européens, l’acception moderne de la citoyenneté se
développe avec le siècle des Lumières et la Révolution française
1982. Au XIXème siècle, le
déclin du monde arabo-musulman amène les penseurs de la Nahdha à s’intéresser aux idées
occidentales à l’instar de la citoyenneté. Inspirés de l’expérience européenne
1983, ils créent un
nouveau vocabulaire adapté aux sociétés arabes et musulmanes, qui devait servir la lutte
contre l’Empire ottoman. « C’est [ainsi] chez Rifa’a al-Tahtawî que l’on trouve les premiers
écrits discutant des notions de “citoyen” et de “citoyenneté”, telle qu’il les a rencontrées à
Paris, dans la France post-révolutionnaire, où le citoyen est indissociable de l’idée de la
patrie. C’est probablement avec cette association en tête que Tahtawî adopte la racine watan,
et les dérivés
wataniy et wataniyya, pour évoquer le personnage du citoyen. »1984
Si elle véhicule l’acception occidentale de la citoyenneté, la muwâtana suppose le principe
d’égalité des citoyens au sein de la cité. Aucune discrimination entre eux ne peut être établie
sur la base de considérations religieuses, de genre ou d’origine. Est-ce actuellement le cas en
Tunisie ? Inhérent à la citoyenneté, le principe d’égalité est-il conforme aux principes de la
charia comme source principale de la législation en Egypte ?1985 La charia distingue les
hommes des femmes, les musulmans des gens du Livre et des non-croyants
1986 : les droits et
les devoirs qui reviennent à chacun d’eux ne sont donc pas les mêmes. Censée s’appliquer à la
1982 « Il faut toutefois attendre la Renaissance, puis le siècle des Lumières et la Révolution française, pour que
l’idée de citoyen soit redécouverte et la citoyenneté réinventée, dans le contexte de l’autonomisation
croissante des villes puis du renversement du pouvoir féodal. La ville et la nouvelle société urbaine,
marchande, “bourgeoise”, sont au cœur des bouleversements socio-économiques et culturels qui voient le
“bourgeois” mettre en œuvre des pratiques de concertation et de négociation des intérêts particuliers au
service de l’intérêt général.
» E. LONGUENESSE, « Traduire la citoyenneté », in Les Carnets de l’Ifpo. La
recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient,
(Hypothèses.org), [en ligne], [consulté
le 12 avril 2020], https://ifpo.hypotheses.org/4185.
1983 Plus particulièrement française.
1984 E. LONGUENESSE, « Traduire la citoyenneté », in Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire
à l’Institut français du Proche-Orient,
(Hypothèses.org), [en ligne], [consulté le 12 avril 2020],
https://ifpo.hypotheses.org/4185.

1985 Pour plus de précisions sur la constitutionnalisation de l’égalité entre l’homme et la femme en Tunisie au
cours du processus constituant de 2011-2014, cf. le Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre II
de la PARTIE I de cette thèse, relatif à
la reconnaissance de l’égalité en droits du Tunisien et de la
Tunisienne,
p. 274.
1986 C. STEUER and A. BLOUËT, “The Notion of Citizenship and the Civil State in the Egyptian Transition
Process”, précit., p. 240.
453




Page 455
communauté des croyants musulmans, la charia ne reconnaît que l’umma1987. Est-elle alors
compatible avec les libertés et les droits inhérents à la citoyenneté ? Afin de répondre à la
question, il importe de définir les éléments qui composent la citoyenneté.
De manière générale, « la citoyenneté se décompose en droits civils, politiques et
sociaux.
»1988 Les premiers1989 préservent la liberté et la propriété du citoyen des interventions
illégales de l’Etat. Les deuxièmes lui permettent de participer « aux processus démocratiques
de formation de l’opinion et de la volonté.
»1990 Les troisièmes lui assurent un revenu
minimum et la sécurité sociale
1991. Force est de constater que la charia contredit certains
droits et certaines libertés qui découlent de chacune des composantes de la citoyenneté.
Comme il a été dit précédemment1992, la charia interdit aux musulmans de quitter leur
religion, elle condamne l’apostasie, le takfir et le blasphème. La charia s’oppose donc à la
liberté de conscience et à la liberté d’expression. De la même manière, certains islamistes
refusent au nom de la charia qu’une femme ou qu’un non-musulman accèdent à l’exercice du
pouvoir politique
1993. De plus, le principe de complémentarité des sexes rejette l’égalité
économique et successorale entre l’homme et la femme. Aussi, la réponse à la question de la
compatibilité des principes de la charia avec les libertés et les droits inhérents à la citoyenneté
diffère d’un acteur politique et d’un pays arabe à l’autre. Parallèlement, l’Islam comme
1987 Autrement dit, elle ne reconnaît pas les frontières nationales.
1988 F. CONSTANT, La citoyenneté, op.cit., p. 30.
1989 Les droits civils des Tunisiens se composent de la liberté ; de la sûreté ; du respect de la vie privée et
familiale ; du respect du domicile et des correspondances ; de la liberté de circulation ; de la liberté de
pensée, de conscience et de religion ; de la liberté d’expression, de réunion et d’association ; de la liberté du
mariage et du droit de fonder une famille. Pour un aperçu de l’ensemble des droits constitutionnels des
Tunisiens qui découlent de la liberté, cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre II de
la PARTIE I de cette thèse, relatif à
la consécration de la plupart des droits découlant de la liberté, p. 268.
Pour une analyse détaillé des droits et libertés consacrés par la Constitution égyptienne de 2014, cf. N.
BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? »,
La Revue des
droits
2020],
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en.
l'Homme,
[consulté
ligne],
2014,
avril
[en
15
de
6,
1990 F. CONSTANT, La citoyenneté, op.cit., p. 30.
1991 Ibid.
1992 Cf. le 1. du B. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre I de la PARTIE I de cette thèse,
le
relatif au climat non sécularisé d’élaboration de l’article, p. 146.
1993 C. STEUER and A. BLOUËT, “The Notion of Citizenship and the Civil State in the Egyptian Transition
Process”, précit., p. 241. Pour mémoire : au début de la révolution égyptienne de 2011, le site internet de la
Confrérie des Frères musulmans affichait un projet de programme politique datant de 2007 qui rejetait entre
autres l’idée qu’une femme ou qu’un non-musulman puisse un jour être président de la République. Pour
plus de précisions sur ce point, cf. A. STEPAN and J.-J. LINZ, “Democratization Theory and the ‘Arab
Spring’”,
précit., p. 23.
454




Page 456
religion1994 s’oppose à l’exercice effectif de ces droits et de ces libertés. Il est alors essentiel
de déterminer si la liberté de conscience et d’expression, l’égale participation à l’exercice du
pouvoir politique et l’égalité économique
1995 sont garanties dans les Constitutions et la
pratique en Egypte et en Tunisie
1996. Il sera ainsi facile de constater, un peu plus loin dans le
raisonnement, les contradictions entre ces libertés et l’Islam comme religion
1997.
En Tunisie, la liberté d’expression est garantie par l’article 31 de la Constitution et
réglementée par les décrets-lois n° 2011-115 et n° 2011-116 du 2 novembre 2011
1998.
Nonobstant, le Code pénal et le Code des télécommunications régissent également les
questions relatives aux libertés d’expression, d’information et de publication. L’interprétation
des différents textes par les administrations et les juridictions ne garantit ni la sécurité
juridique, ni la formation d’un cadre juridique clair, à l’exercice de ces libertés. Exercice
possiblement limité par le projet de loi n° 2015-25, relatif à la répression des atteintes aux
forces armées. En l'occurrence, ses articles 6 et 7 prévoient « des sanctions privatives de
liberté sévères à l’encontre de quiconque communique, accède ou diffuse des informations ou
des documents afférents à ce que le projet considère des “secrets de sécurité nationale”.
»1999
Ces derniers n’étant pas définis, cette notion peut justifier de multiples incriminations et
atteintes aux libertés d’expression, d’information et de publication
2000. Il en est de même en
Egypte.
1994 Tel qu’il est consacré à l’article 1er de la Constitution tunisienne de 2014 et à l’article 2 de la Constitution
égyptienne de 2014.
1995 La façon dont les constituants ont appréhendé les droits économiques et sociaux, les moyens limités de
l’Etat dans ces deux domaines et la réalité des services de l’emploi et de la santé en Tunisie
postrévolutionnaire, ont déjà été évoqués. Pour plus de précisions sur ce point, cf. le A. du Paragraphe 2 de
la Section 1 du Chapitre 1 du Titre I de la PARTIE II de cette thèse, relatif à
l’importance de la nouvelle
voie sociale dans le constitutionnalisme tunisien,
p. 390. Il ne s’agit donc pas ici d’approfondir l’ensemble
des droits économiques et sociaux consacrés par les Constitutions tunisienne et égyptienne de 2014. Ayant
déjà étudié l’égalité en matière d’héritage en Tunisie, les développements qui suivent s’attacheront
essentiellement à l’égalité successorale en Egypte.
1996 La liberté de conscience fait l’objet du A. du Paragraphe 2 de la Section 2 de ce chapitre. Ne pouvant
comparer l’intégralité des droits civils, politiques et sociaux des Egyptiens et des Tunisiens, les
développements qui suivent se concentrent exclusivement sur la liberté d’expression, l’égale participation à
l’exercice du pouvoir politique et l’égalité économique. Ces droits et ces libertés sont choisis en fonction
des problématiques qu’ils posent actuellement dans les sociétés égyptienne et tunisienne. L’objectif étant de
savoir si leur expression est possible et conforme aux standards internationaux.
1997 Ceci fait l’objet de la Section 2 de ce chapitre.
1998 Cf. Note de bas de page 1142.
1999 Democracy Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution tunisienne au niveau du
cadre juridique, 9
ème édition, 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté le 18 avril 2020], https://democracy-
reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-TN_rapport_suivi_mise-en-
œuvre_constitution_septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, p. 29.
2000 La constitutionnalité de ce projet de loi se pose donc.
455




Page 457
Bien que l’article 65 de la Constitution du 18 janvier 2014 préserve la liberté d’expression, les
articles 86 et 237 prévoient sa restriction au nom de la «
sécurité nationale »2001 et/ou de la
lutte contre le «
terrorisme »2002. Particulièrement floues, ces deux notions ont fait l’objet
d’interprétations extensives par le législateur et depuis 2015, celles-ci ont vidé la liberté
d’expression de sa substance. Il est fondamental de relever que « les gardes fous fixés par la
Constitution pour limiter la liberté du législateur [se sont avérés] impuissants à contenir une
majorité hostile au concept même de droits de l’Homme.
»2003 Il en est ainsi de l’article 92 de
la Constitution. Même s’il « prohibe toute suspension ou réduction des droits et libertés
inhérents à la personne des citoyens et interdit au législateur de porter atteinte à l’essence et
à la substance d’un droit sous prétexte d’en réguler la mise en œuvre
»2004, l’appréciation du
fondement de la liberté d’expression, de presse et de média est actuellement à la charge du
législateur égyptien
2005.
Favorable au régime d’Abdel Fattah AL SISSI, la majorité au Parlement a en effet adopté une
première loi controversée : la loi anti-terroriste du 15 août 2015. Cette loi permet aux
procureurs de la République de placer en détention provisoire et sans contrôle judiciaire, des
individus suspectés d’avoir commis des actes « terroristes ». Sans ordonnance préalable du
tribunal, les procureurs peuvent également ordonner la surveillance à durée illimitée des
individus incriminés. En l'occurrence, qu’est-ce qu’un acte « terroriste » ? La loi du 15 août
2015 ne le précise pas. Un simple acte de désobéissance civile peut ainsi se transformer en
acte « terroriste ». De plus, s’ils publient ou diffusent des informations relatives aux actes
« terroristes », les journalistes doivent se référer aux déclarations officielles du Ministère de
la Défense. Dans le cas contraire, les tribunaux peuvent leur interdire d’exercer leurs
fonctions de manière temporaire
2006.
2001 L’article 86 de la Constitution égyptienne de 2014 précise que « [p]réserver la sécurité nationale est un
devoir et l’engagement de tous à l’observer est une responsabilité nationale garantie par la loi. La défense
de la patrie et la protection de son territoire sont un honneur et un devoir sacré. Le service militaire est
obligatoire conformément à la loi
».
2002 Au vu de la menace qu’il représente pour la nation et ses citoyens, l’article 237 impose à l’Etat de lutter
contre toutes les formes de terrorisme et de traquer ses sources de financement dans un délai précis.
2003 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue
2020],
[en
[consulté
ligne],
droits
2014,
avril
15
de
6,
le
des
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en.
l'Homme,
2004 Ibid.
2005 Les questions relatives à la diffamation en Egypte font l’objet du A. du Paragraphe 2 de la Section 2 de ce
chapitre.
2006 Les autorités publiques peuvent imposer la peine de mort pour des actes et/ou des crimes présumés
«
terroristes ». Pour plus d’informations sur ce point, cf. « Egypte : La nouvelle loi antiterroriste porte
atteinte aux droits fondamentaux. La définition élargie d’ “actes terroristes” risque de criminaliser la
désobéissance civile »,
Human Rights Watch, 19 août 2015, [en ligne], [consulté le 15 avril 2020],
456



Page 458
La liberté de la presse, de l’impression et de l’édition est pourtant consacrée à l’article 70 de
la Constitution. L’article 71 interdit d’ailleurs la censure sur les journaux et les médias
2007 et
prohibe les délits de presse avec peines d’emprisonnements. Nonobstant, la liberté
d’expression des journalistes et des citoyens égyptiens est entravée depuis 2016. Créé cette
année-là
2008, le Conseil supérieur de régulation des médias a depuis l’adoption2009 de la loi sur
la régulation des médias, la possibilité de surveiller, sanctionner, suspendre ou même bloquer
un site personnel, un blog ou les réseaux sociaux de toute personne ayant plus de 5 000
abonnés
2010. Considérés comme des médias, ces sites personnels ne doivent ni diffuser de fake
news
, ni inciter à la violation de la loi, à la violence ou à la haine2011. Qu’ils soient journalistes
ou citoyens, les Egyptiens sont tous réprimés en matière de liberté d’expression. S’ils ne sont
pas censurés par les autorités, beaucoup d’entre eux s’autocensurent pour éviter la répression
ou des peines privatives de liberté
2012.
Le 18 août 2018, la promulgation de la loi relative à la lutte contre la cybercriminalité et la
criminalité informatique
2013 légalise et renforce la censure en ligne. Déjà en 2017, plus de 500
sites internet avaient été bloqués
2014 pour atteinte à la « sécurité nationale ». Selon l’ONG
égyptienne Freedom of Thought and Expression Law Firm et l’organisation de défense d’un
https://www.hrw.org/fr/news/2015/08/19/egypte-la-nouvelle-loi-antiterroriste-porte-atteinte-aux-droits-
fondamentaux.
2007 Sauf à titre exceptionnel en temps de guerre ou de mobilisation générale.
2008 Le 12 décembre 2016, le gouvernement avait présenté un projet de loi unique sur la réglementation des
médias. Après son étude par le Comité des médias, le Parlement a suggéré la division du projet. Le premier
projet de loi créait le Conseil supérieur de régulation des médias, l’Autorité nationale de la presse et
l’Autorité national des médias. Le second projet de loi avait pour objectif de réglementer les pratiques de la
presse et des médias.
2009 Le 16 juillet 2018.
2010 R. MAMDOUH, “Egypt’s new media laws: Rearranging legislative building blocks to maximize control”,
[en ligne], [consulté le 17 avril 2020], https://madamasr.com/en/2018/07/17/feature/politics /egypts-new-
media-laws-rearranging-legislative-building-blocks-to-maximize-control/.
2011 Reporters Sans frontières, « Egypte : RSF demande dans un appel conjoint au gouvernement égyptien
l’abrogation ou la révision de deux lois qui limitent la liberté d’information en ligne », Reporters Sans
Frontières,
2020],
avril
https://rsf.org/fr/actualites/egypte-rsf-demande-dans-un-appel-conjoint-au-gouvernement-egyptien-
labrogation-ou-la-revision-de.
7 septembre
[consulté
ligne],
publié
2018,
[en
17
le
le
2012 Pour un exemple frappant de l’autocensure pratiquée par la rédaction du quotidien national Al-Shourouk,
cf. N. BLETRY et C. WILLIOT, « Liberté de la presse en Egypte : la loi se durcit », TV5MONDE [en
ligne], [consulté le 18 avril 2020], https://information.tv5monde.com/info/liberte-de-la-presse-en-egypte-la-
loi-se-durcit-250880.
2013 Rapport mondial de Human Rights Watch (HRW) de 2019, [en ligne], [consulté le 13 avril 2020],
https://www.hrw.org/fr/world-report/2019/country-chapters/326294#08d984.
2014 Malgré l’absence de décision judicaire, en août 2018, le site internet de Reporters Sans Frontières a été
censuré et le site internet de Human Rights Watch bloqué. Pour plus de précisions sur ce point, cf.
Reporters Sans Frontières, « Loi sur la cybercriminalité en Egypte : RSF dénonce la légalisation de la
censure en ligne »,
Reporters Sans Frontières, publié le lundi 20 août 2018, [en ligne], [consulté le 17 avril
2020],
https://rsf.org/fr/actualites/loi-sur-la-cybercriminalite-en-egypte-rsf-denonce-la-legalisation-de-la-
censure-en-ligne et le rapport mondial de
Human Right Watch (HRW) de 2019 précité.
457



Page 459
internet ouvert AccessNow, « “tout ce qui concerne l’indépendance, la stabilité et la sécurité
de la patrie, son unité et son intégrité territoriale” ainsi que tout ce qui a trait à la présidence
de la république et à toutes les institutions sécuritaires et militaires du pays
» fait partie de la
«
sécurité nationale »2015. Le régime en place et les forces de sécurité ne peuvent en aucun cas
faire l’objet de critiques ou de contestations. Si les Egyptiens y contrevenaient, ils risqueraient
d’être sévèrement sanctionnés. Depuis la promulgation de la loi, les gestionnaires du site
interdit risquent deux années de prison et les individus qui consultent le site, un an
2016. La loi
du 18 août 2018 viole pourtant l’article 57 de la Constitution qui préserve la vie privée et le
secret des correspondances
2017. De plus, même si la police est constitutionnellement tenue de
respecter les obligations posées par la Constitution, la loi, les libertés et les droits
fondamentaux
2018, aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect de cette obligation2019
par les forces de l’ordre.
Malgré sa consécration par les Constitutions tunisienne et égyptienne de 2014, la liberté
d’expression est limitée par le législateur pour des motifs de « sécurité nationale ». Dans la
pratique, les Tunisiens et les Egyptiens ne disposent pas d’une liberté d’expression absolue,
mais relative. En est-il de même du principe d’égalité ? Les Constitutions tunisienne et
égyptienne de 2014 préservent-elles les droits politiques des citoyens de manière égalitaire et
sans discrimination ? Il s’agit maintenant de considérer les droits politiques que sont le droit
d’élire, d’être élu
2020 et le droit de participer au gouvernement, aux décisions politiques.
En Tunisie, ces droits sont consacrés aux articles 32021, 34, 50, 53, 55, 742022, 133 et 139 de la
Constitution du 27 janvier 2014
2023. Il est donc essentiel de savoir si conformément aux
2015 Reporters Sans Frontières, « Loi sur la cybercriminalité en Egypte : RSF dénonce la légalisation de la
censure en ligne »,
Reporters Sans Frontières, publié le 20 août 2018, [en ligne], [consulté le 17 avril
2020], https://rsf.org/fr /actualites/loi-sur-la-cybercriminalite-en-egypte-rsf-denonce-la-legalisation-de-la-
censure-en-ligne.
2016 Ibid.
2017 Reporters Sans Frontières, « Egypte : RSF demande dans un appel conjoint au gouvernement égyptien
l’abrogation ou la révision de deux lois qui limitent la liberté d’information en ligne »,
Reporters Sans
Frontières,
2020],
avril
https://rsf.org/fr/actualites/egypte-rsf-demande-dans-un-appel-conjoint-au-gouvernement-egyptien-
labrogation-ou-la-revision-de.
7 septembre
[consulté
ligne],
publié
2018,
[en
17
2018 Article 206 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014.
2019 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue
2020],
[consulté
ligne],
droits
avril
[en
15
de
6,
le
le
le
des
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en.
l'Homme,
2014,
2020 Les conditions de nationalité tunisienne et de confession musulmane sont abordées dans le 2. de ce
paragraphe. Il en est de même des conditions de nationalité égyptienne.
2021 L’article 3 de la Constitution fait l’objet du Paragraphe 2 qui suit. Il en est de même de l’article 4 de la
Constitution égyptienne de 2014.
458




Page 460
articles précités, des lois ou des mesures d’application ont été adoptées pour garantir
l’application des dispositions constitutionnelles, relatives aux droits politiques. De plus, il est
intéressant de voir si lesdites lois et lesdites mesures d’application, préservent effectivement
les droits politiques des Tunisien(ne)s.
En vertu de l’article 34, les droits d’élire, de voter et de se porter candidat sont garantis.
L’Etat veille par ailleurs à garantir la représentativité de la femme dans les assemblées élues.
La loi relative aux élections et aux référendums, promulguée le 26 mai 2014 (loi n° 2014-16)
et modifiée par la loi organique n° 2017-7 du 14 février 2017
2024, met en œuvre les droits de
vote et d’éligibilité prévus à l’article 34. Elle concerne les élections législatives,
présidentielles, municipales, régionales, ainsi que les référendums. Alors que la question de
l'octroi du droit de vote aux militaires et aux agents des forces de sécurité intérieure, a
empêché – pendant plus de six mois – l’adoption de la loi, sa modification par la loi organique
n° 2017-7 leur permet désormais de voter aux élections municipales et régionales
2025.
Comme il a été précédemment affirmé2026, la modification de la loi électorale par la loi
organique n° 2017-7 a également renforcé le principe de parité entre les hommes et les
femmes. La parité est désormais verticale
2027 et horizontale2028 : les partis politiques et les
coalitions électorales qui présentent des listes pour les élections municipales et régionales
dans les circonscriptions électorales, doivent avoir désigné autant de femmes que d’hommes
en têtes de listes
2029. Le non-respect de la parité est d’ailleurs sanctionné par l’Instance
Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE) qui peut déclarer la liste irrecevable. Plus
encore, « [l]es nouvelles dispositions de la loi encouragent également la participation des
jeunes et des personnes porteuses d’un handicap physique
titulaires d’une carte
2022 Les articles 53 et 74 font l’objet du 2. de ce paragraphe. Il en est de même des articles 102 et 141 de la
Constitution égyptienne de 2014.
2023 Le droit international qualifie l’ensemble de ces droits de « droit de participation aux affaires publiques ».
La participation aux affaires publiques est d’ailleurs prévue par l’article 25 du PIDCP.
2024 JORT, n° 42 du 27 mai 2014, p. 1310 et JORT, n° 14 du 17 février 2017, pp. 731 et s.
2025 C’est l’Assemblée plénière de l’ARP qui a tranché en faveur de la consécration de leur droit de vote.
2026 Cf. le 3. du B. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre II de la PARTIE I de cette thèse,
relatif à la consécration de l’égalité en droits, p. 283.
2027 Ce type de parité suppose que chaque liste électorale soit composée d'un nombre égal d’hommes et de
femmes, conformément à la règle de l’alternance. Cf. M. BEN JEMIA, « Lecture de l’article 46 de la
Constitution »,
précit., p. 435.
2028 La parité horizontale suppose que la moitié des listes électorales présentées par les partis politiques soient
dirigées par des femmes.
2029 L’étude des différentes élections qui ont lieu en Tunisie – à commencer par celles du 23 octobre 2011 – a
fait l’objet du 3. du B. du Paragraphe 2 de la Section 1 du Chapitre 2 du Titre II de la PARTIE I de cette
thèse, relatif à
la consécration de l’égalité en droits, p. 283.
459




Page 461
d’invalidité. »2030 Si bien que sous peine d’irrecevabilité, les listes électorales doivent compter
parmi les trois premiers candidats, un candidat âgé d'au plus 35 ans et sous peine de privation
du financement public, un candidat ayant un handicap parmi les dix premiers candidats. Pour
autant, malgré les nombreux amendements, la loi délaisse plusieurs questions fondamentales
du droit électoral et donne à l’
ISIE, une flexibilité maximale dans ses prises de décisions2031.
Par ailleurs, le projet de loi n° 2018/63 relatif à l’amendement de la loi électorale du 26 mai
2014, a provoqué des remous au cours de son examen à l’ARP, par la commission législative
compétente. Adopté en séance plénière par l’ARP le 18 juin 2019, il prévoit que les listes
candidates ayant obtenu moins de 3 % des voix proclamées au niveau de la circonscription, ne
pourront pas obtenir de sièges au Parlement
2032. Or, les petits partis se trouvent lésés par ce
seuil et voient dans ce projet de loi un moyen de les évincer de l’ARP. Bien qu’il ait visé à
rationaliser le vote, à éviter la représentation-figuration des partis politiques et l’éparpillement
des voix à l’ARP, il a finalement créé des tensions au sein de l’Assemblée et de la société
civile
2033.
La démocratie n’implique pas uniquement l’élection de représentants2034, elle suppose
également que les citoyens participent aux affaires publiques
2035, par l’instauration de
2030 Democracy Reporting International, rapport sur la mise en œuvre juridique de la Constitution tunisienne,
8
ème édition, 1er octobre – 31 mars 2019, [en ligne], [consulté le 27 août 2019], https: //democracy-
reporting.org/wp-content/uploads/2019/06/DRI-TN_rapport_suivi_mise-en-œuvre_
constitution_mars_
2019_web-FR_VF_2019-06-14.pdf, p. 18.
2031 Cf. le rapport de Democracy Reporting International, rapport sur le cadre juridique des élections en Tunisie
en 2017, commentaires de la loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014 (relative aux élections et au
référendum) modifiée et complétée par la loi organique n° 2017-7 du 14 février 2017, [en ligne], [consulté
le 21 avril 2019], https://democracy-reporting.org/wpcontent/uploads
/2018/01/DRI-TN-Le-cadre-
juridique-des-%C3%A9lections-en-Tunisie-en-2017_V1_2018-01-03_fr_vr.pdf, 109 p.
2032 Democracy Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution tunisienne au niveau du
cadre juridique, 9ème édition, 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté le 18 avril 2020], https://democracy-
reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-TN_rapport_suivi_mise-en-
oeuvre_constitution_septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, p. 21.
2033 Le projet interdit également à « toute personne et à toute liste qui enfreint les interdictions prévues aux
articles 18, 19 et 20 du décret-loi du 24 septembre 2011 portant organisation des partis politiques ou
profite de la publicité politique telle que définie par l’article 2 du décret-loi du 2 novembre 2011 relatif à
la liberté de la communication audiovisuelle et portant création d’une Haute Autorité indépendante de la
communication audiovisuelle, de se porter candidat aux élections législatives ou présidentielles.
» Ibid.
Comme l’affirme le rapport précité de Democracy Reporting International, ces dispositions visaient
essentiellement à écarter du pouvoir le magnat de la télévision et homme d’affaires tunisien Nabil
KAROUI.
2034 Prévue aux articles 50, 55, 75 et 133.
2035 « La circulaire du chef du gouvernement n° 8 du 17 mars 2017 portant sur les règles d’élaboration des
projets des textes juridiques, les procédures de leur présentation et la finalisation de leur préparation
confirme la dimension participative dans l’élaboration des lois, des décrets réglementaires, des décrets-lois
et des arrêtés ministériels, notamment en matière d’économie, de commerce, de libertés et de droits de
460




Page 462
mécanismes qui concrétisent la démocratie participative. Le 30 octobre 2014, le chef du
Gouvernement a adopté la circulaire n° 31 qui favorise l’implication des citoyens dans le
processus d’adoption de normes
2036. Depuis, le « Service des projets de lois soumis à la
consultation du public » a été créé au sein de la présidence du Gouvernement. Cependant, les
projets de loi ne sont pas automatiquement soumis à la consultation du public : la circulaire
n° 31 laisse une marge de manœuvre au Gouvernement dans le choix des textes soumis à la
consultation
2037.
L’article 3 du décret gouvernemental du 29 mars 20182038 définit la consultation publique
comme « un processus interactif qui permet aux parties concernées de présenter leurs
propositions et observations sur une politique publique en cours d’élaboration par un
organisme public. » Les parties concernées par la participation à la consultation publique sont
des personnes physiques ou morales, des experts, des universitaires, des spécialistes, des
organisations et des associations de la société civile, des entreprises économiques et des
organismes publics. Ces parties se prononcent sur les politiques publiques, c'est-à-dire les
projets de loi et les règlements en élaboration, de nature à « impacter directement les intérêts
vitaux des parties concernées, et à condition que la consultation ne porte pas atteinte aux
exigences de protection de l’ordre public, de la défense nationale et des relations extérieures
de l’Etat tunisien » (article 4 du décret). Nonobstant l'application de ce décret à
l’administration de l’Etat, aux collectivités locales, aux entreprises et aux établissements
publics, il est dans le pouvoir discrétionnaire de l'Administration d'organiser une consultation
publique.
La démocratie participative fait également l’objet du Chapitre 5 du Titre 1er du Livre 1 du
Code des collectivités locales promulgué le 9 mai 2018
2039. D'après son article 29, les citoyens
peuvent participer à la préparation, à l’exécution, au suivi et à l’évaluation des programmes de
l'Homme. » Democracy Reporting International, rapport sur la mise en œuvre juridique de la Constitution
tunisienne, 7
ème édition, 1er avril – 30 septembre 2018, [en ligne], [consulté le 18 avril 2019],
https://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/12/ Rapport-suivi-mise-en-oeuvre-constitution-
septembre-2018-FR.pdf, p. 18. Cf. la circulaire n° 8 du 17 mars 2017 disponible en arabe à l’adresse
suivante : http://www.legislation.tn/sites/default/files/17-08.pdf, p. 9.
2036 Circulaire n° 31 du 30 octobre 2014 disponible en arabe à l’adresse suivante : http://www.legislation. tn/
sites/default/files/14-31.pdf.
2037 Projets de textes soumis à la consultation publique, consultables à l’adresse suivante : http://www.
legislation.tn/fr/projets-textes-soumis-avis.
2038 JORT, n° 28 du 6 avril 2018, pp. 980 et s.
2039 Loi n° 2018-29, JORT n° 39 du 15 mai 2018.
461




Page 463
développement de la collectivité locale2040. Par les articles 31 et 33, les collectivités locales
sont habilitées à organiser des référendums, à l’initiative du président desdites collectivités,
d’un tiers des membres du conseil ou d’un dixième des électeurs
2041.
L’heure est venue de savoir si les droits politiques des citoyens égyptiens sont garantis par les
textes et s’ils s’exercent de manière égalitaire et sans discrimination dans la pratique.
En vertu de l’article 87 de la Constitution du 18 janvier 2014, le droit de vote et de
candidature est garanti à tous les citoyens
2042. L’article 53 de la Constitution énonce d’une
part que les citoyens sont égaux devant la loi et en droits, sans discrimination basée sur la
religion, la croyance, le sexe, l’origine, la race, la couleur, la langue, le handicap, la classe
sociale, l’appartenance politique ou géographique ou toute autre raison
2043. L’article 9 précise
d’autre part que l’Etat assure le principe d’égalité des chances entre tous les citoyens sans
discrimination. Mettant en œuvre ces dispositions, « le législateur est donc obligé de parvenir
à un résultat : l’égalité.
»2044 Afin de vérifier que les femmes et les non musulmans disposent
des mêmes droits politiques que leurs concitoyens de confession musulmane, une attention
particulière est accordée à l’étude des dispositions constitutionnelles qui facilitent leur
représentation dans la fonction publique et les assemblées élues
2045.
2040 L’article 30 du Code précise que la collectivité locale dispose de deux registres : le premier indique les
personnes concernées par les affaires locales, le second contient les avis, les questions et les réponses des
habitants de la collectivité.
2041 Pour une critique de la démocratie participative telle que préue par le Code des collectivités locales voir
Democray Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution tunisienne au niveau du
cadre juridique, 10
ème édition, 31 mars 2020, [en ligne], [consulté le 12 octobre 2020], https://democracy-
reporting.org/wp-content/uploads/2020/09/2020-09-09-TN_FR-rapport-semestriel-2020-03.pdf, pp. 17-18.
2042 L’Etat doit inscrire d’office sur les listes électorales tout citoyen qui remplit les conditions pour être
électeur.
2043 Le deuxième alinéa de l’article 53 prévoit la mise en place d’une commission indépendante contre la
discrimination.
2044 A. MOHAMED-AFIFY, « La Constitution égyptienne de 2014 : entre
traditions et
tendances
révolutionnaires », précit., p. 140.
2045 Bien que dédiant ce chapitre à la comparaison entre la Tunisie et l’Egypte, nous ne sommes pas des
spécialistes de l’Egypte. Même si des recherches poussées ont permis de mieux appréhender le cas
égyptien, il est évident que le travail de contextualisation que suppose l’étude d’un cas étranger n’a pas été
aussi approfondi pour l’Egypte que pour la Tunisie. N’ayant pu accéder à certains documents à l’instar des
textes de loi ou des rapports sur l’application effective des droits et libertés, les développements qui suivent
s’attachent essentiellement à l’analyse des articles de la Constitution du 18 janvier 2014 qui traitent des
droits politiques.
462





Page 464
L’article 11 de la Constitution est significatif à cet égard2046 : il pose le principe d’égalité
entre les hommes et les femmes et le droit des femmes à occuper des fonctions publiques.
Dans la pratique, les Egyptiennes sont discriminées dans l’accès aux corps et aux organes
judiciaires, aux postes de direction au sein de l’Etat et de la fonction publique. Afin de le
démontrer, il est utile de donner des exemples significatifs.
En janvier 2014, de jeunes diplômées en droit se sont vu refuser le droit de se présenter au
concours d’entrée du Conseil d’Etat
2047. Bien que ce refus2048 viole les articles 9, 11, 122049,
14
2050 et 53 de la Constitution, « un juge à la Cour d’appel du Caire affirma que la
Constitution n’exigeait pas l’ouverture de la magistrature aux femmes, et que la décision
devait être laissée à chaque ordre de juridiction individuellement et sans aucune
ingérence.
»2051 Le 12 mars 2015, le président de la République a promulgué la loi sur la
fonction publique
2052. Cette dernière garantit aux hommes et aux femmes le droit d’accéder à
2046 Il précise que « [l]’Etat s’engage à réaliser l’égalité entre hommes et femmes pour tous les droits civils,
politiques, économiques, sociaux et culturels, conformément aux dispositions de la présente Constitution. /
L’Etat s’engage à prendre les mesures nécessaires afin d’assurer une représentation adéquate des femmes
au sein des assemblées parlementaires, conformément à la loi. Il garantit aussi le droit des femmes à
accéder sans discrimination aux fonctions publiques et aux postes de direction au sein de l’Etat et à être
nommées dans les corps et organes judiciaires. / L’Etat s’engage à protéger les femmes contre toute forme
de violence et à leur permettre de concilier leurs obligations familiales et les exigences de leur travail. De
même qu’il procure soutien et protection à la maternité et à l’enfance, aux femmes soutiens de famille, aux
femmes âgées et aux femmes les plus démunies.
»
2047 En 2010 déjà, l’Assemblée générale du Conseil d’Etat avait refusé à 334 votes contre 42, l’ouverture de la
justice administrative aux femmes. En 2014, malgré la protestation vigoureuse de la présidente du Conseil
national de la femme, le club des juges du Conseil d’Etat la menaça. Reprochant au président du Conseil
d’Etat sa discrimination à l’encontre des candidates et la violation directe de la Constitution, la présidente
du Conseil national de la femme a été avertie que des poursuites pour ingérence dans les affaires de la
justice pouvaient être engagées contre elle.
2048 Une des femmes qui s’étaient présentées au concours d’entrée du Conseil d’Etat, a porté plainte. En 2017,
un premier jugement de l’affaire a été rendu : le rejet des candidatures de femmes est fondé sur le pouvoir
discrétionnaire de l’autorité judiciaire de décider de l’éligibilité des femmes à occuper de tels postes. Ce
premier jugement nie ouvertement le principe constitutionnel de non-discrimination basé sur le sexe. La
deuxième plainte est toujours en cours d’examen. Malgré la demande de transfert de la plaine à la Haute
Cour constitutionnelle en février 2018, l’affaire a été ajournée à plusieurs reprises. Pour plus de précisions
sur ce point, cf. O. TAHER GADALLA, « Être une femme juge en Egypte : un combat pour l’égalité entre
les femmes et les hommes »,
Fondation Jean Jaurès International [en ligne], publié le samedi 7 mars 2020,
[consulté le 20 avril 2020], https://jean-jaures.org/nos-productions/etre-une-femme-juge-en-egypte-un-
combat-pour-l-egalite-entre-les-femmes-et-les.
2049 L’article 12 de la Constitution égyptienne de 2014 reconnaît le travail comme un droit garanti par la loi à
tous les citoyens sans discrimination aucune.
2050 L’article 14 de la Constitution égyptienne de 2014 précise quant à lui que le recrutement au sein de la
fonction publique doit être fondé sur le mérite.
2051 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue
2020],
[consulté
ligne],
avril
[en
15
6,
le
droits
des
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en.
l’Homme,
2014,
de
2052 Les unités d’égalité des chances au sein des départements ministériels ne sont pourtant pas reconnues par la
loi et l’égalité des sexes dans la gestion des ressources humaines du secteur public n’est pas
institutionnalisée. Pour une analyse critique des dispositions de la loi, cf. « Place des femmes fonctionnaires
aux postes de responsabilité dans l’administration publique en Egypte, Jordanie, Maroc et Tunisie »,
ONU
463



Page 465
la fonction publique sans discrimination fondée sur le sexe. Cette loi ne prévoit pourtant
aucune mesure de discrimination positive en matière d’éligibilité, de promotion ou d’accès
des femmes aux postes de responsabilité
2053. En septembre 2014, le ministre du
Développement municipal déclarait d’ailleurs « qu’aucune
femme ne serait nommée
gouverneur dans un proche avenir, parce qu’il fallait d’abord “les préparer” avant qu’elles
puissent être nommées à de telles fonctions.
»2054 Le 16 février 2017 et le 31 août 2018, deux
femmes, Nadia AHMED ABDOU et Manal AWAD MIKHAIL ont pourtant été
respectivement nommées gouverneur de Beheria
2055 et de Damiette2056, par le président de la
République Abdel Fattah AL-SISSI. Si Nadia AHMED ABDOU est la première femme à
avoir été nommée à un poste de direction au sein de l’Etat, Manal AWAD MIKHAIL est la
première copte de l’Histoire de l’Egypte à exercer de telles fonctions. Pour autant, si depuis
2018, un quart des postes sont occupés par des femmes dans les 27 provinces égyptiennes,
elles sont généralement discriminées dans l’accès aux fonctions publiques.
Traditionnellement conservatrice et patriarcale, la société égyptienne conçoit la femme
comme le complément de l’homme au sein de la cellule familiale. Même si l’article 11 de la
Constitution prévoit leur protection contre toute forme de violence
2057, il inscrit dans le
marbre une vision stéréotypée des rapports hommes/femmes. Cette vision figurait déjà à
l’article 11 de la Constitution de 1971 qui prévoit que « [l]’Etat assure à la femme la
compatibilité entre ses devoirs au sein de la famille et son rôle dans la société, son égalité
avec l’homme dans les domaines politique, social, culturel et économique, sans préjudice des
dispositions de la loi islamique. » Bien que la référence à la charia ait été abandonnée,
l’article 11 de la Constitution de 2014 vise à concilier les obligations familiales de la femme
avec son travail dans la société. « La Constitution de 2014 reprend également l’engagement
[en
FEMMES Maghreb
https://maghreb.unwomen.org/-/media/field%20office%20maghreb/documents/publications/
2018/12/ra%20fr%20femmes%20fonction%20administration%20egypte%20jordanie%20maroc%
20tunisie.pdf?la=fr&vs=3510, pp. 16-25.
ligne], publié
juin 2018,
[consulté
le 20
en
avril 2020],
2053 L’importance des mesures de discriminations positives est expliquée un peu plus loin dans le raisonnement.
2054 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue
2020],
[consulté
ligne],
2014,
avril
[en
15
le
droits
des
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en.
l'Homme,
de
6,
2055 Pour plus de précisions sur ce point, cf. R. TCHOUNAND, « Qui est Nadia Ahmed Abdou, première
femme gouverneur en Egypte ? »,
La Tribune Afrique [en ligne], publié le samedi 18 février 2017,
[consulté le 19 avril 2020], https://afrique.latribune.fr/politique/2017-02-18/qui-est-nadia-ahmed-abdou-
premiere-femme-gouverneur-en-egypte.html.
2056 D. AMMOUN, « Egypte : la première femme copte gouverneur », Le Point International [en ligne], publié
le vendredi 5 septembre 2018, [consulté le 19 avril 2020], https://www.lepoint.fr/monde/ egypte-la-
premiere-femme-copte-gouverneure-05-09-2018-2248578_24.php.
2057 Le 5 juin 2014, une loi contre le harcèlement sexuel a été adoptée en Egypte.
464



Page 466
de l’Etat à soutenir la maternité et l’enfance […]. Or cette disposition, qui figurait pourtant
elle aussi dans la Constitution de 1971, avait été très critiquée et considérée comme
emblématique de la priorité accordée par les islamistes aux valeurs familiales et à leur
volonté d’enfermer les femmes dans les tâches domestiques de mères de famille.
»2058 La
Constitution de 2014 concilie donc le droit des femmes avec la conception holiste de la
société égyptienne et les dispositions de la loi islamique. Il en est ainsi des droits de la femme
en matière de succession. Avant d’aborder ce sujet, il est essentiel d’évoquer les raisons qui
ont amené les constituants à insérer à l’article 11 de la Constitution, la formule selon laquelle
l’Etat « s’engage à prendre les mesures nécessaires afin d’assurer une représentation
adéquate des femmes au sein des assemblée élues, conformément à la loi. »
A l’instar de la Tunisie, la reconnaissance par le constituant de la violence contre les
femmes témoigne de la prise de conscience qu’en Egypte, la place de la femme au sein de la
famille et les atteintes répétées à son intégrité physique et morale, méritent des mesures de
discriminations positives, pour qu’elle soit considérée comme un citoyen à part entière et
qu'elle puisse participer activement à la vie publique
2059. « En Egypte, la nouvelle loi
électorale
2060 garantit aux femmes un minimum de 70 sièges (5 %) dans une chambre qui
compte 568 parlementaires élus et 28 nommés par le Président.
»2061 Les élections
législatives de 2015
2062 représentent d’ailleurs une impressionnante progression par rapport à
2058 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue
2020],
l'Homme,
[consulté
ligne],
droits
avril
[en
15
6,
le
des
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en.
2014,
de
2059 Pour des développements similaires en Tunisie, cf. le 3. du B. du Paragraphe 2 de la Section 1 du
Chapitre 2 du Titre II de la PARTIE II de cette thèse, relatif à
la consécration de l’égalité en droits, p. 283.
2060 Dans la Constitution de 1971, la loi électorale prévoyait un quota pour la représentation des femmes au sein
du Parlement. 14 % des sièges de la chambre basse, soit 64 sièges sur 454 leur étaient réservés. En 2009, la
loi électorale a augmenté ce nombre à l’Assemblée du peuple à 518 et attribué les 64 nouveaux sièges aux
femmes. A la chute de H. MOUBARAK, ce quota a été annulé et remplacé par le système de représentation
d’une femme par liste. Le parti politique avait toutefois la liberté de placer la candidate n’importe où sur sa
liste. Ce système n’était pas consacré par la Constitution de 2012, mais par la loi électorale adoptée en 2011
par le
CSFA. Sur ce point, cf. E. SAENZ-DIEZ, « Le quota de femmes au parlement égyptien. Vers une
normalisation de leur statut ? »,
Égypte/Monde arabe, Gouvernance locale dans le monde arabe et en
Méditerranée : quel
le 22 avril 2020],
https://journals.openedition.org/ema/3041#quotation, pp. 231-245.
femmes ?, 9,
rôle pour
[consulté
ligne],
[en
les
2061 Rapport de l’Union interparlementaire pour la démocratie pour tous, « Les femmes au parlement en 2015.
2020],
[consulté
ligne],
2016,
avril
[en
sur
22
»,
le
Regard
http://archive.ipu.org/pdf/publications/WIP2015-f.pdf, p. 8.
écoulée
l’année
2062 Pour une comparaison des élections législatives de 2015 et celles de 2012, cf. C. STEUER, « Les
surprenantes leçons des élections législatives en Egypte »,
OrientXXI. Info, publié le mercredi 9 mars 2016,
[en ligne], [consulté le 22 avril 2020], https://orientxxi.info/magazine/les-surprenantes-lecons-des-
elections-legislatives-en-egypte,1238.
465



Page 467
celles de 20122063 : près de 15 % des parlementaires, soit soixante-quinze femmes, siègent
maintenant à la Chambre des représentants
2064. A cela s’ajoute l’article 102 alinéa 1 tel
qu’amendé par la révision constitutionnelle d’avril 2019. Si la Chambre des députés
comprend au moins 450 membres, un quart de ces sièges est désormais réservé aux
femmes
2065. Bien que la représentation des femmes dans les assemblées élues soit favorisée,
ces mesures de discriminations positives ne sont réellement effectives que dans un Etat qui
reconnaît véritablement les valeurs du pluralisme démocratique, d’égalité et de liberté. C’est
somme toute, ce que prétend l’ONG féministe
Nazra for Feminist Studies2066.
De fait, si les constituants et le législateur sont conscients de l’absence des femmes de la vie
politique, les traditions, les coutumes et les mentalités liées à l’Islam empêchent celles-ci
d’être convenablement représentées dans les instances élues
2067. Il en est ainsi en dépit de
l’article 180 de la Constitution qui impose de réserver aux femmes un quart des sièges au sein
des conseils locaux
2068.
Par ailleurs, la charia empêche les femmes d’hériter à égalité avec les hommes. En effet,
l’article 3 de la Constitution prévoit la personnalité des lois en matière de droit de la famille.
Si les Egyptiens chrétiens ou juifs organisent leur statut personnel en fonction de leurs
principes religieux, les croyants d’une autre religion sont soumis au droit général égyptien. Ce
dernier n’est autre que le droit de la famille des musulmans codifié par le législateur égyptien.
Or en droit musulman, l’homme hérite le double de la part de la femme. Au moment où en
2063 Le 24 septembre 2011, le CSFA adopte la loi électorale qui prévoit qu’un tiers des sièges est réservé aux
candidats individuels et deux tiers aux listes composées par les partis politiques. Malgré l’imposition par la
loi de la présence d’au moins une femme par liste, seules 9 femmes sont élues à la chambre basse. Pour
plus de précisions sur les élections égyptiennes de 2011-2012, cf. C. STEUER, « Des élections
révolutionnaires ? »,
Égypte/Monde arabe, Troisième série, 10, [en ligne], [consulté le 22 avril 2020],
http://journals.openedition.org/ema/3086, pp. 7-31.
2064 Cinq d’entre elles ne font partie d’aucun parti politique et quatorze ont été désignées par le président de la
République.
2065 N. BERNARD-MAUGIRON, « Les amendements constitutionnels de 2019 en Egypte : vers une
consécration de la dérive autoritaire du régime »,
Revue française de droit constitutionnel, 2020, 121,
p. 14.
2066 Nazra for Feminist Studies, « The Constitutional Amendments Do Not Establish A Democracy That
Supports Women In Politics », publié le jeudi 7 mars 2019, [en ligne], [consulté le 9 juin 2020],
https://nazra.org/en/2019/03/constitutional-amendments-do-not-establish-democracy-supports-women-
politics.
2067 Le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée donne un exemple significatif de la
non-représentation des femmes dans les conseils élus dans « La participation des femmes à la vie politique
locale dans le gouvernorat de Louxor, Egypte », publié le lundi 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté le
/8882/la-participation-
22 avril 2020], https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view
femmes-a-vie-politique-locale-dans-gouvernorat-louxor-egypte.
2068 L’article 180 prévoit également la représentation des chrétiens, des jeunes, des personnes handicapées, des
paysans et des ouvriers dans les conseils locaux.
466




Page 468
Tunisie, Béji CAÏD ESSEBSI réfléchissait aux réformes législatives à introduire en matière
d’égalité homme/femme, Al-Azhar s’était prononcé en défaveur des réformes entreprises par
le pays du jasmin
2069. D’ailleurs, bien que l’article 245 du règlement copte orthodoxe
garantisse à ses fidèles l’égalité dans l’héritage, une loi datant des années 1940 imposait le
droit musulman aux coptes. Ce n’est qu’en janvier 2020 que les règles chrétiennes qui
accordent aux femmes et aux hommes les mêmes droits en matière d’héritage, se sont
appliquées, lors de l'affaire Hoda NASRALLAH, citoyenne égyptienne de confession
copte
2070. Sachant que le droit musulman discrimine l’homme de la femme, la décision de
janvier 2020 fera-t-elle jurisprudence ? De plus, la personnalité des lois
2071 en matière de droit
de la famille pose la question de l’égalité en droits des citoyens égyptiens.
Afin de faciliter la participation des minorités religieuses à la vie politique égyptienne,
l’article 244 de la Constitution prévoit que les jeunes, les chrétiens, les personnes handicapées
et les expatriés doivent conformément à la loi, se voir reconnaître une représentation
appropriée au sein de la première Chambre des représentants, élue après la promulgation de la
Constitution. Les élections législatives du 7 octobre et du 2 décembre 2015 ont ainsi permis à
36 coptes de siéger à la Chambre des représentants
2072. Amendé en avril 2019, l’article 243
prévoit désormais que la Chambre des députés représente de façon permanente les ouvriers et
les paysans. Egalement révisé, l’article 244 de la Constitution précise que les jeunes, les
chrétiens, les personnes handicapées et les Egyptiens résidant à l’étranger sont dorénavant
représentés de manière permanente à la Chambre des députés
2073. L’article 180 de la
Constitution prévoit également la représentation de ces mêmes groupes, des paysans et des
ouvriers dans les conseils locaux.
publié
le mardi
2069 M. EL-FAIZY, « Egyptienne copte, elle défie la charia au nom de l’égalité homme/femme », France24 [en
2020],
ligné],
https://www.france24.com/fr/20191119-egypte-charia-copte-equite-homme-femme-heritage-justice.
2070 AFP, « Egypte : l’héritage des coptes régi par les règles chrétiennes, tranche un tribunal », L’Orient Le Jour
2020],
[en
janvier
https://www.lorientlejour.com/article/1201031/egypte-lheritage-des-coptes-regi-par-les-regles-chretiennes-
tranche-un-tribunal.html.
novembre
dimanche
[consulté
[consulté
ligne],
publié
2019,
2020,
avril
avril
23
19
23
2071 Système selon lequel les lois sont appliquées aux individus en fonction de leurs confessions et rites
le
le
le
5
religieux.
2072 C. STEUER, « Les surprenantes leçons des élections législatives en Egypte », OrientXXI. Info, publié le
mercredi 9 mars 2016, [en ligne], [consulté le 22 avril 2020], https://orientxxi.info/magazine/les-
surprenantes-lecons-des-elections-legislatives-en-egypte,1238.
2073 N. BERNARD-MAUGIRON, « Les amendements constitutionnels de 2019 en Egypte : vers une
consécration de la dérive autoritaire du régime », précit., p. 15.
467




Page 469
Malgré les nombreuses avancées constitutionnelles, la participation à la vie politique des
femmes et des minorités religieuses en Egypte, nécessite l’intervention du législateur et
l’adoption de mesures de discriminations positives. Ces dernières sont nécessaires puisque
dans la pratique, l’égalité constitutionnelle entre les citoyens égyptiens n’est pas pleinement
appliquée, ce qui est d’ailleurs problématique : il est difficile d’affirmer que le gouvernement
est « civil » si les droits des citoyens ne sont pas pleinement effectifs. S’il est essentiel de
savoir dans quelles mesures l’Islam comme religion, peut être modulé avec les composantes
de la citoyenneté, il est nécéssaire de souligner qu’en plus d’être un statut juridique qui
confère des droits et des obligations aux citoyens au sein d’une collectivité politique, la
citoyenneté est aussi et surtout, l’une des manifestations de l’identité nationale.
2. La citoyenneté comme manifestation de l’identité nationale
Si le citoyen est celui qui a des droits et des obligations dans une cité, la « qualité de citoyen
s’acquiert le plus souvent sans acte volontaire en raison de la naissance dans un espace
géographique déterminé ou par filiation de ressortissants de cet espace.
»2074 La citoyenneté
se définit par rapport à une communauté politique déterminée et aux droits de participer à
l’exercice du pouvoir politique d’un pays
2075. « Dans le cadre de l’Etat-nation, le citoyen est
titulaire d’une parcelle de souveraineté nationale
2076. Seuls les nationaux sont, par
conséquent, citoyens et seulement eux sont admis au bénéfice de l’exercice des droits
politiques.
»2077 C’est la raison pour laquelle le citoyen se définit par opposition au non-
citoyen, c'est-à-dire l’étranger, le mineur, les personnes frappées d’une condamnation pénale
ou d'une incapacité mentale. Les droits du citoyen découlent de sa nationalité. Les citoyens
disposent donc de l’ensemble des droits que les nationaux d’un Etat ont et exercent dans
l’intérêt général.
2074 M. KRAÏEM DRIDI, « Citoyenneté et égalité devant la loi », précit., pp. 68-69.
2075 Contrairement aux paragraphes précédents, celui-ci s’intéresse à la citoyenneté comme manifestation de
l’identité nationale en Tunisie. Bien que l’identité égyptienne soit également évoquée, elle ne fait pas
l’objet d’une analyse aussi poussée que l’identité tunisienne.
2076 La souveraineté nationale s’oppose traditionnellement à la souveraineté populaire. La nation est un concept
qui désigne l’entité collective formée par l’ensemble des citoyens. La nation comprend également les
aspirations continues des générations passées et à venir relevant d’une même collectivité nationale. Seule
dépositaire de la souveraineté dans l’Etat, l’entité abstraite qu’est la nation ne peut directement exercer son
pouvoir. Elle recourt alors à des représentants.
2077 F. CONSTANT, La citoyenneté, op.cit., p. 27. Mouna KRAÏEM DRIDI précise que : « Si la nationalité est
le lien de droit qui marque l’appartenance, la citoyenneté est un statut, un état, de celui dont
l’appartenance est déjà établie. Les deux concepts ne peuvent donc se confondre même s’ils convergent
vers la même personne.
» M. KRAÏEM DRIDI, « Citoyenneté et égalité devant la loi », précit., p. 85.
468





Page 470
Ainsi, seuls les nationaux détiennent-ils le droit de faire campagne pour exercer un pouvoir
politique au sein de leur pays. La nationalité détermine le droit du citoyen d’être électeur et
éligible. Selon l’article 54 de la Constitution du 27 janvier 2014, « [e]st électeur tout citoyen
de nationalité tunisienne, âgé de dix-huit ans révolus et remplissant les conditions fixées par
la loi électorale.
»2078 L’article 5 de la loi n° 2014-16 du 26 mai 2014 relative aux élections et
aux référendums
2079, reprend en les précisant, les dispositions de l’article 54 de la
Constitution
2080 : « Est électeur tout(e) tunisienne ou tunisien, inscrit(e) au registre des
électeurs, âgé(e) de dix-huit (18) ans révolus le jour précédant celui du scrutin, jouissant de
ses droits civils et politiques et n'étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la présente
loi. »
Bien que la nationalité soit une condition nécessaire à la citoyenneté, certains nationaux
peuvent être privés de leurs droits civils et politiques. Selon l’article 6 de la loi n° 2014-16 par
exemple : « Ne peuvent être inscrites au registre des électeurs : - Les personnes condamnées
à une peine complémentaire au sens de l’article 5 du code pénal, les privant d’exercer le droit
de vote jusqu’à leur réhabilitation, / - Les personnes interdites pour démence globale. » Par
ailleurs, il est intéressant de noter qu’en vertu de l’article 7 de la loi électorale, « [s]ont
inscrits sur le registre électoral tous les Tunisiens qui remplissent les conditions légales et
apportent la preuve de l’adresse de résidence effective conformément à ce qui sera fixé par
l’Instance
2081. » Ce point interroge l’exercice du droit de vote par les personnes sans domicile
fixe donc sans adresse de résidence.
Si la nationalité conditionne la citoyenneté, il est essentiel de savoir si un(e) Tunisien(ne) peut
être déchu(e) de sa nationalité. L’article 25 de la Constitution affirme qu’ « [a]ucun citoyen ne
peut être déchu de la nationalité tunisienne, ni être exilé ou extradé, ni empêché de revenir
dans son pays.
»2082 Pourtant, l’article 33 du Code de la nationalité prévoit que « [l]'individu
2078 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 54.
2079 Loi relative aux élections et aux référendums promulguée le 26 mai 2014 (loi n° 2014-16) et modifiée par
la loi organique n° 2017-7 du 14 février 2017 et le projet de loi organique n° 2018/63 du 18 juin 2019.
2080 Contrairement à l’article 54 de la Constitution tunisienne de 2014, l’article 6 de la Constitution égyptienne
de 2014 ne dispose pas du droit du citoyen d’être électeur et éligible. L’article 6 de la Constitution
égyptienne de 2014 précise que la nationalité est un droit accordé aux personnes nées d’un père égyptien ou
d’une mère égyptienne et que la loi fixe les conditions d’acquisition de la nationalité. En Egypte, la
nationalité est fondée sur le Code de la nationalité de 1975.
2081 L’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE).
2082 L’article 62 de la Constitution égyptienne de 2014 prévoit également l’interdiction d’être expulsé de son
pays ou empêché d’y revenir. Contrairement à la Constitution tunisienne de 2014, la Constitution
469




Page 471
qui a acquis la qualité de Tunisien peut, par décret, être déchu de la nationalité tunisienne : /
1 - s'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou de délit contre la sûreté intérieure ou
extérieure de l'Etat ; / 2 - s'il se livre au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles
avec la qualité de Tunisien et préjudiciables aux intérêts de la Tunisie ; / 3 - s'il est condamné
en Tunisie ou à l'étranger pour un acte qualifié de crime par la loi tunisienne et ayant
entraîné une condamnation à une peine d'au moins cinq années d'emprisonnement ; / 4 - s'il
est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui de la loi sur le
recrutement de l'armée. » L’article 35 du Code précise d’ailleurs que la déchéance peut être
étendue par décret à la femme et aux enfants mineurs non mariés de l’intéressé, à condition
qu’ils aient conservé une autre nationalité
2083. La constitutionnalité de ces deux articles se
pose.
S’est posé et se pose également la question de la déchéance de nationalité des Tunisiens partis
pour le
djihad2084. Le 14 janvier 2017, alors que de nombreux Tunisiens ont appelé les
citoyens à manifester contre le retour des terroristes tunisiens ayant sévi en Irak, en Syrie ou
en Libye, d’autres ont manifesté pour la déchéance de leur nationalité
2085, afin de les
empêcher de franchir les frontières du pays et de jouir des droits du citoyen
2086. Le cas d’Anis
AMRI est significatif de la position des autorités tunisiennes sur le sujet
2087 : arrivé en
égyptienne de 2014 n’évoque pas la déchéance de nationalité. Cette dernière fait l’objet des
développements qui suivent.
2083 La Tunisie a ratifié la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Elle a cependant joint une
réserve conforme au 3. de l’article 8 de la Convention qui lui permet la déchéance de nationalité. Cette
dernière est donc prévue dans son Code de la nationalité.
2084 « [S]elon l’ONU, 5 500 Tunisiens ont rejoint les rangs de groupes djihadistes en Irak, en Syrie et en Libye,
6 000 selon le Soufan Group, un institut américain spécialisé dans le renseignement. Un chiffre qui révèle
la difficulté des autorités à contrôler les déplacements mais aussi à comprendre l’ampleur de ces départs
depuis un pays salué dans le monde pour sa transition démocratique, fragile mais spectaculaire comparée
aux autres Etats ayant connu des soulèvements depuis 2011.
» C. BOZONNET « L’inquiétude de la
Tunisie face au terrorisme », Le Monde [en ligne], publié le lundi 26 décembre 2016, [consulté le 23 avril
2018],
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/12/26/l-inquietude-de-la-tunisie-face-au-
terrorisme_5053997_3212.html. Cf. Annexe 1 – Glossaire –
Djihad.
2085 Y. BELLAMINE, « Des citoyens appellent à manifester contre le retour de terroristes tunisiens en
Tunisie »,
Huffpost Maghreb [en ligne], publié le mardi 13 décembre 2016, [consulté le 22 avril 2019],
https://www.huffpostmaghreb.com/2016/12/13/retour-jihadistes-tunisie_n_13599446.html?ut m_hp_ref=
mg-retour-terroristes-tunisiens-de-syrie.
2086 De nombreuses rumeurs ont circulé autour d’un projet de loi du repentir, jusqu’à ce que le président de la
République Béji CAÏD ESSEBSI affirme à la mi-décembre 2016, qu’aucun
djihadiste ne serait gracié et
que les dispositions de la loi antiterroriste n° 2019-09 en date du 23 janvier 2019, relative à la lutte contre le
terrorisme et le blanchiment d’argent, lui seraient appliquées.
2087 Pour ne donner que quelques exemples, il est important de rappeler que le 14 juillet 2016, l’attentat de Nice
avait été perpétré par Mohamed LAHOUAIEJ BOUHLEL, un Tunisien de 31 ans, originaire de M’saken.
Le 18 mars 2015, la tuerie du musée du Bardo à Tunis, avait été perpétrée par deux assaillants tunisiens
âgés de 20 et 27 ans. De même, le 26 juin 2015, dans la station balnéaire de Port El-Kantaoui, près de
470




Page 472
Allemagne en 2011, il y perpètre plusieurs délits qui le conduisent en prison. L'Allemagne
tente de l'expulser mais la Tunisie refuse de reconnaître sa nationalité tunisienne, ne disposant
pas de papiers d’identité en règle. La Tunisie n’engage la procédure d’établissement des
documents tenant lieu de passeport qu’en août 2016, alors que la demande d’expulsion datait
du mois de juin
2088. Six mois plus tard, A. AMRI s'enfuit après avoir commis les attentats du
Marché de Noël du 19 décembre 2016 à Berlin, soit deux jours avant que ses papiers
d’identité n'arrivent en Allemagne. Le 23 décembre, il sera abattu à Milan où il avait fui, par
la police italienne lors d'un contrôle d'identité. Même au cours de la période de crise sanitaire
mondiale, objet de tous les débats, la volonté des citoyens de déchoir les djihadistes de la
nationalité tunisienne, n’a pas faibli. Pourtant, il est à douter que retirer sa nationalité à un
Tunisien qui n'a que cette nationalité-là, soit un jour possible. En effet, l'apatridie est interdite
par la Convention de New York du 30 août 1961, dont la Tunisie est signataire.
Contrairement à la Tunisie où l’article 25 de la Constitution prohibe la déchéance de
nationalité, l’article 6 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014 est muet à ce sujet.
Bien qu’il mentionne la nationalité égyptienne, il donne à la loi, le soin d’en fixer les
conditions d’acquisition. A l’instar du Code de la nationalité tunisien, le Code de la
nationalité égyptien
2089 prévoit différents cas de déchéance. Un citoyen égyptien est déchu de
sa nationalité s’il acquiert une autre nationalité sans l’autorisation préalable du ministère de
l’Intérieur
2090, s’il s’engage dans l’armée d’un autre pays, s’il pratique des activités contre les
intérêts de l’Etat ou s’il est décrit comme «
sioniste »2091. Sans que le Code de la nationalité
ne définisse ce qui relève du « sionisme » et sans qu’il y ait besoin de prouver que l’allégation
est avérée, un citoyen égyptien peut être déchu de sa nationalité. S’il est difficile de savoir en
quoi le «
sionisme »2092 constitue une menace pour l’Etat égyptien, il est clair que cette
Sousse, Seifeddine REZGUI, un Tunisie de 23 ans originaire du Kef, avait tué 38 touristes sur la plage d’un
hôtel.
2088 AFP, « La Tunisie accusée d’avoir freiné l’expulsion d’Anis Amri, suspect de l’attentat de Berlin »,
Huffpost Maghreb [en ligne], publié le mercredi 21 décembre 2016, [consulté le 23 avril 2018],
https://www.huffingtonpost.fr/2016/12/21/la-tunisie-accusee-davoir-freine-lexpulsion-danis-amri-suspect -
attentat-berlin_a_21632680/.
2089 Code de la nationalité égyptien (n° 26 de 1975), Journal Officiel de la République arabe d’Egypte, n° 22,
29 mai 1975.
2090 « Si la demande de permission [d’obtention d’une autre nationalité] n’est pas accompagnée de la demande
de garder la nationalité égyptienne, celle-ci est alors perdue. Et même si on garde la nationalité
égyptienne, celle-ci peut être annulée à tout moment.
» B. MANBY, « Les lois sur la nationalité en Afrique.
Une étude comparée », Open Society Institute, 2009, [en ligne], [consulté le 25 avril 2020],
https://www.refworld.org/pdfid/4d259acc2.pdf, p. 81.
2091 Ibid., p. 89.
2092 L’engagement de l’Egypte pour la cause palestinienne justifie ceci. Il est cependant contradictoire de
constater que même s’ils sont intégrés à la société égyptienne et qu’ils résident en Egypte depuis des
471



Page 473
disposition du Code de la nationalité viole les droits civiques et la liberté d’expression des
citoyens. De plus, « entre 1986 et 2004, le ministre de l’Intérieur a refusé d’accorder la
nationalité égyptienne à sept femmes mariées à des Égyptiens
2093 pour des raisons liées à la
sécurité nationale, mais aucune explication n’a été donnée.
»2094 Au nom de la « sécurité
nationale », les autorités publiques sont habilitées à réprimer la liberté d’expression et à
déchoir les Egyptiens de leur nationalité. Elles disposent donc d’une marge de manœuvre
assez importante en la matière.
D’autres questions en rapport avec la nationalité se posent dans le cadre du droit des
Tunisiens d’être éligibles. En vertu de l’article 74 de la Constitution : « La candidature à la
présidence de la République est un droit pour toute électrice ou tout électeur de nationalité
tunisienne par la naissance et de confession musulmane. Le candidat doit être âgé de 35 ans
au moins au jour du dépôt de sa candidature. S’il est titulaire d’une nationalité autre que la
nationalité tunisienne, il doit inclure dans son dossier de candidature, un engagement de
renoncer à l’autre nationalité dès après la proclamation de son élection en tant que Président
de la République.
»2095 La condition de la confession musulmane de la candidate ou du
candidat à la présidence de la République induit la difficulté suivante : bien que la Tunisie soit
majoritairement composée de musulmans, elle comprend des Tunisiens athées, juifs ou
chrétiens. L’article 74 semble explicitement refuser le droit de se porter candidat(e)s aux
Tunisien(ne)s d’une autre confession que l’Islam. Or, « cet article pose un problème au
niveau de l’égalité des droits et de la citoyenneté.
»2096 Il est incohérent de vouloir fonder un
Etat « civil » sur la citoyenneté si certains nationaux en sont constitutionnellement exclus du
seul fait de leur confession. L’article 74 maintient ainsi le lien entre la religion et l’Etat
2097.
Ceci dit, contrairement aux propos de Salsabil KLIBI, le lien entre les citoyens et l’Etat n’est
pas exclusivement juridique. D’ailleurs, « le contrôle des candidatures au poste de président
années, les réfugiés palestiniens ne peuvent demander la nationalité égyptienne. Cela s’explique par la
décision de 1959 de la Ligue arabe selon laquelle les Palestiniens ne doivent avoir aucune autre nationalité
afin de préserver leur identité et leur prétention à retourner en Palestine.
2093 Bien que depuis 2004, la femme puisse transmettre sa nationalité égyptienne à ses enfants, elle ne peut pas
la passer à son époux étranger.
2094 B. MANBY, « Les lois sur la nationalité en Afrique. Une étude comparée », Open Society Institute, 2009,
[en ligne], [consulté le 25 avril 2020], https://www.refworld.org/pdfid/4d259acc2.pdf, p. 89.
2095 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 74.
2096 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13 h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
2097 Pour plus d’informations sur la condition de confession musulmane requise au candidat à la fonction
présidentielle par les constitutions arabes avant les révolutions de 2010-2011 voir A. AMOR, « La place de
l’Islam dans les constitutions des Etats arabes : Modèle théorique et réalité juridique »,
in G. CONAC et A.
AMOR (dir.),
Islam et droits de l'Homme, op.cit., pp. 13-27.
472



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de la République ne sont pas du ressort de la future Cour constitutionnelle mais de
l’ISIE.
»2098 Comment l’ISIE vérifie-t-elle que la condition de la confession musulmane est
remplie ? Les pratiques religieuses et le mode de vie du candidat sont-ils contrôlés ? Aucun
texte n’apporte de réponses à ces questions. Par ailleurs, il aurait certainement mieux valu
attribuer à la Cour constitutionnelle la possibilité d’examiner la constitutionnalité de cette
condition.
En un mot si l’Islam interfère entre les citoyens et l’Etat tunisien, il est difficile d’affirmer que
l’Etat « civil » se base sur des relations de droit. Les discriminations existant entre les
citoyens, dans leur rapport à l’Etat montrent qu’ils ne sont pas égaux en droits.
Par ailleurs, afin de prétendre au poste de président de la République, le Tunisien ou la
Tunisienne ayant une seconde nationalité « doit inclure dans son dossier de candidature, un
engagement de renoncer à l’autre nationalité dès après la proclamation de son élection en
tant que Président de la République.
»2099 Le pacte politique qui lie le citoyen à l’Etat est
fondé sur son appartenance à un seul Etat, au sein duquel il exerce ses droits civils et
politiques. « La loyauté exclusive du citoyen vis-à-vis d’un Etat unique est une dimension
essentielle du lien de nationalité. La double nationalité soulève toujours une question
irritante pour un Etat-nation dans la mesure où le principe de loyauté est, par définition,
indivisible.
»2100 Il est alors logique que le Tunisien ou la Tunisienne élu(e) à la plus haute
fonction de l’Etat représente sa nation et n’ait aucun lien avec un autre Etat que le sien. C’est
en ce sens que faisant campagne pour les élections présidentielles anticipées du 15 septembre
2019, Youssef CHAHED a renoncé le 20 août 2019 à sa nationalité française
2101. Bien qu’il y
ait renoncé au stade du dépôt de sa candidature, la renonciation est normalement un acte lié
aux fonctions du président de la République. En effet, ce dernier est d'après l’article 72 de la
Constitution, «
le symbole de son unité2102. Il garantit son indépendance et sa continuité et
2098 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13 h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
2099 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 74.
2100 F. CONSTANT, La citoyenneté, op.cit., p. 29.
2101 Pour plus de précisions, cf. « Tunisie : candidat à la présidentielle, Youssef Chahed renonce à sa deuxième
nationalité »,
Jeune Afrique [en ligne], publié le mercredi 21 août 2019, [consulté le 28 août 2019],
https://www.jeuneafrique.com/818400/politique/tunisie-candidat-a-la-presidentielle-youssef-chahed-
renonce-a-sa-deuxieme-nationalite/.
2102 Autrement dit de l’Etat.
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veille au respect de la Constitution. »2103 La question est finalement de savoir s'il est
raisonnable d'imposer au citoyen de choisir entre sa double nationalité et les plus hautes
fonctions de l’Etat. Il serait intéressant de soumettre cette question à la Cour constitutionnelle
à venir.
A l’opposé de la Tunisie, l’article 141 de la Constitution égyptienne n’impose pas au candidat
à la présidence de la République une confession particulière
2104. Il est cependant plus strict
que l’article 74 de la Constitution tunisienne en matière de nationalité. En Egypte, le candidat
doit au stade de la candidature « être égyptien, de parents égyptiens, et ni lui ni ses parents ni
son conjoint ne doivent avoir eu d’autre nationalité.
»2105 La double nationalité empêche donc
de se porter candidat à la présidence de la République. L’article 164 de la Constitution du
18 janvier 2014 exige également du Premier ministre qu’il soit Egyptien, de parents égyptiens
et que son conjoint et lui n’aient d’autres nationalités que l’égyptienne. Cette exigence
constitutionnelle est fondée, comme en Tunisie, sur l’appartenance du citoyen à un seul Etat,
au sein duquel il exerce ses droits civils et politiques. Nonobstant, il est curieux d’exiger de
leurs conjoints respectifs de renoncer à la double nationalité. Il s’agirait surement de la
représentation de l’Etat et de sa souveraineté nationale à l’international.
La condition d'une seule nationalité tunisienne n’est pourtant pas exigée pour la députation à
l’Assemblée des Représentants du Peuple. Si l’article 53 de la Constitution du 27 janvier 2014
n’est pas explicite à ce sujet
2106, selon le deuxième alinéa de l’article 55 : « La loi électorale
garantit le droit de vote et la représentation des Tunisiens à l'étranger au sein de l'Assemblée
des représentants du peuple. » Les Tunisiens ont effectivement le droit de concourir à
l’expression de la volonté générale par le biais des représentants élus, qu’ils soient en Tunisie
ou à l’étranger. La situation en Egypte est radicalement différente.
2103 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 72.
2104 Ceci s’explique en partie par la présence millénaire de minorités religieuses en Egypte telles que les coptes.
2105 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour
l’Egypte ? », précit., p. 530.
2106 Selon l’article 53 de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014, « [l]a candidature à la députation à
l’Assemblée des représentants du peuple est un droit à tout électeur de nationalité tunisienne depuis dix ans
au moins, âgé d’au moins vingt-trois ans révolus, le jour de la présentation de sa candidature, et ne faisant
l’objet d’aucune mesure d’interdiction prévue par la loi.
» Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie
indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article 53.
474





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Sous le régime de la Constitution du 11 septembre 1971 la double nationalité des Hauts
fonctionnaires égyptiens a créé un contentieux considérable. « En janvier 2001, trois
décisions judiciaires ont interdit aux Egyptiens ayant la double nationalité d’être membres du
Parlement.
»2107 Dans la première affaire, le Tribunal administratif a fondé sa décision sur
l’article 90 de la Constitution du 11 septembre 1971
2108 : les Egyptiens binationaux sont
exemptés du service militaire et ils n'ont pas le droit de s’engager dans l’armée ou la police.
L'Etat considère que s’ils doivent veiller aux intérêts du pays, ils ne peuvent partager leur
loyauté envers l’Egypte avec un autre pays
2109. Sous l’ancien régime, la double nationalité
excluait de fait les binationaux des fonctions parlementaires
2110. Actuellement, l’alinéa 2 de
l’article 102 précise uniquement que le candidat à la Chambre des représentants doit être
Egyptien
2111 et il renvoie la fixation des autres conditions d’éligibilité2112 à la loi. L’article
244 lui, précise que les Egyptiens expatriés se voient eux-aussi garantir une “représentation
appropriée” de manière permanente à la Chambre des députés
2113. Il revient donc au
législateur de déterminer ce qui relève de la “représentation appropriée”.
Enfin, en vertu de l’article 133 de la Constitution tunisienne de 2014 : « Les collectivités
locales sont dirigées par des conseils élus. Les conseils municipaux et régionaux sont élus au
suffrage universel, libre, direct, secret, honnête et transparent. Les conseils de district sont
élus par les membres des conseils municipaux et régionaux. La loi électorale garantit la
2107 B. MANBY, « Les lois sur la nationalité en Afrique. Une étude comparée », Open Society Institute, 2009,
[en ligne], [consulté le 25 avril 2020], https://www.refworld.org/pdfid/4d259acc2.pdf, p. 82.
2108 Cet article dispose du serment que doit prêter le membre de l’Assemblée du peuple avant d’entrer en
fonction. Il jure, au nom de Dieu, de sauvegarder la sécurité de la patrie, le régime républicain, de veiller
aux intérêts du peuple et au respect de la constitution et de la loi.
2109 Dans cette affaire, il a été jugé que Rami LAKAH ne pouvait être parlementaire puisqu’il détenait en plus
de la nationalité égyptienne, la nationalité française. La deuxième affaire concernait Mohamed Ahmed
MOHAMED SALEH qui avait abandonné la nationalité égyptienne au profit de la nationalité allemande.
Dans la dernière affaire, Talaat MUTAWI est empêché d’exercer ses fonctions parlementaires au motif
qu’il détenait des passeports égyptien et américain.
2110 La détention de la double nationalité permettait cependant aux citoyens égyptiens d’être ministre ou Haut
fonctionnaire. Pour plus de précisions sur ce point, cf. B. MANBY, « Les lois sur la nationalité en Afrique.
Une étude comparée »,
Open Society Institute, 2009, [en ligne], [consulté le 25 avril 2020],
https://www.refworld.org/pdfid/4d259acc2.pdf, pp. 82-83.
2111 Nathalie BERNARD MAUGIRON précise que « [t]out candidat [à la Chambre des représentants] doit être
de nationalité égyptienne, jouir de ses droits civils et politiques, être titulaire d’au moins un certificat de fin
d’études élémentaires et être âgé de plus de 25 ans (article 102).
» N. BERNARD-MAUGIRON, « La
Constitution égyptienne de 2014 : quelle réforme constitutionnelle pour l’Egypte ? », précit., p. 534.
2112 N’ayant pu avoir accès à la loi électorale, l’analyse menée ici est essentiellement fondée sur les articles de
la Constitution du 18 janvier 2014.
2113 N. BERNARD-MAUGIRON, « Les amendements constitutionnels de 2019 en Egypte : vers une
consécration de la dérive autoritaire du régime », précit., p. 15.
475



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représentation des jeunes au sein des conseils des collectivités locales. »2114 A l’article 49 bis
de la loi électorale
2115, les conditions pour présenter sa candidature aux conseils municipaux
et régionaux se rapprochent des conditions posées par l’article 53 de la Constitution du 27
janvier 2014. Plus loin, l’article 49 ter de la loi électorale fait la liste de toutes les personnes
qui ne peuvent pas présenter leur candidature dans les circonscriptions au sein desquelles elles
ont exercé leurs fonctions, l’année précédant le dépôt de candidature : magistrats,
gouverneurs, premiers délégués, secrétaires généraux des gouvernorats, délégués et chefs de
secteurs, comptables municipaux et régionaux, agents des municipalités et des régions, agents
des gouvernorats et des délégations. Cette disposition est compréhensible : alors qu’elles
exercent leurs fonctions, ces personnes peuvent les orienter ou les mettre au service de leur
futur mandat électoral. De plus, leur élection peut générer des conflits d’intérêts avec leurs
anciennes fonctions. Si l’interdiction posée par l’article 49 ter est légitime, une autre s’avère
inconstitutionnelle.
Il s'agit de l’article 6 de la loi électorale interdisant aux militaires et aux agents des forces de
sécurité intérieure
2116 de voter aux élections législatives, présidentielles et aux référendums.
Contraire au principe constitutionnel d’égalité et aux dispositions de l’article 49 de la
Constitution, cette interdiction a fait l’objet d’un recours devant l’Instance provisoire de
contrôle de constitutionnalité des projets de loi en 2014. Nonobstant, sans explication
officielle, l’Instance ne s’est pas prononcée sur le recours
2117. Grâce à la modification de la loi
électorale par la loi organique n° 2017-7 du 14 février 2017, l’interdiction a été partiellement
levée : les militaires et les agents des forces de sécurité intérieure peuvent désormais voter aux
2114 L’article 180 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014 est similaire sur ce point. Il prévoit que dans
chaque unité locale, des conseils locaux sont élus au suffrage universel, direct et secret, pour quatre ans.
2115 Article 49 bis de la loi relative aux élections et aux référendums, promulguée le 26 mai 2014 (loi n° 2014-
16) et modifiée par la loi organique n° 2017-7 du 14 février 2017 : «
A droit de se porter candidat au
mandat de membre de conseils municipaux ou régionaux tout : - électeur de nationalité tunisienne, / - âgé
d’au moins 18 ans révolus le jour de la présentation de la demande de candidature, / - n’étant dans aucun
cas d’interdiction légale. / La candidature est présentée dans la circonscription électorale dans laquelle il
est inscrit.
»
2116 L’Egypte a malheureusement été habituée aux coups d’Etats militaires et au gouvernement de l’armée.
Pour plus de précisions sur ce point, cf. J.-F. DAGUZAN, « L’armée et l’Égypte : l’âme et le
pouvoir », Maghreb - Machrek, vol. 231-232, 2017, n° 1, pp. 57-76.
2117 Pour plus de précisions, cf. Democracy Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la
Constitution tunisienne au niveau du cadre juridique, 9
ème édition, 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté
le
https://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-
TN_rapport_suivi_mise-en-oeuvre_constitution_septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, p. 32.
2020],
avril
18
476



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élections municipales et régionales. Le 29 avril 2018, les militaires ont ainsi voté pour les
élections du 6 mai
2118.
Si la nationalité est une condition nécessaire à la détention des droits civils et politiques,
certains Tunisiens sont privés de l’exercice effectif de ces droits du fait de leur confession
2119
ou de leur fonction. Le législateur et le futur juge constitutionnel devront améliorer et
uniformiser le droit des Tunisiens d’être électeurs et éligibles, afin de leur permettre une
participation active à la vie de la cité.
3. La citoyenneté comme participation active à la vie de la cité
La participation des citoyens à la vie de la cité ne s’exprime pas seulement le jour des
élections : elle s’exerce aussi lors de l’élaboration des décisions politiques nationales et
locales
2120. « La citoyenneté désigne ici un agir politique lié à l’implication des citoyens
particulièrement concernés par les affaires publiques. Elle est la pierre angulaire d’un projet
proprement politique qui ne vise pas seulement à changer le centre du pouvoir, mais
l’anatomie du pouvoir.
»2121 Les citoyens se mobilisent constamment pour débattre des
affaires publiques, de leurs besoins, de leurs ambitions. Ils comparent les normes juridiques
constitutionnelles ou législatives et leurs applications dans la pratique. Il est alors essentiel de
s’attarder sur les devoirs des citoyens tunisiens puis de voir comment s’exprime leur action
politique.
le
[en
lundi 27 mars 2017,
2118 N. MEKKI, “The law on local and regional elections: a step towards local democracy in Tunisia”,
juin 2020],
Constitutionnet, publié
http://constitutionnet.org/news/law-local-and-regional-elections-step-towards-local-democracy-tunisia.
2119 Il est nécessaire de préciser que pendant des années, le gouvernement égyptien a refusé aux Egyptiens
n’appartenant à aucune des trois religions reconnues par le droit égyptien (Islam, Judaïsme et
Christianisme) le droit de disposer de documents d’identité. Pour plus de précisions sur ce point, cf. B.
MANBY, « Les lois sur la nationalité en Afrique. Une étude comparée »,
Open Society Institute, 2009, [en
ligne], [consulté le 25 avril 2020], https://www.refworld.org/pdfid/4d259acc2.pdf, p. 96.
[consulté
ligne],
le 9
2120 L’analyse des mécanismes qui matérialisent la démocratie participative en Tunisie fait l’objet du 1. ci-
avant. A l’opposé des paragraphes précédents, celui-ci porte essentiellement sur l’étude du cas tunisien,
justifiée par le fait qu’en Tunisie, la transition politique et constitutionnelle a été l’œuvre des citoyens. En
Egypte, elle a essentiellement été guidée par la volonté de l’armée. Sur ce point voir A. STEPAN and J.-J.
LINZ, “Democratization Theory and the ‘Arab Spring’”,
précit., pp. 23-24.
2121 F. CONSTANT, La citoyenneté, op.cit., p. 31.
477







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« [L]’Administration publique est au service du citoyen et de l’intérêt général »2122, le citoyen
actif « sert son pays en s’acquittant des impôts et en effectuant un service militaire sans
jamais perdre de vue le bien public dont il a l’idée la plus haute.
»2123 Par l’acquittement de
l’impôt et la contribution aux charges publiques, l’article 10 de la Constitution du 27 janvier
2014 décrit le devoir des citoyens. Ces derniers sont également tenus d’effectuer un service
national, de préserver l’unité nationale et de défendre son intégrité. Les deux derniers
impératifs sont des devoirs qualifiés de sacrés par l’article 9 de la Constitution. L’emploi du
terme "sacré" n’est pas anodin. La préservation de l’unité nationale et la défense de l’intégrité
territoriale ne relèvent pas du profane, mais d’un sentiment de révérence religieuse. Même
juridique, le lien entre le citoyen et l’Etat n’est pas tout à fait détaché des considérations
religieuses.
Le citoyen est donc tenu de s’acquitter de ces devoirs ; sa participation à la vie de la cité est
tributaire de son désir de s’engager dans les affaires publiques et de la volonté des acteurs
politiques de lui ménager une marge de manœuvre. Or durant l'ancien régime, la mainmise
des dirigeants sur les affaires publiques a eu pour conséquence le désintérêt des Tunisiens
pour la chose publique. Avec la révolution, les partis politiques et la société civile se sont à
nouveau impliqués
2124. « Cette tendance du citoyen tunisien à pencher vers une démocratie
participative se sent à travers le maintien de la pression de la rue après la fugue de l’ex-
président pour obtenir gain de cause des revendications exprimées lors du soulèvement
populaire.
»2125 L’activité de la société civile a permis l’ouverture du débat politique et
juridique aux citoyens.
Par ailleurs, « [l]’inscription du citoyen dans un organisme de la société civile lui confère une
fonction plus importante dans le modelage du paysage politique et constitutionnel du pays
mais ne permet pas encore de lui attribuer le titre d’acteur politique et constitutionnel
2122 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 15.
2123 F. CONSTANT, La citoyenneté, op.cit., p. 32.
2124 « Ainsi, quelques jours après la fuite du président déchu, des partis politiques et des représentants de la
société civile ont marqué leur présence dans le jeu politique, des opposants sont retournés de l’exil, des
prisonniers politiques et d’opinion ont été libérés, de nombreux partis ont été reconnus, la censure a été
levée sur tous les médias avec des réformes profondes du secteur audio-visuel, la police politique et
l’appareil de la sécurité d’Etat ont été dissous… etc. » S. GOUIA, « Le citoyen, acteur politique et
constitutionnel : une approche à la lumière de l’exemple de la révolution tunisienne »,
in R. BEN
ACHOUR (dir.),
Constitution, citoyenneté et justice constitutionnelle : Entre exigence démocratique et
recompositions territoriales, op.cit.,
p. 155.
2125 Ibid., p. 156.
478




Page 480
direct. »2126 En effet, le citoyen révolutionnaire, créateur d’un nouvel ordre fait place à une
élite politique qui a pour mission de préserver les acquis de la révolution. Certes, il a participé
à la formation de l’élite politique par le biais des élections, mais une fois celle-ci au pouvoir,
le citoyen doit œuvrer pour maintenir deux choses essentielles. La première est de prouver à
la classe dirigeante qu’il existe, en s’engageant dans des associations et des organisations de
la société civile. La seconde nécessite qu'il se forge une vision de l’avenir de la nation qui
maintienne son esprit éveillé.
Dans l’attente de la mise en place des juridictions et des instances constitutionnelles prévues
par la Constitution, les Tunisiens s’engagent activement au sein des associations et des
organisations de la société civile, afin de surveiller la classe dirigeante. « En effet, la vision
moderne de la volonté générale est moins issue de l’acte de vote que du débat public qui a le
mérite de créer un dynamisme fondé sur une reconnaissance réciproque des intervenants, et
permettant le déplacement des appréciations et des jugements de la sphère privée à la sphère
publique par les divers canaux de la société civile (associations, médias, mouvements
sociaux, etc.).
»2127 Les instances représentatives traditionnelles se déplacent des partis
politiques vers la société civile qui débat des questions politiques, économiques et sociales et
essaie de trouver des solutions. Elle contrôle donc l’exercice du pouvoir et s’assure de
manière préventive, que les autorités respectent les droits fondamentaux des Tunisiens. Ainsi,
la société civile devient-elle partie prenante du processus politique.
Cette « logique de médiation encourt une transfiguration de la relation [entre le citoyen et
l’Etat] puisqu’elle implique une situation où la société civile peut faire écran entre le citoyen
et l’Etat. Une telle situation ne manque pas de susciter la perplexité quant à la légitimité de la
société civile, sa représentativité, et quant au devenir de l’intérêt général.
»2128 De fait, la
société civile ne peut avoir la même légitimité que les acteurs politiques directement élus.
L’émergence de la société civile est une réaction aux lacunes des institutions de l’ancien
régime. Force est de constater que les schémas peuvent se répéter : « derrière cette
prépondérance de la société civile se profile une prépondérance des groupes d’intérêt et des
corporations. On craint, du coup, que l’idée participative avalise le lobbying comme quasi-
2126 Ibid., p. 147.
2127 W. ZAAFRANE ANDOLSI, « Citoyenneté et société civile : vers la construction d’une citoyenneté
participative ? »,
in R. BEN ACHOUR (dir.), Constitution, citoyenneté et justice constitutionnelle : Entre
exigence démocratique et recompositions territoriales, op.cit.,
pp. 53-54.
2128 Ibid., pp. 60-61.
479




Page 481
institution et tende à réduire la société civile à un ensemble d’actions corporatistes. »2129 Il
semble que pour éviter l’hétérogénéité de la société civile et que les intérêts particuliers ne
transforment l’intérêt général, il soit préférable que les citoyens participent aux décisions
politiques, par le biais des mécanismes constitutionnels de démocratie représentative et
participative.
D'ailleurs, la société civile presse les Tunisiens de s’acquitter de leurs devoirs civiques, tout
en les aidant au contrôle des acteurs politiques en place. Son activité participe donc à la
naissance du civisme en Tunisie. « Ce terme s’entend de deux manières qui ne font d’ailleurs
que moduler une signification unique : tantôt il désigne la conduite de personnes (politiques)
ayant un rapport spécifique à l’Etat et signifie dévouement à la chose publique, tantôt il
désigne la conduite des personnes et (des citoyens) ayant un rapport indifférencié à l’Etat et
voudra dire sens des devoirs collectifs au sein d’une société.
»2130 Dans un cas comme dans
l’autre, en exprimant quotidiennement la volonté des Tunisiens, les associations et les
organisations de la société civile œuvrent pour que les politiques et les citoyens collaborent à
la vie sociétale, en ayant pour objectif le bien commun.
L’analyse des différentes composantes de la citoyenneté a permis de révéler que certains
droits et libertés ne sont pas pleinement effectifs en Egypte et en Tunisie. Les deux Etats sont
invités à y remédier pour assurer à leurs citoyens, l’ensemble des droits civiques, politiques et
sociaux qui découlent de la citoyenneté. La citoyenneté n’est cependant pas l’unique
composante de l’Etat « civil ». Ce dernier doit également être soumis au droit.
2129 Ibid., pp. 61-62.
2130 F. CONSTANT, La citoyenneté, op.cit., p. 33.
480







Page 482
Paragraphe 2
La soumission de l’Etat « civil » au droit
Contrairement au préambule de la Constitution égyptienne de 20142131, l’article 2 de la
Constitution tunisienne de 2014 fonde l’Etat « civil » sur la citoyenneté, la volonté du peuple
et la primauté du droit. Depuis la révision d’avril 2019, l’armée égyptienne est placée au-
dessus du système constitutionnel. L’article 200 de la Constitution du 18 janvier 2014 fait
actuellement de l’armée, la gardienne de la Constitution et la garante de la démocratie, des
composantes fondamentales de l’Etat, de son caractère « civil », ainsi que des acquis du
peuple et des droits et des libertés individuelles. Il s’agit ici de comparer l’Egypte et la
Tunisie pour démontrer la spécifité de l’Etat « civil » en Tunisie. Il est alors nécessaire de
savoir si la volonté du peuple (A) et la primauté du droit (B) peuvent convenablement
s’exprimer dans un Etat où la Constitution et les institutions sont chapeautées par les
militaires.
A.
La volonté du peuple
Deuxième composante du caractère « civil » de l’Etat, « la volonté populaire suppose qu’il
n’y a aucune volonté métaphysique et qu’aucune volonté divine ne puisse être à l’origine de
l’ordre juridique tunisien.
»2132 Dieu n’est pas souverain et sa volonté ne fonde pas l’ordre
juridique tunisien. En d'autres termes, l’Islam en Tunisie ne dirige pas l’Etat, c'est l’Etat qui
gère la religion. L’article 3 de la Constitution précise que « [l]e peuple est le titulaire de la
souveraineté et la source des pouvoirs. Il les exerce à travers ses représentants élus ou par
voie de référendum. »2133 Détenteur de la souveraineté, le peuple n’a aucune limite : il peut
faire et défaire la Constitution et les lois de l’Etat. L’exercice de la volonté du peuple est
l’expression de sa puissance souveraine, traduite par le pouvoir politique et la création du
droit.
A l’instar de l’article 3 de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014, l’article 4 de la
Constitution égyptienne du 18 janvier 2014 établit que la souveraineté appartient au peuple
2131 Le préambule de la Constitution égyptienne de 2014 retient la notion de « gouvernement civil ».
2132 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13 h, à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
2133 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article 3.
481








Page 483
qui est la source de tout pouvoir. Malgré la volonté affichée des Frères musulmans de ré-
islamiser le droit
2134, « c’est au sein d’une assemblée constituante et d’un parlement élus,
institutions inconnues du droit islamique, que les partis de l’islam politique ont lutté pour
faire adopter une nouvelle Constitution et des lois, concepts totalement étrangers au droit
islamique eux aussi.
»2135 S’ils ont souscrit au jeu démocratique pour accéder au pouvoir et
contrôler le processus d’élaboration des normes, ils « ont toujours revendiqué leur légitimité
populaire et électorale, et non une souveraineté divine.
»2136 Autrement dit, ils n’ont pas fait
de la loi, l’expression de la volonté de Dieu. Même si les salafistes auraient préféré que Dieu
soit souverain et que sa volonté fonde l’ordre juridique égyptien, ils se sont finalement ralliés
aux dispositions de l’article 4 de la Constitution qui proclament le peuple souverain en
Egypte.
Pour rappel, la Tunisie et l’Egypte ne sont ni des Etats théocratiques ni des Etats laïcs : ils
naviguent «
entre deux eaux, dans une sorte de zone indéfinie et indéfinissable. »2137 Si les
deux Constitutions consacrent la souveraineté du peuple, il est pertinent de savoir si les règles
de droit positif sont exclusivement l’œuvre du peuple qui s’exprime au travers de ses
représentants. La réponse à cette question varie d’un pays à l’autre. « Il semble que la réponse
est positive [en Tunisie], ce qui n’empêche d’ailleurs en rien que les règles de droit positif
ainsi édictées puissent s’inspirer de valeurs religieuses, sans pour autant que ces valeurs
soient des sources formelles du droit.
»2138 Les Tunisiens doivent manifester leur volonté
d’avoir des lois inspirées des principes et des objectifs de la charia, pour que le législateur
édicte des règles de droit religieuses.
Bien que le rôle de l’Islam dépende de l’interprétation de l’article 1er de la Constitution du 27
janvier 2014, l’Islam n’est pas la religion de l’Etat (
dîn al-dawla)2139. « Il est indéniable que
2134 Comme l’affirme Nathalie BERNARD-MAUGIRON, ce que les Frères musulmans entendaient par la ré-
islamisation du droit et par quels moyens concrets ils auraient procédé pour réaliser leur objectif, restent
indéterminés. N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle
révolutionnaire ? »,
La Revue des droits de l'Homme, 6, 2014, [en ligne], [consulté le 15 avril 2020],
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en.
2135 Ibid.
2136 Ibid.
2137 F. HACHED, « La laïcité : un principe à l’ordre du jour de la IIème République tunisienne ? », précit.,
pp. 30-31.
2138 Ibid., p. 32.
2139 Sous le régime de la Constitution du 1er juin 1959, le juge n’a pas hésité à interpréter l’article 1er comme
faisant de l’Islam, la religion de l’Etat et de la
charia, la source du droit. Pour plus de précisions sur les
effets discriminatoires de cette interprétation de l’article 1
er dans le domaine du droit de la famille, cf. M.
482




Page 484
la voie choisie dès le départ en Tunisie est celle de la mainmise de l’Etat sur la religion et non
une mainmise de la religion sur l’Etat. Avec le démantèlement de l’université de la Zitouna,
Bourguiba choisit dès le départ d’écarter une forme d’autorité religieuse autonome,
permettant à l’Etat de contrôler les affaires religieuses, contrôle légitimé dans les textes par
l’article 1
er de la Constitution. C’est ainsi que l’Etat, garant de la religion musulmane,
nomme les imams et contrôle les lieux de culte et les prêches
2140, et ce davantage encore avec
l’apparition des mouvements salafistes.
»2141 L’Islam ne joue un rôle dans la sphère publique
que si le peuple et ses représentants
2142 le décident expressément2143. Malgré son importance
dans l’organisation sociale du pays, l’Islam en principe, ne doit pas interférer dans
l’organisation politique et juridique de la Tunisie.
Ceci dit, le verset épigraphe au texte constitutionnel2144 et la formule qui scelle le
préambule
2145 induisent que la Constitution est toute entière placée sous la bannière de
l’Islam. Si l’Islam relève de la société, les représentants du peuple à l’ANC ou à l’ARP ne
BEN JEMIA, « Le juge tunisien et la légitimation de l’ordre juridique positif par la charia », in B.
DUPRET (dir.),
La charia aujourd’hui. Usage de la référence au droit islamique, op.cit., pp. 153-170.
2140 En vertu de l’article 6 de la Constitution du 27 janvier 2014, « [l]’État protège la religion, garantit la
liberté de croyance, de conscience et de l’exercice des cultes. Il assure la neutralité des mosquées et des
lieux de culte de l’exploitation partisane. L’État s’engage à diffuser les valeurs de modération et de
tolérance et à protéger le sacré et empêcher qu’on y porte atteinte. Il s’engage également à prohiber et
empêcher les accusations d’apostasie, ainsi que l’incitation à la haine et à la violence et à les
juguler.
» L’Etat intervient donc dans la sphère privée pour protéger les libertés individuelles des
Tunisiens.
2141 F. HACHED, « La laïcité : un principe à l’ordre du jour de la IIème République tunisienne ? », précit., p. 33.
2142 En vertu de l’article 58 de la Constitution néanmoins, chaque membre de l’ARP prête lors de sa prise de
fonctions, le serment suivant : «
Je jure par Dieu Tout-Puissant de servir la patrie avec dévouement, de
respecter les dispositions de la Constitution et d’être totalement loyal envers la Tunisie.
» L’article 104 de
la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014 est similaire sur ce point. Avant d’entrer en fonction, chaque
député doit jurer devant Dieu Tout-Puissant de préserver l’ordre républicain, l’indépendance de la patrie,
l’unité et l’intégrité de son territoire, de respecter la Constitution et la loi et de veiller aux intérêts du
peuple.

2143 Certes les représentants du peuple respectent ainsi la volonté de la majorité des Tunisiens, mais le lien qui
les unit au pouvoir et à l’Etat n’est pas neutre : il est basé sur des considérations religieuses. Des
discriminations existent donc entre les citoyens dans leur rapport à l’Etat : les Tunisiens d’une confession
minoritaire et ceux qui ne se revendiquent d’aucune religion, ne sont ni juridiquement pris en compte, ni
politiquement représentés. Leur volonté exprimée ne sera donc jamais suivie d’effet.
2144 A savoir : « Au nom de Dieu, Clément et miséricordieux ». Ce verset est également placé en tête du
préambule de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014.
2145 A savoir : « Nous, représentants du peuple tunisien libre et souverain, arrêtons, par la grâce de Dieu, la
présente Constitution
». Afin d’inclure une majorité de Tunisiens au sein du document d’identité
constitutionnelle, une interprétation particulière de la formule scellant le préambule, peut être délivrée : la
référence à Dieu prouve que la société est attachée à la religion par tradition. Qu’ils soient musulmans, juifs
ou chrétiens, les Tunisiens sont en majorité croyants. La référence à Dieu peut ainsi être interprétée par les
minorités juives ou chrétiennes. C’est la raison pour laquelle Hafedh BEN SALEH affirme qu’en disposant
du caractère « civil » de l’Etat et en y associant la religion par des références à Dieu, tous les citoyens
musulmans et non musulmans pourront croire et pratiquer librement leurs cultes. Voir AL BAWSALA,
MAJLES MARSAD,
Documents, Commission du préambule, des principes fondamentaux et de révision de
la Constitution,
« Audition de Mrs Sadok BELAÏD et Hafedh BEN SALAH » 13 mars 2012 [en ligne],
[consulté le 4 avril 2018], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e 5bfc7e a2c422bec252e2 (en arabe).
483



Page 485
peuvent avoir l'image d’un peuple totalement athée ou déconnecté des prescriptions de la
parole révélée : la Constitution et la loi doivent prendre en considération le caractère
musulman ou du moins croyant, du peuple. Les règles de droit peuvent ainsi être inspirées de
l’Islam. Dans le cas contraire, elles cherchent à ne pas heurter les sensibilités religieuses des
Tunisiens.
Contrairement à la Tunisie, l’Islam est la religion de l’Etat égyptien. « Selon le culturaliste
Henri Sanson, lorsqu’il s’agit de “religion de l’Etat”, c’est que l’islam règne.
»2146 Dès lors,
comment faire régner l’Islam si en vertu de l’article 4 de la Constitution, le peuple est la
source de tout pouvoir ? L’article 2 de la Constitution du 18 janvier 2014 fait des principes de
la charia, la source principale de la législation. A l’opposé de la Tunisie, la charia en Egypte
est une source formelle et matérielle du droit. L’adhésion de la majorité des Egyptiens à
l’Islam a permis aux constituants et permet au législateur, de fonder les règles de droit sur les
normes religieuses. En Egypte, la religion va au-delà de la sphère privée. L’organisation
sociale, politique et juridique de l’Etat dépend de considérations transcendantales. Les
religions du Livre gèrent les divers aspects de la vie des chrétiens et des juifs égyptiens
2147 et
le droit général est issu du droit musulman, tel que codifié par le législateur
2148. Tant que les
religions n’ont pas cédé à l’Etat leurs pouvoirs sur la vie privée et familiale des Egyptiens et
que la Constitution réserve une place de choix à l’Islam, l’Egypte ne peut être considérée
comme neutre à l’égard de la religion.
Nonobstant, si les lois ont pour fondement les principes de la charia, la Constitution du
18 janvier 2014 n’habilite pas Al-Azhar à se prononcer de manière consultative sur leur
islamité
2149. Au sein du chapitre relatif aux fondements sociaux de la société2150, l’article 7
2146 C. HOUKI, Islam et Constitution en Tunisie, op.cit., p. 152.
2147 L’article 3 de la Constitution du 18 janvier 2014 fait des principes des lois des Egyptiens chrétiens et juifs,
la source principale des législations qui organisent leur statut personnel, leurs affaires religieuses et le choix
de leur chef spirituel.
2148 En dépit du droit de la famille, le droit général égyptien s’applique à tous les citoyens qu’ils soient d’une
autre confession que l’Islam, agnostiques, athées, non-croyants ou non-pratiquants.
2149 « Or, dans le passé, al-Azhar avait déjà été régulièrement consultée par le législateur au cours du
processus d’élaboration de textes législatifs touchant à la charia, particulièrement lors des réformes du
droit de la famille. Elle intervenait déjà également pour la censure et la saisie d’ouvrage touchant à la
religion.
» N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? »,
La Revue des droits de
le 15 avril 2020],
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en. Toute publication jugée offensante pour l’Islam
pouvait être censurée par le Centre de recherche islamique d’
Al-Azhar. Depuis 2004, ce centre pouvait
aussi demander la saisie des publications touchant à l’Islam.
l'Homme, 6, 2014,
[consulté
ligne],
[en
2150 Dans la Constitution de 2012, l’article relatif à Al-Azhar se trouvait dans le chapitre relatif aux fondements
politiques de l’Etat et de la société.
484




Page 486
prévoit qu’Al-Azhar constitue « la référence fondamentale pour les sciences religieuses et les
affaires islamiques. » Bien qu’il préserve le statut d’autonomie d’Al-Azhar, cet article
confirme l’obligation pour l’Etat de procurer à l’institution, les moyens nécessaires à ses
objectifs. Parallèlement, le cheikh d’Al-Azhar reste inamovible et malgré l’abandon de
l’article 4 de la Constitution du 25 décembre 2012
2151, Al-Azhar est la seule institution
habilitée à interpréter les normes religieuses et à représenter l’Islam sunnite en Egypte et dans
le monde arabe. La Haute Cour constitutionnelle est quant à elle, la seule institution chargée
du contrôle de la constitutionnalité des lois
2152.
Fondamentalement, quelle est la distinction entre l’Etat « civil » tunisien et le gouvernement
« civil » égyptien ? Bien que la citoyenneté et la souveraineté populaire constituent les deux
piliers du gouvernement « civil », le droit et la loi ne sont pas fondés sur la « raison
publique
» en Egypte. Développée par le Professeur Andras SAJO, la « raison publique »2153
suppose que les choix juridiques soient basés sur des raisons accessibles à tous, c’est-à-dire
qui ne relèvent pas de croyances religieuses. Ces dernières doivent, pour s’exprimer dans la
sphère publique, être traduites en raisons séculières. Ceci semble être le cas en Tunisie
puisqu’en dépit de la religiosité de la société, le défunt président de la République Béji CAÏD
ESSEBSI a pensé les réformes à introduire dans le CSP. Bien qu’elles visent à ne pas heurter
les convictions des Tunisiens croyants, elles sont fondées sur le droit objectif et le principe
constitutionnel d’égalité. Les réformes pensées par la COLIBE ont d’ailleurs largement été
débattues par les gouvernants, les gouvernés et la société civile tunisienne. En Egypte,
l’immixtion de la religion dans la sphère publique empêche les pouvoirs publics de
fonctionner sans elle. Les règles constitutionnelles et législatives sont empreintes de
religiosité et imposent à la société d’être religieuse. L’Islam comme religion de l’Etat et les
principes de la charia comme source principale de la législation, empêchent les citoyens de
quitter la religion, de débattre ou de contester publiquement les raisons qui fondent le droit
et/ou la loi
2154.
2151 Ce dernier article prévoyait de confier au Collège des grands Uléma d’Al-Azhar, la possibilité de se
prononcer de manière consultative sur toutes les questions relatives à la
charia. L’avis du Collège des
grands
Uléma d’Al-Azhar liait le Parlement dans le processus législatif.
2152 Article 192 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014.
2153 Le Professeur Abdullahi AHMED AN-NA’IM lui préfère la « raison civique ». Pour plus de précisions sur
ce point cf. A. AHMED AN-NA’IM,
Islam and the Secular State: Negotiating the Future of Sharia, op.cit.,
p. 85.
2154 Ces différents points font l’objet de la Section 2 qui suit.
485




Page 487
A cela s’ajoute la révision constitutionnelle d’avril 2019. Tel que défini par son champ
d'action, l’article 200 révisé n'usurpe-t-il pas le rôle censément attribué à la Haute Cour
constitutionnelle ? N’est-il pas paradoxal de faire de l’armée, la gardienne de la démocratie ?
Comme l’affirme Nathalie BERNARD-MAUGIRON, « [s]es formulations vagues et
ambiguës laissent la place à une interprétation extensive du rôle de l’armée.
»2155 L’article
200 amendé constitutionnalise pour la première fois dans l’Histoire de l’Egypte, le rôle
politique de l’armée, ce qui est problématique : garante du caractère « civil » de l’Etat
égyptien, rien n’empêche l’armée d’écarter du pouvoir/de contester la victoire des Frères
musulmans ou un parti politique qu’elle ne cautionne pas pour atteinte à la Constitution, à la
démocratie ou au caractère « civil » de l’Etat. Au service de l’armée, l’article 200 de la
Constitution légitime les coups de forces des militaires. Dès lors, il est impossible d’affirmer
que la volonté du peuple prime en Egypte. Les militaires sont dorénavant les garants de
l’expression populaire.
Si la religion en général et l’Islam en particulier interfèrent dans l’expression de la volonté du
peuple, il est difficile d’affirmer que l’Etat ou le gouvernement « civil » se basent sur des
relations de droit entre les citoyens et l’Etat. Il est pareillement difficile de parler d’un
gouvernement « civil » en Egypte avec une armée gardienne du caractère « civil » de l’Etat.
En dépit de ce constat, les Constitutions tunisienne et égyptienne de 2014 relient la
citoyenneté et la volonté du peuple à la primauté du droit.
B.
La primauté du droit
Troisième volet du caractère « civil » de l’Etat en Tunisie, la primauté du droit signifie que
l’ordre juridique est hiérarchisé et seules les normes juridiques priment. En cela, « aucun texte
sacré ne doi
[t] chapeauter l’édifice juridique tunisien. »2156 Ni le Coran, ni la Sunna du
Prophète ne sont perçus comme des constitutions et la charia n’est pas non plus une source de
législation. En d'autres termes, le pouvoir a besoin pour agir d’une habilitation juridique et ne
peut user que des moyens autorisés par l’ordre juridique en vigueur. Les individus quant à
eux, disposent de voies de recours juridictionnelles, pour contester les abus de pouvoir et de
2155 N. BERNARD-MAUGIRON, « Les amendements constitutionnels de 2019 en Egypte : vers une
consécration de la dérive autoritaire du régime », précit., p. 16.
2156 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13 h, à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
486






Page 488
moyeux légaux pour contester des agissements qu’ils considèreraient contraires au droit, tel
que posé par la hiérarchie des normes.
La primauté du droit en Tunisie impose donc à l’administration et à toutes les institutions de
l’Etat, le respect du droit
2157 et la séparation des normes juridiques des normes religieuses2158.
En est-il de même en Egypte ? La Constitution égyptienne du 18 janvier 2014 ne dispose pas
de la primauté du droit, mais de la primauté de la loi. C'est un point qu'elle établit dès son
article 1
er et qu'elle détaille dans son Titre IV2159. L’article 94 qui s'y trouve indique ainsi que
l’Etat est soumis à la loi et que les pouvoirs sont fondés sur la primauté de la loi.
Contrairement à la Tunisie où la primauté du droit signifie que l’ordre juridique est
hiérarchisé et que seules, les normes juridiques priment, en Egypte l’importance accordée à la
loi et aux principes de la charia est à analyser.
Prescrite par Dieu dans le Coran et la Sunna, la charia est une liste de recommandations
(commandements et interdictions) qui prescrit au croyant ce qu’il faut faire et ne pas faire
pour vivre selon la parole sacrée. Exprimant la volonté de Dieu, ces prescriptions sont
obligatoires et régissent tous les aspects de la vie. Du fait de son caractère sacré et
transcendantal, la charia n’a pas évolué avec les besoins et les progrès de la société qu’elle
vise à régir
2160. Consacrée à l’article 2 de la Constitution, elle induit que le Coran et la Sunna
du Prophète coiffent l’édifice juridique égyptien. D’ailleurs, en insistant sur la primauté de la
loi et non du droit, les constituants font prévaloir les normes religieuses sur les normes
juridiques
2161. Le pouvoir est donc assujetti à la foi en Egypte. A cela s’ajoute le rôle de
l’armée qui est garante de la Constitution, de la démocratie, des composantes fondamentales
de l’État, de son caractère « civil », ainsi que des acquis du peuple et des droits et libertés
individuelles.
2157 Sous BOURGUIBA et BEN ALI, l’Administration imposait ses obligations aux administrés sans se
conformer aux contraintes juridiques qui lui étaient imposées. Elle ne répondait qu’à la volonté des deux
autocrates et n’était que formellement soumise au droit. Pour plus de précisions sur ce point, cf. R. BEN
ACHOUR, « L’Etat de droit en Tunisie »,
in A. MAHIOU (dir.), L’Etat de droit dans le monde arabe,
Paris, CNRS Editions, Coll. « Etudes de l’Annuaire de l’Afrique du Nord », 1997, pp. 245-256.

2158 La neutralité des institutions publiques fait l’objet du A. du Paragraphe 1 de la Section 2 qui suit.
2159 Ce Titre comprend les articles 94 à 100 de la Constitution.
2160 Pour une analyse détaillée de l’interprétation de l’article 2 de la Constitution par la Haute Cour
constitutionnelle égyptienne, voir C. B. LOMBARDI & N. J. BROWN, “Do Constitutions Requiring
Adherence To
Shari’a Threaten Human Rights? How Egypt’s Constitutional Court Reconciles Islamic Law
with the Liberal Rule of Law”, in American University International Law Review, vol. 21, 2005, pp. 425-
528 et, B. DUPRET, « La
Shari’a comme réfèrent législatif. Du droit positif à l’anthropologie du droit », in
Revue interdisciplinaire d’études juridiques,
vol. 34, 1995, pp. 99-153.
2161 La sécularisation des institutions imposée par BOUGUIBA a obligé les Tunisiens à progressivement
détacher les normes religieuses des normes juridiques. Cela n’a pas été possible en Egypte.
487




Page 489
De manière générale, l’aménagement d’un ordre juridique hiérarchisé n’a de sens que s’il
repose sur des valeurs et des principes qui cristallisent la conception dominante du droit au
sein de la société. En dépit de la formulation ambiguë de l’article 1
er de la Constitution
tunisienne, le caractère islamique de l’Etat n’est pas clairement souligné. A l’opposé de
l’Egypte, le pouvoir est exercé sur le fondement des dispositions de la Constitution qui font
prévaloir le droit. Toutefois, dans un contexte où les représentants du peuple peuvent
s’inspirer des principes généraux de l’Islam tels que la justice, l’égalité ou encore la sûreté,
pour élaborer la loi, comment faire primer le droit ? Les représentants du peuple à l’ARP
adoptent des lois qui aménagent les règles juridiques et religieuses. Même s’il est tenu de
respecter et de faire primer le droit, le législateur maintient un lien entre les normes juridiques
qu’il élabore et l’Islam, comme caractéristique identitaire des Tunisiens. Tel est notamment le
cas du projet de loi relatif à l’égalité successorale
2162. Force est donc de constater que le droit
en Tunisie n’est pas complétement détaché des considérations religieuses. Ces dernières ne
doivent pourtant pas affaiblir l’ensemble des droits et des libertés qui découlent de la
citoyenneté.
Bien qu’il existe une différence entre un droit fondé sur la charia et un droit inspiré de
considérations religieuses, en Egypte et en Tunisie, les conventions sociales, les rites et les
pratiques de l’Islam modèrent les droits et les libertés qui découlent de la citoyenneté. Les
pratiques du droit sont souvent bien loin du discours progressiste qui en est fait. Alors, il est
intéressant de se pencher sur les contradictions qu’il existe entre l’Islam comme religion et les
droits qui découlent de la citoyenneté.
Section 2
Une citoyenneté contredite par les conventions sociales liées à l’Islam
L’Islam comme religion de la majorité des Tunisiens et des Egyptiens impose une certaine
vision du monde et sert une conception confessionnelle du bien et d'une vie de bonté.
L’identité religieuse des Tunisiens et des Egyptiens suppose le respect de la religion
majoritaire dans la sphère publique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les institutions
tunisiennes publiques, à commencer par les institutions éducatives, veillent à l’enracinement
2162 Pour plus de précisions sur ce point, cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre 1 de la
PARTIE II de cette thèse, relatif à la singularité du constitutionnalisme identitaire tunisien, p. 407.
488







Page 490
des jeunes générations dans leur identité arabe et islamique2163. Les institutions publiques ne
sont pourtant pas les seules à êtres comprises dans l’Islam (Paragraphe 1). Du fait de la
constitutionnalisation de l’Islam, plusieurs libertés et droits inhérents à la citoyenneté sont mis
à l'épreuve (Paragraphe 2). Aucun propos ou comportement allant à l’encontre de la religion,
ne doit être tenu en public. Par conséquent, la liberté de ne pas avoir de religion ou de ne pas
jeûner en public pendant le mois de ramadan est brimée du fait de son inadéquation avec les
conventions sociales, les rites et les pratiques de l’Islam.
Paragraphe 1
Des institutions publiques qualifiées de neutres mais comprises
dans l’Islam
Contrairement à la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014, la Constitution tunisienne du
27 janvier 2014 dispose du principe de neutralité de l’administration publique. L’absence de
ce principe de la Constitution égyptienne de 2014 conduit à l’étude du seul cas tunisien.
L’article 15 de la Constitution du 27 janvier 2014 précise que « [l]’Administration publique
est au service du citoyen et de l’intérêt général. Elle est organisée et agit conformément aux
principes de neutralité, d’égalité et de continuité du service public, et conformément aux
règles de transparence, d’intégrité, d’efficience et de redevabilité.
»2164 Se pose pourtant la
question de savoir si l’administration publique se conforme réellement aux principes de
neutralité et d’égalité, alors que la Constitution reconnaît à l’Islam un statut privilégié. Ce
statut remet en cause le principe de neutralité et d’égalité de l’administration publique en
Tunisie (A). Cette réalité est d’ailleurs flagrante dans le fonctionnement des institutions
éducatives enjointes par l’article 39 de la Constitution2165, d’enraciner les « jeunes
générations dans leur identité arabe et islamique et leur appartenance nationale » (B).
2163 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 39. En Egypte, alors que l’article 24 de la Constitution du 18 janvier 2014 fait de la langue arabe, de
l’éducation religieuse et de l’histoire nationale, les matières de base de l’enseignement pré-universitaire,
l’article 19 de la Constitution prévoit que l’éducation nationale a pour objectif de forger la personnalité
égyptienne et de préserver l’identité nationale. La comparaison des dispositions constitutionnelles
tunisiennes et égyptiennes relatives à l’éducation nationale fait l’objet du B. du Paragraphe 1 qui suit.
2164 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 15.
2165 L’éducation nationale fait également l’objet des articles 19 et 24 de la Constitution égyptienne du 18
janvier 2014. Afin de déterminer la place et le rôle de l’Islam dans l’éducation, il est intéressant de
comparer les dispositions constitutionnelles tunisiennes et égyptiennes. Ceci sera fait dans le B de ce
paragraphe.
489






Page 491
A.
La remise en cause des principes de neutralité et d’égalité de l’administration
publique en Tunisie
Déclinaison du principe d’égalité2166, la neutralité est considérée comme l’un des principes
fondateurs des services publics
2167. Pourtant, l’ambiguïté de la formulation de l’article premier
de la Constitution tunisienne de 2014 conduit Imen BEN REJEB a affirmé qu’elle « signifie
d’abord que les religions ne sont pas traitées sur un pied d’égalité et que l’Islam religion de
la quasi-totalité des citoyens doit disposer d’un statut privilégié par rapport aux autres
religions.
»2168 Sachant qu’il prohibe les discriminations fondées sur l’appartenance politique,
philosophique ou religieuse entre les usagers et/ou les agents du service public, le principe
constitutionnel de neutralité s’applique-t-il à l’administration
2169 publique ? Selon le Doyen
Yadh BEN ACHOUR, ce principe a « un contenu complexe et même paradoxal. Il doit à la
fois tenir compte de l’égalité et de la diversité des usagers, des clients et des agents, de
l’intérêt général et de
l’adaptation aux
circonstances.
»2170 L’administration publique ne doit pas donner l’impression de favoriser
la continuité et de
la concurrence, de
des usagers ou des agents du service public, du fait de leur appartenance politique,
philosophique ou religieuse. L’apparence du traitement égalitaire doit par ailleurs, être
conjuguée à la recherche de la paix sociale qui s’acquiert grâce à une administration publique
respectueuse des croyances et de la liberté de conscience.
En dépit de l’ambiguïté de la formule de l’article premier de la Constitution, « [l]’article 6
dispose que l’Etat protège le sacré sans cibler quelle religion. Il ne précise pas que l’Islam
est une religion privilégiée. Cela aurait été un problème si on avait parlé d’Etat laïc.
Seulement en Tunisie, on parle d’Etat civil pour justement laisser place à la protection par
l’Etat du sacré. L’article 2 a été pensé pour laisser place à l’article 6. On protège justement
2166 Toutes les personnes morales ayant une activité de droit public ou de droit privé, sont soumises à l’exigence
de neutralité si elles agissent dans le cadre d’un service public. Il en est de même des personnes physiques :
elles sont soumises au respect du principe de neutralité dans le cadre d’une activité de service public.
2167 Les principes qui régissent l’administration publique en Tunisie sont le principe de neutralité, d’égalité et
de continuité du service public. Contenus à l’article 15 de la Constitution du 27 janvier 2014, ils sont
définis par le Doyen Yadh BEN ACHOUR dans son ouvrage de droit administratif. Cf. le paragraphe « A.
Les règles communes »,
in Y. BEN ACHOUR, Droit administratif, Manouba, Centre de Publication
Universitaire, 2010, 3
ème édition, pp. 360-364.
2168 I. BEN REJEB, « Religion et administration », in Démocratie et administration, Tunis, Editions Latrach,
Collection « Forum des juristes » n°15, 2014, p. 127.
2169 Stricto sensu, l’administration est l’exercice de la puissance publique par le pouvoir exécutif. En droit
constitutionnel, l’administration est l’instrument du pouvoir exécutif et elle a deux objectifs : le maintien de
l’ordre public (par l’exercice du pouvoir réglementaire et de police) et le fonctionnement du service public
(par la satisfaction prestataire des besoins collectifs).
2170 Y. BEN ACHOUR, Droit administratif, op.cit., p. 363.
490




Page 492
le sacré pour préserver la liberté de culte, de conscience et le religieux. »2171 Du point de vue
constitutionnel et d’après Salsabil KLIBI, l’administration publique ne discrimine pas les
Tunisiens du fait de leur appartenance religieuse et préserve leurs croyances et leur liberté de
conscience. Il est alors nécessaire de savoir si les dispositions de la Constitution s’appliquent
réellement à l’administration publique.
En s’identifiant à l’Islam, la Constitution accorde aux musulmans des droits dont ne disposent
pas les athées et les fidèles d’autres religions. Tel est par exemple le cas de l’article 74 qui
dispose de la confession musulmane comme condition à la candidature à la présidence de la
République. Est-ce pour autant que l’administration publique discrimine dans la pratique les
citoyens, en fonction de leur appartenance religieuse ? Le pouvoir politique a « toujours
oscillé entre la répression contre tout ce qui peut être perçu comme signes d’appartenance
aux islamistes (voile, barbe …), et la sanction de tout ce qui peut contrevenir à ce qu’il
nomme atteintes aux “bonnes mœurs” et aux “valeurs arabo-musulmanes” de la
Tunisie.
»2172 Afin de répondre convenablement à la question du respect par l’administration
du principe de neutralité, il est utile de distinguer le traitement des usagers et des agents du
service public.
Les usagers du service public n’engageant pas l’image de l’administration publique, ils
seraient alors libres de manifester publiquement leur appartenance religieuse. Combiné au
principe de neutralité de l’administration publique, le principe d’égalité des usagers devant le
service public
2173 suppose que se trouvant dans une situation identique, ils bénéficient chacun
d’un traitement identique. Or en 1981, le ministère de l’Education nationale a adopté la
circulaire 108 qui interdit dans tous les établissements publics scolaires
2174 el-libass et-
tahifi
2175, l’habit confessionnel, sectaire2176. Le caractère influençable des mineurs et la
2171 Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13 h à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis.
2172 L. CHOUIKHA, « La question du hijab en Tunisie. Une amorce de débat contradictoire », in
F. LORCERIE (dir.), La politisation du voile en France, en Europe et dans le monde arabe, Paris,
L’Harmattan, 2005, p. 164.
2173 « Cette règle découle d’un principe plus large : l’égalité des citoyens devant la loi, qui a pour conséquence
leur égalité devant les charges publiques (impôts, service militaire), devant les services publics, devant
l’utilisation du domaine public ou l’exercice de la fonction publique. Cette règle ne vaut que pour les
usagers du service qui sont “dans des situations comparables au regard du service”.
» Y. BEN ACHOUR,
Droit administratif, op.cit., p. 363.
2174 La circulaire n° 108 du 18 septembre 1981 s’applique aux établissements scolaires publics. La circulaire
n° 77 du 7 septembre 1987 s’applique plus précisément aux établissements primaires et secondaires.
2175 Dans son article précité, Larbi CHOUIKHA précise qu’el-libass et-tahifi signifie l’habit qui exclut de la
communauté. Il est ici fait référence au voile.
491




Page 493
nécessité de respecter le droit des parents de ne pas voir l'instruction de leurs enfants
influencée par le port de signes religieux à l’école, justifient la circulaire 108. Par contre, son
interprétation par les pouvoirs publics a entraîné des exactions et de multiples atteintes aux
libertés individuelles des Tunisiennes
2177. Etendue aux écoles supérieures d’enseignement,
aux cités et aux foyers universitaires, l’interdiction de porter le voile s’est généralisé et a
touché tous les secteurs d’activité de l’administration, qu’ils soient publics ou privés
2178.
S’il est compréhensible que les agents du service public soient tenus de ne montrer aucun
signe qui manifeste ostensiblement leur appartenance religieuse, la généralisation de
l’interdiction du port du voile aux usagers du service public est disproportionnée. Malgré de
nombreux appels à l’abrogation de la circulaire 108, elle reste active dans l’ordre
juridique
2179. Selon l’article 49, seule la loi est habilitée à fixer les restrictions relatives aux
droits, aux libertés et à leur exercice. Or en l’espèce, la circulaire enfreint la liberté
individuelle et la liberté de culte des Tunisiennes, de manière excessive et injustifiée :
l’interdiction ne répond pas aux exigences d’un Etat « civil » et démocratique et ne vise pas à
sauvegarder la sûreté publique ou la défense nationale. Paradoxalement, l’administration
publique ne favorise pas les usagers de confession musulmane, mais discrimine sévèrement
les Tunisiennes pour port de signes d’appartenance religieuse ostensibles.
2176 Selon la traduction de Larbi CHOUIKHA, la circulaire 108 précise que « [n]ous observons ces derniers
temps que des élèves-filles se rendent dans leurs établissements avec une tenue totalement étrangère à nos
traditions vestimentaires en arborant un vêtement - qui se confondrait aux habits
confessionnels - qui
marque l’appartenance à une tendance qui se distingue par des tenues vestimentaires sectaires, contraires
à l’esprit de notre époque et à l’évolution saine de la société.
» L. CHOUIKHA, « La question du hijab en
Tunisie. Une amorce de débat contradictoire »,
précit., p. 164.
2177 Dans une enquête menée sur le port du voile en Tunisie, Maryam BEN SALEM constate que « [t]outes les
femmes interrogées (voilées et non voilées) ont été elles-mêmes, ou le cas échéant des personnes de leur
entourage, victimes d’arrestations ou d’humiliations de la part de la police ou de leurs supérieurs
hiérarchiques. Aussi, toutes, ou presque, ont soit été privées d’un de leurs droits fondamentaux, soit sont
conscientes de cette éventualité. » M. BEN SALEM, « Le voile en Tunisie. De la réalisation de soi à la
résistance passive »,
in Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n° 128, décembre 2010, [en
ligne], [consulté le 6 septembre 2019], https://journals.openedition.org/ remmm/6840#bodyftn12.

2178 La circulaire du 21 septembre 1987 s’applique aux écoles supérieures d’enseignement, aux cités et aux
foyers universitaires et celle du 12 août 1987 vise les agents de l’administration et des établissements
publics mixtes. Les dispositions de la circulaire 108 de décembre 1991 ont été appliquées à tous les secteurs
de la fonction publique, dans les lieux publics ainsi que dans des établissements privés tels que les banques.
En d'autres termes, la circulaire interdisait le port du voile aux agents de l’administration et des institutions
publiques et privées. Dans les années 2000, l’interdiction a été généralisée à tous les ministères :
l’Education nationale, l’Intérieur, l’Enseignement supérieur et la Santé.
2179 En France, le principe de neutralité suppose que les services publics ne peuvent fonder leurs décisions sur
l’appartenance philosophique, politique ou religieuse des agents et/ou des usagers du service public. Ceci
n’a pourtant pas empêché le legislateur d’adopter la loi du 15 mars 2004 et celle du 11 octobre 2010. Alors
que la première encadre le port de signes ou de tenues magnifestant une appartenance religieuse dans les
écoles, collèges et lycées publics, la second interdit la dissimulation du visage dans l’espace public.
Contrairement à la Tunisie, la France est une République laïque et non « civile ».
492




Page 494
Ce n’est pas le cas de la circulaire adoptée par le gouvernement de Youssef CHAHED le
5 juillet 2019
2180, à la suite du double attentat suicide le 27 juin 2019 à Tunis, qui a fait deux
morts (un policier et un civil) et sept blessés. Adressée aux ministres, aux secrétaires d’Etat,
aux préfets et aux responsables des institutions publiques, elle précise que « dans le cadre de
la préservation de la sûreté publique […], il faut prendre les mesures nécessaires pour
interdire l’entrée aux locaux des institutions publiques […] à toute personne ayant le visage
couvert
»2181. Si la situation sécuritaire la justifie, la circulaire doit rester temporaire pour
éviter de porter une atteinte disproportionnée aux libertés des Tunisiennes.
Malgré la place privilégiée accordée par la Constitution à l’Islam, le principe de neutralité
outrepasse ses implications juridiques dans la pratique, puisqu’il s’applique de manière
restrictive aux usagers du service public et contrevient ainsi aux libertés des Tunisiennes.
Qu’en est-il du respect par l’administration publique, de la liberté de croyance et de
conscience de ses agents, au moment de leur entrée dans la fonction publique ?
L’administration publique les traite-t-elle sur un pied d’égalité pour favoriser la cohésion et la
paix sociale ? Il semble que ce soit le cas puisque « [l]e statut général du personnel de l’Etat,
des collectivités publiques locales et des établissements publics à caractère administratif
n’opère aucune discrimination fondée sur la religion lors de l’accès à la fonction publique.
Le déroulement des carrières des agents publics s’effectue sans tenir compte de
l’appartenance religieuse. L’article 10 interdit toute mention faisant référence aux
convictions et croyances de l’agent public dans son dossier individuel. D’ailleurs plusieurs
tunisiens non musulmans ont assumé de hautes responsabilités au sein de l’administration
sans subir aucune discrimination. De plus ni la magistrature, ni l’armée ni la sécurité
intérieure ni aucun corps de la fonction publique ne leur est interdit.
»2182
L’administration publique transgresse donc dans les faits, les principes constitutionnels de
neutralité et d’égalité des usagers du service public. Curieusement, elle ne favorise pas les
Tunisiens musulmans, mais elle mène une discrimination concernant le port des signes
religieux ostensibles, tel que le voile. Si les circulaires précitées portent une atteinte
disproportionnée aux libertés individuelles des femmes, elles pourraient être retirées ou
2180 La circulaire interdit le port du niqab dans les institutions publiques pour des raisons de sécurité.
2181 AFP, « La Tunisie interdit le niqab dans les institutions publiques pour raisons de sécurité », Le Point
le 5 septembre 2019],
International [en
https://www.lepoint.fr/monde/la-tunisie-interdit-le-niqab-dans-les-institutions-publiques-pour-raisons-de-
securite-05-07-2019-2322958_24.php.
juillet 2019, [consulté
le vendredi 5
ligne], publié
2182 I. BEN REJEB, « Religion et administration », précit., p. 126.
493




Page 495
abrogées par les autorités administratives compétentes ou bien encore annulées par le juge
administratif. Bien que l’Etat et la Constitution aient pour référence l’Islam, l’administration
tunisienne veille coûte que coûte à faire respecter dans la pratique, le principe de neutralité.
Alors que l’administration publique en général, discrimine les musulmans croyants ou/et
pratiquants, les institutions éducatives ignorent délibérément les droits et les libertés des
personnes athées, non croyantes, non pratiquantes ou d’une autre religion que l’Islam. Les
institutions éducatives sont en effet obligées par l’article 39 de la Constitution, d’enraciner les
« jeunes générations dans leur identité arabe et islamique et leur appartenance nationale. »
La spécificité du cas tunisien naît du paradoxe entre l’attachement civilisationnel et culturel à
l’Islam et la volonté d’appliquer le droit objectif, né de la volonté du peuple.
B.
L’importance de l’appartenance nationale dans le droit à l’enseignement et à la
culture
En Tunisie, l’Etat « garantit la neutralité des institutions éducatives de l’exploitation
partisane.
»2183 Aucun prêche en faveur d’un courant, d’un mouvement ou d'un parti politique
ne doit être dispensé au sein d’un lieu d’enseignement. Si l’article 16 de la Constitution assure
la neutralité des institutions éducatives et les préserve du prosélytisme et de l’exploitation
partisane, l’article 39 précise que l’Etat veille cependant, à « l’enracinement des jeunes
générations dans leur identité arabe et islamique et leur appartenance nationale.
»2184 Le
Professeur Slim LAGHMANI remarque que de nombreux débats ont eu lieu sur cet article
«
qui disposait de l’identité “arabo-musulmane” »2185, notamment lors de son élaboration, car
les islamistes voulaient arabiser et islamiser l’enseignement. « L’obligation constitutionnelle
d’enraciner les jeunes générations dans l’identité arabo-musulmane est une réaction à la
modernisation du système éducatif entreprise par le gouvernement depuis 1958.
»2186 A cette
époque, BOURGUIBA voulait rompre avec la vision particulariste des écoles coraniques,
c'est-à-dire qui n’envisageaient l'instruction qu’au travers du Coran. La modernisation du
2183 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 16.
2184 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 39, deuxième alinéa.
2185 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9 h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
2186 N. BACCOUCHE, « Les droits économiques et sociaux et la Constitution », précit., p. 476.
494






Page 496
système éducatif est alors passée par la réforme de l’enseignement de l’Histoire, de la langue
et de la littérature arabes.
« Dès 1958, à tous les degrés de l’enseignement de l’histoire, la rupture est nettement
affirmée avec une conception “traditionnaliste”, selon laquelle l’histoire de la Tunisie
commencerait avec la venue de l’islam et n’aurait de sens que comme partie intégrante de la
nation arabe. La nation tunisienne proposée aux élèves dépasse largement cette vision.
»2187
La solidarité, la cohésion et la coopération étaient les maîtres mots de l’enseignement pour le
président. Il voulait impérativement faire comprendre aux Tunisiens que la culture et
l’Histoire nationales n’étaient pas en contradiction avec celles des autres communautés
humaines. De la sorte, il visait à débarrasser les Tunisiens du fanatisme. « L’histoire apprend
au contraire à l’élève qu’il est un élément de la famille humaine et qu’il doit aider l’humanité,
toujours et partout. Pour atteindre ces objectifs, les instructions recommandent de recourir à
l’observation vivante en utilisant les vestiges du passé [… et] de montrer l’influence des
civilisations étrangères (orientales et occidentales) sur la civilisation nationale.
»2188 En
familiarisant le peuple avec les cultures et les civilisations étrangères, l’enseignement facilite
son ouverture d’esprit et fait de lui un acteur de l’Histoire de la Tunisie.
De la sorte, BOURGUIBA inculquait aux Tunisiens, une culture de l’Histoire empreinte de
valeurs universelles. « Ceci est vrai aussi bien pour l’histoire que pour la littérature arabe ou
encore la pensée islamique (et non la religion islamique). Depuis 1958, les programmes de
ces différentes disciplines convergent vers ce même objectif : tous les élèves doivent accéder,
à la fois, à une culture arabe et à une culture universelle.
»2189 Les défenseurs de l’identité
arabe et islamique étaient à l'évidence, contre la perméabilité de l’Histoire et l’enseignement
des cultures et civilisations étrangères.
Majoritaires à l’ANC entre 2011 et 2014, ce sont Ennahdha et les partis conservateurs qui ont
milité pour l'inscription de l’enracinement des jeunes générations dans leur identité arabe et
islamique à l’article 39
2190 de la Constitution. De fait, cet article risque de « constituer un
2187 D. ABBASSI, Entre Bourguiba et Hannibal. Identité tunisienne et histoire depuis l’indépendance, op.cit.,
p. 57.
2188 Ibid.
2189 Ibid., p. 58.
2190 L’article 39 de la Constitution a suscité de nombreuses polémiques au sein de l’ANC. « La proposition
d’amendement a été présentée par l’ancien Ministre de l’éducation dans le Gouvernement Jebali, Abdelatif
Abid (Ettakatol). Le Groupe démocrate a été sévèrement divisé entre les élus du Parti Al-Jomhouri et de
495





Page 497
fondement constitutionnel à des initiatives d’islamisation et d’arabisation qui pourraient
mettre en cause la modernisation et la démocratisation du système tunisien.
»2191 Se pose
aussi la question du droit des enfants à ne pas assister aux cours d’éducation religieuse et du
respect par l’Etat, du droit des parents d’inscrire leurs enfants dans des établissements non
religieux. La Constitution tunisienne n’accorde de statut privilégié qu’à l’Islam et reste dans
le flou constitutionnel pour ce qui est de l’organisation et du fonctionnement effectif des
relations entre l’Islam et l’Etat
2192.
Afin de limiter la portée de l’obligation constitutionnelle et d’éviter l’islamisation de
l’enseignement « [o]n a longuement insisté pour y inscrire et ajouter “ouverte sur les langues
étrangères et les civilisations”. Cette dernière écriture est une bataille de dernière
heure.
»2193 Ouvrir l’enseignement aux langues étrangères rendrait effectivement, la culture
nationale plus perméable aux idées venues d’ailleurs
2194. Les fondements de l’identité arabe et
islamique sans être remis en cause, pourraient être amenés à évoluer en fonction des valeurs
nouvelles importées. Vectrices d’une culture et d’un cadre de pensée bien déterminés, les
langues étrangères sont considérées comme un danger par une partie des constituants
conservateurs de l’ANC
2195. Il est intéressant de se pencher sur le cas égyptien pour savoir si
l’éducation et la culture nationales sont perméables aux idées venues d’ailleurs.
Contrairement à l’article 39 de la Constitution tunisienne de 2014, l’article 24 de la
Constitution égyptienne de 2014 ne consacre que la langue arabe. Même si la Constitution du
18 janvier 2014 « ne reprend pas l’obligation qui figurait dans la Constitution de 2012
(art. 12) d’encourager
l’arabisation de
l’enseignement, des
sciences
et des
l’Alliance démocratique d’un côté et tous leurs camarades d’un autre. La différence de culture politique
entre les partis politiques affiliés au Groupe démocrate n’a jamais été aussi manifeste que lors de ce vote.
A noter que cet article a finalement été amendé dans le sens d’ajouter le dernier paragraphe. »
S. KHALFAOUI, « Les débats constitutionnels du 3 au 26 janvier 2014 »,
in M. MARTINEZ SOLIMAN,
S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La
Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit.
, p. 338.
2191 N. BACCOUCHE, « Les droits économiques et sociaux et la Constitution », précit., p. 476.
2192 Pour plus de précisions sur ce point, cf. le A. du Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre 1 de la
PARTIE I de cette thèse, relatif à
la valeur juridique attribuée à l’article 1er de la Constitution : une
interprétation dépendant de l’interprète,
p. 174.
2193 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9 h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
2194 Pour plus de précisions sur ce point, cf. K. BENDANA, « La Constitution de 2014 : un fil de résolution des
crises », in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA
HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit.,
p. 332.
2195 Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9 h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
496




Page 498
connaissances »2196, elle fait de la langue arabe, de l’éducation religieuse et de l’histoire
nationale, les matières de base de l’enseignement pré-universitaire
2197. Il est intéressant de
relever que les articles 7 et 48
2198 de la Constitution traitent également de l’arabe. Alors que le
premier article fait d’Al-Azhar, l’institution en charge de la diffusion de la langue arabe en
Egypte et dans le monde, le deuxième article encourage l’Etat à traduire les œuvres culturelles
de et vers l’arabe. Toutefois, la volonté d’appartenir à une communauté close, bien distincte
de la communauté internationale est plus marquée en Egypte qu’en Tunisie.
Aux dispositions sur la langue arabe s’ajoutent celles sur l’éducation nationale. En vertu de
l’article 19, l’éducation nationale a pour objectif de forger la personnalité égyptienne et de
préserver l’identité nationale. Autrement dit l’éducation n’est plus un but en soi, mais devient
un moyen «
au service d’un autre objectif, particulièrement vague. »2199 Les articles de la
Constitution ne permettent pas d’identifier clairement cet objectif. En dépit de ces
dispositions, les articles 21, 66 et 67 préservent l’indépendance des universités et la liberté de
la recherche scientifique. Il est d’ailleurs intéressant de souligner qu’en vertu de l’article 24 de
la Constitution, les universités s’engagent à enseigner les droits de l’Homme, les valeurs et
l’éthique professionnelle propres à chaque discipline scientifique. Même si les constituants
font prévaloir les valeurs identitaires sur les valeurs universelles, l’importance accordée à
l’enseignement universitaire des droits de l’Homme est remarquable. A l’instar de l’Etat
tunisien qui «
veille à la diffusion de la culture des droits de l’Homme »2200, l’Etat égyptien
ouvre
2201 l’enseignement universitaire sur le droit international des droits de l’Homme.
L’article 24 de la Constitution égyptienne permet ainsi aux Egyptiens de se familiariser avec
des systèmes juridiques et politiques étrangers et d’importer dans la culture nationale des
valeurs internationales. Alors que la langue arabe peine à montrer son intérêt pour les idées
venues d’ailleurs, l’enseignement universitaire est ouvert sur l’international. A l’instar de
l’article 39 de la Constitution tunisienne, l’article 24 de la Constitution égyptienne est donc
partagé entre l’universel et le particulier, les valeurs internationales et nationales. Il en est de
2196 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue
2020],
[en
l'Homme,
[consulté
ligne],
avril
15
de
6,
le
droits
des
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en.
2014,
2197 Article 24 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014.
2198 L’article 48 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014 traite du droit à la culture.
2199 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue
2020],
[en
[consulté
ligne],
droits
2014,
avril
15
le
des
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en.
l'Homme,
de
6,
2200 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 39.
2201 Par le biais de l’article 24 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014.
497



Page 499
même de l’article 42 tunisien qui préserve la vision bourguibienne du droit à l’enseignement
et à la culture.
L’Etat tunisien encourage la création culturelle, il soutient la culture nationale dans son
enracinement, sa diversité et son renouvellement, en vue de consacrer les valeurs de tolérance,
de rejet de la violence, d’ouverture sur les différentes cultures et de dialogue entre les
différentes civilisations
2202. « Le texte est bien conçu et répond aux ambitions du pays
d’adhérer et de contribuer, comme il en avait toujours la tradition, à la civilisation
humaine.
»2203 Ouvertes sur les langues, les cultures et les civilisations étrangères, les
dispositions des articles 39 et 42 sont pourtant sujettes à interprétation. Comme la plupart des
articles de la Constitution du 27 janvier 2014, elles peuvent être interprétées du point de vue
des théocrates, ou des démocrates, ou encore des « conservateurs » et des « libéraux ». Les
différentes lectures des articles dépendront par ailleurs, du but de l’interprétation suivi par
chacun.
Si l’Islam a une place importante dans le droit à l’enseignement et à la culture, il peut être
aménagé avec les langues, les cultures et les civilisations étrangères. Ceci n’est pas le cas dans
tous les domaines puisque certains droits et certaines libertés sont actuellement brimés du fait
de leur inadéquation avec l’Islam.
Paragraphe 2
Des droits et des libertés brimés du fait de leur inadéquation avec
l’Islam
Malgré la consécration de la liberté de conscience à l’article 6 de la Constitution tunisienne de
2014, « aucune contestation publique radicale de la religion, au niveau philosophique ou
politique n’est
pensable. »2204 Le Doyen Yadh BEN ACHOUR affirme d’ailleurs
que « [l]’incroyance existe, notamment dans les cercles des intellectuels et des artistes, mais
2202 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 42, deuxième alinéa.
2203 N. BACCOUCHE, « Les droits économiques et sociaux et la Constitution », précit., p. 476.
2204 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 236.
498








Page 500
la visibilité publique lui est refusée. »2205 Bien qu’il y ait des Tunisiens athées, non croyants
ou non pratiquants, ils refusent
2206 d'exprimer leur point de vue dans l’espace public, pour
respecter les conventions culturelles et sociales. La liberté de ne pas avoir de religion pose en
elle-même un défi à la religion musulmane telle qu’elle s’exprime (A). Il en est de même de la
liberté de ne pas jeûner au vu et au su de tous (B). Ayant consacré ce chapitre à l’étude de la
notion d’Etat « civil » en Tunisie et en Egypte, les droits et libertés brimés du fait de leur
inadéquation avec l’Islam ne sont étudiés qu’à l’aune de ces deux sociétés. Il est cependant
nécessaire de souligner que les sociétés arabes dans lesquelles l’Islam joue un rôle social
important sont confrontées aux mêmes types de problématiques. Il en est ainsi de la société
marocaine.
A.
La liberté de ne pas avoir de religion
L’article 18 de la DUDH précise que « [t]oute personne a droit à la liberté de pensée, de
conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction
ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en
public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des
rites. » Il a précédemment été dit que la liberté de conscience, hurriyat adhamîr, consiste en la
possibilité pour un individu de décider librement de ses opinions politiques et religieuses, de
son système de valeurs et de principes existentiels et cela inclut de ne pas en avoir
2207. La
liberté de conscience doit par ailleurs pouvoir s’exercer sans crainte de représailles, de
manière libre et s'il y a lieu, publique.
Ainsi définie, la liberté de conscience est en rupture avec le shar’ islamique classique qui
interdit par exemple aux musulmans de quitter
leur religion. La reconnaissance
2205 Ibid.
2206 Dans la plupart des cas, la société le leur refuse. Outre la société tunisienne, ce problème existe dans
d’autres sociétés arabo-musulmanes. Les développements suivants donnent des précisions sur la liberté de
conscience et de croyance en Egypte. Les éléments de droit égyptien servent ici l’objectif qui est de
démontrer que la religiosité des sociétés arabo-musulmanes empêche l’expression publique et la pleine
effectivité de certains droits et de certaines libertés tels que la liberté de conscience. Ces problématiques là
ne concernent pas uniquement l’Egypte et la Tunisie. Dans l’objectif d’être exaustif, seules les
problématiques que confrontent ces deux sociétés sont ici exposées. Elles peuvent cependant être
généralisées à l’ensemble des pays arabes d’Afrique du Nord et du Proche-Orient.
2207 La liberté de conscience est plus large que la liberté de religion puisqu’elle inclut la métaphysique et la
philosophie.
499






Page 501
constitutionnelle de cette liberté2208 suppose donc que ce qui était traditionnellement considéré
comme une apostasie, une mécréance ou une dissidence d’esprit, soit respecté par la société et
non sanctionné par le droit. Dans ce contexte, il convient de s’attarder sur la conception
islamique de la liberté de conscience. Ensuite, il sera évalué dans quelle mesure les athées, les
non croyants et les non pratiquants, ont le droit de manifester publiquement leur liberté de ne
pas avoir de religion ou d'en avoir une pratique personnelle.
Dans son intervention qui portait sur l’apostasie2209, le Professeur Héla OUARDI a expliqué
que dans l’Islam
2210, la liberté de conscience est une liberté à sens unique : « on est libre
d’adhérer à l’Islam mais il est interdit de se rétracter.
»2211 L’alinéa a) de l’article 12 de la
Déclaration islamique universelle des droits de l’Homme précise d’ailleurs que « chaque
personne a le droit de penser et de croire et donc d’exprimer ce qu’elle pense et croit sans
que quiconque ne vienne s’y mêler ou le lui interdire aussi longtemps qu’elle s’en tient dans
les limites générales que la loi islamique a stipulé en la matière. Personne n’a le droit de
propager l’erreur et de diffuser ce qui serait de nature à encourager la turpitude ou à avilir
la communauté islamique.
»2212 Cet article est inspiré des versets 60 et 61 de la Sourate 33 Al-
Ahzab du
Coran2213.
Aux premiers temps de l’Islam, la mort de Mahomet et les controverses relatives à la
légitimité du
calife2214 Abu Bakr, ont fragilisé la communauté islamique. Les tribus arabes et
la communauté musulmane de Médine étaient en proie au doute, alors même que la liberté de
2208 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 6.
2209 L’apostasie est ici comprise comme l’abandon volontaire et public de l’Islam.
2210 Ses propos sont fondés sur une étude des articles relatifs à la liberté de conscience dans la Déclaration
islamique universelle des droits de l’Homme, proclamée par le Conseil islamique d’Europe le 19 septembre
1981 ; la Déclaration du Caire des droits de l’Homme en Islam du 5 août 1990, adoptée par l’Organisation
de la Coopération Islamique et la Charte arabe des droits de l’Homme adoptée à Tunis en 2004. Dans ces
trois textes, aucune référence n’est faite à la
DUDH. Les déclarations précitées se réfèrent aux principes
théologiques, au
Coran et à la Sunna, dont des citations ponctuent chacun des articles relatifs à la liberté de
conscience.
2211 « Islam et liberté de conscience - Conférence “Islam au XXIème siècle” du 26 février 2019 à l’UNESCO »
https://www.youtube.com/watch?v=obc
[en
MDijaOtA&t=5611s&fbclid=IwAR3XWUZkgcspeAUXUhXNLDiMm9V3AkNat634lmCp3mxxAWgVN
OBbgpUaWis.
septembre
[consulté
2019],
ligne],
10
2212 Ibid.
2213 Le verset 60 de la Sourate 33 Al-Ahzab précise : « Certes, si les hypocrites, ceux qui ont la maladie au
cœur, et les alarmistes
[semeurs de troubles] à Médine ne cessent pas, Nous t'inciterons contre eux,
et alors, ils n'y resteront que peu de temps en ton voisinage. » Le verset 61 indique quant à lui : « Ce
sont des maudits. Où qu'on les trouve, ils seront pris et tués impitoyablement
». Traduction du Coran
en français [en ligne], [consulté le 11 septembre 2019], https://www.coran-francais.com/coran-francais-
sourate-33-0.html.
le
2214 Cf. Annexe 1 – Glossaire – Calife.
500




Page 502
conscience était considérée comme une menace ontologique, un acte de désobéissance et de
haute trahison à l’Islam. Celui qui décidait de ne plus suivre les prescriptions religieuses
commettait un crime : en quittant l’Islam, il remettait en cause la crédibilité et l’existence
même de la religion. Pour ces raisons, la liberté de conscience a longtemps été prohibée par
les communautés et les sociétés islamiques
2215. Alors aujourd'hui, l’expression libre et
publique de la liberté de ne pas avoir de religion est-elle possible en Tunisie ?
Bien que l’article 6 de la Constitution prévoie la liberté de conscience, les Tunisiens restent
traditionnellement et culturellement attachés à l’Islam. Il est alors « courant [pour les
théocrates et les démocrates, les conservateurs et les libéraux] de faire référence dans les
discours et dans l’action politique à des signes évidents de religiosité, comme la référence
aux versets coraniques, aux hadiths prophétiques ou à la pensée des théologiens ou des
légistes, fuqahâ’.
»2216 Dans les faits, les Tunisiens sont libres de ne pas adhérer aux
prescriptions de la parole révélée, tant que cela ne se sait pas. La visibilité publique de
l’incroyance est culturellement et socialement prohibée : l’athéisme ne peut librement et
publiquement s’exprimer. Dès lors, la liberté de conscience n’est pas pleinement garantie.
En effet, « l’athéisme déclaré, le blasphème ou la dérision à l’égard de la religion n’ont pas
encore droit de cité.
»2217 En mars 2012, la Cour d’appel de Monastir a condamné un
internaute à sept ans de prison pour avoir diffusé des caricatures du Prophète sur Facebook.
Aucun comportement ou propos allant à l’encontre des principes et des valeurs de l’Islam ne
peut être tenu en public
2218. « Cela constitue un exemple significatif de l’état de l’opinion, des
autorités et des juges sur ce compromis implicite fondamental concernant le respect officiel
2215 La liberté de conscience n’est actuellement pas reconnue par la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014.
2216 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 236.
2217 Ibid., p. 237.
2218 Lors de l’entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et
Sociales de Tunis, était jouée «
une pièce de théâtre qui porte le titre de deux ayat du Coran, seulement le
titre de la pièce a causé un tollé général et les metteurs en scène ont dû changer la dénomination de la
pièce.
» Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9 h à la Faculté des
Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis. Pour un exemple plus récent d’atteinte aux «
choses
sacrées
» cf. L. BLAISE, « En Tunisie, une internaute accusée d’“atteinte au sacré” bientôt devant la
juin 2020],
justice »,
Le Monde [en
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/05/18/en-tunisie-une-internaute-accusee-d-atteinte-au-sacre-
bientot-devant-la-justice_6040043_3212.html. L’internaute en question a été condamnée à six mois de
prison. Pour plus de précisions sur ce point cf. L. BLAISE, « Procès d’Emma Chargui en Tunisie : six mois
de prison pour une parodie de sourate du Coran »,
France24 [en ligne], publié le mardi 14 juillet 2020,
[consulté
juillet 2020], https://www.france24.com/fr/video/20200714-proc%C3%A8s-d-emma-
charki-en-tunisie-six-mois-de-prison-pour-une-parodie-de-sourate-du-coran?fbclid=IwAR3coJD-
x1eVOUsw_wNDIo_PfBqbctFQvyJeitKaAtrI8_AarwHK-P93ZGk.
lundi 18 mai 2020, [consulté
ligne], publié
le 24
le 2
le
501




Page 503
des choses sacrées. »2219 Les pratiques, les conventions sociales et les mentalités sont et
restent culturellement liées à l’Islam, malgré les avancées constitutionnelles. La liberté de
conscience est comprise dans l’Islam et ses fondements. Ceci empêche l’expression effective
et la réalisation pleine et entière de la liberté de conscience des Tunisiens athées, non croyants
ou non pratiquants. Il est intéressant de savoir s’il en est de même en Egypte.
A l’opposé de la Tunisie, la liberté de conscience n’est pas constitutionnellement consacrée en
Egypte. Bien que l’article 64 de la Constitution du 18 janvier 2014 déclare « absolue » la
liberté de croyance, il réserve la liberté de pratiquer leur religion et de construire des lieux de
culte aux seuls adeptes des religions révélées
2220. Si les adeptes des autres religions ont le
droit de croire en leur for intérieur, ils ne sont en aucun cas autorisés à exercer leurs rites en
public
2221. De plus, quand un citoyen quitte l’Islam ou revendique son appartenance à une
religion non reconnue par l’Etat, il risque d’être privé de ses papiers d’identité
2222 et/ou d’être
sanctionné sur le fondement de l’article 98f du Code pénal égyptien.
Depuis 1982, cet article pénalise « l’exploitation de la religion pour propager oralement, par
écrit, ou par tout autre moyen des opinions extrêmes dans le but d’attiser des troubles, avilir
l’une des religions célestes ou l’une des communautés en faisant partie ou nuire à l’unité
nationale. La sanction prévue est de six mois à cinq ans de prison et/ou une amende d’un
montant maximum de 1 000 LE.
»2223 Si l’article sert à incriminer les citoyens accusés de
prosélytisme, il a été utilisé pour sanctionner les musulmans convertis au christianisme
2224. Il
a également permis de condamner les adeptes des religions non reconnues par l’Etat à l’instar
des chiites ou des soufis pour atteinte à l’unité nationale et/ou à la cohésion sociale. Bien que
la Constitution du 11 septembre 1971 ait été remplacée par celle du 18 janvier 2014, l’article
2219 Y. BEN ACHOUR, Tunisie : Une révolution en pays d’islam, op.cit., p. 237.
2220 Autrement dit aux musulmans, aux chrétiens et aux juifs.
2221 C’est notamment le cas des Bahaïs, des Témoins de Jéhovah et des Chiites. Pour plus de précisions sur ce
point, cf. le rapport du Bureau of Democracy, Human Rights and Labor, “Egypt”,
International Religious
le 5 mai 2020],
ligne], [consulté
for 2018, U. S. State Department, [en
Freedom Report
https://www.state.gov/reports/2018-report-on-international-religious-freedom/egypt/.
droits
l'Homme,
2222 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue
des
2020],
[en
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en. Il est également intéressant de relever que lorsqu’un
Egyptien musulman quitte l’Islam, la rubrique « religion » sur sa carte d’identité est rarement changée.
Pour plus de précisions sur ce point, cf. le rapport du Bureau of Democracy, Human Rights and Labor,
“Egypt”,
International Religious Freedom Report for 2018, U. S. State Department, [en ligne], [consulté le
5 mai 2020], https://www.state.gov/reports/2018-report-on-international-religious-freedom/egypt/.
[consulté
ligne],
2014,
avril
15
de
2223 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue
2020],
[en
[consulté
ligne],
2014,
avril
15
6,
6,
le
le
droits
des
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en.
l'Homme,
de
2224 La conversion est de manière générale jugée contraire à la loi islamique.
502




Page 504
98f du Code pénal n’a pas été amendé et continue à être appliqué. D’ailleurs, comme l’affirme
Nathalie BERNARD-MAUGIRON : « L’insulte ou l’offense envers les messagers et les
prophètes de Dieu rentre tout à fait dans le champ d’application de l’article 98f et peut donc
être sanctionnée, en l’absence même de référence constitutionnelle.
»2225 Cet article sert
finalement à emprisonner des citoyens au seul motif qu’ils ont exprimé publiquement une
opinion.
Malgré les avancées constitutionnelles notables de la Tunisie et de l’Egypte, les conventions
sociales, les rites et les pratiques de l’Islam empêchent l’expression pleine et entière de la
liberté de conscience des citoyens. Cela est d'autant plus tangible en période de Ramadan
puisque les Tunisiens et les Egyptiens
2226 ne peuvent ni manger, ni boire, ni fumer dans un
espace public, entre le lever et le coucher du soleil.
B.
La liberté de ne pas jeûner en public
Depuis la Révolution du Jasmin, des Tunisiens ont été arrêtés et déférés devant la justice pour
«
atteinte aux bonnes mœurs »2227 car ils avaient mangé, bu ou fumé dans un espace public
pendant le Ramadan
2228. Chaque année, des événements similaires se produisent à Tunis et
dans d'autres villes du pays.
Juridiquement, l’article 317 du Code pénal interdit de servir des boissons alcoolisées à des
musulmans. Pourtant, si dans la pratique cette interdiction n’est appliquée que pendant les
fêtes religieuses, elle reste en contradiction avec la loi n° 98-14 du 18 février 1998, relative à
l'exercice du commerce des boissons alcoolisées à emporter
2229 et la loi n° 59-147 du
2225 N. BERNARD-MAUGIRON, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue
2020],
[en
l'Homme,
[consulté
ligne],
droits
avril
15
le
des
https://journals.openedition.org/revdh/978?lang=en.
2014,
de
6,
2226 Toute confession confondue.
2227 Article 226 bis du Code pénal tunisien.
2228 En 2017, quatre hommes ont été condamnés à un mois de prison pour « outrage public à la pudeur » après
avoir mangé et fumé dans un jardin public pendant le Ramadan. S. HAMDOUNI, « Tunisie : un mois de
prison pour avoir fumé en plein ramadan »,
Le Parisien [en ligne], publié le 13 juin 2017, [consulté le 11
mai
http://www.leparisien.fr/international/tunisie-un-mois-de-prison-pour-avoir-fume-en-plein-
ramadan-13-06-2017-7045590.php.
2229 JORT, n° 15 du 20 février 1998, p. 371.
2018],
503







Page 505
7 novembre 1959 qui réglemente les débits de boissons et les établissements similaires2230.
Cette loi est par ailleurs contradictoire : son article 42 abroge le décret du 15 mai 1941 qui
interdit la vente d’alcool aux musulmans, mais son article 36 se réfère à l’article 317 du Code
pénal
2231. Dans l’objectif de lever les contradictions de la loi, le législateur a modifié l’article
35 en 1961
2232 et a prévu qu’il est interdit de servir des boissons alcoolisées aux musulmans.
Ceci n’empêche pourtant pas les Tunisiens de boire de l’alcool et de manger
2233 en dehors des
heures autorisées par le Ramadan
2234. En mai 2018, l’Association des Libres Penseurs avait
organisé une manifestation du nom de Mouch bessif, Sans contraintes qui visait à faire
entendre la voix des non jeûneurs. Ces derniers réclament chaque année, l’ouverture des cafés
et des restaurants au cours du mois sacré et la jouissance pleine et entière de leur liberté de ne
pas jeûner, pour ne pas devoir se cacher
2235. Face aux contrôles récurrents des autorités
publiques, les cafés et les restaurants ouverts au cours du mois sacré sont effectivement
obligés de fermer ou de dissimuler leurs vitrines durant la journée
2236. Il en est de même en
Egypte
2237.
En 2010, un citoyen d’Assouan avait été arrêté par les forces de l’ordre pour avoir déjeuné en
public pendant le Ramadan. Les policiers avaient considéré que l’acte constituait une atteinte
à l’ordre public
2238. Les mœurs liées à l’Islam interdisent généralement aux musulmans qu’ils
soient Marocains, Egyptiens ou Tunisiens de jeûner en public pendant le mois sacré. Au
2230 Democracy Reporting International, rapport sur la mise en œuvre juridique de la Constitution tunisienne,
8
ème édition, 1er octobre – 31 mars 2019, [en ligne], [consulté le 27 août 2019], https: //democracy-
reporting.org/wp-content/uploads/2019/06/DRI-TN_rapport_suivi_mise-en-œuvre_
constitution_mars_
2019_web-FR_VF_2019-06-14.pdf, p. 25.
2231 Cet article interdit de servir des boissons alcoolisées à des musulmans.
2232 Modifiée par la loi n° 61-55 du 14 novembre 1961. L’interdiction posée par la loi de 1961 a été réitérée lors
de la modification de la loi de 1959 par le décret-loi de 1974 [décret-loi n° 74-23 du 2 novembre 1974]. La
modification de 1993 n’a pas touché à l’article 35 de la loi de 1959.
2233 En 1981, le ministère de l’Intérieur a adopté une circulaire obligeant les cafetiers et les restaurateurs à ne
pas servir de nourriture ou de boissons en période de jeûne. Pour plus de précisions, cf. L. CHOUIKHA,
« La question du hijab en Tunisie. Une amorce de débat contradictoire »,
précit., pp. 163-164.
2234 Sur les réseaux sociaux, les personnes qui ne jeûnent pas, échangent des informations sur les lieux restant
ouverts sous le hashtag #fater.
2235 P. MAGNAN, « En Tunisie, la fermeture des cafés et des restaurants pendant le ramadan ravive le débat
sur les libertés »,
Franceinfo Afrique [en ligne], publié le jeudi 9 mai 2019, [consulté le 11 septembre
2019],
https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/tunisie/en-tunisie-la-fermeture-des-cafes-et-des-
restaurants-pendant-le-ramadan-ravive-le-debat-sur-les-libertes_3434049.html.
2236 M. BERKANI, « Tunisie : appel à la liberté de ne pas jeûner pendant le ramadan », Franceinfo Afrique [en
2019],
ligne],
https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/tunisie-appel-a-la-liberte-de-ne-pas-jeuner-
pendant-le-ramadan_3055299.html.
17 mai
septembre
[consulté
publié
2018,
jeudi
11
2237 C. DUBRUELH, M. VILLACEQUE et T. GAMAL GABRIEL, « Ramadan : ce que risquent les
“déjeûneurs” au Maghreb »,
Jeune Afrique [en ligne], publié le lundi 8 août 2011, [consulté le 5 mai 2020],
https://www.jeuneafrique.com/179999/politique/ramadan-ce-que-risquent-les-d-je-neurs-au-maghreb/.
le
le
2238 Ibid.
504



Page 506
Maroc, le Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles s’est fait connaître en 2009 en
appelant les Marocains à rompre le jeûne du mois de Ramadan en public. Des faits similaires
se produisent chaque année dans les Etats arabo-musulmans d’Afrique du Nord, du Proche et
du Moyen-Orient. Force est malheureusement de constater que peu de documents juridiques
sont disponibles à ce sujet. Seuls des articles de presse sont accessibles
2239.
Que l’Islam soit ou non considéré comme une source formelle ou matérielle du droit, les
conventions sociales et les pratiques nationales du droit en Tunisie et en Egypte imposent des
interdictions religieuses à l’ensemble des citoyens. Cela revient finalement à porter gravement
atteinte aux libertés individuelles et notamment à la liberté de conscience. Comment qualifier
de « civil » l’Etat tunisien et le gouvernement égyptien quand les droits fondamentaux sont
niés dans la pratique ? Est-ce au droit ou aux mentalités d’évoluer en premier ? Seules les
pratiques du droit et le temps permettront de répondre convenablement à ces questions.
2239 Bien qu’il soit passionnant, le sujet est très peu documenté. Ne pouvant être en Tunisie, au Maroc ou en
Egypte au moment de l’écriture de ce paragraphe, il n'a pas été possible d’accéder à des documents
juridiques de première main. Pour plus de précisions sur le mouvement et la situation marocaine cf. M.
SGHIR JANJAR, « L’épisode MALI : réflexions sur un cas de désobéissance civile au Maroc »,
Etudes et
essais
ligne]

Berque,
http://www.cjb.ma/images/stories/publications/Janjar_EE_6.pdf.
Jacques
Centre
2011,
[en
du
6,
505








Page 507
506



Page 508
CONCLUSION
Certes, l’Islam ne règne pas sur les institutions de l’Etat tunisien, mais son influence politique,
culturelle et sociale est telle, qu'il empêche l’épanouissement et l’expression publique, pleine
et entière des droits et des libertés inhérents à la citoyenneté. Indubitablement, il y a eu des
avancées juridiques et constitutionnelles notables, mais il est important de savoir si les
pratiques sociales liées au droit ou les mentalités doivent évoluer en premier. La société
restant culturellement et traditionnellement attachée aux rites et aux pratiques de l’Islam,
l’Etat « civil » ne garantit pas l’intégralité des droits et des libertés fondamentaux. La garantie
de ces droits et libertés doit par ailleurs, passer par la mise en place d’un « pouvoir
juridictionnel » et d’une Cour constitutionnelle indépendants du pouvoir politique.
507
























Page 509
508



Page 510
Chapitre 2 Le parachèvement du constitutionnalisme tunisien : la mise en place de la
Cour constitutionnelle
Le Professeur Jean DU BOIS DE GAUDUSSON affirme que « [l]a constitution devient
partout, à quelques exceptions près, la pierre angulaire du nouvel Etat de droit triomphant
dans le monde contemporain, tant dans les pays développés, post-modernes, que dans les
pays entrés plus récemment dans le cercle vertueux de la consolidation démocratique.
»2240
La Constitution du 27 janvier 2014 est-elle véritablement le socle du nouvel Etat de droit en
Tunisie ? L’Etat de droit est généralement défini comme l’Etat dont la puissance est soumise
au droit
2241 et dont les manifestations sont légitimées et limitées par le droit2242. L’objectif de
l’Etat de droit est de valoriser l’individu, de le protéger juridiquement contre les risques
d’arbitraire et de promouvoir sa participation active à la vie de la cité. C’est alors à la justice
et au juge que revient de garantir l’Etat de droit.
En 1997, le Professeur Rafâa BEN ACHOUR déclarait que « [l]a notion d’Etat de droit
revient en Tunisie, comme un peu partout ailleurs dans le monde, tel un refrain.
»2243 Sous le
régime de la Constitution de la Première République, ce refrain s’appuyait essentiellement sur
deux articles constitutionnels : l’article 5 de la Constitution du 1
er juin 19592244 selon lequel la
République tunisienne « a pour fondements les principes de l’État de droit » et l’article 65 qui
proclame l’indépendance de l’autorité judiciaire
2245. Ces principes constitutionnels n’étaient
pourtant que formels. La séparation des pouvoirs n’était pas respectée et les praticiens du droit
(magistrats et avocats) n’étaient pas soumis à la loi. Seules l’autorité et la volonté de
2240 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Constitution sans culture constitutionnelle n’est que ruine du
constitutionnalisme – Poursuite d’un dialogue sur quinze années de “transition” en Afrique et en Europe »,
in J. DU BOIS DE GAUDUSSON, P. CLARET, P. SADRAN, et B. VINCENT (eds.), Mélanges en
l’honneur de Slobodan Milacic, Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, op.cit.,
p. 334.
2241 Pour plus de précisions sur la soumission de l’Etat « civil » au droit en Tunisie, cf. le Paragraphe 2 de la
Section 1 du Chapitre 1 du Titre II de cette partie relatif à la soumission de l’Etat « civil » au droit, p. 481.
2242 J. CHEVALLIER, L’Etat de droit, op.cit., p. 57.
2243 R. BEN ACHOUR, « L’Etat de droit en Tunisie », in A. MAHIOU (dir.), L’Etat de droit dans le monde
arabe, op.cit., p. 245.
2244 Le préambule de la Constitution du 1er juin 1959 proclamait la volonté du peuple d’instaurer « un régime
politique stable basé sur la séparation des pouvoirs
», conforté par des chapitres respectivement consacrés
au « pouvoir exécutif », au « pouvoir législatif » et au « pouvoir judiciaire ».
2245 Seul l’intitulé du Chapitre IV de la Constitution du 1er juin 1959 dispose du « pouvoir judiciaire ». Les
autres dispositions de la Constitution traitent de l’ « autorité judiciaire ».
509





Page 511
BOURGUIBA et de BEN ALI2246 dictaient les actions des juridictions et des praticiens. Au
service des gouvernants, la Constitution n’était par ailleurs garantie par aucun juge. Le droit
ne régnait pas sur les institutions et la Constitution ne chapeautait pas l’ordre juridique
tunisien.
Actuellement, même si la Constitution du 27 janvier 2014 ne consacre pas explicitement la
formule «
Etat de droit »2247, son quatrième paragraphe du préambule et ses articles 2 et
102
2248 précisent que l’Etat est soumis au droit. A cela s’ajoute, la place de choix attribuée au
« pouvoir juridictionnel »
2249 par la Constitution de la Deuxième République2250 (Section 1).
Ceci est en partie dû à la volonté des constituants de rompre avec les pratiques de l’ancien
régime, en détachant la justice du pouvoir politique. Afin de protéger le principe de la
séparation des pouvoirs, de rationaliser l’exercice des pouvoirs et de garantir les libertés et les
droits constitutionnels, la Commission des juridictions judiciaires, administratives, financières
et constitutionnelles (CJJAFC) devait s’assurer de la constitutionnalisation et du respect des
principes d’indépendance, de responsabilité et de compétence de la justice et des juges
2251.
Malgré la consécration constitutionnelle de ces principes, l’existence de la Constitution du
27 janvier 2014 ne suffit pas à elle seule, à créer l’Etat de droit et à assurer la protection des
droits et des libertés des Tunisiens
2252. Dans l’objectif de transformer l’Etat-parti en Etat de
droit en Tunisie
2253, les juges en général et les juges constitutionnels en particulier, doivent
2246 Pour plus de précisions sur ce point, cf. S. BEN ACHOUR, « La féminisation de la magistrature en Tunisie
entre émancipation féminine et autoritarisme politique »,
in L’Année du Maghreb, III, 2007, [en ligne],
[consulté le 4 novembre 2019], https://journals.openedition.org/anneemaghreb/353?lang=ar, pp. 55-74.
2247 Le Professeur Fadhel MOUSSA précise qu' « [e]n dépit de son importance la formule Etat de droit n’a pas
été étymologiquement retenue dans la Constitution, mais, elle a été l’objet d’un débat, pour être finalement
abandonnée. En effet, suspectée de renvoyer à un référentiel “étranger”, elle dérangeait les conservateurs
de l’Assemblée.
» F. MOUSSA, « Quelle justice voulons-nous ? Le procès équitable dans la nouvelle
Constitution », in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE
LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives,
op.cit.,
p. 528.
2248 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
préambule, articles 2 et 102.
2249 Le chapitre relatif à la justice est dénommé ainsi par la Constitution du 27 janvier 2014. Il est intéressant de
relever qu’il ne s’agit pas comme en France, de l’autorité judiciaire et/ou administrative, mais bien d’un
pouvoir juridictionnel.
2250 Le « pouvoir juridictionnel » a fait l’objet des travaux de la Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles (CJJAFC). Il est actuellement prévu au Chapitre V de la
Constitution du 27 janvier 2014.
2251 Ces principes sont consacrés aux articles 102 à 105 de la Constitution du 27 janvier 2014.
2252 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Constitution sans culture constitutionnelle n’est que ruine du
constitutionnalisme – Poursuite d’un dialogue sur quinze années de “transition” en Afrique et en Europe »,
précit., p. 341.
2253 M.-E. BAUDOIN, « Le droit constitutionnel et la démocratie à l’épreuve du temps », précit., p. 44.
510




Page 512
assurer le respect des règles constitutionnelles et des pratiques démocratiques. A cette fin, il
est nécessaire de « garantir la suprématie de la constitution, de soumettre l’Etat à son droit et
plus délicat, de lui opposer d’une main ferme la constitution, rien que la constitution et toute
la constitution.
»2254 C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les membres de la CJJAFC ont
prévu une juridiction constitutionnelle parallèlement aux juridictions ordinaires.
Cette dernière devait être mise en place dans un délai maximum d’un an à compter de la date
des élections législatives
2255. Au cours des trois mois qui ont suivi la promulgation de la
Constitution, l’ANC a créé par la loi organique 2014-14 du 18 avril 2014, l’Instance
provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois. Prévue par l’alinéa 7 de
l’article 148 de la Constitution, cette instance avait pour objectif initial de contrôler la
constitutionnalité des projets de lois au cours des trois mois qui suivaient la promulgation de
la Constitution. Dans les faits, elle est toujours en activité dans l'attente de la mise en place de
la Cour constitutionnelle et elle contrôle les projets de lois dont elle est saisie (Section 2).
2254 F. J. AÏVO, « Les constitutionnalistes et le pouvoir politique en Afrique », in Revue française de droit
constitutionnel, 104, 2015, p. 785.
2255 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article
148, cinquième alinéa. Cet alinéa ne précise cependant pas s’il est question de la date de tenue des élections
ou celle de la déclaration des résultats définitifs des élections.
511







Page 513
Section 1
La place du juge dans la Constitution et son rôle au sein des nouvelles
institutions
Soucieux d’émanciper la justice du pouvoir politique, les constituants ont accordé un rôle de
premier plan à la Commission des juridictions judiciaires, administratives, financières et
constitutionnelles (Paragraphe 1). Du fait de sa composition, des auditions des experts
extérieurs à l’ANC et des visites des constituants à l’étranger, elle a mis en place un « pouvoir
juridictionnel » indépendant du pouvoir politique.
Ce « pouvoir juridictionnel » est composé des juridictions ordinaires et de la juridiction
constitutionnelle. Afin de bien identifier ses différentes composantes en Tunisie, les membres
de la CJJAFC ont constitutionnellement et fonctionnellement distingué la juridiction
constitutionnelle des juridictions ordinaires (Paragraphe 2).
Paragraphe 1
Le rôle de la Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles2256
Si de manière générale « les constituants élus, non experts, ont souvent une idée
approximative de ce que doit être le contenu d’une constitution
»2257, les constituants élus,
spécialistes du droit constitutionnel et des institutions politiques, savent précisément ce qui
2256 La Commission des juridictions judiciaires, administratives, financières et constitutionnelles était composée
de 21 membres. Cinq d’entre eux constituaient le Bureau de la Commission : Mohamed Elarbi Fadhel
MOUSSA (
Bloc Démocrates) en était le Président, Fattoum LASSOUED (Bloc Ennahdha) la vice-
présidente, Latifa HABCHI (
Bloc Ennahdha) le rapporteur, Kamel BEN ROMDHANE (Bloc Ennahdha) le
premier rapporteur adjoint et Selim BEN ABDESSALAM (sans étiquette),
le deuxième rapporteur adjoint.
Les autres membres étaient : Hichem HOSNI (sans étiquette)
, Hajer MNIFI (Bloc Ennahdha), Monia
GASRI (
Bloc Ennahdha), Mohamed Nejib HOSNI (sans étiquette), Mohamed GAHBICH (Alliance
Démocratique
), Fattouma ATTIA (Bloc Ennahdha), Abdelkader KADRI (Bloc Ennahdha), Abdelaziz
KOTTI (sans étiquette)
, Abdelssattar DHIFI (Bloc Wafa), Abderraouf AYADI (Bloc Wafa), Rabeh
KHRAIFI (sans étiquette)
, Khira SGHAIRI (Bloc Ennahdha), Hanène SASSI (Transition Démocratique),
Ferjani DOGHMANE (Bloc Ennahdha), Jdidi ESSBOUÎI (sans étiquette) et Azed BADI (Bloc Wafa). Pour
plus d’informations sur la composition de la Commission, cf. AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Assemblée, Commissions : Commission des juridictions judiciaires, administratives, financières et
constitutionnelles,
[en ligne], [consulté le 21 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/assemblee/
commissions/4f3cf973b197de624e000003.
2257 X. PHILIPPE, « Le rôle des organisations non gouvernementales dans les processus constituants
postconflictuels : expertise ou plaidoyer ? », précit., p. 156.
512









Page 514
doit composer la Constitution qu’ils élaborent. Présidée par Mohamed Elarbi Fadhel
MOUSSA, la Commission des juridictions judiciaires, administratives, financières et
constitutionnelles (CJJAFC) a su quelle place accorder au juge dans la Constitution
2258. Ceci
s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs.
Le premier est lié à la personnalité et au parcours de Mohamed Elarbi Fadhel MOUSSA2259.
Professeur de droit public, le président de la CJJAFC avait enseigné en Tunisie et à l’étranger,
les matières fondamentales du droit public général à l’instar du droit constitutionnel et du
droit international des droits de l’Homme. Soucieux d’élaborer une constitution conforme aux
standards constitutionnels globaux, il savait quels étaient les principes et les objectifs de la
justice et du juge dans un Etat de droit. Bien qu’il n’ait pas été le seul membre de la CJJAFC,
sa présidence a grandement influencé le contenu du chapitre relatif au « pouvoir
juridictionnel ».
Le deuxième facteur découle des méthodes de travail de la CJJAFC. Au cours des premières
réunions, ses 21 membres se sont interrogés sur la nature de la justice attendue par les
Tunisiens
2260. Dans l’objectif de rompre avec les pratiques de l’ancien régime et de mettre en
place un « pouvoir juridictionnel » indépendant du pouvoir politique (B), la CJJAFC devait
commencer par appréhender le rôle et les fonctions du juge dans un Etat de droit. S’ils étaient
conscients de l’Histoire constitutionnelle et politique de leur pays, les membres de la CJJAFC
devaient acquérir des informations et des connaissances juridiques, pour alimenter les débats
2258 La pleine indépendance de la justice tunisienne a été l’un des rares principes faisant l’unanimité des
constituants lors du vote de la Constitution. Pour plus de précisions sur ce point, cf. N. DANELCIUC-
COLODROVSCHI, « L’incidence des influences constitutionnelles externes sur l’écriture et l’adoption des
constitutions postconflictuelles »,
précit., p. 126.
2259 Pour rappel : Mohamed Elarbi Fadhel MOUSSA est Professeur d’université. Il est depuis 1992, l’invité de
plusieurs universités étrangères. Expert international auprès de multiples organisations internationales, il a
été de 2004 à 2006, directeur des programmes et des stages au sein de l’Organisation Internationale du
Droit du Développement à Rome (de 2006 à 2008, il s’était engagé au Caire, dans le centre régional arabe
de l’organisation). Engagé dans plusieurs associations et organisations nationales et internationales des
droits de l’Homme, il participe à des conférences et des forums internationaux sur le droit et la science
politique. Pour plus de précisions sur ce point, cf. le A. du Paragraphe 2 de la Section 2 du Chapitre 1 du
Titre II de la PARTIE I, relatif à
l’impact des formations universitaires et séjours à l’étranger des
constituants,
p. 241. Pour plus d’informations sur la biographie de Mohamed Elarbi Fadhel MOUSSA, cf.
AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Assemblée, Bloc parlementaire : Bloc Démocrates, Mohamed
Elarbi Fadhel MOUSSA,
[en ligne], [consulté le 21 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/deputes/
4f4fbcf3bd8cb561570000a1.
2260 F. MOUSSA, « Quelle justice voulons-nous ? Le procès équitable dans la nouvelle Constitution », précit.,
p. 525. Pour plus de précisions sur ce point, voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents,
constitutionnelles,
Commission
« L’établissement des instances et personnes à auditionner pouvant aider la Commission », 7 mars 2012 [en
ligne]
, [consulté le 21 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252dd (en
arabe).
administratives,
juridictions
judiciaires,
financières
des
et
513




Page 515
constituants relatifs à la justice. Pour ce faire et avant même de réfléchir à la composition, à
l’organisation et au fonctionnement du « pouvoir juridictionnel »
2261, les membres de la
CJJAFC se sont accordés sur des auditions d’experts extérieurs à l’ANC
2262. Ces auditions
étaient doublées par les visites des constituants à l’étranger
2263.
Le troisième et dernier facteur qui est essentiel pour comprendre l’œuvre de la CJJAFC est le
« capital sympathie » dont bénéficiait la Tunisie de la part de la communauté internationale au
moment du processus constituant. Dans l’objectif d’ériger la Tunisie en exemple de transition
politique et démocratique réussie
2264, les juridictions européennes ont ouvert leurs portes aux
constituants. Les auditions des experts et les visites à l’étranger des constituants (A) ont ainsi
permis aux membres de
organisationnelle »2265 sur laquelle devait reposer la justice en Tunisie.
la CJJAFC de saisir « la plateforme substantielle et
2261 Au cours de la troisième réunion de la CJJAFC, la question posée était celle de la justice voulue par les
Tunisiens. Afin de répondre, les membres de la Commission ont insisté sur l’importance des auditions des
experts extérieurs à l’ANC. Cf. F. MOUSSA, « Quelle justice voulons-nous ? Le procès équitable dans la
nouvelle Constitution »,
précit., p. 525 et AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission
des juridictions judiciaires, administratives, financières et constitutionnelles,
« L’établissement des
instances et personnes à auditionner pouvant aider la Commission », 7 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 21
octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252dd (en arabe). Le 17 avril 2012,
après que des auditions aient eu lieu, les membres de la CJJAFC se sont réunis pour établir un agenda de
travail pour les semaines à venir. Alors que des membres ont proposé de mettre un terme aux séances
d’audition, d’autres ont insisté sur l’importance de poursuivre les consultations des experts. Si les premiers
ont considéré qu’il fallait débuter l’élaboration et l’écriture d’une première version de Constitution qui
contienne un chapitre sur les instances juridictionnelles, les seconds ont cherché à multiplier les points de
vue sur la situation de la justice. La CJJAFC a alors fait le choix de poursuivre les auditions programmées.
Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Evaluation de l’avancement des travaux au sein de la
Commission et l’établissement de l’agenda de travail pour les semaines qui suivent », 17 avril 2012 [en
ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs /518e5bfc7ea2c422bec25300 (en
arabe).
2262 De manière générale, les commissions constituantes ont eu recours à des auditions d’experts extérieurs à
l’ANC. Rien n’avait cependant été prévu concernant l’encadrement des auditions et surtout l’utilisation des
informations récoltées. Chaque commission était libre d’organiser comme elle le souhaitait, son propre
travail. X. PHILIPPE, « Les processus constituants après les révolutions du printemps arabe. L’exemple de
la Tunisie : rupture ou continuité ? »,
précit., pp. 540-541.
2263 Les raisons et l’apport de ces déplacements font l’objet du 2. du A. qui suit.
2264 X. PHILIPPE, « Le rôle des organisations non gouvernementales dans les processus constituants
postconflictuels : expertise ou plaidoyer ? », précit., p. 152.
2265 X. PHILIPPE, « Les processus constituants après les révolutions du printemps arabe. L’exemple de la
Tunisie : rupture ou continuité ? », précit., p. 527.
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L’influence des auditions des experts extérieurs à l’ANC et des visites à l’étranger
A.
des constituants2266
L’élaboration du chapitre relatif au « pouvoir juridictionnel » exigeait que les 21 membres de
la CJJAFC aient des compétences techniques spécifiques ou du moins, une expertise
constitutionnelle en matière de justice
2267. Les membres élus de la CJJAFC devaient être au
fait de la réelle situation de la justice et des juges. C’est la raison pour laquelle, au cours de la
troisième réunion de la CJJAFC, ses membres ont souligné l’importance des auditions des
experts extérieurs à l’ANC (1). La troisième
2268 réunion de la CJJAFC a également été
l’occasion de discuter du déplacement d’un nombre limité de membres de la Commission en
Allemagne et en France, pour étudier le système juridictionnel des pays européens (2). Une
fois formés, les 21 membres de la CJJAFC étaient enfin aptes à rédiger un chapitre conforme
aux standards internationaux.
1. L’influence des auditions des experts extérieurs à l’ANC
Les auditions des experts extérieurs à l’ANC avaient pour objectif de familiariser les
constituants avec les défaillances de la justice en Tunisie. Les premières réunions ont ainsi été
consacrées aux auditions des représentants de l’Association et du Syndicat des Magistrats
2269,
des représentants de l’Union des Magistrats Administratifs
2270 et de Raoudha MECHICHI
2266 Contrairement à la Section 2 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE I de cette thèse, relative à l’inspiration
internationale du constituant,
ce paragraphe vise à donner un exemple concret de l’impact des auditions des
experts extérieurs à l’ANC et des visites des constituants à l’étranger, sur la forme et le fond du chapitre
relatif au « pouvoir juridictionnel ».
2267 Le manque d’expertise des membres élus supposait de recourir à des experts capables d’utiliser et de
mobiliser des connaissances et des ressources juridiques.
2268 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« L’établissement des instances et personnes à
auditionner pouvant aider la Commission », 7 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 21 octobre 2019],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252dd (en arabe).
2269 Au cours de la première réunion de la CJJAFC, le président de la Commission a montré l’importance de
l’audition des représentants des juges en Tunisie. Selon Fadhel MOUSSA, les auditions aidaient les
membres de la Commission à se faire un avis sur la situation et la place de la justice au sein de la
Constitution à venir. Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission des juridictions
judiciaires, administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition des représentants de l’association
et du syndicat des magistrats », 5 mars 2012 [en
le 25 octobre 2019],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252d5 (en arabe).
ligne], [consulté
2270 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition des représentants de l’Union des Magistrats
Administratifs », 6 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs
/518e5bfc7ea2c422bec252d9 (en arabe).
515





Page 517
(première présidente du Tribunal administratif)2271. De plus, la CJJAFC a fait appel à
d’anciens bâtonniers de l’
Ordre national des avocats (Maîtres Samir ANNABI2272, Abdeljelil
BOURAOUI, Abdessatar BEN MOUSSA
2273, Lazhar KAROUI CHEBBI et Abderrazak
KILANI
2274) et à des Professeurs de droit (Mohamed Salah BEN AÏSSA, Ahmed
ESSOUSSI
2275, Sadok BELAÏD2276, Chafik SARSAR et Kaïs SAÏED2277).
Ces premières auditions sont significatives à plus d’un titre. D’une part, la CJJAFC a
auditionné les représentants des organisations de magistrats et d’avocats réprimés par le
pouvoir exécutif du régime précédent
2278. En dépit de leurs oppositions et des multiples
divergences, elle a d’autre part donné la parole aux organisations les plus représentatives des
praticiens du droit (magistrats et avocats) sans en favoriser une en particulier
2279. Si les
2271 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition de Madame Raoudha MECHICHI, première
présidente du Tribunal administratif », 12 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252e0 (en arabe).
2272 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition de Maître Samir ANNABI, ancien bâtonnier
de
ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252f4 (en arabe).
l’ordre national des avocats », 2 avril 2012 [en
2273 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition des Maîtres Abdeljelil BOURAOUI et
Abdessatar BEN MOUSSA, anciens bâtonniers de l’ordre national des avocats », 3 avril 2012 [en ligne]
,
[consulté le 25 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252f9 (en arabe).
2274 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition de Maîtres Lazhar KAROUI CHEBBI et
Abderrazak KILANI, anciens bâtonniers de l’ordre national des avocats », 4 avril 2012 [en ligne]
, [consulté
le 25 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252fd (en arabe).
2275 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition du Professeur Mohamed Salah BEN AÏSSA et
du Professeur Ahmed ESSOUSSI », 13 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252e4 (en arabe).
2276 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition du Professeur Sadok BELAÏD », 27 mars
2012 [en ligne], [consulté le 25 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec
252ee (en arabe).
2277 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition des Professeurs Chafik SARSAR et Kaïs
SAÏED concernant la justice constitutionnelle », 18 avril 2012 [en ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25303 (en arabe).
2278 C’est le cas de l’Association des Magistrats Tunisiens. Pour un aperçu non exhaustif de la répression des
magistrats et des avocats par le Ministère de la Justice et le Ministère de l’Intérieur sous le régime de BEN
ALI, cf. le rapport n° 553f de la
Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme sur
« L’instrumentalisation de la justice en Tunisie : ingérence, violations, impunité », janvier 2011, [en ligne],
[consulté le 20 mai 2020], https://www.ritimo.org/IMG/pdf/tunisieFIDH.pdf, 31 p.
2279 Pour une étude détaillée de ces oppositions et de ces divergences entre les avocats, les magistrats et les
différentes organisations de magistrats tunisiens, cf. E. GOBE, « Refonder le Conseil supérieur de la
magistrature dans la Tunisie post-Ben Ali : corporatismes juridiques et nouveaux arrangements
institutionnels »,
in Le droit à l’épreuve des algorithmes, 3 (103), Paris, Lextenso éditions/L. G. D. J.,
2019, pp. 629-648 et S. BEN ACHOUR, « La féminisation de la magistrature en Tunisie entre
516



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experts nationaux ont livré leurs avis et leurs opinions sur les garanties constitutionnelles à
accorder à la justice et aux praticiens du droit, ils n’ont pas écrit le chapitre relatif au
« pouvoir juridictionnel ». Qualifiés de «
véritable[s] passeur[s] »2280, ces experts étaient
essentiellement chargés d’importer des normes, des principes, des institutions ou des
mécanismes et de s’assurer de leur appropriation par les membres de la CJJAFC. L’analyse
des travaux préparatoires de la CJJAFC
2281 révèle qu'une majorité des experts consultés s’est
attardée sur les mêmes points.
En particulier, il était essentiel pour eux d’éviter l’instrumentalisation de la justice par le
pouvoir exécutif
2282. Il fallait disposer de l’indépendance, de la responsabilité et de la
compétence de la magistrature
2283 et des magistrats2284. Par ailleurs, il fallait s'assurer de
l’unité et de la spécificité des ordres juridictionnels
2285, tout autant que de l’effectivité des
décisions de justice
2286, de la mise en place d'un Conseil Supérieur de la Magistrature2287 et de
l’instauration d'une juridiction chargée de protéger la constitutionnalité de la loi et la
suprématie de la Constitution
2288.
émancipation féminine et autoritarisme politique », in L’Année du Maghreb, III, 2007, [en ligne], [consulté
le 4 novembre 2019], https://journals.openedition.org/anneemaghreb/353?lang=ar, pp. 55-74.
2280 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Le rôle de l’expertise dans la transition constitutionnelle », précit., p.
144.
2281 S’il est vrai que rien n’avait été prévu en ce qui concerne l’encadrement des auditions, les consultations des
experts nationaux par la CJJAFC répondaient à une certaine logique. Chaque expert auditionné commençait
par exposer ses fonctions ou l’objet et les buts de l’organisation qu’il représentait. Ensuite, il donnait son
avis sur la place à accorder à la justice au sein de la Constitution en élaboration et il répondait aux questions
des membres de la CJJAFC. Cette logique a été déduite de l’étude des travaux préparatoires à la CJJAFC.
Ayant traduit un par un les documents de la Commission, les propos qui suivent se basent exclusivement
sur un travail personnel de traduction et d’analyse de l’ensemble des travaux préparatoires des commissions
constituantes. Assez conséquent, le travail mené ne peut être retranscrit en intégralité en annexe à cette
thèse.
2282 Les magistrats et les avocats auditionnés avaient exercé sous l’ancien régime. Il est évident que leur
expérience personnelle était cruciale pour comprendre l’implication du pouvoir politique dans la fonction
de juger. Il est donc normal de constater qu’ils insistaient tous sur l’importance de l’indépendance de la
justice, des magistrats et des avocats.
2283 La « magistrature » est un terme souvent employé par les membres de la CJJAFC. Il se trouve dans les
articles de la Constitution, renvoyant à la fonction de magistrat et plus largement à celle de juger.
2284 Ces principes sont consacrés aux articles 102 à 105 de la Constitution.
2285 La première section du Chapitre V de la Constitution traite de manière générale de la justice judiciaire,
administrative et financière (articles 106 à 111). La sous-section II du Chapitre V expose plus précisément
ce qui relève de la justice judiciaire (article 115), la sous-section III de ce qui est relatif à la justice
administrative (article 116) et la sous-section IV de ce qui touche à la justice financière (article 117).
2286 L’article 111 de la Constitution du 27 janvier 2014 précise qu’il est interdit d’empêcher ou d’entraver
l’exécution des décisions de justice.
2287 La sous-section première du Chapitre V de la Constitution traite du Conseil Supérieur de la Magistrature.
2288 Section II du Chapitre V de la Constitution (articles 118 à 124).
517




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Bien qu’ils aient informé les 21 membres de la CJJAFC sur les principes et les objectifs qui
régissent le fonctionnement de la justice, leur rôle n’était pas exclusivement juridique. En
exposant l’état de la justice sous la Tunisie de BEN ALI et en proposant les garanties
constitutionnelles à lui accorder, ils ont à la fois illustré « l’usage politique fait du droit et de
l’ingénierie constitutionnelle et institutionnelle et le rôle conféré au droit et aux agencements
institutionnels dans la résolution des conflits.
»2289 Afin d’analyser l’influence des experts
nationaux sur l’écriture du Chapitre V de la Constitution
2290, il est nécessaire d’évoquer
l’apport de quelques-unes de ces auditions. Pour être pertinent, ne seront exposées que les
auditions des praticiens et des professeurs de droit qui ont impacté la forme et/ou le fond du
Chapitre V.
Au cours de son audition, le Professeur Mohamed Salah BEN AÏSSA2291 a exposé le principe
d’indépendance de la justice, l’état de la justice administrative et ses avancées depuis
l’adoption de la Constitution du 1
er juin 1959. A plus d'un titre, il est intéressant de relever
qu’il a comparé la justice administrative tunisienne à la justice administrative française. Bien
qu’il n’ait pas donné les caractéristiques du modèle français, il est nécessaire d’en exposer les
composantes essentielles
2292. Le Professeur Hélène PAULIAT définit le modèle français de
justice administrative comme « un ordre juridictionnel complètement distinct de l’ordre
judiciaire, de la première instance à la cassation en passant par l’appel.
»2293 Chapeauté par
le Conseil d’Etat, l’ordre administratif est séparé de l’ordre judiciaire et il est indépendant de
lui et du pouvoir politique
2294. Le Conseil d’Etat se charge en effet du budget et de
l’organisation administrative des tribunaux et cours administratives d’appel
2295. En dépit de
cette indépendance, la Constitution du 4 octobre 1958 fait toujours référence à l’autorité
2289 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Le rôle de l’expertise dans la transition constitutionnelle », précit., p.
143.
2290 Chapitre relatif au « pouvoir juridictionnel ».
2291 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition du Professeur Mohamed Salah BEN AÏSSA et
du Professeur Ahmed ESSOUSSI », 13 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252e4 (en arabe).
2292 Ces composantes ne sont pas exhaustives. Elles sont déduites de l’audition précitée du Professeur Mohamed
Salah BEN AÏSSA. Seules sont donc exposées, les composantes du modèle français de justice
administrative qui servent la démonstration du Professeur.
2293 H. PAULIAT, « Le modèle français d’administration de la justice : distinctions et convergences entre justice
judiciaire et justice administrative »,
in Revue française d’administration publique, 2008/1, n° 125, p. 94.
2294 Pour de plus amples informations sur la dualité de juridiction en France cf. J. CHEVALLIER, L’élaboration
historique du principe de séparation de la juridiction administrative et de l’administration active, Paris,
LGDJ, 2015, 324 p. Voir également J. CHEVALLIER, « Du principe de séparation au principe de
dualité »,
in Revue française de droit administratif, 1990, pp. 712-723.
2295 H. PAULIAT, « Le modèle français d’administration de la justice : distinctions et convergences entre justice
judiciaire et justice administrative », précit., p. 97.
518



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administrative. Cela contraste pourtant avec la décision du 23 janvier 1987 dans laquelle le
Conseil constitutionnel a constitutionnalisé l’existence d’une juridiction administrative en
France
2296.
La dualité des ordres juridictionnels et la reconnaissance constitutionnelle de la juridiction
administrative sont les deux composantes du modèle français qui intéressent le plus, le
Professeur Mohamed Salah BEN AÏSSA. Instrument de mesure, la dualité des ordres
juridictionnels française sert à évaluer l’avancée de la justice administrative tunisienne.
Malgré l’antériorité historique des juridictions administratives françaises, les juridictions
administratives tunisiennes
2297 ont atteint le même niveau de développement : le Professeur
insiste dans sa démonstration sur l’importance de la dualité des juridictions en Tunisie et
affirme qu’elle a été fonctionnelle au cours des quarante dernières années, comme dans de
nombreux Etats démocratiques
2298. Ce premier constat permet de relever que Mohamed Salah
BEN AÏSSA a utilisé les méthodes traditionnelles d’analyse de la doctrine juridique. Cette
dernière est en effet « souvent tentée de porter des jugements de portée générale et absolue, et
de jauger les évolutions constitutionnelles et les montages juridiques à l’aune des grandes
théories classiques, aux modèles existants, aux dispositifs et méthodes développées par les
systèmes réputés comme sources traditionnelles du droit constitutionnel.
»2299
Auditionné en tant qu’expert national, son analyse ne s’arrête pas là : spécialiste du droit et
des institutions publiques tunisiennes, il propose des solutions inédites, en rupture avec le
modèle français de référence. Il exhorte en effet les membres de la CJJAFC à matérialiser le
principe d’indépendance de la justice, au sein de la Constitution. Afin d’émanciper la justice
du pouvoir politique et de préserver la séparation et l’équilibre des pouvoirs
2300, il incite les
2296 Décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987. En vertu de cette décision, certains litiges relèvent de la
compétence exclusive de la juridiction administrative. Cette décision a été précédée par celle du 22 juillet
1980 (décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980) qui consacre l’indépendance de la juridicton
administrative comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
2297 Pour une analyse complète de la naissance du droit et des juridictions administratives en Tunisie cf. Y. BEN
ACHOUR, Droit administratif, op.cit., 540 p.
2298 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition du Professeur Mohamed Salah BEN AÏSSA et
du Professeur Ahmed ESSOUSSI », 13 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252e4 (en arabe).

2299 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Le rôle de l’expertise dans la transition constitutionnelle », précit., p.
144.
2300 Pour plus de précisions sur ce point, cf. S. KLIBI, « Séparation et équilibre des pouvoirs dans la
Constitution »,
in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE
LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et perspectives,
op.cit.,
pp. 503-513.
519




Page 521
membres de la CJJAFC, à élaborer un chapitre propre au « pouvoir juridictionnel »2301. Ce
dernier devait comprendre la justice judiciaire, administrative et financière
2302. Il propose par
ailleurs l’écriture d’un chapitre distinct et propre à la juridiction constitutionnelle
2303.
Adaptées à la Tunisie postrévolutionnaire, les solutions et les distinctions qu’il opère
s’éloignent donc du modèle français exposé. A l’opposé de la Constitution française du 4
octobre 1958, la Constitution tunisienne devra disposer d’un véritable pouvoir juridictionnel
qu’il soit administratif ou judicaire.
La lecture de la Constitution du 27 janvier 2014 permet de relever que les conseils de
Mohamed Salah BEN AÏSSA ont été suivis : le Chapitre V qui traite du « pouvoir
juridictionnel » comprend deux sections bien séparées. Alors que la première évoque la
justice judiciaire, administrative et financière, la seconde aborde la Cour constitutionnelle
2304.
Il est important d’identifier les impacts que ces propositions formelles ont eus sur la
Constitution et le droit constitutionnel de la Deuxième République.
Frédéric Joël AÏVO affirme que « seul un juge constitutionnel autonomisé et soustrait de la
tutelle d’une autre juridiction peut prétendre remplir un office authentique et une fonction
contentieuse orthodoxe. Une telle mission, il est vrai périlleuse, est, dans un environnement
politique longtemps hostile à l’action du juge indépendant, pourtant indispensable à la
crédibilité du projet démocratique revendiqué.
»2305 Les propositions formelles du
Professeur Mohamed Salah BEN AÏSSA ont une justification matérielle : au fait de l’histoire
constitutionnelle et politique de la Tunisie, il a cherché à distinguer le « pouvoir
juridictionnel » du pouvoir politique et les fonctions de la juridiction constitutionnelle de
celles des juridictions ordinaires. Les distinctions opérées par le Professeur et retenues par les
constituants envoient deux signaux forts à la communauté internationale : elles rappellent « la
suprématie de la constitution dans l’ordre juridique et rend[ent] obligatoire son respect par
l’Etat et ses corps constitués.
»2306 Les solutions avancées par le Professeur doivent en fin de
2301 Pour plus d’informations sur ce point, cf. l’intervention du Professeur Mohamed Salah BEN AÏSSA sur le
pouvoir juridictionnel lors de la troisième lecture du projet de Constitution organisée par l’
ATDC et l’ARTD
le 2 mai 2013 à Tunis, [en ligne], [consulté le 4 novembre 2019], https://www.youtube.com/
watch?v=oybB3ttHzPI (en arabe).

2302 La Constitution française du 4 octobre 1958 ne dispose pas du « pouvoir juridictionnel », mais uniquement
de l’autorité judiciaire (Titre VIII de la Constitution).
2303 Le Titre VII de la Constitution française du 4 octobre 1958 traite quant à lui du Conseil constitutionnel.
2304 La distinction constitutionnelle entre juridictions ordinaires et juridiction constitutionnelle fait l’objet du A.
du Paragraphe 2 qui suit.
2305 F. J. AÏVO, « Les constitutionnalistes et le pouvoir politique en Afrique », précit., p. 785.
2306 Ibid., p. 788.
520




Page 522
compte être regardées comme des avancées significatives en matière constitutionnelle : c’est
en soignant la forme constitutionnelle que les idées progressent et produisent des effets dans
le nouvel ordre juridique posé par la Constitution. Bien que ses propos aient au début,
concerné la justice administrative, ses propositions finales rappellent la suprématie de la
Constitution et la soumission de l’Etat au droit.
Son intervention est confortée par les auditions des Professeurs Sadok BELAÏD2307, Chafik
SARSAR et Kaïs SAÏED
2308 qui apportent un certain nombre de connaissances aux
constituants et font d’eux des élus conscients des exigences démocratiques et de la réalité du
système juridictionnel. Leur éclairage sur le droit constitutionnel et les institutions nationales
et/ou comparées cherchent à prévenir les écueils du passé ou ceux des systèmes
constitutionnels et juridictionnels étrangers
2309.
A l’instar du Professeur Mohamed Salah BEN AÏSSA, le Professeur Sadok BELAÏD était en
faveur d’une indépendance totale de la juridiction constitutionnelle. Il a d’ailleurs affirmé
qu’en l’état actuel du droit, il n'était plus possible de parler d’un véritable régime
démocratique sans l'existence d’une juridiction constitutionnelle en charge du contrôle de la
constitutionnalité des lois. Afin de le démontrer, il a commencé par exposer l’histoire de la
justice constitutionnelle et le développement du contrôle de constitutionnalité des lois
2310 dans
2307 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition du Professeur Sadok BELAÏD », 27 mars
2012 [en ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec
252ee (en arabe).
2308 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles, « Audition des Professeurs Chafik SARSAR et Kaïs
SAÏED concernant la justice constitutionnelle », 18 avril 2012 [en ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25303 (en arabe).
2309 N. DANELCIUC-COLODROVSCHI, « L’incidence des influences constitutionnelles externes sur
l’écriture et l’adoption des constitutions postconflictuelles »,
précit., p. 109. Voir également C. CHAUVEL,
C. RODRIGUES et R. DE SILVA, « Réflexions sur l’élaboration des constitutions à travers le monde :
Etude comparative des bonnes pratiques et des enseignements tirés »,
précit., pp. 364-365.
2310 Ces considérations sont appuyées par le Professeur Kaïs SAÏED qui expose au cours de son intervention les
différentes formes et procédures de contrôle de constitutionnalité des lois en Tunisie (et ce depuis les
travaux de la première Assemblée Nationale Constituante à la mise en place du Conseil constitutionnel). Le
Professeur Chafik SARSAR insiste quant à lui sur les différents types de justices constitutionnelles et de
contrôles de constitutionnalité des lois en droit comparé. Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission des juridictions judiciaires, administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition des Professeurs Chafik SARSAR et Kaïs SAÏED concernant la justice constitutionnelle »,
18 avril 2012 [en ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7
ea2c422bec25303 (en arabe).
521




Page 523
le monde2311. Cet exposé a alors contribué à « un nécessaire recul que doit avoir l’expert, à la
recherche de solutions pertinentes, par rapport à lui-même et à son cadre juridique
habituel.
»2312 Bien que les différents Professeurs de droit auditionnés aient exposé et identifié
les choix possibles que leur offre le droit comparé, ils ont adapté leurs exposés au contexte de
transition constitutionnelle propre à la Tunisie. Autrement dit, ils n’ont évoqué que les
éléments qui leur semblaient les plus propices et les plus adaptés à la situation de la justice et
des juges en Tunisie
2313. Leur rôle n’était donc pas uniquement juridique : ils ont mis leurs
connaissances au service des élus de l’ANC, des politiques et de l’agencement institutionnel
de la Tunisie postrévolutionnaire.
Si les échanges des membres de la CJJAFC avec les Professeurs de droit les ont renseignés
sur le droit et le système juridictionnel à adopter, les consultations des praticiens du droit leur
ont permis de modifier et de parfaire le Chapitre V relatif au « pouvoir juridictionnel ». Le
témoignage de Fadhel MOUSSA est significatif à cet égard : « Je peux ainsi témoigner qu’au
moment où on rédigeait et refaçonnait les articles dans des réunions interminables et
mouvementées, qui se sont succédées jusqu’à la fin
2314, il m’est arrivé de faire le va-et-vient
entre les représentants de l’association des magistrats tunisiens ou du syndicat des magistrats
et la commission de consensus pour discuter de la formulation de certains articles et leur
apporter des modifications dont on trouve aujourd’hui la trace dans la Constitution. Il en est
2311 Le Professeur Sadok BELAÏD affirme que le contrôle de constitutionnalité des lois fait naître deux
principes essentiels qui sont : l’application des lois conformes à la Constitution et la protection des libertés
et des droits fondamentaux.
2312 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Le rôle de l’expertise dans la transition constitutionnelle », précit.,
p. 143. Il est nécéssaire de souligner que les travaux préparatoires de la CJJAFC ne révèlent pas la teneur
de l’exposé. Il est juste fait référence à l’utilisation par la personne auditionnée du droit comparé. On ne sait
donc pas quel modèle de droit étranger a été mobilisé.
2313 Ceci est d’autant plus vrai que le Professeur Sadok BELAÏD exhorte les membres de la CJJAFC à prévoir
une saisine de la juridiction constitutionnelle par les citoyens. A l’instar de la question prioritaire de
constitutionnalité française, il propose différents filtres et plusieurs conditions à remplir pour qu'un citoyen
saisisse la juridiction constitutionnelle à propos de la constitutionnalité d’une loi promulguée. Pour plus de
précisions sur la question prioritaire de constitutionnalité en France, cf. J. GICQUEL, « La QPC :
Parachèvement de l’Etat de droit en droit constitutionnel français l’accès du citoyen au juge
constitutionnel »,
in R. BEN ACHOUR (dir.), Constitution, citoyenneté et justice constitutionnelle : Entre
exigence démocratique et recompositions territoriales
, op.cit., pp. 89-97.
2314 L’Association et le Syndicat des Magistrats Tunisiens s’invitent aux négociations constitutionnelles lors des
débats relatifs au Chapitre V. Le Professeur Jean-Philippe BRAS affirme en effet que « [l]
e 7 janvier 2014,
quand l’ANC entame la discussion du chapitre V relatif au pouvoir judiciaire, les deux organisations
professionnelles représentant les magistrats, le Syndicat des magistrats tunisiens et l’Association des
magistrats tunisiens, lancent un mot d’ordre de grève qui sera largement suivi jusqu’à la clôture des débats
sur ce chapitre.
» J.-P. BRAS, « De l’Etat légal à l’Etat de droit ? Le statut constitutionnel de la justice au
Maghreb »,
in E. GOBE (dir.), Des justices en transition dans le monde arabe ? Contributions à une
réflexion sur les rapports entre justice et politique
, Rabat, Centre Jacques-Berque, coll. « Description du
Maghreb », Open Edition, 2016 [en ligne], http://books.openedition. org/cjb/753, p. 62.
522



Page 524
ainsi, à titre d’exemple, de l’article 106. »2315 Afin de comprendre les propos du président de
la CJJAFC et de savoir quel a été le rôle de l’Association et du Syndicat des Magistrats
Tunisiens
2316 dans l’écriture de l’article 106, il est utile d’exposer le contexte dans lequel il a
été élaboré.
L’article 106 de la Constitution ne contenait au départ que le premier alinéa selon lequel les
magistrats sont nommés par décret présidentiel sur avis conforme du Conseil Supérieur de la
Magistrature (CSM). Cet alinéa qui semblait faire l’objet d’un consensus, s’appliquait à toutes
les nominations, celles des magistrats ordinaires et celles des Hauts magistrats
2317. Le 13
janvier 2014, une grande majorité des membres présents à l’ANC adopte pourtant un
amendement qui précise que « les nominations aux hautes fonctions judiciaires se font par
décret gouvernemental sur proposition du ministre de la Justice.
»2318 Ainsi formulé, l’article
106 remettait en question les principes d’égalité entre les magistrats et d’indépendance de la
justice. De manière plus générale, l’amendement voté détruisait l’édifice constitutionnel
postrévolutionnaire qui voulait rompre avec les anciennes pratiques politiques
2319.
Victimes de la répression sous BEN ALI, les partisans d’Ennahdha avaient subi les effets des
décisions arbitraires de certains magistrats asservis au pouvoir. A la chute de BEN ALI, la
majorité acquise par les islamistes à l’ANC les conduisait à vouloir à leur tour, asservir la
magistrature en soumettant la nomination des magistrats à la discrétion de l’Exécutif. A la
suite de l’amendement du 13 janvier 2014, les deux organisations de magistrats ont appelé à
la grève des audiences et à un
sit-in devant l’ANC2320. Egalement opposé à la formulation de
l’article 106, le bloc parlementaire Démocrates s’est rallié à la contestation. La Commission
de coordination du
Dialogue national avec l’ANC2321 a alors dû intervenir pour résoudre la
2315 F. MOUSSA, « Quelle justice voulons-nous ? Le procès équitable dans la nouvelle Constitution », précit.,
p. 527.
2316 Pour plus d’informations sur les distinctions à opérer entre l’Association et le Syndicat des Magistrats
Tunisiens, cf. S. GHAMROUN, « A qui s’adressent les juges ? Les magistrats tunisiens et égyptiens face
aux aléas de la représentation professionnelle »,
in E. GOBE (dir.), Des justices en transition dans le monde
arabe ? Contributions à une réflexion sur les rapports entre justice et politique, op.cit.,
pp. 121-132.
2317 Présidents des cours et tribunaux.
2318 E. GOBE, « Introduction. Justice et politique dans le monde arabe entre autoritarisme, réforme et
révolution »,
in E. GOBE (dir.), Des justices en transition dans le monde arabe ? Contributions à une
réflexion sur les rapports entre justice et politique, op.cit.,
p. 8.
2319 Autrement dit l’immixtion du pouvoir exécutif dans les fonctions juridictionnelles.
2320 E. GOBE, « Introduction. Justice et politique dans le monde arabe entre autoritarisme, réforme et
révolution », précit., p. 8.
2321 Pour rappel : instaurée le 25 décembre 2013, cette commission a eu pour rôle de faire passer les actes du
Dialogue national auprès de l’ANC par le biais de la Commission des consensus. Elle a aussi fait connaître
aux acteurs du
Dialogue national, les résistances ou les contre-propositions de députés à l’ANC.
523




Page 525
crise et la Commission des consensus imposer finalement une nouvelle rédaction de l’article
106. Ce dernier contient désormais un deuxième alinéa qui précise que « [l]es hauts
magistrats sont nommés par décret présidentiel en concertation avec le Chef du
Gouvernement et sur proposition exclusive du Conseil supérieur de la magistrature. La loi
détermine les hauts emplois de la magistrature.
»2322
Malgré des débats houleux, cette nouvelle rédaction a été validée en toute dernière minute. En
dépit des compromis, le changement apporté à l’article 106 n’est pas significatif en réalité. En
effet, le CSM garde la main sur les nominations des magistrats (alinéa 1) et des Hauts
magistrats (alinéa 2)
2323. Nonobstant, il est important de souligner que l’Association et le
Syndicat des Magistrats Tunisiens ont agi en dehors de l’ANC et en collaboration avec les
élus des commissions constituantes pour élaborer un texte de compromis. Fervents défenseurs
du principe d’indépendance de la magistrature et des magistrats, ils ont veillé à ce que les
constituants consacrent ce principe sans y porter atteinte.
Par ailleurs, la présence active des avocats dans la vie politique et institutionnelle de la
Tunisie révolutionnaire, a conduit les constituants à leur réserver une place de choix au sein
du chapitre relatif au « pouvoir juridictionnel ». L’entretien réalisé le 28 février 2014 à Tunis
par Éric GOBE avec Maître Samir ANNABI, ancien bâtonnier de l’Ordre national des
avocats, est significatif à cet égard : « forts de leurs 33 députés à l'Assemblée nationale
constituante (seconde profession la plus représentée dans ladite assemblée après les 77
enseignants), les avocats ont fait en sorte que la profession et ses missions soient
constitutionnalisées.
»2324 L’article 105 de la Constitution actuelle précise en effet que « [l]a
profession d’avocat est libre et indépendante. Elle participe à l’instauration de la justice et à
la défense des droits et libertés. L’avocat bénéficie des garanties légales qui assurent sa
protection et lui permettent d’exercer ses fonctions.
»2325 Bien que le 17 janvier 2013, cet
article ait été adopté à la majorité des membres de l’ANC, les autres praticiens du droit à
l’instar des notaires, ont réclamé le même statut constitutionnel que les avocats. « Ils
2322 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 106, deuxième alinéa.
2323 F. MOUSSA, « Quelle justice voulons-nous ? Le procès équitable dans la nouvelle Constitution », précit.,
p. 527.
2324 E. GOBE, « Entre logiques politiques et revendications corporatistes. Les mobilisations d’avocats dans la
Tunisie post-Ben Ali (2011-2014) »,
in E. GOBE (dir.), Des justices en transition dans le monde arabe ?
Contributions à une réflexion sur les rapports entre justice et politique, op.cit.
, p. 144.
2325 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 105.
524




Page 526
estimaient que les avocats ne sont pas les seuls à participer à la bonne administration de la
justice et à garantir le droit au procès équitable.
»2326 S’il est certain que les avocats ne sont
pas les uniques défenseurs des droits et des libertés des Tunisiens, leur forte représentation à
l’ANC et leur activisme en dehors du palais du Bardo
2327 leur ont assuré une place de choix
dans la Constitution du 27 janvier 2014.
De fait, les principes d’indépendance de la justice et des praticiens du droit (magistrats et
avocats) sont essentiels à l’instauration du nouvel Etat de droit. Ils sont et restent cependant
vains s’ils ne sont pas ardemment défendus par des hommes et des femmes conscients de leur
importance. Etant donné leurs expériences et leur activisme au moment du processus
constituant, les professeurs et les praticiens de droit auditionnés par la CJJAFC ont largement
influencé l’écriture du Chapitre V de la Constitution. Bien que les 21 membres de la CJJAFC
aient eu besoin de consulter des experts nationaux pour s’informer et être au fait du droit et de
la situation de la justice en Tunisie, ils sont à force d’auditions, d’informations et de voyages
à l'étranger, devenus à leur tour des experts en matière de justice.
2. L’importance des visites des constituants à l’étranger
Lors des deuxième2328 et troisième2329 réunions de la CJJAFC, Fadhel MOUSSA a discuté du
déplacement d’un nombre limité de membres de la Commission en Allemagne et en France,
pour étudier le système juridictionnel des pays européens
2330. Comme il a précédemment été
2326 Note de bas de page 44 in F. MOUSSA, « Quelle justice voulons-nous ? Le procès équitable dans la
nouvelle Constitution », précit., p. 537.
2327 Pour plus d’informations sur le rôle des avocats entre 2011 et 2014, cf. E. GOBE « Entre logiques
politiques et revendications corporatistes. Les mobilisations d’avocats dans la Tunisie post-Ben Ali (2011-
2014) »,
précit., pp. 136-146.
2328 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition des représentants de l’Union des Magistrats
Administratifs », 6 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs
/518e5bfc7ea2c422bec252d9 (en arabe).
2329 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« L’établissement des instances et personnes à
auditionner pouvant aider la Commission », 7 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 21 octobre 2019],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252dd (en arabe).
2330 Puisqu’il ne s’agit ici que de l’élaboration du Chapitre V relatif au « pouvoir juridictionnel », ne seront
abordés que les échanges au sujet de la justice entre les membres de la CJJAFC et les rapporteurs de la
Commission de Venise. Pour ce qui est des activités de la Commission de Venise et sa collaboration en
2012 avec les autres commissions constituantes, cf. le rapport annuel des activités de 2012 de la
Commission de Venise, Doc. CDL-RA(2012)001, at19, 46, août 2013, [en ligne], [consulté le 30 octobre
2019], https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-RA(2012)001-f, 110 p.

525






Page 527
souligné2331, les membres de la CJJAFC ont fait un voyage d’étude à Strasbourg et à
Karlsruhe
2332 les 29 et 30 mars 2012. « La délégation, composée de 11 personnes du groupe
de rédaction du chapitre “Justice” de la nouvelle Constitution tunisienne, était invitée à
Strasbourg par la Commission de Venise aux fins d’une visite d’étude des organes du Conseil
de l’Europe (dont la Cour européenne des droits de l’Homme et l’Assemblée parlementaire)
et à Karlsruhe (Allemagne) pour visiter la Cour suprême fédérale et la Cour constitutionnelle
fédérale.
»2333 Afin de bien préparer les membres de la CJJAFC à la visite d’étude2334 et de
leur donner tous les éléments nécessaires à l’appréhension des systèmes juridictionnels
européens, la Commission de Venise
2335 a organisé les 21 et 22 mars 2012 à Tunis, un
séminaire sur l’indépendance de la justice
2336, en coopération avec le Syndicat des Magistrats
Tunisiens et l’Union des Magistrats Administratifs. « Ce séminaire a été l’occasion pour les
participants de discuter en profondeur des garanties constitutionnelles de l’indépendance de
la justice, des conseils judiciaires, de la carrière de magistrat et des garanties statutaires
notamment.
»2337 Il est important de souligner que les experts nationaux (le Syndicat des
Magistrats Tunisiens et l’Union des Magistrats Administratifs) s’associent aux experts
internationaux dépêchés par la Commission de Venise pour informer et former les
constituants. L’expertise extérieure n’a donc en aucun cas été imposée à la Tunisie. Le
2331 Cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 1 du Titre II de la PARTIE I de cette thèse, relatif à
l’appui des organisations nationales et internationales à l’ANC, p. 234.
2332 A la suite de la visite d’étude à l’étranger, une délégation de la Commission de Venise et de
l’OSCE/BIDDH s’est entretenue en décembre 2012 avec le Ministère tunisien de la Justice, au sujet de la
réforme de la justice. Les échanges ont essentiellement porté sur la législation en vigueur et les différentes
manières de l’améliorer.
2333 Voir le rapport annuel des activités de 2012 de la Commission de Venise, Doc. CDL-RA(2012)001, at19,
46, août 2013, [en ligne], [consulté le 30 octobre 2019], https://www.venice.coe.int/webforms/documents
/?pdf=CDL-RA(2012)001-f, p. 46.
2334 Le rapport annuel précité fait état des différentes formes de collaboration entre les constituants tunisiens et
les rapporteurs de la Commission de Venise. Bien avant la visite d’étude des membres de l’ANC à
Strasbourg et à Karlsruhe, une délégation de la Commission de Venise a participé les 17 et 18 janvier 2012
à Tunis, à l’atelier de l’American Bar Association - Rule of Law Initiative – Conseil arabe des études
judiciaires et juridiques sur « le rôle d’une justice indépendante au Proche-Orient et en Afrique du Nord ».
La Commission de Venise y a présenté le principe d’indépendance de la justice, ses critères d’applicabilité
et les expériences des pays d’Europe centrale et orientale en la matière.
2335 La Commission de Venise a organisé ce séminaire avec la Division du Conseil de l’Europe pour
l’indépendance et l’efficacité de la justice. Ce séminaire faisait partie du programme « Renforcer la réforme
démocratique dans les pays du voisinage méridional » de l’Union européenne.
2336 En 2012, la Commission de Venise a participé à des échanges avec les constituants et les experts
internationaux ont noué des relations de travail fructueuses avec les commissions de l’ANC. Une aide
importante de la Commission de Venise a d’ailleurs été mobilisée dans deux domaines bien précis : la
réforme du système judicaire et l’amélioration des lois et des pratiques électorales. Les activités de la
Commission de Venise en Tunisie ont essentiellement été financées par des contributions volontaires de la
France et de la Norvège. Pour plus de précisions sur ce point, cf. le rapport annuel des activités de 2012 de
la Commission de Venise, Doc. CDL-RA(2012)001, at19, 46, août 2013, [en ligne], [consulté le 30 octobre
2019], https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-RA(2012)001-f, p. 72.

2337 Ibid.
526


Page 528
« capital sympathie » dont bénéficiait le pays de la part de la communauté internationale a
cependant profité aux 217 élus de l’ANC.
Les multiples échanges avec les rapporteurs ou les représentants de la Commission de Venise
et les experts nationaux, ont permis à la CJJAFC de se rendre compte que la justice ne se
réduisait pas à la dimension processuelle, mais qu’elle s’appuyait aussi et surtout sur une
«
plateforme substantielle et organisationnelle. »2338 A force de s’informer et d’être formés, la
CJJAFC s'est appropriée les principes essentiels au bon fonctionnement de la justice. Avant
de se pencher sur ces principes, il est nécessaire de souligner que les membres de la CJJAFC
ont consolidé leurs connaissances par une étude de terrain : c’est en voyageant, en étant
confronté aux institutions, aux juridictions et aux personnalités publiques étrangères qu’ils ont
assimilé les principes qui régissent l’organisation et le fonctionnement de la justice et qu’ils
ont acquis le langage juridique précis et adéquat.
Les travaux préparatoires à la CJJAFC révèlent justement que le président de la Commission
a dégagé les principes de confiance légitime et celui du droit au procès équitable à partir du
compte-rendu
2339 des visites effectuées. Lors de la quinzième réunion de la CJJAFC2340, ses
membres se sont en effet accordés sur les principes généraux à inclure dans le Chapitre V de
la Constitution : l’indépendance et l’unité du pouvoir juridictionnel, ainsi que l’impartialité et
l’inamovibilité des juges
2341. Il était également question de garantir le droit d’ester en justice,
d'assurer l'équité des procès
2342 et d’incriminer l’ingérence dans les affaires de la justice, aussi
2338 F. MOUSSA, « Quelle justice voulons-nous ? Le procès équitable dans la nouvelle Constitution », précit.,
p. 527.
2339 La treizième réunion de la CJJAFC a été dédiée au compte-rendu des visites effectuées. Puis, le président
de la Commission a dégagé les principes fondamentaux sur lesquels sont fondées les juridictions. Il a
insisté sur le principe pour les citoyens, de confiance en la justice et de procès équitable. Les travaux
préparatoires de la CJJAFC précisent également qu’il est possible pour les constituants, de s’inspirer des
expériences comparées dans le respect du principe du procès équitable, qui sera prévue par la Constitution.
Pour plus de précisions sur ce point, voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission
des juridictions judiciaires, administratives, financières et constitutionnelles,
« Evaluation du travail de la
Commission et le compte-rendu de la visite d’un groupe de députés au Conseil européen et à la Cour
européenne des droits de l’Homme en France et au Tribunal constitutionnel fédéral et à la Cour Suprême en
Allemagne
2019],
[consulté
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec2530e (en arabe).
novembre
ligne],
2012
avril
[en
24
2340 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« La question de la date limite de l’élaboration de la
Constitution, la question de la publication des PV de la Commission et l’étude comparative entre différents
projets de constitution proposés devant la Commission », 14 mai 2012 [en ligne], [consulté le 4 novembre
2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec2531c (en arabe).
2341 Ces principes font l’objet du B. qui suit.
2342 L’objet de ces développements n’est pas de s’attarder sur les différents droits consacrés par la Constitution
du 27 janvier 2014. Il s’agit essentiellement de savoir comment les membres de la CJJAFC ont organisé le
»,
le
4
527




Page 529
bien que les tentatives d’influencer les juges. Actuellement prévus aux articles 102, 107, 108
et 109 de la Constitution, ces principes n’ont été consacrés par les membres de la Commission
qu’après les auditions, les consultations et les voyages.
Par ailleurs, ces séjours à l'étranger ont permis de faire connaître l’expérience tunisienne. Au
cours de la quatorzième réunion de la CJJAFC
2343, la Commission s'est attardée sur le
compte-rendu de la conférence de presse de la délégation tunisienne à Strasbourg. Ses
membres ont en effet été questionnés sur la situation politique, économique et sociale de la
Tunisie postrévolutionnaire. Alors que la CJJAFC avait acquis nombre de connaissances au
contact des experts extérieurs à l’ANC, elle a à son tour permis aux personnalités étrangères
et plus largement à la communauté internationale, d'appréhender le contexte politique et
juridique tunisien.
La circulation des idées et la mobilité des personnes permettent de mieux connaître le droit
constitutionnel étranger et de transmettre des expériences constitutionnelles inédites.
Conjuguée à l’expérience politique de la Tunisie de l’ancien régime, l’inévitabilité du droit
constitutionnel comparé a amené les membres de la CJJAFC à penser la mise en place d’un
« pouvoir juridictionnel » indépendant du pouvoir politique.
juridique, 9ème édition, 30 septembre 2019, [en
« pouvoir juridictionnel » à partir des auditions des experts et des visites à l’étranger. Pour plus de
précisions sur le droit au procès équitable tel que prévu par la Constitution et garantit par la pratique, cf.
Democracy Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution tunisienne au niveau du
le 1
er
janvier 2020],
cadre
https://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-TN_rapport_suivi
_mise-en-
oeuvre_constitution_septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, pp. 25-27. Voir en particulier Democracy
Reporting International, rapport sur le « Contentieux publics et [le] droit à un procès équitable – Examen
des procédures suivies devant certaines juridictions au regard des dispositions constitutionnelles relatives
au droit à un procès équitable », novembre 2017, [en ligne], [consulté le 16 novembre 2019],
http://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/01/DRI-TN-FCO_Rapport-contentieux-publics-
at-droit-%C3%A0-und-proc%C3%A8s-%C3%A9quitable_FR_web.pdf, 36 p.
ligne], [consulté
2343 Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Compte-rendu de la visite d’un groupe de députés au
Conseil européen et à la Cour européenne des droits de l’Homme en France et au Tribunal constitutionnel
fédéral et à la Cour suprême en Allemagne », 25 avril 2012 [en ligne]
, [consulté le 5 novembre 2019],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec25315 (en arabe).
528







Page 530
B.
La mise en place d’un « pouvoir juridictionnel » indépendant du pouvoir
politique
Dans une lettre ouverte adressée le 6 juillet 2001 au président BEN ALI, le président de la
dixième chambre civile du Tribunal de Première Instance de Tunis, Mokhtar YAHYAOUI,
dénonçait l’absence totale d’indépendance du pouvoir judiciaire. Révolté contre les pressions
politiques, il accusait le pouvoir d’obliger les magistrats à prononcer des jugements « dictés
d’avance, imperméables à tout appel, et ne reflétant en rien la loi.
»2344 Sous le régime de la
Constitution du 1
er juin 1959, la justice et les praticiens du droit étaient soumis, dans
l’exercice de leurs fonctions, aux pressions des Ministères de la Justice et de l’Intérieur
2345. La
révolution a dénoncé ces pressions
2346 et l’instrumentalisation de certains magistrats par
l’Exécutif a jeté l'opprobre sur ces derniers
2347. Pour tenter de rétablir un lien de confiance
entre les Tunisiens et leur justice, les membres de la CJJAFC devaient commencer par
affranchir les juridictions et émanciper les juges de la tutelle du pouvoir politique
2348. Cela est
notamment passé par la reconnaissance constitutionnelle de la justice comme un véritable
pouvoir et non plus comme une simple autorité. Afin de bien comprendre les articles du
Chapitre V de la Constitution du 27 janvier 2014, il est nécessaire de les comparer aux
dispositions de la Constitution du 1
er juin 1959. De la sorte, les avancées constitutionnelles de
la Tunisie en matière de justice seront appréhendées plus clairement.
2344 « En Tunisie, le juge rebelle suspendu et privé de salaire », Le Monde [en ligne], publié le mardi 17 juillet
2001, [consulté le 12 novembre 2019], https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/07/17/en-tunisie-le-
juge-rebelle-suspendu-et-prive-de-salaire_208222_1819218.html.
2345 Pour un aperçu non exhaustif de la répression des magistrats et des avocats par le Ministère de la Justice et
le Ministère de l’Intérieur sous le régime de BEN ALI, cf. le rapport n° 553f de la
Fédération
Internationale des Ligues des Droits de l’Homme
sur « L’instrumentalisation de la justice en Tunisie :
ingérence, violations,
le 20 mai 2020],
janvier 2011,
https://www.ritimo.org/IMG/pdf/tunisieFIDH.pdf, 31 p.
impunité »,
[consulté
ligne],
[en
2346 J. AJROUD, « L’indépendance de la justice en Tunisie », in Revue française de droit constitutionnel,
2011/2, n° 86, p. 427.
2347 Invité le 21 janvier 2011 à une émission de débat sur la chaîne Hannibal TV, le juge Hamda CHAOUACHI
a été expulsé en direct du plateau télévisé. Les téléspectateurs le huaient en l’accusant d’avoir pris des
décisions dictées par le pouvoir politique. Mehrez HAMMAMI, également juge sous BEN ALI a lui aussi
dû quitter une salle d’audience du palais de justice de Tunis sous la pression de ses confrères et des avocats
du barreau de Tunis. En 2005, il avait condamné l’avocat Mohamed ABBOU pour la publication de deux
articles sur Internet. L’un d’eux comparait les prisons tunisiennes à la prison irakienne d’Abou Ghraïb.
2348 L’indépendance et la bonne administration de la justice étaient donc les deux mots d’ordre et les deux
objectifs que s’était fixée la CJJAFC. Pour plus de précisions sur ces points, voir essentiellement
judiciaires,
AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, Commission des
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition des représentants de l’association et du
syndicat des magistrats », 5 mars 2012
le 215 octobre 2019],
[en
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252d5 (en arabe) et AL BAWSALA, MAJLES
financières et
juridictions
MARSAD, Documents, Commission des
constitutionnelles,
« Audition des représentants de l’Union des Magistrats Administratifs », 6 mars 2012
[en ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252d9 (en
arabe).
judiciaires, administratives,
juridictions
[consulté
ligne],
529



Page 531
Bien que la Constitution de la Première République ait consacré un Chapitre IV au « pouvoir
judicaire », son article 65 renvoyait à « l’autorité judiciaire ». La juris dictio ou fonction de
dire le droit n’était confiée qu’à l’autorité et au juge judiciaires. Les juges administratifs, les
juges des comptes et les juges constitutionnels étaient considérés comme des juges
d’exception. Aussi, parallèlement au Chapitre IV relatif au « pouvoir judiciaire », la
Constitution du 1
er juin 1959 consacrait trois autres chapitres à la Haute Cour (Chapitre V), au
Conseil d’Etat (Chapitre VI) et au Conseil constitutionnel (Chapitre IX), ignorant le Tribunal
militaire, la Cour de discipline financière, le Conseil des conflits et le Conseil de la
concurrence. Le statut de la justice n’était en outre pas constitutionnel mais législatif
2349. Or la
« dispersion de la justice à l’intérieur et à l’extérieur de la Constitution rend malaisée la
formation d’un pouvoir juridictionnel.
»2350
Malgré l’absence d’un véritable pouvoir juridictionnel, l’article 65 de la Constitution du
1
er juin 1959 attribuait l’indépendance à l’ « autorité judiciaire ». Pour autant, « lors des
débats de [la première] Assemblée constituante, le gouvernement a affiché son opposition à
l’idée d’une justice qui constitue un troisième pouvoir et a exprimé sa volonté de rattacher la
fonction juridictionnelle au pouvoir exécutif.
»2351 L’hostilité des constituants résultait en
partie de la volonté de BOURGUIBA de rattacher la justice au pouvoir exécutif pour
«
instaurer un Etat fort, capable de gouverner le pays et de surmonter le tribalisme. »2352 Les
principes énoncés par la Constitution de la Première République n’étaient donc que formels.
Dans la pratique, l’Exécutif s’étant opposé à ce que ses actions soient entravées par la justice,
cette dernière était considérée comme un outil de l'Exécutif, non comme un pouvoir. Il ne
s’agissait alors que de l’autorité judiciaire et/ou administrative.
Contrairement à la Constitution du 1er juin 1959, la Constitution du 27 janvier 2014 dispose
de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs
2353, ainsi que de l’existence d’un véritable
2349 La Constitution du 1er juin 1959 renvoyait en effet à la loi, l’adoption d’un statut détaillé de la justice.
2350 J. AJROUD, « L’indépendance de la justice en Tunisie », précit., p. 431.
2351 Ibid.
2352 Discours du président BOURGUIBA devant l’Assemblée Nationale Constituante lors de la promulgation
de la Constitution du 1er juin 1959, JORT Débats, p. 347.
2353 Bien que l’équilibre des pouvoirs aille de pair avec le principe de la séparation des pouvoirs, il n’avait pas
été prévu par la Constitution du 1er juin 1959. L’équilibre des pouvoirs est actuellement consacré par le
quatrième paragraphe du préambule de la Constitution du 27 janvier 2014. Salsabil KLIBI précise
d’ailleurs que «
le principe de séparation et d’équilibre des pouvoirs était omniprésent dans les débats de
la constituante, sauf qu’ont subsisté jusqu’aux dernières séances de discussion, des différends quant à la
nature des mécanismes susceptibles de le concrétiser et plus particulièrement quant à la forme de
530




Page 532
« pouvoir juridictionnel ». Les débats entre les membres de la CJJAFC sur la qualification de
la justice ont abouti à ce que le terme retenu soit celui de pouvoir. Les constituants voulaient
marquer l’indépendance de la justice du pouvoir politique et affirmer la place des juges dans
la société et le droit. La CJJAFC a en effet considéré que la juris dictio ou la fonction de dire
le droit, ne relevait pas exclusivement du juge judiciaire, mais de l’ensemble des juridictions.
Ces dernières se trouvant toutes dans un même chapitre, présente une vision unifiée de la
justice
2354. Bien que la juridiction constitutionnelle soit distinguée des juridictions ordinaires,
le Chapitre V de la Constitution du 27 janvier 2014 fait reposer les quatre types de justice
2355
sur les principes d’indépendance (article 102), de compétence (article 103) et de
responsabilité (article 104) de la magistrature
2356 et des magistrats. La justice a désormais un
statut constitutionnel, elle n’est plus dispersée dans le texte constitutionnel. Pour autant, le
« pouvoir juridictionnel » est-il indépendant du pouvoir politique ?
Pour émanciper la justice du pouvoir politique, il faut la détacher « de toute influence exercée
par l’Exécutif ou par le Parlement.
»2357 Il est également nécessaire de lui donner les moyens
administratifs et financiers propres à son indépendance. Avec la Constitution du 1
er juin 1959,
l’Exécutif intervenait dans le recrutement
2358, la formation2359, la nomination2360, la
rémunération
2361, la promotion2362 et la cessation des fonctions2363 des magistrats. Voulant
distribution des pouvoirs et contre-pouvoirs qui allaient lui donner forme. » S. KLIBI, « Séparation et
équilibre des pouvoirs dans la Constitution »,
précit., pp. 503-504.
2354 Il est intéressant de relever qu’en présentant une vision unifiée de la justice, les constituants se sont
conformés au principe du procès équitable tel que prévu par l’article 14 du PIDCP.
2355 Autrement dit, les justices judiciaire, administrative, financière et constitutionnelle.
2356 L’alinéa premier de l’article 102 de la Constitution précise que « [l]a magistrature est un pouvoir
indépendant
». Comme dit précédemment, « la magistrature » renvoie à la fonction de magistrat et plus
largement à celle de juger.
2357 J. AJROUD, « L’indépendance de la justice en Tunisie », précit., p. 432.
2358 L’article 29 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967 relative à l’organisation judiciaire, au Conseil Supérieur de
la Magistrature et au statut de la magistrature précise que le Ministère de la Justice fixe les conditions de
participation au concours d’entrée, les modalités et le programme de l’Institut Supérieur de la Magistrature.
La loi n° 72-67 du 1
er août 1972 relative au fonctionnement du Tribunal administratif et au statut de ses
membres et le décret-loi n° 70-6 du 26 septembre 1970 portant statut des membres de la Cour des comptes,
précisent également que l’administration contrôle le recrutement des membres du Tribunal administratif et
ceux de la Cour des comptes.
2359 Le décret n° 87-1312 du 5 décembre 1987 portant organisation de l’Institut Supérieur de la Magistrature et
fixation du régime et du stage des auditeurs de justice, précise que l’Institut Supérieur de la Magistrature est
placé sous la tutelle du Ministère de la Justice. Le décret n° 2007-1885 du 23 juillet 2007 fixant
l’organisation administrative et financière de l’Ecole Nationale d’Administration affirme que l’Ecole
Nationale d’Administration est liée au Premier ministre.
2360 Les différents statuts des juges judiciaires, des membres du Tribunal administratif et des membres de la
Cour des comptes précisent que la nomination des juges se fait par une décision administrative.
2361 Sous l’ancien régime, deux décrets fixaient la rémunération des magistrats : le décret n° 93-2453 du
13 décembre 1993 relatif à l’indemnité de magistrature attribuée aux magistrats du Tribunal administratif et
le décret n° 93-2455 du 13 décembre 1993, relatif à l’indemnité de magistrature attribuée aux magistrats de
l’ordre judiciaire.
531



Page 533
définitivement rompre avec ces pratiques, les membres de la CJJAFC ont proscrit toute
ingérence dans le fonctionnement de la justice (article 109 de la Constitution)
2364 et ils se sont
accordés sur la mise en place d’un Conseil Supérieur de la Magistrature (sous-section
première du Chapitre V)
2365.
Composé du Conseil de la magistrature judiciaire, du Conseil de la magistrature
administrative, du Conseil de la magistrature financière et de l’Assemblée plénière des trois
Conseils de la magistrature (article 112 de la Constitution), le Conseil Supérieur de la
Magistrature (CSM) est en charge du bon fonctionnement de la justice et du respect de son
indépendance. En vertu de l’article 114 de la Constitution, l’Assemblée plénière des trois
Conseils de la magistrature propose les réformes relatives à la justice. Elle donne aussi son
avis sur les propositions et les projets de loi relatifs à la justice qui lui sont obligatoirement
soumis. De plus, les questions relatives à la carrière et à la discipline des magistrats ne
relèvent plus du pouvoir exécutif, mais de chacun des trois Conseils de la magistrature,
présidés par les magistrats du grade le plus élevé de l’ordre juridictionnel qu’ils représentent
(article 112 de la Constitution).
L’organisation du CSM peut cependant générer quelques interrogations. Le deuxième alinéa
de l’article 112 de la Constitution précise par exemple, que « [l]es deux tiers de chacun de ces
organes sont composés de magistrats en majorité élus, les autres magistrats nommés ès
qualité, le tiers restant est composé de membres non-magistrats choisi parmi les spécialistes
indépendants.
»2366 Ainsi, sur les 45 membres qui composent le CSM, 12 sont des magistrats
2362 Si l’avancement d’un échelon à l’autre était en fonction de l’ordre juridictionnel et du critère d’ancienneté,
la promotion de grade laissait une part d’appréciation importante au pouvoir exécutif.
2363 Le ministre concerné pouvait, sur la base d’un rapport motivé, fixer par décret l’âge de la retraite des
magistrats. Ce dernier pouvait être porté de 60 à 70 ans. Voir le décret n° 73-459 du 3 octobre 1973 fixant
les limites d’âge des magistrats du Tribunal administratif, le décret n° 85-614 du 18 avril 1985 fixant les
limites d’âge de certains magistrats de l’ordre judicaire et le décret n° 74-820 du 28 août 1974 fixant les
limites d’âge des magistrats de la Cour des comptes.
2364 Pour une analyse détaillée des ingérences du pouvoir exécutif dans la carrière des magistrats entre 2011 et
2013, cf. M. S. BEN AÏSSA, « Pouvoir judiciaire et transition politique en Tunisie »,
in E. GOBE (dir.),
Des justices en transition dans le monde arabe ? Contributions à une réflexion sur les rapports entre
justice et politique, op.cit.,
pp. 81-93.
2365 Créé par la loi organique n° 2016-34 du 28 avril 2016, le Conseil Supérieur de la Magistrature n’a été établi
qu’en 2017. Pour plus d’informations sur la mise en place du CSM et les crises à répétition qu’il a connu
depuis cette date, cf. Democray Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution
tunisienne au niveau du cadre juridique, 10ème édition, 31 mars 2020, [en ligne], [consulté le 12 octobre
https://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2020/09/2020-09-09-TN_FR-rapport-
2020],
semestriel-2020-03.pdf, pp. 31-34.
2366 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 12, deuxième alinéa.
532




Page 534
nommés ès qualité, 18 des magistrats élus et 15 des membres non magistrats, élus pour un
seul mandat de six ans. La justice étant un domaine qui intéresse tant les juristes que les
citoyens ordinaires, les membres de la CJJAFC ont pensé que les justiciables devaient être
représentés au sein des instances du CSM
2367. C’est la raison pour laquelle le tiers restant des
organes du CSM est composé de membres non-magistrats choisis parmi des spécialistes
indépendants
2368. « Ainsi le pouvoir exécutif n’a plus d’emprise sur les organes du Conseil et
n’y siège pas, le seul lien qui subsiste est par le biais des membres désignés ès qualités mais
qui sont d’abord minoritaires et qui sont ensuite des magistrats proposés à ces postes par le
CSM conformément à l’article 106.
»2369 Certes la composition du CSM évite l’ingérence du
pouvoir exécutif, mais son indépendance du pouvoir politique ne peut être effective sans
l’attribution de moyens administratifs et financiers.
Attribuer une personnalité juridique2370 au CSM a été un sujet controversé au sein de la
CJJAFC. Alors que certains élus défendaient la reconnaissance expresse de la personnalité
juridique au CSM, d’autres affirmaient que seul l’Etat avait la personnalité juridique
2371. Ce
dernier argument était notamment soutenu par les conservateurs de l’ANC qui refusaient au
CSM une indépendance totale. L’article 113 de la Constitution actuelle propose cependant
une solution de compromis
2372 : le CSM bénéficie d’une autonomie administrative et
2367 C’était d’ailleurs l’une des propositions du Professeur Mohamed Salah BEN AÏSSA. Pour plus de
précisions sur ce point, cf. AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission des juridictions
judiciaires, administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition du Professeur Mohamed Salah
BEN AÏSSA et du Professeur Ahmed ESSOUSSI », 13 mars 2012 [en ligne]
, [consulté le 25 octobre 2019],
https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422bec252e4 (en arabe).
2368 Lors de l’élaboration de la loi relative au CSM, les magistrats et les avocats s’opposaient sur la qualité et
les fonctions des quinze membres non magistrats à élire. L’opposition animant les praticiens du droit,
portait essentiellement sur l’élection d’avocats ou d’enseignants-chercheurs aux quinze postes de non
magistrats du CSM. Pour plus de précisions sur ce point, cf. E. GOBE, « Refonder le Conseil supérieur de
la magistrature dans la Tunisie post-Ben Ali : corporatismes juridiques et nouveaux arrangements
institutionnels »,
précit., pp. 629-648.
2369 F. MOUSSA, « Quelle justice voulons-nous ? Le procès équitable dans la nouvelle Constitution », précit.,
p. 531.
2370 La personnalité juridique est comprise comme l’ « [a]ptitude à être titulaire de droits et assujetti à des
obligations qui appartient à toutes les personnes physiques, et dans des conditions différentes aux
personnes morales ; on spécifie volontiers personnalité juridique.
» G. CORNU (dir.), Vocabulaire
juridique,
Paris, PUF, 11ème édition, 2016, p. 760.
2371 F. MOUSSA, « Quelle justice voulons-nous ? Le procès équitable dans la nouvelle Constitution », précit.,
pp. 531-532.
2372 Le Professeur Fadhel MOUSSA affirme que « [l]ui reconnaitre la personnalité juridique uniquement
l’aurait aligné sur le régime des établissements publics administratifs classiques avec toutes les
implications peu réjouissantes pour l’autonomie. Avec la formule retenue le CSM aura nécessairement la
personnalité juridique et plus que ce qui est attribué aux établissements publics. On peut annoncer la
naissance d’une catégorie de personnes publiques plus indépendantes encore que les fameuses nouvelles
instances constitutionnelles indépendantes objet du titre VI.
» Ibid., p. 532.
533



Page 535
financière et de la possibilité de gérer librement ses affaires2373. Il élabore par ailleurs son
projet de budget et en débat devant la commission de l’ARP compétente (article 113). Si les
dispositions sur le CSM émancipent la justice de la tutelle du pouvoir politique, il est
également nécessaire que les juges aient les moyens de leur indépendance. Pour ce faire, ils ne
doivent être soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi. C’est
d’ailleurs ce que précise le deuxième alinéa de l’article 102 de la Constitution.
Bien qu’en vertu de l’article 106 de la Constitution les magistrats sont nommés par décret
présidentiel
2374, leur nomination a lieu après consultation du CSM. En d'autres termes,
l’Exécutif ne dispose plus que d’une compétence formelle en matière de nomination des
magistrats. Les dispositions du Chapitre V de la Constitution font du CSM, l’institution en
charge de la carrière et de la discipline des juges
2375. Dorénavant, les magistrats bénéficient de
l’immunité pénale (article 104) et seul le CSM est compétent pour la lever. En vertu de
l’article 107 de la Constitution, les magistrats ne peuvent plus être mutés sans leur
consentement
2376. Les sanctions disciplinaires, les révocations, les suspensions ou les
cessations de fonctions ne peuvent par ailleurs intervenir qu’avec une décision motivée du
CSM et selon les garanties fixées par la loi. Dès lors, l’Exécutif ne peut définitivement plus
intervenir dans les affaires de la justice et des juges
2377.
2373 Article premier de la loi organique n° 2016-34 du 28 avril 2016, relative au Conseil Supérieur de la
Magistrature, JORT, n° 35 du 29 avril 2016, pp. 1395-1404.
2374 Alors que les magistrats ordinaires sont nommés par décret présidentiel sur avis conforme du CSM, les
Hauts magistrats sont nommés en concertation avec le chef du Gouvernement et sur proposition exclusive
du CSM. Pour plus de précisions sur ce point, cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie
indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014, article 106.
2375 En vertu de l’article 114 de la Constitution, les questions relatives à la carrière et à la discipline des
magistrats ne relèvent plus du pouvoir exécutif, mais de chacun des trois Conseils de la magistrature.
2376 En janvier 2005, un projet de modification du statut de la magistrature a accordé au ministre de la Justice la
possibilité de muter d’office un magistrat « pour l’intérêt du service ». Dans un avis courageux du Conseil
constitutionnel (avis n° 1/2005 concernant le projet de loi organique modifiant et complétant la loi n° 67-29
du 14 juillet 1967 relative à l’organisation judiciaire, au Conseil Supérieur de la Magistrature et au statut de
la magistrature), le Conseil constitutionnel a censuré le projet. Il a en effet constaté que l’expression
« intérêt du service » était imprécise et incompatible avec l’article 65 de la Constitution du 1
er juin 1959. Le
projet de modification finalement adopté est par conséquent plus clair à ce sujet. Il précise en effet que
«
l’intérêt du service né de la nécessité de parer à une vacance, de nommer des magistrats à de nouvelles
fonctions judiciaires, de faire face à une hausse manifeste du volume du travail au sein de l’un des
tribunaux ou de pourvoir en magistrats les nouveaux tribunaux.
» Si le Conseil constitutionnel déclare dans
l’avis n° 30/2005 que la nouvelle version de la loi est conforme à la Constitution, il signale que les cas de
mutations proposés peuvent constituer des prétextes pour sanctionner de manière détournée des magistrats
considérés insoumis.
2377 Même si l’institution du ministère public a suscité de nombreux débats à l’ANC, les membres de la
CJJAFC se sont accordés sur la formulation de l’article 115 de la Constitution selon lequel « [l]e ministère
public fait partie de la justice judiciaire et bénéficie des mêmes garanties constitutionnelles. Les magistrats
du ministère public exercent les fonctions qui leur sont dévolues par la loi et dans le cadre de la politique
pénale de l’Etat, conformément aux procédures fixées par la loi.
» Les magistrats du siège et ceux du
Ministère public sont ainsi soumis aux mêmes garanties, ce qui permet en outre, de ne pas assimiler les
534



Page 536
En outre si, dans un Etat de droit, le juge applique la loi et y est soumis, il participe également
à sa création. C’est ainsi qu’en vertu de l’article 114 de la Constitution, « [l]’Assemblée
plénière des trois Conseils de la magistrature propose les réformes et donne son avis sur les
propositions et projets de loi relatifs à la justice qui lui sont obligatoirement soumis.
»2378
Toutefois, s’il appartient au juge de veiller à l’application des lois, il doit les interpréter avec
discernement et pondération. Conscients de cela, les membres de la CJJAFC ont imposé aux
juges d’être compétents, neutres, intègres et responsables (article 103). L’obligation de
neutralité et d’intégrité est d’ailleurs renforcée par la garantie du double degré de juridiction
(troisième alinéa de l’article 108). Les justiciables qui considèrent une décision partiale, ont
ainsi le droit de la contester par un recours en appel et/ou en cassation. Nonobstant, la
Constitution garantit aux magistrats la liberté d’expression, d’association et le droit syndical
(articles 31, 35 et 36).
Toutes les garanties d’indépendance s’appliquent également aux juges constitutionnels :
nommés pour un mandat de neuf ans non renouvelable, ils ne peuvent être démis de leurs
fonctions (article 118 de la Constitution). Bien qu’il y ait eu de nombreuses tentatives pour
loger la Cour constitutionnelle dans un chapitre distinct du « pouvoir juridictionnel », elle a
finalement été intégrée dans une section du Chapitre V. La distinction effectuée entre les
juridictions ordinaires et la juridiction constitutionnelle reste cependant à interpréter.
Paragraphe 2
La distinction constitutionnelle et fonctionnelle entre la juridiction
constitutionnelle et les juridictions ordinaires
Dans le Chapitre V de la Constitution qui traite du « pouvoir juridictionnel », la première
section est relative à la justice judiciaire, administrative et financière et la seconde dispose de
la Cour constitutionnelle. La distinction formelle à laquelle étaient attachés les membres de la
magistrats du Ministère public à des hauts fonctionnaires. Toutefois, s’il revient à l’Exécutif d’arrêter la
politique pénale de l’Etat et puisque les membres du Ministère public s’acquittent également de tâches
exécutives, comment ne pas penser la dépendance du Ministère public à l’égard de l’Exécutif ? Pour plus
de précisions sur ce point, cf. Democracy Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la
Constitution tunisienne au niveau du cadre juridique, 9ème édition, 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté
https://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-
le
TN_rapport_suivi_mise-en-oeuvre_constitution_septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, p. 39.
janvier
2020],
1er
2378 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 114, premier alinéa.
535







Page 537
CJJAFC est significative et nécessite d’être interprétée (A). La place de la Cour
constitutionnelle dans la Constitution a en effet, suscité de nombreux débats entre les
membres de la CJJAFC. Fadhel MOUSSA précise d’ailleurs qu’ « [i]l y a eu des tentatives
jusqu’à la dernière minute pour loger la Cour constitutionnelle dans un titre à part, après
l’échec d’une première tentative de la loger dans le titre VI portant sur les instances
constitutionnelles indépendantes, mais nous avons tenu bon pour qu’elle soit conservée dans
le titre relatif au pouvoir juridictionnel ce qui fut obtenu non sans peine.
»2379 S’il s’agit de
connaître les raisons pour lesquelles les membres de la CJJAFC voulaient distinguer les
juridictions ordinaires de la Cour constitutionnelle, il est également intéressant de sonder la
nature de cette dernière. Bien que la Cour constitutionnelle soit une juridiction
2380 à part
entière, elle est aussi «
un organe constitutionnel »2381 de type particulier. La distinction
formelle entre les juridictions ordinaires et la juridiction constitutionnelle est donc en partie
dictée par la différence de nature et d’attributions : la juridiction constitutionnelle est dotée de
fonctions spécifiques dont ne disposent pas les juges ordinaires (B).
A.
Une distinction constitutionnelle à interpréter
Conscients de l’importance de la juridiction constitutionnelle dans la garantie de la suprématie
de la Constitution, de la démocratie et des droits de l’Homme, les membres de la CJJAFC ont
dédié la Section II du Chapitre V à la Cour constitutionnelle
2382. N’ayant connu qu’un Conseil
constitutionnel
2383,
la CJJAFC ont voulu établir une
les membres de
juridiction
2379 F. MOUSSA, « Quelle justice voulons-nous ? Le procès équitable dans la nouvelle Constitution », précit.,
p. 533.
2380 Le terme « juridiction » est ici entendu dans son acception large. Le Professeur Gérard CORNU définit
la juridiction par la « [m]
ission de juger ; [le] pouvoir et [le] devoir de rendre la justice par application du
Droit (en disant le Droit). » G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 588.
2381 S. LAGHMANI, « La Cour constitutionnelle »,
in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS,
P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la
Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit.,
p. 402.
2382 Pour mémoire, le Professeur Sadok BELAÏD avait, au cours de son audition par la CJJAFC, affirmé qu’en
l’état actuel du droit, il n’est plus possible de parler d’un véritable régime démocratique sans la présence
d’une juridiction constitutionnelle en charge du contrôle de constitutionnalité des lois. Il a par ailleurs
constaté que le contrôle de constitutionnalité des lois fait naître deux principes essentiels qui
sont, l’application des lois conformes à la Constitution et, la protection des droits et libertés fondamentaux.
Voir AL BAWSALA, MAJLES MARSAD,
Documents, Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles,
« Audition du Professeur Sadok BELAÏD », 27 mars
2012 [en ligne], [consulté le 25 octobre 2019], https://majles.marsad.tn/fr/docs/518e5bfc7ea2c422
bec252ee (en arabe).
2383 Le décret du 16 décembre 1987 met en place le Conseil constitutionnel en Tunisie. Sa création est
concomitante à l’arrivée au pouvoir de BEN ALI et dénote de sa volonté de renforcer le pluralisme
politique. Le Conseil constitutionnel occupe pourtant une place secondaire dans les institutions de la
536





Page 538
constitutionnelle de qualité. Traditionnellement définie comme « une juridiction créée pour
connaître spécialement et exclusivement du contentieux constitutionnel,
[la Cour
constitutionnelle est] située hors de l’appareil juridictionnel ordinaire et [est] indépendante
de celui-ci comme des pouvoirs publics.
»2384 Avant même d’étudier ses attributions et ses
fonctions
2385, il est essentiel de sonder sa nature, ce qui permettra de comprendre la volonté
des membres de la CJJAFC de distinguer les juridictions ordinaires et les instances
constitutionnelles indépendantes de la juridiction constitutionnelle.
Le Professeur Slim LAGHMANI l'affirme : « La Cour constitutionnelle est un organe
constitutionnel et une juridiction
. »2386 Il est d’une part, nécessaire de savoir en quoi la Cour
constitutionnelle est une juridiction et pourquoi elle est intégrée dans le Chapitre V (1). Il sera
d’autre part, important d’identifier les raisons pour lesquelles elle est qualifiée d’ « organe
constitutionnel
» (2). Toutefois, la Cour constitutionnelle n’ayant pas vu le jour2387 à l’heure
où ces lignes sont écrites, l’analyse de sa nature juridictionnelle se base essentiellement sur
une étude des articles de la Section II du Chapitre V de la Constitution du 27 janvier 2014 et
de la loi organique n° 2015-50 relative à la Cour constitutionnelle. Or, puisque les
compétences juridictionnelles et les effets des décisions de la Cour font l’objet de
développements ultérieurs
2388, l’objet de ce paragraphe est de se focaliser sur son statut, sa
composition et son organisation.
Première République : à l’origine, son statut n’était pas constitutionnel mais législatif (loi du 18 avril 1990).
Ses neuf membres étaient intégralement nommés par le président de la République. Il n’avait au départ,
qu’une compétence consultative et il n’était consulté que par le Chef de l’Etat. Pour plus de précisions sur
ce point, cf. O. BENDOUROU, « Conseils constitutionnels et Etat de droit au Maghreb »,
in A. MAHIOU
(dir.), L’Etat de droit dans le monde arabe, op.cit., pp. 227-228. Voir également R. BEN ACHOUR et, S.
MAAOUIA-KACEM, « Juges constitutionnels et doctrine - Constitutions et transitions »,
in Annuaire
international de justice constitutionnelle,
30-2014, 2015, pp. 493-503. Par un amendement constitutionnel
du 6 novembre 1995, le Conseil constitutionnel a intégré la Constitution du 1
er juin 1959. La loi
constitutionnelle n° 76 de 1998 a modifié l’article 75 de la Constitution : les avis du Conseil constitutionnel
sont devenus opposables à tous les pouvoirs publics. Pour plus de précisions sur ce point, cf. X. PHILIPPE,
« Contrôle juridictionnel et Cour constitutionnelle dans la Constitution »,
in M. MARTINEZ SOLIMAN, S.
BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution
de la Tunisie. Processus, principes et perspectives, op.cit.,
p. 541 et F. ROUVILLOIS, « Le printemps des
juridictions constitutionnelles »,
Maghreb - Machrek, vol. 223, 2015, n° 1, pp. 99-111.
2384 L. FAVOREU et W. MASTOR (dir.), Les cours constitutionnelles, Paris, Dalloz, 2011, pp. 3-4.
2385 Ces dernières sont abordées dans le B. qui suit.
2386 S. LAGHMANI, « La Cour constitutionnelle », précit., p. 402.
2387 Les enjeux de la mise en place de la Cour constitutionnelle font l’objet du Paragraphe 2 de la Section 2 qui
suit.
2388 Cf. le B. qui suit.
537






Page 539
1. La Cour constitutionnelle, une juridiction constitutionnelle à part entière
Prévu aux articles 118 à 124 de la Constitution, le statut de la Cour est constitutionnel. La
Section II du Chapitre V de la Constitution définit l’organisation, le fonctionnement et les
compétences de la Cour et elle la met « à l’abri de toutes modifications législatives et
réglementaires.
»2389 L’article 118 en particulier, qualifie
la Cour d’ « instance
juridictionnelle indépendante », ce qui la rattache au « pouvoir juridictionnel » et fait d’elle
une instance indépendante des juridictions ordinaires (Section première du Chapitre V) et des
pouvoirs publics
2390. Est-ce pour autant que la Cour est une « juridiction constitutionnelle » ?
Chargée de veiller au respect de la Constitution, elle dispose du monopole du contrôle de
constitutionnalité
2391 en vertu de l’article 120. « Les juges ordinaires ne peuvent donc pas
connaître du contentieux réservé à la cour constitutionnelle.
»2392 Bien que prévue par la
Section II du Chapitre V, elle est en dehors de l’appareil juridictionnel ordinaire. La
distinction formelle entre les juridictions ordinaires
2393 et la juridiction constitutionnelle2394
traduit la différence de nature et d’attributions. Enfin, il faudra sonder sa composition pour
savoir si ses membres sont véritablement indépendants des pouvoirs publics.
Le président de la République, l’ARP et le CSM désignent chacun quatre membres2395. Ces
douze membres sont choisis « parmi les personnes compétentes, dont les trois-quarts sont des
spécialistes en droit et ayant une expérience d’au moins vingt ans.
»2396 Bien que leur
compétence soit requise, le premier alinéa de l’article 118 de la Constitution ne précise pas
dans quel(s) domaine(s)
2397. Analysant la Cour constitutionnelle telle que posée par les
dispositions de la Section II du Chapitre V de la Constitution, le Professeur Xavier PHILIPPE
suppose que « cette exigence concerne les compétences au regard de la Constitution ; cela ne
2389 O. BENDOUROU, « Conseils constitutionnels et Etat de droit au Maghreb », précit., p. 228.
2390 Le Chapitre VI de la Constitution traite des « instances constitutionnelles indépendantes ». Il y aurait donc
une distinction à établir entre ces instances et la Cour constitutionnelle. Cette distinction est abordée dans
le 2. qui suit.
2391 Ce dernier contrôle fait l’objet du B. qui suit.
2392 L. FAVOREU et W. MASTOR (dir.), Les cours constitutionnelles, op.cit., p. 20.
2393 Chapitre V, Section première, articles 106 à 117 de la Constitution.
2394 Chapitre V, Section II, articles 118 à 124 de la Constitution.
2395 Alinéa 2 de l’article 118 de la Constitution. Articles 10 à 14 de la loi organique n° 2015-50 du 3 décembre
2015, relative à la Cour constitutionnelle, JORT, n° 98 du 8 décembre 2015, p. 2927.
2396 Article 118 de la Constitution. Pour une analyse détaillée du système de nomination tripartite des membres
de la Cour, cf. « 3. La nomination des membres de la Cour constitutionnelle », Democracy Reporting
International, rapport sur la Cour constitutionnelle tunisienne. Analyse de la physionomie de l’institution
après l’adoption de la loi organique du 3 décembre 2015, [en ligne], [consulté le 28 mai 2020],
http://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/04/DRI-TN-Rapport-Cour-
Constitutionnelle_2015_fr.pdf, pp. 9-10.
2397 S. LAGHMANI, « La Cour constitutionnelle », précit., p. 405.
538




Page 540
signifie pas que chaque juge doive être un expert en droit constitutionnel mais qu’elle ou il
devra posséder des connaissances suffisantes à l’égard des matières traités par la
Constitution, comme les droits et libertés ou les institutions, par exemple.
»2398 Si trois-quarts
des membres
2399 sont spécialisés en droit avec une expérience de vingt ans au moins2400, le
quart des membres
2401 non spécialistes2402, peut être composé de représentants d’associations
ou d’organisation de la société civile, de dignitaires religieux ou de spécialistes des sciences
tous types confondus. Ceci aiderait la Cour à être au fait des réalités sociales et des enjeux
sociétaux. En vertu du dernier alinéa de l’article 118, les membres de la Cour élisent leur
président et leur vice-président
2403, qui doivent être choisis parmi les membres spécialistes en
droit. De fait, la Cour est donc une juridiction essentiellement composée de juristes
compétents
2404.
De plus, ses membres sont désignés pour un mandat de neuf ans non renouvelable2405, ce qui
leur permet d’inscrire les décisions dans la durée et le non renouvellement les rend en
2398 X. PHILIPPE, « Contrôle juridictionnel et Cour constitutionnelle dans la Constitution », précit., p. 542.
2399 Soit neuf membres sur douze.
2400 L’article 9 de la loi organique n° 2015-50 du 3 décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle précise
que le membre spécialiste en droit peut être un universitaire ayant le rang de professeur, un magistrat
relevant du grade le plus élevé de la magistrature, un avocat inscrit au tableau des avocats à la Cour de
cassation ou un juriste ayant un doctorat en droit (ou équivalent). Quel que soit son métier, le juriste
nommé doit avoir une expérience d’au moins vingt années. L’ouverture de la Cour constitutionnelle aux
praticiens du droit est un point important à souligner. Deux des conditions exigées sont toutefois
critiquables. Il s’agit de l’expérience d’au moins vingt ans et de la détention du grade le plus élevé du
domaine d’activité juridique. Assez strictes, ces deux conditions risquent de bloquer la candidature de
personnes qui n’ont pas autant d’années d’exercice et/ou qui sont diplômées sans avoir les qualifications
requises. C'est le cas des universitaires qui n’ont jamais pu exercer faute de postes disponibles.
2401 Soit trois membres sur douze.
2402 Aucune disposition constitutionnelle n’interdit aux autorités de nomination de désigner des personnes ayant
des diplômes et/ou des compétences en droit parmi les non-spécialistes. Cependant, le juriste nommé en
tant que non-spécialiste doit-il remplir les conditions prévues pour les membres spécialistes ? Ni la
Constitution ni la loi organique n’éclairent ce point. L’article 8 de la loi organique n° 2015-50 du 3
décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle précise uniquement que « [l]
e membre parmi les non-
spécialistes en droit, doit être titulaire d'un doctorat ou d'un diplôme équivalent. » Quels sont les critères
d’appréciation du diplôme équivalent au doctorat ? La loi organique ne le précise pas non plus. Dans tous
les cas, la condition de détention d’un doctorat est assez restrictive et limitera singulièrement le nombre de
candidats. Par ailleurs, même s’il est gage de compétences, le doctorat ne garantit pas forcément les
qualités attendues d’un juge constitutionnel.

2403 L’article 4 de la loi organique n° 2015-50 du 3 décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle le
prévoit : «
La Cour constitutionnelle fixe son règlement intérieur. Il est publié au Journal Officiel de la
République Tunisienne et sur le site électronique de la Cour.
»
2404 Ceci rejoint l’affirmation d’Hans KELSEN selon laquelle « [i]l est de la plus grande importance
d’accorder dans la composition de la juridiction constitutionnelle une place adéquate aux juristes de
profession.
» H. KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la Constitution », R. D. P., 1928, p. 227.
2405 La Cour constitutionnelle se renouvelle par tiers tous les trois ans (troisième alinéa de l’article 118). Le
sixième point de l’article 148 précise que pour les deux premiers renouvellements partiels de la Cour, il
sera procédé au tirage au sort parmi les membres de la première composition, exception faite de son
président (élu par ses pairs). En ce qui concerne la première composition de la Cour, quatre membres ne
siègeront que trois ans et quatre autres, six ans.
539



Page 541
principe, indépendants des pouvoirs publics. L’article 124 de la Constitution renvoie par
ailleurs la fixation des garanties des membres de la Cour, à la loi. Adoptée le 3 décembre
2015, la loi organique n° 2015-50 prévoit en son article 22, l’immunité fonctionnelle des
membres. Deux remarques s’imposent pourtant : en dehors des dispositions de la Section II
qui évoquent les « membres » de la Cour constitutionnelle, le Chapitre V de la Constitution
traite des « magistrats ». Le Professeur Slim LAGHMANI s’interroge ainsi sur la qualité des
« membres » de la Cour : « La Cour constitutionnelle est une juridiction, mais ses membres,
s’ils ne le sont pas, le deviennent-ils du fait même de leur nomination comme membres de la
Cour constitutionnelle ? […] Le fait que les membres de la Cour constitutionnelle ne soient
pas tous des magistrats n’est pas en soi une négation du caractère juridictionnel de la Cour,
mais la loi devrait disposer clairement que les membres de la Cour constitutionnelle jouissent
des même garanties et immunités et ont les mêmes obligations que les magistrats quand ils ne
le sont pas.
»2406 Alors que l’article 104 de la Constitution évoque l’immunité pénale du
« magistrat » ordinaire, l’immunité pénale des « membres » de la Cour est prévue par la loi
organique n° 2015-50 relative à la Cour. Conjuguée à l’importante rémunération financière
dont ils bénéficient
2407, l’immunité fonctionnelle des membres de la Cour renforce leur
indépendance des pouvoirs publics (article 22 de la loi organique n° 2015-50 du 3 décembre
2015).
L’article 119 de la Constitution précise de plus que « le cumul de mandat de membre de la
Cour constitutionnelle avec toute autre fonction ou mission est interdit.
»2408 L’article 26 de la
loi organique n° 2015-50 étend l’interdiction aux fonctions, aux missions ou aux autres
professions avec ou sans rémunération. S’il est concevable de proscrire les activités lucratives
pour assurer la pleine indépendance des juges constitutionnels, il est étonnant que la loi
organique leur interdise les activités bénévoles. Ainsi, les membres de la Cour ne pourront-ils
ni être sollicités par des associations, ni dispenser des cours dans une université nationale ou à
l’étranger. Ils ne pourront donc jamais exposer publiquement et à titre informatif,
l’organisation et/ou le fonctionnement de la Cour par exemple. A cela s’ajoute l’obligation de
réserve des juges constitutionnels. Traditionnellement, cette obligation est destinée à protéger
2406 S. LAGHMANI, « La Cour constitutionnelle », précit., p. 407.
2407 Selon l’article 23 de la loi organique n° 2015-50, « [l]e Président de la Cour constitutionnelle bénéficie de
la rémunération et avantages accordés à un ministre, les membres de la Cour bénéficient de la
rémunération et avantages accordés à un secrétaire d'Etat. Les rémunérations et avantages leur sont payés
sur les dotations affectées au budget de la Cour constitutionnelle.
» Les membres de la Cour sont
également tenus de déclarer leurs biens auprès de la Cour des comptes (article 25).
2408 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 119.
540



Page 542
le secret des délibérés2409. L’article 27 de la loi organique n° 2015-50 prévoit cependant qu’il
leur est interdit « pendant la durée de leur mandat de prendre aucune position publique,
d’émettre aucun avis ou de donner des consultations sur des questions relevant du domaine
de compétence de la Cour constitutionnelle. » Autrement dit, les juges constitutionnels ont en
principe, l'interdiction formelle de se prononcer sur la jurisprudence de la Cour, de présenter
la juridiction ou même d’expliquer son utilité aux Tunisiens et à la communauté
internationale. Ceci contraste pourtant avec le dernier alinéa de l’article 27 qui exclut de
l’interdiction, « les commentaires des décisions rendues par la Cour constitutionnelle qui ne
sont publiés que dans les revues juridiques spécialisées. » Si les commentaires des décisions
sont admis, ils ont pour but d’exposer de manière analytique, l’évolution de la jurisprudence
constitutionnelle. Ils auraient donc pour objectif, l’information du public. Les juges ne
pourraient pas en revanche, critiquer la décision à laquelle ils auraient participé. En d’autres
termes, les opinions dissidentes ne sont pas admises en l’état actuel du droit tunisien. Enfin,
bien que la loi organique prévoie la procédure de récusation par l’article 28, elle ne prévoie
pas celle du déport et la Constitution non plus. Somme toute et malgré les insuffisances de la
loi organique, le législateur a garanti de manière suffisante l’indépendance des juges
constitutionnels. Il reste cependant à connaître l'organisation de la Cour et à vérifier si elle
dispose des moyens nécessaires à son indépendance.
L’indépendance de la Cour des juridictions ordinaires et des pouvoirs publics est matérialisée
par son autonomie administrative et financière (article 32 de la loi organique). La Cour fixe
son règlement intérieur (article 4), élabore son projet de budget (article 33) et dispose d’un
comptable public (article 35). Son président est son représentant légal (article 29) et
l’ordonnateur de son budget (article 34). Il supervise et gère les services administratifs et
financiers de la Cour, aidé dans ses tâches administratives par le secrétaire général
2410 de la
Cour (article 30). Ce dernier supervise à son tour le greffe : il tient les registres ; conserve les
documents, les dossiers et les archives de la Cour ; consigne les recours, les requêtes et les
demandes ; enregistre les correspondances et veille à l’application des procédures
2409 Le secret des délibérés est mentionné à l’article 15 de la loi organique n° 2015-50 qui dispose du serment
que les membres de la Cour doivent prêter devant le président de la République avant leur prise de
fonction. Ce serment est le suivant : «
Je jure par Dieu le tout puissant de remplir mes fonctions en toute
loyauté, fidélité et indépendance, de les exercer en toute impartialité et intégrité, d’œuvrer à garantir la
suprématie de la Constitution et de m’engager à ne pas divulguer le secret des délibérations et du vote. »
S’ils sont tenus d’être compétents, indépendants, impartiaux et intègres (article 8 de la loi organique), ils ne
peuvent révéler les délibérations et les votes de la Cour au grand public.
2410 Nommé par décret gouvernemental sur proposition du président de la Cour constitutionnelle (article 31 de
la loi organique n° 2015-50).
541



Page 543
d’investigation (article 30). « De la capacité de son titulaire à gérer ces différentes fonctions
dépendra, en grande partie la physionomie de la Cour.
»2411 Il est important de mettre en
place la Cour constitutionnelle et il est fondamental que ses membres choisissent comme
président, un juriste conscient de l’importance du contentieux constitutionnel. Ce juriste devra
à son tour, proposer un secrétaire général compétent en la matière. Au-delà de leurs fonctions
respectives, une relation de confiance doit donc s'établir entre le président de la Cour et son
secrétaire général, pour assurer le bon fonctionnement des services de la juridiction.
Cependant, bien que la Cour soit dotée de services administratifs, elle ne dispose pas de
service juridique ou documentaire adéquat, services généralement fondamentaux pour la mise
en place de la Cour constitutionnelle. L’article 38 de la loi organique précise uniquement que
le président de la Cour charge au moins deux rapporteurs
2412 parmi les membres de la Cour,
de l’étude des questions qui lui sont soumises et de la préparation d’un projet de décision ou
d'avis. L’article 39 prévoit aussi que la Cour constitutionnelle peut recruter des assistants
spécialistes en droit et recourir à des experts compétents, pour se faire assister dans les
questions qui lui sont soumises. Une fois la Cour mise en place, il reviendra nécessairement à
son président de la doter de moyens juridiques efficaces qui lui permettent de gérer
convenablement le contentieux constitutionnel
2413.
De manière générale, la Constitution et la loi organique posent les bases d’une juridiction
constitutionnelle indépendante des pouvoirs publics. Le statut constitutionnel, la composition
et l’organisation de la Cour n’expliquent cependant pas en quoi et pourquoi, elle est distincte
des juridictions ordinaires et des instances constitutionnelles indépendantes du Chapitre VI.
Bien qu’elle soit une « instance juridictionnelle indépendante », le Professeur Slim
LAGHMANI précise qu’elle est également un « organe constitutionnel ».
2411 Democracy Reporting International, rapport sur la Cour constitutionnelle tunisienne. Analyse de la
physionomie de l’institution après l’adoption de la loi organique du 3 décembre 2015, [en ligne], [consulté
le 28 mai 2020], http://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/04/DRI-TN-Rapport-Cour-
Constitutionnelle_2015_fr.pdf, p. 11.
2412 L’un d’eux doit obligatoirement être spécialiste en droit.
2413 Avant l’adoption de la loi organique n° 2015-50, le Professeur Slim LAGHMANI avait pensé les trois
niveaux structurels dont la Cour aurait besoin pour bien fonctionner. A l’instar de la juridiction
constitutionnelle allemande, le Professeur avait envisagé la mise en place d’une Assemblée plénière, de
deux chambres et d’un secrétariat général au sein de la Cour. La loi organique n° 2015-50 ne prévoit que le
secrétariat général. Une fois la Cour constitutionnelle mise en place, son règlement intérieur améliorera
surement son fonctionnement interne. Pour plus de précisions sur ce point, cf. S. LAGHMANI, « La Cour
constitutionnelle »,
précit., p. 407.
542





Page 544
2. La Cour constitutionnelle, un « organe constitutionnel » de type particulier
Pour commencer, l’ « organe constitutionnel » doit être défini : doté d’une attribution
constitutionnelle
2414 bien déterminée, il est une entité qui exerce ses fonctions de manière
indépendante, sans être subordonnée à un pouvoir hiérarchique ou à un autre organe
2415. Il
dispose généralement d’une personnalité juridique spécifique qui fait de lui un sujet de
droit
2416. Souvent implicite, la personnalité juridique suppose que l’organe définisse son
organisation interne, qu’il gère son personnel et qu’il dispose d’une autonomie administrative
et financière.
Amenée à garantir la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique, la Cour
constitutionnelle dispose d’un statut constitutionnel
2417. Comme cela a été dit, ce statut
préserve les attributions
2418 de la Cour de toutes modifications législative ou réglementaire. Si
la Constitution fait d’elle une « instance juridictionnelle indépendante », elle ne lui attribue
pas explicitement de personnalité juridique. Celle-ci peut cependant être déduite de la
formulation du premier alinéa de l’article 118 de la Constitution
2419. La loi organique
n° 2015-50 prévoit par ailleurs l’autonomie administrative et financière de la Cour
2420. Dans
un premier temps, il est fondamental de commencer par distinguer la Cour des « instances
constitutionnelles indépendantes » du Chapitre VI de la Constitution. Comme le souligne
Fadhel MOUSSA, il y a eu de nombreuses tentatives d'intégrer la Cour constitutionnelle dans
ce chapitre. Puis, il sera nécessaire de se pencher sur les attributions qui font d’elle un
« organe constitutionnel » d’un type particulier en identifiant les ressemblances et les
différences entre la Cour et ces instances.
2414 L’attribution constitutionnelle peut autant être un statut qu’une
faculté d’action de nature
fondamentalement constitutionnelle.
2415 E. CARPENTIER, « L'organe, l'acte et le conflit constitutionnels », in Annuaire international de justice
constitutionnelle
, 20-2004, 2005, [en ligne], [consulté le 19 novembre 2019], https://www.persee.fr/doc
/aijc_0995-3817_2005_num_20_2004_1752, pp. 63-64.
2416 Sa personnalité juridique ne fait pas nécessairement l’objet d’un texte juridique.
2417 Prévu à la Section II du Chapitre V de la Constitution, aux articles 118 à 124.
2418 Ces dernières sont évoquées un peu plus loin dans le raisonnement.
2419 L’alinéa premier de l’article 118 de la Constitution fait de la Cour constitutionnelle une « instance
juridictionnelle indépendante ».
2420 Article 32 de la loi organique. La Cour fixe également son règlement intérieur (article 4), élabore son projet
de budget (article 33) et dispose d’un comptable public (article 35). Pour plus de précisions sur ces points,
cf. le 1. qui précède.
543





Page 545
Au nombre de cinq2421, les « instances constitutionnelles indépendantes » du Chapitre VI de
la Constitution «
œuvrent au renforcement de la démocratie. »2422 Dotées de « la personnalité
juridique et de l’autonomie administrative et financière
»2423, elles sont élues par l’ARP à la
majorité qualifiée
2424. Le 7 août 2018, la loi organique n° 2018-47 relative aux dispositions
communes aux instances constitutionnelles indépendantes, a été adoptée. Le législateur
indique que ces instances sont des personnes de droit public
2425 qui ne sont soumises à aucun
pouvoir hiérarchique ou de tutelle
2426 dans l’exercice de leur mission. Il rappelle qu’elles sont
responsables devant l’
ARP2427 et que leur statut, comme celui de la Cour constitutionnelle, est
prévu par la Constitution aux articles 126 à 130
2428. Bien qu’elle n’ait pas encore vu le jour, la
Cour constitutionnelle devrait elle aussi œuvrer au renforcement de la démocratie par son
autonomie administrative et financière prévue à l’article 32 de la loi organique 2015-50 et par
sa personnalité
juridique
implicite. Contrairement aux « instances constitutionnelles
2421 L’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE – article 126 de la Constitution), l’Instance de
la communication audiovisuelle (article 127), l’Instance des droits de l’Homme (article 128), l’Instance du
développement durable et des droits des générations futures (article 129) et, l’Instance de la bonne
gouvernance et de la lutte contre la corruption (Article 130). Créée par la loi organique n° 2012-23, l’
ISIE
est établie depuis 2014. A ce jour, la loi relative à l’Instance de la communication audiovisuelle n’a pas été
adoptée. Bien que l’Instance des droits de l’Homme ait vu le jour grâce à la loi organique n° 2018-51 du 29
octobre 2018, ses membres n’ont pas encore été désignés. Il en est de même de l’Instance du
développement durable et des droits des générations futures créée par la loi organique n° 2019-60 du 9
juillet 2019 et de l’Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption créée par la loi
organique n° 2017-59 du 24 août 2017.
2422 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 125, premier alinéa.
2423 Alinéa 2 de l’article 125 de la Constitution. Deux instances constitutionnelles indépendantes disposent du
pouvoir réglementaire. Ce dernier est prévu à l’alinéa 2 de l’article 126 pour l’
ISIE et à l’alinéa 2 de
l’article 127 pour l’Instance de la communication audiovisuelle. Contrairement à ces deux instances, la
Cour constitutionnelle ne dispose pas d’un pouvoir réglementaire.
2424 Elles lui soumettent d’ailleurs un rapport annuel, discuté pour chaque instance au cours d’une séance
plénière prévue à cet effet.
2425 Dotées de l’autonomie administrative et financière.
2426 Ceci les distingue des établissements publics et fait d’elles, des personnes publiques spécialisées ou sui
generis.
2427 Initialement adopté le 5 juillet 2017, le projet de loi organique relatif aux dispositions communes aux
«
instances constitutionnelles indépendantes » a été soumis, le 12 juillet 2017, à l’Instance Provisoire de
Contrôle de Constitutionnalité des Projets de Loi
(IPCCPL). Dans sa décision n° 2017/04 du 8 août 2017,
l’
IPCCPL estime que la responsabilité des « instances constitutionnelles indépendantes » devant l’ARP
n’est pas contraire à leur indépendance. Cette dernière est à concilier avec le principe de redevabilité.
L’
IPCCPL juge cependant inconstitutionnelle, la disposition du projet de loi selon laquelle l’ARP peut
voter une motion de censure contre une «
instance constitutionnelle indépendante ». Pour plus de précisions
sur l’impact des décisions successives de l’
IPCCPL concernant les formulations de la loi organique relative
aux dispositions communes aux «
instances constitutionnelles indépendantes », cf. Democracy Reporting
International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution tunisienne au niveau du cadre juridique,
9
ème édition, 30 septembre 2019, [en
janvier 2020], https://democracy-
ligne], [consulté
reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-TN_rapport_suivi_mise-en-oeuvre_constitution_
septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, pp. 60-61.
le 1
2428 En vertu du dernier alinéa de l’article 125 de la Constitution, le législateur est tout de même chargé de fixer
la composition, la représentation, les modalités d’élection, l’organisation et les modalités de mise en cause
de la responsabilité de ces instances.
544


Page 546
indépendantes », elle n’est pas composée de membres exclusivement élus par l’ARP et n’est
pas responsable devant elle.
A cela s’ajoute le premier alinéa de l’article 125 de la Constitution qui précise que « [t]outes
les institutions de l’Etat doivent faciliter l’accomplissement de[s] missions [des instances
constitutionnelles indépendantes]
. »2429 Cela suppose que les administrations et les corps
constitués de l’Etat assistent ces instances dans leur logistique ou leur donne accès aux
documents administratifs nécessaires à l’accomplissement de leurs missions
2430. Les articles
126 à 130 de la Constitution les dotent par conséquent de pouvoirs assez importants. Afin de
mener à bien la distinction entre la Cour constitutionnelle et les « instances constitutionnelles
indépendantes
», il est nécessaire d’exposer les pouvoirs de deux d’entre elles2431. La loi
organique n° 2017-59 du 24 août 2017 reconnaît à l’Instance de la bonne gouvernance et de la
lutte contre la corruption
2432, des pouvoirs en matière d’investigation, d’enquête et de
recherche de faits de corruption. Les agents de l’Instance qui relèvent de la section de la lutte
contre la corruption, ont d’ailleurs la qualité d’officiers de police judiciaire. « A ce titre, ils
peuvent procéder à des perquisitions et saisies, auditionner les témoins, constituer les
preuves, en consultant tout document sans pouvoir leur opposer le secret professionnel,
bancaire ou fiscal, dresser des procès-verbaux qui font foi, et faire appel à la force
publique.
»2433 Bien que certains agents de l’Instance aient les qualités d’officiers de police
judiciaire, ils accomplissent leurs missions conformément aux règles du Code de procédure
2429 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 125, premier alinéa.
2430 J. TOUIR, « Les organes constitutionnels indépendants dans la Constitution. Bien-fondés politiques,
processus de création et horizons »,
in M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS,
K. ABDEL SHAFI et J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD,
La Constitution de la Tunisie. Processus,
principes et perspectives, op.cit.,
p. 583.
2431 Ces deux instances sont choisies en fonction des pouvoirs importants dont elles disposent. Pour plus de
précisions sur les pouvoirs de chacune des «
instances constitutionnelles indépendantes », cf. Democracy
Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution tunisienne au niveau du cadre
juridique, 9
ème édition, 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté le 1 janvier 2020], https://democracy-
reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-TN_rapport_suivi_mise-en-
oeuvre_constitution_septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, pp. 56-62.
2432 JORT, n° 70-71 du 1er au 5 septembre 2017, pp. 2878 et ss.
2433 Democracy Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution tunisienne au niveau du
cadre juridique, 9
ème édition, 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté le 1 janvier 2020], https://democracy-
reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-TN_rapport_suivi_mise-en-oeuvre_constitution_
septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, p. 57.
545



Page 547
pénale et sous l’autorité du pouvoir juridictionnel2434. Les pouvoirs de l’Instance risquent
néanmoins, de la mettre en concurrence avec les autorités de police judiciaire
2435.
Ces pouvoirs d’investigation et d’enquête ne sont pas reconnus à la Cour constitutionnelle.
Certes les juges constitutionnels seront amenés à faire des recherches assez poussées pour
rendre un avis ou une décision, mais ce travail-là ne relève pas d’un pouvoir d’investigation.
Chargée de faire respecter la Constitution, la Cour constitutionnelle ne juge pas les faits, mais
le droit : elle contrôle un acte juridique (loi, projet de loi, règlement intérieur de l’ARP) à un
autre (la Constitution). La Cour constitutionnelle accomplit par ailleurs ses missions sans être
soumise à une autorité, qu’elle soit juridictionnelle ou politique.
Egalement créée par la loi organique n° 2018-51 du 29 octobre 20182436, l’Instance des droits
de l’Homme donne son avis sur les projets de lois relatifs aux droits de l’Homme et aux
libertés. Elle fait également des propositions pour les améliorer, émet des recommandations
en cas de violation des droits de l’Homme, mène des investigations de sa propre initiative ou à
la suite d'une plainte. Son autorité n’est cependant que morale : elle ne dispose pas de moyens
efficaces pour mettre fin aux violations des droits de l’Homme qu’elle constate. Elle ne peut
que saisir la justice des dossiers de violation ou en informer les pouvoirs publics et l’opinion.
Dans le cadre de ses contrôles de constitutionnalité
2437, la Cour constitutionnelle émet des avis
ou des décisions qu’elle adresse de manière générale aux pouvoirs publics et de manière
particulière au législateur. En vertu du dernier alinéa de l’article 5 de la loi organique 2015-
50
2438, ce dernier est tenu de respecter les avis et les décisions de la Cour qui ont l'autorité
absolue de chose jugée. Autrement dit, ils s’imposent à tous les pouvoirs publics. Quand le
juge constitutionnel constate la violation d’un droit, l’inconstitutionnalité d'une loi ou
l’empiètement d’un organe constitutionnel sur les compétences d’un autre, les pouvoirs
2434 Le Conseil de l’Instance comprend d’ailleurs trois magistrats, un avocat et un membre actif de la société
civile.
2435 L’IPCCPL a été saisie de la non-reconnaissance de la qualité d’officiers de police judiciaire aux membres
du Conseil de l’Instance. Les requérants considéraient que la reconnaissance de la qualité d’officiers de
police judiciaire à certains agents placés sous l’autorité du Ministère public, constituait une atteinte à
l’indépendance de l’Instance. Ce moyen a été rejeté par l’
IPCCPL au motif que l’Instance ne constitue pas
un pouvoir constitutionnel et que le principe de séparation des pouvoirs ne s’applique pas à elle. L’
IPCCPL
a aussi considéré que la soumission des agents au Ministère public préserve les droits et les libertés des
Tunisiens.
2436 JORT, n° 89 du 6 novembre 2018, pp. 4938 et ss. L’Instance des droits de l’Homme remplace le Comité
Supérieur des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales créé par la loi n° 2008-37 du 16 juin 2008.
2437 Ceux-là font l’objet du B. qui suit.
2438 Ce dernier précise que « [l]es décisions et avis de la Cour constitutionnelle s'imposent à tous les
pouvoirs. »
546




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publics en sont informés et ils sont constitutionnellement tenus de régulariser la situation.
Toutefois, qu’est-ce qui distingue fondamentalement la Cour constitutionnelle des juges
ordinaires et des « instances constitutionnelles indépendantes » ?
La Cour constitutionnelle est une juridiction et un organe constitutionnels : elle a le monopole
du contrôle de constitutionnalité et elle s’assure du respect de la Constitution par les corps
constitués de l’Etat. Située en dehors de l’appareil juridictionnel ordinaire, « [a]ucune autre
juridiction ne lui est supérieure.
»2439 Indépendante des juridictions ordinaires et des pouvoirs
publics, elle dispose pour ce faire de « compétences relatives au fonctionnement des pouvoirs
publics.
»2440 Celles-ci la distinguent des juridictions ordinaires et des « instances
constitutionnelles indépendantes » puisqu’elles préservent la Constitution et le système
juridique des inconstitutionnalités et des irrégularités alléguées. Le dernier alinéa de l’article
120 de la Constitution précise ainsi que la « Cour exerce les autres attributions qui lui sont
conférées par la Constitution.
»2441 Dès lors, quelles sont ces « autres attributions » qui font
de la Cour un « organe constitutionnel » d’un type particulier ?
Contrairement aux juridictions ordinaires, la Cour constitutionnelle est compétente pour
connaître des actes
2442 et des conflits constitutionnels2443. La Constitution prévoit que les
institutions et les pouvoirs publics puissent saisir la Cour constitutionnelle en cas de
circonstances exceptionnelles et/ou de conflits de compétences entre eux
2444. C’est ainsi qu’en
vertu de l’article 80 de la Constitution
2445, le président de la Cour constitutionnelle est informé
des mesures prises par le président de la République et qu’impose l’état d’exception. La Cour
constitutionnelle peut, trente jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, être saisie par le
président de l’ARP ou trente de ses membres, pour statuer sur le maintien de l’état
2439 X. PHILIPPE, « Contrôle juridictionnel et Cour constitutionnelle dans la Constitution », précit., p. 542.
2440 S. LAGHMANI, « La Cour constitutionnelle », précit., p. 402.
2441 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 120, dernier alinéa.
2442 L’acte constitutionnel est l’acte qui est pris par un organe constitutionnel. Cet acte se rapporte à l’exercice
par son auteur d’une de ses attributions constitutionnelles. C’est aussi l’acte qui est soumis au droit
constitutionnel et dont le régime contentieux relève de la compétence du juge constitutionnel.
2443 Les conflits constitutionnels concernent l’interprétation des normes constitutionnelles de compétences. La
résolution de ces conflits est généralement confiée au juge constitutionnel qui s’assure du rétablissement de
la régularité constitutionnelle. E. CARPENTIER, « L'organe, l'acte et le conflit constitutionnels »,
précit.,
pp. 28-32.
2444 Ils disposent donc de voies de recours pour défendre leurs attributions constitutionnelles contre les atteintes
portées par leurs homologues.
2445 Les articles 72 et 73 de la sous-section 4 de la loi organique 2015-50 sont relatifs au maintien de l’état
d’exception.
547




Page 549
d’exception2446. « Cela signifie que la Cour devra vérifier la réalité de l’état d’exception et la
satisfaction des conditions permettant sa mise en œuvre.
»2447 Excepté
la Cour
constitutionnelle, aucune autre juridiction ou institution au sein de l’Etat ne dispose de cette
compétence.
De même, en vertu du premier alinéa de l’article 84 de la Constitution, la Cour
constitutionnelle constate la vacance provisoire de la fonction de président de la République.
Selon le deuxième alinéa de l’article 84, « [s]i la vacance provisoire excède les soixante jours
ou en cas de présentation par le Président de la République de sa démission écrite au
Président de la Cour constitutionnelle, de décès ou d’incapacité permanente ou pour tout
autre motif de vacance définitive, la Cour constitutionnelle se réunit sans délai, constate la
vacance définitive et en informe le Président de l’Assemblée des représentants du peuple qui
est sans délai investi des fonctions de Président de la République par intérim, pour une
période de quarante-cinq jours au moins et de quatre-vingt-dix jours au plus
. »2448 Bien que
la Cour constitutionnelle n’ait pas été en place pour constater la vacance définitive de la
fonction présidentielle et en informer le président de l’ARP lorsque le 25 juillet 2019, le
premier président de la Deuxième République décède
2449, le vide constitutionnel a tout de
même été comblé.
En effet, un accord a été conclu avec le chef du Gouvernement Youssef CHAHED et
l’hémicycle de l’ARP a tranché : elle a investi Mohamed ENNACEUR, président de l’ARP,
des fonctions de président de la République par intérim2450. Le vide juridique créé par
l’absence de la Cour constitutionnelle a transformé un fait juridique (l’intervention de l’ARP),
en un acte constitutif du droit. C’est ainsi qu’en vertu de l’article 85 de la Constitution,
2446 Elle se prononce en audience publique dans un délai qui n’excède pas quinze jours et informe le président
de la République, le président de l’ARP et le chef du Gouvernement de sa décision.
2447 Democracy Reporting International, rapport sur la Cour constitutionnelle tunisienne. Analyse de la
physionomie de l’institution après l’adoption de la loi organique du 3 décembre 2015, [en ligne], [consulté
le 28 mai 2020], http://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/04/DRI-TN-Rapport-Cour-
Constitutionnelle_2015_fr.pdf, p. 16.
2448 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 84, deuxième alinéa.
2449 « Tunisie : le président Béji Caïd Essebsi est décédé », Jeune Afrique [en ligne], publié le jeudi 25 juillet
le 18 novembre 2019], https://www.jeuneafrique.com/808437/politique/tunisie-le-
2019, [consulté
president-1beji-caid-essebsi-est-decede/.
2450 C. LAFRANCE « Tunisie : quelles prérogatives pour Mohamed Ennaceur, président par intérim ? », Jeune
Afrique
le 18 novembre 2019],
https://www.jeuneafrique.com/mag/809557/politique/tunisie-quelles-prerogatives-pour-mohamed-ennaceur
-president-par-interim/.
ligne], publié
juillet 2019,
lundi 29
[consulté
[en
le
548




Page 550
Mohamed ENNACEUR a prêté le serment constitutionnel devant l’ARP2451. Il est heureux de
constater que malgré l’absence de juridiction constitutionnelle, les pouvoirs publics ont agi
rapidement et dans le respect des dispositions constitutionnelles. Leur objectif était d’assurer
la continuité de la fonction présidentielle et la régularité de fonctionnement du système
juridique. En dépit de cela, la juridiction constitutionnelle est normalement une des seules
instances qui, au sein d’un Etat de droit, constate la vacance de la plus haute fonction de
l’Etat.
Une des attributions novatrices confiée à la Cour par l’article 88 de la Constitution est la
possibilité de destituer le président de la République. « La destitution du Président de la
République constitue
[toutefois] une originalité pour une Cour constitutionnelle. »2452 Si la
nouvelle compétence attribuée à la Cour est justifiée par les violations répétées de la
Constitution par les présidents d’ancien régime
2453, elle impose à la Cour de définir ce qui
relève de la « violation grave » de la Constitution. La procédure de destitution est cependant
encadrée pour éviter les pressions qui pourraient être exercée sur le président de la
République. Le président de l’ARP doit ainsi déposer une motion motivée à la Cour
constitutionnelle et cette motion devra être approuvée à la majorité des deux tiers des
membres de l’ARP dans un délai de 48 heures. Puis, le président ou son représentant devra
répondre dans un délai qui n’excède pas sept jours. Enfin, la Cour statuera à la majorité des
deux tiers dans un délai n’excédant pas quinze jours
2454. Il est important de relever que la
compétence de la Cour n’est pas exclusivement juridique : en faisant intervenir l’ARP, la
2451 En vertu de l’article 85 de la Constitution, le président de la République par intérim prête serment devant la
Cour constitutionnelle, dans le cas où la vacance définitive a lieu alors que l’ARP est dissoute.
2452 Democracy Reporting International, rapport sur la Cour constitutionnelle tunisienne. Analyse de la
physionomie de l’institution après l’adoption de la loi organique du 3 décembre 2015, [en ligne], [consulté
le 28 mai 2020], http://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/04/DRI-TN-Rapport-Cour-
Constitutionnelle_2015_fr.pdf, p. 15.
2453 Salsabil KLIBI explique que « [c]e mécanisme est d’une très grande importance pour un Etat qui, comme
tous les régimes de la région arabe, s’est jusque-là caractérisé par une immunité juridictionnelle et une
irresponsabilité du Chef de l’Etat, qu’il soit Président, Emir, Roi, Sultan, etc. On est en tout état de cause
bien loin de l’article 51 de la Constitution de 1959 qui accordait une immunité juridictionnelle au
Président de la République pendant et même après son mandat.
» S. KLIBI, « Séparation et équilibre des
pouvoirs dans la Constitution »,
précit., p. 507.
2454 La procédure d’impeachment dont elle est inspirée a généralement cours dans les Etats qui relèvent de la
tradition juridique de
Common law. Dans ces Etats, l’engagement de la procédure et le vote de la mise en
accusation du Chef de l’Etat sont du ressort de la Chambre des représentants (c’est notamment le cas aux
Etats-Unis). Le procès se tient devant le Sénat qui a seul, le pouvoir de juger la destitution du Chef de
l’Etat. La séance est présidée à l’occasion par le
Chief Justice ou président de la Cour Suprême. Prenant la
forme d’un procès classique, la procédure d’impeachment suppose des débats contradictoires entre la
Chambre des représentants (qui a le rôle de procureur) et les sénateurs qui agissent en tant que juges. Des
avocats assurent la défense de la personne (généralement un haut fonctionnaire de l’Etat) mise en
accusation. La Chambre des représentants émet l’acte d’accusation et a la charge de la preuve. A l’issue de
la procédure, le Sénat vote la destitution à la majorité des deux tiers des membres présents.
549



Page 551
décision de la Cour revêt un caractère éminemment politique. Si le président est jugé
coupable, la Cour prononce sa destitution comme le prévoit l’article 88 de la Constitution :
« la Cour constitutionnelle ne peut prononcer que la destitution, sans préjudice, le cas
échéant, des poursuites pénales.
»2455 Bien qu’elle ne puisse être utilisée que dans des cas
extrêmes, la procédure de destitution présente l'avantage de prévenir les excès de l’Exécutif et
de donner une marge de manœuvre à la Cour, en remettant entre ses mains la détermination de
la gravité de la violation de la Constitution. Traditionnellement attribuée au Parlement, la
possibilité de destituer le Chef de l’Etat relève de la Cour constitutionnelle. Si cette
compétence n’est pas exclusivement juridique, elle est confiée à une instance qui est l’arbitre
entre les institutions de l’Etat.
Dans un régime parlementaire comme celui qui est institué par la Constitution du 27 janvier
2014, les deux têtes de l’Exécutif sont amenées à collaborer. Les constituants ont néanmoins
prévenu les conflits de compétences éventuels entre le président de la République et le chef du
Gouvernement. Les discussions au sein de l’ANC ont en effet révélé que « le système mis en
place pourrait donner lieu à une situation de cohabitation entre un Président issu d’une
majorité alors que le Chef du Gouvernement (procédant des élections législatives) serait issu
d’une autre.
»2456 L’article 101 de la Constitution fait alors du juge constitutionnel, le garant
de la répartition des compétences entre les deux têtes de l’Exécutif. Par une requête écrite et
motivée, la partie la plus diligente porte le litige devant la Cour constitutionnelle. Cette
dernière invite alors l’autre partie à présenter ses observations écrites dans un délai de trois
jours, à compter de la date de notification de la requête. Même si la Constitution a fixé des
compétences exclusives pour chacune des deux têtes, certaines questions à l’instar des affaires
étrangères peuvent se situer tant dans le domaine réservé du président que dans celui du chef
du Gouvernement. En dehors du jeu politique et partisan, la Cour est la mieux à même de
déterminer à qui revient les compétences constitutionnelles exercées.
L’énumération de ces multiples attributions fait de la Cour constitutionnelle, un « organe
constitutionnel » de type particulier. Chargée de veiller au respect de la Constitution, elle est
bien plus qu’une simple juridiction constitutionnelle, puisqu'elle doit aussi garantir le domaine
2455 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 88.
2456 Democracy Reporting International, rapport sur la Cour constitutionnelle tunisienne. Analyse de la
physionomie de l’institution après l’adoption de la loi organique du 3 décembre 2015, [en ligne], [consulté
le 28 mai 2020], http://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/04/DRI-TN-Rapport-Cour-
Constitutionnelle_2015_fr.pdf, p. 16.
550




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de compétences de chaque organe constitutionnel. Ces nombreuses compétences en matière
de fonctionnement des pouvoirs publics ne doivent cependant pas faire oublier qu’elle a été
instituée pour contrôler la constitutionnalité des actes juridiques au sein de l’Etat.
B.
La différence d’attributions et de fonctions
En plus de ses attributions constitutionnelles relatives au fonctionnement des pouvoirs
publics, la Cour est chargée par l’article 120 de la Constitution, de cinq compétences en
matière de contrôle de constitutionnalité. « La Constitution a [en effet] établi un contrôle de
la constitutionnalité concentré au profit de la Cour constitutionnelle.
»2457 Si elle dispose du
monopole du contrôle de constitutionnalité, elle exercera le contrôle a priori (1) et a
posteriori (2). Les actes susceptibles de tels contrôles sont définis ci-dessous.
1. Le contrôle de constitutionnalité a priori
L’article 120 de la Constitution énumère cinq types d’acte susceptibles d’un contrôle de
constitutionnalité de la Cour. Le projet de loi est le premier d’entre eux. L’article 120 de la
Constitution et les articles 45 à 53 de la loi organique 2015-50 ne définissent cependant pas le
concept de « projet de loi ». Concerne-t-il uniquement les actes de nature législative déposés
par le Gouvernement à l’ARP ? Comprendrait-il également les propositions de lois ? Dans le
sens où le contrôle de constitutionnalité concerne les textes de nature législative qui ne sont
pas encore entrés en vigueur, le concept de « projet de loi » apparaît comme celui qui
comprend les projets et les propositions de lois
2458. Le contrôle de constitutionnalité des
projets de loi n’est toutefois ni automatique ni obligatoire. Le Professeur Xavier PHILIPPE
félicite ce choix puisqu’il considère qu’ « une saisine automatique aurait engorgé la Cour et
n’aurait pas permis un réel débat contentieux sur les questions de constitutionnalité.
»2459 Le
Professeur Slim LAGHMANI déclare quant à lui que « la saisine de la Cour constitutionnelle
est facultative en ce qui concerne les projets de loi. Il aurait [cependant] fallu distinguer entre
les lois ordinaires et les lois organiques et établir une saisine obligatoire pour ces
2457 S. LAGHMANI, « La Cour constitutionnelle », précit., p. 403.
2458 Cette interprétation est notamment celle qui est adoptée par le rapport précité de Democracy Reporting
International, sur la Cour constitutionnelle tunisienne.
2459 X. PHILIPPE, « Contrôle juridictionnel et Cour constitutionnelle dans la Constitution », précit., p. 544.
551








Page 553
dernières. »2460 La formulation de l’article 120 de la Constitution est imprécise et il est
regrettable de constater que la loi organique 2015-50 n’a apporté aucune indication
supplémentaire sur la distinction à faire entre les projets de loi ordinaires et organiques.
C'est dans un délai de sept jours2461 à compter de la date d’adoption par l’ARP du projet de
loi, que le président de la République
2462, le chef du Gouvernement ou trente députés au
moins, peuvent intenter un recours en inconstitutionnalité d’un projet de loi
2463. La Cour
constitutionnelle ne se prononcera pourtant que sur les dispositions du projet de loi qui font
l’objet du recours (article 121 de la Constitution). L’autorité publique qui saisit la Cour doit
donc nécessairement indiquer les dispositions qu’elle souhaite voir contrôler. Par ailleurs, la
Cour ne pourra se prononcer sur une disposition du projet de loi qui lui semble
inconstitutionnelle, mais dont elle n’a pas été saisie. Ni la saisine d’office ni la saisine blanche
ne sont donc admises. Il est tout de même important de relever que l’article 120 de la
Constitution accorde à l’opposition parlementaire un pouvoir important en matière de
protection de la Constitution : en tant qu’autorité de saisine, elle peut « porter sur le terrain
juridique des questions qu’elle aura politiquement débattu.
»2464 Ce nouveau droit accordé à
l’opposition rejoint l’article 60 de la Constitution qui attribue à l’opposition parlementaire un
statut constitutionnel.
Ce contrôle a priori et abstrait de constitutionnalité empêche l’entrée en vigueur de projets de
loi inconstitutionnels et il permet au législateur de revoir les dispositions du projet déclarées
inconstitutionnelles
2465, en tenant compte des motifs de la Cour. Selon la formule consacrée,
le juge constitutionnel tiendrait la gomme non le crayon. Dans un deuxième temps, le
président de la République renvoie les dispositions modifiées à la Cour pour qu’elle revérifie
2460 S. LAGHMANI, « La Cour constitutionnelle », précit., p. 406.
2461 Pour les lois de finances, le délai prévu est de trois jours (article 45 de la loi organique 2015-50).
2462 En tant que gardien de la Constitution, le président de la République peut saisir la Cour d’un projet de loi
ou d’un texte de loi amendé dont il a demandé la révision à l’
ARP pour non-conformité à la Constitution
(deuxième paragraphe de l’article 81 de la Constitution).
2463 Le projet de loi est autrement dit adopté, mais non encore promulgué.
2464 X. PHILIPPE, « Contrôle juridictionnel et Cour constitutionnelle dans la Constitution », précit., p. 544.
2465 L’article 52 de la loi organique 2015-50 précise qu’ « [a]u cas où la Cour constitutionnelle déclare
l'inconstitutionnalité totale ou partielle du projet de loi, elle le transmet sans délai accompagné de sa
décision au Président de la République qui le transmet à l'Assemblée des représentants du peuple pour une
seconde délibération conformément à la décision de la Cour dans un délai maximum de trente jours à
compter de la date de la transmission. Le Président de la République soumet le projet de loi, avant sa
promulgation, à la Cour pour examen de sa constitutionnalité. / Et en cas d'adoption par l'Assemblée des
représentants du peuple d'un projet de loi dans une version amendée suite à son renvoi et que la Cour a
auparavant déclaré constitutionnel ou qu'elle l'a transmis au Président de la République pour expiration
des délais sans avoir rendu de décision à son propos, le Président de la République saisit obligatoirement
la Cour constitutionnelle du projet avant sa promulgation pour examen de sa constitutionnalité.
»
552




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leur conformité avec la Constitution2466. L’article 122 de la Constitution introduit une
nouveauté dans le sens où le contrôle de constitutionnalité du projet de loi en seconde lecture
est automatique. A la suite de ce second contrôle, la loi sera promulguée dans la mesure où
elle respecte le dispositif de la Cour et les dispositions de la Constitution.
Les Professeurs Louis FAVOREU et Wanda MASTOR précisent que « lorsque la cour ne
peut que renvoyer la loi au Parlement sans pouvoir l’annuler elle-même, son caractère
juridictionnel peut légitimement être remis en cause. Lorsque, à l’inverse, elle peut se
permettre de réécrire la loi et substituer ses propres dispositions à celle du législateur, elle
s’écarte considérablement de son rôle de juge pour empiéter dans le domaine législatif.
»2467
Bien que les propos de ces deux éminents Professeurs concernent les lois en vigueur faisant
l’objet d’un contrôle de constitutionnalité, il est intéressant d’appliquer leur raisonnement au
contrôle a priori. Le cas tunisien choisit la position intermédiaire : le juge constitutionnel ne
réécrit pas le projet de loi dont les dispositions sont jugées inconstitutionnelles. Il le renvoie
au législateur pour qu’il se conforme aux décisions de la Cour, jouant ainsi le rôle de gardien
de la Constitution, car il n’empiète nullement sur les fonctions du législateur. La mise en
place de la Cour constitutionnelle et l’exercice du contrôle de constitutionnalité a priori des
projets de loi qui lui seront soumis, permettront d’affirmer ou d’infirmer ces propos.
Le dernier alinéa de l’article 52 de la loi organique 2015-50 présente cependant un
problème
2468. Il précise que dans le cas où la Cour ne statuerait pas dans le délai imparti2469,
elle devrait immédiatement transmettre le projet au président de la République. Pour autant,
cela aura-t-il pour effet de conférer un brevet de constitutionnalité au projet de loi ? Certes, le
président de la République est le gardien de la Constitution, mais il s'agit là d'un déni de
justice dans le sens où la Cour peut refuser de rendre publique une décision qu’elle pourrait
prendre. « Cette situation est [somme toute] inacceptable pour l’Etat de droit et la
2466 Article 122 de la Constitution. Le président de la République est dans l’obligation de renvoyer les
dispositions du projet de loi déclarées inconstitutionnelles à l’
ARP. Autrement dit, le projet de loi ne peut
en aucun cas être abandonné après que certaines de ses dispositions aient été déclarées inconstitutionnelles
par la Cour.
2467 L. FAVOREU et W. MASTOR (dir.), Les cours constitutionnelles, op.cit., p. 23.
2468 Cet article vient préciser l’article 121 de la Constitution qui prévoit que la Cour dispose d’un délai de
45 jours à partir de la date du recours en inconstitutionnalité pour rendre sa décision. Si le délai est dépassé
sans que la Cour ait rendu sa décision, le projet de loi est directement transmis au président de la
République.
2469 Ce délai est de 45 jours pour les projets de loi ordinaires et de cinq jours pour les projets de loi de finances
(article 50 de la loi organique 2015-50). En cas d’urgence, ce délai est ramené à dix jours pour les projets
de loi ordinaires (article 51).
553




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préservation de la Constitution. Seule une situation de crise extrême ou de circonstances
exceptionnelles (catastrophe, guerre) pourrait à l’extrême limite constituer une justification à
un tel refus de statuer.
»2470 De plus, ni la Constitution ni la loi organique 2015-50 ne
viennent préciser ce qu'il advient du projet de loi une fois transmis au président de la
République. Cette situation engendre une autre question : la promulgation de la loi
l’immunise-t-elle contre un éventuel contrôle de constitutionnalité a posteriori ? L’esprit et la
logique constitutionnelles qui se dégagent notamment de l’article 146 de la Constitution,
supposent que le juge constitutionnel puisse contrôler la loi une fois qu’elle est promulguée.
Par conséquent, la loi n'est pas immunisée contre un contrôle de constitutionnalité a
posteriori, même si elle est promulguée sans que la Cour ne se soit prononcée. Toutefois,
seule la pratique effective par la Cour constitutionnelle du contrôle de constitutionnalité
permettra de répondre convenablement à cette interrogation. Dans tous les cas, les décisions
de la Cour ont une autorité absolue de chose jugée puisqu’ils s’imposent à tous les pouvoirs
publics (article 121 de la Constitution).
En plus des projets de loi, la Cour constitutionnelle contrôle, en vertu des articles 120 et 144
de la Constitution, la conformité des révisions constitutionnelles à la Constitution. Dans un
délai de trois jours à compter de la date de réception de l’initiative de révision par l’ARP, son
président soumet l’initiative de la révision à la Cour constitutionnelle. Ceci implique que la
Cour contrôle deux éléments essentiels : d’une part, elle doit s’assurer que la révision
constitutionnelle ne porte pas atteinte aux articles qui ne peuvent faire l’objet d’aucune
révision dans les quinze jours suivant la date à laquelle l’initiative a été présentée. D’autre
part, elle contrôle le respect des modalités et des procédures de révision constitutionnelle par
les pouvoirs publics.
Dans le premier cas, la Cour s’assure que les articles 1, 2, 49 et 75 ne font pas l’objet d'une
révision, étant considérés comme le « caractère fondamental à l’équilibre de la Constitution
dont elles constituent la colonne vertébrale.
»2471 Puis elle rend un avis qui lie en principe le
président de l’ARP et celui de la République. Cet avis devra expliquer pourquoi la révision
porte éventuellement atteinte à une disposition non-révisable et indiquer les limites de ce qui
2470 Democracy Reporting International, rapport sur la Cour constitutionnelle tunisienne. Analyse de la
physionomie de l’institution après l’adoption de la loi organique du 3 décembre 2015, [en ligne], [consulté
le 28 mai 2020], http://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/04/DRI-TN-Rapport-Cour-
Constitutionnelle_2015_fr.pdf, p. 13.
2471 Ibid., p. 11.
554




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peut / ne peut pas être révisé2472. Dans le second cas, le président de l’ARP soumet à la Cour
les projets de loi de révision constitutionnelle afin qu’elle contrôle la constitutionnalité de la
procédure de révision et ce, dans un délai maximum de trois jours à compter de la date de
l’adoption de la révision par l’ARP. Cette dernière procédure est prévue aux articles 143 (pour
ce qui est du droit d’initiative) et 144 (pour ce qui relève des majorités spécifiques pour
l’examen et l’adoption de la révision constitutionnelle). La Cour dispose de 45 jours pour
rendre sa décision et de sept pour la transmettre au président de l’ARP. Si la Cour décide de
l’inconstitutionnalité de la procédure de révision constitutionnelle, l’ARP a trente jours pour
se conformer à la décision de la Cour constitutionnelle. « La loi [organique relative à la Cour
constitutionnelle] organise […] l’exercice de cette compétence de façon intelligente en
rendant aux titulaires du pouvoir de révision le soin de tirer les conclusions de ce qui a été
observé par le juge constitutionnel.
»2473 Autrement dit, la Cour constitutionnelle ne
régularise en aucun cas la procédure de révision constitutionnelle : à l’instar des projets de loi
dont elle prononce l’inconstitutionnalité, elle joue son rôle de gardien de la Constitution et
n’empiète pas sur les prérogatives du pouvoir constituant dérivé.
Ce contrôle de la révision constitutionnelle traduit finalement la volonté du pouvoir
constituant originaire de faire respecter et de donner plein effet aux dispositions
constitutionnelles qu’il a prévues. Ce contrôle est d’ailleurs l’une des caractéristiques du
constitutionnalisme transformateur : les Cours constitutionnelles des Etats d’Amérique latine
qui connaissent ce type de constitutionnalisme surveillent le respect par la révision
constitutionnelle de la volonté du constituant originaire
2474. C’est par exemple le cas de la
Cour constitutionnelle péruvienne
2475. Le Professeur César LANDA constate en effet que « le
pouvoir de réforme de la Constitution, […] ne cesse pas d’être un pouvoir constituant-
institué, lequel procède à travers d’une loi constitutionnelle limité et [est], conséquemment,
2472 Ceci s’explique par l’obligation qui incombe à la Cour de motiver ses décisions et ses avis (article 5 de la
loi organique 2015-50).
2473 Democracy Reporting International, rapport sur la Cour constitutionnelle tunisienne. Analyse de la
physionomie de l’institution après l’adoption de la loi organique du 3 décembre 2015, [en ligne], [consulté
le 28 mai 2020], http://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/04/DRI-TN-Rapport-Cour-
Constitutionnelle_2015_fr.pdf, p. 12.
2474 Pour un aperçu exhaustif des révisions constitutionnelles des Etats d’Amérique latine cf. D. NOLTE,
« Réformes constitutionnelles en Amérique latine »,
in C.-M. HERRERA (dir.), Le constitutionnalisme
latino-américain aujourd’hui : entre renouveau juridique et essor démocratique ?, op.cit.
, pp. 55-81.
2475 Pour une étude détaillée du cas péruvien cf. C. DE CABO MARTIN, La reforma constitucional en la
perspectiva de las fuentes del Derecho, Madrid, Trotta, 2003, pp. 62 et ss.
555



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soumis au contrôle de constitutionnalité de la Cour constitutionnelle. »2476 Au Pérou comme
en Tunisie, la Cour constitutionnelle vérifie que le pouvoir de révision n’outrepasse pas la
volonté du constituant originaire. Malgré ce constat, la pratique effective de ce contrôle par la
Cour constitutionnelle tunisienne confirmera ou infirmera les propos qui précèdent.
Selon l’article 20 de la Constitution, les conventions approuvées par l’ARP et ratifiées ont une
valeur supra-législative et infra-constitutionnelle. L’article 120 de la Constitution précise que
la Cour constitutionnelle contrôle le projet de loi relatif à l’approbation du traité international
avant sa promulgation. Dans le cas où le traité serait contraire à la Constitution, il ne pourrait
entrer en vigueur
2477. Le président de la République est la seule autorité compétence pour
saisir la Cour de ce contrôle
2478 qui est pour lui une faculté et non d’une obligation,
conformément à l’article 43 de la loi organique 2015-50. Relevant du pouvoir discrétionnaire
du Chef de l’Etat, il est certain que l’interprétation du troisième alinéa de l’article 120 de la
Constitution dépendra de sa personnalité et de ses choix politiques. Parallèlement, les députés
gardent leur faculté de saisir la Cour constitutionnelle du contrôle de constitutionnalité du
projet de loi d’approbation du traité. Dans ce cas, la Cour examinera le contenu du traité, sa
conformité aux dispositions constitutionnelles et la constitutionnalité du projet de loi
d’approbation du traité, à l’aune des dispositions du traité. En effet, une fois le projet de loi
d’approbation soumis à la Cour, elle devra « s’intéresser au contenu du traité même puisque
ces projets de loi d’approbation sont souvent limités à une phrase se référant au
traité.
»2479 Cela reste pourtant théorique et devra être confirmé par la pratique. Ce contrôle de
constitutionnalité a priori exclut d'ailleurs de la compétence de la Cour, la possibilité de
contrôler les « dispositions conventionnelles que la Tunisie aurait déjà ratifiée et mises en
œuvre.
»2480
2476 C. LANDA, « Contrôle de constitutionnalité de la réforme constitutionnelle dans la région andine », Nomos
le 21 octobre 2020], http://www.nomos-leattualitaneldiritto.it/wp-
2-2016 [en
content/uploads/2016/09/Landa_Nomos2-2016.pdf, p. 6.
[consulté
ligne],
2477 Il est logique de penser que la Constitution devra être révisée pour recevoir le traité et se conformer à ses
dispositions.
2478 Le président de la République est à la fois le gardien de la Constitution et l’autorité habilitée à signer les
traités internationaux. C’est la raison pour laquelle, il est la seule autorité compétente pour saisir la Cour
constitutionnelle du contrôle de constitutionnalité du projet de loi relatif à l’approbation du traité.
2479 Democracy Reporting International, rapport sur la Cour constitutionnelle tunisienne. Analyse de la
physionomie de l’institution après l’adoption de la loi organique du 3 décembre 2015, [en ligne], [consulté
le 28 mai 2020], http://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/04/DRI-TN-Rapport-Cour-
Constitutionnelle_2015_fr.pdf, p. 12.
2480 X. PHILIPPE, « Contrôle juridictionnel et Cour constitutionnelle dans la Constitution », précit., p. 545.
556




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Enfin, en vertu de l’article 62 de la loi organique 2015-50, le président de l’ARP soumet à la
Cour le règlement intérieur de l’Assemblée et tous les amendements qui y ont été apportés dès
l’adoption de chacun d’eux et ce, avant leur mise en application. Le dernier contrôle de
constitutionnalité a priori effectué par la Cour constitutionnelle est donc celui de l'intégralité
du règlement intérieur de l’ARP. La Cour connaîtrait alors une saisine blanche, autrement dit
sans moyen juridique précis. A l’instar du contrôle du respect de la procédure de révision
constitutionnelle, l’ARP disposera de trente jours pour modifier les dispositions déclarées
inconstitutionnelles par la Cour
2481 et lui soumettre le règlement intérieur amendé. Il ne
semble donc pas que
la Cour puisse directement
intervenir pour
régler une
inconstitutionnalité :
elle
indiquerait uniquement
au
législateur
les dispositions
inconstitutionnelles qu’il devra régulariser.
Bien que l’article 120 de la Constitution ait prévu cinq chefs de compétences en matière de
contrôle a priori de constitutionnalité, il ne consacre pas le contrôle des règlements
autonomes. Le Professeur Slim LAGHMANI déclare que « la Constitution n’a établi
d’exclusivité au profit de
la Cour constitutionnelle que pour
le contrôle de
la
constitutionnalité des lois, des lois constitutionnelles, des conventions et du règlement
intérieur de l’ARP
»2482 et que rien n’interdit le Tribunal administratif de contrôler par voie
d’exception, la constitutionnalité des règlements autonomes
2483. Au cours du processus
constituant, le Tribunal administratif s’était d’ailleurs chargé du contrôle de constitutionnalité
des lois de l’ANC. Ce point sera développé après l'examen du nouveau contrôle mis en place
par la Constitution du 27 janvier 2014.
2481 Cette dernière devra statuer dans un délai de 45 jours. Il est intéressant de noter qu’en vertu du dernier
alinéa de l’article 77 de la loi organique 2015-50, les dispositions du règlement intérieur déclarées
inconstitutionnelles par la Cour continuent à s’appliquer dans un délai de trois mois.
2482 S. LAGHMANI, « La Cour constitutionnelle », précit., p. 406.
2483 Sous l’ancien régime, le Tribunal administratif avait l’habitude de contrôler la conformité des actes
administratifs à la Constitution. Le contrôle n’était cependant pas
a priori, mais concernait les actes
administratifs en vigueur. C’est l’exemple de l’arrêt de première instance du Tribunal administratif Youssef
FERCHICHI c./Ministre de l’éducation nationale en date du 28 mars 2006 (Aff. N° 25253). Bien que le
Tribunal administratif ait jugé que l’administration était tenue de rédiger ses actes en langue arabe en vertu
de l’article premier de la Constitution du 1er juin 1959, la langue employée par l’administration n’est pas
considérée comme une formalité substantielle qui entache d’illégalité l’acte administratif. Dans le même
sens, voir l’arrêt d’appel Président de l’Université de Sousse c./Fraj du 24 juin 2005 (Affaire N° 25085).
Pour plus de précisions sur les contrôles effectués par le Tribunal administratif en pleine transition
constitutionnelle et démocratique, cf. le A. du Paragraphe 1 de la Section 2 qui suit.
557





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2. Le contrôle de constitutionnalité a posteriori
Le contrôle de constitutionnalité des lois en vigueur est une véritable nouveauté en Tunisie.
L’avant-dernier tiret de l’article 120 de la Constitution prévoit la possibilité pour l’une des
parties au
litige devant une
juridiction ordinaire, de
soulever une exception
d’inconstitutionnalité. La procédure mise en place par la loi organique 2015-50 ressemble
cependant plus à celle de
la question préjudicielle qu’à celle de
l’exception
d’inconstitutionnalité : « une exception est traditionnellement examinée par le même juge que
celui qui statue sur le fond du litige. En réalité, il s’agit ici pour le juge ordinaire de
soumettre une question préjudicielle de constitutionnalité.
»2484 Lorsqu’une des parties au
litige soulève une question de constitutionnalité devant le juge ordinaire, celui-ci ne tranche
pas la question, mais sursoie à statuer et renvoie la question à la Cour constitutionnelle
2485.
« Le système tunisien n’entame donc pas le principe d’exclusivité de la compétence de la
Cour constitutionnelle sur le contrôle de constitutionnalité des lois.
»2486 Si ce nouveau
contrôle remet en cause pour l’avenir, une disposition législative déjà appliquée, mais
déclarée inconstitutionnelle, il est regrettable de constater que la loi organique 2015-50 ne
règle en aucun cas la procédure de l’exception et les hypothèses de renvoi.
Dans ce contexte, le Professeur Slim LAGHMANI estimait que le législateur organique était
répondre à
tenu de
l’exception
d’inconstitutionnalité est-elle possible ? Selon quelle(s) procédure(s) ? Avec quels effets
2487 ?
trois questions essentielles
: dans quels cas
La Section 4 de la loi organique 2015-50 qui traite du contrôle de constitutionnalité des lois
en vigueur est pourtant aussi évasive que les dispositions constitutionnelles en la matière : elle
ne prévoit nullement dans quels cas, l’exception d’inconstitutionnalité est possible. Alors,
puisqu’au niveau de la procédure, l’exception d’inconstitutionnalité tunisienne se rapproche
de la Question Prioritaire de Constitutionnalité française (QPC), il est intéressant de
comparer les dispositions des deux Constitutions et des deux lois organiques en la matière.
L’article 61-1 de la Constitution française du 4 octobre 1958 prévoit que la QPC n’est valable
que « [l]orsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu
2484 X. PHILIPPE, « Contrôle juridictionnel et Cour constitutionnelle dans la Constitution », précit., p. 545.
2485 Si le juge ordinaire est le juge du fond de l’affaire, le juge constitutionnel est le juge de la Constitution.
2486 Democracy Reporting International, rapport sur la Cour constitutionnelle tunisienne. Analyse de la
physionomie de l’institution après l’adoption de la loi organique du 3 décembre 2015, [en ligne], [consulté
le 28 mai 2020], http://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/04/DRI-TN-Rapport-Cour-
Constitutionnelle_2015_fr.pdf, p. 14.
2487 S. LAGHMANI, « La Cour constitutionnelle », précit., p. 408.
558




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qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit,
le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de
la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. » En Tunisie, l’article 54 de la
loi organique 2015-50 précise uniquement que « [l]es parties dans les affaires pendantes au
fond devant les tribunaux peuvent soulever l’exception d’inconstitutionnalité de la loi
applicable au litige. » La loi applicable au litige devra-t-elle porter atteinte à un droit
subjectif ? Aux droits et aux libertés garantis par la Constitution ? Aucune réponse à ces
questions n’est apportée par le législateur organique. Par conséquent, il n’y a aucune
condition pour soulever l’exception d’inconstitutionnalité de la loi applicable au litige et ce
flou risque d’engorger la Cour constitutionnelle au moment de sa mise en place.
La seule condition requise par loi organique 2015-50 est que la partie au litige2488 rédige un
mémoire motivé et distinct, indiquant de manière précise les dispositions législatives
contestées et les arguments du recours en inconstitutionnalité (article 55 de la loi organique
2015-50)
2489. Alors, le juge du fond transmet directement et obligatoirement la question à la
Cour (article 56) et plusieurs constats s’imposent à ce stade. Tout d'abord, la loi organique
n’indique pas si le juge du fond peut contrôler les conditions de recevabilité fixées à
l’article 55. Puis, la loi organique ne prévoit aucun système de filtrage au niveau des
juridictions ordinaires. A l’instar de la QPC française, il aurait fallu envisager un double
filtrage de l’exception d’inconstitutionnalité. Alors qu’en France, la QPC est soumise à des
conditions et examinée par les juridictions ordinaires et les plus hautes juridictions de l’ordre
judiciaire ou administratif
2490, en Tunisie toutes les exceptions d’inconstitutionnalités seraient
obligatoirement transmises par les juridictions ordinaires à la Cour constitutionnelle, sans
conditions ni filtres. Aussi, ni la Constitution ni la loi organique ne déterminent quelles sont
les juridictions qui saisissent la Cour constitutionnelle de l’exception d’inconstitutionnalité.
La décision de renvoi par le juge du fond de l’exception d’inconstitutionnalité à la Cour
2488 Autrement dit la partie qui soulève l’inconstitutionnalité de la loi qui lui est appliquée.
2489 Ce mémoire est généralement rédigé par un avocat auprès de la Cour de cassation.
2490 L’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel français
telle que modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 précise que la juridiction saisie
d’une
QPC ne la transmet à la Cour de cassation ou au Conseil d’Etat que si trois conditions cumulatives de
recevabilités sont réunies. Ces dernières sont les suivantes : «
1. La disposition contestée est applicable au
litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2. Elle n’a pas déjà été déclarée
conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf
changement de circonstances ; / 3. La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. » Si la QPC
remplit l’ensemble de ces conditions, elle est transmise à la Cour de cassation ou au Conseil d’Etat. L’une
ou l’autre de ces juridictions devra ensuite vérifier la réunion de trois conditions cumulatives similaires à
celles susmentionnées pour que la
QPC accède à la Cour constitutionnelle. Pour plus de précisions sur ces
conditions, cf. l’article 23-4 de l’ordonnance n° 58-1067.
559



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constitutionnelle, n’est par ailleurs susceptible d’aucune voie de recours, même d’un pourvoi
en cassation
2491. Ceci aurait pourtant permis de filtrer les exceptions d’inconstitutionnalité
avant que la Cour ne soit saisie.
Même si le président de la juridiction saisie doit rédiger une décision de transmission qui
regroupe les éléments de droit ainsi qu’un résumé des faits de l’affaire ayant donné lieu à
l’exception d’inconstitutionnalité, la juridiction ordinaire n’effectuera aucun contrôle négatif
de constitutionnalité de la loi
2492. La QPC française au contraire, implique les juridictions de
fond dans le contrôle de constitutionnalité des lois en vigueur, tandis qu'en Tunisie, seule la
Cour constitutionnelle est compétente en la matière. Les juridictions ordinaires ne disposent
donc d’aucun pouvoir de filtrage
2493.
En cherchant à confier
la Cour
constitutionnelle, le législateur organique lui permet de créer des commissions spéciales
2494,
l’intégralité du contrôle de constitutionnalité à
exclusivement chargées d’examiner la recevabilité (forme et procédure) de la requête. Ces
commissions ne disposent pourtant d’aucun pouvoir de décision sur la recevabilité de la
requête : elles ne peuvent que délivrer un avis de rejet ou de poursuite de l’examen de la
requête, à la Cour. Cela permet-il véritablement de désengorger le prétoire de la Cour ? En
effet, malgré leur avis, la Cour constitutionnelle devra tout de même se prononcer sur les
propositions des commissions. En examinant les arguments avancés par la partie
2495, la Cour
sera également chargée d’étudier le fond du recours. Autrement dit, les commissions spéciales
mises en place n’allégeront pas réellement le travail de la Cour. L’ultime question à laquelle il
2491 Article 56 de la loi organique 2015-50 relative à la Cour constitutionnelle.
2492 L’article 57 de la loi organique 2015-50 prévoit que « [l]a décision de renvoi est rendue, signée par le
président et le greffier du tribunal intéressé, elle doit comporter les noms, prénoms et adresses des parties,
les moyens du pourvoi dirigés contre la loi objet du recours et ses dispositions faisant l’objet de l’exception
d’inconstitutionnalité et un exposé succin et des faits de l'affaire quant au fond directement liés au
recours. / La décision de renvoi est adressée à la Cour constitutionnelle accompagnée du mémoire du
recours mentionné à l'article 55 de la présente loi.
»
2493 En théorie, les juges ordinaires ne seraient pas amenés à évaluer la qualité des arguments soulevés au fond.
Une fois la Cour constitutionnelle mise en place, la pratique des juridictions ordinaires en la matière
pourrait toutefois modifier ces règles de fonctionnement.
2494 Ces commissions seraient composées de trois membres spécialistes en droit (article 59 de la loi organique
2015-50).
2495 La Cour dispose de trois mois pour rendre sa décision. Ce délai est renouvelable une fois si besoin est. Les
délais en matières électorale (cinq jours), financière et douanière (trente jours) sont cependant plus courts.
La loi organique ne prévoit pas les situations de non-respect des délais susmentionnés. Contrairement au
contrôle de constitutionnalité
a priori des projets de loi, la transmission automatique de la loi dont les
dispositions inconstitutionnelles ont été abrogées à la Cour constitutionnelle, n’est pas prévue dans le cadre
du contrôle de constitutionnalité
a posteriori des lois. La Constitution et la loi organique 2015-50 sont
muettes sur ce point.
560




Page 562
est important de répondre est celle des effets de la décision de la Cour, en matière d’exception
d’inconstitutionnalité.
L’article 123 de la Constitution le prévoit : « En cas de saisine de la Cour constitutionnelle
suite à une exception d’inconstitutionnalité d’une loi, celle-ci se limite à examiner les moyens
invoqués, sur lesquels elle statue par décision motivée, dans un délai de trois mois
renouvelable une seule fois pour la même période. / Si la Cour constitutionnelle déclare
l’inconstitutionnalité, l’application de la loi est suspendue, dans les limites de ce qui a été
jugé.
»2496 D’une part, la Cour ne se prononce pas sur l’intégralité de la loi, mais sur les seules
dispositions contestées
2497 par
la partie. D’autre part,
les dispositions
jugées
inconstitutionnelles ne sont pas abrogées, mais suspendues. Si la non-application au cas
d’espèce des dispositions jugées inconstitutionnelles est un effet classique des exceptions
d’inconstitutionnalité
2498, elle appelle ici plusieurs remarques. Comme le dit le Professeur
Xavier PHILIPPE, « [s]
uspendre signifie que le texte est encore en vigueur. »2499 La
déclaration d’inconstitutionnalité entraîne généralement l’abrogation, alors qu'en Tunisie, elle
ne suppose pas que la disposition jugée inconstitutionnelle soit annulée, mais qu'elle ne
pourrait plus être appliquée
2500. Ceci n’est pourtant qu’une interprétation des dispositions de
l’article 123 de la Constitution dont la version arabe – la loi « لمعلا فقوتي » – est en effet,
sujette à interprétation.
2496 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 123.
2497 En d'autres termes, la Cour ne pourra contrôler que les dispositions de la loi qui sont contestées par la partie
au litige et pour lesquelles le requérant a formé des arguments.
2498 C’est notamment le cas aux Etats-Unis. Pour plus de précisions sur ce point, cf. S. LAGHMANI, « La Cour
constitutionnelle », précit., p. 409.
2499 X. PHILIPPE, « Contrôle juridictionnel et Cour constitutionnelle dans la Constitution », précit., p. 547.
2500 Le dernier alinéa de l’article 123 de la Constitution précise que « l’application de la loi est suspendue, dans
les limites de ce qui a été jugé.
» Ceci signifie que le législateur organique prévoit les divers effets que la
Cour peut attribuer à sa décision, à l’instar des réserves d’interprétation et de l’applicabilité immédiate ou
différée. Or, l’article 60 de la loi organique précise uniquement que « [s]
i la Cour déclare
l'inconstitutionnalité d'une loi ou des dispositions d'une loi, son application est suspendue dans les limites
de ce qui a été jugé, envers tous, sans que son prononcé ne puisse avoir d’effet rétroactif sur les droits
acquis ou sur les affaires ayant fait l’objet d’un jugement définitif.
» Bien qu’elle précise que les
dispositions déclarées inconstitutionnelles n’ont pas d’effet rétroactif, elle n’indique nullement si les effets
de la décision sont immédiats ou différés. Nonobstant, la loi organique apporte des précisions sur
l’exception d’inconstitutionnalité des lois électorales puisqu’elle précise que dans le cas où la Cour déclare
leur inconstitutionnalité, « les dispositions objet de recours sont suspendues seulement envers le requérant
et ce à compter de la date de prise de la décision de la Cour constitutionnelle. / L'application des
dispositions de la loi déclarées inconstitutionnelles par la Cour est suspendue à partir des élections
suivantes.
» Excepté pour les lois électorales, la loi organique apporte peu de précisions aux dispositions
constitutionnelles en matière d’exception d’inconstitutionnalité.
561




Page 563
Cette portion de phrase peut être traduite de deux manières bien distinctes : la première
suppose que la loi en question « ne s’applique pas », la seconde suggère que la loi « ne
s’applique plus ». L’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité est-il la suspension ou
l’abrogation ? La réponse à la question est donnée à l’article 60 de la loi organique 2015-50
qui précise que « [s]i la Cour déclare l'inconstitutionnalité d'une loi ou des dispositions d'une
loi, son application est suspendue dans les limites de ce qui a été jugé, envers tous, sans que
son prononcé ne puisse avoir d’effet rétroactif sur les droits acquis ou sur les affaires ayant
fait l’objet d’un jugement définitif. » La déclaration d’inconstitutionnalité suppose donc que la
inconstitutionnelle soit abrogée
2501. Or, puisque
le contrôle de
disposition
jugée
constitutionnalité a posteriori de la loi en Tunisie ressemble à la QPC française, le législateur
organique aurait pu s’inspirer de l’article 62 alinéa 2 de la Constitution française du 4 octobre
1958 qui prévoit explicitement l’abrogation de la disposition jugée inconstitutionnelle
2502.
Malgré ce qui précède, une fois la Cour constitutionnelle mise en place, ce contrôle aura
l'avantage d’abroger des lois inconstitutionnelles adoptées sous l’ancien régime.
Dans un délai maximum de sept jours à compter de la date du prononcé, le tribunal auprès
duquel le recours par voie d’exception a été formé, est informé de la décision de la Cour
2503,
comme le président de la République, celui de l’ARP et le chef du Gouvernement. Il leur
appartiendra alors de tirer les conclusions de l’inconstitutionnalité des dispositions législatives
en question (article 61 de la loi organique 2015-50), puisque la décision de la Cour a un effet
erga omnes2504. L’analyse des dispositions constitutionnelles en matière d’exception
d’inconstitutionnalité permet de penser que la Cour constitutionnelle ne légifère pas : elle
renvoie au législateur les dispositions de la loi jugée inconstitutionnelle. Il sera intéressant de
savoir si une fois mise en place, la Cour constitutionnelle accepte ses attributions
2501 Le Professeur Slim LAGHMANI ajoute : « Le terme “suspension” n’est pas nécessairement impliqué par
l’expression “
لمعلا فقوتي”. Il l’aurait été si le constituant avait utilisé l’expression “ قيبطت قلعي”, mais, là-
dessus mon opinion sera probablement minoritaire.
» S. LAGHMANI, « La Cour constitutionnelle »,
précit., p. 410.
2502 L’article 62 alinéa 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit en effet qu’ « une disposition déclarée
inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision
du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel
détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles
d’être remis en cause.
»
2503 L’examen de l’affaire principale par le juge du fond est suspendu en cas de renvoi de l’exception
d’inconstitutionnalité à la Cour. Les délais sont également suspendus à compter de la date de prise décision
jusqu’à la réception par le tribunal de la décision de la Cour (article 58 de la loi organique 2015-50).
2504 La seule exception en la matière concerne les lois électorales. L’inconstitutionnalité des dispositions d’une
loi électorale ne vaut en effet que pour le requérant durant l’élection en cours. La décision de la Cour a
cependant une valeur
erga omnes lors des élections suivantes.
562



Page 564
constitutionnelles ou si elle choisit de substituer ses propres dispositions à celles du
législateur.
Pensée comme une juridiction constitutionnelle, la Cour constitutionnelle connaît un contrôle
de constitutionnalité concentré et a priori. Le constituant a prévu
l’exception
d’inconstitutionnalité des lois en vigueur, mais la Cour contrôle essentiellement la
constitutionnalité des actes de nature législative. Les compétences de la Cour l’érigent en
véritable gardien des dispositions de la Constitution, pourtant il est regrettable que le
législateur organique n’ait pas été suffisamment précis et que les pouvoirs publics n’aient
toujours pas nommé les juges constitutionnels. Pour autant, il faut reconnaître la naissance en
2014 du contrôle de constitutionnalité des lois en Tunisie.
Section 2
Le contrôle de constitutionnalité en période de transition constitutionnelle
et démocratique
La Cour constitutionnelle n’existe toujours pas en Tunisie. Sa mise en place relève de
plusieurs enjeux (Paragraphe 2). Chargée de garantir la suprématie de la Constitution, elle
sera également amenée à interpréter les articles 1 et 2 relatifs à la nature de l’Etat. Le retard
accumulé dans sa mise en place se justifie entre autres, par le difficile accord sur la
nomination des juges constitutionnels. Malgré l’inexistence de la Cour constitutionnelle, la
Tunisie effectue le contrôle de constitutionnalité (Paragraphe 1). Exercé un temps par le
Tribunal administratif, il l'est aujourd’hui par l’Instance provisoire de contrôle de
constitutionnalité des projets de lois.
Paragraphe 1
Le contrôle de constitutionnalité en l’absence de juridiction
constitutionnelle
Au cours des trois mois qui ont suivi la promulgation de la Constitution, l’ANC a créé par la
loi organique n° 2014-14 du 18 avril 2014, l’Instance provisoire chargée du contrôle de
563










Page 565
constitutionnalité des projets de lois (IPCCPL)2505. Dans l’attente de la mise en place de la
Cour constitutionnelle, cette instance est chargée du contrôle de constitutionnalité a priori des
projets de loi (B). Bien avant la création de l’IPCCPL, le Tribunal administratif a contrôlé la
constitutionnalité des lois de l’ANC, au cours du processus constituant. Même s’il a admis
qu’il est le garant du principe de légalité et non de constitutionnalité, le juge administratif a
contrôlé la constitutionnalité des lois adoptées par les 217 élus de l’ANC, au motif qu’il n’y
avait pas d’organe chargé du contrôle de constitutionnalité des lois
2506 (A).
A.
Le rôle du Tribunal administratif en matière de contrôle de constitutionnalité des
lois de l’ANC
Institué par la loi n° 72-40 du 1er juin 1972, le Tribunal administratif est le juge de
l’administration et de ses actes. Il n’a en principe, aucune compétence pour juger le législateur
et contrôler la constitutionnalité de ses actes. Afin d’expliquer comment et surtout pourquoi le
Tribunal administratif en est venu à contrôler la constitutionnalité des lois de l’ANC, il est
essentiel d’exposer le contrôle du Tribunal administratif avant l’anéantissement de la
Constitution du 1
er juin 19592507. Sous l’ancien régime, le Tribunal administratif avait en effet
« ouvert le bal du contrôle de constitutionnalité des lois grâce au contrôle de conventionalité
des lois.
»2508 Dans l’objectif de statuer sur la légalité d’un acte administratif, le Tribunal
administratif avait jugé que le contrôle de la conventionalité de la loi lui revenait. Dans
l’affaire de la
Ligue tunisienne des droits de l’Homme2509, le Tribunal administratif s’était
fondé sur le dernier alinéa de l’article 32 de la Constitution du 1
er juin 1959 : il avait considéré
que les traités ratifiés par le président de la République et approuvées par la Chambre des
députés prévalaient sur les lois. Alors, pour qu’il puisse effectuer le contrôle de légalité de
l’acte administratif qui lui était soumis, le juge administratif a dû par voie d’exception,
contrôler la constitutionnalité de la loi. Il a estimé que le Pacte International relatif aux
2505 Cette Instance est créée conformément à l’alinéa 7 de l’article 148 de la Constitution.
2506 Democracy Reporting International, rapport sur la Cour constitutionnelle tunisienne. Analyse de la
physionomie de l’institution après l’adoption de la loi organique du 3 décembre 2015, [en ligne], [consulté
le 28 mai 2020], http://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/04/DRI-TN-Rapport-Cour-
Constitutionnelle_2015_fr.pdf, p. 43.
2507 Décret-loi n° 14 du 23 mars 2011, JORT n° 20 du 25 mars 2011, p. 363.
2508 A. MAHFOUDH, « Le Tribunal administratif, juge constitutionnel ? », in Etudes à la mémoire du Doyen
Abdelfattah AMOR, op.cit., p. 155.
2509 TA, REP n° 3643, du 21 mai 1996, Ligue tunisienne des droits de l’Homme c./Ministère de l’Intérieur. R.
1996, p. 185. Pour plus de précisions sur ce point, cf. F. HORCHANI, « La constitution tunisienne et les
traités après la révision du 1
er juin 2002 », in Annuaire français de droit international, vol. 50, 2004, p. 155.
564





Page 566
Droits Civils et Politiques primait sur la loi organique du 2 avril 1992 régissant les
associations
2510. En procédant de la sorte, le Tribunal administratif faisait respecter la
hiérarchie des normes telle que posée par les articles de la Constitution du 1
er juin 19592511.
Le Professeur Amin MAHFOUDH estime « qu'un contrôle de la conventionalité d'une loi est
nécessairement un contrôle de sa constitutionnalité, dans la mesure où une loi contraire à un
traité serait nécessairement contraire à la constitution.
»2512 Cet avis ne fait pourtant pas
l’unanimité. Le Professeur Farhat HORCHANI pense lui que dans cette affaire, « le juge
administratif s'est placé sur le strict terrain du contrôle de la conventionalité de la loi pour
déclarer la suprématie du traité. […] ce n'est guère un contrôle de constitutionnalité, car la
norme de référence immédiate pour les deux types de contrôle n'est pas la même. Pour le
contrôle de la constitutionnalité, la norme de référence est la règle constitutionnelle, pour le
contrôle de conventionalité, la norme est le traité : le juge contrôle la conformité de la loi par
rapport à un traité, non la loi par rapport à la constitution.
»2513 Dans un cas comme dans
l’autre, il est important de souligner que le Tribunal administratif a été soucieux de faire
respecter la hiérarchie des normes telles que posée par la Constitution du 1
er juin 1959. Par
conséquent, en période de transition constitutionnelle, autrement dit en l’absence d’un texte
constitutionnel, le Tribunal administratif peut-il faire respecter la hiérarchie des normes ?
A partir du 15 mars 2011, le décret-loi n° 14 du 23 mars 2011 est entré en vigueur. Ayant
enterré la Constitution du 1
er juin 1959, il a provisoirement organisé les pouvoirs publics2514 :
il a officiellement dissous la Chambre des députés et des conseillers, le Conseil
constitutionnel, le Conseil économique et social, mais il a maintenu en l’état le Tribunal
administratif et la Cour des comptes
2515. Ce décret-loi fonde le nouvel ordre constitutionnel
puisqu’il organise le fonctionnement des institutions de l’Etat « [j]usqu'à ce qu'une assemblée
2510 Pour plus de précisions sur ce point, cf. F. HORCHANI, « La constitution tunisienne et les traités après la
révision du 1er juin 2002 », précit., p. 155.
2511 La jurisprudence du Tribunal administratif en la matière a d’ailleurs été confirmée dans l’affaire Madani de
2005 (TA, Aff. n° 15327 du 24 juin 2005, Madani c./Ministre de la Santé Publique).
2512 F. HORCHANI, « La constitution tunisienne et les traités après la révision du 1er juin 2002 », précit.,
p. 170. Le Professeur Amin MAHFOUDH l’affirme clairement dans son article précité puisqu’il déclare
que «
le contrôle de conventionalité s’analyse comme une modalité du contrôle de constitutionnalité. »
A. MAHFOUDH, « Le Tribunal administratif, juge constitutionnel ? »,
précit., p. 155.
2513 F. HORCHANI, « La constitution tunisienne et les traités après la révision du 1er juin 2002 », précit.,
p. 170.
2514 En vertu des articles 4 et 5 du décret-loi n° 14, le président de la République par intérim devient le
législateur du pays.
2515 Pour plus d’informations sur l’apport du décret-loi n° 14, cf. R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La
transition démocratique en Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire »,
précit.,
pp. 722-723.
565




Page 567
nationale constituante, élue au suffrage universel, libre, direct et secret selon un régime
électoral pris à cet effet, prenne ses fonctions
»2516. De légitimité révolutionnaire, ce décret-
loi a représenté « un seuil minimum de constitutionnalité et la clé de voûte des institutions de
l’État
»2517, au cours de la transition constitutionnelle. Bien qu’il ne soit pas à proprement
parler une Constitution, le décret-loi n° 14 a juridiquement lié les institutions maintenues en
place, à l’instar du Tribunal administratif.
A ce texte s’ajoute le décret-loi n° 35 du 10 mai 2011 relatif à l’élection de l’Assemblée
Nationale Constituante
2518. Celui-ci a fait l’objet de plusieurs contentieux soumis au Tribunal
administratif qui a accepté d'en contrôler la conventionalité. Le premier d’entre eux
concernait la conformité de son article 15 à l’article 25 du Pacte International relatif aux
Droits Civils et Politiques
2519. Si le contrôle de conventionalité est considéré comme une
modalité du contrôle de constitutionnalité, il est possible d’affirmer que le Tribunal
administratif s’est chargé du contrôle de constitutionnalité des lois, en période de transition
constitutionnelle. En septembre 2011, il devait répondre à la question des restrictions posées à
l’article 15 du décret-loi n°35 : contrevenaient-elles aux droits consacrés par l’article 25 du
PIDCP2520 ? Les personnes ayant appelé le président déchu à un nouveau mandat en 2014,
celles appartenant au Rassemblement Constitutionnel Démocratique et/ou ayant assumé une
responsabilité au sein du Gouvernement du président déchu étaient interdites de présenter leur
candidature à l’ANC.
Pour le juge administratif, « [n]e concernant que certaines personnes et s’expliquant par la
volonté de rupture avec l’ancien régime basé sur l’arbitraire et le mépris de la volonté du
peuple par l’accaparation du pouvoir et la falsification des élections selon le Préambule du
décret-loi n° 2011-35, les limitations contenues dans l’article 15 dudit décret-loi sont […]
2516 Article premier du décret-loi n° 14 du 23 mars 2011.
2517 R. BEN ACHOUR et S. BEN ACHOUR, « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité
constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », précit., p. 723.
2518 JORT, n° 33, pp. 647-656.
2519 TA, Appel, Aff. n° 28946 du 22 septembre 2011, N. Mistiri c./Instance régionale de Sousse des élections.
Voir également TA, Appel, Aff. n° 28947 du 24 septembre 2001,
M. T. Oued c./Instance régionale de
Sousse des élections et TA, Appel, Aff. n° 28991 du 28 septembre 2011, K. Ghannouchi c./Instance
régionale de Sousse des élections.

2520 Cet article garantit le droit de tout citoyen de prendre part à la gestion des affaires publiques, de voter,
d’être élu et de participer aux fonctions publiques sans discrimination aucune. Toutefois, il permet aussi
aux Etats qui le ratifient de restreindre raisonnablement lesdits droits.
566




Page 568
légales » (TA, n° 28946, 22 septembre 2011)2521. Il a de plus estimé que les autres restrictions
étaient raisonnables et conformes aux dispositions de l’article 25 du PIDCP. Bien qu’il ait
repris le considérant développé par le Tribunal de Première Instance de Sousse
2522, le Tribunal
administratif a admis que dans l’ordre constitutionnel nouveau posé par le décret-loi n° 14, les
traités internationaux primaient sur les lois ordinaires. Cette primauté avait été reconnue par le
Tribunal de Première Instance de Sousse alors même que la Constitution du 1
er juin 1959
n’était plus en vigueur.
En période de transition constitutionnelle, la jurisprudence du Tribunal administratif est
d’autant plus remarquable que dans un arrêt du 7 novembre 2013, il a déclaré qu’en l’absence
d’une Cour constitutionnelle, il lui revenait de contrôler la conformité des lois à la
Constitution, aux principes fondamentaux constitutionnels et aux conventions en vigueur
2523.
Le Professeur Amin MAHFOUDH déclare à ce titre que « le juge administratif tunisien, […],
est désormais le Marshall de la Tunisie. L’œuvre du TA a même ajouté à la doctrine Marshall
une dose d’habilité puisque les principes fondamentaux constitutionnels existent même en
l’absence d’une constitution écrite.
»2524 Malgré
l’indétermination des principes
fondamentaux constitutionnels
2525, il est remarquable qu’en l’absence d’une Constitution
écrite, le juge administratif
2526 réussisse à faire respecter la hiérarchie des normes aux
pouvoirs publics provisoires
2527. En période de transition constitutionnelle, l’œuvre du
Tribunal administratif aide la Tunisie à sortir de l’Etat légal et à bâtir petit à petit l’Etat de
droit.
2521 Rapport de l’équipe d’assistance électorale de l’Union européenne en Tunisie, « Elections de l’Assemblée
Nationale Constituante - 23 octobre 2011 », mai 2012, [en ligne], [consulté le 24 juin 2020], https://
aceproject.org/ero-en/regions/africa/TN/tunisie-analyse-du-contentieux-des-elections-a, p. 48.
2522 TPI de Sousse, Aff. n° 11 du 17 septembre 2011, N. Mestiri c./Instance régionale indépendante des
élections de Sousse.
L’intégralité du considérant est reprise par le Professeur Amin MAHFOUDH dans son
article précité. Cf. A. MAHFOUDH, « Le Tribunal administratif, juge constitutionnel ? »,
précit., p. 157.
2523 Le considérant de principe de l’arrêt est également retransmis dans l’article précité du Professeur Amin
MAHFOUDH. Ibid.
2524 Ibid., p. 158.
2525 Il est logique de penser qu’il revient à l’assemblée plénière du TA de les fixer.
2526 Malgré l’anéantissement de la Constitution de la Première République, le juge civil a déclaré dans un arrêt
rendu en référé par la Cour d’Appel de Tunis en date du 5 février 2013, que les articles de la Constitution
du 1
er juin 1959 qui concernent les droits et les libertés étaient toujours en vigueur.
2527 Il est aussi intéressant de constater que le juge administratif a été le juge des élections à l’ANC. Le
contentieux relatif à l’inscription des candidats sur les listes électorales et celui qui concerne les résultats du
suffrage lui ont été dévolus par les articles 14, 29, 47 et 72 du décret-loi n° 35. De plus, l’article 20 de la loi
constituante n° 2011-6 du 16 décembre 2011 prévoit que les conflits de compétences entre les deux têtes de
l’Exécutif sont soumis, à la demande de la partie la plus diligente, à l’ANC qui statue à la majorité de ses
membres, après avis de l’assemblée plénière du Tribunal administratif.
567




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Après la mise en place de la Cour constitutionnelle, le Tribunal administratif aura la
possibilité de saisir cette dernière d’une exception d’inconstitutionnalité. Il n’exerce donc plus
l’office du juge constitutionnel. Celui-ci a été confié à l’IPCCPL, depuis la mise en œuvre de
la Constitution et l’adoption de la loi organique n° 2014-14.
B.
Le contrôle de constitutionnalité effectué par l’Instance provisoire de contrôle de
constitutionnalité des projets de lois
Conformément à l’article 148.7 de la Constitution, le 15 avril 2014, l’ANC a adopté la loi
organique n° 2014-14 relative à l’Instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des
projets de lois
2528. Qualifiée d’ « instance juridictionnelle provisoire indépendante »2529,
l’IPCCPL est exclusivement chargée du contrôle de constitutionnalité a priori des projets de
lois dans l’attente de la mise en place de la Cour constitutionnelle
2530. L’IPCCPL n’exerce
donc pas le contrôle de constitutionnalité des autres actes prévus à l’article 120 de la
Constitution
2531. De plus, en vertu du même article, « les tribunaux sont réputés incompétents
pour contrôler la constitutionnalité des lois.
»2532 Par conséquent, les lois promulguées et
jugées inconstitutionnelles restent « immunisées contre tout contrôle juridictionnel en
attendant l’instauration de la Cour constitutionnelle.
»2533
Si elle est exclusivement chargée du contrôle de constitutionnalité a priori des projets de loi,
l’IPCCPL ne dispose d’aucune compétence en matière de fonctionnement des pouvoirs
publics
2534. Ceci a d’ailleurs été problématique : un mois avant son décès, le président Béji
2528 JORT, n°32 du 22 avril 2014, pp. 939-942.
2529 Article premier de la loi organique n° 2014-14.
2530 Contrairement à la loi organique n° 2015-50 relative à la Cour constitutionnelle, l’avant-dernier alinéa de
l’article 3 de la loi organique n° 2014-14 précise qu’ « [o]
n entend par projets de loi tout texte législatif
adopté par l’assemblée nationale constituante ou l’assemblée des représentants du peuple et non encore
promulgué.
» L’IPCCPL ne peut par ailleurs être saisie que par le président de la République, le chef du
gouvernement ou trente députés au moins.
2531 Autrement dit, du contrôle de constitutionnalité des lois en vigueur, du règlement intérieur de l’ARP, de la
procédure de révision constitutionnelle et des conventions internationales.
2532 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 120, avant-dernier alinéa.
2533 Pour plus de précisions sur ce point, cf. S. HAMROUNI, M. TABEI, et H. ABBASSI AHMED,
« Tunisie »,
in Annuaire international de justice constitutionnelle, Juge constitutionnel et interprétation des
normes – Le juge constitutionnel face aux transformations de la démocratie, 33-2017, 2018, [en ligne],
[consulté le 25 juin 2020], https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_2018_num_33_2017_2621, p. 974.
2534 C'est-à-dire en cas de conflit de compétence entre le président de la République et le chef du gouvernement,
pour maintenir/prolonger l’état d’exception, en cas de vacance au poste de président de la République ou
pour destituer le Chef de l’Etat.
568






Page 570
CAÏD ESSEBSI avait refusé de promulguer la loi organique n° 2018/63, modifiant celle du
26 mai 2014 relative aux élections et au référendum
2535. L’IPCCPL n’étant pas compétente
pour se prononcer sur le refus du président de promulguer la loi, elle ne pouvait déterminer si
ce refus constituait une violation grave de la Constitution au sens de l’article 88. De même,
après le décès de Béji CAÏD ESSEBSI, l’ARP a constaté la vacance définitive de la fonction
présidentielle en faisant suite à l’avis du président de l’IPCCPL. Pourtant, cet avis n’était
mentionné dans aucun texte juridique, la Constitution n’avait rien prévu dans ce cas. Les
acteurs institutionnels ont donc dû « imaginer une procédure non conforme à la Constitution,
mais qui a été enveloppée de solennité institutionnelle
»2536 que la majorité de la classe
politique a approuvée. Mis à part le contrôle de constitutionnalité a priori des projets de loi,
l’IPCCPL n’exerce pas les compétences attribuées à la Cour. Elle ne la remplace donc pas
dans la vie politique et institutionnelle de la Tunisie actuelle et son statut provisoire semble
devoir durer
2537.
A cela s’ajoutent les problèmes liés à la composition, à l’organisation et au fonctionnement de
l’Instance. Contrairement à l’article 26 de la loi organique 2015-50 relative à la Cour
constitutionnelle, la loi organique 2014-14 ne prévoit aucune incompatibilité fonctionnelle
2538.
L’Instance est composée du premier président de la Cour de cassation (président), du premier
président du Tribunal administratif (membre et premier vice-président), du premier président
de la Cour des comptes (membre et deuxième vice-président) et de trois membres compétents
dans un domaine juridique
2539. Les membres de l’Instance continuent à exercer leurs fonctions
initiales. Démunis de services administratifs et juridiques adéquats, ils doivent de plus, rendre
des décisions dans un délai de dix jours
2540. De fait, les membres de l’Instance se trouvent
« devant un nombre important de saisines exigeant un énorme travail à côté de leurs missions
2535 Le président de la République par intérim a également adopté la même position.
2536 Democracy Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution tunisienne au niveau du
cadre juridique, 9
ème édition, 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté le 1 janvier 2020], https://democracy-
reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-TN_rapport_suivi_mise-en-oeuvre_constitution_
septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, p. 44.
2537 S. HAMROUNI, M. TABEI, et H. ABBASSI AHMED, « Tunisie », précit., p. 975.
2538 Alors que le cumul des mandats des membres à la Cour constitutionnelle est interdit par l’article 119 de la
Constitution, rien de tel n’est prévu par la loi organique 2014-14 relative à l’IPCCPL.
2539 Ces trois membres sont désignés respectivement et à titre égal par le président de l’ANC ou de l’ARP, le
président de la République et le chef du Gouvernement (article 4 de la loi organique 2014-14). Depuis la
création de l’Instance, seuls les trois membres nommés (Leila CHIKHAOUI, Lotfi TARCHOUNA et Sami
JERBI) ont siégé de manière régulière. Ils sont tous, professeurs de droit.
2540 En vertu de l’article 21 de la loi organique 2014-14, ce délai est prorogeable d’une semaine une fois.
569



Page 571
originaires. »2541 La composition et l’organisation de l’IPCCPL sont par conséquent
problématiques : ils ne garantissent ni la stabilité de l’Instance, ni l’impartialité de ses
membres. La démonstration nécessite l’exposé d’exemples tangibles de la pratique.
En 2015, le président de l’IPCCPL était le premier président de la Cour de cassation et le
président de l’Instance provisoire pour la supervision de la justice judiciaire (IPSJJ)
2542. Avant
que l’IPCCPL n’ait à contrôler la constitutionnalité du projet de loi organique relatif au CSM,
en tant que président de l’IPSJJ, le président de l’IPCCPL s’était prononcé sur le projet de loi
en question. Malgré la contestation à propos du cumul des fonctions du président et le doute
sur son impartialité en tant que juge constitutionnel, l’IPCCPL a rejeté le grief soulevé dans
sa décision du 8 juin 2015
2543, au motif que la Constitution prévoit ce cumul et que les
membres nommés ès qualité
2544 bénéficient d'une présomption de neutralité2545. C'est
effectivement le cas, mais les constituants ne devaient certainement pas penser que la Cour
constitutionnelle tarderait autant à être mise en place. Par ailleurs, il aurait fallu que la loi
organique 2014-14 prévoie les cas dans lesquels la présomption de neutralité n’est plus
valable
2546. Par conséquent, il est fondamental que le législateur organique amende la loi
relative à l’IPCCPL dans ce sens.
De plus, le départ à la retraite du président de l’Instance2547 et de son deuxième vice-
président
2548 a causé une vacance dans la composition de l’Instance2549, « [...] vacance [qui]
2541 S. HAMROUNI, M. GUETAT, M. AGERBI, M. TABEI, D. MATMATI, A. ZAYENI et S. DJAÏT,
« Tunisie »,
in Annuaire international de justice constitutionnelle, Egalité, genre et Constitution –
Populisme
2020],
[consulté
https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_2019_num_34_2018_2739, p. 1086.
démocratie,
34-2018,
ligne],
2019,
juin
[en
25
2542 Loi organique n° 2013-13 du 2 mai 2013, relative à la création de l’Instance provisoire pour la supervision
le
et
de la justice judiciaire.
2543 Décision de l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi n° 2015-02 du 8 juin
2015 relative aux projets de loi organique relatif au Conseil Supérieur de la Magistrature.
2544 Autrement dit le premier président de la Cour de cassation, le premier président du Tribunal administratif et
le premier président de la Cour des comptes.
2545 S. HAMROUNI, M. TABEI, et H. ABBASSI AHMED, « Tunisie », précit., p. 977.
2546 L’article 12 de la loi organique 2014-14 prévoit uniquement que « [t]out manquement présumé de la part
d’un membre de l’Instance à un des devoirs lui incombant en vertu du texte du serment prêté et des
dispositions de la présente loi, est relevé par un des membres de l’Instance ou par deux parmi les trois
présidents, le Président de la République, le Chef du gouvernement et le président de l’assemblée nationale
constituante ou le président de l’assemblée des représentants du peuple. L’Instance statut sur le
manquement présumé dans une séance à huis clos. Elle déclare, le cas échéant, que les conditions de
désignation ne sont plus remplies par le membre intéressé, ce qui entraîne sa destitution. La décision ne
peut être prise qu’avec l’accord de quatre membres au moins de l’instance. La destitution des membres es-
qualité se fait conformément à la législation en vigueur.
»
2547 Autrement dit du premier président de la Cour de cassation.
2548 Le premier président de la Cour des comptes.
570




Page 572
n’a pas été comblée, ce qui a posé la problématique de la durée de la présidence par
intérim.
»2550 L’article 13 de la loi organique 2014-142551 a en effet été invoquée par le chef
du Gouvernement pour démontrer l’incapacité de l’IPCCPL à statuer. Il estimait que la
présidence par intérim ne devait pas dépasser quinze jours à compter de la notification de la
vacance. De son côté, l’IPCCPL a jugé que le délai prévu par l’article 13 de la loi organique,
ne concernait pas l’obligation de désigner un nouveau président de la Cour de cassation, mais
la date avant laquelle le premier président du Tribunal administratif devait assumer les
responsabilités de la présidence de l’Instance
2552.
Si la présidence par intérim de l’IPCCPL a été assurée par le premier président du Tribunal
administratif, le chef du Gouvernement a également contesté son impartialité
2553. Il est ainsi
regrettable de constater que la loi organique 2014-14 ne prévoit pas la récusation, l’abstention
ou le déport de l’un de ses membres. Appartenant à l’IPSJJ, le premier président du Tribunal
administratif, membre du CSM, avait exprimé son avis sur sa composition et livré son
interprétation de la loi le concernant. Bien que dans sa décision n° 2017-1 du 11 avril
2017
2554, l’IPCCPL ait insisté sur l’impartialité de ses membres, elle a accepté le déport de
Monsieur Sami JERBI précisant que cet acte renforçait sa neutralité. Or, en acceptant la
demande de déport, l’IPCCPL s'est trouvée dans l’impossibilité de statuer sur la
constitutionnalité du projet de loi organique n° 2017-27, portant modification de la loi
organique n° 2016-34 du 28 avril 2016, relative au CSM. En effet, le quorum de quatre
membres nécessaires pour juger la constitutionnalité du projet de loi, n’était plus atteint.
2549 Cette vacance a été soulevée dans la décision n° 2017-1 du 11 avril 2017 de l’IPCCPL rendue à propos du
projet de loi organique n° 2017-27 portant modification de la loi organique n° 2016-34 du 28 avril 2016
relative au Conseil Supérieur de la Magistrature.
JORT n° 31 du 18 avril 2017, p. 1235.
2550 S. HAMROUNI, M. TABEI, et H. ABBASSI AHMED, « Tunisie », précit., p. 976.
2551 Selon le premier alinéa de l’article 13 de la loi organique 2014-14 : « En cas de vacance du poste de
Président de l’Instance pour cause de démission, d’abandon, de destitution, d’incapacité totale ou décès, le
premier président du tribunal administratif assure la présidence de l’instance jusqu’à la nomination d’un
nouveau président de la cour de cassation, et ce, dans un délai maximum de quinze jours à compter de la
date de notification de la vacance
. »
2552 Monsieur Taieb RACHED, nouveau président de l’Instance n’est entré en fonction qu’après sa nomination
par décret présidentiel n° 21-2018 du 6 novembre 2018 (
JORT, n° 89 du 6 novembre 2018, p. 4654) à la
présidence de la Cour de cassation.
2553 Le chef du Gouvernement se fonde sur l’article 248 du Code de procédure civile et commerciale qui
interdit aux membres des tribunaux d’exercer des fonctions judiciaires «
dans les affaires où ils ont été
entendus comme témoins ou dont ils ont connu comme juges ou comme arbitres ou à propos desquelles ils
ont précédemment exprimé une opinion.
»
2554 Décision n° 2017-1 du 11 avril 2017 de l’IPCCPL rendue à propos du projet de loi organique n° 2017-27
portant modification de la loi organique n° 2016-34 du 28 avril 2016 relative au Conseil Supérieur de la
Magistrature.
JORT, n° 31 du 18 avril 2017, p. 1235.
571




Page 573
Si les membres de l’IPCCPL sont tous des juristes qualifiés et compétents, leurs
responsabilités initiales les empêchent d’être tout à fait détachés des projets de loi relatifs à la
justice qu’ils ont à examiner. La composition et le fonctionnement de l’Instance ne permettent
aucunement à ses membres d’être impartiaux et exclusivement chargés du contrôle de
constitutionnalité a priori, des projets de loi. Nonobstant, l’Instance est consciente de deux
choses essentielles : premièrement, qu’elle doit fonctionner de manière régulière et continue
au cours de la période transitoire qui précède l’installation de la Cour. Deuxièmement, qu’elle
est
tenue de respecter
le quorum de quatre membres, nécessaire pour
juger
la
constitutionnalité des projets de loi. C’est la raison pour laquelle, bien qu’elle accepte le
déport de certains de ses membres à l’instar de Sami JERBI, elle prouve constamment leur
impartialité. Autant que faire se peut, elle tente également d’éviter des situations de déni de
justice, sans toujours y arriver. Plusieurs décisions de l’IPCCPL ont ainsi été considérées
comme telles lorsque l’Instance a renvoyé au président de la République sans rendre de
décision, des projets de loi qui lui avaient été soumis.
Conformément à l’article 21 de la loi organique 2014-14, l’IPCCPL prend ses décisions à la
majorité absolue de ses membres, dans un délai de dix jours, prorogeable d’une semaine une
fois et ce, par décision motivée. L’IPCCPL s’est notamment servi de cette prérogative quand
elle a eu à contrôler le projet de loi organique relatif à la réconciliation dans le domaine
administratif
2555. Malgré la prolongation du délai2556, la majorité absolue des membres de
l’Instance n’ayant pas été atteinte, l’IPCCPL a alors transmis le projet de loi au président de la
République sans statuer sur le recours
2557. La question qui s’était posée pour la Cour
constitutionnelle se pose aussi ici : le renvoi au président de la République confère-t-il un
brevet de constitutionnalité à un projet de loi ? En l’état actuel du droit tunisien, aucun texte
juridique ne permet de répondre. Pourtant, il s'agit d'un déni de justice dans le sens où le juge
chargé du contrôle de constitutionnalité a priori des projets de loi ne remplit pas son office et
renvoie la décision à une autorité politique. D’autant plus qu’actuellement, le système tunisien
2555 Ceci s’est produit à plusieurs reprises. C’est par exemple le cas dans la décision n° 2016/01 du 22 avril
2016 relative au projet de loi organique relatif au Conseil Supérieur de la Magistrature,
JORT, n° 35 du
29 avril 2016, p. 1656-1657.
2556 Le 28 septembre 2017, l’IPCCPL a prolongé le délai d’une semaine.
2557 Décision du 17 octobre 2017, JORT n° 85 du 24 octobre 2017, p. 3624. Pour plus de précisions sur ce
point, cf. Democracy Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution tunisienne au
niveau du cadre juridique, 9
ème édition, 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté le 1er janvier 2020],
https://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-TN_rapport_suivi_mise-en-
oeuvre_ constitution_septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, p. 44.
572



Page 574
ne connaît pas de contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois. Le projet de loi dont la
constitutionnalité est douteuse, peut ainsi rester en vigueur dans l’ordre juridique.
Au-delà de l’ensemble de ces difficultés, se pose la question de savoir si le contrôle de
constitutionnalité effectué par l’Instance est suffisant. Permet-il de faire respecter la
Constitution et l’Instance se livre-t-elle à une interprétation de ses dispositions
2558 ? Dans
l’objectif d’être exhaustif et de se concentrer sur le contrôle substantiel effectué par
l’Instance, une attention particulière est portée sur la protection des libertés et des droits
constitutionnels en général et du principe constitutionnel d’égalité en particulier
2559.
Le projet de loi n° 2016-50 portant sur la réduction de la taxe sur les déchets et les débris de
fer à l’exportation et sur les opérations conjoncturelles d’exportation jusqu’à la fin de l’année
2017, prévoyait des mesures temporaires et exceptionnelles pour certaines catégories de
personnes. En vertu du projet de loi n° 2016-50, des collecteurs et la société El Foulede
bénéficiaient d’une réduction sur le montant de cette taxe. L’IPCCPL avait alors été saisie, les
requérants considérant ces mesures contraires au principe d’égalité tel que posé par l’article
21 de la Constitution. En réponse, le Gouvernement a argué que la rupture du principe
d’égalité ne pouvait être établie que lors d’une discrimination entre deux personnes dans une
même situation juridique
2560. Dans sa décision n° 2017-2 du 8 mai 20172561, l’Instance a
simplement jugé que les dispositions contestées du projet de loi, ne violaient pas le principe
d’égalité puisqu’elles étaient provisoires et qu'elles visaient l’intérêt général, économique et
social. Au lieu de se servir de la réponse du Gouvernement pour préciser les contours du
principe d’égalité, l’Instance s’est attardée sur la constitutionnalité du projet de loi. Il est
regrettable qu’elle n’ait pas saisi là l’occasion de donner un sens au principe d’égalité et de
2558 En dehors des décisions de prorogation du délai pour statuer, l’IPCCPL a depuis son établissement, rendu
plusieurs décisions en matière de contrôle de constitutionnalité des projets de loi. Pour l’année 2014, ces
décisions sont au nombre de 11. En 2015, elle en a rendu 4 et en 2016, 6. L’année 2017 a été celle où
l’Instance a rendu le plus de décisions. Le rapport précité de Democracy Reporting International en compte
15 pour 2017, 7 pour 2018 et 4 du 1
er janvier au 30 septembre 2019. Ne pouvant restituer l’ensemble des
affaires qu’elle a eu à traiter, il est important de s’attarder sur certaines d’entre elles qui témoignent du rôle
de l’Instance en matière de protection/interprétation des articles de la Constitution.
2559 Ne pouvant pas restituer l’ensemble des décisions de l’Instance, il a semblé pertinent de se concentrer sur
celles qui concernent le principe d’égalité. Ce choix est dicté par l’attention particulière qui a été accordée à
ce principe dans les chapitres et développements précédents.
2560 C’est en tout cas ce qu’avait affirmé le Conseil constitutionnel tunisien dans son avis n° 12 de 2006
puisqu’il avait estimé que «
si les dispositions […] se fondent sur la distinction faite entre les différentes
situations […] lesdites dispositions n’affectent pas le principe d’égalité entre les propriétaires, tant que la
distinction
[…] se fonde sur la différence du régime de leur propriété et vise à réaliser l’égalité entre eux ».
2561 Décision n° 2017-2 du 8 mai 2017 relative au projet de loi n° 2016-50 portant réduction de la taxe due sur
les déchets et les débris de fer à l’exportation et aux opérations conjoncturelles d’exportation jusqu’à la fin
de l’année 2017,
JORT n° 39, du 16 mai 2017.
573




Page 575
non-discrimination. L’Instance a d’ailleurs procédé d’une façon similaire dans sa décision
n° 2018-07 du 26 décembre 2018, relative au projet de loi de finances n° 2018-72
2562. Alors
que les requérants contestaient entre autres
2563, la rupture du principe d’égalité en matière
d’augmentation salariale entre les fonctionnaires et les employeurs du secteur public
2564,
l’Instance ne s’est pas prononcée sur la violation de l’article 21 de la Constitution
2565. En
gardant le silence, elle a écarté l’occasion qu'elle avait d’enrichir sa jurisprudence en matière
d’interprétation
2566 du principe d’égalité.
Même provisoire, les Tunisiens espéraient que l’Instance fixe pour un temps et en attendant la
mise en place de la Cour constitutionnelle, le contour des principes constitutionnels, à l’instar
de celui d’égalité. Il est d’ailleurs utile de se demander si dans l’attente de la mise en place de
la Cour constitutionnelle, la jurisprudence du Tribunal administratif aurait été plus audacieuse
que celle l’Instance provisoire, en matière de contrôle de constitutionnalité des projets de loi.
Cependant, il est important de souligner que l’Instance effectue tout de même le contrôle de
constitutionnalité des projets de loi qui lui sont soumis par les autorités publiques
compétentes. C’est notamment le cas dans la décision relative au registre national des
entreprises
2567 dans laquelle l’Instance déclare que dans sa version révisée, l’article 10 du
projet de loi relatif au registre national des entreprises, respecte les articles 24 et 49 de la
Constitution
2568. C’est aussi le cas dans la décision n° 2018-3 du 30 juillet 20182569 :
l’Instance a en effet contrôlé la constitutionnalité de certains articles révisés (les articles 11,
2562 JORT, n° 104 du 28 décembre 2018, pp. 5428-5436.
2563 Pour un exposé détaillé de l’affaire, cf. S. HAMROUNI, M. GUETAT, M. AGERBI, M. TABEI,
D. MATMATI, A. ZAYENI et S. DJAÏT, « Tunisie », précit., pp. 1095-1098.
2564 Le Gouvernement avait quant à lui rappelé que le principe d’égalité s’appliquait aux personnes se trouvant
dans la même situation juridique.
2565 L’Instance a eu un positionnement contraire dans sa décision relative au projet de loi n° 2017-78 portant sur
l’octroi d’un congé exceptionnel aux agents publics candidats aux élections présidentielles, législatives,
régionales et municipales. Les dispositions du projet de loi n° 2017-78 qui accordent un congé aux
candidats ayant la qualité d’agents publics ont été jugés contraires au troisième alinéa du préambule et à
l’article 21 de la Constitution. Les requérants contestaient l’octroi d’un congé exceptionnel aux seuls agents
du secteur public lors de la campagne électorale. De l’avis des requérants, l’
IPCCPL a estimé que le
troisième alinéa du préambule et l’article 21 de la Constitution interdisent d’appliquer à des personnes se
trouvant dans la même situation juridique, des règles de droit différentes. Qu’ils soient du secteur public ou
privés, les candidats aux élections doivent être soumis aux mêmes règles.
2566 N. AKACHA, « Les techniques de participation du juge constitutionnel à la fonction constituante », in
R. BEN ACHOUR (dir.), Le droit constitutionnel normatif. Développements récents, Bruxelles, Bruylant,
2009, p. 144.
2567 Décision n° 2018-5 du 22 octobre 2018 relative au projet de loi n° 2018-30 qui concerne le registre national
des entreprises (version révisée de l’article 10), JORT n° 86 du 26 octobre 2018, pp. 3580-3581.
2568 Pour une étude détaillée de cette décision, cf. S. HAMROUNI, M. GUETAT, M. AGERBI, M. TABEI,
D. MATMATI, A. ZAYENI et S. DJAÏT, « Tunisie », précit., p. 1092.
2569 Décision n° 2018-3 du 30 juillet 2018 relative au recours en inconstitutionnalité du projet de loi organique
n° 2016-30 concernant les dispositions communes entre les instances constitutionnelles indépendantes.
JORT, n° 62, du 3 août 2018, pp. 2596-2597.
574



Page 576
24 et 33) du projet de loi organique n° 2016-30 relatif aux dispositions communes à toutes les
instances constitutionnelles indépendantes
2570. Toutefois, il est regrettable de constater que
dans certaines décisions, l’Instance ne précise ni le sens des règles et des principes juridiques
qu’elle emploie, ni le lien de constitutionnalité direct entre la disposition contrôlée et la norme
constitutionnelle de référence
2571. Il est donc nécessaire que l’Instance expose et explique son
raisonnement juridique et qu’elle donne une interprétation des normes constitutionnelles dont
elle s’assure du respect par les pouvoirs publics
2572. Ceci est d’autant plus essentiel qu’elle
semble devoir rester en place : les nominations des membres à la Cour constitutionnelle
retardent en effet la mise en place de la juridiction constitutionnelle.
Paragraphe 2
Les enjeux de la mise en place de la Cour constitutionnelle
Telle que prévue par la Section II du Chapitre V de la Constitution, la Cour constitutionnelle
est la seule institution qui assure le respect de la hiérarchie des normes et la protection des
libertés et des droits constitutionnels
2573, de manière permanente2574. Censée être mise en
place dans un délai maximum d’un an à compter de la date des élections législatives
2575, la
Cour constitutionnelle n’a toujours pas vu le jour au 20 novembre 2020. Malgré de
nombreuses tentatives, l’ARP n’a pas réussi à obtenir l’accord de 145 représentants du peuple
sur les membres choisis
2576 (A). Le “temps politique” de mise en place des institutions s’avère
2570 A l’occasion de sa décision 2017-4 du 8 août 2017, l’Instance s’était déjà prononcée sur la constitutionnalité
des articles 11, 24 et 33 du projet de loi organique n° 2016-30, relatif aux dispositions communes entre les
instances constitutionnelles indépendantes.
JORT n° 65 du 15 août 2017, p. 2579. Elle avait jugé que ledit
projet de loi n’était pas conforme à l’article 125 de la Constitution qui traite des instances constitutionnelles
indépendantes. Pour plus de précisions sur la décision de l’Instance et ses suites législatives et
jurisprudentielles, cf. S. HAMROUNI, M. GUETAT, M. AGERBI, M. TABEI, D. MATMATI, A.
ZAYENI et S. DJAÏT, « Tunisie »,
précit., p. 1093.
2571 Ceci est d’ailleurs flagrant dans sa décision n° 2018-07 du 26 décembre 2018 relative au projet de loi de
finances n° 2018-72. JORT n° 104 du 28 décembre 2018, pp. 5428-5436.
2572 En vertu du dernier alinéa de l’article 21 de la loi organique 2014-14, les décisions de l’Instance s’imposent
à tous les pouvoirs publics.
2573 S. GOUIA, « La problématique de la supra-constitutionnalité », in R. BEN ACHOUR (dir.), Le droit
constitutionnel normatif. Développements récents, op.cit., pp. 102-104.
2574 Notamment par le biais du contrôle de constitutionnalité.
2575 Cf. Annexe 3 – Les Constitutions de la Tunisie indépendante – La Constitution du 27 janvier 2014,
article 148, cinquième alinéa.
2576 L’alinéa 2 de l’article 11 de la loi organique 2015-50 prévoit que l’ARP est la première institution qui doit
désigner quatre membres de la Cour. Cet alinéa précise en effet que « [l]
’Assemblée des représentants du
peuple élit les quatre membres au scrutin secret à la majorité des deux tiers de ses membres, si après la
tenue de trois séances consécutives le nombre suffisant de candidats n’obtiennent pas la majorité requise, il
575






Page 577
dans les faits, beaucoup plus long que le “temps juridique” qui a vu naître la Constitution2577.
Or, comme l’affirme le Professeur Charles EISENMANN, l’absence de juridiction
constitutionnelle transforme la Constitution « en un simple programme politique, à la rigueur
obligatoire moralement, un recueil de bons conseils à l’usage du législateur, mais dont il est
juridiquement libre de tenir ou de ne pas tenir compte.
»2578 Afin de faire respecter la norme
suprême et de protéger le nouvel Etat de droit qu’est la Tunisie, il est impératif d’installer la
Cour constitutionnelle. Force est de constater qu'en l’état actuel du droit tunisien et au regard
de la jurisprudence de l’IPCCPL, le juge constitutionnel provisoire ne se charge pas de
l’interprétation des articles de la Constitution. Cette dernière interprétation est pourtant
fondamentale
2579 puisqu’elle permettrait de déterminer la nature de l’Etat et la place de la
religion au sein des institutions (B).
A.
La composition de la Cour : le difficile accord sur la nomination des juges
constitutionnels
L’article 10 de la loi organique 2015-50 prévoit que les membres de la Cour constitutionnelle
sont désignés respectivement par l'Assemblée des Représentants du Peuple, le Conseil
Supérieur de la Magistrature et le président de la République. L’ARP qui doit intervenir en
premier n’a pourtant pas réussi à élire les quatre membres de la Cour. Sollicitée par les blocs
parlementaires, l’ARP a instauré dès le mois de juin 2017, une commission chargée de
sélectionner les candidats. La légalité de cette commission est cependant douteuse dans la
mesure où l’article 11 de la loi organique 2015-50 précise que les membres de la Cour
constitutionnelle sont désignés par la seule Assemblée plénière de l’
ARP2580. Parallèlement, la
est procédé de nouveau à l’ouverture des candidatures pour présenter un nombre de nouveaux candidats
en fonction du nombre manquant, tout en tenant compte de la spécialité en droit.
»
2577 La distinction entre le “temps politique” et le “temps juridique” est reprise au Professeur Natasa
DANELCIUC-COLODROVSCHI qui affirme que « [m]
algré les tensions qui ont existé durant les
périodes de transition constitutionnelle et législative, le “temps juridique”
a été finalement la phase la plus
courte et la moins difficile à mettre en œuvre. Les “temps politique et social”
se sont en revanche avérés
beaucoup plus complexes et n’ont pas suivi le même rythme.
» N. DANELCIUC-COLODROVSCHI,
« L’incidence des influences constitutionnelles externes sur l’écriture et l’adoption des constitutions
postconflictuelles »,
précit., p. 120.
2578 C. EISENMANN, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche, Aix-en-
Provence, Economica-PUAM, 1986, p. 22.
2579 R. BEN ACHOUR et, S. MAAOUIA-KACEM, « Juges constitutionnels et doctrine - Constitutions et
transitions », précit., p. 496.
2580 Au premier alinéa de l’article 11 de la loi organique 2015-50, « [l]'Assemblée des représentants du peuple
désigne quatre membres conformément à ce qui suit : Chaque bloc parlementaire au sein de l'Assemblée
des représentants du peuple, ou chaque groupe de députés non-appartenant aux blocs parlementaires
576





Page 578
commission chargée de sélectionner les candidats se trouve face à une difficulté majeure : les
blocs parlementaires ne s’accordent pas sur les membres à présenter au vote de l’ARP. Bien
qu’en novembre 2017, la commission soit parvenue à établir une liste de huit candidats
2581, la
candidature de six d’entre eux a été rejetée car elle ne remplissait pas les conditions requises
par les articles 8 et 9 de la loi organique n° 2015-50
2582. En vertu du deuxième alinéa de
l’article 11 de la loi organique 2015-50, l’ARP élit les quatre membres à bulletin secret et à la
majorité des deux tiers. Ceci suppose donc que les représentants du peuple négocient et
s’accordent entre eux, pour désigner les juges constitutionnels. Bien qu’en mars 2018, un
membre ait été élu à la majorité requise en la personne de Raoudha OUERSIGHNI, l’élection
des trois autres membres a été un échec. L’article 11 de la loi organique précise en effet que
« si après la tenue de trois séances consécutives le nombre suffisant de candidats n'obtient
pas la majorité requise, il est procédé de nouveau à l’ouverture des candidatures pour
présenter un nombre de nouveaux candidats en fonction du nombre manquant, tout en tenant
compte de la spécialité en droit. » Ayant renoncé aux accords antérieurs, les députés n’ont
jusqu’à présent pu désigner qu’un seul juge constitutionnel.
Ces nombreuses difficultés ont conduit le chef du Gouvernement et certains députés, à
contester deux dispositions de la loi organique 2015-50. Le premier point concerne la majorité
qualifiée des deux tiers considérée comme problématique et qu’ils jugent impératif
d’assouplir. Pour ce qui est du second point, ils estiment que les candidatures ne devraient pas
être présentées par les blocs parlementaires, mais libres et ouvertes aux personnes
intéressées
2583. C’est ainsi que le 9 mai 2018 a été adopté en Conseil des ministres, un projet
de loi organique portant modification de la loi organique n° 2015-50
2584. Ce projet de loi ne
concerne cependant que la majorité requise pour l’élection par l’ARP des quatre membres de
la Cour : alors qu’au second tour, la majorité est absolue, au troisième, la majorité simple
composé d'un nombre de députés égal ou supérieur au minimum nécessaire pour former un bloc
parlementaire, ont le droit de présenter quatre noms à la séance plénière à la condition que trois d'entre
eux soient spécialistes en droit.
»
2581 Il s’agissait de deux universitaires (Sanaa BEN ACHOUR et Slim LAGHMANI), d’un avocat (Ayachi
HAMMAMI), de trois magistrats (Raoudha OUERSIGHNI, Zouheir BEN TANFOUS et Najwa
MELLOULI) et de deux non-juristes (Abdellatif BOUAZIZI et, Chokri MABKHOUT).
2582 Pour plus de précisions sur ce point, cf. le rapport de la commission électorale de l’ARP relative aux
candidatures à la Cour constitutionnelle disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.arp.tn/site
/main/AR/docs/rapport_electorale.pdf (en arabe).
2583 Democracy Reporting International, rapport sur la mise en œuvre de la Constitution tunisienne au niveau du
cadre juridique, 9
ème édition, 30 septembre 2019, [en ligne], [consulté le 1 janvier 2020], https://democracy-
reporting.org/wp-content/uploads/2019/12/web_DRI-TN_rapport_suivi_mise-en-oeuvre_constitution_
septembre_2019_FR_VF_2019-12-23.pdf, p. 42.
2584 Ce projet de loi organique a été déposé le 15 mai 2018 à l’ARP sous le numéro 2018/39.
577



Page 579
suffit. Même s’il a été transmis à la commission compétente de l’ARP, le projet de loi
organique n° 2018/39 a été abandonné au regard de l’hostilité des députés. Le 11 juin 2020,
les Professeurs de droit auditionnés par la Commission parlementaire de la législation
générale, ont également manifesté leur hostilité. Le Professeur Mohamed Salah BEN AÏSSA
a clairement affirmé que la majorité des deux tiers pour élire les quatre juges constitutionnels
par l’ARP, était nécessaire pour faire valoir les principes de compétence, d’intégrité,
d’indépendance et de neutralité des juges. Il a par ailleurs expliqué que cette majorité n’était
pas arbitraire, mais justifiée par le « rôle du juge constitutionnel et la complexité des litiges
constitutionnels qui exigent un niveau élevé de compétence et de professionnalisme.
»2585 Il a
cependant suggéré de distinguer au sein de l’ARP, les députés qui proposent les candidatures
et ceux qui votent pour élire les trois membres restants
2586. Les membres de la Commission
parlementaire de la législation générale se sont ralliés à l’avis du Professeur Mohamed Salah
BEN AÏSSA en maintenant la majorité qualifiée des deux tiers
2587.
En mai 2018, l’ARP avait réouvert le dépôt des candidatures à la Cour constitutionnelle.
Malgré la tenue de trois nouvelles séances
2588 pour désigner les trois membres manquants,
aucun candidat n’a été élu. Le bureau de l’ARP a alors fixé un nouveau calendrier : du 15 au
28 mars 2019, les blocs parlementaires étaient tenus de déposer de nouvelles candidatures et
du 29 mars au 5 avril 2019, la Commission compétente de l’ARP devait les examiner. Bien
2
le
juillet
2585 WMC avec TAP, « Cour constitutionnelle : La Commission de la législation générale de l’ARP propose
l’amendement de la loi 2015-50 »,
WEBMANAGERCENTER [en ligne], publié le vendredi 12 juin 2020,
[consulté
https://www.webmanagercenter.com/2020/06/12/451953/cour-
constitutionnelle-la-commission-de-la-legislation-generale-de-larp-propose-lamendement-de-loi-2015-50/.
2586 Contrairement à lui, le Professeur Chafik SARSAR (également auditionné) ne s’oppose pas à l’abandon du
vote à la majorité qualifiée des deux tiers des membres de l’
ARP. Il prône même l’introduction du vote à la
majorité absolue. Au regard de l’importance de la mise en place de la Cour constitutionnelle, il estime que
le projet de loi en question est l’une des solutions pour dépasser les désaccords politiques entre les
membres de l’
ARP.
2020],
2587 A l’heure où ces lignes sont relues (soit le 20 novembre 2020), l’ARP a décidé le 8 octobre 2020 de reporter
l’examen du projet de loi n°2018-39 et la proposition de loi organique n°2020-44 qui amendent et
complétent la loi organique n°2015-50 relative à la Cour constitutionnelle. Pour plus d’informations sur ce
point cf. « ARP. Report de l’examen des deux amendements complétant la loi organique relative à la Cour
constitutionnelle »,
La Presse [en ligne], publié le jeudi 8 octobre 2020, [consulté le 22 octobre 2020],
https://lapresse.tn/75365/arp-report-de-lexamen-des-deux-amendements-completant-la-loi-organique-
relative-a-la-cour-constitutionnelle/. Pour plus de précisions sur les 2 amendements en question cf. M.
CHAABANE, « ARP : Propositions d’amendements pour
la Cour
constitutionnelle », Webdo [en ligne], publié le mardi 6 octobre 2020, [consulté le 22 octobre 2020],
http://www.webdo.tn/2020/10/06/arp-propositions-damendements-pour-lelection-des-membres-de-la-cour-
constitutionnelle/.
l’élection des membres de
2588 La première séance a eu lieu le 20 juillet 2018, mais aucun candidat n’a réuni les 145 voix nécessaires à son
élection. La dernière séance est celle du 6 mars 2019.
578



Page 580
que la première séance de vote ait été fixée au 10 avril 2019, elle n’a pas eu lieu2589. Le 26
février 2020, au cours de la réunion de son bureau, l’ARP issue des élections législatives du 6
octobre 2019, a de nouveau fixé un calendrier pour élire les membres de la Cour
constitutionnelle : du 1
er au 9 mars 2020, les députés devaient déposer les candidatures et du
23 au 30 mars, la Commission électorale devait les examiner. Si ce calendrier avait été
respecté, le bureau de l’ARP aurait dû étudier les travaux de la Commission électorale le 2
avril et l’élection des membres restants aurait dû avoir lieu le 8 avril
2590. Puis, en raison de la
crise sanitaire mondiale, le dépôt des candidatures a été suspendu, mais Tarek FTITI,
deuxième vice-président de l’ARP a annoncé le 14 mai, que le 12 juin était la date butoir pour
déposer les candidatures à la Cour constitutionnelle
2591. Le 21 juin, les blocs parlementaires
ont ainsi déposé la liste de leurs candidats à la Cour constitutionnelle pour que la Commission
électorale les examine
2592. Le 22 juin, la Commission électorale n’a retenu que deux
candidatures : celles d’Abdel KAANICHE et d’Ezzedine ARFAOUI
2593, mais le vote n'a pas
eu lieu. Les Tunisiens restent donc dans l'attente de l’élection des trois membres restants
2594
qui pour mémoire, doivent l'être à la majorité qualifiée des deux tiers des membres de l’ARP.
2589 Les Tunisiens étaient conscients que l’ARP n’allait pas désigner les 4 membres de la Cour constitutionnelle
avant les élections législatives du 6 octobre 2019.
2590 « ARP : élection des membres de la Cour constitutionnelle le 8 avril 2020 », Espace Manager [en ligne],
publié le vendredi 27 février 2020, [consulté le 2 juillet 2020], https://www.espacemanager.com/arp-
election-des-membres-de-la-cour-constitutionnelle-le-8-avril-2020.html.
2591 C. B. Y., « Tunisie : La Cour constitutionnelle verra-t-elle enfin le jour cet été ? », Kapitalis [en ligne],
publié le vendredi 15 mai 2020, [consulté le 2 juillet 2020], http://kapitalis.com/tunisie/2020/05/15/tunisie-
la-cour-constitutionnelle-verra-t-elle-enfin-le-jour-cet-ete/.
2592 Les candidats proposés sont Mohamed BOUZGHIBA (proposé par Ennahdha). Moncef OUANES,
Noureddine GHAZOUANI, Mohamed KTATA (proposés par le
Bloc Démocrates). Nazih SOUIÏ,
Mohamed Adel KAANICH, Noureddine GHAZOUANI, Fadhel HECHMI (proposés par
Qalb Tounes).
Jalel Eddine ALLOUCHE (proposé par
Al Karama). Noureddine GHAZOUANI, Abdeljelil BOURAOUI,
Kamel HEDHILI (proposés par la
Réfome nationale). Ezzedine ARFAOUI, Noureddine GHAZOUANI
(proposés par
Tahya Tounes). Mohamed Adel KAANICH, Noureddine GHAZOUANI (proposés par Al
Moustakbal
). Noureddine GHAZOUANI (proposé par le Bloc national). Pour plus de précisions sur
l’ensemble des candidatures, cf. M. CHAABANE, « ARP : Examen des candidatures à la Cour
constitutionnelle »,
L’observatoire en ligne du secteur de la sécurité [en ligne], publié le lundi 22 juin
2020, [consulté le 2 juillet 2020], https://www.observatoire-securite.tn/fr/2020/06/22/arp-examen-des-
candidatures-a-la-cour-constitutionnelle/?doing_wp_cron=1593687969.3447759151458740234375.
2593 Pour plus de précisions sur ce point, cf. Espace Manager, « Cour constitutionnelle : Seuls deux candidats
sont formellement retenus »,
L’observatoire en ligne du secteur de la sécurité [en ligne], publié le mardi
22 juin 2020, [consulté
le 2 juillet 2020], https://www.observatoire-securite.tn/fr/2020/06/23/cour-
constitutionnelle-seuls-deux-candidats-sont-formellement-retenus/?doing_wp_cron=1593690074.22527408
59985351562500.
2594 Le 7 juillet 2020, la Commission électorale de l’ARP a annoncé qu’elle avait retenu cinq candidats
spécialistes en droit (Mohamed Adel KAANICH, Noureddine GHAZOUANI, Ezzedine ARFAOUI,
Mohamed KTATA, Abdeljelil BOURAOUI) et deux non spécialistes (Jalel Eddine ALLOUCHE et
Mohamed BOUZGHIBA). Pour plus de précisions sur ce point, cf. M. CHAABANE, « Tunisie : L’examen
des candidatures à la Cour constitutionnelle se poursuit »,
Webdo [en ligne], publié le mardi 7 juillet 2020,
[consulté le 9 juillet 2020], http://www.webdo.tn/2020/07/07/tunisie-lexamen-des-candidatures-a-la-cour-
constitutionnelle-se-poursuit/.

579


Page 581
Dans tous les cas, les difficultés politiques que rencontre l’ARP, bloquent la désignation des
huit membres restants par le CSM et le président de la République.
En vertu des articles 10 et 12 de la loi organique n° 2015-50, le CSM intervient en effet après
l’ARP pour désigner les quatre membres. A ce jour, le CSM n’a à l'évidence toujours pas
entamé la sélection des candidatures. Il en est de même du président de la République.
Contrairement à l’article 118 de la Constitution, l’article 10 de la loi organique n° 2015-50
prévoit en effet, que l’ARP est la première autorité publique à élire les membres de la Cour et
que le président de la République est la dernière. Face aux blocages politiques que connaît
l’ARP depuis des années, il serait utile d’inverser le sens des nominations des membres.
Disposant d’un pouvoir discrétionnaire assez important
2595, le président de la République
pourrait être la première autorité à présenter les membres et l’ARP serait ainsi la dernière
autorité publique à intervenir et elle aurait le temps et surtout l’obligation, de désigner les
trois membres restants.
Le retard accumulé dans la mise en place de la Cour constitutionnelle est problématique. Bien
que la Constitution du 27 janvier 2014 pose les fondements de l’Etat de droit, ce dernier n’est
véritablement installé et protégé que par le juge constitutionnel. Les développements
précédents qui s’attachent à démontrer
la singularité de
l’expérience
tunisienne
postrévolutionnaire trouvent ici leur limite. Le constitutionnalisme tunisien ne peut servir
d’exemple qu’en présence d’une Cour constitutionnelle en charge du respect de la suprématie
de la Constitution, de la hiérarchie des normes, des droits, des libertés et du fonctionnement
des pouvoirs publics, préservant
l’Etat de droit et assurant
la
réussite dudit
constitutionnalisme tunisien. Par ailleurs, en interprétant les articles de la Constitution, elle
serait la mieux à même de déterminer la nature de l’Etat en combinaison des articles 1 et 2 de
la Constitution.
2595 Le président de la République est tout de même tenu de respecter les conditions posées par les articles 8 et 9
de la loi organique n° 2015-50.
580







Page 582
B.
Les fonctions de la Cour : la détermination problématique de la nature de l’Etat
Dans l’attente de la mise en place de la Cour constitutionnelle, les présidents de la République
sont chargés du respect et de l’interprétation des dispositions constitutionnelles, en vertu de
l’article 72 de la Constitution
2596. Malgré l’ambiguïté et la contradiction des formulations
employées aux articles 1 et 2 de la Constitution, le compromis dilatoire auquel ont abouti les
constituants a été respecté par le défunt président Béji CAÏD ESSEBSI et l’actuel président
Kaïs SAÏED. Ce compromis suppose que l’Etat « civil » a pour référence l’Islam.
Actuellement, il existe un contrat social entre le peuple et le pouvoir, mais l’Etat a pour
référence l’Islam. Bien que ce compromis ait jusqu’à présent été respecté par les autorités
politiques en place, les articles 1 et 2 de la Constitution reflètent l’identité conflictuelle de la
Tunisie. Amenée à évoluer en fonction des circonstances de temps, l’identité de l’Etat
suppose une interprétation constante et évolutive de ses composantes par les acteurs politiques
et les interprètes institutionnels de la Constitution.
Au cours des contrôles de constitutionnalité qu’elle aura à effectuer, la Cour pourrait
confirmer ou infirmer l’accord sur la compréhension du texte constitutionnel. Elle pourrait
même faire prévaloir l’Islam comme religion sur le caractère « civil » de l’Etat. Cela semble
pourtant peu probable dans la mesure où le Professeur Peter HÄBERLE assure que
matériellement,
l’existence du consensus
fondamental.
»2597 Au moment de l’élaboration de la Constitution, ce dernier a fait de la
justice constitutionnelle « coopère à
la
Tunisie, un Etat « civil » dont la référence est l’Islam. Ceci étant, la Cour sera nécessairement
tenue de faire respecter et de sanctionner les violations des droits et des libertés qui découlent
des composantes constitutionnelles dudit caractère « civil »
2598. En procédant de la sorte, elle
serait la garante efficace et effective du nouvel Etat de droit tunisien
2599. Bien que la
détermination par la Cour constitutionnelle de la nature de l’Etat soit un sujet problématique
et controversé, il témoigne de la volonté des Tunisiens de confier un choix politique à la
juridiction constitutionnelle. Si la Cour constitutionnelle tunisienne est plus ou moins libre de
2596 Pour une analyse récente du rôle du président dans le système institutionnel tunisien cf. A.-M. LECIS
COCCO ORTU, « La fonction présidentielle dans la Constitution tunisienne de 2014 entre texte et
pratique : vers un nouveau présidentialisme ? »,
in Revue française de droit constitutionnelle, 2020/1, n°
121, pp. 167-187.
2597 P. HÄBERLE, L’Etat constitutionnel, op.cit., p. 140.
2598 Autrement dit la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit.
2599 M. BOUMEDIENE, « La nouvelle Constitution Tunisienne du 27 janvier 2014 et le statut de la justice :
Quels impacts dans le processus de construction de l’Etat de droit »,
in Revue internationale de droit
comparé,
2020, n° 2, pp. 419-449.
581




Page 583
faire ce choix, ce n’est pas le cas de la Cour constitutionnelle marocaine. La comparaison
avec le Maroc s’impose mais celle avec l’Egypte est inenvisageable.
Les développements précédents sur la nature « civile » de l’Etat en Tunisie ont permis de
différencier les rapports entre l’Islam et l’Etat, en Egypte et en Tunisie. Il a par exemple été
démontré que l’article 2 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014
2600 faisait partie
intégrante de l’identité constitutionnelle égyptienne et ce, en dépit de la portée limitée
attribuée à cet article par la Haute Cour constitutionnelle dans l’ordre juridique égyptien
2601.
L’article 192 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014 peut pourtant servir la présente
démonstration
2602. A l’instar de cet article, l’article 120 de la Constitution tunisienne du 27
janvier 2014 a confié
l’exclusivité du contrôle de constitutionnalité à
la Cour
constitutionnelle. Autrement dit, si la Constitution égyptienne a restitué le pouvoir
d’interprétation de la
charia à la Haute Cour constitutionnelle2603, la Constitution tunisienne a
confié l’interprétation de la formule de l’article premier qui fait de « l’Islam sa religion » à la
Cour constitutionnelle. En Egypte et en Tunisie, les Uléma sont donc exclus de la juridiction
constitutionnelle : ils n’ont aucun pouvoir constitutionnel en matière d’interprétation de la
Constitution ou de contrôle de constitutionnalité. Ce qui n’est pas le cas au Maroc.
La Haute Cour constitutionnelle égyptienne est exclue du présent raisonnement pour plusieurs
raisons. Premièrement, plusieurs chapitres de la thèse s’y réfèrent déjà : l’importance
accordée à l’Islam et la portée limitée que la Haute Cour constitutionnelle attribue aux
principes de la charia dans l’ordre juridique égyptien, font l’objet de développements
précédents. Deuxièmement, il est intéressant de comparer des systèmes juridictionnels
similaires. En Egypte, la Haute Cour constitutionnelle est au sommet de la pyramide
juridictionnelle
2604, alors qu’en Tunisie2605 et au Maroc2606, les deux Cours constitutionnelles
2600 Pour rappel, l’article 2 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014 fait de l’Islam, la religion de l’Etat
et des principes de la charia, la source principale de législation.
2601 Pour plus de précisions sur le rôle de la Haute Cour constitutionnelle dans l’interprétation des dispositions
de l’article 2 de la Constitution, cf. le B. du Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre 1 de la
PARTIE II de cette thèse, relatif à la
singularité du constitutionnalisme identitaire tunisien, p. 407.
2602 La Haute Cour constitutionnelle égyptienne est la seule institution chargée du contrôle de la
constitutionnalité des lois (Article 192 de la Constitution égyptienne du 18 janvier 2014).
2603 Cela marque d’ailleurs, « la volonté du constituant de s’émanciper du pouvoir religieux. » I. Ö
KABUGLU, « La migration de l’idée de laïcité au Proche et au Moyen-Orient : Turquie, Egypte et
Tunisie »,
précit., p. 95.
2604 Pour plus d’informations sur l’organisation juridictionnelle de l’Egypte, cf. le schéma élaboré par l’Institut
d’Etudes sur le Droit et la Justice dans les Sociétés arabes d’août 2019, disponible en ligne, à l’adresse
suivante : https://iedja.org/organisation-juridictionnelle-de-legypte/.
582




Page 584
sont en dehors de l’appareil juridictionnel ordinaire. Si les deux dernières Cours s’inscrivent
dans le modèle européen de justice constitutionnelle, elles diffèrent radicalement dans leur
organisation et leur fonctionnement. A titre d’exemple, la Cour constitutionnelle marocaine
n'est pas complètement indépendante des pouvoirs publics (pouvoirs royal et religieux). Dès
lors, une comparaison différentielle doit être établie entre les Cour constitutionnelles
tunisienne et marocaine. Cette comparaison porte essentiellement sur la composition des deux
nouvelles juridictions constitutionnelles. Elle est surtout guidée par un objectif bien
déterminé : démontrer la spécificité de la juridiction constitutionnelle tunisienne.
Contrairement à la Tunisie, le Maroc est une monarchie constitutionnelle. L’article 3 de la
Constitution marocaine du 29 juillet 2011 fait de l’Islam, la religion de l’Etat. L’article 41
précise quant à lui que le Roi veille au respect de l’Islam. Cela signifie que l’Islam règne sur
les institutions de l’Etat et que le Roi en est le garant. Même si l’article 2 de la Constitution
prévoit que la souveraineté appartient à la Nation
2607, les lois adoptées par le législateur ne
doivent en aucun cas contrevenir aux prescriptions de l’Islam. A l’opposé de la Tunisie où les
constituants ont renvoyé aux autorités politiques et aux interprètes institutionnels le choix de
la nature de l’Etat, la Constitution marocaine du 29 juillet 2011 fixe la nature de l’Etat et la
place de la religion en son sein. A cela s’ajoute le rôle de premier plan accordé à la figure
royale. Bien qu’elle ne soit plus sacrée, elle est inviolable et les Marocains lui doivent le
respect
2608. Malgré la révision constitutionnelle de 2011, la conception traditionnelle et
religieuse du pouvoir reste inchangée. La Constitution écrite s’impose aux pouvoirs publics et
le Roi a une autorité religieuse et morale dont ne dispose aucune institution de l’Etat. Qualifié
d’Amir Al Mouminine ou de Commandeur des Croyants, le Roi « se situe au-dessus de tout
ordre juridique y compris donc de l’ordre constitutionnel.
»2609 C’est la raison pour laquelle,
2605 Pour plus d’informations sur l’organisation juridictionnelle de la Tunisie, cf. le schéma élaboré par l’Institut
d’Etudes sur le Droit et la Justice dans les Sociétés arabes de mars 2014, disponible en ligne, à l’adresse
suivante : https://iedja.org/lorganisation-juridictionnelle-de-la-tunisie/.
2606 Pour plus d’informations sur l’organisation juridictionnelle du Maroc, cf. le schéma élaboré par l’Institut
d’Etudes sur le Droit et la Justice dans les Sociétés arabes d’août 2019, disponible en ligne, à l’adresse
suivante : https://iedja.org/lorganisation-juridictionnelle-du-maroc/.
2607 L’article 2 de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011 précise que « [l]a souveraineté appartient à la
Nation qui l’exerce directement, par voie de référendum, et indirectement, par l’intermédiaire de ses
représentants. / La Nation choisit ses représentants au sein des institutions élues par voie de suffrages
libres, sincères et réguliers.
»
2608 N. BERNOUSSI, « La constitution de 2011 et le juges constitutionnel », in La Constitution marocaine de
2011, analyses et commentaires, Paris, LGDJ, 2012, p. 209.
2609 Ibid.
583



Page 585
en vertu de l’article 41 de la Constitution actuelle, il veille au respect de l’Islam2610 et préside
le Conseil supérieur des Ouléma.
Avant d’envisager la composition de la Cour constitutionnelle marocaine, il est important
d’insister sur deux points essentiels pour comprendre son contexte socioculturel. D’une part,
la place et le rôle de l’institution monarchique maintiennent la société et l’Etat dans un
« cadre culturel »
2611 conservateur. D’autre part, l’importance de l’Islam pour la société et
l’Etat, soumet le droit au respect des préceptes et des prescriptions de la religion.
L’originalité de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011 est l’introduction de la Cour
constitutionnelle au Titre VIII de la Constitution
2612. Dans son discours du 17 juin 20112613, le
Roi a réaffirmé la primauté de la Constitution et le rôle attribué à la nouvelle Cour
constitutionnelle
2614 dans la garantie de cette primauté2615. Or, conformément à l’article 42 de
la Constitution, le Roi veille au respect de la Constitution et à la protection des droits et des
libertés des citoyens. La Cour constitutionnelle n’est donc pas la seule à se charger du respect
de la Constitution et de la protection des droits et des libertés des Marocains. Contrairement
au Roi qui dispose d’une compétence de principe dans ces deux domaines, la Cour
constitutionnelle n’exerce que les attributions qui lui ont été conférées par les articles de la
Constitution
2616. Si le Roi est à la tête de l’édifice juridique et juridictionnel, il est intéressant
de savoir s’il interfère pour autant, dans la composition et le fonctionnement de la Cour
constitutionnelle.
Comme l’affirme le Professeur Frédéric ROUVILLOIS, le Roi ne nomme « que six des douze
membres – et encore, l’un d’entre eux doit-il être proposé par le Conseil supérieur des
2610 Le dernier alinéa de l’article 41 de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011 prévoit que « [l]e Roi
exerce par dahirs les prérogatives religieuses inhérentes à l’institution d’Imarat Al Mouminine qui Lui sont
conférées de manière exclusive par le présent article.
»
2611 J.-N. FERRIE et B. DUPRET, « Maroc : réformer sans bouleverser », in F. CHARILLON et
A. DIECKHOFF (dir.),
Afrique du Nord - Moyen-Orient 2012-2013 - Printemps arabes : trajectoires
variées, incertitudes persistantes,
Paris, La Documentation Française, 2012, pp.15-27.
2612 Articles 129 à 134 de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011.
2613 Son discours du 17 juin 2011 présentait aux Marocains, le projet de la nouvelle Constitution.
2614 Le Professeur Nadia BERNOUSSI affirme quant à elle que la nouvelle appellation de la juridiction
constitutionnelle provient «
de son nouveau rôle de juge non plus seulement de la confrontation abstraite
d’une loi à la constitution, de jugement d’une loi, mais de l’application concrète de la loi.
»
N. BERNOUSSI, « La constitution de 2011 et le juge constitutionnel »,
précit., p. 224.
2615 Le Roi a souligné que c’est « “en confirmation de la primauté de la constitution”, et en vue de consacrer
“un pouvoir judiciaire indépendant vis-à-vis des exécutifs et législatifs”, que “le conseil constitutionnel a
été érigé en Cour constitutionnelle”.
» F. ROUVILLOIS, « Le printemps des
juridictions
constitutionnelles »,
précit., p. 104.
2616 Article 132 de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011.
584





Page 586
oulémas ; les six autres sont désignés, moitié par la Chambre des représentants, moitié par
celle des conseillers, à la majorité des deux tiers, ce qui suppose un très large consensus sur
les personnalités désignées.
»2617 Contrairement à la Tunisie où le président de la République
ne désigne que quatre des douze membres de la Cour, le Roi du Maroc nomme six membres
sur douze. Le membre proposé par le Secrétaire général du Conseil supérieur des Ouléma, est
sélectionné conformément au dernier alinéa de l’article 130 de la Constitution du 29 juillet
2011. En vertu de cet article, les membres de la Cour sont nécessairement des personnalités
ayant une haute formation dans le domaine juridique, une compétence judiciaire, doctrinale
ou administrative et qui ont exercé leur profession depuis plus de quinze ans. Le rôle du
pouvoir royal et du pouvoir religieux dans
le fonctionnement de
la
juridiction
constitutionnelle est de fait avéré. Le Conseil supérieur des Ouléma est « la seule instance
habilitée à prononcer les consultations religieuses (fatwas) devant être officiellement agréées,
sur les questions dont il est saisi et ce, sur la base des principes, préceptes et desseins
tolérants de l’Islam.
»2618 Contrairement à l’Egypte et à la Tunisie, la Cour constitutionnelle
marocaine comprend un savant religieux ("Alem") parmi ses membres. Ce dernier membre
contrôle que les lois soient conformes aux préceptes et aux principes de l’Islam
2619. Sa
présence à la Cour constitutionnelle du Maroc permet d’affirmer que le pouvoir politique
n’est pas émancipé du pouvoir religieux. Ce Alem a en effet un pouvoir constitutionnel en
matière d’interprétation de la Constitution et de contrôle de constitutionnalité. En plus de
contrôler la constitutionnalité des lois organiques avant leur promulgation, des règlements de
la Chambre des Représentants et de la Chambre des Conseillers avant leur mise en application
et des lois avant et après leur promulgation, la Cour constitutionnelle s’assure que les actes
contrôlés respectent l’Islam.
Dès lors, une juridiction constitutionnelle peut-elle « fonctionner dans un régime où domine
une conception du pouvoir fortement théocratique ?
»2620 Le juge constitutionnel marocain
s’assure du respect des droits, des libertés et des principes constitutionnels
2621 dans la mesure
où ils ne contredisent pas l’Islam. Toutefois si les considérations religieuses priment sur les
considérations juridiques
2622, il est difficile d’affirmer l’existence d’un Etat de droit.
2617 F. ROUVILLOIS, « Le printemps des juridictions constitutionnelles », précit., p. 106.
2618 Article 41 de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011.
2619 En vertu de l’article 3 de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011, l’Islam est la religion de l’Etat.
2620 O. BENDOUROU, « Conseils constitutionnels et Etat de droit au Maghreb », précit., p. 237.
2621 A l’instar de la primauté des conventions internationales et/ou du principe d’égalité.
2622 Les droits et les libertés fondamentaux notamment.
585




Page 587
Bien qu’il fasse l’objet de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014, l’Etat de droit reste
un but à atteindre, en l’absence de juridiction constitutionnelle. Jusqu’à présent, il est reconnu
que la Tunisie est le seul Etat du Maghreb qui allie les institutions de l’Etat « civil » à l’Islam
comme religion, même si cette alliance reste à parfaire. Cependant, si trois quarts des
membres de la Cour constitutionnelle sont des spécialistes en droit, le quart restant peut être
composé de dignitaires religieux. Autrement dit, la Tunisie pourrait avoir un savant religieux
au sein de la juridiction constitutionnelle. Bien que peu probable en l’état actuel du droit
tunisien, cela reste possible. Dans tous les cas, les juges constitutionnels à venir ne devraient
pas faire prévaloir les considérations religieuses sur les composantes de l’Etat « civil » pour
que la Tunisie parachève l’instauration de son Etat de droit. Si les juges constitutionnels
procèdent ainsi, le constitutionnalisme tunisien s’affirmerait véritablement comme le discours
alternatif au constitutionnalisme global pour les pays musulmans.
586




Page 588
CONCLUSION
Indéniablement, la Constitution du 27 janvier 2014 a posé les bases d'un nouvel Etat de droit
en Tunisie, mais ces bases risquent de s’effondrer si la Cour constitutionnelle ne voit pas le
jour. Une fois mise en place, la juridiction constitutionnelle tunisienne sera amenée à
confirmer ou à infirmer la nature « civile » de l’Etat tunisien. Elle aura de surcroît pour
mission, de veiller à la suprématie et au respect de la Constitution. Si cette mission n’est pas
remplie, il est difficile de soutenir la thèse selon laquelle le constitutionnalisme tunisien sert
de discours alternatif au constitutionnalisme global. Malgré les difficultés que rencontre la
Tunisie pour installer la Cour constitutionnelle, il est fondamental d’insister sur le fait que le
pays du jasmin a emprunté la voie de la démocratie. Bien que périlleuse, la voie choisie
nécessite du temps et surtout, de la patience.
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CONCLUSION DU TITRE II
Tel qu’il s’exprime actuellement en Tunisie, le constitutionnalisme propose un Etat « civil »
dont la référence est l’Islam. Bien que le discours tenu par la doctrine se veille progressite et
cohérent, les pratiques du droit sont souvent discriminatoires. Certains droits et libertés ne
sont pas pleinement garantis. L’Islam comme religion sociologique de la majorité des
Tunisiens contredit l’expression publique des droits et des libertés fondamentaux. Cela est
également le cas en Egypte et au Maroc. Malgré ce constat, il est nécéssaire de souligner que
la singularité du constitutionnalisme tunisien apparaît au contact des sociétés arabo-
musulmanes similaires ou proches. Contrairement à elles, le législateur en Tunisie propose
des lois qui allient l’Islam comme composante sociologique du peuple avec les fondements du
constitutionnalisme.
A cela s’ajoute la volonté des constituants d’instaurer une Cour constitutionnelle digne de ce
nom. Même si elle tarde à être mise en place, sa composition et son fonctionnement diffèrent
de la Cour constitutionnelle marocaine. La Cour constitutionnelle tunisienne serait
exclusivement composée de juristes compétents. L’une de ses principales attributions serait la
détermination de la nature de l’Etat. Elle aura également à préserver les droits et les libertés
constitutionnels des Tunisiens. Bien que la Tunisie soit le seul pays du Maghreb qui avance
un constitutionnalisme qui tente une conciliation entre l’Islam et les composantes du
constitutionnalisme de type occidental, sans la mise en place de la Cour constitutionnelle, la
Constitution n’a pas de garant. Seule l’avenir du pays et la mise en place de toutes les
institutions constitutionnelles réveleront la réussite ou l’échec de cette tentative.
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CONCLUSION DE LA PARTIE II
La Constitution du 27 janvier 2014 est la dernière expression du constitutionnalisme tunisien.
Depuis le XIXème siècle, la Tunisie est un exemple d’avancées juridiques et de réformes pour
la région. Ces avancées ne sont pourtant pas sans contradictions. En dépit de la volonté des
Tunisiens d’inscrire leur Constitution au mouvement du constitutionnalisme global, le texte
du 27 janvier 2014 est partagé entre l’universel et le particulier. A cela s’ajoute l’écart entre
les principes et les droits énoncés et la réalité tunisienne. L’Islam comme religion
sociologique de la majorité des Tunisiens bloque dans la pratique, l’expression publique des
droits et des libertés fondamentaux. Bien que cela caractérise la plupart des Etats arabo-
musulmans, l’égalité en droits et l’autonomie individuelle ne sont pas pleinement garantis.
Malgré ces constats, il est intéressant de relever que les Tunisiens se sont réapproprié l’idée
de constitution et qu’ils l’ont replacé au centre de la réflexion sur le constitutionnalisme. Ce
dernier n’est pourtant parachevé que par l’instauration de la Cour constitutionnelle. Bien
qu’elle prenne du temps, son installation ne saurait tarder. A l’heure où ces lignes sont écrites,
les députés discutent des amendements de la loi organique 2015-50 relative à la Cour
constitutionnelle. Sa mise en place est essentielle pour la garantie des droits et libertés
fondamentaux et le parachèvement de l’Etat de droit en Tunisie.
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592



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CONCLUSION GENERALE
L’intérêt porté par le comparatiste à la construction du constitutionnalisme tunisien permet
plusieurs constats. En enquêtant sur le constitutionnalisme en Tunisie, le comparatiste
abandonne l’aire judéo-chrétienne où est né le constitutionnalisme pour s’intéresser à un pays
arabo-musulman en pleine transition démocratique. Cet intérêt décentre son regard et lui
permet de penser le constitutionnalisme dans une région du monde longtemps délaissée par
les constitutionnalistes. Malgré l’intérêt suscité par les révolutions du Printemps arabe, peu
de constitutionnalistes français se sont intéressés au devenir du constitutionnalisme en
Tunisie. Si certains travaux existent, ils sont ponctuels et ne s’attachent pas à l’avenir du
constitutionnalisme tunisien
2623. En étudiant la réalité constitutionnelle, le comparatiste
enquête sur les origines et le futur du constitutionnalisme dans un Etat du Maghreb. Il réalise
que la Constitution du 27 janvier 2014 n’est pas un accident de l’Histoire mais qu’elle est
l’expression d’un constitutionnalisme typiquement national.
Fruit de la tradition réformiste tunisienne, le constitutionnalisme national est né de l’alliance
entre les idées constitutionnalistes européennes et les valeurs arabes et musulmanes de la
société tunisienne du XIXème siècle. L’idée de constitution et les droits et libertés
fondamentaux chers à l’Occident étaient cependant compris dans l’Islam et ses bases.
Contrairement à KHEREDINE et à IBN ABI DHIAF, BOURGUIBA a cerné le processus de
sécularisation qui a permis de détacher la religion de la sphère publique dans les systèmes
juridiques européens. Malgré cela, il a fait de la Constitution du 1er juin 1959 un instrument au
service de l’indépendance du pays. Instrumentalisée par les partisans du Néo-Destour, elle a
2623 De nombreux travaux ont été publiés au lendemain des révolutions du Printemps arabe. Bien qu’ils soient
conséquents, ils sont concomitants à l’installation des nouvelles institutions en 2015/2016. Pour ne donner
que quelques exemples de ces ouvrages importants mais datés, il est nécessaire de faire référence au rapport
souvent cité du
PNUD, [M. MARTINEZ SOLIMAN, S. BAHOUS, P. KEULEERS, K. ABDEL SHAFI et
J. DE LA HAY (dir.) Rapport du PNUD, La Constitution de la Tunisie. Processus, principes et
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http://www.tn.undp.org/content/tunisia/fr/home/library/democratic_governance/la-constitution-de-la-
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593







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été un support de l’affirmation du pouvoir exercé par BOURGUIBA et plus tard, par BEN
ALI.
La Constitution du 1er juin 1959 a au moins le mérite d’avoir détaché l’Islam de l’Etat. Sous
son règne, BOURGUIBA et BEN ALI ont prohibé toute expression publique de l’islam
politique. Les droits et libertés étaient baffoués par les autocrates en place et il n’était pas
question de traiter de l’Etat de droit en Tunisie. Le Conseil constitutionnel était d’ailleurs au
service du pouvoir exécutif sous BEN ALI.
Quand éclate la révolution, les Tunisiens revendiquent alors la dignité, la liberté, l’égalité et la
justice
2624. Leurs revendications premières d’égalité économique et de justice sociale se
transforment pourtant au lendemain des élections du 23 octobre 2011. Majoritaire à l’ANC
entre 2011 et 2014, Ennahdha veut faire de la charia, la source de la législation et de Dieu, le
seul souverain. La singularité du processus constituant tunisien réside toutefois dans
l’adaptation de l’islam politique d’Ennahdha aux exigences de la démocratie et du
constitutionnalisme. D’une part, le parti islamiste intègre le jeu politique et s’adapte aux
procédures de la démocratie pour rester au pouvoir. D’autre part, la Constitution du 27 janvier
2014 conserve les caractéristiques de la Tunisie de l’indépendance : l’Islam n’est qu’une
caractéristique de la Tunisie et n’est pas une source formelle ou matérielle du droit et de la loi.
Même si l’étude des travaux préparatoires à la Constitution du 27 janvier 2014 éclaire le
comparatiste sur les outils constitutionnels globaux employés par les constituants, elle révèle
que les «
détails étranges »2625 liés à l’Islam stoppent les avancées constitutionnelles et
juridiques notables de la Tunisie. L’appréhension de la réalité constitutionnelle tunisienne
permet d’affirmer que dans la pratique, de nombreux droits et libertés ne sont pas pleinement
effectifs. L’Islam comme phénomène sociologique saisi par le droit s’oppose à l’expression
de certains droits et libertés chers au constitutionnalisme. L’égalité en droits entre l’homme et
la femme n’est pas encore pleinement consacrée et l’expression publique de l’inrcoyance est
prohibée. Cela n’est pas spécifique à la Tunisie et se retrouve dans de nombreux Etats arabes
où l’Islam joue un rôle constitutionnel et social important. La spécificité de la Constitution du
27 janvier 2014 apparaît pourtant au contact des Constitutions égyptienne de 2014 et
marocaine de 2011.
2624 E. LHOMEL, « L’espoir de la Constitution tunisienne », Esprit, 2014, n°3, pp. 204-207.
2625 G. FRANKENBERG, “Constitutional Transplants: The IKEA Theory Revisited”, précit., p. 563.
594





Page 596
L’Islam n’est pas la religion de l’Etat et la charia n’est pas la source de la loi en Tunisie.
Imposée par le haut au moment de l’indépendance du pays, la sécularisation des institutions a
été revendiquée par une partie des Tunisiens de manière consécutive à la révolution. L’article
2 de la Constitution du 27 janvier 2014 fait de la Tunisie un Etat « civil » fondé sur la
citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit. Quand bien même l’Etat a pour
référence l’Islam, il est fondé sur les droits et libertés du citoyen et sur la souveraineté du
peuple. Seulement, comment affirmer que l’Etat est « civil » si dans la pratique, les droits et
libertés des Tunisiens ne sont pas pleinement garantis ? En dépit de la volonté du défunt
président de la Deuxième République, Béji CAÏD ESSEBSI d’introduire des réformes qui
visent à entériner l’égalité successorale entre l’homme et la femme, le projet de loi déposé à
l’ARP n’a toujours pas été voté. A cela s’ajoute les discours de l’actuel président Kaïs
SAÏED : il s’oppose ouvertement aux avancées juridiques qui contedisent le texte clair et
intagible du Coran.
Malgré tout, il est important de relever que l’éclat international de la Révolution du Jasmin a
permis aux observateurs internationaux de repenser leurs discours sur l’incompatibilité de
l’Islam et de la démocratie. En exprimant leur volonté, les Tunisiens se réapproprient la
souveraineté. La Constitution du 27 janvier 2014 leur permet en plus, de consacrer un large
catalogue de droits et de libertés. La constitution n’est donc plus considérée comme un texte
au service du pouvoir politique mais traduit l’expression souveraine de la volonté du peuple.
Replacée au centre de la réflexion sur le constitutionnalisme dans les pays arabes d’Afrique
du Nord et du Proche-Orient, la constitution a besoin d’une protection adéquate, d’un garant.
Comment faire du constitutionnalisme tunisien un discours alternatif au constitutionnalisme
global quand la Tunisie peine à mettre en place la juridiction constitutionnelle ? Cette
juridiction est d’autant plus nécéssaire que la pratique du droit en Tunisie vide souvent les
droits et libertés fondamentaux de leur substance. A cela s’ajoute les mœurs et rites liés à
l’Islam qui prohibent souvent l’expression publique des libertés
2626 qui vont à l’encontre du
shar’ islamique2627.
2626 A. HAMMAMI MARRAKCHI, « Constitution tunisienne et universalité des droits de l’homme », in N.
BACCOUCHE, E. DUBOUT (dir.),
Nouvelle Constitution tunisienne et transition démocratique, Paris,
Lexis Nexis, 2015, p. 132.
2627 M. GARGOURI, « Constitution et religion », in N. BACCOUCHE, E. DUBOUT (dir.), Nouvelle
Constitution tunisienne et transition démocratique, op.cit., p. 77.
595





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Il est fondamental d’apporter des réponses nuancées à cette question. La démocratie et le
constitutionnalisme nécéssitent du temps pour s’implanter durablement dans la pratique mais
surtout dans les esprits. Pour le prouver, il est nécéssaire de faire un parallèle entre la Tunisie
révolutionnaire et la France de 1789.
Connue pour sa révolution et sa Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, la France a
mis du temps pour installer un régime politique démocratique qui respecte les droits du
citoyen français et les droits de l’Homme en général. Après 1789, les différents régimes
politiques qui se succèdent ne permettent pas aux Français de bénéficier pleinement et
immédiatement de l’intégralité de leurs droits de citoyens. Se croyant dotée d’une mission
civilisatrice, la France a par ailleurs, asservi pendant des années, de nombreux peuples à
travers le monde. Les discours tenus sur les Droits de l’Homme contredisaient en outre, les
pratiques coloniales françaises. D’origine occidentale, le constitutionnalisme qu’il soit
anglais, français ou américain est aussi traversé d’une multitude de contradictions et
d’incohérences.
Alors, il ne faut pas se précipter en affirmant que le constitutionnalisme n’a pas d’avenir dans
la région. Comme l’affirme le Professeur Denis BARANGER « [l]es constitutions modernes
n’ont pas leur rythme propre : elles l’empruntent hors d’elles, dans une temporalité qui a été
érigée en un phénomène intégralement refermé sur soi et inaccessible.
»2628 Le devenir du
constitutionnalisme tunisien pourrait surprendre. Il dépend de l’installation des institutions et
de la juridiction constitutionnelle et, de la volonté du législateur d’allier l’Islam aux droits et
libertés fondamentaux. Aussi, la société civile a un rôle essentiel à jouer : pour que les
pratiques du droit évoluent, les mentalités liées aux rites et pratiques de l’Islam doivent
s’adapter aux exigences du XXIème siècle.
La flamme révolutionnaire de 2010-2011 ne s’est en outre pas éteinte. Elle traverse
actuellement les Etats algérien et libanais entre autres. Il est donc impératif d’affirmer que le
constitutionnalisme tunisien est un constitutionnalisme en devenir et qu’il importe de suivre
l’actualité et l’évolution de la politique et du droit en Tunisie pour savoir s’il est encore et
toujours un exemple régional à suivre.
2628 D. BARANGER, « Temps et Constitution », précit., pp. 45-46.
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Deuxième Edition, 2015, 170 p. Nous traduisons littéralement en français le titre de l’ouvrage
arabe
؟نيّيسنوت نوّيسنوتلا راص فيك ,يداهلا موميتلا.
II.
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Lois organiques – Tunisie
- En langue française :
Loi organique n° 99-56 du 30 juin 1999, relative au drapeau de la République tunisienne.
JORT, n° 54 du 6 juillet 1999, p. 1088.
Loi organique n° 2013-43 du 23 octobre 2013, relative à l’Instance nationale pour la
prévention de la torture.
JORT, n° 85, 25 octobre 2013, pp. 3075-3078.
Loi organique 2014-14 du 18 avril 2014, relative à l’Instance provisoire de contrôle de
constitutionnalité des projets de loi. JORT, n° 32 du 22 avril 2014, pp. 939-942.
Loi organique n° 16 du 26 mai 2014, relative aux élections et aux référendums, modifiée par
la loi organique n° 2017-7 du 14 février 2017.
JORT, n° 42 du 27 mai 2014, p. 1310 et JORT,
n° 14 du 17 février 2017, pp. 731 et s.
Loi organique n° 2015-50 du 3 décembre 2015, relative à la Cour constitutionnelle. JORT,
n° 98 du 8 décembre 2015, pp. 2926 à 2933.
Loi organique n° 2016-34 du 28 avril 2016, relative au Conseil Supérieur de la Magistrature.
JORT, n°35 du 29 avril 2016, pp. 1395-1404.
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Loi organique n° 2018-50 du 23 octobre 2018, relative à l’élimination de toute forme de
discrimination raciale.
JORT, n° 86 du 26 octobre 2018.
Loi organique n° 2018-51 du 29 octobre 2018, relative à l’Instance des droits de l’Homme.
JORT, n° 89 du 6 novembre 2018, p. 4938 et s.
Loi organique n° 2019-60 du 9 juillet 2019, relative à l’Instance du développement durable et
des droits des générations futures.
JORT, n° 59 du 23 juillet 2019, p. 2323 et s.
III. Lois – Tunisie
- En langue française :
Loi n° 58-27 du 4 mars 1958 relative à la tutelle publique, à la tutelle officieuse et à
l’adoption.
JORT, n° 19 du 7 mars 1958, p. 236.
Loi n° 69-4 du 24 janvier 1969 relative aux réunions publiques, cortèges, défilés,
manifestations et attroupements,
JORT, n° 4 du 28-31 janvier 1969, p.117 et s.
Loi n° 98-14 du 18 février 1998 relative à l'exercice du commerce des boissons alcoolisées à
emporter.
JORT, n° 15 du 20 février 1998, p. 371.
Loi n° 5 du 9 février 2011 habilitant le président de la République par intérim à adopter des
décrets-lois conformément à l’article 28 de la Constitution du 1
er juin 1959. JORT, n° 10 du
10 février 2011, p. 170.
Loi n° 2018-29 du 9 mai 2018 relative au Code des collectivités locales. JORT n° 39 du
15 mai 2018.
IV. Décrets-lois – Tunisie
- En langue française :
Décret-loi n° 14 du 23 mars 2011 portant organisation provisoire des pouvoirs publics. JORT
n° 20 du 25 mars 2011, p. 363.
Décret-loi n° 35 du 10 mai 2011 relatif à l’élection de l’ANC. JORT, n° 33 du 10 mai 2011,
pp. 647-656.
Décret-loi n° 87 du 24 septembre 2011 sur les partis politiques. JORT, n° 74 du 30 septembre
2011, pp. 1993-1996.
Décret-loi n° 2011-88 du 24 septembre 2011 relatif aux associations. JORT, n° 74 du
30 septembre 2011, pp. 1977-1982.
Décret-loi n° 103-2011 du 24 octobre 2011 portant autorisation de ratification du retrait d'une
déclaration et des réserves émises par le gouvernement tunisien annexées à la loi n° 85-68 du
12 juillet 1985 portant ratification de la convention sur l'élimination de toute forme de
discrimination à l'égard des femmes.
JORT, n° 82 du 28 novembre 2011, p. 2325.
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Décret-loi n° 6 du 16 décembre 2011. JORT, n° 97 des 20 et 23 décembre 2011, p. 3111.
V.
Décrets – Tunisie
- En langue française :
Décret n° 551 du 14 mai 2011 relatif à l’adhésion de la Tunisie au premier protocole facultatif
se rapportant au
Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques. JORT, n° 36 du
20 mai 2011, p. 725.
Décret n° 1086 du 3 août 2011 relatif à la convocation des électeurs pour élire les membres de
l’ANC.
JORT, n° 59 du 9 août 2011, p. 1432.
Décret n° 1087 du 3 août 2011 fixant le plafond de la subvention électorale et ses modalités
d’ordonnancement.
JORT, n° 59 du 9 août 2011, p. 1434.
Décret n° 1088 du 3 août 2011 relatif au découpage des circonscriptions électorales et au
nombre des sièges attribués à chaque circonscription.
JORT, n° 59 du 9 août 2011,
pp. 1434-1442.
Décret n° 1089 du 3 août 2011 fixant le niveau des responsabilités au sein du Rassemblement
Constitutionnel Démocratique
(RCD) et déterminant l’inéligibilité à l’ANC, conformément à
l’article 15 du décret-loi n° 35 du 10 mai 2011.
JORT, n° 59 du 9 août 2011, p. 1443.
Décret présidentiel n° 2017-111 du 13 août 2017 portant nomination des membres de la
Commission des Libertés Individuelles et de l'Egalité (COLIBE). JORT, n° 65 du 15 août
2017, p. 2594
.
VI. Circulaires
- En langue arabe :
Circulaire du chef du Gouvernement n° 31 du 30 octobre 2014 qui vise à impliquer les
citoyens dans le processus d’adoption des normes. Disponible à l’adresse suivante :
http://www.legislation.tn/sites/default/files/14-31.pdf.
Circulaire du chef du Gouvernement n° 8 du 17 mars 2017 portant sur les règles d’élaboration
des projets des textes juridiques, les procédures de leur présentation et la finalisation de leur
préparation. Disponible à l’adresse suivante : http://www.legislation.tn/sites /default/files/17-
08.pdf.
VII. Décisions de justice
Tunisie
En matière de justice judiciaire :
C. A., Tunis, arrêt n° 21168, 12 oct. 1960, RJL 1960, II, Recueil 1985-1987, p. 99.
Ch. civ., arrêt n° 4729, 21 fév. 1967, RTD, pp. 123-124.
643


















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En matière de justice administrative :
T. A., cass., affaire n°15, 13 déc. 1976 c/La direction générale des impôts, Recueil, 1975-77,
pp.109-110.
T. A., REP, affaire n° 1158, 7 juin 1985, Hédi Mabrouk c./Le ministre des Finances, Recueil,
1975-1977, p. 99.
T. A., REP, affaire n° 1981, 12 avril 1991, Ameur Elhadj, Hassine c./Le ministre des
Communications, Recueil, 1991.
T. A., REP, affaire n° 4641, 30 déc. 1995, Hédi Belhadj c./CNRPS et autres, RTD, 1996,
p. 410.
T. A., 1ère instance, affaire n° 124153, 4 juillet 2012, Mohamed Ali Kabsi c./chef du
Gouvernement, Recueil de la jurisprudence du Tribunal administratif, p. 44 et s.
T. A., 1ère instance, affaire n° 123538, 8 juin 2015, Belhassen Trabelsi et autres c./chef du
Gouvernement, non publié.
T.A., Appel, 6 avril 2016, Belhassen Trabelsi et autres, non publié.
En matière de contrôle de constitutionnalité :
Avis n° 2-2006 du Conseil constitutionnel tunisien rendu sur le projet de loi d’habilitation du
juge de la famille à statuer sur les demandes relatives à l’exercice du droit de visite, selon la
procédure prévue en matière de référé et ce, en cas de décès de l’un des parents.
JORT n° 20
du 10 mars 2006, pp. 535-5337.
Décision n° 2014/02 de l’Instance provisoire chargée du contrôle de constitutionnalité des
projets de loi.
JORT, du 23 mai 2014, n° 041.
Egypte
En matière de contrôle de constitutionnalité :
Cour suprême, n° 7/2 du 1er mars 1975, Recueil des arrêts de la Cour suprême, vol. 1, p. 79.
Haute Cour constitutionnelle (HCC), 4 mai 1985, n° 20/1°, Recueil des décisions de la Haute
Cour constitutionnelle (Rec.)
, vol. 3, pp. 209 et s.
HCC, 15 mai 1993, n° 7/8°, Rec., vol. 5, part. 2, pp. 290 et s.
France
En matière de justice judiciaire :
Cass. Civ. I, 16 mai 1961, Le Breton c./ Delle Loesch, JDI 1962, p. 416.
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En matière de justice administrative :
Cons. d’Etat, Ass., 13 juillet 1965, Société Navigator, Rec. Cons. D’Et., p. 422.
En matière de justice constitutionnelle :
Décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962 du Conseil constitutionnel français, Journal
officiel de la République française
du 7 novembre 1962, p. 10778. Receuil, p. 27.
Décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992 du Conseil constitutionnel concernant le
contrôle de constitutionnalité de la loi référendaire, autorisant la ratification du Traité sur
l’Union européenne,
Journal officiel de la République française du 25 septembre 1992,
p. 13337. Receuil, p. 94.
Cour européenne des droits de l’Homme
C. E. D. H., arrêt du 22 novembre 1995, S.W. c./Royaume-Uni, req. n° 20166/92.
C. E. D. H., arrêt du 22 novembre 1995, C.R. c/Royaume-Uni, req. n° 20190/92.
C. E. D. H., arrêt du 29 avril 2002, Petty c./Royaume-Uni, req. n° 2346/02.
Cour permanente de justice internationale
CPJI, avis du 21 février 1925 sur l’échange des populations turques et grecques, série B,
n° 10, p. 20.

645



































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646



Page 648
INDEX
A
Afrique du Nord… ...... 16, 22, 45, 64, 107, 117, 141, 172, 195, 197, 198, 200, 201, 232, 291, 355, 375,
390, 394, 395, 397, 400, 401, 403, 404, 406, 408, 412, 413, 439, 487, 499, 505, 526, 584, 595, 612,
633, 635
Ahl el-Hall wa’l-Aqd ....................................................................................................................... 91, 92
Ahmed Bey ....................................................... 23, 33, 107, 224, 322, 323, 325, 326, 327, 330, 331, 332
Al-Azhar ................................................................................. 47, 399, 421, 448, 449, 467, 484, 485, 497
Ali Bey ................................................................................................................................................ 345
Assemblée des Représentants du Peuple .................................. 11, 44, 161, 169, 171, 267, 296, 474, 576
Assemblée Nationale Constituante ...... 7, 11, 18, 24, 55, 57, 58, 62, 64, 69, 84, 102, 215, 247, 521, 530,
566, 567, 617, 623
Association Tunisienne de Droit Constitutionnel ....... 11, 36, 73, 102, 222, 245, 246, 360, 364, 609, 618
atteinte aux choses sacrées .................................................................................................................. 147
B
BELAÏD Chokri .......................................................................................................... 112, 124, 125, 442
BELAÏD Sadok .............................................. 93, 135, 175, 231, 245, 483, 516, 521, 522, 536, 620, 621
BEN ACHOUR Rafâa ......................................................................................................... 268, 296, 509
BEN ACHOUR Sanaa ......................................................................................................................... 577
BEN ACHOUR Yadh…..3.7, 55, 61, 66, 87, 88, 96, 100, 101, 103, 115, 118, 129, 140, 143, 144, 151,
163, 178, 200, 203, 231, 245, 248, 319, 490, 498, 611, 621
BEN ALI ... 17, 40, 41, 43, 51, 55, 59, 60, 63, 65, 67, 68, 70, 72, 83, 137, 157, 179, 204, 213, 227, 242,
247, 254, 256, 258, 319, 352, 363, 364, 366, 368, 381, 407, 415, 435, 442, 444, 487, 510, 516, 518,
523, 529, 536, 594
BEN YOUSSEF Salah .................................................................................... 75, 76, 204, 355, 356, 357
Bey ....... 23, 63, 89, 90, 224, 321, 322, 323, 324, 325, 326, 327, 328, 331, 332, 333, 335, 336, 337, 339,
340, 341, 342, 343, 344, 345, 350, 357, 359, 360
blasphème .......................................................................................................33, 149, 226, 324, 454, 501
Bloc Démocrates .................................................................. 111, 148, 242, 244, 281, 512, 513, 579, 618
BOUAZIZI Mohamed ..................................................................................................... 15, 59, 253, 255
BOURGUIBA ..... 24, 40, 41, 43, 55, 60, 63, 64, 70, 72, 75, 76, 77, 78, 83, 96, 102, 107, 138, 140, 141,
157, 170, 202, 203, 204, 205, 221, 242, 258, 276, 277, 284, 319, 351, 352, 353, 354, 355, 356, 357,
358, 359, 360, 361, 363, 364, 366, 381, 408, 410, 414, 415, 447, 487, 494, 495, 510, 530, 593, 594,
609
Brouillon de projet ................................................................................................ 81, 140, 281, 282, 446
C
CAÏD ESSEBSI Béji ....... 45, 70, 122, 124, 161, 162, 164, 168, 169, 170, 179, 180, 181, 183, 330, 415,
438, 467, 470, 485, 569, 581, 595
Califat .................................................................................................................................................... 78
647




Page 649
Capitulations ................................................................................ 325, 335, 336, 339, 340, 341, 343, 344
Cas singulier ............................................................................................................................................ 3
Chahada .............................................................................................................................................. 225
Charia ............................................................................................. 18, 112, 124, 280, 281, 440, 441, 632
CHOUROU Sadok ...................................................................................................................... 144, 618
Citoyenneté .......................................................................................................................... 452, 468, 479
Code du Statut Personnel ..................... 11, 72, 77, 79, 107, 168, 169, 170, 171, 175, 273, 274, 275, 281
Comité des 50 ........................................................................................................ 47, 399, 408, 421, 422
Comité mixte de coordination et de rédaction de la Constitution ......................................... 11, 111, 128
Commission de Venise ................................................. 229, 239, 240, 247, 525, 526, 527, 603, 615, 631
Commission des 10 ............................................................................................................................. 399
Commission des consensus…. ...... 84, 109, 110, 111, 120, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 135, 140, 141,
145, 247, 295, 523, 524
Commission des droits et libertés ...... 11, 35, 79, 230, 231, 233, 234, 235, 236, 238, 246, 264, 280, 290,
619
Commission des juridictions judiciaires, administratives, financières et constitutionnelles .... 11, 35, 79,
510, 512, 513, 514, 515, 516, 518, 519, 521, 525, 527, 528, 529, 533, 536, 618, 619, 620
Commission des Libertés Individuelles et de l’Egalité .................................................. 11, 168, 169, 183
Commission du préambule, des principes fondamentaux et de révision de la Constitution .... 11, 79, 80,
85, 86, 87, 93, 95, 96, 97, 100, 101, 106, 110, 172, 175, 200, 202, 203, 206, 208, 210, 212, 214,
227, 388, 483, 621, 622, 623
Consensus .............................................................................................................................................. 67
Constitution de 1861 ..... …23, 49, 90, 319, 320, 321, 328, 330, 334, 336, 337, 340, 342, 343, 344, 346,
393
Constitution du 1er juin 1959 ....... …24, 32, 40, 42, 43, 49, 52, 58, 61, 71, 72, 75, 77, 79, 80, 81, 84, 94,
102, 103, 109, 137, 138, 140, 154, 165, 175, 195, 198, 200, 201, 203, 205, 216, 221, 226, 232, 233,
245, 254, 259, 263, 266, 278, 282, 291, 292, 295, 297, 298, 304, 321, 336, 337, 339, 340, 342, 350,
352, 358, 360, 361, 362, 363, 364, 366, 414, 444, 446, 482, 509, 518, 529, 530, 531, 534, 537, 557,
564, 565, 567, 594, 613, 642
Constitution du 27 janvier 2014 .... …3, 23, 24, 25, 27, 31, 32, 36, 37, 39, 41, 44, 48, 49, 53, 55, 77, 79,
81, 88, 96, 98, 99, 100, 110, 115, 118, 133, 137, 144, 146, 149, 150, 151, 152, 153, 155, 156, 157,
160, 161, 166, 167, 170, 171, 173, 174, 175, 177, 178, 180, 189, 192, 193, 194, 200,201, 202, 205,
207, 213, 214, 216, 218, 222, 224, 227, 228, 251, 252, 260, 263, 264, 265, 266, 268, 269, 271, 272,
278, 282, 283, 284, 285, 287, 288, 289, 290, 292, 294, 295, 296, 298, 299, 300, 301, 302, 303, 304,
305, 307, 308, 311, 313, 316, 317, 329, 366, 368, 369, 371, 373, 374, 375, 376, 379, 382, 383, 384,
385, 387, 388, 389, 390, 391, 392, 394, 396, 397, 403, 405, 419, 420, 436, 437, 439, 446, 450, 458,
469, 472, 473, 474, 476, 478, 481, 482, 483, 489, 490, 494, 497, 498, 500, 509, 510, 511, 517, 520,
524, 525, 527, 529, 530, 532, 534, 535, 537, 540, 544, 545, 547, 548, 550, 557, 561, 568, 575, 580,
587, 591, 593, 594, 595, 610
constitutionnalisme global .... 7, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 32, 191, 209, 249, 251, 252, 260, 295, 296, 311,
313, 315, 316, 317, 351, 371, 373, 382, 383, 385, 395, 397, 403, 405, 407, 410, 411, 412, 419, 424,
586, 587, 591, 595, 601, 603, 604, 608, 612
Constitutions transformatrices .....................................................................374, 376, 378, 379, 385, 395
Contrôle de constitutionnalité ..................................................................................................... 556, 602
Coran……19, 40, 42, 44, 57, 65, 66, 72, 73, 74, 75, 77, 78, 79, 87, 88, 91, 92, 97, 100, 107, 144, 163,
171, 172, 183, 218, 219, 220, 255, 256, 258, 259, 265, 276, 283, 327, 328, 329, 331, 336, 409, 421,
422, 441, 449, 486, 487, 494, 500, 501, 595, 626, 633, 640
648

Page 650
Cour constitutionnelle ..... ..7, 48, 131, 134, 152, 153, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 165, 166, 167, 173,
178, 187, 240, 252, 298, 299, 300, 301, 302, 304, 307, 316, 383, 384, 409, 418, 420, 421, 433, 447,
448, 449, 463, 473, 474, 485, 486, 487, 509, 511, 520, 526, 535, 536, 537, 538, 539, 540, 541, 542,
543, 544, 545, 546, 547, 548, 549, 550, 551, 552, 553, 554, 555, 556, 557, 558, 559, 560, 561, 562,
563, 564, 567, 568, 569, 570, 572, 574, 575, 576, 577, 578, 579, 580, 581, 582, 584, 585, 586, 587,
589, 591, 598, 602, 615, 618, 624, 626, 628, 631, 634, 635, 640, 641, 644
D
Dawla .................................................................................................................................................... 96
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ...........................................11, 106, 216, 233, 236, 261
Democracy Reporting International....... .11, 36, 236, 248, 455, 460, 461, 476, 504, 528, 535, 538, 542,
544, 545, 548, 549, 550, 551, 554, 555, 556, 558, 564, 569, 572, 573, 577, 615, 616
Démocrates ...............................................................................................12, 55, 129, 137, 148, 231, 523
Démocratie ......................... 18, 30, 70, 145, 214, 303, 309, 443, 490, 509, 598, 600, 601, 602, 603, 607
démocratie musulmane ........................................................................................................................ 182
démocratie procédurale .................................................................. 66, 71, 72, 83, 84, 120, 122, 145, 443
démocratie substantielle .............................................................................................................. 145, 443
Destour .... 22, 40, 55, 57, 62, 63, 64, 75, 76, 78, 201, 204, 226, 319, 346, 349, 350, 351, 352, 355, 356,
357, 358, 359, 360, 361, 365, 593
Deuxième République ...... ….27, 158, 161, 179, 182, 183, 190, 195, 198, 199, 213, 215, 216, 217, 222,
313, 366, 382, 438, 510, 520, 548, 610
dhimmis ....................................................................................................23, 89, 321, 334, 335, 341, 342
Dialogue national ......................... 117, 120, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 142, 148, 238, 393, 523
Dignité .................................................................................. 224, 227, 258, 261, 262, 263, 266, 598, 602
Djihad .................................................................................................................................................. 470
Document El-SELMI .......................................................................................................................... 444
Droits de l’Homme ...... …11, 12, 126, 216, 233, 236, 237, 238, 239, 240, 260, 261, 262, 265, 267, 272,
290, 308, 333, 341, 393, 516, 529, 546, 596, 599, 602, 616, 630
E
Egypte ....... .15, 18, 43, 45, 46, 47, 48, 112, 117, 126, 141, 142, 197, 242, 316, 321, 356, 394, 397, 399,
400, 401, 407, 408, 409, 410, 412, 414, 416, 417, 418, 419, 420, 421, 422, 425, 431, 433, 435, 437,
438, 439, 440, 441, 442, 444, 445, 446, 447, 448, 449, 450, 451, 453, 455, 456, 457, 458, 462, 463,
464, 465, 466, 467, 468, 469, 471, 474, 475, 476, 477, 480, 481, 482, 484, 485, 486, 487, 488, 489,
497, 499, 502, 503, 504, 505, 582, 585, 589, 634, 635, 636, 638, 639, 640, 644
ELLOUZE Habib ........................................................................................................ 144, 148, 242, 618
Empire ottoman .................. 22, 23, 89, 107, 196, 225, 321, 323, 325, 326, 327, 335, 341, 348, 381, 453
Ennahdha .... 18, 24, 25, 42, 43, 51, 52, 55, 57, 59, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 79, 81, 83, 84,
85, 86, 108, 109, 117, 120, 121, 122, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 136, 137, 138, 140, 143, 144,
145, 147, 148, 149, 154, 155, 162, 163, 164, 166, 172, 179, 182, 183, 189, 203, 205, 241, 242, 280,
281, 313, 440, 442, 443, 444, 445, 446, 448, 449, 495, 512, 523, 579, 594, 613, 618, 624, 625, 628
Etat « civil » .... 7, 24, 33, 42, 43, 48, 95, 96, 97, 143, 144, 153, 154, 156, 157, 159, 161, 162, 163, 164,
169, 187, 309, 313, 383, 407, 433, 435, 437, 438, 439, 440, 441, 442, 444, 445, 446, 447, 448, 450,
472, 473, 480, 481, 485, 492, 499, 507, 509, 581, 586, 589, 595
Etat laïc .....................................................................................................19, 96, 142, 431, 439, 490, 633
649



Page 651
Etat religieux .......................................................................................... 96, 142, 163, 440, 441, 443, 445
Etat-Nation .................................................................................................................................... 29, 221
Europe ..... …12, 15, 22, 43, 191, 229, 237, 325, 326, 331, 333, 340, 341, 347, 349, 354, 377, 491, 500,
509, 510, 526, 601, 612, 617, 637
F
Faculté de droit ................................................................................................ 25, 27, 353, 386, 607, 608
Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis ....20, 35, 36, 37, 73, 78, 79, 80, 81, 83,
85, 97, 136, 137, 140, 142, 143, 145, 148, 150, 223, 245, 246, 247, 248, 283, 437, 450, 472, 473,
481, 486, 491, 494, 496, 501
Fatwa ..................................................................................................................................................... 78
Fellaga .................................................................................................................................................. 76
Fiqh ............................................................................................................................................... 97, 441
Frères musulmans .... 18, 43, 126, 163, 182, 398, 408, 410, 421, 441, 442, 443, 444, 445, 446, 447, 448,
454, 482, 486
GHANNOUCHI Mohamed ........................................................................................................... 61, 295
GHANNOUCHI Rached ........................................................................ 68, 72, 80, 81, 83, 164, 182, 280
G
H
HADDAD Tahar ................................................................................................................................. 276
HAMROUNI Salwa ....................................... 86, 109, 168, 192, 199, 200, 213, 214, 216, 218, 289, 615
Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle .............................................. 11, 270
Haute Cour constitutionnelle ....................................................................................... 409, 420, 582, 644
Hégire .................................................................................................................................................. 194
Histoire .... 60, 62, 68, 69, 70, 72, 74, 76, 89, 90, 112, 196, 197, 199, 201, 221, 222, 264, 320, 322, 325,
326, 327, 328, 330, 332, 333, 339, 344, 345, 347, 348, 349, 350, 353, 439, 464, 486, 495, 513, 593,
609, 626, 631, 632
Hymne ................................................................................................................................. 226, 227, 604
I
IBN ABI DHIAF ...................................................................... 40, 90, 275, 327, 328, 329, 333, 336, 593
identité constitutionnelle ..................................................................................... 603, 604, 607, 608, 612
Instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois ......12, 152, 302, 511, 563, 568
Instance Supérieure Indépendante pour les Elections ............. 12, 55, 126, 127, 162, 271, 459, 469, 544
Instance Supérieure pour la Réalisation des Objectifs de la Révolution ...................... 12, 147, 206, 269
Irlande ...........................................................................................................130, 134, 142, 176, 177, 407
Islam politique ............................................................................................................................... 79, 633
Israël ............................................................................. 130, 131, 132, 142, 200, 202, 205, 206, 209, 211
Italie ................................................................................................ 90, 239, 242, 256, 326, 340, 343, 346
650





Page 652
K
Khati Cherif de Gul-Khaneh de 1839 ............................................................................................ 23, 328
Khati Houmayoun de 1856 .............................................................................................. 23, 89, 322, 335
KHEDHER Habib ........................................................................................100, 129, 138, 153, 155, 157
KHEREDINE ...... ..23, 40, 90, 91, 92, 275, 276, 321, 322, 325, 326, 327, 328, 329, 330, 336, 344, 345,
347, 348, 593
KLIBI Salsabil.. ....... 36, 37, 38, 78, 85, 97, 101, 136, 140, 148, 150, 151, 216, 222, 245, 246, 247, 248,
289, 437, 450, 472, 473, 481, 486, 491, 530, 549, 615
L
LAGHMANI Slim… ....... 20, 37, 38, 73, 79, 80, 81, 83, 96, 97, 137, 140, 142, 143, 145, 168, 216, 222,
223, 245, 246, 283, 289, 308, 364, 494, 496, 501, 537, 540, 542, 551, 557, 558, 562, 577, 615
Laïcité .......................................................................................................................................... 433, 633
laïcité procédurale ......................................................................................................... 72, 81, 82, 83, 84
langue arabe .......................................................................................... 613, 614, 618, 619, 640, 641, 643
légitimité électorale .......................................................... 67, 71, 112, 117, 119, 120, 121, 123, 127, 408
Libye ........................................................................................................................ 15, 17, 117, 126, 470
M
Mahomet ................................................................................. 19, 20, 37, 73, 74, 147, 194, 218, 331, 500
Majles Choura ............................................................................................................................... 80, 144
Mamelouks .................................................................................................................................. 326, 332
Maroc .... 17, 22, 46, 48, 67, 108, 141, 198, 199, 242, 256, 291, 292, 293, 294, 301, 302, 303, 306, 316,
394, 404, 407, 412, 414, 415, 416, 417, 419, 423, 425, 435, 463, 505, 582, 583, 584, 585, 589, 632,
633, 635, 636, 638, 640, 641
Mohamed Bey ............................................................................................................................. 323, 324
MORSI Mohamed ............................................................................................................................... 398
MOUBARAK Hosni ................................................................................................... 397, 398, 443, 444
Mouvement de Tendance Islamique ........................................................................................ 12, 65, 144
Mouvement des Jeunes Tunisiens ........................................................................................................ 340
Mufti .............................................................................................................................. 78, 324, 331, 446
N
Nahdhaouis ...... 43, 57, 70, 71, 79, 88, 100, 109, 110, 112, 117, 122, 126, 136, 137, 147, 154, 162, 164,
199, 280, 281, 282, 408, 441
NASSER Gamal Abdel ....................................................................................................... 202, 204, 442
Nation arabe ........................................................................................................................................ 221
Nationalisme arabe ...................................................................................................................... 196, 632
Néo-Destour ................................................................... 41, 226, 346, 350, 351, 355, 356, 358, 359, 360
Nidaa Tounes ................................................................................................122, 124, 125, 161, 164, 179
651




Page 653
O
Occidentaux ................................................................................................................................. 195, 220
Officiers libres ..................................................................................................................................... 441
Orient ....... 16, 45, 107, 117, 141, 172, 180, 181, 194, 195, 196, 197, 201, 232, 242, 244, 291, 341, 375,
390, 394, 397, 400, 401, 403, 406, 408, 412, 413, 431, 439, 449, 453, 467, 499, 505, 526, 582, 584,
595, 603, 629, 632, 635, 639
Ottomans ............................................................................................................................................. 195
P
Pacte fondamental ..... 23, 49, 89, 106, 319, 320, 321, 325, 328, 330, 332, 333, 334, 335, 336, 337, 338,
341, 342, 343, 346, 393
Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques ............. 12, 233, 247, 261, 265, 565, 566, 643
Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels .................. 12, 233, 247, 261
Pacte républicain ...........................................................................................72, 137, 138, 206, 211, 444
Panarabisme ........................................................................................................................................ 204
PHILIPPE Xavier ................................................................................................ 1, 36, 57, 538, 551, 561
Première République .................................................... 138, 139, 227, 347, 363, 415, 509, 530, 537, 567
Président de la République ............. 61, 160, 300, 302, 363, 365, 384, 385, 472, 473, 548, 549, 552, 570
Printemps arabe ...... 15, 16, 17, 24, 75, 99, 106, 141, 201, 222, 255, 291, 375, 394, 397, 401, 402, 403,
405, 406, 412, 437, 593, 635
Projet de brouillon ................................................... 80, 81, 136, 139, 147, 148, 278, 280, 281, 282, 284
Projet de Constitution ............................................ 81, 124, 140, 155, 208, 211, 214, 282, 446, 622, 623
Prophète ...................................... 19, 78, 91, 147, 194, 197, 328, 329, 331, 416, 435, 440, 486, 487, 501
Qawm .................................................................................................................................................. 452
Quartet ......................................................................................................................................... 126, 127
Q
R
RAHOUI Mongi .......................................................................................................................... 148, 618
Ramadan .............................................................................................................................. 503, 504, 640
Régence de Tunis ........................................................................... 23, 226, 319, 322, 330, 336, 343, 348
Révélation ...................................................................................................................................... 19, 219
Révolution du Jasmin ........... 151, 165, 257, 319, 329, 367, 371, 390, 394, 395, 396, 397, 413, 503, 595
S
Salat ..................................................................................................................................................... 225
Sawm ................................................................................................................................................... 225
Seconde Guerre mondiale ...................................................................... 22, 191, 257, 260, 261, 264, 355
SFEZ Samuel ....................................................................................................................... 324, 332, 341
652






Page 654
Shar’ .................................................................................................................................................... 146
Sourate ................................................... 44, 73, 77, 91, 92, 101, 107, 144, 255, 258, 259, 283, 331, 500
Souveraineté .................................................................................................................................. 73, 601
souveraineté divine ........................................................................................................................ 66, 482
souveraineté nationale ..................................................................................134, 201, 204, 300, 468, 474
souveraineté populaire .................................................................... 72, 253, 380, 437, 443, 445, 468, 485
Sublime Porte ............................................. 40, 89, 90, 319, 321, 322, 323, 325, 327, 329, 330, 334, 336
Sunna ................................................ 19, 20, 40, 42, 67, 78, 147, 163, 329, 409, 441, 449, 486, 487, 500
Supra-constitutionnalité ............................................................................................................... 102, 604
Tanzimat ..................................................................................... 89, 90, 91, 275, 322, 323, 328, 329, 333
Théocrates ............................................................................................................................................. 84
T
Uléma ................................. 47, 90, 92, 164, 255, 324, 327, 335, 339, 344, 347, 440, 448, 449, 485, 582
Umma ....................................................................................... 43, 78, 101, 194, 197, 200, 206, 220, 452
Union Générale Tunisienne du Travail ........................................................................... 12, 60, 112, 124
U
Verset ............................................................................................................................................... 20, 92
Vieux-Destour ................................................................................................................................ 76, 350
V
Watan .................................................................................................................................. 202, 452, 635
W
Yousséfiste ............................................................................................................................................. 76
Y
Zakat .................................................................................................................................................... 225
Zitouna .................................................................................................................... 76, 79, 327, 352, 483
Z
653













Page 655
654



Page 656
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS ...................................................................................................... 9
LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS ........................................................ 11
INTRODUCTION GENERALE ................................................................................. 15
I.
A.
B.
Situer la Constitution du 27 janvier 2014 dans le contexte global .............. 25
Les discours sur le constitutionnalisme global ............................................... 25
Les éléments culturels et spécificités identitaires du système constitutionnel
tunisien ....................................................................................................................... 31
II.
A.
B.
Ce que veut dire construire le constitutionnalisme tunisien ........................ 34
La contextualisation du comparatiste ............................................................. 34
La contextualisation de l’objet de la recherche ............................................. 39
III.
L’aménagement d’une identité constitutionnelle comprise dans l’Islam avec
les fondements du constitutionnalisme .................................................................... 42
IV. Une étude de droit comparé ........................................................................... 45
PARTIE I. LA PLACE DE L’ISLAM DANS LA FORMATION D’UNE
IDENTITE CONSTITUTIONNELLE ECLATEE ................................................... 51
Titre I La consécration constitutionnelle de l'identité ........................................... 55
Chapitre 1 Une identité constitutionnelle à l’image de la composition hétérogène
de l’Assemblée Nationale Constituante .................................................................... 57
Section 1 Les présupposés idéologiques inconciliables à l’Assemblée Nationale
Constituante ............................................................................................................... 58
Paragraphe 1
Légitimité révolutionnaire contre légalité constitutionnelle ........... 58
A.
1.
2.
B.
L’opposition du « peuple de la révolution » au « peuple des élections » ....... 59
La naissance du « peuple de la révolution » .................................................. 59
L’expression politique du « peuple des élections » ........................................ 61
La confrontation entre majorité et opposition au sein de l’Assemblée
Nationale Constituante .............................................................................................. 64
1.
L’islam du juste milieu et la mise en œuvre des mécanismes de la démocratie
procédurale ................................................................................................................ 66
2.
La cristallisation de la division entre partisans de la troïka et opposants à la
politique gouvernementale ......................................................................................... 68
Paragraphe 2
La récupération de la révolution par les islamistes ........................ 71
655


Page 657
A.
La volonté des islamistes de faire de la charia la source de la législation et de
Dieu, le seul souverain ............................................................................................... 72
1.
2.
3.
La normativité de l’Islam et la conception du Coran comme foi et loi .......... 73
L’adaptation de l’Islam à la conception occidentale de la souveraineté ....... 75
Le changement de discours des islamistes au pouvoir ................................... 79
B.
Le choix de la laïcité procédurale .................................................................. 82
Section 2 L’expression des identités multiples au sein de l’Assemblée Nationale
Constituante ............................................................................................................... 84
Paragraphe 1
L’opposition de l’identité culturelle et religieuse à l’identité civique
et politique…………………………………………………………………………………….85
A.
1.
2.
B.
Des avis divergents sur l’importance du référent islamique .......................... 85
La place du référent islamique au sein de la Constitution ............................. 86
La volonté de séparer la religion de la politique et non la religion de l’Etat 93
L’importance égale de l’Etat « civil » et de l’identité arabo-musulmane du
peuple tunisien ........................................................................................................... 95
Paragraphe 2
L’inscription des « enseignements de l’Islam » au sein du
préambule de la Constitution ..................................................................................... 98
A.
1.
2.
3.
B.
1.
2.
Les débats sur la valeur du préambule et sa possible exportation ................. 98
Les enjeux de la valeur du préambule ............................................................ 99
Le recours à l’argument de droit comparé ................................................... 103
Un préambule pensé comme un modèle ....................................................... 106
L’attachement du peuple aux « enseignements de l’Islam » ........................ 108
L’indétermination du sens des « constantes de l’Islam » ............................. 109
La préférence pour les « enseignements de l’Islam » .................................. 111
CONCLUSION ........................................................................................................ 115
Chapitre 2 La naissance du « compromis dilatoire » entre théocrates et
démocrates………………………………………………………………………....117
Section 1 La constitutionnalisation simultanée de deux conceptions de l’Etat ..... 119
Paragraphe 1
Le tawâfuq ..................................................................................... 119
A.
Le réaménagement de la légitimité électorale pour limiter l’excès de pouvoir
majoritaire ............................................................................................................... 120
1.
2.
B.
La crise de légitimité de l’ANC et la contestation du principe majoritaire . 120
Le Dialogue national où l’amorce d’une sortie de crise .............................. 123
La politique compromissoire de la Commission des consensus ................... 127
656

Page 658
1.
2.
Le fonctionnement de la Commission des consensus ................................... 128
La mise en place d’un compromis d’attente ................................................. 129
Paragraphe 2
L’accord de principe sur les signifiants des articles de la
Constitution…………………………………………………………………………………135
A.
1.
2.
B.
1.
2.
La binarité des articles 1 et 2 de la Constitution ......................................... 136
Le problème de l’Islam comme religion de l’Etat ........................................ 137
L’insertion de l’article 2 disposant du caractère « civil » de l’Etat ............ 142
L’article 6 comme archétype de la contradiction constitutionnelle ............. 146
Le climat non sécularisé d’élaboration de l’article ..................................... 146
La difficile conciliation du rôle de l’Etat en tant que protecteur de la religion
et du sacré et garant de la liberté de conscience ..................................................... 149
Section 2 Le choix constitutionnel de la détermination du signifié par les
interprètes authentiques ........................................................................................... 152
Paragraphe 1
L’immunisation constitutionnelle du texte contre tout conflit
d’interprétation …………………………………………………………………………….153
A.
L’article 146 et les différentes méthodes d’interprétation de la
Constitution…………………………………………………………………………………154
B.
La conciliation des dispositions des articles 1, 2 et 146 .............................. 160
C. Les objectifs de l’interprétation ..................................................................... 166
Paragraphe 2
Les interprétations de l’article premier faisant de ....................... 173
« l’Islam sa religion » .............................................................................................. 173
A.
La valeur juridique attribuée à l’article 1er de la Constitution : une
interprétation dépendant de l’interprète .................................................................. 174
B.
Le choix des autorités publiques d’une interprétation déterminée de la
formule « l’Islam sa religion » ................................................................................ 179
CONCLUSION ........................................................................................................ 185
CONCLUSION DU TITRE I ..................................................................................... 187
Titre II Une identité constitutionnelle à la croisée des valeurs universelles et
nationales ..................................................................................................................... 189
Chapitre 1 La neutralisation des valeurs humaines par les valeurs identitaires 191
Section 1 L’obsession de l’identité arabe et islamique du peuple ......................... 193
Paragraphe 1
L’appartenance de la Tunisie aux seuls espaces arabo-
musulmans…………………………………………………………………………………..193
A.
La réduction de l’histoire de la Tunisie à la conquête arabo-musulmane ... 194
657

Page 659
1.
La consolidation de « l’unité du Maghreb » comme étape à la « réalisation de
l’unité arabe » .......................................................................................................... 194
2.
L’occultation de l’appartenance méditerranéenne et des acquis historiques
autres qu’arabes ...................................................................................................... 199
B.
La défense des peuples opprimés en particulier, le mouvement de libération
de la Palestine .......................................................................................................... 201
1.
La volonté des constituants de faire de la Constitution un modèle valable
régionalement ........................................................................................................... 202
2.
Les conséquences économiques et internationales du soutien au peuple
palestinien ................................................................................................................ 208
Paragraphe 2
La prévalence des valeurs identitaires sur les valeurs
universelles………………………………………………………………………………….213
A.
B.
1.
2.
Une prévalence formelle et matérielle .......................................................... 213
L’importance des valeurs et des symboles de la Deuxième République ...... 217
Le lien entre la langue arabe et l’Islam ....................................................... 218
Les symboles dans la Constitution ................................................................ 224
Section 2 L’inspiration internationale du constituant ........................................... 228
Paragraphe 1
L’apport de la comparaison des textes constitutionnels et le rôle des
organisations nationales et internationales ............................................................. 230
A.
La place des constitutions étrangères et des textes internationaux relatifs aux
droits de l’Homme au sein du processus constituant ............................................... 231
B.
L’appui des organisations nationales et internationales à l’ANC ............... 234
Paragraphe 2
L’importance des parcours individuels des constituants et le rôle
des spécialistes nationaux de droit constitutionnel .................................................. 241
A.
L’impact des formations universitaires et séjours à l’étranger des
constituants………………………………………………………………………………….241
B.
Le rôle des experts constitutionnels des Facultés de droit tunisiennes ........ 244
CONCLUSION ........................................................................................................ 249
Chapitre 2 Une identité constitutionnelle respectueuse des droits reconnus à
l’Homme par l’Islam ............................................................................................... 251
Section 1 La consécration constitutionnelle des seuls droits de l’homme situe .... 253
Paragraphe 1
La reconnaissance des valeurs humaines de dignité et de liberté 253
A.
L’évidence de la dignité ................................................................................ 254
658

Page 660
1.
2.
L’immolation par le feu de Mohamed BOUAZIZI : un acte contraire à l’Islam
255
La dignité de l’Homme dans l’Islam : entre sécularisation de karamah et
reconnaissance de la citoyenneté ............................................................................. 257
3.
B.
La reconnaissance constitutionnelle des droits découlant de la dignité ...... 260
La consécration de la plupart des droits découlant de la liberté ................. 268
Paragraphe 2
Vers la reconnaissance de l’égalité en droits du Tunisien et de la
Tunisienne…………………………………………………………………………………...274
A.
1.
2.
B.
1.
2.
3.
Le Code du Statut Personnel ou la première révolution par le droit ........... 275
La question féminine dans la pensée des réformistes tunisiens .................... 275
La signification de l’expression « droits acquis de la femme » .................... 278
Une égalité constitutionnelle ........................................................................ 279
Le refus catégorique de la complémentarité ................................................ 280
Les obstacles à la reconnaissance d’une égalité dans la loi ........................ 282
Vers la consécration de l’égalité en droits ................................................... 283
Section 2 La valeur et les effets des conventions internationales dans l’ordre
juridique interne ....................................................................................................... 288
Paragraphe 1 Une Constitution moins ouverte sur les droits de l’Homme que celle
du 1
er juin 1959……………………………………………………………………………..289
A.
La criante absence des déclarations internationales des droits de
l’Homme……………………………………………………………………………………..290
B.
La valeur juridique des conventions approuvées et ratifiées par la Tunisie 294
Paragraphe 2
Les effets des conventions internationales dans l’ordre juridique
interne ………………………………………………………………………………………..298
A.
B.
Le contrôle de la constitutionnalité des traités ............................................ 298
Le sort des conventions internationales relatives aux droits des femmes .... 304
CONCLUSION ........................................................................................................ 309
CONCLUSION DU TITRE II ................................................................................... 311
CONCLUSION DE LA PARTIE I ............................................................................ 313
PARTIE II. LES CONFLITS INHERENTS AU CONSTITUTIONNALISME
TUNISIEN…………………………………………………………………………....315
Titre I Sort et essor du constitutionnalisme tunisien ........................................... 317
Chapitre 1 La naissance du constitutionnalisme et l’idée de constitution en
Tunisie………………………………………………………………………….….319
659


Page 661
Section 1 La tradition réformiste tunisienne ......................................................... 320
Paragraphe 1
Aux origines du constitutionnalisme tunisien ............................... 320
A.
Le contexte d’occupation ottomane et la circulation des idées venues
d’Occident ................................................................................................................ 321
1.
Des réformes imposées à la Sublime Porte et à la Régence de Tunis par
l’Occident ................................................................................................................. 322
2.
KHEREDINE et IBN ABI DHIAF, précurseurs du constitutionnalisme
tunisien ..................................................................................................................... 325
B.
1.
2.
3.
Les textes fondateurs du constitutionnalisme tunisien ................................. 330
Les décrets abolissant l’esclavage ............................................................... 330
Le Pacte fondamental de 1857 ..................................................................... 332
La Constitution de 1861 ............................................................................... 336
Paragraphe 2
La fragilité du constitutionnalisme tunisien des origines ............. 339
A.
B.
Un constitutionnalisme imposé par les Européens ....................................... 340
Les mutations de la tradition réformiste tunisienne sous le protectorat
français ..................................................................................................................... 347
Section 2 L’idée de constitution en Tunisie ........................................................... 351
Paragraphe 1
L’instrumentalisation de l’idée de constitution par Habib
BOURGUIBA……………………………………………………………………………….352
A.
L’importance de la double formation et des séjours à l’étranger du
Combattant Suprême ................................................................................................ 352
B.
Le détournement de l’idée de constitution par le Néo-Destour .................... 358
Paragraphe 2
Une culture constitutionnelle nécessaire à l’appropriation de l’idée
de constitution………………………………………………………………………………362
La Constitution du 1er juin 1959, un instrument au service du pouvoir
A.
politique ................................................................................................................... 362
B.
Le besoin d’une culture constitutionnelle travaillée par les gouvernés ....... 367
CONCLUSION ........................................................................................................ 371
Chapitre 2 Le constitutionnalisme tunisien actuel comme discours alternatif au
constitutionnalisme global ...................................................................................... 373
Section 1 Penser le constitutionnalisme transformateur en Tunisie ..................... 374
Paragraphe 1
La caractérisation du constitutionnalisme transformateur en
Tunisie……………………………………………………………………………………….375
A.
Les éléments d’identification du constitutionnalisme transformateur ......... 376
660

Page 662
B.
L’expression tunisienne du constitutionnalisme transformateur .................. 382
Paragraphe 2
Le constitutionnalisme tunisien actuel, nouveau modèle de
droit constitutionnel ? .............................................................................................. 389
A.
L’importance de la nouvelle voie sociale dans le constitutionnalisme
tunisien………………………………………………………………………………………390
B.
Le constitutionnalisme tunisien actuel comme modèle régional
d’inspiration………………………………………………………………………………...394
Section 2 L’émergence d’une version originale du constitutionnalisme dans la
région : le constitutionnalisme identitaire ............................................................... 402
Paragraphe 1
Les manifestations du constitutionnalisme identitaire .................. 402
A.
B.
Les éléments de définition du constitutionnalisme identitaire ...................... 403
La singularité du constitutionnalisme identitaire tunisien ........................... 407
Paragraphe 2
Les limites du constitutionnalisme identitaire .............................. 412
A.
1.
2.
B.
L’instrumentalisation de l’identité constitutionnelle .................................... 412
L’Islam dans l’ordre juridique interne ......................................................... 414
L’Islam dans l’ordre juridique international ............................................... 417
L’opposition de l’Islam aux composantes traditionnelles du
constitutionnalisme global ....................................................................................... 419
1.
2.
L’exclusion des non musulmans du texte constitutionnel ............................. 420
L’exercice des droits et libertés conditionné par le respect de l’Islam ........ 423
CONCLUSION ........................................................................................................ 427
CONCLUSION DU TITRE I ..................................................................................... 429
Titre II Le constitutionnalisme tunisien : un discours progressiste, des pratiques
discriminatoires ........................................................................................................... 431
Chapitre 1 Un Etat « civil » pour un peuple musulman ..................................... 435
Section 1 La signification du caractère « civil » de l’Etat .................................... 437
Paragraphe 1
Qu’est-ce qu’un Etat « civil » pour un peuple musulman ? ......... 438
A.
L’apparition de la notion et sa consécration constitutionnelle en Egypte et en
Tunisie ...................................................................................................................... 439
1.
L’apparition de la notion d’Etat « civil » et sa signification en Egypte et en
Tunisie ...................................................................................................................... 440
2.
La consécration constitutionnelle de la notion d’Etat « civil » en Egypte et en
Tunisie ...................................................................................................................... 446
B.
La citoyenneté, première composante constitutionnelle de l’Etat « civil » .. 450
661

Page 663
1.
2.
3.
L’étymologie arabe de la citoyenneté, muwâtana ........................................ 452
La citoyenneté comme manifestation de l’identité nationale ....................... 468
La citoyenneté comme participation active à la vie de la cité ...................... 477
Paragraphe 2
La soumission de l’Etat « civil » au droit ..................................... 481
A.
B.
La volonté du peuple ..................................................................................... 481
La primauté du droit ..................................................................................... 486
Section 2 Une citoyenneté contredite par les conventions sociales liées à
l’Islam………………………………………………………………………………………..488
Paragraphe 1
Des institutions publiques qualifiées de neutres mais comprises dans
l’Islam……………………… ...................................................................................... 489
A.
La remise en cause des principes de neutralité et d’égalité de l’administration
publique en Tunisie .................................................................................................. 490
B.
L’importance de l’appartenance nationale dans le droit à l’enseignement et à
la culture .................................................................................................................. 494
Paragraphe 2 Des droits et des libertés brimés du fait de leur inadéquation avec
l’Islam……………………. ......................................................................................... 498
A.
B.
La liberté de ne pas avoir de religion ........................................................... 499
La liberté de ne pas jeûner en public ........................................................... 503
CONCLUSION ........................................................................................................ 507
Chapitre 2 Le parachèvement du constitutionnalisme tunisien : la mise en place
de la Cour constitutionnelle .................................................................................... 509
Section 1 La place du juge dans la Constitution et son rôle au sein des nouvelles
institutions…………………………………………………………………………………..512
Paragraphe 1 Le rôle de la Commission des juridictions judiciaires,
administratives, financières et constitutionnelles .................................................... 512
A.
L’influence des auditions des experts extérieurs à l’ANC et des visites à
l’étranger des constituants ....................................................................................... 515
1.
2.
B.
L’influence des auditions des experts extérieurs à l’ANC ............................ 515
L’importance des visites des constituants à l’étranger ................................ 525
La mise en place d’un « pouvoir juridictionnel » indépendant du pouvoir
politique ................................................................................................................... 529
Paragraphe 2
La distinction constitutionnelle et fonctionnelle entre la juridiction
constitutionnelle et les juridictions ordinaires ......................................................... 535
A.
Une distinction constitutionnelle à interpréter ............................................. 536
662

Page 664
1.
2.
La Cour constitutionnelle, une juridiction constitutionnelle à part entière . 538
La Cour constitutionnelle, un « organe constitutionnel » de type
particulier……………………………………………………………………………………543
B.
1.
2.
La différence d’attributions et de fonctions .................................................. 551
Le contrôle de constitutionnalité a priori ..................................................... 551
Le contrôle de constitutionnalité a posteriori .............................................. 558
Section 2 Le contrôle de constitutionnalité en période de transition
constitutionnelle et démocratique ............................................................................ 563
Paragraphe 1
Le contrôle de constitutionnalité en l’absence de juridiction
constitutionnelle ....................................................................................................... 563
A.
Le rôle du Tribunal administratif en matière de contrôle de constitutionnalité
des lois de l’ANC ...................................................................................................... 564
B.
Le contrôle de constitutionnalité effectué par l’Instance provisoire de
contrôle de constitutionnalité des projets de lois ..................................................... 568
Paragraphe 2
Les enjeux de la mise en place de la Cour constitutionnelle ........ 575
A.
La composition de la Cour : le difficile accord sur la nomination des juges
constitutionnels ........................................................................................................ 576
B.
Les fonctions de la Cour : la détermination problématique de la nature de
l’Etat…………………………………………………………………………………………581
CONCLUSION ........................................................................................................ 587
CONCLUSION DU TITRE II ................................................................................... 589
CONCLUSION DE LA PARTIE II .......................................................................... 591
CONCLUSION GENERALE .................................................................................... 593
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................... 597
INDEX .......................................................................................................................... 647
TABLE DES MATIERES .......................................................................................... 655
663



Page 665
664

Page 666
THÈSE PRÉSENTÉE POUR OBTENIR LE GRADE DE
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX
ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT (E.D. 41)
SPÉCIALITÉ DROIT PUBLIC
Par Carla YARED
LA CONSTRUCTION DU CONSTITUTIONNALISME TUNISIEN
ETUDE DE DROIT COMPARE
Thèse dirigée par
Mme Marie-Claire PONTHOREAU
Professeur à l’Université de Bordeaux
Soutenue le 22 janvier 2021
Membres du jury :
Mme Neila CHAABANE
Doyenne à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, rapporteure
M. Baudouin DUPRET
Directeur de recherche au CNRS, Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux
M. Beligh NABLI
Maître de conférences HDR à l’Université Paris-Est Créteil
M. Xavier PHILIPPE
Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, rapporteur
Mme Marie-Claire PONTHOREAU
Professeure à l’Université de Bordeaux, directrice de recherche
M. Charles-Edouard SENAC
Professeur à l’Université de Bordeaux








Page 667










































Page 668
LA CONSTRUCTION DU CONSTITUTIONNALISME TUNISIEN
ETUDE DE DROIT COMPARE
TOME II : ANNEXES





























Page 669











Page 670
SOMMAIRE
Annexe 1 - Glossaire ....................................................................................................... 7
Annexe 2 - Chronologie de la transition tunisienne ................................................... 31
La période prérévolutionnaire ................................................................................... 33
La période révolutionnaire ........................................................................................ 35
régie par les articles de la Constitution de 1959 ....................................................... 35
La mise en place d’une légalité de transition nouvelle .............................................. 42
Elections et mise en place de ..................................................................................... 47
l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) ............................................................... 47
Début des travaux des commissions constituantes .................................................... 50
Schéma n°1. Processus constituant : Principales étapes ........................................... 55
Initiative du « Dialogue national » ............................................................................ 56
Schéma n°2. Processus constituant : Jusqu’à la publication du projet du 1er juin
2013 61
Schéma n°3. Processus du Dialogue National (DN) ................................................. 62
Schéma n°4. Positions politiques avant et après l’initiative du Dialogue National
(DN) : 25 juillet-25 octobre 2013 .............................................................................. 64
Annexe 3 - Les Constitutions de la Tunisie indépendante ........................................ 71
La Constitution du 1er juin 1959 ................................................................................. 71
La Constitution du 27 janvier 2014 ............................................................................. 89
Annexe 4 - Liste des principaux entretiens ............................................................... 115














Page 671
6




Page 672
Annexe 1 - Glossaire
A
Ahl el-Hall wa’l-Aqd : Littéralement traduit par "les gens qui lient et qui délient". Ahl el-Hall
wa’l-Aqd
est le terme qui renvoie aux personnes qualifiées pour élire ou déposer un calife, au
nom de la communauté musulmane. Le terme renvoyait aux savants musulmans qui avaient
pour fonction d’offrir le
Califat à la personne la plus qualifiée. Dans la pratique, la plupart des
Califes en place ont pris l’habitude de désigner leurs successeurs. La fonction de désignation
de
Ahl el-Hall wa’l-Aqd n’est plus qu’une formalité. Certains penseurs à l’exemple de
KHEREDINE ont essayé de rapprocher la fonction de cette assemblée délibérative non élue à
celle des Parlements européens modernes.

Ahmed IBN ABI DHIAF : Né en 1802, Ahmed IBN ABI DHIAF est originaire de la ville de
Siliana (Tunis). Son père Hadj BEN DHIAF est secrétaire de Youssef Sahib AT TABA,
ministre de Hamouda Pacha, mais il est emprisonné et ses biens confisqués, après la disgrâce
et l'assassinat de H. Pacha. Ayant appris le
Coran et suivi les enseignements religieux à la
médersa et à la Zitouna, Ahmed IBN ABI DHIAF devient témoin notaire, Adl, en 1822 et
secrétaire à la chancellerie,
Kattib, en 1827. Rédacteur habile et cultivé, il exerce ses missions
de secrétaire sous Mustapha Bey, Mustapha Sahib AT TABA, Ahmed Bey et Mustapha
KHAZNADAR. Homme de confiance, le Bey Hussayn II le dépêche auprès de la
Sublime
Porte
pour le défendre des accusations de trahison des intérêts ottomans, faites par les
dignitaires turcs de l’Empire. Afin de défendre convenablement le Bey, il doit trouver des
arguments politiques, juridiques et religieux. Chargé de se rendre une nouvelle fois à Istanbul
en 1842, il plaide la non-application à Tunis, du
Khati Cherif de Gul-Khaneh de 1839.
Collaborateur de confiance d’Ahmed Bey, il l’accompagne avec KHEREDINE dans son
déplacement à Paris en 1846. Observateur attentif du système politique français, il est fasciné
par les progrès réalisés par la civilisation occidentale. Chargé en 1857 d’élaborer le
Pacte
fondamental
ou Ahd el Amen, il devient progressivement un fervent défenseur des Tanzimat
ottomans. Ecarté du pouvoir lors de l’insurrection de 1864, il est nommé conseiller du
première ministère en 1870, mais il démissionne pour des raisons de santé en 1872. Connu
pour son
Ithaf ahl az-zaman bi akhbar muluk Tunis wa ahd al aman, Cadeau aux
contemporains ou Chronique des rois de Tunis et du Pacte fondamental
, il défend ardemment
la prééminence de la monarchie constitutionnelle. Il y expose l’histoire de la Tunisie et plaide
en faveur du
Pacte fondamental. Pour Ahmed IBN ABI DHIAF, le pouvoir limité et modéré
est la meilleure forme de gouvernement. Les idées qu'il défend ne sont pas différentes de
celles de KHEREDINE. Les deux penseurs militent en faveur de la reconnaissance d’un
pouvoir politique limité par le droit. Il exhorte les musulmans à rejeter et à refuser le
gouvernement despotique pour deux raisons. La première est religieuse : les versets du
Coran
et les
hadiths du Prophète défendent déjà à l’individu d’agir capricieusement et selon sa
volonté. A l’instar de KHEREDINE, il incite les musulmans à recommander le bien et à
interdire le mal, au lieu de se soumettre et d’obéir à un prince injuste pour éviter la guerre
civile. La seconde raison est rationnelle : s’inspirant d’IBN KHALDOUN, il estime que
l’arbitraire, l’insécurité et le pillage des biens par les monarques, empêchent les sujets de
vivre dignement et paisiblement. Opposant le pouvoir absolu, Mulk al mutlaq au pouvoir
limité par le droit
Mulk al muqaïd bi quanun, il estime que ce dernier peut être atteint soit par
le biais de la révolution d’un peuple en quête de liberté contre le despotisme, soit par l’octroi
d’une constitution. D’après Ahmed IBN ABI DHIAF, la loi fondamentale en pays d’Islam est
7






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le Coran et la Sunna du Prophète qui préconise également de rendre la justice et la liberté aux
individus. Ce grand penseur est en faveur des idées réformistes de KHEREDINE et les deux
auteurs veulent adapter l’organisation nouvelle du pouvoir politique aux idéaux de justice et
de liberté de la civilisation arabe et musulmane.
Al-Azhar : Fondée au Caire en 973, Al-Azhar est à la fois une mosquée et une université.
Construite par les Fatimides, elle assure les fonctions de Grande Mosquée. Les sultans
ottomans et
mamelouks la modifient et la restaurent à plusieurs reprises en y ajoutant des
médersa, des portes et minarets. C’est plus exactement en 988 que la mosquée est doublée
d’une université. Bien qu’on y enseigne toutes les disciplines, une priorité est accordée à la
théologie et au droit. Depuis sa création,
Al-Azhar est un des principaux centres spirituels et
universitaire de l’Islam à l’instar de la
Karaouiyne de Fès et de la Zitouna de Tunis.
Arabe : Au IXème siècle avant Jésus-Christ, certains textes akkadiens et hébraïques citent les
termes «
Arabi » ou « Arab » pour évoquer le peuple qui maîtrise la langue arabe dans ses
différents dialectes. Le peuple arabe regrouperait les tribus nomades et les peuples arabisés de
l’Irak jusqu’à la Mauritanie, en passant par la Somalie. Actuellement, le peuple arabe dépasse
géographiquement le cadre des seuls pays arabes puisque depuis plusieurs siècles, il est en
Iran et en Europe par les différentes vagues migratoires du XX
ème siècle. Traditionnellement
liée à l’Islam, l’expansion arabe du VII
ème siècle à partir de la péninsule arabe, se fait au nom
de la diffusion de la religion. Au XXI
ème, même si la majorité de la population arabe est
musulmane, les musulmans arabes ne représentent que le quart de la population musulmane
mondiale. Il existe par ailleurs de nombreuses communautés arabes chrétiennes et juives dans
les Etats arabes, tels que l’Egypte, la Syrie, le Liban, la Tunisie et le Maroc. L’âge d’or de la
conquête arabe (de 661 à 750 sous le siècle des Omeyyades et de 750 à 1258 sous le demi-
millénaire des Abbassides) et le nationalisme arabe du XIX
ème siècle sont souvent glorifiés par
les intellectuels du monde arabe. La période de la domination ottomane est négligée au profit
de l’idée d’un grand Etat arabe qui naît avec la Première Guerre mondiale. L’idée d’unité du
peuple arabe est reprise après la Seconde Guerre mondiale, mais disparaît rapidement du fait
de la naissance des revendications nationalistes et religieuses locales provoquées par les
différences sociales, économiques et politiques. A la suite de la formation des Etats-Nations
dans le monde arabe, les populations sont de nos jours liées par des caractéristiques
communes malgré des cultures diverses, l'une d'elles est la langue arabe. Cette dernière
comme toutes les langues, véhicule des références identitaires communes telles que des
références littéraires, artistiques, historiques et médiatiques. D'ailleurs, l’Arabe littéraire est
actuellement utilisé comme langue de référence tant pour l’écrit que pour l’oral et les textes
officiels. S’éloignant progressivement de la langue du
Coran, la langue arabe est composée de
différents dialectes locaux qui mêlent aux influences berbères, persanes ou turques, des
emprunts au français et à l’anglais. La diffusion par les médias de films égyptiens et de
musique libanaise permet aux
Arabes de se comprendre et d’exporter certains dialectes au
profit d’autres.
Assabiya : Notion chère à IBN KHALDOUN, la assabiya est souvent traduite par "fanatisme
tribal" et désigne généralement la cohésion tribale.
8








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B
Béji CAÏD ESSEBSI : Né en 1926 à Sidi Bou Saïd, Béji CAÏD ESSEBSI fait des études de
droit à Paris, puis il s’inscrit au Barreau de Tunis en 1952. Figure politique du régime de
H. BOURGUIBA, il est directeur de la Sûreté nationale de 1963 à 1965, ministre de
l’Intérieur de 1965 à 1969, ministre de la Défense de 1969 à 1970 et ministre des Affaires
étrangères de 1981 à 1986. En plus de ses fonctions ministérielles, il est ambassadeur de
Tunisie à Paris en 1970, puis à Bonn en 1987. Militant nationaliste de la première heure, il est
membre du
Néo-Destour et proche d’H. BOURGUIBA et de son fils. Au début des années
1970 pourtant, il est exclu du
Parti Socialiste Destourien (PSD). En 1978, il rejoint le
Mouvement des Démocrates Socialistes (MDS) fondé par Ahmed MESTIRI. Sous Z. BEN
ALI, il est président de la Chambre des députés de mars 1990 à octobre 1991, avant de se
consacrer à son cabinet d’avocat. Après la révolution, il est nommé Premier ministre de
transition jusqu’aux élections constituantes du 23 octobre 2011. En 2012, il fonde un parti
politique
Nidaa Tounes qui remporte 86 sièges lors des élections législatives du 26 octobre
2014. Elu président de la République en 2014, il décède le 25 juillet 2019 à l’âge de 92 ans.
Beldi : Catégorie sociale qui jouit d’une grande considération dans la société tunisienne, car
elle renvoie le plus souvent aux élites tunisoises.
Bey : Dans l’Empire ottoman, le Bey est le titre attribué par la Sublime Porte aux hauts
fonctionnaires, gouverneurs des provinces, officiers de l’armée et vassaux du Sultan. En
Tunisie, c’est le titre porté par les gouverneurs.
C
Califat : A la mort du Prophète Mahomet, le califat est la forme d’organisation politique qui
est instituée pour le remplacer.
Calife : Littéralement traduit par "responsable temporel suprême", il est en fait le successeur
du Prophète. Le
calife, khalifa est le remplaçant de l’Envoyé de Dieu (khalifa rasoul Allah), le
lieutenant d’Allah, le guide, le modèle des croyants musulmans. Ce titre est traditionnellement
attribué au chef de la communauté des croyants et se double à l’origine, du titre d’
amir al-
muminin
, le commandeur des croyants et de celui d’imam, le guide des musulmans dans
l’obéissance à la Loi révélée. De surcroît, le
calife est tenu de maintenir l’unité du monde
islamique, d’assurer sa défense et son extension, de préserver le dogme religieux de toute
innovation, de gouverner et d’administrer l’empire musulman. Il nomme les cadis et les
muftis. Le mode de nomination du calife et la conception de son rôle ont longtemps opposé les
musulmans. De fait, la conception qui a prévalu chez un grand nombre de croyants est celle
qui lui délègue le pouvoir exécutif de l'
Umma. Dans les faits, il tient sa légitimité de sa force
politique et militaire.
Chahada : Littéralement "profession de foi", la chahada est l’une des obligations cultuelles
du croyant et l'un des cinq piliers de l’Islam ou
ibadat. Elle consiste à prononcer la formule
suivante : «
J’atteste qu’il n’y a de Dieu que Dieu et que Mohammed est l’envoyé de Dieu. »
Elle est généralement scindée en deux. La première partie «
Il n’y a de Dieu que Dieu » est
appelée première
chahada et permet au fidèle de formuler son assentiment au monothéisme.
La seconde partie «
Mohammed est l’envoyé de Dieu » est appelée seconde chahada et elle
exprime la croyance du fidèle en la
Risala ou mission du Rasoul Mohammed. Elle suppose
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donc l’acceptation de l’ensemble des dogmes et des croyances de l’Islam. Prononcée en
Arabe devant deux témoins musulmans suffit à faire entrer un nouveau venu dans la
Communauté des croyants.

Charia : La charia ne signifie pas "droit" au sens technique du terme. Elle renvoie plutôt à la
Loi musulmane signifiant "bonne orientation" ou "voie à suive", prescrite par Dieu dans le
Coran et la Sunna. Elle dicte une série de recommandations, de commandements et
d'interdictions au croyant, qui s'il les suit, sera conduit au paradis. Exprimant la volonté de
Dieu, ces prescriptions sont obligatoires et elles contrôlent toute la vie du musulman. Du fait
de son caractère sacré et transcendantal, la
charia ne peut que difficilement évoluer en
fonction des besoins et des progrès de la société qu’elle vise à régir.
Choura : Littéralement "concertation" ou "conseil". Le verset 159 de la Sourate 3 Al-Imrân
du
Coran donne l’ordre au Prophète de consulter les croyants avant de prendre une décision.
Les savants musulmans se basent essentiellement sur ce verset du
Coran pour la mise en place
d’un système participatif qui régit la communauté des croyants.
Code du Statut Personnel : Promulgué par décret beylical le 13 août 1956, le Code du Statut
Personnel
est entré en vigueur le 1er janvier 1957. Ce code est un ensemble de dispositions
législatives ayant pour but essentiel de parvenir à l’égalité entre l’homme et la femme. Alors
Premier ministre, H. BOURGUIBA en a l’initiative et il constitue d’ailleurs l’une des
réformes les plus importantes du
Combattant Suprême. En effet, ce code donne à la femme
une place inédite dans la société tunisienne et dans l’ensemble du monde arabe : la polygamie
est abolie, le consentement au mariage requis et la possibilité de divorcer renforcée. Pour
conforter les droits de la femme, ce code sera amendé sous le régime de Z. BEN ALI en 1993.
Il est également l’objet de tous les débats politiques à partir de 2011 au sein de l’ANC et il
constitue actuellement, l’objet des réformes proposées par la
Commission des libertés
individuelles et de l’égalité
(COLIBE). Créée le 13 août 2017 par le défunt président de la
République tunisienne Béji CAÏD ESSEBSI, cette commission a été chargée de préparer un
rapport sur les réformes législatives relatives aux libertés individuelles et à l’égalité,
conformément à la Constitution du 27 janvier 2014, ainsi qu’aux normes internationales des
droits de l’Homme. Ce rapport a été publié le 8 juin 2018.
Confédération Générale des Travailleurs Tunisiens (CGTT) : Créée en 1925 par Mohamed
Ali EL-HAMMI, la
CGTT est un syndicat tunisien dont le but est de fédérer l’ensemble des
syndicats qui émergent à l’époque coloniale en Tunisie. Ses nombreuses grèves et
manifestations sont mal acceptées par les autorités coloniales qui décident de réprimer ce
mouvement. Alors que ses meneurs et ses dirigeants sont soit arrêtés, soit contraints à l’exil,
son fondateur, leader charismatique est jugé, condamné et expatrié. Décédant en 1928, sa
mort provoque une première vague syndicale. En 1937, la 2
ème Confédération Générale des
Travailleurs Tunisiens
est fondée par Belgacem GNAOUI et dirigée à partir de 1938 par Hédi
NOUIRA pour disparaître en 1940. Après la Seconde Guerre mondiale, des travailleurs
tunisiens quittent la CGT française et créent leur formation tunisienne. Si le 19 novembre
1944 sont fondés les syndicats autonomes du Sud, le 6 mai 1945, sont créés les syndicats
autonomes du Nord. Les deux syndicats s’allient quelques mois après avec la fédération des
fonctionnaires pour former la future
Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) dont le
président, Farhat HACHED, tiendra son premier congrès le 20 janvier 1946. Tout au long de
la révolution et au cours du processus constituant, l’
UGTT avait pour Secrétaire général
Houcine ABBASSI, remplacé aujourd'hui par Noureddine AL TABOUBI.
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Congrès Pour la République (CPR) : Parti politique fondé en 2001 par Moncef MARZOUKI
et interdit par le régime BEN ALI, le
CPR continue à exister grâce à ses partisans en exil. En
2005, il
participe au Mouvement du 18 octobre, avec les partis d’opposition démocratique et
les islamistes d’
Ennahdha. Luttant contre la dictature, le CPR milite pour l’instauration d’un
régime républicain démocratique qui garantisse la liberté d’expression, d’association et de
manifestation. Au déclenchement de la révolution, les cadres exilés du parti rentrent en
Tunisie et le
CPR appelle alors à promulguer une nouvelle Constitution qui garantisse la
séparation des pouvoirs, le respect des droits de l’Homme et l’égalité homme / femme. Il
milite également pour le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et soutient la
cause palestinienne. Bien qu’existant depuis 2001, le parti n’a été légalisé qu’en 2011,
permettant la candidature de Moncef MARZOUKI aux élections présidentielles du 23 octobre
2011. Son élection à la présidence de la République par l’ANC, élève son parti au rang de la
deuxième force politique du pays.

Coran : Le Coran signifie littéralement "dictée", "récitation". Il est la parole révélée de Dieu
grâce à l’ange Gabriel qui l’a transmise à Mahomet, le Prophète. Dictée en Arabe et codifiée
pour la première fois en 610, les Compagnons du Prophète ont transcrit la parole descendue
sur Mahomet pendant les vingt dernières années de sa vie, sous forme de mémoires, sur des
parchemins, des os ou du cuir. Du fait du
Coran, la langue arabe devient à son tour, sacrée.
Du vivant de Mahomet, les règles étaient orales et ce n’est qu’avec l’avènement du troisième
calife Othman que les préceptes énoncés oralement par Mahomet, sont écrits sous la forme de
114
Sourates ou chapitres, chacune composée de versets, au total 6.226. Alors que la première
Sourate, La Fatiha ou L’Ouvrante est composée de 7 versets, les Sourates du Coran sont
classées de la plus longue à la plus courte. Chacune dispose d’un titre et débute par un
basmallah ou bismillah, "Au nom de Dieu", à l’exception de la Sourate 9. Des Sourates ont
été révélées à La Mecque, d'autres à Médine. Les premières traitent des relations entre
l’humain et le divin, l’unicité de Dieu et le Jugement dernier. Les secondes elles, abordent les
relations des Hommes entre eux, la religion comme la référence et l’essence même de la vie
sociale des croyants et les missions successives du Prophète Mahomet.
D
Dejemaia des habous : Administration chargée de la gestion des biens de mainmorte, habous.
Destour : D’origine perse, le mot Destour signifie "Constitution" et en Arabe moderne, le
terme employé est
Dustur. En Tunisie, le Destour est un parti nationaliste fondé en 1920, pour
revendiquer la fin du protectorat français et la libération du pays. Panarabe et musulman, ce
parti est issu du Mouvement des jeunes tunisiens. Il est aussi nommé Hizb al Hor al Destouri
ou
Parti libéral constitutionnel tunisien. Il élabore un programme politique composé de huit
points : établir une nouvelle Constitution qui garantisse la séparation des pouvoirs exécutif,
législatif et judiciaire ; doter le pays d’une instance parlementaire tunisienne élue ; instaurer
un pouvoir exécutif responsable devant le Parlement ; mettre en place un pouvoir judiciaire
indépendant ; garantir le respect des libertés individuelles ; mettre un terme à la tutelle
administrative de la France ; développer l’enseignement et reconnaître la langue arabe comme
langue officielle. Une délégation du
Destour présente en 1920 son programme à Mohamed
Naceur Bey (Bey de Tunis) et quelques jours plus tard, les membres de la délégation sont
interpellés et arrêtés sur ordre de la France, pour incitation à la haine raciale. En 1933, la
France dissout le parti qui reste cependant dirigé par Abdelaziz THAÂLBI et ce, jusqu’en
1944. En 1934, le
Destour se scinde en deux, le Vieux-Destour plutôt conservateur, d’Ahmed
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AS-SAFI et de Salah FERHAT et le Néo-Destour, plus moderniste, qui devient un parti de
masse. Dirigé par Habib BOURGUIBA, le
Néo-Destour qui prend sa place est plus vindicatif,
plus laïque et par conséquence plus libéral. Avec acharnement, il ne réclame plus à la France
des concessions, mais l’indépendance de la Tunisie.
Dhimmi : Issu du terme dhimma qui signifie "conscience", le terme dhimmi renvoie au titre
porté par les populations non-musulmanes en terres d’Islam. Ce titre leur garantit un statut de
«
protégé » au sein de la communauté, car il désigne les personnes pratiquant une religion
monothéiste à l’exemple des «
gens du Livre », Ahl al Kitab. Ces derniers sont le plus souvent
de confession juive, chrétienne, sabéenne ou zoroastrienne. Elles peuvent vivre dans un pays
musulman, garder leur culte et leur religion d’origine, sans obligation de se convertir, à
condition de payer un droit de vivre, l’impôt de capitation, la
jizya, en échange de la
protection dont elles bénéficient. Payée, les musulmans se doivent de les protéger. Toutefois,
ils restent une classe inférieure et ils subissent certaines interdictions.
Djihad : Le Djihad ou Jihad signifie "effort". Cet effort est généralement accompli par le
musulman pour devenir un bon croyant. De manière plus générale, le
djihad vise à appliquer
la loi divine sur terre. Le sens religieux du
djihad renvoie plutôt à la conversion des âmes.
Cette conversion passe parfois par l’effort militaire qui vise à étendre la communauté des
croyants musulmans. Le grand
djihad est pourtant à distinguer du petit djihad. Alors que le
premier est l’effort mené par l’homme pour se rapprocher de Dieu, le second implique la
guerre des musulmans pour défendre ou exercer leur culte. Les intégristes et les
fondamentalistes religieux emploient souvent le terme dans sa troisième acception qui signifie
guerre sainte. Cette guerre rendrait service aux non-musulmans puisqu’elle les soumettrait à
Dieu. Compris comme «
l’effort sur le chemin de Dieu », le djihad agrandit la communauté
des croyants. C’est uniquement sous cette dernière acception que le port des armes est
autorisé.

E
Ennahdha : Initialement la Nahdha correspond à une période d’effervescence culturelle et
intellectuelle dans le monde arabe et musulman. Elle débute dès les premières décennies du
XIX
ème siècle et est marquée par une volonté de réforme des sociétés au niveau social et
politique entre autres.
Ennahdha est la translitération de l'Arabe ةضهنلا qui fait référence au
mouvement islamiste en Tunisie ou au
Mouvement de la Renaissance, Harakat En-Nahdha,
ةضهنلا ةكرح. L’islamisme tunisien naît en 1971 sous la forme de la Jama’a al Islamiyya. A
cette organisation politique succède le 6 juin 1981, le Mouvement de Tendance Islamique
(MTI) ou Harakat al-Ittijah al-Islâmi. Œuvrant dans la clandestinité, le MTI devient en février
1989, le
Mouvement de la Renaissance ou Ennahdha. La direction du mouvement ne
bénéficie pourtant pas de l'agrément officiel nécessaire pour s’associer aux différents scrutins
électoraux. Toutefois, l’ouverture politique initiée par le président BEN ALI permet aux
cadres et aux militants d’
Ennahdha de se présenter comme « indépendants » aux élections
législatives du 2 avril 1989 et d'obtenir 14 % des suffrages exprimés, malgré les fraudes. Le
parti islamiste bénéficie du soutien d’un syndicat étudiant l’
Union Générale Tunisienne des
Etudiants
(UGTE) qui partage ses opinions politiques et religieuses, mais fin novembre 1990,
la période d’ouverture politique s’achève. De décembre 1990 à janvier 1991, des militants et
des sympathisants du parti sont arrêtés dans plusieurs grandes villes. En 1992, une série de
procès est organisée et plusieurs peines lourdes sont prononcées, dont plusieurs à perpétuité
pour «
appartenance à une organisation illégale » et / ou « volonté de changer la nature de
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l’Etat ». Après la révolution du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, son président Rached
GHANNOUCHI exilé en Angleterre, rentre en Tunisie. La chute du régime BEN ALI a
permis aux nouvelles autorités tunisiennes de reconnaître et de légaliser le parti islamiste.
Sorti vainqueur des premières élections libres et constituantes de la Tunisie, il a joué et joue
actuellement un rôle central dans la vie politique tunisienne.
F
Faqîh : Juriste musulman spécialiste du fiqh ; son pluriel est fuqahâ. Il est souvent confondu
avec le terme
‘âlim qui désigne le savant en sciences religieuses.
Fatwa : "Consultation", "opinion" ou "avis juridique". Les muftis sont les personnes habilitées
à délivrer des
fatâwa (pluriel de fatwa).
Fellaga : Traditionnellement "bandit de grand chemin" ou "coupeur de route". Au moment de
la lutte armée contre la France, il finit par désigner dans le contexte maghrébin
d’indépendance nationale, un maquisard tunisien ou algérien.
Fiqh : Littéralement traduit par "compréhension", le fiqh est d’un point de vue juridique, la
jurisprudence islamique, une science fondée sur les méthodes de déduction des normes à
partir des sources islamiques comme le
Coran et la Sunna. Contrairement à la charia qui
relève de la loi divine, le
fiqh relève de l’effort intellectuel humain.
Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL ou Ettakatol) : Fondé en 1994
par Mustapha BEN JAAFAR, le
Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés est un
parti social-démocrate. Bien qu’en 2002, il ait été reconnu par le régime politique de Z. BEN
ALI, il ne joue qu’un rôle de second plan dans la vie politique et institutionnelle du pays. A
l’instar du
CPR et d’Ennahdha, il participe au Mouvement du 18 octobre en 2005 pour
dénoncer les exactions du régime autoritaire. S’il participe aux élections législatives de 2009,
il ne remporte que peu de voix et ne dispose d’aucun siège à la Chambre des députés. Son
fondateur se présente aux élections présidentielles la même année, en militant essentiellement,
pour la limitation du nombre de mandats présidentiels et pour l’instauration d’une instance
électorale qui organise et surveille les élections en lieu et place du ministère de l’Intérieur. Le
17 janvier 2011, Mustapha BEN JAAFAR est nommé ministre de la Santé publique dans le
gouvernement intérimaire, mais il démissionne quelques jours plus tard pour protester contre
la présence au sein du gouvernement d’anciens membres du
Rassemblement Constitutionnel
Démocratique (RCD). Quatrième force politique de l’ANC, Ettakatol se lie aux partis
Ennahdha et CPR pour former la troïka. Elu président de l’ANC, Mustapha BEN JAAFAR et
les partisans d’
Ettakatol soutiennent la candidature de Moncef MARZOUKI à la présidence
de la République et la nomination de Hamadi JEBALI au poste de chef du Gouvernement.
Front National : Coalition qui regroupe des acteurs politiques et syndicaux à l’exemple du
Néo-Destour, de l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT), de l’Union Nationale
des Agriculteurs de Tunisie (UNAT)
et de l’Union Tunisienne des Artisans et Commerçants
(UTAC).
Créée le 15 mars 1956, elle a pour objectif principal de rallier les organisations
proches du
Néo-Destour afin de lui permettre de briguer la majorité des sièges à l’Assemblée
Nationale Constituante. Ces organisations étaient également liées par la volonté d'obtenir de
la France, l’indépendance de la Tunisie.
13











Page 679
H
Habib BOURGUIBA : Figure charismatique de la vie politique tunisienne, H. BOURGUIBA
né en 1903, est connu pour avoir été le premier président de la République tunisienne, de
1957 à 1987. Après des études de droit à la Sorbonne, il revient en Tunisie comme avocat en
1927. Très vite, il intègre le
Destour et lutte contre le protectorat français. Très engagé pour la
cause et l’indépendance nationale, il écrit dès 1931 des articles dans plusieurs journaux
nationalistes, tels que
La Voix du Tunisien ou L’étendard tunisien, avant de fonder en 1932,
son propre journal
L’action tunisienne. Son activisme politique le fait arrêter par le
gouvernement français qui ordonne sa déportation dans le sud tunisien et ce jusqu’en 1936.
Arrêté à nouveau en 1938, il est libéré en 1942 et en pleine Seconde Guerre mondiale, il prône
le soutien à la résistance française, tout en s’opposant radicalement aux puissances de l’Axe.
A la fin de la guerre, il quitte clandestinement le pays et se réfugie au Caire. Pendant son
absence, Salah BEN YOUSSEF avait pris les rênes du
Néo-Destour, mais de retour en
Tunisie, H. BOURGUIBA lutte avec acharnement pour reprendre le parti. Cependant, celui-ci
ayant été interdit, H. BOURGUIBA est une nouvelle fois arrêté en 1952 et il ne rentrera à
Tunis qu'en 1955, après la signature des conventions franco-tunisiennes reconnaissant
l’autonomie interne du pays. Sa politique du "plan par étapes" ou de la «
méthode des petits
pas » va lui permettre à partir de 1956, d’arracher progressivement la souveraineté tunisienne
à la France. Président du Conseil, il engage des réformes législatives modernes à l’exemple du
Code du Statut Personnel (CSP) qui lui permet de promouvoir et de défendre l’égalité entre
l’homme et la femme. Après avoir déposé le Bey, il abolit la monarchie et devient en 1957, le
premier président de la République tunisienne. Sa longue présidence lui permet de donner une
place essentielle à l’éducation et à l’enseignement qu’il veut gratuits. En parallèle, il engage
une série de programmes de construction d’hôpitaux publics, de routes et de barrages.
Paradoxalement, en dépit des nombreuses réformes avant-gardistes qu’il entreprend, il ne
souhaite pas l’instauration d’une véritable démocratie en Tunisie. Il considère en effet que le
pluralisme entraîne la division et la régression de la société. Il considère le
Néo-Destour
comme seul garant de la modernisation du pays et au fil du temps, sa présidence est marquée
par le culte de la personnalité, s'attribuant le titre de
Combattant Suprême ou de mujâhid al
akbar.
Sur le plan de la politique internationale et contrairement aux pays arabes
environnants, il prône dès 1965, l’acceptation du plan de partage de la Palestine en deux Etats
juif et arabe proposé par les Nations Unies. Pour des raisons officielles de santé, il est déposé
par le coup d’Etat du général Zine El-Abidine BEN ALI et restera sous résidence surveillée
jusqu’à sa mort en 2000.
Habous : Biens de mainmorte légués par un propriétaire à des institutions religieuses. Ils sont
déclarés inaliénables et leurs revenus sont affectés à une finalité pieuse ou charitable,
généralement, l’entretien d’établissements religieux.
Hadîths : Traduction littérale de "propos", les hadîths sont les faits et les dires du Prophète.
Etant à l’origine des paroles rapportées de manière régulière par une chaîne de témoins, il
fallait déterminer l'origine des propos et la crédibilité des témoins. La biographie des
transmetteurs, les
tabbakat ont été établies et après un jugement critique de la parole
rapportée, un texte de
hadîth ou matn a été fixé. Au milieu du IXème siècle, un certain nombre
de
hadîths sont retirés et laissent la place à trois catégories de hadîths : la première est très
sûre, la deuxième sûre et la troisième regroupe les
hadîths sujets à caution. Plus tard dans le
siècle, des recueils définitifs de
hadîths sur les questions de culte et de droit sont constitués.
Certains d’entre eux reçoivent l’approbation unanime des musulmans. Ces derniers sont ceux
des traditionnistes du IX
ème siècle à l’exemple des Six Livres d’AL-BOUKHARI, de
14





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MOUSLIM, d’ABOU DAOUD, d’IBN MAJA, d’AL-NASAY, d’AL-TIRMADI, de Malik
IBN ANAS et d’AL-DARIMI. Alors que les deux premiers appelés
Sahih ou authentiques,
proposent des modèles de comportements et des thèmes historiques ou doctrinaux, les autres
nommés
Sunan ou traditions, abordent des questions de culte et de droit. Aujourd’hui, le
Sahih de référence est celui d’AL-BOUKARI constitué d'environ 7.500 hadîths qui traitent de
sujets identiques. Les
hadîths définitivement fixés se divisent en deux catégories : les simples
paroles du Prophète ou
hadîths nabawi et ceux dont la tradition affirme qu’ils ont été
prononcés par le Prophète directement sous l’inspiration divine, les
hadîths koudsi.
Hajj : Littéralement "grand pèlerinage à La Mecque". Le hajj fait partie des cinq piliers de
l’Islam ou
ibadat. Il est l’une des obligations cultuelles du croyant qui doit l'accomplir au
moins une fois dans sa vie. Pratique ancienne, liée aux habitudes religieuses et cultuelles de
l’Arabie, le
hajj ne doit toutefois être fait que si le musulman en a la santé et les moyens
financiers. Mahomet a inscrit le
hajj dans les rites du monothéisme abrahamique en réservant
aux musulmans l’accès au territoire sacré de la Mecque où s’accomplit le pèlerinage. La fin
du hajj est marquée par l’
Aïd al-Adha qui commémore le sacrifice d’Abraham. S'il est
accompli au cours du mois de
doul hajj, il donne au musulman le titre de hajj ou pèlerin.
Accompli durant un autre mois de l’année, ce rite est qualifié d’
oumra ou pèlerinage normal
et considéré comme un acte pieux. Ce rite donne au
hajj une piété particulière, car il a
notamment respiré l’air et frôlé le sol où est né le Prophète et la tradition musulmane.
Hakimiyya : Opposée au concept de jahiliyya, la hakimiyya est un concept développé par le
penseur égyptien Sayd QOTB qui
renvoie à la souveraineté exclusive de Dieu. Le bien et le
mal sont déterminés par la loi divine et la
charia régit l’ensemble des domaines de la vie
humaine. Le pouvoir législatif appartient à Dieu et l’action humaine est contrainte à appliquer
les règles religieuses. Ainsi, l’application de la
charia permet au législateur de légitimer ses
interprétations des règles religieuses par des éléments qui relèvent du sacré.
Hanéfisme : Créée par ABOU HANIFA, le hanéfisme ou hanafisme est une école juridique
sunnite. Cette école a été celle de l’Empire ottoman et a la préférence des musulmans non
arabes. Elle est considérée comme l’une des plus libérales. Elle privilégie le raisonnement par
analogie et l’opinion personnelle rationnelle. Elle est actuellement suivie en Turquie, en
Chine, en Inde, en Asie centrale, en Syrie, en Jordanie et dans une partie de l’Egypte.
Hégire : Francisation de l’Arabe hijra qui signifie "émigration". Il renvoie au départ du
Prophète Mahomet de La Mecque pour Médine en 622. Cet exil fonde la deuxième partie de
la prédication. L’ère islamique débute le 16 juillet 622 de l’ère chrétienne et c’est le deuxième
calife Omar qui instaure l’ère hégirienne. A partir de cette date, les musulmans ne prient plus
en direction de Jérusalem, mais en direction de La Mecque. A Médine, le Prophète passe du
statut de chef religieux à celui de chef politique et militaire. Ses prédications ne concernent
plus seulement les relations de l’Homme avec Dieu, s'y ajoutent celles de l’Homme avec ses
semblables.
I
Ibadat : Les ibadat sont les cinq piliers de l’Islam. Obligatoires et codifiés, ils témoignent de
l’adoration de l’Homme pour Dieu et sont : la profession de foi ou
chahada, l’aumône légale
ou
zakat, le jeûne du mois de ramadan ou sawm, la prière ou salat et le grand pèlerinage à La
Mecque ou
hajj.
15









Page 681
IBN KHALDOUN : Né à Tunis en 1332, Abou Zeid Abd Er-Rahman IBN MOHAMMAD
IBN KHALDOUN AL HADRAMI est issu d’une famille andalouse d’origine sud-arabique. Il
est connu pour être l’un des premiers théoriciens de l’histoire des civilisations et des premiers
précurseurs de la sociologie moderne. Il analyse les changements politiques et sociaux qu’il
observe dans le Maghreb et l’Espagne à l’époque. Très cultivé, il devient homme d’état et de
cour, mais accusé de complot, il est emprisonné pendant deux ans, puis il s’exile quelques
temps plus tard à Grenade. Chambellan du Sultan de Bougie en 1365, IBN KHALDOUN est
philosophe, diplomate, historien et homme politique d’Afrique du Nord. Au cours de sa
retraite à Fès, il rédige
Muqqadima ou Discours sur l’histoire universelle, introduction à un
ouvrage qui marque un tournant, car pour la première fois, l’Histoire des Arabes n'est pas
seulement relatée, mais analysée. Avec le
Livre des exemples, ces deux ouvrages sont les plus
remarquables parmi les écrits historiques des auteurs musulmans. Il finit sa vie en Egypte où
il est juge et enseigne le droit. Envoyé auprès de Tamerlan en 1401, il meurt au Caire en 1406.
Ifriqiya : Le territoire qui couvrait la quasi-totalité de la Tunisie, le nord-est de l’Algérie et
l’est de la Tripolitaine était appelé
Africa par les Romains. Au VIIème siècle, les conquérants
arabes de l’Afrique du Nord changèrent
Africa en Ifriqiya.
Ijmâ : Consensus de la communauté musulmane sur une norme prise par les Ulémas.
Ijtihad : Effort d’interprétation d’un savant ou ‘âlim.
Imam : L’imam est "celui qui se tient devant". De manière générale, ce mot renvoie aux
douze descendants du Prophète qui ont guidé la communauté des croyants. Chez les sunnites,
l’
imam est plus précisément celui qui dirige la prière du vendredi à la mosquée alors que chez
les chiites, il est le chef de la communauté.
Intifada : Historiquement comprise comme le soulèvement du peuple palestinien en 1987, le
terme est passé dans le langage courant. Il désigne principalement les rassemblements de
citoyens dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, qui visent à contester, voire à
s’opposer, à l’oppression des régimes politiques en place. Il est synonyme de soulèvement, de
révolte.
J
Jahiliyya : Dérivé de la racine arabe jahil qui signifie "ignorer", la jahiliyya est la société
antéislamique de la péninsule arabique où régnaient l’ignorance, la diversité des dialectes, le
paganisme et la barbarie. Sous l’effet des écrits de Sayed QOTB, le terme perd sa valeur
historique et décrit toutes les sociétés ignorant les commandements de Dieu.

K
Kasbah : De l’arabe qasabah qui signifie "roseau" ou "forteresse", la kasbah renvoie à la
citadelle, aux parties hautes et fortifiées d’une ville. Actuellement, le terme désigne les
quartiers d’architecture arabe enserrés par les quartiers modernes. A Tunis, la Place de la
Kasbah désigne la place devant le premier ministère. Par extension, ce ministère a pris le nom
de la Place de la Kasbah. Elle constitue l’un des espaces publics urbains symboliques de la
révolution tunisienne, à l’instar de l’avenue Habib BOURGUIBA. Le 23 janvier 2011, le
16













Page 682
mouvement de la Kasbah I réunit des Tunisiens issus des régions de l’intérieur qui réclament
la démission du gouvernement GHANNOUCHI I. En février, la Place de la Kasbah est à
nouveau occupée, par près de cent mille personnes cette fois, qui réclament l’élection d’une
Assemblée Nationale Constituante.
Kharéjites : A l’instar des chiites, les kharéjites sont originellement les partisans d’Ali.
Cependant, lors de la bataille de Siffin en 657, ils refusent l’arbitrage visant à cesser le conflit
entre Ali et Mouawiya et ils fondent un mouvement dissident qu’Ali va combattre. A
l’exemple du sunnisme et du chiisme, le
kharéjisme est l’une des branches créées après le
premier schisme de l’Islam. Considérés comme des puritains, les
kharéjites estiment que tous
les musulmans sont égaux devant le
Coran et la Sunna et que l’imam doit être choisi en
fonction de ses bienfaits envers et pour la communauté. Ils font du
jihad le sixième pilier de
l’Islam.
Khati Cherif de Gul-Khaneh : Promulgué en 1839, le Khati Cherif de Gul-Khaneh est le
premier édit dont l’objectif est de limiter le pouvoir de la suzeraineté ottomane et de préserver
les droits et les libertés des populations vivant sous son autorité. Par cet édit, le Sultan
Abdelmajid s’engage à entreprendre une série de réformes garantissant une égalité parfaite
entre ses sujets, sans distinction de race ou de religion. Ces réformes concernent
essentiellement le domaine de la justice, de la fiscalité et de l’armée. L’égalité proclamée par
l’édit est cependant contraire au
Coran, selon lequel il n’y a pas d’égalité entre les musulmans
croyants et les non-croyants ou
dhimmis. Cet édit est refusé par les sujets musulmans de
l’Empire qui ne veulent pas être assimilés aux mécréants. Malgré les avancées textuelles, les
mentalités ne sont pas encore prêtes à évoluer. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’égalité
entre les diverses populations n’a jamais été mise en place dans la pratique. L’ancien système
des impôts, de la
jizya est donc resté en place.
Khati Houmayoun : Promulgué en 1856, le Khati Houmayoun fait suite à la Guerre de
Crimée de 1854 à 1856. Pour remercier la France et l’Italie d’avoir défendu l’Empire ottoman
contre la Russie et pour enlever à la Russie tout prétexte d’intervention, le Sultan met en place
de nouvelles réformes. En matière d’égalité, les populations sous suzeraineté ottomane
disposent d’une nouvelle charte plus explicite que le
Khati Cherif de Gul-Khaneh. Le Sultan
décide alors de rendre les réformes de 1839 effectives. Sans distinction de classe ou de culte
entre les sujets de l’Empire, il s'engage à garantir l’égalité devant la loi, la sécurité, l'emploi,
l’impôt, les témoignages en justice. Il annonce la liberté de culte et crée des tribunaux mixtes
pour traiter les affaires commerciales et criminelles entre musulmans et non musulmans. Il
promet aussi d’établir une représentation équitable des communautés chrétiennes dans les
conseils communaux et provinciaux, ainsi qu'au Conseil Suprême de la Justice.
KHEREDINE : Né en Circassie aux alentours de 1820, KHEREDINE est un orphelin
recueilli et élevé par un dignitaire de l’Empire ottoman qui lui aurait donné une bonne
instruction, notamment en lui enseignant le Turc. En 1839 à Istanbul, il est acheté par un
agent d’Ahmed Bey qui le garde au palais beylical où en 1840, il est instruit en Arabe et en
science musulmane. Devenu militaire, il accompagne Ahmed Bey en 1846 à Paris. Avant
d’être nommé à la tête du ministère de la Marine et d’être promu président du Grand Conseil
en janvier 1857, il est chargé de plaider la cause de l’Etat tunisien contre Mahmoud BEN
AYED (l’ancien fermier général de Tunisie) devant un tribunal arbitral. La confiance dont il
jouit de la part du Bey et ses différents déplacements en Europe, particulièrement en France,
font de lui un personnage politique phare de la Tunisie beylicale. Ses missions diplomatiques
et ses séjours en Occident le font réfléchir sur les causes du retard du monde arabo-musulman
17






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et du développement des Etats européens. Il observe le pouvoir politique et sa limitation par le
droit, ainsi que la protection des libertés individuelles dans les systèmes libéraux. En
septembre 1857, le «
Pacte fondamental » est promulgué et dès 1858, il anime les travaux de
la commission chargée des réformes de la société tunisienne et de l'élaboration d'une
Constitution. Ayant constaté que le Bey et son ministre KHAZNADAR n'approuvent pas ces
réformes, il démissionne de la présidence du Conseil et du ministère de la Marine en 1862.
Sept ans plus tard, il est nommé président de la Commission financière chargée de régler la
dette de l’Etat tunisien et de protéger les intérêts des créanciers du gouvernement. Devenu
Premier ministre en 1873, certains de ses détracteurs lui reprochent ne pas avoir mis en
pratique ses idées sur la réforme du système politique. Quittant la Tunisie pour Istanbul, il est
Grand Vizir de 1878 à 1879. Il décède à Istanbul en 1889 et sa dépouille est ramenée en
Tunisie le 28 mars 1968. KHEREDINE est connu pour avoir publié en 1867 à l’Imprimerie
officielle tunisienne, «
Aqwaan al massalik fi marifat ahoual el mamélik ». L’introduction de
l’ouvrage est traduit en français dès 1868 sous le titre «
Réformes nécessaires aux Etats
musulmans
». La première partie de l’essai intitulée « La plus sûre direction pour connaître
l’état des nations
», explique l’organisation et les institutions de l’Empire ottoman et des Etats
européens. La seconde partie donne des indications sur les différentes régions du monde. Sa
pensée vise essentiellement à l’instauration d’un pouvoir limité et modéré en pays d’Islam,
c'est-à-dire conforme à la pensée politique islamique.

L
Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) : Créée en 1976 par des intellectuels
tunisiens, la
LTDH est la première Ligue des Droits de l’Homme fondée en Afrique. Même si
elle n’acquiert un statut légal que le 5 mai 1977, elle adopte dès 1976, une ligne très critique
du régime du
Combattant Suprême. Dirigée jusqu’en 1988 par Saadedine ZMERLI, elle
condamne le monopartisme, le contrôle de l’information par les autorités du régime, la torture
et la mise en place d’une justice d’exception ou Cour de sûreté de l’Etat. Ses nombreuses
activités sont entravées par les hommes du pouvoir en place, sous la présidence d’Habib
BOURGUIBA. Même si la présidence de Zine El-Abidine BEN ALI lui semble plus
favorable, la Ligue fait l’objet d’une tentative de récupération politique. La Tunisie a ratifié la
Convention internationale de lutte contre la torture, mais le pouvoir circonvient les secrétaires
généraux de la
LTDH, notamment avec la nomination au ministère de la Santé de S. ZMERLI
et au ministère de l’Education nationale, de son successeur Mohamed CHAFI. Du fait de
l’infiltration des membres du
RCD, la Ligue est accusée de connivence avec le parti au
pouvoir. Le congrès de 1989 porte Moncef MARZOUKI à la tête de l’organisation et dans les
années 1990, la politique répressive du régime s’accentue : des militants islamistes et des
partisans de l’Union Générale Tunisienne des Etudiants (UGTE) sont arrêtés et incarcérés.
Bien que la
LTDH continue de condamner fermement la torture et les procès politiques
orchestrés par le régime, son organisation interne se fissure. Moncef MARZOUKI est évincé
et ceux qui ne souhaitent pas une lutte frontale avec le pouvoir arrivent à imposer Taoufik
BOUDERBALA, lors du congrès de Sidi Bou Saïd en 1994. En 1997, une organisation
concurrente est créée pour échapper à la mainmise du régime, le
Conseil National des
Libertés en Tunisie
(CNLT). En 2000, au cours du cinquième congrès de la LTDH, les deux
tendances, celle pour la collaboration avec le régime et celle contre, s’affrontent. Les partisans
de la conciliation avec le pouvoir soutiennent Fadel GEMMASSE, mais l’aile gauche de la
LTDH, essentiellement dominée par le Parti Communiste Ouvrier Tunisien (PCOT) impose
Mokhtar TRIFI à la présidence. En 2003-2004, la Ligue perd une partie de son indépendance
financière, car le pouvoir décide de geler les fonds en provenance de l’Union européenne.
18





Page 684
Non seulement les divisions intestines ruinent l’image de la Ligue, mais certaines sections
locales sont entièrement contrôlées par le
RCD. D’autres organisations de préservation des
droits de l’Homme émergent alors sur la scène tunisienne, à l’exemple de
Liberté et équité.
Même si la LTDH reprend ses positions avec la chute du régime BEN ALI, l’organisation
reste divisée. Les Tunisiens reconnaissent tout de même l’implication de leurs membres lors
du processus constituant.

M
Mahomet ou Mohammad : Mahomet est né en 570 à La Mecque dans le clan des Banou
Hachim de la tribu des
Qoreiche. Veuve, sa mère Amina le confie à une nourrice, Halima,
nomade de la tribu des Saad IBN BAKER. Mahomet vivra ses premières années avec elle
dans le désert. Selon les récits, sa famille se rend à Yatrib entre 573 et 576, une ville qui
prendra le nom de Médine. Sur le chemin du retour, sa mère meurt et c’est son grand-père,
Abd Al-Moutalib, chef du clan qui l’élève. Ce dernier meurt en 579, Mahomet est alors
adopté par son oncle Abou Talib qui devient chef du clan. Le futur Prophète est berger, puis
caravanier sur les routes du désert. A 25 ans, il entre au service d’une femme riche de La
Mecque, Khadija BINT KHOUWAYLID, âgée de quarante ans. Veuve, il l’épouse et fonde
avec elle une famille de sept enfants : trois garçons et quatre filles qui seules survivront. Il
adopte alors un chrétien de Syrie, Zayd BIN HARITA, esclave que lui avait offert sa femme.
L'une de ses filles Fatima, épouse son cousin Ali, fils d’Abou Talib. Ils auront deux fils,
Hossein et Hassan. Vers 610, il a ses premières révélations qui surviennent dans la grotte du
Mont Hira. Durant l'une d'elles, l’archange Gabriel lui annonce la parole de Dieu et l'exhorte à
réciter les paroles divines (
Coran, qui signifie "récitation" en Arabe). Puisque ces révélations
sont celles d’un Dieu unique, Mahomet est considéré par les musulmans comme le dernier de
la lignée des cinq grands Prophètes des religions monothéistes : Noé, Abraham, Moïse, Jésus
et lui. Ayant constitué un groupe de disciples, il décide face à l’hostilité des autorités de La
Mecque, de partir pour Médine. C'est l'année 622, c'est-à-dire l’an I de l’
Hégire, à l’origine du
calendrier musulman. Bien que minoritaire à Médine, Mahomet va petit à petit chasser et
vaincre ses opposants et en 630, il revient en maître à La Mecque, lieu de pèlerinage de tous
les musulmans. Après sa mort en 632, toutes ses révélations ont été collectées, mémorisées et
mises par écrit. L’ensemble de ces révélations constitue le Livre saint de l'Islam, le
Coran.
Aujourd’hui l’Islam est la deuxième religion du monde.
Majles Choura : Conseil consultatif.
Malékisme : Créée par Malik IBN ANAS, le malékisme est une école juridique sunnite qui
accorde une place importante à la coutume et la considère comme source du droit en plus du
Coran et de la Sunna. C’est un rite essentiellement pratiqué au Maghreb qui s’appuie sur les
hadîths de Médine et sur le principe d’utilité générale.
Mamelouk : Les mamelouks ont été deux dynasties turques non héréditaires qui ont régné
après la dynastie des
Ayyoubides. Ces deux dynasties (celles des Barhites de 1250 à 1382 et
celle des
Burjites de 1382 à 1517) étaient essentiellement composées d’esclaves chrétiens
enlevés et islamisés par l’Empire ottoman. Une fois leur éducation turque accomplie, ils
pouvaient accéder aux plus hautes fonctions de l’Empire. Ils étaient également de valeureux
guerriers.

19









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Médersa : Etablissement islamique d’enseignement supérieur traditionnel sunnite. Le droit, la
théologie et la littérature y sont généralement enseignés.
Mejba : La mejba est un impôt par tête.
Mohammed GHANNOUCHI : Né en 1941, Mohammed GHANNOUCHI est un homme
politique tunisien. Licencié en sciences politiques et économiques de l’Université de Tunis, il
va à Paris où il entre à l’Ecole Nationale d’Administration. Après un stage au ministère des
Finances, il intègre le secrétariat tunisien d’Etat au Plan et à l’Economie nationale. Directeur
de la Planification générale en 1975, il devient ministre délégué chargé du Plan auprès du
Premier ministre Zine El-Abidine BEN ALI en octobre 1987. Après le coup d’Etat perpétré
par Z. BEN ALI le 7 novembre 1987, il est nommé ministre du Plan dès juillet 1988, puis en
mars 1990, ministre de l’Economie et des Finances et en février 1991, ministre des Finances.
De 1992 à 1999, il est ministre de la Coopération internationale et de l’Investissement
extérieur. Il participe à de nombreuses négociations avec les institutions financières telles que
la Banque mondiale. Le 17 novembre 1999, il devient Premier ministre. En 2002, il entre au
Bureau politique du
Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) et en devient le 5
septembre 2008, l’unique vice-président. Il est ensuite amené à quitter la vice-présidence du
RCD et son poste de Premier ministre, en raison du départ précipité de Z. BEN ALI et de la
pression de la rue qui critique le nouveau gouvernement d’union nationale qu’il avait formé le
17 janvier 2011.
Moncef MARZOUKI : Né en 1945, Moncef MARZOUKI est médecin et militant des droits
de l’Homme. En 1980, son adhésion à la
LTDH, marque le début de son engagement dans ce
combat. En 1981, il cofonde l'
African Network for Prevention of Child Abuse and Neglect
dont il devient le vice-président. En 1989, il est président de la
LTDH et membre du comité
directeur de l’
Organisation Arabe des Droits de l’Homme jusqu’en 1997. Il est également très
actif au sein d’
Amnesty International en Tunisie. Alors qu’il présente sa candidature aux
élections présidentielles de 1994, il est arrêté et sa candidature jugée irrecevable. Nommé
président de la
Commission Arabe des Droits de l’Homme en 1998, il devient la même année
et ce jusqu’en 2001, porte-parole du
Conseil National pour les Libertés en Tunisie. Depuis
2001, il est le président du
Congrès Pour la République, un parti d’opposition interdit sous Z.
BEN ALI. En 2011, il se porte candidat aux élections présidentielles.
Mufti : Jurisconsulte qui délivre des fatwas.
Mufti de la République : Placé sous l’autorité du Premier ministre, le Mufti de la République
est une institution nationale à vocation religieuse, exerçant le plus souvent les fonctions de
conseiller de l’Etat en matière religieuse.
Mustapha BEN JAAFAR : Mustapha BEN JAAFAR est né en 1940 dans le quartier de Bab
Souika à Tunis. Ses cousins militent au
Néo-Destour et l’initient dès son plus jeune âge à la
cause nationaliste. En 1950, il intègre le Collège Sadiki et quelques années plus tard, il adhère
au
Néo-Destour. Alors qu’il fait des études de médecine en France, il milite au sein de
l’
Union Générale des Etudiants de Tunisie jusqu’en 1968 et c'est en 1977 qu'il crée le
syndicat des médecins hospitalo-universitaires. L'année suivante, il est Professeur à la Faculté
de Médecine de Tunis, chef du service de radiologie de l’Institut Salah Azaïz et il fonde le
Mouvement des Démocrates Socialistes avec Ahmed MESTIRI, qu'il quittera en 1992. En
1981, il est au CHU La Rabta à Tunis. Vice-président de la
Ligue Tunisienne des Droits de
l’Homme
de 1986 à 1994, c'est cette année-là qu'il fonde Ettakatol. En 1998, il aide à la
20








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création du Conseil National pour les Libertés en Tunisie et il se trouve nommé président
honoraire de l’Internationale socialiste. En 2002, après la légalisation d’
Ettakatol, il organise
le premier congrès du parti et décide en 2009 de présenter sa candidature aux élections
présidentielles. Bien que le Conseil constitutionnel ait invalidé sa candidature, Mustapha BEN
JAAFAR milite contre le régime autoritaire avec les autres partis d’opposition démocratique.
Lorsque Z. BEN ALI s'enfuit, il est alors nommé ministre de la Santé publique dans le
gouvernement intérimaire, mais il démissionnera quelques jours plus tard. Elu membre de
l’ANC dans la circonscription de Tunis 1, il devient le 22 novembre 2011, son président. Il
marque ainsi l’Histoire de la Tunisie et influence grandement les travaux constituants.
N
Néo-Destour : Parti politique tunisien nationaliste, le Néo-Destour est né de la scission du
Destour ou Vieux-Destour lors du Congrès de Ksar Hellal en 1934. En quittant l’ancien parti,
Habib BOURGUIBA, Mahmoud EL MATERI, Bahri GUIGA et Tahar SFAR ont pour
objectif de fonder le nouveau mouvement politique sur la revendication d’indépendance de la
Tunisie, encore sous protectorat français. Le parti défend également
la neutralité
confessionnelle et la séparation des pouvoirs. Contrairement au Destour, le Néo-Destour
s’appuie sur les fonctionnaires et les petits employés. Marcel PEYROUTON, résident général
de France en Tunisie et futur ministre de l’Intérieur sous Vichy, prend pour cible le parti. En
1938, 1943 et 1952, des affrontements avec les représentants français ont lieu. Dirigé par H.
BOURGUIBA, le
Néo-Destour remporte la totalité des sièges de la première Assemblée
Nationale Constituante le 25 mars 1956. En 1964, le
Combattant Suprême le rebaptise Parti
Socialiste Destourien (PSD)
et en 1988, Zine El-Abidine BEN ALI le transforme en
Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD).
O
Omeyyades : Dynastie arabo-musulmane et immense empire qui s’étend de l’Indus à l’océan
Atlantique. Fondée en 638 par Mu’awiya, le gouverneur de la Syrie, elle règne sur le monde
arabo-musulman de 661 à 750 depuis sa capitale Damas. Pour s’emparer du pouvoir,
s’autoproclamer calife et imposer son fils Yazid comme successeur de l’empire, Mu’awiya est
soutenu par la classe dirigeante de la tribu des
Qoreiche. Le conseil des anciens coopte un
chef de tribu qui le consulte en retour sur la loi coranique. Cette dernière enseigne et guide le
chef dans sa manière de gouverner. Commandeur des croyants, Mu’awiya s’appuie également
sur les traditions byzantines et perses où le souverain dispose d’un pouvoir absolu. La
dynastie des Abbassides remplacera celle des Omeyyades en 750, dont un des représentants
fondera en 756, l’émirat de Cordoue.
P
Panarabisme : Le panarabisme est une théorie qui affirme la nécessité d’unir les Etats du
monde arabe. Cette idéologie s’appuie sur le sentiment national arabe né sous le
califat
ottoman, car les Arabes ne conçoivent pas qu’un sultan ottoman exerce les fonctions de calife
et la décadence de l’Empire ottoman ne fait qu'exacerber ce sentiment. Après la Première
Guerre mondiale, les Alliés se partagent les territoires arabes sous contrôle ottoman. Dès 1917
d'ailleurs, la déclaration Balfour par laquelle les Britanniques créent un foyer national juif en
21











Page 687
Palestine, accroît les frustrations des populations arabes. Dans les années 1940, Michel
AFLAK crée le
Baath ou parti de la résurrection qui se propose de fonder une nation arabe
laïque. Hostiles à la présence des puissances coloniales dans la région, les
Officiers libres
égyptiens réussissent un coup d’Etat en 1952. Le contexte de décolonisation mobilisent les
populations des Etats arabes. En 1954, alors que Gamal Abdel NASSER devient président de
l’Egypte, il soutient le
Baath syrien. En 1956, il nationalise le Canal de Suez et en 1958, il
proclame la création de la République arabe unie (RAU). Cette dernière comprend l’Egypte,
la Syrie et le Yémen. Ce
panarabisme prend fin dès les années 1960 avec l’indépendance de
la Syrie et du Yémen et ne représente plus qu’un discours politique.
Q
Qawm : Souvent traduit par "national", le terme qawmi renvoyait aux multiplicités de
qawmiyât, d’ethnies qui contredisaient l’unité islamique.
Qiyâs : Raisonnement individuel des Ulémas qui vise à étendre les règles précédemment
édictées aux situations non encore incluses dans le droit.
R
Rached GHANNOUCHI : Né à Hamma en 1941, Rached GHANNOUCHI est un opposant
islamiste tunisien qui entretenait des liens avec les Frères musulmans égyptiens dans les
années 1960. Durant la décennie qui suit, il collabore et dirige des revues islamistes à
l’exemple d’
Al Ma’rifa et d’Al Moutana. Enseignant puis journaliste, il fonde et dirige le
Mouvement de Tendance Islamique (MTI). Du fait de ses opinions politiques, il est détenu en
1979 et incarcéré une nouvelle fois de 1981 à 1984. Bien que persécuté sous la présidence de
H. BOURGUIBA, il essaie d’élaborer un compromis politique en nouant des liens avec
Mohamed MZALI, alors Premier ministre. Arrêté une nouvelle fois le 13 mars 1987, il est
condamné lors d’un procès collectif, à la réclusion criminelle à perpétuité. Gracié en mai
1988, il adopte une politique de conciliation avec le nouveau régime du Président Zine El-
Abidine BEN ALI, mais devant le durcissement du régime et bien qu’il préside le parti
Ennahdha, il décide de s’exiler. Après avoir séjourné dans plusieurs pays arabes à l’exemple
du Soudan, il s’installe à Londres en 1991 et crée plusieurs structures représentant son parti à
l’étranger. Il impose une politique d’ouverture du mouvement
Ennahdha et œuvre en faveur
l’opposition politique sous Z. BEN ALI. Personnage politique
d’une union avec
charismatique et penseur réformiste écouté, il siège au Conseil européen de la fatwa et de la
recherche. Il ne retourne en Tunisie que le 30 janvier 2011 après la chute du régime BEN
ALI. Il ne se présente pas aux élections présidentielles, mais le 23 octobre 2011, son parti
obtient la majorité des sièges à l’ANC.
Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) : Parti politique tunisien fondé le
27 février 1988 par Zine El-Abidine BEN ALI, le
RCD succède aux Néo-Destour et au Parti
Socialiste Destourien.
Il a pour fonction principale de surveiller les citoyens tunisiens par le
biais de contrôles exercés par ses membres, même dans des portions du territoire où
l’administration n’existe pas. Il assure également les fonctions de médiateur social dans le
sens où il aide de nombreux citoyens et ses membres les plus actifs. Au sein du premier
gouvernement provisoire constitué après la révolution, les ministères régaliens sont confiés
aux membres du
RCD. Son importance sociale, politique et économique explique les
22










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difficultés de certains de ses membres à quitter les postes qu'ils occupent lors de la révolution.
A la vielle de sa dissolution en 2011, un Tunisien sur 4 est membre du
RCD.
S
Salah BEN YOUSSEF : Né à Djerba en 1907, Salah BEN YOUSSEF est un homme
politique tunisien. Avocat de formation, sa vocation est la politique. Figure principale du
yousséfisme, il est aux côtés de H. BOURGUIBA et de Farhat HACHED, l'un des leaders du
nationalisme tunisien. Secrétaire général du
Néo-Destour, il joue un rôle essentiel lors de
l’exil de H. BOURGUIBA : alors qu’il propage la cause tunisienne à l’étranger, les
conventions franco-tunisiennes reconnaissant l’autonomie interne du pays, sont signées.
Même s’il connaît un retour triomphal à Tunis en septembre 1955, il devient l’ennemi de
H. BOURGUIBA qui l’accuse de trahison envers le peuple tunisien. Démis de ses fonctions
de Secrétaire général et exclu du parti, S. BEN YOUSSEF et les
yousséfistes ne sont pas
intégrés au
Front National. Favorable à l’indépendance totale du pays, il est rejoint par les
étudiants
zeïtouniens, les fellaga, le palais beylical, les familles beldi, les partisans du Vieux-
Destour
et les propriétaires terriens de l’Union Générale des Agriculteurs Tunisiens (UGAT).
De son côté, H. BOURGUIBA fait un discours le 7 octobre 1955 à la Grande Mosquée de la
Zitouna et il décide d’éliminer progressivement les opposants de sa politique du "plan par
étapes". Les journaux arabophones proches de S. BEN YOUSSEF tels que
Al-Ousbouâ, de
Sada Ezzeïtouna, et d’Al-Yakdha sont suspendus. Le 28 janvier 1956, les procès politiques
devant la Cour criminelle spéciale permettent d'écarter ses partisans en les accusant de
terrorisme et d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Condamné à mort en 1957, il regagne en 1958 le
Caire via Tripoli. Sa mort à Francfort en Allemagne le 12 août 1961 laisse penser
qu’H. BOURGUIBA était l’un des instigateurs de son assassinat.
Salat : Littéralement "prière canonique", le salat est l’une des obligations cultuelles du
croyant, car elle fait partie des cinq piliers de l’Islam ou
ibadat. La prière est une obligation
quotidienne du musulman qui ne peut se faire qu’en état de pureté : le musulman doit donc
faire une toilette à l’eau, très soigneusement codifiée. L’état de pureté requis pour la prière est
souillé au contact des excréments, des vomissements, des cadavres ou toute sorte d'ordures,
par les pertes de conscience. Les rêves érotiques, la masturbation, les menstrues et les suites
de couches sont considérés comme des souillures majeures.

Sawm : Littéralement "jeûner", le sawm est un autre des cinq piliers de l’Islam ou ibadat. Les
versets 183 à 187 de la deuxième
Sourate du Coran évoquent les usages de la communauté
musulmane originelle, fixés par la Tradition et que les croyants se doivent de suivre au cours
du jeûne. En 627, la Révélation a prescrit la pratique du jeûne collectif au cours du mois
lunaire de
ramadan. Ainsi, les croyants ne doivent-ils pas manger, boire, fumer, avoir
d’activité sexuelle du lever au coucher du soleil. En plus de l’abstinence et du contrôle de soi,
ils doivent être loyaux, modestes et discrets. Toute violence physique ou verbale est interdite.
Après le coucher du soleil, les musulmans mangent des plats typiques. La fin du mois de
ramadan, a lieu à la nouvelle lune et commence l’Aïd al-Fitr.
Shar’ : Emanation de la volonté de Dieu.
Sublime Porte : L’expression Bâb El Âli ou Sublime Porte désigne le siège du pouvoir
ottoman. Elle renvoie de manière plus spécifique à la grande porte d’honneur du palais du
23









Page 689
Sultan à Constantinople. Par extension, dans le langage diplomatique européen, cette
expression désigne l’Empire ottoman.
Sultan : Dans les pays musulmans et surtout dans l’Empire ottoman, c’est le titre attribué au
souverain.
Sunna : Composée d’un ensemble de hadîths, la Sunna est la somme des traditions relatives
aux actions, aux dires et aux abstentions du Prophète et de ses principaux compagnons. Elle
sert généralement de modèle de comportements relationnels pour les individus et les groupes.
La
Sunna est la deuxième source de l’Islam.
Sunnisme : Courant majoritaire de l’Islam venant du terme Sunna et qui signifie "qui suit la
Sunna", "la tradition". Près de 90 % des musulmans sont sunnites : lorsque Mahomet décède,
certains de ses fidèles n'ont pas accepté qu'Ali, son gendre et son cousin, soit son successeur.
A sa place, ils nomment le
calife Abou Bakr, qui sera suivi par Omar et Othman. A la mort
d'Ali nommé
calife en 656, le cousin d'Othman, Mu’awiya, lui succède. Ceux qui le suivent
acceptent la tradition du Prophète et de ses compagnons, en d'autres termes la
Sunna, comme
critère de foi. Bien qu'il existe au sein du sunnisme quatre écoles juridiques que sont le
malékisme, le hanafisme, le chaféisme et le hanbalisme, le sunnisme n’a pas connu de schisme
à l’instar du chiisme.
Sourate : Le Coran contient 114 Sourates ou chapitres dont la longueur varie. Ces chapitres
composés de
versets, sont classés par ordre décroissant de longueur. Le Coran n'est pas
construit selon un ordre chronologique ou thématique. Une
Sourate peut aborder un thème
précis et pour autant, traiter de plusieurs autres. De manière générale, elles reviennent sur des
thèmes essentiels répétés tout au long du
Coran. A l’exception de la neuvième, chaque
Sourate est introduite par un basmallah ou bismillah qui vient de l’invocation « Bismillahi
Rahmani Rahim
», traduite généralement par "Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux".
Les 57 premières
Sourates du Coran contiennent 96 % des versets. Elles ont pu être datées et
l’exégèse musulmane distingue entre celles révélées à La Mecque et celles révélées à Médine,
du temps où Mohammed était chef de cité. Elles ont donc été composées à des époques
différentes. L’orientalisme occidental a également procédé à la classification des
Sourates et
relève quatre types ou catégories
. Les trois premiers types auraient été révélés à La Mecque,
alors que le quatrième l'aurait été à Médine. La première catégorie rassemble des textes
relativement courts de nature mystique et poétique. La deuxième catégorie contient des textes
plus longs, moins lyriques qui traitent de l’unicité de Dieu, du rôle et de la fonction des
Prophètes et de diverses histoires merveilleuses. La troisième reprend pour l’essentiel les
mêmes thèmes en insistant sur l’idée de la toute-puissance de Dieu et du rôle de Mohammad
comme guide pour les Hommes. La dernière catégorie contient des Sourates moins longues
qui régissent juridiquement divers points de la vie sociale, traditionnelle ou cultuelle. La
plupart d’entre elles ont été révélées à Médine.
T
Tahar HADDAD : Né en 1899 dans le sud de la Tunisie, Tahar HADDAD était un
syndicaliste, un intellectuel et un homme politique tunisien. Issu d’un milieu social modeste,
il a été diplômé de la
Zitouna et avait étudié le droit. Très jeune, il avait adhéré au mouvement
pour l’indépendance de la Tunisie. En 1924, il avait participé avec Mohamed Ali EL HAMMI
à la mise en place de la
Confédération Générale des Travailleurs Tunisiens. Ses idées
24








Page 690
libérales prolongent celles de KHEREDINE et d’IBN ABI DHIAF et aident à la réforme de la
société tunisienne. Il est surtout connu pour ses idées féministes : il était convaincu que
l’Islam prévoyait l’égalité en droits de l’homme et de la femme. Son ouvrage le plus connu et
le plus polémique est
Imra’atuna fi al shariâ wal mujtamâ (Notre femme dans la loi et la
société)
. Après la publication de son ouvrage, il s’exile à l’étranger mais meurt de la
tuberculose en 1935.

Takfir : Anathème, excommunication.
Tanzimat : Série de réformes entreprises par l’Empire ottoman à la demande des puissances
européennes. Elles visent à limiter le pouvoir du Sultan et à accorder plus de libertés aux
minorités religieuses qui habitent les régions et les puissances sous suzeraineté ottomane.
Thawra : Contrairement à la tradition occidentale où le droit de résistance à l’oppression a
toujours été affirmé, l’équivalent de ce droit en Islam n’a été reconnu qu’au premier siècle de
l’Histoire islamique par certaines sectes
kharéjites. Pour ces dernières, se révolter contre un
chef injuste, voire même le tyrannicide, sont un devoir religieux. La révolution contre le
despote injuste n’est légitime que dans la mesure où elle ramène les Hommes à la loi décidée
pour eux par Dieu. Cette condition a permis au monde musulman de traverser une série de
révoltes et de révolutions. Pour autant, le devoir de violence ne concerne que les groupes
religieux les plus extrêmes. A l’opposé des
kharéjites, les sunnites n’admettent pas la révolte
contre le chef même despotique, puisque ses sujets lui doivent obéissance. Comme elle
perturbe l’ordre du monde instauré par le divin, la révolution doit s’inscrire dans le cycle du
temps décidé par le Créateur. Celui-ci est divisé en trois périodes : la première est relative à
l’instauration originelle de l’ordre du monde par la volonté absolue de Dieu ; la deuxième
correspond à la chute dans le temps terrestre et au péché originel (Coran, verset 35 de la
Sourate 2 de la Génisse [Al-Baqara] et versets 20, 21 et 22 de la Sourate 7 Al-A’râf). La
troisième enfin, vise à restaurer l’ordre originel voulu par Dieu, soit par la volonté divine soit
par l’action bienfaitrice de l’Homme. La révolution ne peut se trouver qu’au stade de la
désinstauration de l’ordre divin, dans le sens où elle provoque des désordres et des troubles.
Etymologiquement, le mot
thawra renvoie à la folie, la démesure, la colère. C'est une
agression humaine contre la volonté créatrice de Dieu, puisque dans la théologie islamique
classique, la volonté des Hommes ne naît que de celle de Dieu. Quant aux théoriciens
politiques de l’Islam, ils considèrent la révolution comme une discorde,
fitna, elle renvoie
surtout au sens de crime
. Dans le sens communément admis aujourd’hui, la révolution n'a pas
d’équivalent linguistique et conceptuel en Arabe classique, alors qu'elle est aussi le vouloir du
peuple. Pour autant, l'acception moderne de
thawra apparaît dans les écrits des réformistes
musulmans de la fin du XIXème siècle comme KHEREDINE et IBN ABI DHIAF. Le terme
renvoie alors à la Révolution française, c'est-à-dire à l’hostilité à l’égard du despotisme, au
renversement de la monarchie, à la mise en place d’une République,
Rabublic, à l’instauration
d’une Constitution,
Kunstitsiyûn, à la limitation du pouvoir en vue de protéger les droits et les
libertés, ainsi qu'à l’égalité de tous les citoyens. La colère engendrée par la Révolution
française n’est plus un crime dans la pensée arabe, elle devient édificatrice. Ladite révolution
ouvre une ère nouvelle, gouvernée rationnellement par des lois, une Constitution, la
préservation des droits, de la liberté et de la dignité humaine. KHEREDINE reconnaît le
caractère universel de la Révolution française et son impact sur l’Etat de droit
dawla
qânûniyya
, expression que les Anglais auraient inventé au cours de la révolution de 1688. Ils
sont les premiers à avoir mis en place une Constitution,
Kunstitsiyûn qui préserve les
personnes et les biens, l’indépendance des magistrats et la légalité des impôts et des peines.
Pour des auteurs tels que KHEREDINE et IBN ABI DHIAF, la religion reste pourtant la
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raison et l’origine de toutes les avancées, y compris celles de la préservation des libertés, de
l’instauration de la démocratie et de la diffusion du constitutionnalisme. A partir de là, le droit
des peuples arabes à faire la révolution va s’exercer au nom des mouvements nationalistes
anti-occidentaux et anti-colonialistes, en vue d’une vie digne, juste et libre. Dans son sens
moderne, le concept de révolution correspond donc à un phénomène typiquement européen,
ce n'est plus un crime, c'est une légitimité. Cependant, en terres d’Islam, il n’y a pas
d’institution à l’exemple de l’Eglise ou la consécration d’un statut constitutionnel pour la
noblesse comme en France. L’individu n’a donc aucun intermédiaire entre lui et Dieu contre
lequel il puisse se soulever. L’individu se trouve seul face à l’autorité métaphysique et
politique, qu’il soit prince des croyants,
Amîr Al Mu’minîn ou successeur du Prophète, Calife.
Avant les révolutions du
Printemps arabe, les seules révolutions qui existent, ont pour
objectif de retrouver l’état d’origine instauré par Dieu.
Tunisification : La tunisification peut avoir deux sens. Elle peut décrire l’action des
dirigeants tunisiens au lendemain de l’indépendance, pour retirer tous les signes extérieurs
rappelant la présence française. Elle peut également renvoyer à l’idée de mettre en place dans
un pays, un protectorat similaire à celui instauré en Tunisie par la France. Dans son premier
sens, la
tunisification ne concerne pas uniquement le secteur militaire ou celui de la fonction
publique. Elle vise aussi Radio-Tunis par exemple, qui avait initialement été créée par une
convention franco-tunisienne.

U
Uléma : Issu du terme ‘âlim qui signifie "savant", Uléma ou Ouléma est le titre donné par les
musulmans aux docteurs les plus savants et les plus pieux de la loi coranique. Ils sont
généralement garants du respect et de l’application des principes de l’Islam.
Umma : L’Umma ou Oumma est la réduction d’Al Oumma Al Islamiya, la communauté des
croyants de l’Islam. Terme employé pour la première fois par le Prophète Mahomet, son
existence aurait commencé avec l’
Hégire, le 16 juillet 622.
Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET) : Constitué en 1952, ce syndicat étudiant
est né avec l’Université tunisienne. Il représente les étudiants et contribue avec les autres
organisations nationales, à l’indépendance et au développement du pays. L’
UGET est
contrôlée par le
Néo-Destour jusqu’au Congrès de Korba en 1971. A cette date, les étudiants
de gauche prennent la direction du mouvement. Attaqué régulièrement par le parti au pouvoir,
l’UGET a toujours été le lieu de la politisation des étudiants et de la formation de
groupuscules de gauche et d’extrême gauche, à l’exemple de l’Union Générale Tunisienne
des Etudiants (UGTE)
proche du MTI.
Union Générale Tunisienne des Etudiants (UGTE) : Créée en avril 1985, l’UGTE est un
syndicat étudiant islamiste. Radicalement opposé au pouvoir en place, il a pour objectif de
lutter contre l’influence des
bourguibistes. Il s’oppose essentiellement à la politique
universitaire définie par les autorités et organise des mouvements de protestations et de
grèves, qui le conduisent à subir de multiples opérations de police. Composé de plusieurs
tendances, ce syndicat dirigé par Abdelkarim HAROUNI, est tout de même dominé par les
partisans du
MTI. Officiellement reconnu en 1988, à la suite du changement de régime, le
syndicat est officiellement dissout à la fin de l’année 1990, après de nombreuses arrestations.
Les tribunaux militaires condamnent à des peines de prison ses principaux dirigeants que sont
26









Page 692
Abdelkarim HAROUNI et Abdellatif EL MAKI. A la chute du régime de Z. BEN ALI, les
prisonniers de l’
UGTE sont libérés.
Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) : Créée en 1946, l’UGTT est une
organisation syndicale liée au
Front National tunisien. Ces deux organisations participent
activement à la lutte pour la libération nationale. Malgré ses relations politiques avec le
Néo-
Destour,
l’UGTT dispose d’une réelle autonomie. A la suite de son congrès constitutif, elle est
présidée par Fadhel BEN ACHOUR, Professeur à la
Zitouna. En 1951, le syndicat adhère à la
Confédération internationale des syndicats libres et s’implante rapidement dans plusieurs
secteurs clés de l’économie tunisienne, tels que les transports, les activités portuaires et
minières. En 1952, son Secrétaire général Ferhat HACHED recrute de nouveaux partisans
indépendantistes pour faire face à l’emprisonnement de plusieurs dirigeants nationalistes.
Probablement assassiné le 5 décembre 1952 par les services secrets français opérant sous
l’appellation de «
Main rouge », sa mort renforce la détermination des syndicalistes. A
l’avènement de l’indépendance, des dissidences éclatent entre le pouvoir politique et la
nouvelle direction de l’appareil syndical dirigée depuis juillet 1954 par Ahmed BEN SALAH.
Les principaux conflits sont relatifs à l’évolution économique du pays. Bien que soutenant la
politique du "plan par étapes" de H. BOURGUIBA, l’
UGTT organise de nombreuses grèves
dans les secteurs minier et agricole. Membre du bureau politique du
Néo-Destour, Ahmed
TLILI est à la tête de la centrale syndicale de 1957 à 1963 et il critique la politique répressive
du régime en matière de droits de l’Homme. Les conflits avec le pouvoir se multiplient lors de
la présidence d’Habib ACHOUR de 1963 à 1965, de 1970 à 1978 et de 1980 à 1986. Le 26
janvier 1978 par exemple, alors qu'un appel à la grève dégénère en émeute, les forces de
sécurité répriment le mouvement en tuant des dizaines de syndicalistes et en arrêtant ses
principaux dirigeants. Sous la présidence de Z. BEN ALI, les rapports de la centrale avec le
pouvoir ne varient pas. Malgré son indépendance financière et son autonomie fonctionnelle,
l’
UGTT se montre inactive face au pouvoir en essayant de contenir toute contestation sociale.
En échange, elle
obtient le monopole de la représentation des intérêts des salariés au cours des
négociations avec l’Etat. Elle influence surtout les textes législatifs et réglementaires édictés
en matière du droit du travail. Après la révolution tunisienne nonobstant, l’
UGTT a joué un
rôle fondamental dans le processus constituant et la transition démocratique. Elle est
actuellement un acteur politique central en Tunisie.
Union Nationale des Agriculteurs Tunisiens (UNAT) : Syndicat agricole tunisien
représentant les professionnels du secteur primaire en Tunisie, il est l'
Union Générale des
Agriculteurs Tunisiens (UGAT)
, lorsqu'il est fondé en 1949. Il devient l’Union Nationale des
Agriculteurs Tunisiens (UNAT)
en 1955 et depuis 1995, il est l’Union Tunisienne de
l’Agriculture et de la Pêche (UTAP).
V
Verset : Paragraphe généralement assez court qui compose les chapitres d’un livre sacré, à
l’exemple de la
Bible ou du Coran.
Vieux-Destour : Fondé par Abdelaziz THAÂLBI, le Destour est à l’origine, le seul parti
connu et qui lutte contre l’occupation française. Parti patriotique, il va mettre l’accent sur la
double composante arabe et islamique de la Tunisie. Son objectif principal est de défendre le
droit du peuple tunisien à l’auto-détermination. Contrairement à la volonté de l’un de ses
jeunes adhérents, Habib BOURGUIBA, le parti veut que la Tunisie s’autogouverne dans le
27








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cadre du protectorat. Soucieux de ne pas impliquer la population dans l’action politique et de
préserver une action pacifique, le
Destour s’oppose radicalement à ses jeunes membres guidés
par H. BOURGUIBA, qui préfère l’affrontement direct avec les autorités françaises. Le 9
septembre 1933, il démissionne avec ses compagnons du comité exécutif du parti. Le 2 mars
1934, lors du congrès extraordinaire de Ksar-Hellal, il annonce la création du
Néo-Destour.
La divergence principale entre le Destour ou Vieux-Destour et le Néo-Destour est d’ordre
tactique, c'est-à-dire la façon de mener la lutte contre les autorités occupantes.
Vizir : Dans le monde arabo-musulman, ministre ou conseiller du souverain qu’il soit calife
ou Sultan. Dans l’Empire ottoman, le Premier ministre est souvent appelé Grand Vizir.
W
Waqf : Traduit par "legs pieux", le waqf renvoie aux biens inaliénables dont l’usufruit est
dédié à une institution religieuse d’utilité publique. Dans le contexte maghrébin, le terme le
plus employé est
habous.
Watan : A l’instar du terme qawm, le terme watan est souvent traduit par "nation". Il renvoie
à la nation moderne dans son sens strict, autrement dit à l’Etat-Nation et non à l’unité arabe.
Y
Yousséfisme : Politique d’opposition à la stratégie bourguibienne du "plan par étapes". Salah
BEN YOUSSEF en est la figure principale.
Yousséfistes : Tous les opposants à la politique de réforme préconisée par la centrale
syndicale qu’est l’
UGTT et à la politique du "plan par étapes" d’H. BOURGUIBA sont des
alliés de Salah BEN YOUSSEF. Ils ne sont d’ailleurs pas intégrés au
Front National. Ceux
qui se réclament du
yousséfisme sont les étudiants zeïtouniens, les grandes familles beldi, les
partisans du
Vieux-Destour, les propriétaires terriens de l’Union Générale des Agriculteurs
Tunisiens (UGAT),
les fellaga et certains membres du palais beylical.
Z
Zakat : Littéralement "aumône légale". La zakat est l'un des cinq piliers de l’Islam ou ibadat.
Elle est versée à la Communauté des croyants par tout musulman qui en a les moyens et elle
est généralement considérée comme un prélèvement purificateur. Recommandée à maintes
reprises par le
Coran, elle concerne tant le capital et les revenus que les biens et les récoltes.
Elle est versée par la puissance publique aux nécessiteux, mais elle peut servir d’autres fins
comme payer la rançon de certains prisonniers. La
zakat n’est pas exclusive puisque le
musulman se doit d'être charitable tout en étant discret. La solidarité communautaire que
sous-tend l’aumône est fondamentale en
Islam.
Zine El-Abidine BEN ALI : Né en 1936, Zine El-Abidine BEN ALI est un homme politique
et un ancien chef d’Etat tunisien. Elevé au sein d’une famille modeste respectueuse des
traditions, il se lance très vite dans l’action nationaliste militante. Diplômé de l’Ecole spéciale
militaire de Saint-Cyr et de l’Ecole d’artillerie de Châlons-sur-Marne, il obtient également
28















Page 694
deux diplômes américains : le premier de l’Ecole supérieure de renseignement et de sécurité
et le second, de l’Ecole d’artillerie de campagne anti-aérienne. Il possède aussi un diplôme
d’ingénieur électronicien. Désigné officier d’état-major, il crée la Direction de la sécurité
militaire en 1964, qu'il préside pendant dix ans. Il est ensuite affecté au cabinet du ministre de
la Défense, puis il occupe les fonctions de directeur général de la Sûreté nationale. Devenu
ministre de l’Intérieur, il entre en 1986 au bureau politique du
Parti Socialiste Destourien
(PSD)
, dont il devient Secrétaire général adjoint. Ayant acquis la confiance du président
BOURGUIBA, il est nommé Premier ministre et Secrétaire général du
PSD en 1987, mais le
7 novembre, il fait un coup d’Etat contre le président qu'il juge sénile. A son tour, il est élu
président de la République le 2 avril 1989 avec 99,27 % des voix car il le seul candidat. Bien
qu’il affirme vouloir démocratiser le pays, il transforme aussitôt le
PSD en Rassemblement
Constitutionnel Démocratique (RCD)
; il évince progressivement des partis politiques qu'il
avait légalisés en 1988, notamment des islamistes ; malgré sa promesse de limiter à trois le
nombre de mandats, il se fait élire avec plus de 93 % des voix pour cinq mandats consécutifs.
Ayant modifié la Constitution par référendum, il supprime la limite du cumul des mandats et
fait passer la limite d’âge d’éligibilité de 65 à 75 ans. Contraint de quitter le pays le 14 janvier
2011, il se réfugie à Djeddah en Arabie Saoudite. Sa présidence est marquée par 23 ans de
dictature, de corruption et de spoliation des pans entiers de l’économie tunisienne par le clan
familial BEN ALI-TRABELSI. Le 20 juin 2011 débute une série de procès par contumace qui
le condamneront en 2018 à plus de 200 ans de prison, mais il meurt en 2019.

Zitouna : La Zitouna est la grande Mosquée et l'Université de Tunis. Elle a formé les Ulémas
(savants des sciences religieuses), les enseignants, les cadis (juges) et les muftis (interprètes
officiels de la loi musulmane).
Zitouniens : Individus de formation traditionnelle aussi bien politique que religieuse, aux
côtés de Salah BEN YOUSSEF, au moment de la lutte pour l’accession à l’indépendance de
la Tunisie.
29


















Page 695
30




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Annexe 2 - Chronologie de la transition tunisienne
Du déclenchement de la révolution
à la mise en place des nouvelles institutions
2629
2629 C'est-à-dire l’élection du nouveau président de la République, des 217 députés de l’Assemblée des
Représentants du Peuple (ARP) et, la formation d’un nouveau gouvernement.
31








Page 697
Légende de la chronologie :
Sont soulignées les réformes et les mesures prises qui influencent les institutions
de la période transitoire et du nouveau régime mis en place par la Constitution du
27 janvier 2014.
Sont en gras les dates de la présente chronologie et les textes juridiques édictés en
période transitoire.
Sommaire de la chronologie :
La période prérévolutionnaire……………………………………………………………..33
La période révolutionnaire régie par les articles de la Constitution de 1959…………...35
La mise en place d’une légalité de transition nouvelle……………………………………42
Elections et mise en place de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC)………………47
Début des travaux des commissions constituantes………………………………………...50
Schéma n°1. Processus constituant : Principales étapes2630 ..................................... 55
Initiative du « Dialogue national »………………………………………………………….56
Schéma n°2. Processus constituant : Jusqu’à la publication du projet du 1er juin
2013 61
Schéma n°3. Processus du Dialogue National (DN) ................................................. 62
Schéma n°4. Positions politiques avant et après l’initiative du Dialogue National
(DN) : 25 juillet-25 octobre 2013. ............................................................................. 64
2630 Les différents schémas sont extraits de la schématisation de Khalil GDOURA (TUNELYZ) extraite de F.
TAJE, K. NICOLAI, P. JÖST, FES (dir.),
La Constitution tunisienne à la loupe : Constitution de la
République Tunisienne, 27 janvier 2014
, FRIEDRICH-EBERT STIFTUNG, traduction de C. GADDES,
Tunis-09/2014,
http://library.fes.de/pdf-
files/bueros/tunesien/14393.pdf
, p. 13, 14, 15, 16 et 17.
[consulté
ligne],
2018],
juillet
[en
25
le
32
















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La période prérévolutionnaire
17 décembre 2010 : Mohamed BOUAZIZI, un jeune marchand ambulant de 26 ans se voit confisquer
sa charrette de primeurs, par une policière municipale. Pour exprimer sa protestation contre
l’oppression du régime politique de Z. BEN ALI, il s'immole par le feu devant le siège du gouvernorat
de Sidi Bouzid. A la suite de la diffusion de la nouvelle, les premiers affrontements entre les jeunes
des quartiers déshérités et les forces de l’ordre éclatent.
22 décembre 2010 : Le jeune Houcine NEJI se suicide électrocuté à Sidi Bouzid. Ce suicide relance la
révolte sociale qui s’étend alors aux petites villes voisines à l’exemple de Meknassy et surtout, de
Menzel Bouzaïane.
24 décembre 2010 : Nouvelles protestations à Menzel Bouzaïane. L’insurrection sociale se propage
dans le centre du pays. Les violences policières et les arrestations massives suscitent de nouvelles
manifestations et émeutes qui débouchent sur de nouveaux heurts avec les forces de sécurité.
27 décembre 2010 : La principale structure interprofessionnelle de l’UGTT, l’Union régionale de
Tunis, appelle à un rassemblement sur la place Mohamed ALI HAMMI.
28 décembre 2010 : Jour de la première manifestation à Tunis. Des avocats organisent un sit-in
devant le siège du gouvernement à la Kasbah. Les manifestations gagnent plusieurs villes en Tunisie,
ainsi que Paris.
Après s’être rendu au chevet de M. BOUAZIZI au Centre des Grands Brûlés à Ben Arous, le président
BEN ALI s'adresse au peuple. Il dénonce les agissements des terroristes et des anarchistes et promet
des solutions.
3 janvier 2010 : Une manifestation éclate à Thala pour dénoncer le chômage massif. Pour la première
fois depuis l’immolation de M. BOUAZIZI, les locaux du RCD sont incendiés.
4 janvier 2011 : M. BOUAZIZI succombe à ses brûlures. Dans le centre du pays, des syndicalistes
locaux encadrent les manifestations populaires. L’insurrection atteint les villes de Thala et de Feriana,
situées dans le gouvernorat de Kasserine.
33













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L’UGTT publie une déclaration qui soutient le mouvement de protestation.
8 et 9 janvier 2011 : Mouvements de protestations à Tala, Kasserine et Regueb faisant de nouvelles
victimes. Le pouvoir parle toujours d’actes terroristes et anarchistes guidés par des forces extérieures,
mais après la répression brutale des manifestations de Kasserine, la direction de la centrale syndicale
prend acte du tournant radical de l’action collective. L’insurrection s’est propagée à l’ensemble des
centres urbains du pays, capitale comprise. Les classes moyennes et les professions intellectuelles
comme les enseignants, les avocats ou les médecins, participent aux manifestations constituées à
l’origine, de jeunes des quartiers populaires. Les slogans portés par les protestataires appellent alors
explicitement au « départ de Ben Ali et de sa clique de voleurs ».
10 janvier 2011 : Z. BEN ALI prononce un second discours dans lequel il menace de traduire en
justice les protestataires. Il annonce la création de trois commissions nationales respectivement
chargées de la réforme politique, de l'investigation sur la corruption et sur les dépassements enregistrés
lors des mouvements de protestation.
Premiers morts dans le Grand Tunis.
11 janvier 2011 : Grève générale de trois jours organisée par l'UGTT pour protester contre les tirs à
balles réelles sur les citoyens de Sidi Bouzid et de Kasserine. Les protestations se déclenchent pour la
première fois dans la capitale, Tunis.
12 janvier 2011 : La section régionale de l’UGTT à Sfax appelle à la grève générale.
13 janvier 2011 : Z. BEN ALI prononce un troisième discours et décide la dissolution du
gouvernement et l'organisation d'élections législatives dans six mois. Le discours est télévisé, il donne
à voir un chef d’Etat sous pression qui pour la première fois, s’adresse à la population en dialecte
tunisien. Il martèle un « Je vous ai compris » (ana fhimtkoum) inattendu, emprunté à Charles de
GAULLE et cède à la plupart des revendications des Tunisiens descendus dans la rue. Il ordonne aux
forces de l’ordre de ne plus tirer à balles réelles sur les manifestants, il renonce à se présenter pour un
nouveau mandat, il reconnaît les principales libertés publiques et lève la censure sur Internet. Les
réactions sont contrastées.
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Page 700
La période révolutionnaire
régie par les articles de la Constitution de 1959
14 janvier 2011 : A Tunis, des dizaines de milliers de personnes défilent sur l’avenue Habib
BOURGUIBA. Ils réclament le départ de Z. BEN ALI, au cri de « Ben Ali, dégage ». Z. BEN ALI et
sa famille fuient vers l'Arabie Saoudite.
Accompagné du président de la Chambre des députés Fouad MEBAZZA et du président de la
Chambre des conseillers Abdallah KALLEL, le chef du Gouvernement Mohammed GHANNOUCHI
annonce le soir même dans une allocution télévisée, la vacance temporaire du poste de président de la
République. Il assure la fonction par intérim, conformément à l'article 56 de la Constitution du 1er juin
1959.
Un chaos sécuritaire frappe le pays. Des comités citoyens de vigilance sont créés dans les quartiers du
pays.
15 janvier 2011 : M. GHANNOUCHI saisit le Conseil constitutionnel qui déclare la vacance
définitive du poste de président de la République. En vertu de l’article 57 de la Constitution de 1959,
le Conseil constitutionnel affirme que le président de la Chambre des députés F. MEBAZZA, assume
immédiatement les fonctions de président de la République par intérim.
L’état d’urgence est décrété.
17 janvier 2011 : La Constitution du 1er juin 1959 régit toujours l’organisation des pouvoirs publics.
M. GHANNOUCHI est reconduit au poste de Premier ministre et forme un gouvernement d'union
nationale. Ce dernier comprend plusieurs figures de l’opposition légale sous Z. BEN ALI mais les
ministères régaliens restent dans le giron du RCD. L’objectif du gouvernement est d’amender la
Constitution du 1
er juin 1959 pour organiser une élection présidentielle dans un délai de six mois.
Trois commissions sont créées :
- La Commission supérieure pour la réforme politique : présidée par l’ancien président du Conseil
constitutionnel et Professeur de droit constitutionnel Yadh BEN ACHOUR, elle a pour objectif
de réviser la Constitution, ainsi que les principales lois encadrant la vie politique et les libertés
publiques.
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Page 701
- La Commission d’investigations sur la corruption et la malversation : attribuée au Professeur
Abdelfattah AMOR, elle est chargée d’enquêter sur les affaires de corruption de l’ancien
régime.
- La Commission d’investigations sur les dépassements enregistrés lors des mouvements de
protestation
: confiée premièrement à Lazhar EL KARAOUI ECHABI, puis à
Taoufik BOUDERBALA, elle a pour mission principale d’enquêter sur les exactions commises
depuis le 17 janvier 2010.
18 janvier 2011 : Le président F. MEBAZZA, le Premier ministre M. GHANNOUCHI et les
membres rcdistes du gouvernement, annoncent leur démission du parti de Z. BEN ALI.
Moncef MARZOUKI, leader du Congrès Pour la République (CPR) et ancien président de la Ligue
Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH), rentre de son exil volontaire en France. Il se déclare
candidat à la prochaine élection présidentielle.
19 janvier 2011 : Libération de 1 800 détenus dont des prisonniers politiques du mouvement
Ennahdha.
20 janvier 2011 : Manifestations pacifiques dans les différentes régions, contre la présence des
symboles de l'ancien régime dans le gouvernement.
Proclamation du programme du Front du 14 janvier. Il réunit à l’origine la Ligue de la gauche
travailliste, le Mouvement des unionistes nassériens, le Mouvement des nationalistes démocrates
(Al Watad), le Courant baasiste, la Gauche indépendante, le PCOT et le Parti du Travail Patriotique
et Démocratique (PTPD). Le Front du 14 janvier s’appuie sur un solide tissu de militants syndicaux
au sein de l’UGTT. Il appelle essentiellement à la dissolution des institutions de l’ancien régime, à
l’exemple de la Chambre des représentants, de la Chambre des conseillers et du Conseil Supérieur de
la Magistrature. Il milite aussi pour l’élection d’une Assemblée constituante dans le délai d’un an.
23 janvier 2011 : Un nouveau gouvernement est annoncé, mais il est accusé de vouloir arrêter le
processus révolutionnaire. Des manifestations sont organisées dans tout le pays. La « caravane » ou
« marche de la liberté » part de Sidi Bouzid à destination de la Kasbah de Tunis, pour revendiquer la
destitution du gouvernement accusé de trahir la révolution. Cette « marche de la liberté » va durer
jusqu'au
28 janvier 2011. Elle est à l’initiative des Comités de Protection de la Révolution2631.
2631 Autorités constituées de fait après la désintégration des autorités locales dominées par les dirigeants du
RCD, elles sont composées de syndicalistes, de défenseurs des droits de l’Homme, de nationalistes, de
gauchistes, d’islamistes et de personnes avec ou sans appartenance partisane. Elles ont pour mission l’ordre
et le service publics ; elles veillent surtout au maintien de l’esprit révolutionnaire. Après les élections du
23
octobre 2011,
les partis de gauche se retirent progressivement des Comités qui restent dominés par les
islamistes d’
Ennahdha.
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26 janvier 2011 : Mandat d'arrêt international contre Z. BEN ALI, son épouse et certains de ses
proches.
27 janvier 2011 : Constitution d'un nouveau gouvernement par M. GHANNOUCHI. Plusieurs
personnalités symboliques de l'ancien régime sont écartées et remplacés par des technocrates.
28 janvier 2011 : M. GHANNOUCHI réfugié dans une résidence au palais de Carthage se sépare des
anciens ministres du RCD.
Le sit-in de la Kasbah I est violemment réprimé par les forces de l’ordre.
29 janvier 2011 : Publication du décret n°59-2011 du 29 janvier 2011 qui met en place un nouveau
gouvernement.
Le Conseil de l’Ordre national des avocats publie un communiqué dans lequel il considère que les
trois commissions créées le 17 janvier 2011 n’expriment pas la volonté du peuple, puisqu’elles ont été
mises en place par une décision du président déchu.
30 janvier 2011 : Retour à Tunis de Rached GHANNOUCHI, président du mouvement Ennahdha
après vingt ans d’exil. Il est accueilli par des milliers de partisans à l’aéroport de Tunis-Carthage.
3 février 2011 : Le Conseil constitutionnel rend un avis2632 dans lequel il juge que le projet de loi qui
lui est soumis, est conforme à la Constitution.
6 février 2011 : Annonce du gel des activités du RCD par le ministre de l’Intérieur.
7 février 2011 : Vote par la Chambre des représentants d’un projet de loi qui autorise le président par
intérim, à prendre des décrets dans des domaines relevant du pouvoir législatif, en conformité avec les
dispositions de l’article 28 de la Constitution du 1
er juin 19592633. Le pouvoir législatif est entre les
mains du président de la République par intérim mais les conditions de l’article 28 ne sont pas
respectées : aucune approbation des deux chambres ne peut intervenir puisqu’elles sont destinées à
être dissoutes.
9 février 2011 : Promulgation de la loi 2011-5 relative à l’autorisation faite au président de la
République provisoire de prendre des décrets-lois conformément à l’article 28 de la
Constitution. Cette loi est la dernière promulguée sous la Première République.
2632 Pour mieux comprendre la décision du Conseil constitutionnel, il faut se référer en premier, à la date du 7
février 2011 de la présente chronologie.
2633 L’objet de la délégation n’est pas précisé dans le décret et la durée de la délégation est illimitée.
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11 février 2011 : Constitution du Conseil National de Protection de la Révolution (CNPR). Composé
de 28 partis et associations, dont l’Ordre national des avocats, l’UGTT, Ettakatol et Ennahdha, il a
pour objectif de consolider les acquis de la révolution et de la protéger contre un retour à l’ancien
régime.
M. GHANNOUCHI décide de fusionner le projet de texte relatif au Conseil National de Protection de
la Révolution et celui sur la Commission pour la réforme politique. Se voient ainsi posés les jalons de
la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la
transition démocratique
2634. La nature consultative ou décisionnelle de l’organisme à créer demeure
le seul véritable sujet de discorde. Le texte adopté le 18 février 2011 consacre la simple compétence
consultative.
18 février 2011 : Création de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la
réforme politique et la transition démocratique [Décret-loi n° 6 du 18 février 2011, portant
création de l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme
politique, et la transition démocratique.
JORT n° 13, page 196. (*)2635]. La Haute instance prépare
et adopte les textes fondateurs de la période transitoire acceptés par le gouvernement. Ces textes sont
intitulés les « six lois de libération ». Il s’agit essentiellement du :
a. Décret-loi n° 2011-27 du 18 avril 2011 portant création d’une Instance supérieure
indépendante pour les élections.
b. Décret-loi n° 2011-35 du 10 mai 2011 relatif à l’élection d’une Assemblée Nationale
Constituante.
c. Décret-loi n° 2011-87 du 24 septembre 2011 relatif à l’organisation des partis politiques.
d. Décret-loi n° 2011-88 du 24 septembre 2011 relatif à l’organisation des associations.
e. Décret-loi n° 116 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de la communication audio-
visuelle et à la création d’une Instance supérieure indépendante pour le secteur de la
communication audio-visuelle.
f. Décret-loi n° 115 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de la presse, de l’impression, et de
l’édition.
2634 Selon les auteurs, il s'agit de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la
réforme politique et la transition démocratique (Haute instance de la Révolution) ou de l’Instance
supérieure de réalisation des objectifs de la révolution (ISROR).
Les deux appellations étant
synonymes, elles permettent d’évoquer la même instance révolutionnaire.
2635 Entre le 9 février et le 23 mars 2011, une dizaine de décrets-lois sont pris sur le fondement de l’article 28 de
la Constitution du 1er juin 1959. Ces décrets-lois-là seront suivis d’un astérisque (*).
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Le 18 février 2011 sont également adopté deux décrets lois importants. Ces derniers sont :
- Décret-loi n° 7 du 18 février 2011, portant création de la Commission nationale
d’investigation sur la corruption et la malversation. JORT n° 13, page 197. (*)
- Décret-loi n° 8 du 18 février 2011, portant création de la Commission nationale
d’investigation sur les abus enregistrés au cours de la période allant du 17 décembre
2010 jusqu’à l’accomplissement de son objet. JORT n° 13, page 199. (*)
19 février 2011 :
- Décret-loi n° 1 du 19 février 2011, relatif à l’amnistie générale, JORT n° 12, pages 179 à
180 (*).
- Décret-loi n° 3 du 19 février 2011, relatif à l’approbation de l’adhésion de la République
tunisienne au protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, JORT n° 12, page 181 (*).
- Décret-loi n° 4 du 19 février 2011, portant approbation de l’adhésion de la République
tunisienne au Statut de Rome de la Cour pénale internationale et à l’accord sur les
privilèges et immunités de la Cour, JORT ° 12, page 181 (*).
- Décret-loi n° 5 du 19 février 2011, portant approbation de l’adhésion de la République
tunisienne au protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres
peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants, JORT n° 12, page 181 (*).
20 février 2011 : Des caravanes dites « populaires » en provenance des régions du centre convergent
vers la place de la Kasbah à Tunis.
Du 21 février au 3 mars 2011 : L’UGTT, la LTDH, l’Ordre national des avocats et les partis
politiques à l’exemple d’Ennahdha, du CPR, d’Ettakatol et du PCOT, organisent le mouvement appelé
Kasbah II. Ils réclament la démission de M. GHANNOUCHI, la dissolution du RCD et l’élection
d’une Assemblée Nationale Constituante (ANC).
Le ministre de l’Intérieur lance une procédure de dissolution judiciaire du RCD.
25 février 2011 : Le gouvernement annonce la confiscation des biens du président déchu et de 110 de
ses proches.
27 février 2011 : Démission de M. GHANNOUCHI et nomination par F. MEBAZZA de Béji CAÏD
ESSEBSI à la tête du gouvernement.
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28 février 2011 : Sit-in de la Kobba (place de la Coupole d’El Menzah) à l’initiative des classes
moyennes : cadres, fonctionnaires, patrons de PME, qui soutiennent M. GHANNOUCHI et qui
réclament la continuité de l’ancien régime. Ils demandent le retour à l’ordre et la reprise du travail,
dans l’objectif d’avoir une stabilité économique et des réformes graduelles. Ils s’opposent aux
mouvements de la Kasbah II.
1er mars 2011 : Trente ans après sa création, le parti Ennahdha est autorisé. Il déclare respecter la loi
des partis, reconnaître la République et il s’engage à s’affranchir de tout référentiel religieux.
2 mars 2011 : Décret-loi n° 10 du 2 mars 2011, portant création d’une Instance nationale
indépendante pour la réforme du secteur de l’information et de la communication, JORT n° 14,
page 225 (*).
3 mars 2011 : Discours du président de la République par intérim, F. MEBAZZA qui annonce
l'organisation des élections de l'Assemblée Nationale Constituante pour le 24 juillet 2011 et la
suspension de la Constitution du 1
er juin 1959.
Levé du sit-in de la Kasbah II.
4 mars 2011 : Suspension des instances constitutionnelles de l’ancien régime à l’exception du
Gouvernement et du Tribunal administratif.
7 mars 2011 : Formation d'un nouveau gouvernement de technocrates.
8 mars 2011 : Le Congrès Pour la République (CPR) de M. MARZOUKI obtient le visa
d’autorisation légale des autorités.
9 mars 2011 : Le nouveau ministre de l’Intérieur obtient la dissolution du RCD décidée par le
Tribunal de première instance de Tunis.
10 mars 2011 : Formation d’un nouveau gouvernement et suspension des indemnités parlementaires
des députés de l’ancien régime, par le Tribunal administratif.
12 mars 2011 : Le parti Hizb Ut-Tahrir (Parti de la Libération) qui vise l’instauration d’un Califat,
rejette la démocratie et exige l’application de la charia, se voit refuser sa demande de légalisation.
Contrairement à lui, le Mouvement des Patriotes Démocrates (Al Watad) est légalisé.
14 mars 2011 : Le Premier ministre prend un premier arrêté nommant les membres de l’ISROR.
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Page 706
- Décret-loi n° 13 du 14 mars 2011 portant sur la confiscation au profit de l’Etat, de
l’ensemble des avoirs et des biens meubles et immeubles acquis après le 7 novembre 1987
par l’ex-président Zine El Abidine BEN HAJ HAMDA BEN ALI, son épouse Leïla BENT
MOHAMED BEN RHOUMA TRABELSI et les personnes citées dans la liste annexée au
décret-loi, ainsi que toutes les personnes ayant obtenu des fonds, des biens ou des droits,
résultants de leurs relations avec ces personnes (*).
15 mars 2011 : Création officielle de l’ISROR.
17 mars 2011 : Première réunion de l’ISROR au siège de l’ancien Conseil économique et social, sous
l’égide du président de la République par intérim.
18 mars 2011 : Le PCOT obtient son visa.
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Page 707
La mise en place d’une légalité de transition nouvelle2636
23 mars 2011 : Adoption par le président de la République par intérim du décret-loi n° 2011-14 du
23 mars 2011, portant organisation provisoire des pouvoirs publics
2637. Ce décret-loi incarne la
continuité d’un Etat sans Constitution. Il charge le président de la République et le Premier ministre de
faire aboutir le processus par lequel le peuple souverain élira une Assemblée Nationale Constituante.
Bien qu’il n’abroge pas de manière expresse la Constitution du 1
er juin 1959, il sert de Constitution
provisoire à la République tunisienne. Il tire les conséquences de la révolution puisqu’il :
- suspend la Constitution du 1er juin 1959,
- dissout le Parlement, le Conseil constitutionnel et le Conseil économique et social,
- maintient le Tribunal administratif, la Cour des comptes et l’ordre judiciaire,
- précise que le pouvoir exécutif est exercé par le président de la République par intérim, assisté
d’un gouvernement provisoire dirigé par un Premier ministre,
- permet la promulgation par le président de la République par intérim et ce, après délibération du
Conseil des ministres, des textes à caractère législatif sous forme de décrets-lois et ;
-
fait du président de la République le chef de l’Etat, le chef du pouvoir exécutif et le législateur.
8 avril 2011 : Sont interdits de voyage les ministres, conseillers et proches de Z. BEN ALI, ainsi que
toute personne impliquée dans des affaires de corruption.
11 avril 2011 : Les membres de l’ISROR débattent sur la question de l’interdiction faite aux cadres
du RCD dissous, de se présenter aux élections de l'ANC. Ils votent en faveur d’une période de 23 ans,
c'est-à-dire les années allant de la date de prise de pouvoir de Z. BEN ALI à sa chute en 2011.
13 avril 2011 : Z. BEN ALI est poursuivi dans 18 affaires de conspiration contre la sécurité du pays,
meurtre avec préméditation, consommation et trafic de drogue.
18 avril 2011 : L’ISROR aide à l’élaboration du décret-loi n° 2011-27 du 18 avril 2011, portant
création d’une Instance supérieure indépendante pour les élections.
2636 Les décrets-lois pris par le président de la République par intérim au cours de cette période et ce, jusqu’à
l’élection de l’ANC, auront une valeur législative.
2637 Ce décret-loi qualifié de constituant va s’appliquer jusqu’à l’élection de l’ANC initialement prévue le 24
juillet 2011. Tous les décrets-lois qui le suivent (du n° 15 au n° 120), auront une valeur législative.
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3 mai 2011 : Premier rapport du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) sur la situation
des journalistes après le 14 janvier.
4 mai 2011 : Premier jugement par contumace de Z. BEN ALI qui est condamné à quinze ans de
prison pour port d'armes, détention de stupéfiants et de pièces archéologiques.
9 mai 2011 : La Commission d’investigations sur la corruption et la malversation saisit de grandes
quantités de bijoux et de devises au palais de Sidi Bou Saïd.
10 mai 2011 : Décret-loi n° 2011-35 du 10 mai 2011 relatif à l’élection d’une Assemblée Nationale
Constituante. Ce décret ne dispose pas des compétences et de la durée de la future ANC. L’article 15
du décret précise que les membres de l’ancien régime sont inéligibles
2638.
18 mai 2011 : Ansar Al Charia organise son premier congrès à Tunis. Deux personnages politiques
tunisiens y assistent : Sadok CHOUROU du parti Ennahdha et Abderraouf AYADI du CPR. Au cours
du Congrès, A. AYADI est récompensé en tant qu’avocat, pour avoir défendu des salafistes sous BEN
ALI.
22 mai 2011 : K. JENDOUBI, président de l’ISIE se déclare dans l’impossibilité d’organiser les
élections constituante le 24 juillet 2011. Il suggère de les reporter au 16 octobre 2011.
25 mai 2011 : Décret-loi n° 41 du 25 mai 2011 relatif à l’organisation des syndicats de police.
28 mai 2011 : B. CAÏD ESSEBSI fixe la date du 23 octobre 2011 pour les élections constituantes.
30 mai 2011 : Les partisans du parti Ennahdha suspendent leur participation aux travaux de l’ISROR.
8 juin 2011 : Conférence nationale organisée par B. CAÏD ESSEBSI au Palais des Congrès à Tunis,
pour fixer la date du 23 octobre 2011 pour les élections de l'Assemblée Nationale Constituante.
26 juin 2011 : Attaque du cinéma l’Afric’Art pour la diffusion du film de Nadia Fanny, Ni Dieu ni
maître. Les spectateurs sont agressés et la salle saccagée par des islamistes.
2638 Les membres de l’ISROR avaient voté pour une période de 23 ans d’inéligibilité. Opposé à cette période,
B. CAÏD ESSEBSI refuse les dispositions de l’article 15 du décret. Pour sortir de l’impasse, le décret ne
précise pas la date exacte qui fait courir la période d’inéligibilité. L’article 15 du décret ne fait désormais
référence qu’à «
l’ère du président déchu ».
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11 juillet 2011 : Signature du Pacte républicain, charte fondamentale signée par de nombreux partis
politiques, qui édifie les grands principes sur lesquels s’accordent les forces politiques présente dans
l’ISIE. Les principes ainsi posés doivent s’imposer à l’ensemble des partis politiques signataires et
aux autorités légales issues des élections constituantes. Ayant fait l’objet de diverses tractations
politiques, les principes posés par le Pacte républicain sont intégralement consignés dans la
Constitution de 2014.
15 juillet 2011 : Organisation par Ennahdha, le CPR et le PCOT du sit-in de la Kasbah III. Les
manifestants réclament l’accélération du traitement des dossiers des responsables de l’ancien régime et
le départ du Premier ministre B. CAÏD ESSEBSI. Les forces de sécurité répriment violement le
mouvement.
3 août 2011 :
- Décret n° 1086 du 3 août 2011 relatif à la convocation des électeurs pour élire les membres
de l’ANC. Ce décret fixe une période d’un an pour l’élaboration et la rédaction de la
Constitution.
- Décret n° 1087 du 3 août 2011 fixant un plafond de dépense électorale et la manière de
débourser l’aide pour financer la campagne électorale.
- Décret n° 1088 du 3 août 2011 relatif à la répartition des circonscriptions électorales et à la
détermination du nombre de sièges qui leur sont réservés pour l’élection des membres de
l’ANC.
- Décret n° 1089 du 3 août 2011 déterminant les responsabilités au sein des organes du RDC
conformément à l’article 15 du décret-loi n° 2011-35. Ce décret définit la nature et le niveau
de responsabilité couverte par l’exclusion électorale prévue par le décret-loi n° 35 du 10 mai
2011. L’exclusion ne vaut que pour les seules élections de l’ANC.
10 septembre 2011 : Démarrage de la campagne pour les élections de l’ANC.
15 septembre 2011 : Déclaration du processus transitoire du 15 septembre 2011 signée par onze
partis de l’ISROR à l’exception du CPR, pour convenir de la durée des travaux de l’ANC. Le mandat
de l’ANC est limité à une année. La Déclaration du processus transitoire dessine les contours du futur
régime parlementaire tunisien.
24 septembre 2011 :
- Décret-loi n° 2011-87 du 24 septembre 2011 relatif à l’organisation des partis politiques.
Ce décret consacre juridiquement l’ouverture du champ politique. Un visa d’autorisation n’est
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désormais plus obligatoire pour la création d’un parti politique. Le gouvernement dispose de
soixante jours pour s’opposer à la création du parti. Le silence de l’Administration vaut
acceptation.
- Décret-loi n° 2011-88 du 24 septembre 2011 relatif à l’organisation des associations. Ce
décret simplifie les démarches pour la création des associations et n’impose pas de contrôle
rigoureux sur leurs sources de financement.
29 septembre 20112639 :
- Décret-loi n° 2011-91 du 29 septembre 2011 relatif aux formes et aux procédures du
contrôle de la Cour des Comptes sur le financement de la campagne électorale.
1er octobre 2011 : Démarrage de la campagne électorale pour la Constituante.
7 octobre 2011 : A deux semaines des élections, la chaîne de télévision privée Nessma diffuse le film
Persepolis de Merjane SATRAPI qui décrit les conséquences de la révolution islamique en Iran. Les
islamistes jugent une scène où Dieu est représenté, blasphématoire
2640. Des milliers de salafistes et
d’islamistes manifestent dans le pays. Nabil KAROUI, président de la chaîne, voit sa maison
incendiée.
13 octobre 2011 : Cérémonie finale de l’ISROR.
14 octobre 2011 : Après Persepolis diffusé par Nessma, une autre affaire met la liberté de la presse et
la liberté d’opinion en difficulté dans le pays : la publication par l’hebdomadaire Ettounissia d’une
photo d’un joueur tunisien accompagné d’une jeune fille les seins nus, en Allemagne. Le directeur du
journal est arrêté et emprisonné pour « atteinte aux bonnes mœurs » et à la moralité publique. Deux
procès politiques contre les deux médias sont alors entamés.
16 octobre 2011 : Des milliers de citoyens manifestent à Tunis pour le respect de la liberté
d'expression et contre la violence.
20 octobre 2011 : Vote à l'étranger pour l'élection de la Constituante du 20 au 22 octobre 2011.
2639 Au cours du mois de septembre, l’ISIE comprend qu’il sera difficile de respecter la date du 23 octobre
2011 pour tenir l'élection des membres de l’ANC. Elle décide alors d’avoir recours à l’assistance
internationale. Vers la fin du mois de septembre, la Confédération helvétique propose de financer, par un
système de soutien du
Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), l’achat de douze
mille urnes pour un coût de 800.000 dinars tunisiens (près de 255.000 €).

2640 La représentation de Dieu étant interdite par l’Islam sunnite.
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22 octobre 2011 : Mise sur pied d’une Instance nationale de lutte contre la corruption, d’une Instance
provisoire pour la supervision du pouvoir judiciaire et d’une Instance pour la prévention de la torture.
23 octobre 2011 : Scrutin pour la Constituante dans toute la Tunisie. Le parti islamiste Ennahdha
remporte 89 sièges sur 217. L’inscription sur les listes électorales n’étant pas obligatoire, le taux de
participation s’élève à 51,59 % du corps électoral. Les inscrits ayant voté s’élève à 80 % selon l’ISIE.
27 octobre 2011 : Au cours d’une conférence de presse, l’ISIE annonce les premiers résultats.
2 novembre 2011 :
- Décret-loi n° 115 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la presse, de l’impression, et
de l’édition. Ce décret consacre également la liberté des journalistes d’accéder aux informations
et de les diffuser ; il reconnaît la protection de leurs sources.
- Décret-loi n° 116 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la communication audio-
visuelle et à la création d’une Instance supérieure indépendante pour le secteur de la
communication audio-visuelle. Ce décret prévoit
la création d’une Haute Autorité
Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA), qui sert d’instrument de régulation
des médias audiovisuels.
14 novembre 2011 : L’ISIE proclame les résultats définitifs des élections constituantes. Ennahdha
obtient 89 sièges, le CPR 29, Al Aridha Chaabia 26, Ettakatol 20 et le PDP 16.
- Décret-loi n° 2011-3576 du 14 novembre 2011 relatif à la convocation des membres de
l’Assemblée Nationale Constituante pour assister à la séance plénière inaugurale.
20 novembre 2011 : Constitution de la Ligue de Protection de la Révolution2641 du Kram.
21 novembre 2011 : Un accord de gouvernement est signé par les trois partis politiques que sont
Ennahdha, le CPR et Ettakatol. Au Secrétaire général d’Ennahdha, Hamadi JEBALI revient la
présidence du Gouvernement, au leader du CPR, Moncef MARZOUKI, la présidence de la
République et au leader d’Ettakatol, M. BEN JAAFAR, la présidence de l’ANC.
2641 Pour plus de précisions sur les Ligues de Protection de la Révolution, voir la date du 12 juin 2012 de la
présente chronologie.
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Page 712
Elections et mise en place de
l’Assemblée Nationale Constituante (ANC)
22 novembre 2011 : La séance inaugurale de l’ANC est menée par Tahar HMILA, le membre le plus
âgé de l’Assemblée. La cérémonie débute par l’hymne national repris par tous les membres qui
récitent ensuite, la première Sourate, La Fatiha ou L’Ouvrante du Coran, en souvenir des martyrs de
la révolution
2642. S’ensuit la lecture de la liste des élus de l’ANC et la récitation collective du serment
des membres. Au cours de la séance, les membres de l’ANC élisent M. BEN JAAFAR pour président.
Le poste de premier vice-président est confié à Meherzia LABIDI du parti Ennahdha et le poste de
deuxième vice-président à Larbi ABID du CPR, avant qu’il ne rejoigne Ettakatol.
23 novembre 2011 : Démission du gouvernement de B. CAÏD ESSEBSI. Ce dernier reste cependant
en fonction pour clore les affaires courantes, en attendant l’élection d’un nouveau gouvernement par
l’ANC.
28 novembre 2011 : Des étudiants salafistes font un sit-in devant le bureau du Doyen de la Faculté
des lettres de la Manouba. Ils protestent contre la décision du conseil scientifique d'interdire l'accès
aux salles d'examen, aux étudiantes portant le niqab.
12 décembre 2011 : Election de M. MARZOUKI, président de la République par les membres de la
Constituante.
13 décembre 2011 : M. MARZOUKI prend ses fonctions de président. La première période
transitoire prend fin avec la tenue des cérémonies de passation de pouvoirs du président par intérim, F.
MEBAZZA au président par intérim élu, au Palais de Carthage.
14 décembre 2011 : M. MARZOUKI charge H. JEBALI de constituer un gouvernement dans un délai
de 21 jours, en vertu du décret républicain n° 1, en date du 14 décembre 2011.
16 décembre 2011 : La loi constituante n° 2011-6 du 16 décembre 2011, relative à l’organisation
provisoire des pouvoirs publics, met fin à l’application du décret-loi n° 2011-14 du 23 mars 2011,
2642 Dans l’objectif d’honorer le sacrifice des martyrs de la révolution, leur nom est lu.
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relatif à l’organisation provisoire des pouvoirs publics. Appelée « Petite Constitution », cette loi
doit régir l’organisation des pouvoirs publics durant le mandat de la Constituante. Elle ne mentionne
cependant pas la durée du mandat de l’ANC et est largement rédigée par Ennahdha et ses deux
partenaires politiques.
23 décembre 2011 : Vote de confiance au gouvernement JEBALI.
24 décembre 2011 : H. JEBALI est nommé chef du Gouvernement en vertu du décret républicain
n°2 en date du 24 décembre 2011. Ce gouvernement démissionne le 13 mars 2013, à la suite de
l’assassinat de C. BELAÏD.
26 décembre 2011 : Cérémonie de passation de pouvoir du Premier ministre B. CAÏD ESSEBSI au
chef du Gouvernement H. JEBALI au Palais de la Kasbah
2643.
29 décembre 2011 : Nomination des membres du Gouvernement par le décret n° 4796.
2 janvier 2012 : Décès d’A. AMOR, président de la Commission d’investigations sur la corruption et
la malversation.
14 janvier 2012 : Date anniversaire de la fuite de Z. BEN ALI. A l’occasion de ce premier
anniversaire, le président provisoire de la République, M. MARZOUKI gracie un certain nombre de
prisonniers, d'après une liste fournie par le ministre nahdhaoui de la Justice.
20 janvier 2012 : Ratification par les membres de l’ANC du projet de règlement intérieur. La
Commission pour le règlement intérieur débute ses travaux le 23 novembre 2011.
21 janvier 2012 : Début du procès de N. KAROUI, accusé d’atteinte au sacré par la diffusion du film
Persepolis sur la chaîne de télévision privée Nessma TV. Hamadi REDISSI, un universitaire et un
intellectuel tunisien, de même que Zied KRICHENE, le rédacteur en chef du journal Le Maghreb, sont
agressés devant le Palais de Justice, alors qu’ils étaient venus défendre la liberté d’expression.
23 janvier 2012 : S. CHOUROU, un député ultraconservateur de l’aile radicale du mouvement
Ennahdha assimile les grévistes et les opposants au gouvernement JEBALI, aux ennemis de Dieu et
2643 La loi constituante n° 2011-6 du 16 décembre 2011 met en place un régime parlementaire dont le
Premier ministre (désormais appelé chef du Gouvernement) est la pièce centrale de l’exécutif.
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du Prophète Mahomet. S'appuyant sur un verset du Coran, il leur promet l’amputation d’un de leurs
membres et la crucifixion.
26 janvier 2012 : Appel lancé par B. CAÏD ESSEBSI pour l’union des forces politiques centristes en
faveur d’une feuille de route claire, pour la deuxième phase de la transition démocratique.
1er février 2012 : Habib KHEDHER, avocat de formation et partisan d’Ennahdha est élu rapporteur
général de la Constitution le
1er février 2012. Le rapporteur général de la Constitution est aussi le
vice-président du Comité de coordination et de rédaction. Les tâches qui lui sont assignées, varient et
évoluent au fur et à mesure de l’avancée des travaux constituants.
10 février 2012 : Wajdi GHENIM, un prédicateur égyptien proche des Frères musulmans arrive en
Tunisie pour donner une série de conférences. A l’annonce de son arrivée, la Tunisie est divisée entre
ses partisans et ses détracteurs. Il prêche d’ailleurs en faveur de l’excision. Lors de sa tournée, il
réplique « Moutou bi ghaydhikom ! », ou « Mourrez de dépit ! » à ses pourfendeurs. Les islamistes
reprendront à leur compte cette expression.
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Début des travaux des commissions constituantes
13 février 2012 : Début des travaux des commissions constituantes.
17 février 2012 : Première réunion du Comité mixte de coordination et de rédaction. Il est décidé
d’utiliser la technique de la page blanche et de commencer à partir de zéro. L’idée est de ne favoriser
aucun projet spécifique. Le texte de la Constitution du 1
er juin 1959 n’est alors qu’une simple
référence qui peut être consultée de temps à autre. Au cours de cette première réunion, le Comité
mixte de coordination et de rédaction précise que les commissions ne travailleront que trois jours par
semaine, soit les lundi, mardi et mercredi, en séance continue de 9h à 14h. Il indique également que les
premières réunions de travail des commissions constituantes doivent porter sur la définition des axes
principaux. Le Comité se réunit pour les examiner et pour coordonner le travail des commissions.
6 mars 2012 : Le bureau du Doyen de la Faculté des Lettres de la Manouba, H. KAZDAGHLI, est
saccagé par deux étudiantes en niqab. Elles déposent une plainte pour violence contre lui puisque
l’une d’elles affirme qu’il l’aurait giflée. Le ministère public qui dépend directement du ministère de
la Justice accepte la plainte.
7 mars 2012 : Poursuite du sit-in des islamistes à la Faculté des Lettres de la Manouba. L'un des
manifestants remplace le drapeau tunisien qui flotte sur le toit de l’administration de la Faculté, par le
drapeau noir d’Al Qaïda. Khaoula RACHIDI, une jeune étudiante de la Faculté le bouscule, grimpe au
mur et hisse à nouveau le drapeau national. Elle est applaudie par l’ensemble des étudiants.
25 mars 2012 : Des islamistes organisent une manifestation sur l’avenue Habib BOURGUIBA à
Tunis. Une autre manifestation d’un ensemble d’artistes se tient à quelques mètres de celle des
islamistes qui attaquent alors les artistes, sans que les forces de l’ordre n’interviennent.
27 mars 2012 : Après deux mois de débats virulents, Ennahdha renonce enfin à l’inscription de la
charia comme source des lois au sein de la Constitution.
28 mars 2012 : Ali LARAYEDH alors ministre de l’Intérieur, interdit toute manifestation sur
l’avenue Habib BOURGUIBA.
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8 avril 2012 : Les partis de l’opposition démocratique demandent à Ali LARAYEDH de lever
l’interdiction de manifester sur l’avenue Habib BOURGUIBA à la veille de la fête des martyrs.
9 avril 2012 : Bravant l’interdiction de manifester sur l’avenue, les partis de l’opposition
démocratiques sont violemment réprimés par des civils armés de bâtons, sans que les forces de l’ordre
n’interviennent. Les attaquants proches d’Ennahdha et du CPR, se réclament des Comités de
Protection de la Révolution. Le soir même, au cours d’une interview télévisée le président
M. MARZOUKI nie l’existence de milices et accuse l’opposition. Pour instruire l'affaire, M. BEN
JAAFAR, président de l’ANC annonce la création d’une commission d’enquête parlementaire.
14 avril 2012 : Samir DILOU lance le Dialogue national sur la justice transitionnelle, en présence du
président de la République, du chef du Gouvernement et du président de l’ANC. Il a l’appui du
PNUD, du Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme et du Centre international pour la
Justice transitionnelle.
20 avril 2012 : Une « initiative » pour sauver le pays est lancée par B. CAÏD ESSEBSI. Il veut unir
les forces démocratiques et progressistes du pays, dans l’objectif de penser et de mettre en œuvre
plusieurs réformes économiques et sécuritaires. Les syndicalistes et les militants de gauche saluent
l’initiative et des membres du gouvernement la soutiennent.
19 mai 2012 : Dissolution par décret des conseils municipaux et des conseils régionaux dominés et
manipulés par le RCD. Ils sont remplacés par des délégations spéciales.
28 mai 2012 : Noureddine BHIRI, ministre de la Justice, révoque 80 juges pour cause de corruption,
sans qu'ils ne passent devant le Conseil Supérieur de la Magistrature ni qu'ils soient traduits en justice.
11 juin 2012 : Une exposition d’arts plastiques au Palais d’Al Abdelia à La Marsa, est jugée
blasphématoire, car transgressant les symboles sacrés islamiques. Des centaines de salafistes
d’obédience djihadiste manifestent dans de nombreuses cités des gouvernorats du Grand-Tunis. A
Sousse, ils attaquent le siège d’un tribunal et des postes de police. Les trois partis de la coalition
gouvernementale estiment que les œuvres exposées ont provoqué les musulmans.
12 juin 2012 : Le gouvernement JEBALI autorise l'association Ligue Nationale de Protection de la
Révolution. Cette autorisation fait suite à la formation de multiples groupes para-légaux, les Ligues de
Protection de la Révolution, apparues après les élections d’octobre 2011 pour « défendre la
révolution ». Ces ligues n’ont rien de commun avec les Comités de Protection de la Révolution et sont
essentiellement dominées par les partis d’obédience religieuse et leurs alliés, comme Ennahdha et le
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CPR. Dès leur apparition, les ligues sont soupçonnées puis accusées, de véhiculer une idéologie
contre-révolutionnaire. En effet, la révolution tunisienne est par essence, une révolution civile et
démocratique. La plupart du temps, les ligues recourent à des actions fermes, telles que l’intimidation
de personnages politiques de l’ancien régime ou de contre-manifestations, qui se terminent en
affrontements violents.
16 juin 2012 : Création du parti politique Nidaa Tounes, l’Appel de la Tunisie par B. CAÏD ESSEBSI.
Ce parti politique regroupe des membres de l’ancien régime, des militants de gauche, des libéraux et
des syndicalistes.
17 juillet 2012 : Le parti islamiste Hizb Ut-Tahrir est autorisé, faute d’opposition du gouvernement.
18 juillet 2012 : Fin du neuvième congrès d’Ennahdha, au cours duquel R. GHANNOUCHI est réélu
à la tête du parti.
2 août 2012 : La Commission constitutionnelle en charge de rédiger le chapitre relatif aux droits et
libertés rend ses premiers travaux. La présidente nahdhaoui de la Commission Farida LAABIDI, le
signe alors qu’il provoque la protestation des députés progressistes. Dans ce brouillon, la femme n’est
pas l’égale de l’homme, elle lui est « complémentaire ».
13 août 2012 : Plusieurs manifestations ont lieu, à l’occasion de la Fête nationale de la Femme pour
dénoncer cette « complémentarité ». Ennahdha décide de revoir le texte.
14 août 2012 : La première mouture de la Constitution, le « Projet de brouillon » est rendue publique
six mois seulement après le début des travaux des commissions constituantes. Les partisans
d’Ennahdha demandent à leurs dirigeants d’être intransigeants. Ils lancent sur les réseaux sociaux le
hasthag #ekbes ou serrez la vis.
16 août 2012 : Les journaux arabophone Assabah et francophone Le Temps, sont confisqués. Leur
maison d’édition Dar Assabah appartenant à Sakhr EL MATRI, gendre de Z. BEN ALI, est placée
sous la tutelle de l’Etat. Un sit-in est organisé à Dar Assabah par les journalistes qui dénoncent la
nomination d’un policier de l'ancien régime, Lotfi TOUATI, directeur de rédaction. L’opposition
démocratique y voit la volonté du parti islamiste Ennahdha de surveiller la presse.
24 août 2012 : Au cours du congrès du CPR, un militant du parti dénonce ouvertement la propension
hégémonique d’Ennahdha, en le comparant à l’ancien RCD. Le ministre islamiste de l’Intérieur quitte
la salle avec des partisans, en signe de protestation.
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Page 718
7 septembre 2012 : Le nahdhaoui Lotfi ZITOUN, conseiller du chef du Gouvernement chargé des
médias, exhorte les islamistes à exprimer leur colère contre les « médias de la honte » dans la
campagne #ekbes. Un autre nahdhaoui, Habib ELLOUZE, appelle à « frapper les médias
récalcitrants ».
12 septembre 2012 : Amira YAHYAOUI, la cyber-activiste et présidente de l’association Al
Bawsala, La Boussole, permet aux citoyens tunisiens de surveiller les travaux à l’ANC, par le biais du
projet Marsad, Observatoire. Ce site a plusieurs fonctions dont celle de faire connaître les députés, de
leur poser des questions, de présenter l’agenda des travaux constituants et législatifs et d’afficher en
détail, les votes des membres de l’Assemblée.
14 septembre 2012 : L’ambassade des Etats-Unis et une école américaine à Tunis sont prises d’assaut
par des radicaux du groupe islamiste Ansar Al Charia. Cet assaut fait suite à la diffusion sur Youtube,
d’extraits d’une vidéo américaine islamophobe appelée Innocence Of Muslims. Cet événement jette le
trouble sur la capacité d’Ennahdha à canaliser ses militants radicaux.
Des journées portes ouvertes sont organisées par l’ANC avec l’appui du PNUD, les 14 et 15
septembre 2012
, dans 24 gouvernorats du pays2644. Plus de 300 représentants des différentes régions
du pays et de l’étranger sont reçus. Ils donnent essentiellement leur avis sur les travaux et les textes
préparatoires de la Constitution, qui précèdent le « Projet de brouillon » publié le 14 août 2012. En
coordination avec le Comité mixte de coordination et de rédaction, le Bureau des relations avec les
citoyens, rassemble les suggestions des participants. Ces suggestions sont exploitées par les six
commissions constituantes, pour élaborer la deuxième version de la Constitution publiée le 14
décembre 2012. Un rapport de ces consultations sera mis à la disposition des commissions à partir du
mois de mars 2013.
17 décembre 2012 : Le leader du parti islamiste Ansar Al Charia, Seifallah BEN HASSIN est
considéré responsable de l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis et de l’école américaine à Tunis.
Retranché à la mosquée Al Fath, il réussit à s’enfuir alors même que la police encercle le lieu du culte.
2644 Au cours de la séance inaugurale qui a pour slogan « Pour une rédaction participative de la Constitution
», la participation des citoyens dépasse toutes les attentes. Trois commissions constituantes par jour sont
ouvertes aux consultations nationales. Bien que tous les ateliers soient au complet, les deux ateliers qui
rassemblent le plus de monde sont celui du préambule, des principes fondamentaux et de la révision de la
Constitution et celui sur les droits et les libertés. Ceci s’explique par la volonté des citoyens d’influencer la
rédaction de la nouvelle Constitution et de baser ses fondements sur des principes, une philosophie, des
droits et des libertés qui assurent un non-retour à la tyrannie.
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Page 719
25 septembre 2012 : Interviewé par le journal Jeune Afrique, B. CAÏD ESSEBSI rappelle le décret
n° 1086 du 3 août 2011, relatif à la convocation des électeurs pour élire les membres de l’ANC. Il
précise que l’Assemblée n’est élue que pour un an et qu’à partir du 23 octobre 2012, les instances
mises en place qui découlent des décrets instituant la période transitoire, perdent leur légitimité. Sa
déclaration rallie l’opposition démocratique.
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Page 720
Schéma n°1. Processus constituant : Principales étapes
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Page 721
Initiative du « Dialogue national »
16 octobre 2012 : A l’approche de l’expiration du mandat de l’ANC et de celui du gouvernement
provisoire, l’UGTT a l’initiative du « Dialogue national ». Afin de sortir le pays de l’impasse
politique, l’Union Tunisienne de l’Industrie et du Commerce (UTICA), l’Ordre national des avocats et
la LTDH se regroupent pour instaurer un dialogue entre tous les acteurs de la transition démocratique.
Le Secrétaire général de l’UGTT Houcine ABASSI, précise que le « Dialogue national » ne remplace
en aucun cas le gouvernement et qu’il n’en a pas la même légitimité
2645. Dans le but de réaliser les
objectifs de la révolution et de contribuer à résoudre les crises économiques, sociales et sécuritaires,
les acteurs du « Dialogue national » sont invités à établir un véritable dialogue pour aboutir à un
consensus sur la gestion de la période transitoire. Cette gestion se basera sur les principes suivants :
- Attachement au caractère « civil » de l’Etat, au caractère démocratique et républicain du régime
politique et aux acquis modernes accumulés par le peuple tunisien au fil des années.
- Respect des droits de l’Homme, garantie des libertés publiques et individuelles, consécration de
la citoyenneté et de la justice.
- Rejet de tout type de violence.
- Respect de l’opinion adverse et acceptation de l’autre.
- Lutte contre le terrorisme et les multiples appels à la violence.
18 octobre 2012 : Lotfi NAGDH, coordinateur régional de Nidaa Tounes à Tataouine, est lynché par
des manifestants des LPR devant le siège de l’Union Régionale des Agriculteurs. Il décède des suites
de ses blessures.
4 décembre 2012 : Commémoration du cinquantenaire de l’assassinat de Farhat HACHED, fondateur
de l’UGTT. Au cours de la commémoration, des islamistes attaquent le siège de la centrale syndicale
armés de bâtons. Ils réclament « l’assainissement de l’UGTT » et une meilleure représentation des
syndicalistes islamistes. Au lendemain de l’attaque, R. GHANNOUCHI félicite les LPR d’être la
« conscience de la révolution » et dénonce l’UGTT.
2645 Ennahdha et le CPR n'accueillent pas l’initiative favorablement, en raison de la participation de Nidaa
Tounes
. Ils considèrent qu'il y a là une tentative de résurrection et de restauration de l’ancien régime, mais
Ettakatol y participe tout de même.
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Page 722
12 décembre 2012 : Signature d’un acte entre le ministre de l’Intérieur et l’UGTT pour la mise en
place d’une Commission mixte d’enquête, dont la mission est d’enquêter sur les événements du
4 décembre 2012. Les conclusions de cette dernière accréditent la thèse selon laquelle certaines LPR
appuyées par des hommes d’Ennahdha, sont responsables des violences.
14 décembre 2012 : Publication du second projet de Constitution, intitulé « Brouillon de projet ».
15 décembre 2012 : A la suite de la publication du « Brouillon de projet », le Bureau des relations
avec les citoyens et le Comité mixte de coordination et de rédaction entament une série de réunions en
vue de présenter la Constitution aux citoyens. L’ensemble de ces réunions est organisé en
collaboration avec le PNUD et le National Democratic Institute (NDI). L’objectif est de les faire
participer et de leur permettre de donner leur avis sur la seconde version adoptée. 26 rencontres dont
deux spécifiques aux étudiants, sont organisées en Tunisie et 18 à l’étranger (onze en France, sept en
Italie). Ces rencontres sont supervisées par un ou plusieurs membres du Comité mixte de coordination
et de rédaction, qui doivent ensuite recueillir les avis et les propositions pour les présenter aux
membres de l’ANC, sous la coordination du rapporteur général de la Constitution, H. KHEDHER. Ce
n’est que le 19 mars 2013 que les rapports sont transmis à chacun des présidents des six commissions
constituantes.
16 décembre 2012 : Début des rencontres consacrées aux étudiants. Alors que la première a lieu à la
Faculté de Droit de Tunis et rassemble les étudiants du nord, la seconde se déroule à la Faculté des
Sciences de Sfax et réunit les étudiants du centre et du sud du pays
2646.
5 février 2013 : Arrêt de la Cour d’appel de Tunis qui se réfère à la liberté de circulation prévue par
l’article 10 de la Constitution du 1
er juin 1959. Dans cet arrêt, il est affirmé que les dispositions
relatives aux droits et aux libertés de la Constitution de 1959, restent en vigueur du fait de leur nature
et du respect que la Tunisie a de l’article 12 du
Pacte international sur les droits civils et politiques2647,
auquel elle a adhéré le 29 novembre 1968.
2646 La seule condition pour participer à ces rencontres est de remplir un formulaire disponible sur le site de
l’ANC et de présenter sa carte nationale d’identité. Dans chaque gouvernorat, l’inscription par formulaire
est close quatre jours avant la rencontre.
2647 L’article 12 du Pacte des Nations Unis sur les droits civils et politiques dispose que : « 1. Quiconque se
trouve légalement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa
résidence. 2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien. 3. Les droits
mentionnés ci-dessus ne peuvent être l'objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi,
nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les
droits et libertés d'autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte. 4. Nul ne
peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays.
» Pacte international relatif aux
droits civils et politiques
, adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée
générale des Nations Unies dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, entré en vigueur le 23
mars 1976. A consulter en ligne : https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/ccpr.aspx.

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Page 723
6 février 2013 : C. BELAÏD, membre du Front Populaire est abattu devant chez lui à El Menzah 6,
par des membres présumés d’Ansar Al Charia. Alors que l’UGTT appelle à une grève générale pour le
8 février 2013, des affrontements sur l’avenue Habib BOURGUIBA causent la mort d’un membre des
forces de l’ordre. La veuve de C. BELAÏD, Basma KHALFAOUI brandit le V de la victoire en
défilant devant le ministère de l’Intérieur et elle défie les islamistes qu’elle juge responsables de la
mort de son mari. Contre l’avis d’Ennahdha, H. JEBALI annonce la démission de son gouvernement
et la formation d’un nouveau, composé essentiellement de technocrates. Il annonce aussi
l’organisation d’élections générales dans les plus brefs délais, tandis que B. CAÏD ESSEBSI appelle à
la dissolution de l’ANC.
7 février 2013 : En rejetant la proposition de H. JEBALI, Ennahdha propose la formation d’un
gouvernement d’union nationale.
8 février 2013 : La grève générale est suivie dans tout le pays. Tous les aéroports sont fermés et des
centaines de milliers de personnes assistent à l’enterrement de C. BELAÏD. Un communiqué du
ministère des Affaires religieuses dénonce la présence de femmes au cimetière, ce qui est contraire à la
tradition.
16 février 2013 : Des militants d’Ennahdha manifestent pour soutenir les islamistes au pouvoir.
19 février 2013 : H. JEBALI présente la démission du gouvernement à M. MARZOUKI. Majles
Choura, le comité central d’Ennahdha se réunit pour désigner un successeur.
21 février 2013 : Même si le tireur et le mobile de l’assassinat de C. BELAÏD n’ont toujours pas été
identifiés, plusieurs suspects sont arrêtés.
22 février 2013 : Ali LARAYEDH, ministre de l’Intérieur, est chargé par M. MARZOUKI et
conformément à l’organisation provisoire des pouvoirs publics, de former un gouvernement.
13 mars 2013 : L’ANC vote la confiance au gouvernement dirigé et présenté par Ali LARAYEDH.
La coalition au pouvoir reste la même.
19 mars 2013 : Les rapports des réunions citoyennes sont transmis aux présidents respectifs des six
commissions, lors d’une rencontre officielle le 19 mars 2013.
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Page 724
15 avril 2013 : M. MARZOUKI a l’initiative d’un second « Dialogue national » à Dar Dhiafa à
Carthage. Ce dialogue qui se tient du 15 avril 2013 au 15 mai 2013 vise à résoudre les points de
désaccords qui retardent l’élaboration de la Constitution (la liberté de conscience, la nature du régime,
la relation président de la République / chef du Gouvernement et la formulation du préambule).
Malgré cela, les syndicalistes de l’UGTT et plusieurs partis politiques tels que Al Massar, Al Wafa ou
encore le Front populaire, en sont absents.
18 avril 2013 : L’UGTT rend son rapport sur l’attaque de son siège le 4 décembre 2012. Le
gouvernement s’oppose à ses conclusions qui accusent les LPR.
22 avril 2013 : Publication de la troisième version du texte constitutionnel dénommé « Projet de
Constitution ». Ce projet est remis en cause par les membres des six commissions constituantes qui
contestent les modifications de leur proposition par le Comité mixte de coordination et de rédaction.
2 mai 2013 : M. MARZOUKI nomme enfin les membres de la Haute Autorité Indépendante de
Communication Audiovisuelle (HAICA). Nouri LAJMI, un universitaire spécialiste des médias en a la
présidence.
3 mai 2013 : Acquittement du Doyen de la Faculté des Lettres de la Manouba. Le parquet fait appel
du jugement.
16 mai 2013 : Le premier « Dialogue national » initié par l’UGTT reprend ses travaux. Ses partisans
s’accordent sur le fait que le vote de la Constitution devra se faire avant la fin de l’année.
21 mai 2013 : Interdiction du troisième congrès d’Ansar Al Charia à Kairouan. Le lendemain, le
groupe se réunit dans la banlieue de Tunis.
1er juin 2013 : Publication de l’avant-projet final du texte constitutionnel. Le Comité mixte de
coordination et de rédaction tente d’y intégrer les recommandations et les propositions faites lors des
rencontres citoyennes des mois de décembre 2012 et de janvier 2013 et les divers points consensuels
qui résultent du « Dialogue national ». Le Comité mixte de coordination et de rédaction tranche les
questions restées en suspens et qui créaient des difficultés dans la troisième et la quatrième moutures.
Alors que M. BEN JAAFAR soumet le texte à l’avis de la Commission de Venise, l’avant-projet final
du texte constitutionnel est massivement rejeté par les Tunisiens. L’ANC décide alors de mettre en
place une commission ad hoc, la Commission des consensus, qui se chargera de résoudre les points de
désaccords formels et matériels que connaît l’ANC.
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Page 725
17 juillet 2013 : Rendu des observations de la Commission de Venise sur le dernier avant-projet du
texte de la Constitution en date du 1
er juin 2013.
25 juillet 2013 : Date de la célébration de la fête de la République.
Assassinat du constituant M. BRAHMI, député nationaliste arabe et membre du Front Populaire. Il est
assassiné de la même manière que C. BELAÏD : deux individus à moto tirent quatorze balles sur lui. Il
décède devant sa maison dans la banlieue de Tunis, sous le regard de sa fille handicapée. Des
manifestations éclatent dans tout le pays et l’UGTT appelle à la grève générale pour le 26 juillet 2013.
Plusieurs locaux d’Ennahdha sont incendiés et certains partis à l’instar du Front Populaire, de Nidaa
Tounes, d’Al Massar et d’Al Joumhouri en appellent à la dissolution de l’ANC et à la démission du
président et du chef du Gouvernement.
26 juillet 2013 : Lors d’une conférence de presse, le ministre de l’Intérieur affirme que l’arme qui a
tué M. BRAHMI est la même que celle qui a tué C. BELAÏD. Un franco-tunisien membre d’Ansar Al
Charia serait l’assassin présumé. Certains partis politiques d’opposition gèlent leur participation aux
travaux de l’ANC. Ils souhaitent la démission du président, la chute du gouvernement, la dissolution
de l’ANC et la mise en place d’un gouvernement de salut public. L’UGTT suspend alors le « Dialogue
national ». Le Front Populaire en appelle à la désobéissance civile. Un sit-in est organisé devant la
Place du Bardo. Dans l’objectif de défendre la légitimité des institutions, des contre-manifestations
sont organisées par Ennahdha. L’assassinat a été l'occasion pour le Front Populaire et Nidaa Tounes
de se rapprocher. Ils constituent le Front de Salut National (FSN) avec des organisations de la société
civile. Leur objectif est de finaliser la Constitution et de mettre en place un gouvernement de salut
public qui se chargerait de mener à bien le processus de transition démocratique.
27 juillet 2013 : Des centaines de milliers de personnes sont présentent à l’enterrement de
M. BRAHMI. A l’instar des obsèques de C. BELAÏD, les proches du défunt interdisent aux membres
de la troïka d’être présents au cimetière El Jallez. A quelques mètres de là, un sit-in
progouvernemental est organisé.
29 juillet 2013 : Dans un discours virulent, Ali LARAYEDH accuse l’opposition d’instrumentaliser la
mort de M. BRAHMI pour accéder au pouvoir.
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Page 726
30 juillet 2013 : Reprise du « Dialogue national ». L’UGTT, l’UTICA, la LTDH et l’Ordre des avocats
élaborent une feuille de route pour essayer de sortir le pays de la crise2648. Assimilés à une tentative de
coup d’Etat, Ennahdha et le CPR rejettent la feuille de route, seul Ettakatol l’accepte.
Schéma n°2. Processus constituant : Jusqu’à la publication du projet du 1er juin 2013
2648 Ils veulent : la démission du gouvernement et son remplacement par un gouvernement de technocrates, le
maintien de l’ANC, la mise en place d’un programme à échéances pour les travaux constituants et la
dissolution des
LRP.
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Page 727
Schéma n°3. Processus du Dialogue National (DN)
4 août 2013 : Poursuite du sit-in Place du Bardo à Tunis. Dans l’objectif de soutenir la légitimité des
institutions en place, Ennahdha et le CPR appellent à un nouveau sit-in Place de la Kasbah cette fois.
6 août 2013 : Le Front de Salut National appelle à une manifestation géante pour commémorer les six
mois de l’assassinat de C. BELAÏD. Un Quartet
2649 composé de l’UGTT, de l’UTICA, de l’Ordre
national des avocats et de la LTDH, se forme dans l’objectif de sortir la Tunisie de la crise grâce à la
reprise du « Dialogue national ». M. BEN JAAFAR gèle les travaux de l’ANC jusqu’à l’ouverture
d’un « Dialogue national » qui rassemblerait toutes les parties.
14 août 2013 : B. CAÏD ESSEBSI et R. GHANNOUCHI se rencontrent à Paris.
2649 Ce Quartet proposera dès septembre 2013, une feuille de route destinée à boucler le processus de transition
démocratique en organisant des élections présidentielles et législatives. Pour ce faire, trois étapes sont mises
en place. La première consiste en l’élection de l’
ISIE, la deuxième en la désignation d’un chef du
Gouvernement et d’un gouvernement technocrates et la troisième en l’accélération de la rédaction de la
Constitution, en adoptant la technique du consensus.
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Page 728
22 août 2013 : Bien qu’Ennahdha n’ait pas accepté la feuille de route présentée par l’UGTT, un
communiqué du parti précise qu’il est prêt à discuter les propositions du Quartet mené par l’UGTT.
Ennahdha calme ainsi les esprits sans toutefois signer et accepter la feuille de route.
25 août 2013 : Lors d’une interview télévisée accordée à la chaîne Nessma TV, R. GHANNOUCHI
présente Nidaa Tounes et son leader comme des acteurs majeurs de la vie politique tunisienne. Il
indique avoir rencontré B. CAÏD ESSEBSI à Paris et confirme sa volonté de sortir le pays de la crise
sur la base des propositions du Quartet.
27 août 2013 : Le groupe salafiste Ansar Al Charia est officiellement qualifié d’ « organisation
terroriste » par le chef du Gouvernement Ali LARAYEDH.
11 septembre 2013 : Reprise des travaux de l’Assemblée Nationale Constituante. Il faut relancer les
discussions qui permettraient de trouver des compromis concernant les questions conflictuelles, dans
le cadre de la commission des consensus.
17 septembre 2013 : Le Quartet rend son initiative publique.
23 septembre 2013 : Autorisation de travailler accordée au Mouvement destourien, un parti politique
essentiellement composé d’anciens membres du RCD.
5 octobre 2013 : Obsédé par un possible coup d’Etat à l’instar de celui organisé le 3 juillet 2013 en
Egypte par le général Al SISSI, R. GHANNOUCHI signe la feuille de route proposée par le Quartet
au palais des Congrès à Tunis. Le parti Ennahdha accepte enfin la démission du gouvernement. Les 21
partis signataires s’accordent donc sur :
- La mise en place d’un gouvernement apolitique essentiellement formé de technocrates.
- Le retour des députés dissidents et la reprise des travaux de l’ANC.
- La mise en place d’un Comité technique composé d’experts pour accélérer les consensus autour
du projet de Constitution.
- La technique du consensus.
- L’élaboration d’un texte de loi portant sur l’ISIE pour contourner le blocage de la loi électorale.
7 octobre 2013 : Entrée en fonction officielle du « Dialogue national ». Toutes ses propositions ont
été soumises à l’ANC pour qu'elle les prenne en compte dans l’élaboration de la constitution.
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Page 729
25 octobre 2013 : Jour de démarrage des travaux du « Dialogue national ». Ali LARAYEDH
s’engage par écrit à démissionner dès que le « Dialogue national » aura trouvé un successeur.
Schéma n°4. Positions politiques avant et après l’initiative du Dialogue National (DN) :
25 juillet-25 octobre 2013
26 octobre 2013 : Les travaux de l’ANC reprennent en présence de l’ensemble des forces politiques.
La Commission des consensus se remet immédiatement au travail. Parallèlement aux travaux du
« Dialogue national », elle est chargée de trancher les points de blocage de la future Constitution.
Novembre 2013 : Dans le but d’accélérer les travaux constituant, le règlement intérieur de l’ANC est
modifié. Sa révision vise essentiellement à interdire au président de l’ANC de suspendre de manière
unilatérale les travaux constituants. L’opposition démocratique et les députés d’Ettakatol protestent en
se retirant de l’ANC. Un accord entre les partisans du « Dialogue national » permet de supprimer les
amendements polémiques.
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Page 730
14 décembre 2013 : Les partis du « Dialogue national » n’arrivent pas à s’accorder sur la personnalité
qui doit remplacer Ali LARAYEDH. Ils décident alors de se fixer un délai de deux semaines pour
désigner le nouveau chef du Gouvernement.
17 décembre 2013 : Accord au sein du « Dialogue national » sur la personnalité de Mehdi JOMAA, le
ministre de l’Industrie sortant, comme chef du Gouvernement. Il est désigné non par consensus, mais
par vote. Ali LARAYEDH démissionne.
19 décembre 2013 : Le Quartet continue à œuvrer pour que tous les points de sa feuille de route
soient exécutés et que la gestion des affaires du pays soit l’affaire de tous les protagonistes, jusqu’aux
élections mettant fin à la transition.
25 décembre 2013 : Instauration de la Commission de coordination du « Dialogue national » avec
l’ANC. Cette dernière joue un rôle fondamental, car elle transmet les actes du « Dialogue national » à
l’ANC et plus particulièrement, à la Commission des consensus. Elle fait également connaître les
résistances ou les contre-propositions de la Commission des consensus auprès du « Dialogue
national ».

28 décembre 2013 : Publication du recueil des décisions de la Commission des consensus et de la loi
organique n° 2013-52 sur l’instance électorale indépendante.
2 janvier 2014 : Révision par l’ANC de son règlement intérieur. Celle-ci vise essentiellement à
légitimer le travail de la Commission des consensus. En effet :
- Le nouvel article 41 permet au président de l’ANC de créer exceptionnellement, une
Commission des consensus. A la suite de multiples compromis, les amendements proposés par
la Commission relatifs au projet de Constitution du
1er juin 2013, sont directement soumis à
l’examen de l’ANC en séance plénière.
- L’article 106 bis délimite les missions de la Commission et précise surtout que ses propositions
ont une valeur obligatoire pour les groupes parlementaires.
3 janvier 2014 : En séance plénière, débutent de très longues réunions de vote sur le texte
constitutionnel.
5 janvier 2014 : Fervent défenseur de la lecture « laïque » de l’article 1er de la Constitution,
M. RAHOUI est attaqué par le député nahdhaoui H. ELLOUZE qui l'accuse de mécréance notoire. Le
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Page 731
ministère de l’Intérieur prévient le député du Front Populaire des menaces de mort imminentes qui
pèsent sur lui.
9 janvier 2014 : Ali LARAYEDH présente officiellement la démission de son gouvernement au
président de la République. Il reste cependant en fonction pour régler les affaires courantes de la
République, ce qui lui permettra d'avoir l’honneur de promulguer la Constitution avec ses pairs des
commissions constituantes.
Elections par l’ANC des neuf membres de l’ISIE, présidée par l’universitaire et spécialiste du droit
public, C. SARSAR.
10 janvier 2014 : Chargé par M. MARZOUKI de composer un nouveau gouvernement, M. JOMAA
dispose de deux semaines pour choisir ses ministres.
23 janvier 2014 : Le député Mohamed ALLOUCHE décède d’une crise cardiaque.
25 janvier 2014 : Ayant dépassé le délai de deux semaines qui lui était accordé, M. JOMAA en
informe le président MARZOUKI qui lui donne un délai supplémentaire de quinze jours.
26 janvier 2014 : M. JOMAA forme enfin son gouvernement. Après de longues négociations et un
aller-retour incessant entre la plénière et la Commission des consensus, les députés achèvent les
travaux sur le texte constitutionnel. Ils le votent article par article et l’approuvent à 200 voix sur les
217 députés qui composent l’ANC. Douze députés s’y opposent et quatre s’abstiennent. La
Constitution est votée peu après minuit.
27 janvier 2014 : Cérémonie de signature par les trois présidents de la Constitution.
- Selon l’article 147 de la nouvelle Constitution, le président de l’ANC annonce que la
publication de la Constitution au Journal Officiel de la République tunisienne aura lieu le
10 février 2014, date à laquelle elle entrera en vigueur.
- Créée par l’ANC en 2013, l’ISIE trouve désormais son fondement à l’article 126 de la nouvelle
Constitution.
- Selon l’article 147 de la Constitution, les élections présidentielles et législatives doivent avoir
lieu quatre mois après la mise en place de l’ISIE.
- Six mois après les élections législatives, le Conseil Supérieur de la Magistrature doit être mis en
place.
66









Page 732
- Un an après les élections législatives, la Cour constitutionnelle doit être instituée. Dans
l'intervalle, l’Instance provisoire chargée de contrôler la constitutionnalité des projets de
loi est mise en place.
L’ANC continue donc à exercer ses pouvoirs législatifs, électoraux et de contrôle, jusqu’à l’élection de
l’Assemblée des Représentants du Peuple. Toutefois, ses compétences en matière d’initiative
législative sont désormais limitées aux propositions de lois se rapportant au processus électoral, au
système de la justice transitionnelle et aux instances émanant des lois adoptées par l’Assemblée.
28 janvier 2014 : Nomination d’un nouveau gouvernement présidé par M. JOMAA. L’ANC redevient
un simple parlement et attribue sa confiance au gouvernement.
18 avril 2014 : Loi organique 2014-13 du 18 avril 2014 adoptée en vertu de l’article 148 alinéa 7 de
la Constitution qui institue l’Instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des lois.
1er mai 2014 : Vote par l’ANC d’une nouvelle loi électorale.
19 mai 2014 : Neuf membres sont désignés par l’ANC pour constituer l’Instance Vérité et Dignité
chargée de la justice transitionnelle.
26 mai 2014 : Dissolution des LPR ordonnée par un jugement de la 21ème chambre civile du Tribunal
de première instance de Tunis.
16 juin 2014 : H. KAZDAGHLI, Doyen de la faculté des Lettres de la Manouba est définitivement
relaxé par la Cour d’appel de Tunis.
17 juin 2014 : Election de Sihem BEN SEDRINE, présidente du Comité National des Libertés en
Tunisie (CNLT) à la tête de l’IVD.
27 juin 2014 : Nidaa Tounes présente ses listes électorales pour les prochaines législatives.
7 juillet 2014 : Fixation par l’ISIE du calendrier électoral pour 2014. Les élections législatives se
dérouleront le 26 octobre 2014 en Tunisie, les 24, 25 et 26 octobre 2014 à l’étranger et le
23 novembre 2014 aura lieu l’élection présidentielle.
22 septembre 2014 : Les dépôts de candidatures à l’élection présidentielle sont clos.
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Page 733
29 septembre 2014 : Pour les élections législatives, l’ISIE retient 1.327 listes pour les
33 circonscriptions électorales en Tunisie et à l’étranger.
4 octobre 2014 : Début de la campagne électorale des élections législatives.
21 octobre 2014 : Déclaration de B. CAÏD ESSEBSI à Hammam Lif qui prévient les électeurs que ne
pas voter pour Nidaa Tounes reviendrait à donner des voix pour Ennahdha. C’est un appel au « vote
utile ».
24 octobre 2014 : Publication par l’ISIE de la liste des 27 candidats à l’élection présidentielle, parmi
lesquels : Moncef MARZOUKI, Béji CAÏD ESSEBSI, Mustapha BEN JAAFAR, Ahmed NEJIB
CHEBBI, Hamma HAMMAMI, Larbi NASRA, Slim RIAHI, Noureddine HACHED, Abderrazzak
KILANI, Abderrahim ZOUARI et Mondher ZENAIDI, entre autres personnalités publiques.
Du 24 au 26 octobre 2014 : Près de sept millions de Tunisiens se rendent aux urnes pour élire les 217
députés de l’Assemblée des Représentants du Peuple.
30 octobre 2014 : Annonce par l’ISIE des résultats préliminaires des élections législatives. Nidaa
Tounes obtient 86 sièges, Ennahdha 69, l’Union Patriotique Libre 16, le Front Populaire 15, Afek
Tounes 8, le CPR 4, le Courant démocratique 3, Al Moudabara 3, Al Joumhouri 1, l’Alliance
Démocratique 1 et Ettakatol 1, soit 207 sur 217. Le reste des sièges est obtenu par des partis
indépendants.
Du 20 au 22 novembre 2014 : Dernière séance de l’ANC, les députés paraphent le texte de la
Constitution.
23 novembre 2014 : Elections présidentielles du 23 novembre et du 21 décembre 2014. B. CAÏD
ESSEBSI est élu président de la République.
4 décembre 2014 : M. ENNACEUR est élu président de l’Assemblée des Représentants du Peuple,
Abdelfattah MOUROU et Faouzia BEN FODHA sont élus vice-présidents.
8 décembre 2014 : L’ISIE annonce les résultats définitifs du premier tour de l’élection présidentielle.
Arrivé en tête, B. CAÏD ESSEBSI est suivi de M. MARZOUKI.
22 décembre 2014 : L’ISIE annonce les premiers résultats du second tour des élections
présidentielles. B. CAÏD ESSEBSI est élu avec 55,68 % des voix.
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Page 734
31 décembre 2014 : Le nouveau président prête serment devant l’Assemblée des Représentants du
Peuple (ARP).
5 janvier 2015 : Arrivé en tête, Nidaa Tounes charge Habib ESSID de former un gouvernement. Le
vote de confiance au gouvernement de l’ARP est prévu pour le 27 janvier 2015.
23 janvier 2015 : H. ESSID propose son gouvernement.
26 janvier 2015 : Report du vote de confiance, H. ESSID doit corriger sa proposition.
2 février 2015 : H. ESSID présente la seconde version de son gouvernement.
5 février 2015 : L'ARP vote sa confiance au gouvernement ESSID.
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Annexe 3 - Les Constitutions de la Tunisie indépendante
La Constitution du 1er juin 1959
Loi n°59-57 du 1er juin 1959 (25 doul kaâda 1378), portant promulgation de la constitution de la
République tunisienne.
(Parue au JORT n°30 du 1er juin 1959 en version originale (arabe seulement), page 746)
Au nom du peuple,
Nous, Habib Bourguiba, Président de la République Tunisienne,
Vu le décret de 29 décembre 1955 (14 djoumada I 1375) portant institution de l'Assemblée Nationale
Constituante,
Vu la décision de l'Assemblée Nationale Constituante du 25 juillet 1957 (26 doulhidja 1376),
Et après l'approbation de l'Assemblée Nationale Constituante,
Promulguons la Constitution de la République Tunisienne dont la teneur suit :
PREAMBULE
Au nom de Dieu,
Clément et miséricordieux,
Nous, représentants du peuple Tunisien, réunis en assemblée nationale constituante.
Proclamons la volonté de ce peuple, qui s'est libéré de la domination étrangère grâce à sa puissante
cohésion et à la lutte qu'il a livrée à la tyrannie, à l'exploitation et à la régression:
-de consolider l'unité nationale et de demeurer fidèle aux valeurs humaines qui constituent le
patrimoine commun des peuples attachés à la dignité de l'Homme, à la justice et à la liberté et qui
oeuvrent pour la paix, le progrès et la libre coopération des nations,
-de demeurer fidèle aux enseignements de l'Islam, à l'unité du Grand Maghreb, à son appartenance à la
famille arabe, à la coopération avec les peuples « africains pour édifier un avenir meilleur et à la
solidarité avec tous les peuples »
2650 qui combattent pour la justice et la liberté,
-d'instaurer une démocratie fondée sur la souveraineté du peuple et caractérisée par un régime
politique stable basé sur la séparation des pouvoirs.
Nous proclamons que le régime républicain constitue:
2650 Ajouté en conformité avec le texte arabe.
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-la meilleure garantie pour le respect des droits de l'Homme, pour l'instauration de l'égalité des
citoyens en droits et en devoirs, pour la réalisation de la prospérité du pays par le développement
économique et l'exploitation des richesses nationales au profit du peuple,
-le moyen le plus efficace pour assurer la protection de la famille et le droit des citoyens au travail, à la
santé et à l'instruction.
Nous, représentants du peuple Tunisien libre et souverain, arrêtons, par la grâce de Dieu, la présente
Constitution:
CONSTITUTION DE LA REPUBLIQUE TUNISIENNE
CHAPITRE PREMIER
DISPOSITIONS GENERALES
Article premier
La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain ; sa religion est l'Islam, sa langue l'arabe et son
régime la République.
Article 2 (Modifié par la loi constitutionnelle n°76-37 du 8 avril 1976).
La République Tunisienne constitue une partie du Grand Maghreb Arabe, à l'unité duquel elle œuvre
dans le cadre de l'intérêt commun.
Les traités conclus à cet effet et qui seront de nature à entraîner une modification quelconque de la
présente Constitution seront soumis par le Président de la République à un référendum après leur
adoption par «la Chambre des députés»
2651, dans les formes et conditions prévues par la constitution.
Article 3
La souveraineté appartient au peuple Tunisien qui l'exerce conformément à la constitution.
Article 4
Le drapeau de la République Tunisienne est rouge, il comporte, dans les conditions définies par la loi,
en son milieu, un cercle blanc où figure une étoile à cinq branches entourée d'un croissant rouge.
La devise de la République est: Liberté, Ordre, Justice.
Article 5 (Les paragraphes 1, 2, et 3 sont ajoutés par l’article 2 de la loi constitutionnelle n°2002-
51 du 1er juin 2002).
La République Tunisienne garantit les libertés fondamentales et les droits de l’Homme dans leur
acception universelle, globale, complémentaire et interdépendante.
La République Tunisienne a pour fondements les principes de l’Etat de droit et du pluralisme et œuvre
pour la dignité de l’Homme et le développement de sa personnalité.
L’Etat et la société œuvrent à ancrer les valeurs de solidarité, d’entraide et de tolérance entre les
individus, les groupes et les générations.
La République Tunisienne garantit l'inviolabilité de la personne humaine et la liberté de conscience, et
protège le libre exercice des cultes, sous réserve qu'il ne trouble pas l'ordre public.
2651 L’ancienne appellation de la chambre des députés est « l’assemblée nationale », substitution adoptée par la
loi constitutionnelle n°81-47 du 9 juin 1981.
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Article 6
Tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi.
Article 7
Les citoyens exercent la plénitude de leurs droits dans les formes et conditions prévues par la loi.
L'exercice de ces droits ne peut être limité que par une loi prise pour la protection des droits d'autrui, le
respect de l'ordre public, la défense nationale, le développement de l'économie et le progrès social.
Article 8 (Les paragraphes 3, 4, 5, 6 et 7 ont été ajoutés par la loi constitutionnelle n°97-65 du 27
octobre 1997).
Les libertés d'opinion, d'expression, de presse, de publication, de réunion et d'association sont
garanties et exercées dans les conditions définies par la loi.
Le droit syndical est garanti.
Les partis politiques contribuent à l'encadrement des citoyens en vue d'organiser leur participation à la
vie politique. Ils doivent être organisés sur des bases démocratiques. Les partis politiques doivent
respecter la souveraineté du peuple, les valeurs de la République, les droits de l'Homme et les
principes relatifs au statut personnel.
Les partis politiques s'engagent à bannir toute forme de violence, de fanatisme, de racisme et toute
forme de discrimination.
Un parti politique ne peut s'appuyer fondamentalement dans ses principes, objectifs, activité ou
programmes, sur une religion, une langue, une race, un sexe ou une région.
Il est interdit à tout parti d'avoir des liens de dépendance vis-à-vis des parties ou d'intérêts étrangers.
La loi fixe les règles de constitution et d'organisation des parties.
Article 9 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
L'inviolabilité du domicile, le secret de la correspondance et la protection des données personnelles
sont garantis, sauf dans les cas exceptionnels prévus par la loi.
Article 10
Tout citoyen a le droit de circuler librement à l'intérieur du territoire, d'en sortir et de fixer son
domicile dans les limites prévues par la loi.
Article 11
Aucun citoyen ne peut être banni du territoire national ni empêché d'y retourner.
Article 12 (Le premier paragraphe a été ajouté par l’article 2 de la loi constitutionnelle n°2002-
51 du 1
er juin 2002).
La garde à vue est soumise au contrôle judiciaire, et il ne peut être procédé à la détention préventive
que sur ordre juridictionnel. Il est interdit de soumettre quiconque à une garde à vue ou à une détention
arbitraire.
Tout prévenu est présumé innocent jusqu'à l'établissement de sa culpabilité à la suite d'une procédure
lui offrant les garantis indispensables à sa défense.
Article 13 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
La peine est personnelle et ne peut être prononcée qu'en vertu d'une loi antérieure au fait punissable,
sauf en cas de texte plus doux.
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Page 739
Tout individu ayant perdu sa liberté est traité humainement, dans le respect de sa dignité,
conformément aux conditions fixées par la loi.
Article 14
Le droit de propriété est garanti. Il est exercé dans les limités prévues par la loi.
Article 15 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
Tout citoyen a le devoir de protéger le pays, d’en sauvegarder l’indépendance, la souveraineté et
l’intégrité du territoire national.
La défense de la patrie est un devoir sacré pour chaque citoyen.
Article 16
Le paiement de l'impôt et la contribution aux charges publiques, sur la base de l'équité, constituent un
devoir pour chaque personne.
Article 17
Il est interdit d'extrader les réfugiés politiques.
CHAPITRE II
LE POUVOIR LEGISLATIF
Article 18 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
Le peuple exerce le pouvoir législatif par l'intermédiaire de la Chambre des députés et de la Chambre
des conseillers,
2652 ou par voie de référendum.
Les membres de la Chambre des députés sont élus au suffrage universel, libre, direct et secret, selon
les modalités et les conditions fixées par la loi électorale.
Article 19 (Modifié par la loi constitutionnelle n°76-37 du 8 avril 1976 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
La Chambre des conseillers est composée de membres dont le nombre ne doit pas être supérieur aux
deux tiers des membres de la Chambre des députés ; la loi électorale détermine les modalités de
fixation de ce nombre, tous les six ans, compte tenu du nombre des membres de la Chambre des
députés en exercice.
Les membres de la Chambre des conseillers se répartissent comme suit :
Un membre ou deux pour chaque gouvernorat, selon le nombre des habitants, est élu ou sont élus à
l’échelle régionale, parmi les membres élus des collectivités locales.
Le tiers des membres de la Chambre est élu à l’échelle nationale, parmi les employeurs, les
agriculteurs et les salariés ; les candidatures sont proposées par les organisations professionnelles
concernées, dans des listes comprenant au minimum le double du nombre des sièges réservés à chaque
catégorie. Les sièges sont répartis à égalité entre les secteurs concernés.
2652 Suivant les paragraphes 1 et 2 de l’article 5 de la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002 portant
modification de la constitution :
« La Chambre des députés exerce seule ses prérogatives législatives, jusqu’à la constitution de la Chambre
des conseillers et l’adoption de son règlement intérieur.
La Chambre des conseillers se réunit dans les quinze jours qui suivent sa constitution ».
74





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Les membres de la Chambre des conseillers sont élus, au suffrage libre et secret, par les membres élus
des collectivités locales.
La loi électorale fixe les modalités et les conditions d’élection des membres de la Chambre des
conseillers.
Le Président de la République désigne le reste des membres de la Chambre des conseillers, parmi les
personnalités et les compétences nationales.
Les membres de la Chambre des conseillers ne doivent pas être liés par des intérêts locaux ou
sectoriels.
Le cumul de mandats à la Chambre des députés et à la Chambre des conseillers n’est pas admis.
Article 20 (Modifié par la loi constitutionnelle n°97-65 du 27 octobre 1997 et par la loi
constitutionnelle n°2008-52 du 28 juillet 2008).
Est électeur, tout citoyen possédant la nationalité tunisienne depuis au moins cinq ans, âgé de dix-huit
ans accomplis et remplissant les conditions prévues par la loi électorale.
Article 21 (Modifié par la loi constitutionnelle n°97-65 du 27 octobre 1997 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
Est éligible à la chambre des députés, tout électeur né de père tunisien ou de mère tunisienne et âgé au
moins de vingt-trois ans accomplis le jour de la présentation de sa candidature.
Le candidat à la Chambre des conseillers doit être né de père tunisien ou de mère tunisienne, âgé au
moins de quarante ans accomplis le jour de la présentation de sa candidature, et doit être électeur.
Ces conditions s’appliquent à tous les membres de la Chambre des conseillers.
Le candidat à la Chambre des conseillers doit aussi avoir, selon les cas, une qualité professionnelle qui
l’habilite à se porter candidat pour le secteur des employeurs, celui des agriculteurs ou celui des
salariés.
Chaque membre de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers prête, avant l’exercice de
ses fonctions, le serment ci-après :
"Je jure par Dieu Tout-Puissant de servir mon pays loyalement, de respecter la Constitution et
l'allégeance exclusive envers la Tunisie".
Article 22 (Modifié par la loi constitutionnelle n°76-37 du 8 avril 1976 et le paragraphe 2 a été
ajouté par l’article 2 de la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
La Chambre des députés est élue pour un mandat de cinq années au cours des trente derniers jours du
mandat.
Le mandat des membres de la Chambre des conseillers est fixé à six ans, sa composition est
renouvelée par moitié tous les trois ans
2653.
2653 Le paragraphe 3 de l’article 5 de la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002 portant modification de
la constitution dispose que « contrairement aux dispositions de l’article 22 (nouveau) de la Constitution, la
moitié des membres de la Chambre des conseillers est renouvelée, au cours du premier mandat et au terme
de la troisième année dudit mandat, par tirage au sort, et ce, compte tenu de la répartition appliquée pour la
constitution de cette Chambre, et conformément aux modalités et aux conditions ayant permis
l’appartenance à ladite Chambre ; les opérations de tirage au sort et de renouvellement doivent être
achevées avant la fin de cette période ».
75





Page 741
Article 23 (Modifié par la loi constitutionnelle n°76-37 du 8 avril 1976 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
En cas d'impossibilité de procéder aux élections, pour cause de guerre ou de péril imminent, les
mandats en cours de la Chambre des députés ou de la Chambre des conseillers sont prorogés par une
loi adoptée par la Chambre des députés, jusqu'à ce qu'il soit possible de procéder aux élections. La
prorogation s’applique, dans ce cas, au reste des membres de la Chambre des conseillers.
Article 24 (Modifié par la loi constitutionnelle n°76-37 du 8 avril 1976 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
Le siège de la Chambre des députés et le siège de la Chambre des conseillers sont fixés à Tunis et sa
banlieue ; toutefois, dans les circonstances exceptionnelles, l’une des deux Chambre ou les deux
Chambres peuvent tenir leurs séances en tout autre lieu du territoire de la République.
Article 25
Chaque député est le représentant de la Nation entière.
Article 26 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
Le membre de la Chambre des députés ou le membre de la Chambre des conseillers ne peut être
poursuivi, arrêté ou jugé en raison d'opinions exprimées, de propositions émises ou d'actes accomplis
dans l'exercice de son mandat au sein de chaque Chambre.
Article 27 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
Aucun membre de la Chambre des députés ou de la Chambre des conseillers ne peut, pendant la durée
de son mandat, être poursuivi ou arrêté pour crime ou délit, tant que la Chambre concernée n’a pas
levé l'immunité parlementaire qui le couvre.
Toutefois, en cas de flagrant délit, il peut être procédé à son arrestation. La Chambre concernée en est
informée sans délai. La détention est suspendue si la Chambre concernée le requiert.
Durant les vacances de la Chambre concernée, son bureau la remplace.
Article 28 (Modifié par la loi n°88-88 du 25 juillet 1988 et par la loi constitutionnelle n°2002-51
du 1
er juin 2002).
La Chambre des députés et la Chambre des conseillers exercent le pouvoir législatif, conformément
aux dispositions de la Constitution. L'initiative des lois appartient concurremment au Président de la
République et aux membres de la Chambre des députés.
Les projets présentés par le Président de la République ont la priorité.
Les projets de loi présentés par les membres de la Chambre des députés ne sont pas recevables lorsque
leur adoption aurait pour conséquence une réduction des ressources publiques ou une augmentation de
charges, ou de dépenses nouvelles.
Ces dispositions s’appliquent aux amendements apportés aux projets de loi.
La Chambre des députés et la Chambre des conseillers peuvent habiliter le Président de la République,
pour un délai limité et en vue d’un objet déterminé, à prendre des décrets-lois qu’il soumettra, selon le
cas, à l’approbation de la Chambre des députés ou des deux Chambres, à l’expiration de ce délai.
La Chambre des députés et la Chambre des conseillers adoptent les projets de loi organique à la
majorité absolue des membres et les projets de loi ordinaire à la majorité des membres présents, cette
majorité ne devant pas être inférieure au tiers des membres de la Chambre concernée.
76


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Le projet de loi organique ne peut être soumis à la délibération de la Chambre des députés qu'à
l'expiration d'un délai de quinze jours après son dépôt.
Ont le caractère de lois organiques, les lois prévues par les articles 4, 8, 9, 10, 33, 66, 67, 68, 69, 70,
71 et 75 de la Constitution. La loi électorale revêt la forme de loi organique.
Les projets de loi de finances sont soumis à la Chambre des députés et à la Chambre des conseillers.
La Chambre des députés et la Chambre des conseillers adoptent les projets de loi de finances, et de
règlement du budget conformément aux conditions prévues par la loi organique du budget. Si à la date
du 31 décembre, la Chambre des conseillers n’adopte pas les projets de loi de finances, trandis que la
Chambre des députés les a adoptés, ils sont soumis au Président de la République pour promulgation.
Le budget doit être adopté au plus tard le 31 décembre. Si, passé ce délai, les deux Chambres ne se
sont pas prononcées, les dispositions des projets de loi de finances peuvent être mises en vigueur par
décret, par tranches trimestrielles renouvelables.
Article 29 (Modifié par la loi constitutionnelle n°67-23 du 30 juin 1976 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
La Chambre des députés et la Chambre des conseillers se réunissent, chaque année, en session
ordinaire commençant dans le courant du mois d'octobre et prenant fin dans le courant du mois de
juillet. Toutefois, la première session de la législature de la Chambre des députés débute dans le
courant de la quinzaine qui suit son élection. Le même délai s’applique lors du renouvellement de la
moitié des membres de la Chambre des conseillers.
Dans le cas où le débat de la première session de la législature de la Chambre des députés coïncide
avec ses vacances, une session d’une durée de quinze jours est ouverte.
Pendant les vacances, la Chambre des députés et la Chambre des conseillers se réunissent en session
extraordinaire à la demande du Président de la République ou de la majorité des membres de la
Chambre députés, pour examiner un ordre de jour précis.
Article 30 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
La Chambre des députés et la Chambre des conseillers élisent chacune, parmi leurs membres, des
commissions permanentes qui fonctionnent sans interruption, même durant les vacances des deux
Chambres.
La Chambre des députés et la Chambre des conseillers élisent, parmi leurs membres, des commissions
pour précéder à l’examen du projet du plan de développement, et d’autres pour examiner les prokets
de loi de finances. Chaque chambre élit, également, parmi ses membres, une commission spéciale pour
l’immunité parlementaire et une commission spéciale pour l’élaboration ou la modification du
règlement intérieur.
Article 31 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
Le Président de la République peut, pendant les vacances de la Chambre des députés et de la Chambre
des conseillers, prendre des décrets-lois qui sont soumis, selon le cas, à l’approbation de la Chambre
des députés ou des deux Chambres, au cours de la session ordinaire qui suit les vacances.
Article 32 (Modifié par la loi constitutionnelle n°97-65 du 27 octobre 1997 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
Le Président de la République ratifie les traités.
Les traités concernant les frontières de l’Etat, les traités commerciaux, les traités relatifs à
l’organisation internationale, les traités portant engagement financier de l’Etat, et les traités contenant
77


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des dispositions à caractère législatif, ou concernant le statut des personnes, ne peuvent être ratifiés
qu’après leur approbation par la Chambre des députés.
Les traités n’entrent en vigueur qu’après leur ratification et à condition qu’ils soient appliqués par
l’autre partie. Les traités ratifiés par le Président de la République et approuvés par la Chambre des
députés ont une autorité supérieure à celle des lois.
Article 33 (Modifiée par la loi constitutionnelle n°76-37 du 8 avril 1976 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
Les projets de loi présentés par le Président de la République sont soumis, selon le cas, à la Chambre
des députés ou aux deux Chambres.
Le président de la Chambre des députés informe le Président de la République et le président de la
Chambre des conseillers de l’adoption d’un projet de loi par la Chambre des députés ; l’information
est accompagnée du texte adopté.
La Chambre des conseillers achève l’examen du projet adopté par la Chambre des députés dans un
délai maximum de quinze jours.
Lorsque la Chambre des conseillers adopte le projet de loi sans y introduire d’amendement, le
président de cette Chambre le soumet au Président de la République pour promulgation, et en informe
le président de la Chambre des députés, l’information étant accompagnée du texte adopté.
Si la Chambre des conseillers n’adopte pas le texte dans les délais prévus au paragraphe 3 du présent
article, le président de la Chambre des députés soumet le projet de loi, adopté par la Chambre des
députés, au Président de la République pour promulgation.
Lorsque la Chambre des conseillers adopte le projet de loi, en y introduisant des amendements, le
président de la Chambre des conseillers soumet le projet au Président de la République, et en informe
le président de la Chambre des députés. Une commission mixte paritaire, composée de membres des
deux Chambres, est constituée, sur proposition du Gouvernement, en vue d’élaborer, dans un délai
d’une semaine, un texte commun approuvé par le Gouvernement et portant sur les dispositions objet
du désaccord entre les deux Chambres.
En cas d’accord sur un texte commun, celui-ci est soumis à la Chambre des députés pour statuer
définitivement, dans un délai d’une semaine ; toutefois, ce texte ne peut être amendé qu’après accord
du Gouvernement.
Le président de la Chambre des députés soumet au Président de la République, pour promulgation, et
selon le cas, soit le projet de loi que la Chambre a adopté sans avoir accepté les amendements, soit le
projet de loi amendé, en cas de son adoption par ladite Chambre.
Si la commission mixte paritaire ne parvient pas à élaborer un texte commun dans le délai précité, le
président de la Chambre des députés soumet au Président de la République, pour promulgation, le
projet de loi adopté par ladite Chambre.
Les procédures prévues aux paragraphes 2 et 4 du présent article s’appliquent aux projets de loi
présentés à l’initiative des membres de la Chambre des députés. Si des amendements y sont introduits
par la Chambre des conseillers, il est procédé à la constitution d’une commission mixte paritaire
composée de membres de deux Chambres, en vue d’élaborer, dans un délai d’une semaine, un texte
commun portant sur les dispositions objet du désaccord. En cas d’adoption d’un texte commun, celui-
ci est soumis à la Chambre des députés pour statuer définitivement. Dans ce cas, il est fait application
du paragraphe 8 du présent article.
Les vacances de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers suspendent les délais prévus
par le présdent article.
L’organisation du travail de chacune des deux Chambres est fixée par la loi et le règlement intérieur.
La loi fixe, également, les relations entre les deux chambres.
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Page 744
Article 34 (Modifié par la loi constitutionnelle n°97-65 du 27 octobre 1997).
Sont pris sous forme de lois, les textes relatifs:
-aux modalités générales d'application de la Constitution, autres que celles devant faire l'objet de lois
organiques,
-à la création de catégories d'établissements et d'entreprises publiques,
-à la nationalité, à l'état des personnes et aux obligations,
-à la procédure devant les différents ordres de juridiction,
-à la détermination des crimes et délits et aux peines qui leur sont applicables, ainsi qu'aux
contraventions pénales sanctionnées par une peine privative de liberté,
-à l'amnistie,
-à l'assiette, aux taux et aux procédures de recouvrement des impôts, sauf délégation accordée au
Président de la République par les lois de finances et les lois fiscales,
-au régime d'émission de la monnaie,
-aux emprunts et engagements financiers de l'Etat,
-aux garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires.
La loi détermine les principes fondamentaux:
-du régime de la propriété et des droits réels,
-de l'enseignement,
-de la santé publique,
-du droit du travail et de la sécurité sociale.
Article 35 (Modifié par la loi constitutionnelle n°97-65 du 27 octobre 1997 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
Les matières, autres que celles qui sont du domaine de la loi, relèvent du pouvoir réglementaire
général. Les textes relatifs à ces matières peuvent être modifiés par décret sur avis du Conseil
constitutionnel.
Le Président de la République peut opposer l'irrecevabilité de tout projet de loi ou d'amendement
intervenant dans le domaine du pouvoir réglementaire général. Le Président de la République soumet
la question au Conseil constitutionnel qui statue dans un délai maximum de dix jours à partir de la date
de réception.
Article 36 (Modifié par la loi constitutionnelle n°76-37 du 8 avril 1976).
La loi approuve le plan de développement.
Elle autorise les ressources et les charges de l’Etat dans les conditions prévues par la loi organique du
budget.
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Page 745
CHAPITRE III2654
LE POUVOIR EXECUTIF
Article 37
Le pouvoir exécutif est exercé par le Président de la République assisté d'un gouvernement dirigé par
un Premier ministre.
Section I - Le Président de la République
Article 38
Le Président de la République est le chef de l'Etat. Sa religion est l'Islam.
Article 39 (Modifié par la loi constitutionnelle n°88-88 du 25 juillet 1988 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel, libre, direct et secret, et à la
majorité absolue des voix exprimées, au cours des trente derniers jours du mandat présidentiel. Dans le
cas où cette majorité n’est pas obtenue au premier tour du scrutin, il est procédé le deuxième dimanche
qui suit le jour du vote à un second tour. Ne peuvent se présenter au second tour que les deux
candidats ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour, compte tenu des retraits, le
cas échéant, et ce, conformément aux conditions prévues par la loi électorale.
En cas d'impossibilité de procéder en temps utile aux élections, pour cause de guerre ou de péril
imminent, le mandat du Président est prorogé par une loi adoptée par la Chambre des députés, et ce,
jusqu'à ce qu'il soit possible de procéder aux élections.
Le Président de la République est rééligible.
Article 40 (Modifié par la loi constitutionnelle n°88-88 du 25 juillet 1988 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
Peut se porter candidat à la Présidence de la République tout Tunisien, jouissant exclusivement de la
nationalité tunisienne, de religion musulmane, de père, de mère, de grands-pères paternel et maternel
tunisiens, demeurés tous de nationalité tunisienne sans discontinuité.
En outre, le candidat doit être, le jour de dépôt de sa candidature, âgé de quarante ans au moins et de
soixante-dix ans au plus et jouir de tous ses droits civils et politiques.
Le candidat est présenté par un nombre de membres de la Chambre des députés et de présidents de
municipalités, conformément aux modalités et conditions fixées par la loi électorale.
2655
2654 Le chapitre III (articles 37 à 63) a été modifié par la loi constitutionnelle n°76-37 du 8 avril 1976).
2655 L’article 2 de la loi constitutionnelle n°2008-52 du 28 juillet 2008 dispose que : « Des dispositions
dérogatoires sont insérées au troisième alinéa de l’article 40 de la constitution ainsi qu’il suit :
A défaut de remplir la condition de présentation du candidat prévue au troisième alinéa de l’article 40 de
la constitution, peut se porter candidat à la Présidence de la République, à titre exceptionnel pour les
élections présidentielles de l’année 2009, le premier responsable de chaque parti politique, qu’il soit
président ou secrétaire général ou premier secrétaire de son parti, à condition qu’il soit élu à cette
responsabilité et qu’il soit le jour du dépôt de la demande de sa candidature, en exercice de cette
responsabilité, et ce, depuis une période qui ne soit pas inférieure à deux années consécutives depuis son
élection à cette responsabilité
».
80






Page 746
La candidature est enregistrée sur un registre spécial tenu par le Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel statue sur la validité des candidatures, proclame le résultat des élections et
se prononce sur les requêtes qui lui sont présentées à ce sujet, conformément aux dispositions de la loi
électorale.
Article 41 (Le paragraphe 2 a été ajouté par l’article 2 de la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er
juin 2002).
Le Président de la République est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du
respect de la Constitution et des lois ainsi que de l'exécution des traités. Il veille au fonctionnement
régulier des pouvoirs publics constitutionnels et assure la continuité de l'Etat.
Le Président de la République bénéficie d’une immunité juridictionnelle durant l’exercice de ses
fonctions. Il bénéficie aussi de cette immunité juridictionnelle après la fin de l’exercice de ses
fonctions en ce qui concerne les actes qu’il a accomplis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.
Article 42 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
Le Président de la République élu prête devant la Chambre des députés et la Chambre des conseillers,
en séance commune, le serment ci-après :
«Je jure par Dieu Tout-Puissant de sauvegarder l'indépendance de la patrie et l'intégrité de son
territoire, de respecter la Constitution du pays et sa législation et de veiller scrupuleusement sur les
intérêts de la Nation».
Article 43
Le siège officiel de la Présidence de la République est fixé à Tunis et sa banlieue. Toutefois, dans les
circonstances exceptionnelles, il peut être transféré provisoirement en tout autre lieu du territoire de la
République.
Article 44
Le Président de la République est le chef Suprême des Forces Armées.
Article 45
Le Président de la République accrédite les représentants diplomatiques auprès des puissances
étrangères. Les représentants diplomatiques des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui.
Article 46 (Le paragraphe 2 a été ajouté par l’article 2 de la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er
juin 2002).
En cas de péril imminent menaçant les institutions de la République, la sécurité et l'indépendance du
pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut
prendre les mesures exceptionnelles nécessitées par les circonstances, après consultation du Premier
ministre et du président de la Chambre des députés « et du président de la Chambre des
conseillers »
2656.
Il adresse à ce sujet un message au peuple.
Pendant cette période, le Président de la République ne peut dissoudre la Chambre des députés et il ne
peut être présenté de motion de censure contre le gouvernement.
2656 Ajouté par l’article 4 de la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002.
81



Page 747
Ces mesures cessent d'avoir effet dès qu'auront pris fin les circonstances qui les ont engendrés. Le
Président de la République adresse un message à la Chambre des députés « et à la Chambre des
conseillers »
2657 à ce sujet.
Article 47 (Modifié par la loi constitutionnelle n°97-65 du 27 octobre 1997).
Le Président de la République peut soumettre directement au référendum les projets de la loi ayant une
importance nationale ou les questions touchant à l'intérêt supérieur du pays sans que ces projets et
questions soient contraires à la Constitution.
Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet, le Président de la République le promulgue
dans un délai maximum de quinze jours à compter de la date de proclamation des résultats.
La loi électorale fixe les modalités de déroulement du référendum et de proclamation des résultats.
Article 48 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
Le Président de la République conclut les traités.
Il déclare la guerre et conclut la paix avec l'approbation de la Chambre des députés.
Il dispose du droit de grâce.
Article 49 (Modifié par la loi constitutionnelle 2002-51 du 1er juin 2002).
Le Président de la République oriente la politique générale de l'Etat, en définit les options
fondamentales et en informe la Chambre des députés.
Le Président de la République communique avec la Chambre des députés et la Chambre des
conseillers, soit directement, soit par message qu’il leur adresse.
Article 50
Le Président de la République nomme le Premier ministre et, sur proposition de celui-ci, les autres
membres du gouvernement.
Le Président de la République préside le conseil des ministres.
Article 51
Le Président de la République met fin aux fonctions du Gouvernement ou de l'un de ses membres de
sa propre initiative ou sur proposition du Premier ministre.
Article 52 (Modifié par la loi constitutionnelle n097-65 du 27 octobre 1997 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
Le Président de la République promulgue les lois constitutionnelles, organiques et ordinaires et en
assures la publication au Journal Officiel de la République Tunisienne dans un délai maximum de
quinze jours à compter de la transmission qui lui en est faite par le président de la Chambre des
députés, « ou le président de la Chambre des conseillers selon le cas »
2658.
Le Président de la République peut, pendant ce délai, renvoyer le projet de loi à la Chambre des
députés pour une deuxième lecture. Si le projet de la loi est adopté par la Chambre des députés à la
majorité des deux tiers de ses membres, la loi est promulguée et publiée dans un second délai
maximum de quinze jours.
Dans le délai prévu au paragraphe premier du présent article, et sur avis du Conseil constitutionnel, le
Président de la République peut renvoyer le projet de loi, ou certains de ses articles après modification,
2657 Ibid.
2658 Ajouté par l’article 4 de la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002.
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Page 748
à la Chambre des députés pour une nouvelle délibération. Après cette adoption, le projet de loi est
promulgué et publié dans un délai maximum de quinze jours, à compter de la date de sa transmission
au Président de la République.
Article 53 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
Le Président de la République veille à l'exécution des lois, exerce le pouvoir réglementaire général et
peut en déléguer tout ou partie au Premier ministre.
Article 54
Les projets de lois sont délibérés en conseil des ministres.
Les décrets à caractère réglementaire sont contresignés par le Premier ministre et le membre du
gouvernement intéressé.
Article 55 (Le paragraphe 2 a été ajouté par l’article 2 de la loi constitutionnelle n°2002-51 di 1er
juin 2002).
Le Président de la République nomme aux emplois supérieurs civils et militaires, sur proposition du
Gouvernement.
Le Président de la République peut déléguer au Premier ministre le pouvoir de nomination à certains
de ces emplois.
Article 56 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
En cas d'empêchement provisoire, le Président de la République peut déléguer, par décret, ses
attributions au Premier ministre, à l'exclusion du pouvoir de dissolution de la Chambre de députés.
Au cours de l'empêchement provisoire du Président de la République, le Gouvernement, même s'il est
l'objet d'une motion de censure, reste en place jusqu'à la fin de cet empêchement.
Le Président de la République informe le président de la Chambre des députés et le président de la
Chambre des conseillers de la délégation provisoire de ses pouvoirs.
Article 57 (Modifié par la loi constitutionnelle n°88-88 du 25 juillet 1988 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
En cas de vacance de la Président de la République pour cause de décès, de démission ou
d’empêchement absolu, le Conseil constitutionnel se réunit immédiatement et constate la vacance
définitive à la majorité absolue de ses membres. Il adresse une déclaration à ce sujet au président de la
Chambre des députés qui est immédiatement investi des fonctions de la Présidence de l’Etat par
intérim, pour une période variant entre quarante-cinq jours au moins et soixante jours au plus. Si la
vacance définitive coïncide avec la dissolution de la Chambre des députés, le président de la Chambre
des conseillers est investi des fonctions de la Présidence de l’Etat, par intérim et pour la même
période.
Le Président de la République par intérim prête le serment constitutionnel devant la Chambre des
députés et la Chambre des conseillers réunies en séance commune et, le cas échéant, devant les deux
bureaux des deux Chambres. Si la vacance définitive coïncide avec la dissolution de la Chambre des
députés, le Président de la République par intérim prête le serment constitutionnel devant la Chambre
des conseillers et, le cas échéant, devant son bureau.
Le Président de la République par intérim ne peut présenter sa candidature à la Présidence de la
République même en cas de démission.
Le Président de la République par intérim exerce les attributions dévolues au Président de la
République sans, toutefois, pouvoir recourir au référendum, démettre le Gouvernement, dissoudre la
Chambre des députés ou prendre les mesures exceptionnelles prévues par l'article 46.
83


Page 749
Il ne peut être procédé, au cours de la période de la Présidence par intérim, ni à la modification de la
Constitution ni à la présentation d’une motion de censures contre le Gouvernement.
Durant cette même période, des élections présidentielles sont organisées pour élire un nouveau
Président de la République pour un mandat de cinq ans.
Le nouveau Président de la République peut dissoudre la Chambre des députés et organiser des
élections législatives anticipées conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 63.
Section II - Le Gouvernement
Article 58
Le gouvernement veille à la mise en oeuvre de la politique générale de l'Etat, conformément aux
orientations et aux options définies par le Président de la République.
Article 59
Le Gouvernement est responsable de sa gestion devant le Président de la République.
Article 60 (Modifié par la loi constitutionnelle n°88-88 du 25 juillet 1988).
Le Premier ministre dirige et coordonne l'action du Gouvernement. Il supplée, le cas échéant, le
Président de la République dans la Présidence du conseil des ministres ou de tout autre conseil.
Article 61 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
Les membres du Gouvernement ont accès à la Chambre des députés et à la Chambre des conseillers,
ainsi qu'à leurs commissions.
Tout membre de la Chambre des députés peut adresser au Gouvernement des questions écrites ou
orales.
Une séance périodique est consacrée aux questions orales des membres de la Chambre des députés et
aux réponses au Gouvernement. La séance périodique peut aussi être consacrée à un débat entre la
Chambre des députés et le Gouvernement, concernant les politiques sectorielles. Une séance de
l’assemblée plénière peut, aussi, être consacrée aux réponses aux questions orales portant sur des
sujets d’actualité.
Article 62 (Modifié par la loi constitutionnelle n°88-88 du 25 juillet 1988 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).
La Chambre des députés peut mettre en cause la responsabilité du Gouvernement, par le vote d'une
motion de censure, s'il s'avère à la Chambre qu'il n'agit pas en conformité avec la politique générale de
l'Etat et les options fondamentales prévues par les articles 49 et 58.
La motion de censure n'est recevable que si elle est motivée et signée par le tiers au moins des
membres de la Chambre des députés, le vote ne peut intervenir que quarante-huit heures après le dépôt
de la motion de censure.
Lorsqu'une motion de censure est adoptée à la majorité des deux tiers des députés, le Président de la
République accepte la démission du Gouvernement présenté par le Premier ministre.
84






Page 750
Article 63 (Modifié par la loi constitutionnelle n°88-88 du 25 juillet 1988).
En cas d'adoption par la Chambre des députés d'une deuxième motion de censure à la majorité des
deux tiers pendant la même législature, le Président de la République peut soit accepter la démission
du Gouvernement, soit dissoudre la Chambre des députés.
Le décret portant dissolution de la Chambre des députés doit comporter convocation des électeurs pour
de nouvelles élections dans un délai maximum de trente jours.
En cas de dissolution prononcée dans les conditions de l'alinéa premier du présent article, le Président
de la République peut prendre des décrets-lois qui doivent être soumis par la suite à la ratification de la
Chambre des députés « et de la Chambre des conseillers selon le cas »
2659.
La chambre, nouvellement élue, se réunit de plein droit dans les huit jours qui suivent la proclamation
des résultats du scrutin.
CHAPITRE IV
LE POUVOIR JUDICIAIRE
Article 64
Les jugements sont rendus au nom du peuple et exécutés au nom du Président de la République.
Article 65
L'autorité judiciaire est indépendante; les magistrats ne sont soumis, dans l'exercice de leurs fonctions,
qu'à l'autorité de la loi.
Article 66
Les magistrats sont nommés par décret du Président de la République sur proposition du conseil
supérieur de la magistrature. Les modalités de leur recrutement sont fixées par la loi.
Article 67
Le conseil supérieur de la magistrature, dont la composition et les attributions sont fixées par la loi,
veille au respect des garanties accordées aux magistrats en matière de nomination, d'avancement, de
mutation et de discipline.
CHAPITRE V
LA HAUTE COUR
Article 68
La Haute cour se constitue en cas de haute trahison commise par un membre du gouvernement. La
compétence et la composition de la Haute cour ainsi que la procédure applicable devant elle sont
fixées par la loi.
2659 Ajouté par l’article 4 de la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002.
85








Page 751
CHAPITRE VI
LE CONSEIL D'ETAT
Article 69 (Modifié par la loi constitutionnelle n°97-65 du 27 octobre 1997).
Le Conseil d'Etat se compose de deux organes:
1 – le Tribunal administratif,
2 – la Cour des comptes.
La loi détermine l'organisation du Conseil d'Etat et de ses deux organes, et fixe la compétence et la
procédure applicable devant ces organes.
CHAPITRE VII
LE CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL
Article 70
Le Conseil économique et social est un organe consultatif en matière économique et sociale. Sa
composition et ses rapports avec la Chambre des députés « et la Chambre des conseillers »
2660 sont
fixés par la loi.
CHAPITRE VIII
LES COLLECTIVITES LOCALES
Article 71 (Modifié par la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002).
Les conseils municipaux, les conseils régionaux et les structures auxquelles la loi confère la qualité de
collectivité locale gèrent les affaires locales dans les conditions prévues par la loi.
CHAPITRE IX2661
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Article 72 (Le paragraphe 4 a été ajouté par l’article 2 de la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er
juin 2002).
Le Conseil Constitutionnel examine les projets de loi qui lui sont soumis par le Président de la
République quant à leur conformité ou leur comptabilité avec la Constitution. La saisine du Conseil est
obligatoire pour les projets de lois organiques, les projets de loi prévus à l'article 47 de la Constitution,
ainsi que les projets de lois relatifs aux modalités générales d'application de la Constitution, à la
nationalité, à l'état des personnes, aux obligations, à la détermination des crimes et délits et aux peines
2660 Ajouté par l’article 4 de la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002.
2661 Le chapitre IX a été ajouté par la loi constitutionnelle n°95-90 du 6 novembre 1995.
86










Page 752
qui leur sont applicables, à la procédure devant les différents ordres de juridictions, à l'amnistie, ainsi
qu'aux principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels, de l'enseignement, de la
santé publique, du droit du travail et de la sécurité sociale.
De même, le Président de la République soumet obligatoirement, au Conseil Constitutionnel les traités
visés à l'article 2 de la Constitution.
Il peut également lui soumettre toutes questions touchant l'organisation et le fonctionnement des
institutions.
Le Conseil constitutionnel statue sur les recours concernant l’élection des membres de la Chambre des
députés et de la Chambre des conseillers. Il contrôle la régularité des opérations de référendum et en
proclame les résultats. La loi électorale fixe les procédures prévues en la matière.
Article 73
Les projets du Président de la République sont soumis au Conseil Constitutionnel avant leur
transmission à la Chambre des Députés ou leur soumission à référendum.
Le Président de la République soumet au Conseil Constitutionnel, durant le délai de promulgation et
de publication prévu à l'article 52 de la Constitution, les modifications concernant le fond apportées
aux projets de lois adoptés par la Chambre des Députés et qui ont été précédemment soumis au
Conseil constitutionnel conformément aux dispositions du présent article. Il en informe le Président de
la Chambre des Députés.
Dans ce cas, le délai précité est interrompu jusqu'à communication au Président de la République de
l'avis du Conseil Constitutionnel, sans que l'interruption excède un mois.
Article 74 (Le paragraphe 3 a été ajouté par l’article 2 de la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er
juin 2002).
Le Président de la République soumet au Conseil Constitutionnel, après adoption, les projets de lois
proposés par les députés, dans les délais de promulgation et de publication prévus à l'article 52, dans
les cas où la saisine du Conseil est obligatoire en vertu de l'article 72. Il en informe le Président de la
Chambre des Députés.
Dans ce cas, il est fait application des dispositions du troisième alinéa de l'article 73.
Le règlement intérieur de la Chambre des députés et le règlement intérieur de la Chambre des
conseillers sont soumis au Conseil constitutionnel avant leur mise en application, et ce, afin
d’examiner leur conformité ou leur compatibilité avec la Constitution.
Article 75 (Modifié par la loi constitutionnelle n°98-76 du 2 novembre 1998 et par la loi
constitutionnelle n°2002-51 du 1
er juin 2002).2662
L'avis du Conseil constitutionnel doit être motivé. Il s’impose à tous les pouvoirs publics sauf s'il porte
sur les questions prévues au troisième paragraphe de l'article 72 de la Constitution.
Le Président de la République transmet à la Chambre des députés et à la Chambre des conseillers les
projets de lois examinés par le Conseil Constitutionnel, conformément aux dispositions du paragraphe
premier de l'article 73 de la Constitution, accompagnés d'une copie de l'avis du Conseil
constitutionnel.
2662 Le paragraphe 4 de l’article 5 de la loi constitutionnelle n°2002-51 du 1er juin 2002 dispose que « jusqu’à
la publication de la loi organique relative au Conseil constitutionnel et à la désignation de ses membres,
conformément aux dispositions de
les dispositions
la Constitution,
constitutionnelles actuelles concernant le Conseil constitutionnel demeurent en vigueur ».
l’article 75 (nouveau) de
87



Page 753
Le Président de la République transmet à la Chambre des députés une copie de l'avis du Conseil
constitutionnel dans les cas prévus par le deuxième alinéa de l'article 73 et le paragraphe premier de
l’article 74 de la Constitution.
Les décisions du Conseil constitutionnel en matière électorale sont définitives et ne sont susceptibles
d’aucun recours.
Le Conseil constitutionnel se compose de neuf membres ayant une compétence confirmée, et ce,
indépendamment de l’âge, dont quatre, y compris le président, sont désignés par le Président de la
République, et deux par le président de la Chambre des députés, et ce, pour une période de trois ans
renouvelable deux fois, et trois membres sont désignés ès qualité : le premier président de la Cour de
cassation, le premier président du Tribunal administratif et le premier président de la Cour des
comptes.
Les membres du Conseil constitutionnel ne peuvent pas exercer des fonctions gouvernementales ou
parlementaires. Ils ne peuvent pas non plus assumer des fonctions de direction politique ou syndicale
ou exercer des activités susceptibles de porter atteinte à leur neutralité ou à leur indépendance. La loi
fixe, le cas échéant, les autres cas de non cumul.
La loi fixe, en outre, les garanties dont bénéficient les membres du Conseil constitutionnel et qui sont
nécessaires pour l’exercice de leurs fonctions, ainsi que les règles de fonctionnement et les procédures
du Conseil constitutionnel.
CHAPITRE X
REVISION DE LA CONSTITUTION
Article 76 (Modifié par la loi constitutionnelle n°97-65 du 27 octobre 1997).
L'initiative de révision de la constitution appartient au Président de la République ou au tiers au moins
des membres de la Chambre des députés, sous réserve qu'elle ne porte pas atteinte à la forme
républicaine de l'Etat.
Le Président de la République peut soumettre les projets de révision de la constitution au référendum.
Article 77 (Modifié par la loi constitutionnelle n°97-65 du 27 octobre 1997).
La chambre des députés délibère sur la révision proposée à la suite d'une résolution prise à la majorité
absolue, après détermination de l'objet de la révision et son examen par une commission ad hoc.
En cas de recours au référendum, le Président de la République soumet le projet de révision de la
constitution au peuple après son adoption par la Chambre des députés à la majorité absolue de ses
membres au cours d'une seule lecture.
Article 78 (Modifié par la loi constitutionnelle n°97-65 du 27 octobre 1997).
Le Président de la République promulgue sous forme de loi constitutionnelle la loi portant révision de
la Constitution adoptée par la Chambre des députés, conformément à l'article 52 de la Constitution.
Le Président de la République promulgue sous forme de loi constitutionnelle la loi portant révision de
la Constitution approuvée par le peuple, dans un délai ne dépassant pas les quinze jours qui suivent la
date de proclamation des résultats du référendum.
La loi électorale fixe les modalités de déroulement du référendum et de proclamation des résultats.
La présente loi sera exécutée comme Constitution de la République Tunisienne.
88





Page 754
Fait au palais du Bardo le 1er juin 1959 (25 doul kaâda 1378).
Le Président de République Tunisienne
HABIB BOURGUIBA
La Constitution du 27 janvier 2014
Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
Préambule,
Nous, représentants du peuple tunisien, membres de l’Assemblée nationale constituante;
Fiers du combat de notre peuple pour l’indépendance, l’édification de l’État et la délivrance de la
tyrannie, et en réponse à sa libre volonté. En vue de réaliser les objectifs de la Révolution de la liberté
et de la dignité, Révolution du 17 décembre 2010 - 14 janvier 2011, fidèles au sang versé par nos
braves martyrs et aux sacrifices des Tunisiens et Tunisiennes au fil des générations et rompant avec
l’oppression, l’injustice et la corruption ;
Exprimant l’attachement de notre peuple aux enseignements de l’Islam et à ses finalités
caractérisés par l’ouverture et la tolérance, ainsi qu’aux valeurs humaines et aux principes universels et
supérieurs des droits de l’Homme. S’inspirant de notre patrimoine civilisationnel tel qu’il résulte de la
succession des différentes étapes de notre histoire et des mouvements réformistes éclairés qui reposent
sur les fondements de notre identité arabe et islamique et sur l’acquis civilisationnel de l’humanité,
attachés aux acquis nationaux réalisés par notre peuple ;
En vue d’édifier un régime républicain démocratique et participatif, dans le cadre d’un État
civil dans lequel la souveraineté appartient au peuple, par l’alternance pacifique au pouvoir à travers
des élections libres et sur le fondement du principe de la séparation des pouvoirs et de leur équilibre,
un régime dans lequel le droit de s’organiser reposant sur le pluralisme , la neutralité de
l’administration et la bonne gouvernance, constitue le fondement de la compétition politique, un
régime dans lequel l’État garantit la primauté de la loi, le respect des libertés et des droits de
l’Homme, l’indépendance de la justice, l’égalité de tous les citoyens et citoyennes en droits et en
devoirs et l’équité entre les régions ;
Considérant le statut de l’Homme en tant qu’être doué de dignité et en vue de consolider notre
appartenance culturelle et civilisationnelle à l’Ummah arabe et islamique, en se basant sur l’unité
nationale fondée sur la citoyenneté, la fraternité, l’entraide et la justice sociale, et en vue de consolider
l’unité du Maghreb, en tant qu’étape vers la réalisation de l’unité arabe, la complémentarité avec les
peuples musulmans et africains et la coopération avec les peuples du monde, en vue de défendre les
opprimés en tout lieu et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ainsi que la juste cause de tous
les mouvements de libération, à leur tête le mouvement de libération de la Palestine, et en vue de
combattre toutes les formes d’occupation et de racisme ;
Conscients de la nécessité de contribuer à la protection du milieu naturel et d’un
environnement sain, propre à garantir la pérennité de nos ressources naturelles et la permanence d’une
vie paisible aux générations futures; concrétisant la volonté du peuple d’être créateur de sa propre
histoire, convincus que la science, le travail et la créativité sont des valeurs humaines supérieures,
visant l’excellence et aspirant à offrir son apport à la civilisation, et ce, sur la base de l’indépendance
de la décision nationale, de la paix dans le monde et de la solidarité humaine ;
Arrêtons, au nom du peuple et par la grâce de Dieu, la présente Constitution.
89








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Chapitre premier
Des principes généraux
Article premier :
La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue
et la République son régime.
Le présent article ne peut faire l’objet de révision.
Article 2 :
La Tunisie est un État civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du
droit.
Le présent article ne peut faire l’objet de révision.
Article 3 :
Le peuple est le titulaire de la souveraineté et la source des pouvoirs. Il les exerce à travers ses
représentants élus ou par voie de référendum.
Article 4 :
Le drapeau de la République tunisienne est rouge, en son milieu figure un disque blanc
comportant une étoile rouge à cinq branches entourée d’un croissant rouge, conformément à ce qui est
prévu par la loi.
L’hymne national de la République tunisienne est «Humat Al-Hima». II est fixé par loi.
La devise de la République tunisienne est « Liberté, Dignité, Justice, Ordre ».
Article 5 :
La République tunisienne constitue une partie du Maghreb arabe. Elle œuvre pour son unité et
prend toutes les mesures pour sa concrétisation.
Article 6 :
L’État protège la religion, garantit la liberté de croyance, de conscience et de l’exercice des
cultes. Il assure la neutralité des mosquées et des lieux de culte de l’exploitation partisane.
L’État s’engage à diffuser les valeurs de modération et de tolérance et à protéger le sacré et
empêcher qu’on y porte atteinte. Il s’engage également à prohiber et empêcher les accusations
d’apostasie, ainsi que l’incitation à la haine et à la violence et à les juguler.
Article 7 :
La famille est la cellule de base de la société. Il incombe à l’État de la protéger.
Article 8 :
La jeunesse est une force active dans la construction de la patrie.
L’État assure les conditions propices au développement des capacités de la jeunesse et à la
mise en œuvre de ses potentialités. Il encourage les jeunes à assurer leurs responsabilités et à élargir
leur contribution au développement social, économique, culturel et politique.
Article 9 :
La préservation de l’unité nationale et la défense de son intégrité constituent un devoir sacré
pour tous les citoyens. Le service national est obligatoire conformément aux formes et conditions
prévues par la loi.
Article 10 :
L’acquittement de l’impôt et la contribution aux charges publiques, conformément à un
système juste et équitable, constituent un devoir.
L’État met en place les mécanismes propres à garantir le recouvrement de l’impôt et la lutte
contre l’évasion et la fraude fiscales.
90













Page 756
Il veille à la bonne gestion des deniers publics et prend les mesures nécessaires pour les
utiliser conformément aux priorités de l’économie nationale. Il agit en vue d’empêcher la corruption et
tout ce qui est de nature à porter atteinte à la souveraineté nationale.
Article 11 :
Toute personne investie des fonctions de Président de la République, de Chef du
Gouvernement, de membre du Gouvernement, de membre de l’Assemblée des représentants du
peuple, de membre des instances constitutionnelles indépendantes ou de toute autre fonction
supérieure doit déclarer ses biens, conformément à ce qui est prévu par la loi.
Article 12 :
L’État agit en vue d’assurer la justice sociale, le développement durable et l’équilibre entre les
régions, en tenant compte des indicateurs de développement et du principe de l’inégalité
compensatrice. Il assure également l’exploitation rationnelle des ressources nationales.
Article 13 :
Les ressources naturelles appartiennent au peuple tunisien. L’État y exerce sa souveraineté en
son nom.
Les accords d’investissement relatifs à ces ressources sont soumis à la commission spéciale de
l’Assemblée des représentants du peuple. Les conventions y afférentes sont soumises à l’approbation
de l’Assemblée.
Article 14 :
L’État s’engage à renforcer la décentralisation et à la mettre en œuvre sur l’ensemble du
territoire national, dans le cadre de l’unité de l’État.
Article 15 :
L’Administration publique est au service du citoyen et de l’intérêt général. Elle est organisée
et agit conformément aux principes de neutralité, d’égalité et de continuité du service public, et
conformément aux règles de transparence, d’intégrité, d’efficience et de redevabilité.
Article 16 :
L’État garantit la neutralité des institutions éducatives de l’exploitation partisane.
Article 17 :
L’État seul est habilité à créer des forces armées et des forces de sûreté intérieure,
conformément à la loi et au service de l’intérêt général.
Article 18 :
L’Armée nationale est une armée républicaine. Elle constitue une force militaire armée fondée
sur la discipline et composée et organisée conformément à la loi. Il lui incombe de défendre la nation,
d’assurer son indépendance et son intégrité territoriale. Elle est assujettie à une neutralité totale.
L’armée nationale apporte son concours aux autorités civiles dans les conditions fixées par la loi.
Article 19 :
La sûreté nationale est républicaine; ses forces sont chargées de maintenir la sécurité et l’ordre
public, de protéger les individus, les institutions et les biens, et d’exécuter la loi dans le respect des
libertés et de la neutralité totale.
Article 20 :
Les conventions approuvées par le Parlement et ratifiées sont supérieures aux lois et
inférieures à la Constitution.
91














Page 757
Chapitre II
Des droits et libertés
Article 21 :
Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi
sans discrimination.
L’État garantit aux citoyens et aux citoyennes les libertés et les droits individuels et collectifs.
Il leur assure les conditions d’une vie digne.
Article 22 :
Le droit à la vie est sacré. Il ne peut y être porté atteinte, sauf dans des cas extrêmes fixés par
la loi.
Article 23 :
L’État protège la dignité de l’être humain et son intégrité physique et interdit la torture morale
ou physique. Le crime de torture est imprescriptible.
Article 24 :
L’État protège la vie privée, l’inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, des
communications et des données personnelles.
Tout citoyen dispose de la liberté de choisir son lieu de résidence et de circuler à l’intérieur du
territoire ainsi que du droit de le quitter.
Article 25 :
Aucun citoyen ne peut être déchu de la nationalité tunisienne, ni être exilé ou extradé, ni
empêché de revenir dans son pays.
Article 26 :
Le droit d’asile politique est garanti conformément à ce qui est prévu par la loi; il est interdit
d’extrader les personnes qui bénéficient de l’asile politique.
Article 27 :
Tout inculpé est présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité, au cours d’un
procès équitable qui lui assure toutes les garanties nécessaires à sa défense en cours de poursuite et
lors du procès.
Article 28 :
La peine est personnelle et ne peut être prononcée qu’en vertu d’un texte de loi antérieur,
hormis le cas d’un texte plus favorable à l’inculpé.
Article 29 :
Aucune personne ne peut être arrêtée ou détenue, sauf en cas de flagrant délit ou en vertu
d’une décision judiciaire. Elle est immédiatement informée de ses droits et de l’accusation qui lui est
adressée. Elle a le droit de se faire représenter par un avocat. La durée de l’arrestation ou de la
détention est fixée par loi.
Article 30 :
Tout détenu a droit à un traitement humain qui préserve sa dignité. L’État prend en
considération l’intérêt de la famille et veille, lors de l’exécution des peines privatives de liberté, à la
réhabilitation du détenu et à sa réinsertion dans la société.
Article 31 :
Les libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication sont garanties.
Aucun contrôle préalable ne peut être exercé sur ces libertés.
92














Page 758
Article 32 :
L’État garantit le droit à l’information et le droit d’accès à l’information.
L’État œuvre en vue de garantir le droit d’accès aux réseaux de communication.
Article 33 :
Les libertés académiques et la liberté de la recherche scientifique sont garanties.
L’État assure les ressources nécessaires au progrès de la recherche scientifique et
technologique.
Article 34 :
Les droits d’élire, de voter et de se porter candidat sont garantis conformément à ce qui est
prévu par la loi.
L’État veille à garantir la représentativité de la femme dans les assemblées élues.
Article 35 :
La liberté de constituer des partis politiques, des syndicats et des associations est garantie.
Les partis politiques, les syndicats et les associations s’engagent dans leurs statuts et leurs
activités à respecter les dispositions de la Constitution et de la loi, ainsi que la transparence financière
et le rejet de la violence.
Article 36 :
Le droit syndical, y compris le droit de grève, est garanti.
Ce droit ne s’applique pas à l’Armée nationale.
Le droit de grève ne s’applique pas aux forces de sécurité intérieure et à la douane.
Article 37 :
La liberté de réunion et de manifestation pacifiques est garantie.
Article 38 :
Tout être humain a droit à la santé.
L’État garantit la prévention et les soins de santé à tout citoyen et assure les moyens
nécessaires à la sécurité et à la qualité des services de santé.
L’État garantit la gratuité des soins pour les personnes sans soutien ou ne disposant pas de
ressources suffisantes. Il garantit le droit à une couverture sociale conformément à ce qui est prévu par
la loi.
Article 39 :
L’instruction est obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans.
L’État garantit le droit à l’enseignement public et gratuit à tous ses niveaux. Il veille à mettre
les moyens nécessaires au service d’une éducation, d’un enseignement et d’une formation de qualité.
L’État veille également à l’enracinement des jeunes générations dans leur identité arabe et islamique et
leur appartenance nationale. Il veille à la consolidation de la langue arabe, sa promotion et sa
généralisation. Il encourage l’ouverture sur les langues étrangères et les civilisations. Il veille à la
diffusion de la culture des droits de l’Homme.
Article 40 :
Tout citoyen et toute citoyenne a droit au travail. L’État prend les mesures nécessaires afin de
le garantir sur la base du mérite et de l’équité.
Tout citoyen et toute citoyenne a droit au travail dans des conditions favorables et avec un
salaire équitable.
Article 41 :
Le droit de propriété est garanti, il ne peut y être porté atteinte que dans les cas et avec les
garanties prévus par la loi.
La propriété intellectuelle est garantie.
93











Page 759
Article 42 :
Le droit à la culture est garanti.
La liberté de création est garantie. L’État encourage la créativité culturelle et soutient la
culture nationale dans son enracinement, sa diversité et son renouvellement, en vue de consacrer les
valeurs de tolérance, de rejet de la violence, d’ouverture sur les différentes cultures et de dialogue
entre les civilisations.
L’État protège le patrimoine culturel et en garantit le droit au profit des générations futures.
Article 43 :
L’État encourage le sport et s’emploie à fournir les moyens nécessaires à l’exercice des
activités sportives et de loisir.
Article 44 :
Le droit à l’eau est garanti.
Il est du devoir de l’État et de la société de préserver l’eau et de veiller à la rationalisation de
son exploitation.
Article 45 :
L’État garantit le droit à un environnement sain et équilibré et contribue à la protection du
milieu. Il incombe à l’État de fournir les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution de
l’environnement.
Article 46 :
L’État s’engage à protéger les droits acquis de la femme et veille à les consolider et les
promouvoir.
L’État garantit l’égalité des chances entre l’homme et la femme pour l’accès aux diverses
responsabilités et dans tous les domaines.
L’État s’emploie à consacrer la parité entre la femme et l’homme dans les assemblées élues.
L’État prend les mesures nécessaires en vue d’éliminer la violence contre la femme.
Article 47 :
La dignité, la santé, les soins, l’éducation et l’instruction constituent des droits garantis à
l’enfant par son père et sa mère et par l’État. L’État doit assurer aux enfants toutes les formes de
protection sans discrimination et conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Article 48 :
L’État protège les personnes handicapées contre toute discrimination.
Tout citoyen handicapé a droit, en fonction de la nature de son handicap, de bénéficier de
toutes les mesures propres à lui garantir une entière intégration au sein de la société, il incombe à
l’État de prendre toutes les mesures nécessaires à cet effet.
Article 49 :
Sans porter atteinte à leur substance, la loi fixe les restrictions relatives aux droits et libertés
garantis par la Constitution et à leur exercice. Ces restrictions ne peuvent être établies que pour
répondre aux exigences d’un État civil et démocratique, et en vue de sauvegarder les droits d’autrui ou
les impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale, de la santé publique ou de la moralité
publique tout en respectant la proportionnalité entre ces restrictions et leurs justifications. Les
instances juridictionnelles assurent la protection des droits et libertés contre toute atteinte.
Aucune révision ne peut porter atteinte aux acquis en matière de droits de l’Homme et de
libertés garantis par la présente Constitution.
94












Page 760
Chapitre III
Du pouvoir législatif
Article 50 :
Le peuple exerce le pouvoir législatif à travers ses représentants à l'Assemblée des
représentants du peuple ou par voie de référendum.
Article 51 :
Le siège de l’Assemblée des représentants du peuple est fixé à la capitale, Tunis. L’Assemblée
peut, dans les circonstances exceptionnelles, tenir ses séances en tout autre lieu du territoire de la
République.
Article 52 :
L’Assemblée des représentants du peuple jouit de l’autonomie administrative et financière
dans le cadre du budget de l’État.
L’Assemblée des représentants du peuple établit son règlement intérieur et l’adopte à la
majorité absolue de ses membres.
L’État met à la disposition de l’Assemblée les ressources humaines et matérielles nécessaires
au député pour le bon exercice de ses fonctions.
Article 53 :
La candidature à la députation à l’Assemblée des représentants du peuple est un droit à tout
électeur de nationalité tunisienne depuis dix ans au moins, âgé d’au moins vingt-trois ans révolus, le
jour de la présentation de sa candidature, et ne faisant l’objet d’aucune mesure d’interdiction prévue
par la loi.
Article 54 :
Est électeur tout citoyen de nationalité tunisienne, âgé de dix-huit ans révolus et remplissant
les conditions fixées par la loi électorale.
Article 55 :
Les membres de l'Assemblée des représentants du peuple sont élus au suffrage universel, libre,
direct, secret, honnête et transparent, conformément à la loi électorale.
La loi électorale garantit le droit de vote et la représentation des Tunisiens à l'étranger au sein
de l'Assemblée des représentants du peuple.
Article 56 :
L’Assemblée des représentants du peuple est élue pour un mandat de cinq ans au cours des
soixante derniers jours de la législature.
Au cas où les élections ne pourraient avoir lieu en raison d’un péril imminent, le mandat de
l’Assemblée est prorogé par loi.
Article 57 :
L’Assemblée des représentants du peuple se réunit en session ordinaire débutant au cours du
mois d’octobre de chaque année et prenant fin au cours du mois de juillet, toutefois la première session
de la législature de l’Assemblée des représentants du peuple débute dans un délai maximum de quinze
jours à compter de la proclamation des résultats définitifs des élections, sur convocation du Président
de l’Assemblée sortante.
Dans le cas où le début de la première session de la législature coïncide avec les vacances de
l’Assemblée des représentants du peuple, une session extraordinaire est ouverte, jusqu’à l’octroi de
confiance au Gouvernement.
L’Assemblée des représentants du peuple se réunit en session extraordinaire au cours des
vacances parlementaires, à la demande du Président de la République ou du Chef du Gouvernement ou
du tiers de ses membres, pour examiner un ordre du jour déterminé.
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Page 761
Article 58 :
Chaque membre de l’Assemblée des représentants du peuple prête, lors de la prise de ses
fonctions, le serment suivant : «Je jure par Dieu Tout-Puissant de servir la patrie avec dévouement, de
respecter les dispositions de la Constitution et d’être totalement loyal envers la Tunisie ».
Article 59 :
Lors de sa première séance, l’Assemblée des représentants du peuple élit un Président parmi
ses membres.
L’Assemblée des représentants du peuple constitue des commissions permanentes et des
commissions spéciales. La composition et la répartition des responsabilités au sein de ces commissions
se font sur la base de la représentation proportionnelle.
L'Assemblée des représentants du peuple peut constituer des commissions d’enquête. Toutes
les autorités doivent les aider dans l’exercice de leurs attributions.
Article 60 :
L'opposition est une composante principale de l'Assemblée des représentants du peuple. Elle
jouit des droits lui permettant de mener à bien ses fonctions dans le cadre de l'action parlementaire et
lui garantissant la représentativité adéquate et effective dans tous les organes de l’Assemblée ainsi que
dans ses activités internes et externes. La présidence de la commission des finances et le poste de
rapporteur de la commission des relations extérieures lui reviennent de droit. Il lui revient également,
une fois par an, de constituer et présider une commission d’enquête. Il lui incombe de participer
activement et de façon constructive au travail parlementaire.
Article 61 :
Le vote au sein de l’Assemblée est personnel et ne peut être délégué.
Article 62 :
L’initiative des lois est exercée par des propositions de loi émanant de dix députés au moins
ou par des projets de loi émanant du Président de la République ou du Chef du Gouvernement.
Le Chef du Gouvernement est seul habilité à présenter les projets de loi d'approbation des
traités et les projets de loi de finances.
Les projets de loi ont la priorité.
Article 63 :
Les propositions de loi ou d'amendement présentées par les députés ne sont pas recevables si
leur adoption porte atteinte aux équilibres financiers de l'État établis par les lois de finances.
Article 64 :
L'Assemblée des représentants du peuple adopte les projets de loi organique à la majorité
absolue de ses membres et les projets de loi ordinaire à la majorité des membres présents, à condition
que cette majorité ne soit pas inférieure au tiers des membres de l’Assemblée.
Le projet de loi organique ne peut être soumis à la délibération en séance plénière de
l'Assemblée des représentants du peuple qu’à l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt
auprès de la commission compétente.
Article 65 :
Sont pris sous forme de loi ordinaire, les textes relatifs :
- à la création de catégories d’établissements publics et d’entreprises publiques ainsi qu’aux
procédures de leur cession ;
- à la nationalité ;
- aux obligations civiles et commerciales ;
- aux procédures devant les différentes catégories de juridictions ;
- à la détermination des crimes et délits et aux peines qui leur sont applicables, ainsi qu’aux
contraventions sanctionnées par une peine privative de liberté ;
- à l’amnistie générale ;
96









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- à la détermination de l’assiette des impôts et contributions, de leurs taux et des procédures de
leur recouvrement ;
- au régime d’émission de la monnaie ;
- aux emprunts et aux engagements financiers de l’État ;
- à la détermination des emplois supérieurs ;
- à la déclaration du patrimoine ;
- aux garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires ;
- au régime de ratification des traités ;
- aux lois de finances, de règlement du budget et d’approbation des plans de développement ;
- aux principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels et de
l’enseignement, de la recherche scientifique, de la culture, de la santé publique, de l’environnement, de
l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, de l’énergie, du droit du travail et de la sécurité sociale.
Sont pris sous forme de loi organique, les textes relatifs aux matières suivantes :
- l’approbation des traités ;
- l’organisation de la justice et de la magistrature ;
- l’organisation de l’information, de la presse et de l’édition ;
- l’organisation des partis politiques, des syndicats, des associations, des organisations et des
ordres professionnels ainsi que leur financement ;
- l’organisation de l’Armée nationale ;
- l’organisation des forces de sécurité intérieure et de la douane ;
- la loi électorale ;
- la prorogation du mandat de l’Assemblée des représentants du peuple conformément aux
dispositions de l’article 56 ;
- la prorogation du mandat présidentiel conformément aux dispositions de l’article 75 ;
- les libertés et les droits de l’Homme ;
- le statut personnel ;
- les devoirs fondamentaux de la citoyenneté ;
- le pouvoir local ;
- l'organisation des instances constitutionnelles ;
- la loi organique du budget.
Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi relèvent du domaine du pouvoir
réglementaire général.
Article 66 :
La loi autorise les recettes et les dépenses de l’État conformément aux conditions prévues par
la loi organique du budget.
L’Assemblée des représentants du peuple adopte les projets de loi de finances et de règlement
du budget, conformément aux conditions prévues par la loi organique du budget.
Le projet de loi de finances est soumis à l’Assemblée au plus tard le 15 octobre. Il est adopté
au plus tard le 10 décembre.
Dans les deux jours qui suivent son adoption, le Président de la République peut renvoyer le
projet à l’Assemblée pour une deuxième lecture. Dans ce cas, l’Assemblée se réunit pour un deuxième
examen dans les trois jours qui suivent l'exercice du droit de renvoi.
Dans les trois jours qui suivent l’adoption de la loi par l’Assemblée en deuxième lecture, après
renvoi ou après l’expiration des délais de renvoi sans qu’il ait été exercé, les parties visées au 1er tiret
de l’article 120, peuvent intenter un recours en inconstitutionnalité contre les dispositions de la loi de
finances, devant la Cour constitutionnelle qui statue dans un délai n’excédant pas les cinq jours qui
suivent le recours.
Si la Cour constitutionnelle déclare l'inconstitutionnalité, elle transmet sa décision au Président
de la République, qui la transmet à son tour au Président de l’Assemblée des représentants du peuple,
le tout dans un délai ne dépassant pas deux jours, à compter de la date de la décision de la Cour.
L’Assemblée adopte le projet dans les trois jours, à compter de la réception de la décision de la Cour
constitutionnelle.
Si la constitutionalité du projet est confirmée ou si le projet est adopté en seconde lecture après
renvoi ou si les délais de renvoi et de recours pour inconstitutionnalité ont expiré sans qu’il y ait
97



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exercice de l’un d’eux, le Président de la République promulgue le projet de loi de finances dans un
délai de deux jours. Dans tous les cas, la promulgation intervient au plus tard le 31 décembre.
Si à la date du 31 décembre le projet de loi de finances n’a pas été adopté, il peut être mis en
vigueur, en ce qui concerne les dépenses, par tranches trimestrielles renouvelables, et ce, par décret
présidentiel. Les recettes sont perçues conformément aux lois en vigueur.
Article 67 :
Sont soumis à l’approbation de l’Assemblée des représentants du peuple, les traités
commerciaux et ceux relatifs à l’organisation internationale, aux frontières de l’État, aux engagements
financiers de l’État, à l’état des personnes, ou portant des dispositions à caractère législatif.
Les traités n’entrent en vigueur qu’après leur ratification.
Article 68 :
Aucune poursuite judiciaire civile ou pénale ne peut être engagée contre un membre de
l’Assemblée des représentants du peuple, ni celui-ci être arrêté ou jugé, en raison d’opinions ou de
propositions émises ou d’actes accomplis en rapport avec ses fonctions parlementaires.
Article 69 :
Si un député se prévaut par écrit de son immunité pénale, il ne peut être ni poursuivi, ni arrêté
durant son mandat, dans le cadre d’une accusation pénale, tant que son immunité n’a pas été levée.
Toutefois, en cas de flagrant délit, il peut être procédé à son arrestation, le Président de
l’Assemblée est informé sans délai et il est mis fin à la détention si le bureau de l’Assemblée le
requiert.
Article 70 :
En cas de dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple, le Président de la
République peut prendre, en accord avec le Chef du Gouvernement, des décrets-lois qui seront soumis
à l’approbation de l’Assemblée au cours de la session ordinaire suivante.
L’Assemblée des représentants du peuple peut, au trois-cinquième de ses membres, habiliter
par une loi, le Chef du Gouvernement, pour une période ne dépassant pas deux mois et, en vue d’un
objectif déterminé, à prendre des décrets-lois, dans le domaine relevant de la loi. À l’expiration de
cette période, ces décrets-lois sont soumis à l’approbation de l’Assemblée.
Le régime électoral est excepté du domaine des décrets-lois.
Chapitre IV
Du pouvoir exécutif
Article 71 :
Le pouvoir exécutif est exercé par le Président de la République et un Gouvernement présidé
par le Chef du Gouvernement.
Section première - Du Président de la République
Article 72 :
Le Président de la République est le Chef de l'État et le symbole de son unité. Il garantit son
indépendance et sa continuité et veille au respect de la Constitution.
Article 73 :
Le siège officiel de la présidence de la République est fixé à la capitale, Tunis. Il peut être,
dans les circonstances exceptionnelles, transféré en tout autre lieu du territoire de la République.
Article 74 :
La candidature à la présidence de la République est un droit pour toute électrice ou tout
électeur de nationalité tunisienne par la naissance et de confession musulmane.
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Le candidat doit être âgé de 35 ans au moins au jour du dépôt de sa candidature. S’il est
titulaire d’une nationalité autre que la nationalité tunisienne, il doit inclure dans son dossier de
candidature, un engagement de renoncer à l’autre nationalité dès après la proclamation de son élection
en tant que Président de la République.
Le candidat est présenté par un nombre de membres de l’Assemblée des représentants du
peuple, de présidents de conseils de collectivités locales élues ou d’électeurs inscrits, et ce,
conformément à la loi électorale.
Article 75 :
Le Président de la République est élu au cours des soixante derniers jours du mandat
présidentiel, pour un mandat de cinq ans au suffrage universel, libre, direct, secret, honnête et
transparent et à la majorité absolue des suffrages exprimés.
Dans le cas où la majorité absolue n’est obtenue par aucun candidat au premier tour du scrutin,
il est procédé à un second tour au cours des deux semaines qui suivent la proclamation des résultats
définitifs du premier tour. Les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix au premier
tour se présentent au second tour.
En cas de décès de l'un des candidats pour le premier tour ou de l’un des deux candidats pour
le second tour, il est procédé à la réouverture des candidatures, avec de nouvelles dates pour les
élections, dans un délai n’excédant pas les quarante-cinq jours. Le retrait de candidature au premier
tour ou au deuxième tour n’est pas pris en compte.
En cas d’impossibilité de procéder aux élections à la date fixée pour cause de péril imminent,
le mandat Présidentiel est prorogé par loi.
Nul ne peut exercer les fonctions de Président de la République pour plus de deux mandats
entiers, successifs ou séparés. En cas de démission, le mandat en cours est considéré comme un
mandat présidentiel entier.
Aucun amendement ne peut augmenter en nombre ou en durée les mandats présidentiels.
Article 76 :
Le Président de la République élu prête devant l’Assemblée des représentants du peuple le
serment suivant : « Je jure par Dieu Tout-Puissant de sauvegarder l'indépendance de la Tunisie et
l'intégrité de son territoire, de respecter sa Constitution et ses lois, de veiller à ses intérêts et de lui être
loyal».
Le Président de la République ne peut cumuler ses fonctions avec aucune autre responsabilité
partisane.
Article 77 :
Le Président de la République représente l’État. Il lui appartient de déterminer les politiques
générales dans les domaines de la défense, des relations étrangères et de la sécurité nationale relative à
la protection de l’État et du territoire national des menaces intérieures et extérieures, et ce, après
consultation du Chef du Gouvernement.
Il est également habilité à :
- dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple dans les cas prévus par la Constitution.
Toutefois, l’Assemblée ne peut être dissoute pendant les six mois qui suivent le vote de confiance du
premier Gouvernement après les élections législatives ou pendant les six derniers mois du mandat
présidentiel ou de la législature ;
- présider le Conseil de la sécurité nationale auquel doivent être convoqués le Chef du
Gouvernement et le Président de l’Assemblée des représentants du peuple ;
- assurer le haut commandement des forces armées ;
- déclarer la guerre et conclure la paix après approbation de l’Assemblée des représentants du
peuple à la majorité des trois-cinquième de ses membres et envoyer des troupes à l’étranger après
l’accord du Président de l’Assemblée des représentants du peuple et du Chef du Gouvernement.
L’Assemblée doit se réunir pour en délibérer dans un délai ne dépassant pas les soixante jours à partir
de la date de la décision d’envoi des troupes ;
- prendre les mesures qu’impose l’état d’exception et les proclamer conformément à l’article
80 ;
99





Page 765
- ratifier les traités et ordonner leur publication ;
- décerner les décorations ;
- accorder la grâce.
Article 78 :
Le Président de la République procède, par voie de décrets présidentiels :
- à la nomination du Mufti de la République tunisienne et met fin à ses fonctions ;
- aux nominations aux emplois supérieurs à la Présidence de la République et aux
établissements qui en relèvent et peut y mettre fin. Ces emplois supérieurs sont fixés par loi ;
- aux nominations aux emplois supérieurs militaires, diplomatiques et de la sûreté nationale et
peut y mettre fin, après consultation du Chef du Gouvernement. Ces emplois supérieurs sont fixés par
loi ;
- à la nomination du Gouverneur de la Banque centrale sur proposition du Chef du
Gouvernement et après approbation de la majorité absolue des membres de l’Assemblée des
représentants du peuple. Il est mis fin à ses fonctions selon les mêmes modalités ou à la demande du
tiers des membres de l'Assemblée des représentants du peuple et l’approbation de la majorité absolue
de ses membres.
Article 79 :
Le Président de la République peut s'adresser à l’Assemblée des représentants du peuple.
Article 80 :
En cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays
et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut
prendre les mesures qu’impose l’état d’exception, après consultation du Chef du Gouvernement, du
Président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le Président de la Cour
constitutionnelle. Il annonce ces mesures dans un message au peuple.
Ces mesures doivent avoir pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au
fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Durant cette période, l’Assemblée des représentants du
peuple est considérée en état de session permanente. Dans cette situation, le Président de la
République ne peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de
motion de censure contre le Gouvernement.
Trente jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, et à tout moment par la suite, la Cour
constitutionnelle peut être saisie, à la demande du Président de l’Assemblée des représentants du
peuple ou de trente de ses membres, pour statuer sur le maintien de l'état d'exception. La Cour
prononce sa décision en audience publique dans un délai n’excédant pas quinze jours.
Ces mesures prennent fin dès la cessation de leurs motifs. Le Président de la République
adresse à ce sujet un message au peuple.
Article 81 :
Le Président de la République promulgue les lois et ordonne leur publication au Journal
officiel de la République tunisienne, dans un délai n’excédant pas quatre jours à compter :
1. De l’expiration des délais de recours en inconstitutionnalité et de renvoi sans que l’un d’eux
ait été exercé ;
2. De l’expiration du délai de renvoi sans exercice de ce dernier, suite au prononcé d'une
décision de constitutionnalité ou dans le cas de transmission obligatoire du projet de loi au Président
de la République conformément aux dispositions du troisième paragraphe de l’article 121 ;
3. De l’expiration du délai de recours en inconstitutionnalité d’un projet de loi renvoyé par le
Président de la République et adopté par l’Assemblée dans une version amendée ;
4. De l’adoption sans amendement par l’Assemblée en seconde lecture et après renvoi, d’un
projet de loi n’ayant pas fait l'objet d’un recours en inconstitutionnalité à l'issue de la première
adoption ou ayant été déclaré conforme à la Constitution ou ayant été transmis obligatoirement au
Président de la République conformément aux dispositions du troisième paragraphe de l’article 121 ;
5. Du prononcé par la Cour d'une décision de constitutionnalité ou de la transmission
obligatoire du projet de loi au Président de la République conformément aux dispositions du troisième
100






Page 766
paragraphe de l’article 121, dans le cas où le projet a précédemment été renvoyé par le Président de la
République et a été adopté par l’Assemblée dans une version amendée.
À l’exception des projets de loi constitutionnelle, le Président de la République peut, en
motivant sa décision, renvoyer le projet à l’Assemblée pour une seconde lecture, dans un délai de 5
jours à compter :
1. De l’expiration du délai de recours en inconstitutionnalité sans exercice de ce dernier,
conformément aux dispositions 1er tiret de l’article 120 ;
2. Du prononcé d'une décision de constitutionnalité ou de la transmission obligatoire du projet
de loi au Président de la République, conformément aux dispositions du troisième paragraphe de
l’article 121, en cas de recours au sens des dispositions du 1er tiret de l’article 120.
Les projets de loi ordinaire sont adoptés, après renvoi, à la majorité absolue des membres de
l’Assemblée, les projets de loi organique sont adoptés à la majorité des trois-cinquième des membres.
Article 82 :
Exceptionnellement et au cours du délai de renvoi, le Président de la République peut décider
de soumettre au référendum les projets de loi adoptés par l’Assemblée des représentants du peuple
relatifs à l’approbation des traités internationaux, aux libertés et droits de l’Homme ou au statut
personnel. Le recours au référendum vaut renonciation au droit de renvoi.
Si le référendum aboutit à l’adoption du projet, le Président de la République le promulgue et
ordonne sa publication dans un délai n’excédant pas dix jours à compter de la date de proclamation des
résultats.
La loi électorale fixe les modalités du référendum et de proclamation de ses résultats.
Article 83 :
En cas d’empêchement provisoire d’exercer ses fonctions, le Président de la République peut
déléguer ses pouvoirs au Chef du Gouvernement pour une période n’excédant pas trente jours,
renouvelable une seule fois.
Le Président de la République informe le Président de l’Assemblée des représentants du
peuple de la délégation provisoire de ses pouvoirs.
Article 84 :
En cas de vacance provisoire de la fonction de Président de la République pour des motifs qui
rendent impossible la délégation de ses pouvoirs, la Cour constitutionnelle se réunit sans délai et
constate la vacance provisoire, le Chef du Gouvernement remplace le Président de la République. La
durée de la vacance provisoire ne peut excéder soixante jours.
Si la vacance provisoire excède les soixante jours ou en cas de présentation par le Président de
la République de sa démission écrite au Président de la Cour constitutionnelle, de décès ou
d’incapacité permanente ou pour tout autre motif de vacance définitive, la Cour constitutionnelle se
réunit sans délai, constate la vacance définitive et en informe le Président de l’Assemblée des
représentants du peuple qui est sans délai investi des fonctions de Président de la République par
intérim, pour une période de quarante-cinq jours au moins et de quatre-vingt-dix jours au plus.
Article 85 :
En cas de vacance définitive, le Président de la République par intérim prête le serment
constitutionnel devant l’Assemblée des représentants du peuple, et le cas échéant, devant le bureau de
l’Assemblée, ou devant la Cour constitutionnelle en cas de dissolution de l’Assemblée.
Article 86 :
Au cours de la vacance provisoire ou définitive, le Président de la République par intérim
exerce les fonctions présidentielles. Il ne peut prendre l’initiative d’une révision de la Constitution,
recourir au référendum ou dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple.
Au cours de la période d’intérim présidentiel, il est procédé à l’élection d’un nouveau
Président pour un mandat présidentiel entier, il ne peut également être présenté de motion de censure
contre le Gouvernement.
101








Page 767
Article 87 :
Le Président de la République bénéficie de l’immunité durant son mandat; tous les délais de
prescription et de déchéance sont suspendus à son encontre. Les actions peuvent reprendre leur cours
après la fin de son mandat.
Le Président de la République ne peut être poursuivi pour les actes accomplis dans l’exercice
de ses fonctions.
Article 88 :
Les membres de l’Assemblée des représentants du peuple peuvent, à la majorité, présenter une
motion motivée pour mettre fin au mandat du Président de la République en raison d’une violation
grave de la Constitution. La motion doit être approuvée par les deux-tiers des membres de
l’Assemblée. Dans ce cas, l’affaire est renvoyée devant la Cour constitutionnelle qui statue à la
majorité des deux-tiers de ses membres. En cas de condamnation, la Cour constitutionnelle ne peut
prononcer que la destitution, sans préjudice, le cas échéant, des poursuites pénales. La décision de
destitution prive le Président de la République du droit de se porter candidat à toute autre élection.
Section II - Du Gouvernement
Article 89 :
Le Gouvernement se compose du Chef du Gouvernement, de ministres et de secrétaires d’État
choisis par le Chef du Gouvernement, et en concertation avec le Président de la République en ce qui
concerne les ministères des Affaires étrangères et de la Défense.
Dans un délai d’une semaine suivant la proclamation des résultats définitifs des élections, le
Président de la République charge le candidat du parti politique ou de la coalition électorale ayant
obtenu le plus grand nombre de sièges au sein de l’Assemblée des représentants du peuple de former
le Gouvernement dans un délai d’un mois renouvelable une seule fois. En cas d’égalité du nombre de
sièges, il est tenu compte pour la désignation, du nombre de voix obtenues.
Si le Gouvernement n’est pas formé au terme du délai fixé ou si la confiance de l’Assemblée
des représentants du peuple n’est pas obtenue, le Président de la République engage, dans un délai de
dix jours, des consultations avec les partis, les coalitions et les groupes parlementaires, en vue de
charger la personnalité la mieux à même d’y parvenir de former un Gouvernement, dans un délai
maximum d’un mois.
Si dans les quatre mois suivant la première désignation, les membres de l’Assemblée des
représentants du peuple n’ont pas accordé la confiance au Gouvernement, le Président de la
République peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et convoquer de nouvelles
élections législatives dans un délai de quarante-cinq jours au plus tôt et de quatre-vingt-dix jours au
plus tard.
Le Gouvernement présente un exposé sommaire de son programme d’action devant
l’Assemblée des représentants du peuple afin d’obtenir sa confiance à la majorité absolue de ses
membres. Dans le cas où le Gouvernement obtient la confiance de l’Assemblée, le Président de la
République procède sans délai à la nomination du Chef du Gouvernement et de ses membres.
Le Chef du Gouvernement et les membres du Gouvernement prêtent, devant le Président de la
République, le serment suivant :
« Je jure par Dieu Tout-Puissant d’œuvrer avec dévouement pour le bien de la Tunisie, de
respecter sa Constitution et ses lois, de veiller à ses intérêts et de lui être loyal.»
Article 90 :
Il est interdit de cumuler les fonctions de membre du Gouvernement avec celles de membre de
l’Assemblée des représentants du peuple. La loi électorale fixe les modalités par lesquelles il est
pourvu à la vacance.
Le Chef du Gouvernement et ses membres ne peuvent exercer aucune autre fonction.
Article 91 :
102







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Sous réserve des dispositions de l’article 77, le Chef du Gouvernement détermine la politique
générale de l’État et veille à sa mise en œuvre.
Article 92 :
Relèvent de la compétence du Chef du Gouvernement :
- la création, la modification, la suppression des ministères et secrétariats d’État, la
détermination de leurs compétences et de leurs attributions, après délibération du Conseil des
ministres ;
- la cessation de fonction d’un ou de plusieurs membres du Gouvernement ou l’examen de sa
démission, et en concertation avec le Président de la République en ce qui concerne le Ministre des
Affaires étrangères ou le Ministre de la Défense ;
- la création, la modification ou la suppression des établissements publics et d’entreprises
publiques et services administratifs, ainsi que la détermination de leurs compétences et de leurs
attributions, après délibération du Conseil des ministres, à l'exception de ceux qui relèvent de la
Présidence de la République dont la création, la modification et la suppression intervient sur
proposition du Président de la République ;
- les nominations aux emplois civils supérieurs et leurs cessations. Ces emplois sont fixés par
loi.
Le Chef du Gouvernement informe le Président de la République des décisions prises dans le
cadre de ses compétences précitées.
Le Chef du Gouvernement dispose de l’Administration et conclut les traités internationaux à
caractère technique.
Le Gouvernement veille à l’exécution des lois. Le Chef du Gouvernement peut déléguer
certaines de ses prérogatives aux ministres.
En cas d’empêchement provisoire d’exercer ses fonctions, le Chef du Gouvernement délègue
ses pouvoirs à l’un des ministres.
Article 93 :
Le Chef du Gouvernement préside le Conseil des ministres.
Le Conseil des ministres se réunit à la demande du Chef du Gouvernement qui fixe son ordre
du jour.
Le Président de la République préside obligatoirement le Conseil des ministres dans les
domaines de la défense, des relations extérieures et de la sécurité nationale relative à la protection de
l’État et du territoire national contre les menaces intérieures et extérieures. Le Président de la
République peut également assister aux autres réunions du Conseil des ministres et, dans ce cas, il
préside le Conseil.
Tous les projets de loi font l’objet de délibération en Conseil des ministres.
Article 94 :
Le Chef du Gouvernement exerce le pouvoir réglementaire général ; il prend les décrets à
caractère individuel qu’il signe après délibération du Conseil des ministres.
Les décrets émanant du Chef du Gouvernement sont dénommés décrets gouvernementaux.
Les décrets à caractère réglementaire sont contresignés par chaque ministre intéressé.
Le Chef du Gouvernement vise les arrêtés à caractère réglementaire pris par les ministres.
Article 95 :
Le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée des représentants du peuple.
Article 96 :
Tout membre de l’Assemblée des représentants du peuple peut adresser au Gouvernement des
questions écrites ou orales, conformément à ce qui est prévu par le règlement intérieur de l’Assemblée.
Article 97 :
Une motion de censure peut être votée contre le Gouvernement, suite à une demande motivée,
présentée au Président de l’Assemblée des représentants du peuple par au moins le tiers de ses
103








Page 769
membres. La motion de censure ne peut être votée qu’à l’expiration d’un délai de quinze jours à
compter de son dépôt auprès de la présidence de l’Assemblée.
Le retrait de confiance au Gouvernement requiert l’approbation de la majorité absolue des
membres de l’Assemblée et la présentation d'un candidat en remplacement du Chef du Gouvernement
dont la candidature doit être approuvée lors du même vote et que le Président de la République charge
de former un Gouvernement, conformément aux dispositions de l’article 89.
Si la majorité indiquée n’est pas atteinte, une nouvelle motion de censure ne peut être
présentée contre le Gouvernement qu’à l’expiration d’un délai de six mois.
L’Assemblée des représentants du peuple peut retirer sa confiance à l’un des membres du
Gouvernement, suite à une demande motivée, présentée au président de l’Assemblée par un tiers au
moins des membres. Le retrait de confiance a lieu à la majorité absolue.
Article 98 :
La démission du Chef du Gouvernement vaut démission de l’ensemble du Gouvernement. La
démission est présentée par écrit au Président de la République qui en informe le Président de
l’Assemblée des représentants du peuple.
Le Chef du Gouvernement peut demander à l’Assemblée des représentants du peuple un vote
de confiance sur la poursuite de l'action du Gouvernement. Le vote a lieu à la majorité absolue des
membres de l’Assemblée des représentants du peuple. Si l’Assemblée ne renouvelle pas sa confiance
au Gouvernement, il est réputé démissionnaire.
Dans les deux cas, le Président de la République charge la personnalité la mieux à même d’y
parvenir de former un Gouvernement conformément aux dispositions de l’article 89.
Article 99 :
Le Président de la République peut demander à l’Assemblée des représentants du peuple, deux
fois au maximum durant tout le mandat présidentiel, le vote de confiance sur la poursuite de l'action du
Gouvernement. Le vote a lieu à la majorité absolue des membres de l’Assemblée des représentants du
peuple. Si l'Assemblée ne renouvelle pas sa confiance au Gouvernement, il est réputé démissionnaire.
Dans ce cas, le Président de la République charge la personnalité la mieux à même d’y parvenir de
former un Gouvernement, dans un délai maximum de les trente jours, conformément aux paragraphes
1er, 5 et 6 de l’article 89.
Si le Gouvernement n'est pas formé dans le délai prescrit ou s'il n'obtient pas la confiance de
l’Assemblée des représentants du peuple, le Président de la République peut dissoudre l’Assemblée
des représentants du peuple et appeler à des élections législatives anticipées, dans un délai de
quarante-cinq jours au minimum et quatre-vingt-dix jours au maximum.
Si les deux fois, l'Assemblée renouvelle sa confiance au Gouvernement, le Président de la
République est réputé démissionnaire.
Article 100 :
En cas de vacance définitive au poste de Chef du Gouvernement, pour quelque motif que ce
soit, excepté les deux cas de démission et du retrait de confiance, le Président de la République charge
le candidat du parti ou de la coalition au pouvoir de former un Gouvernement dans un délai d’un mois.
Si le Gouvernement n’est pas formé à l’expiration de ce délai ou qu’il n’a pas obtenu la confiance, le
Président de la République charge la personnalité la mieux à même d’y parvenir de former un
Gouvernement. Cette personnalité se présente devant l’Assemblée des représentants du peuple, afin
d’obtenir la confiance conformément aux dispositions de l’article 89.
Le Gouvernement, dont les fonctions ont pris fin, continue à gérer les affaires sous la direction
de l’un de ses membres, choisi par le Conseil des ministres et nommé par le Président de la
République, jusqu’à la prise de fonction du nouveau Gouvernement.
Article 101 :
Les conflits de compétence entre le Président de la République et le Chef du Gouvernement
sont soumis à la Cour constitutionnelle. Celle-ci statue, dans un délai d’une semaine, sur demande de
la partie la plus diligente.
104







Page 770
Chapitre V
Du pouvoir juridictionnel
Article 102 :
La magistrature est un pouvoir indépendant, qui garantit l’instauration de la justice, la
suprématie de la Constitution, la souveraineté de la loi et la protection des droits et libertés.
Le magistrat est indépendant. Il n’est soumis, dans l’exercice de ses fonctions, qu’à l’autorité
de la loi.
Article 103 :
Le magistrat doit être compétent. Il est tenu par l’obligation de neutralité et d’intégrité. Il
répond de toute défaillance dans l’accomplissement de ses devoirs.
Article 104 :
Le magistrat bénéficie de l’immunité pénale et ne peut être poursuivi ou arrêté, tant qu’elle
n’est pas levée. En cas de flagrant délit, il peut être arrêté et le Conseil de la magistrature dont il relève
doit en être informé et statue sur la demande de levée de l’immunité.
Article 105 :
La profession d’avocat est libre et indépendante. Elle participe à l’instauration de la justice et à
la défense des droits et libertés.
L’avocat bénéficie des garanties légales qui assurent sa protection et lui permettent d’exercer
ses fonctions.
Section première - De la justice judiciaire, administrative et financière
Article 106 :
Les magistrats sont nommés par décret présidentiel sur avis conforme du Conseil supérieur de
la magistrature.
Les hauts magistrats sont nommés par décret présidentiel en concertation avec le Chef du
Gouvernement et sur proposition exclusive du Conseil supérieur de la magistrature. La loi détermine
les hauts emplois de la magistrature.
Article 107 :
Le magistrat ne peut être muté sans son consentement. Il ne peut être révoqué, ni faire l’objet
de suspension ou de cessation de fonctions, ni d’une sanction disciplinaire, sauf dans les cas et
conformément aux garanties fixés par la loi et en vertu d’une décision motivée du Conseil supérieur de
la magistrature.
Article 108 :
Toute personne a droit à un procès équitable et dans un délai raisonnable. Les justiciables sont
égaux devant la justice.
Le droit d’ester en justice et le droit de défense sont garantis. La loi facilite l’accès à la justice
et assure l’aide judiciaire aux personnes démunies.
Elle garantit le double degré de juridiction. Les audiences des tribunaux sont publiques, sauf si
la loi prévoit l’huis clos. Le prononcé du jugement ne peut avoir lieu qu’en séance publique.
Article 109 :
Toute ingérence dans le fonctionnement de la justice est proscrite.
Article 110 :
Les catégories de tribunaux sont créées par loi. La création de tribunaux d’exception ou
l’édiction de procédures dérogatoires susceptibles d’affecter les principes du procès équitable sont
interdites.
105












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Les tribunaux militaires sont compétents pour connaître des infractions à caractère militaire.
La loi détermine leurs compétence, composition, organisation, les procédures suivies devant eux et le
statut général de leurs magistrats.
Article 111 :
Les jugements sont rendus au nom du peuple et exécutés au nom du Président de la
République. Il est interdit, sans fondement légal, d’empêcher ou d’entraver leur exécution.
Sous-section première - Du Conseil supérieur de la magistrature
Article 112 :
Le Conseil supérieur de la magistrature est composé de quatre organes à savoir le Conseil de
la magistrature judiciaire, le Conseil de la magistrature administrative, le Conseil de la magistrature
financière et l’Assemblée plénière des trois Conseils de la magistrature.
Les deux tiers de chacun de ces organes sont composés de magistrats en majorité élus, les
autres magistrats étant nommés ès qualité, le tiers restant est composé de membres non-magistrats
choisis parmi des spécialistes indépendants. Toutefois, la majorité des membres de ces organes doit
être composée d’élus. Les membres élus exercent leurs fonctions pour un seul mandat de six ans.
Le Conseil supérieur de la magistrature élit son Président parmi les membres magistrats du
grade le plus élevé.
La loi fixe la compétence de chacun de ces quatre organes, ainsi que sa composition, son
organisation et les procédures suivies devant lui.
Article 113 :
Le Conseil supérieur de la magistrature est doté de l’autonomie administrative et financière et
de la libre gestion de ses affaires. Il élabore son projet de budget et le discute devant la commission
compétente de l’Assemblée des représentants du peuple.
Article 114 :
Le Conseil supérieur de la magistrature garantit le bon fonctionnement de la justice et le
respect de son indépendance. L’Assemblée plénière des trois Conseils de la magistrature propose les
réformes et donne son avis sur les propositions et projets de loi relatifs à la justice qui lui sont
obligatoirement soumis. Chacun des trois Conseils statue sur les questions relatives à la carrière et à la
discipline des magistrats.
Le Conseil supérieur de la magistrature élabore un rapport annuel qu’il soumet au Président de
la République, au Président de l’Assemblée des représentants du peuple et au Chef du Gouvernement,
au plus tard au mois de juillet de chaque année. Ce rapport est publié.
Le rapport annuel est discuté par l’Assemblée des représentants du peuple, au début de chaque
année judiciaire, au cours d’une séance plénière de dialogue avec le Conseil supérieur de la
magistrature.
Sous-section II - De la justice judiciaire
Article 115 :
La justice judiciaire est composée d’une Cour de cassation, de tribunaux de second degré et de
tribunaux de première instance.
Le ministère public fait partie de la justice judiciaire et bénéficie des mêmes garanties
constitutionnelles. Les magistrats du ministère public exercent les fonctions qui leur sont dévolues par
la loi et dans le cadre de la politique pénale de l’État, conformément aux procédures fixées par la loi.
La Cour de cassation établit un rapport annuel qu’elle soumet au Président de la République,
au Président de l’Assemblée des représentants du peuple, au Chef du Gouvernement et au Président du
Conseil supérieur de la magistrature. Ce rapport est publié.
La loi détermine l’organisation de l’ordre judiciaire, ses compétences, les procédures suivies
devant lui ainsi que le statut particulier de ses magistrats.
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Sous-section III - De la justice administrative
Article 116 :
La justice administrative est composée d’une Haute Cour administrative, de cours
administratives d’appel et de tribunaux administratifs de première instance. La justice administrative
est compétente pour connaître de l’excès de pouvoir de l’administration et des litiges administratifs.
Elle exerce une fonction consultative conformément à la loi.
La Haute Cour administrative établit un rapport annuel qu’elle soumet au Président de la
République, au Président de l’Assemblée des représentants du peuple, au Chef du Gouvernement et au
Président du Conseil supérieur de la magistrature. Ce rapport est publié.
La loi détermine l’organisation de la justice administrative, ses compétences, les procédures
suivies devant elle ainsi que le statut de ses magistrats.
Sous-section IV - De la justice financière
Article 117 :
La justice financière est composée de la Cour des comptes et de ses différents organes.
La Cour des comptes est compétente pour contrôler la bonne gestion des deniers publics
conformément aux principes de légalité, d’efficacité et de transparence. Elle juge la comptabilité des
comptables publics. Elle évalue les modes de gestion et sanctionne les fautes y afférentes. Elle assiste
le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de
règlement du budget.
La Cour des comptes établit un rapport général annuel qu’elle soumet au Président de la
République, au Président de l’Assemblée des représentants du peuple, au Chef du Gouvernement et au
président du Conseil supérieur de la magistrature. Ce rapport est publié. La Cour des comptes établit,
le cas échéant, des rapports spéciaux pouvant être publiés.
La loi détermine l’organisation de la Cour des comptes, ses compétences, les procédures
suivies devant elle ainsi que le statut de ses magistrats.
Section II - De la Cour constitutionnelle
Article 118 :
La Cour constitutionnelle est une instance juridictionnelle indépendante, composée de douze
membres, choisis parmi les personnes compétentes, dont les trois-quarts sont des spécialistes en droit
et ayant une expérience d’au moins vingt ans.
Le Président de la République, l’Assemblée des représentants du peuple et le Conseil
supérieur de la magistrature désignent chacun quatre membres, dont les trois-quarts sont des
spécialistes en droit. Les membres de la Cour constitutionnelle sont désignés pour un seul mandat de
neuf ans.
Un tiers des membres de la Cour constitutionnelle est renouvelé tous les trois ans. Il est
pourvu aux vacances survenues dans la composition de la Cour, selon les modalités suivies lors de la
désignation, compte tenu de l’autorité de nomination intéressée et de la spécialité.
Les membres de la Cour élisent un président et un vice-président parmi les membres
spécialistes en droit.
Article 119 :
Le cumul de mandat de membre à la Cour constitutionnelle avec toute autre fonction ou
mission est interdit.
Article 120 :
La Cour constitutionnelle est seule compétente pour contrôler la constitutionnalité :
- des projets de loi, sur demande du Président de la République, du Chef du Gouvernement ou
de trente membres de l’Assemblée des représentants du peuple. La Cour est saisie dans un délai
maximum de sept jours à compter de la date d’adoption du projet de loi ou de la date d’adoption du
projet de loi amendé, après renvoi par le Président de la République ;
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Page 773
- des projets de loi constitutionnelle que lui soumet le Président de l’Assemblée des
représentants du peuple conformément à ce qui est prévu à l’article 144 ou pour contrôler le respect
des procédures de révision de la Constitution ;
- des traités que lui soumet le Président de la République avant la promulgation du projet de
loi relatif à l’approbation de ces traités ;
- des lois que lui renvoient les tribunaux, suite à une exception d’inconstitutionnalité soulevée
par l’une des parties, dans les cas et selon les procédures prévus par la loi ;
- du règlement intérieur de l’Assemblée des représentants du peuple que lui soumet le
Président de l’Assemblée.
La Cour exerce les autres attributions qui lui sont conférées par la Constitution.
Article 121 :
La Cour constitutionnelle rend sa décision à la majorité absolue de ses membres, dans un délai
de quarante-cinq jours, à compter de la date du recours en inconstitutionnalité.
La décision de la Cour déclare que les dispositions faisant l’objet du recours sont
constitutionnelles ou inconstitutionnelles. Ces décisions sont motivées et s’imposent à tous les
pouvoirs. Elles sont publiées au Journal officiel de la République tunisienne.
Si le délai mentionné au premier paragraphe expire sans que la Cour rende sa décision, elle est
tenu de transmettre sans délai le projet au Président de la République.
Article 122 :
Le projet de loi inconstitutionnel est transmis au Président de la République qui le transmet à
l’Assemblée des représentants du peuple pour une seconde délibération conformément à la décision de
la Cour constitutionnelle. Le Président de la République soumet le projet de loi, avant sa
promulgation, à la Cour constitutionnelle pour examen de sa constitutionnalité.
En cas d’adoption par l’Assemblée des représentants du peuple d’un projet de loi dans une
version amendée suite à son renvoi et que la Cour a auparavant déclaré constitutionnel ou qu’elle l’a
transmis au Président de la République pour expiration des délais sans avoir rendu de décision à son
propos, le Président de la République saisit obligatoirement la Cour Constitutionnelle du projet avant
sa promulgation.
Article 123 :
En cas de saisine de la Cour constitutionnelle suite à une exception d’inconstitutionnalité
d’une loi, celle-ci se limite à examiner les moyens invoqués, sur lesquels elle statue par décision
motivée, dans un délai de trois mois renouvelable une seule fois pour la même période.
Si la Cour constitutionnelle déclare l’inconstitutionnalité, l’application de la loi est suspendue,
dans les limites de ce qui a été jugé.
Article 124 :
La loi fixe l’organisation de la Cour constitutionnelle, les procédures suivies devant elle, ainsi
que les garanties dont bénéficient ses membres.
Chapitre VI
Des instances constitutionnelles indépendantes
Article 125 :
Les instances constitutionnelles indépendantes œuvrent au renforcement de la démocratie.
Toutes les institutions de l’État doivent faciliter l’accomplissement de leurs missions.
Ces instances sont dotées de la personnalité juridique et de l’autonomie administrative et
financière. Elles sont élues par l’Assemblée des représentants du peuple à la majorité qualifiée et elles
lui soumettent un rapport annuel, discuté pour chaque instance au cours d’une séance plénière prévue à
cet effet.
La loi fixe la composition de ces instances, la représentation en leur sein, les modalités de leur
élection, leur organisation, ainsi que les modalités de mise en cause de leur responsabilité.
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Section première - De l’instance des élections
Article 126 :
L’instance des élections, dénommée «Instance supérieure indépendante pour les élections», est
chargée de l’administration des élections et des référendums, de leur organisation et de leur
supervision au cours de leurs différentes phases. Elle assure la régularité, la sincérité et la transparence
du processus électoral et proclame les résultats.
L’Instance dispose d’un pouvoir réglementaire dans son domaine de compétence.
L’Instance est composée de neuf membres indépendants, neutres, choisis parmi les personnes
compétentes et intègres qui exercent leurs missions pour un seul mandat de six ans. Le tiers de ses
membres est renouvelé tous les deux ans.
Section II - De l’Instance de la communication audiovisuelle
Article 127 :
L’Instance de la communication audiovisuelle est chargée de la régulation et du
développement du secteur de la communication audiovisuelle, elle veille à garantir la liberté
d’expression et d’information, et à garantir une information pluraliste et intègre.
L’Instance dispose d’un pouvoir réglementaire dans son domaine de compétence. Elle est
obligatoirement consultée sur les projets de loi se rapportant à ce domaine.
L’Instance est composée de neuf membres indépendants, neutres, choisis parmi les personnes
compétentes et intègres qui exercent leurs missions pour un seul mandat de six ans. Le tiers de ses
membres est renouvelé tous les deux ans.
Section III - De l’Instance des droits de l’Homme
Article 128 :
L’Instance des droits de l’Homme contrôle le respect des libertés et des droits de l’Homme et
œuvre à leur renforcement; elle formule des propositions en vue du développement du système des
droits de l’Homme. Elle est obligatoirement consultée sur les projets de loi se rapportant à son
domaine de compétence.
L’Instance enquête sur les cas de violation des droits de l’Homme, en vue de les régler ou de
les soumettre aux autorités compétentes.
L’Instance est composée de membres indépendants, neutres, choisis parmi les personnes
compétentes et intègres qui exercent leurs missions pour un seul mandat de six ans.
Section IV - De l’Instance du développement durable et des droits des générations futures
Article 129 :
L’Instance du développement durable et des droits des générations futures est obligatoirement
consultée sur les projets de loi relatifs aux questions économiques, sociales, environnementales, ainsi
que sur les plans de développement. L’Instance peut donner son avis sur les questions se rapportant à
son domaine de compétence.
L’Instance est composée de membres choisis parmi les personnes compétentes et intègres qui
exercent leurs missions pour un seul mandat de six ans.
Section V - De l’Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption
Article 130 :
L’Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption contribue aux politiques
de bonne gouvernance, d’empêchement et de lutte contre la corruption, au suivi de leur mise en œuvre
et à la diffusion de la culture y afférente. Elle consolide les principes de transparence, d’intégrité et de
responsabilité.
L’Instance est chargée de relever les cas de corruption dans les secteurs public et privé. Elle
procède aux investigations et à la vérification de ces cas et les soumet aux autorités concernées.
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Page 775
L’Instance est obligatoirement consultée sur les projets de loi se rapportant à son domaine de
compétence.
Elle peut donner son avis sur les textes réglementaires généraux se rapportant à son domaine
de compétence.
L’Instance est composée de membres indépendants, choisis parmi les personnes compétentes
et intègres qui exercent leurs missions pour un seul mandat de six ans. Le tiers de ses membres est
renouvelé tous les deux ans.
Chapitre VII
Du pouvoir local
Article 131 :
Le pouvoir local est fondé sur la décentralisation.
La décentralisation est concrétisée par des collectivités locales comprenant des communes, des
régions et des districts. Chacune de ces catégories couvre l’ensemble du territoire de la République
conformément à un découpage déterminée par la loi.
Des catégories particulières de collectivités locales peuvent être créées par loi.
Article 132 :
Les collectivités locales sont dotées de la personnalité juridique, de l’autonomie administrative
et financière. Elles gèrent les intérêts locaux conformément au principe de la libre administration.
Article 133 :
Les collectivités locales sont dirigées par des conseils élus.
Les conseils municipaux et régionaux sont élus au suffrage universel, libre, direct, secret,
honnête et transparent.
Les conseils de district sont élus par les membres des conseils municipaux et régionaux.
La loi électorale garantit la représentation des jeunes au sein des conseils des collectivités
locales.
Article 134 :
Les collectivités locales disposent de compétences propres, de compétences partagées avec
l’Autorité centrale et de compétences déléguées par cette dernière.
Les compétences partagées et les compétences déléguées sont réparties conformément au
principe de subsidiarité.
Les collectivités locales disposent d’un pouvoir réglementaire dans l’exercice de leurs
compétences; leurs actes règlementaires sont publiés dans un journal officiel des collectivités locales.
Article 135 :
Les collectivités locales disposent de ressources propres et de ressources déléguées par
l’autorité centrale. Ces ressources doivent correspondre aux attributions qui leur sont dévolues par la
loi.
Toute création ou délégation de compétences de l’autorité centrale au profit des collectivités
locales est accompagnée de l’attribution de ressources appropriées.
Le régime financier des collectivités locales est fixé par loi.
Article 136 :
L’Autorité centrale se charge de mettre des ressources supplémentaires à la disposition des
collectivités locales, en application du principe de solidarité et suivant le mécanisme de l’égalisation et
de la péréquation.
L’Autorité centrale œuvre en vue d’atteindre l’équilibre entre les revenus et les charges
locales.
Une part des revenus provenant de l’exploitation des ressources naturelles peut être consacrée,
à l’échelle nationale, en vue de la promotion du développement régional.
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Article 137 :
Les collectivités locales gèrent librement leurs ressources dans le cadre du budget adopté
conformément aux règles de la bonne gouvernance et sous le contrôle de la justice financière.
Article 138 :
Les collectivités locales sont soumises au contrôle a posteriori, en ce qui concerne la légalité
de leurs actes.
Article 139 :
Les collectivités locales adoptent les mécanismes de la démocratie participative et les
principes de la gouvernance ouverte, afin de garantir une plus large participation des citoyens et de la
société civile à l’élaboration des projets de développement et d’aménagement du territoire et le suivi
de leur exécution, conformément à la loi.
Article 140 :
Les collectivités locales peuvent coopérer et créer entre elles des partenariats, en vue de mettre
en œuvre des programmes ou réaliser des actions d’intérêt commun.
Les collectivités locales peuvent également établir des relations extérieures de partenariat et de
coopération décentralisée.
La loi fixe les règles de coopération et de partenariat.
Article 141 :
Le Haut Conseil des collectivités locales est un organisme représentatif des conseils des
collectivités locales. Son siège se situe en dehors de la capitale.
Le Haut Conseil des collectivités locales examine les questions relatives au développement et
à l’équilibre entre les régions, et émet son avis sur les projets de loi relatifs à la planification, au
budget et aux finances locales ; son Président peut être invité à assister aux délibérations de
l’Assemblée des représentants du peuple.
La composition et les attributions du Haut Conseil des collectivités locales sont fixées par loi.
Article 142 :
La juridiction administrative statue sur tous les litiges en matière de conflits de compétence
qui surgissent entre les collectivités locales elles mêmes, et entre l’Autorité centrale et les collectivités
locales.
Chapitre VIII
De la révision de la Constitution
Article 143 :
Le Président de la République ou le tiers des membres de l’Assemblée des représentants du
peuple disposent de l’initiative de proposer la révision de la Constitution. L’initiative du Président de
la République est examinée en priorité.
Article 144 :
Toute initiative de révision de la Constitution est soumise, par le Président de l’Assemblée des
représentants du peuple, à la Cour constitutionnelle, pour dire que la révision ne concerne pas ce qui,
d’après les termes de la présente Constitution, ne peut faire l’objet de révision.
L’Assemblée des représentants du peuple examine l’initiative de la révision en vue
d’approuver à la majorité absolue le principe de la révision.
La révision de la Constitution est adoptée à la majorité des deux tiers des membres de
l’Assemblée des représentants du peuple. Le Président de la République peut, après approbation des
deux tiers des membres de l’Assemblée, soumettre la révision au référendum; la révision est alors
adoptée à la majorité des votants.
Chapitre IX
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Dispositions finales
Article 145 :
Le Préambule de la présente Constitution en est une partie intégrante.
Article 146 :
Les dispositions de la présente Constitution sont comprises et interprétées les unes par rapport
aux autres, comme une unité cohérente.
Article 147 :
Après l’adoption la Constitution dans son intégralité, conformément aux dispositions de
l’article 3 de la loi constituante n° 2011-6 du 16 décembre 2011 relative à l’organisation provisoire des
pouvoirs publics, l’Assemblée nationale constituante tient une séance plénière extraordinaire dans un
délai maximum d’une semaine. Au cours de cette séance, la Constitution est promulguée par le
Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale constituante et le Chef du
Gouvernement. Le Président de l’Assemblée nationale constituante ordonne la publication de la
Constitution dans un numéro spécial du Journal officiel de la République tunisienne. Celle-ci entre en
vigueur immédiatement après sa publication. Le Président de l’Assemblée nationale constituante
annonce préalablement la date de publication.
Chapitre X
Dispositions transitoires
Article 148 :
1. Demeurent en vigueur, jusqu’à l’élection de l’Assemblée des représentants du peuple, les
dispositions des articles 5, 6, 8, 15 et 16 de l’Organisation provisoire des pouvoirs publics.
Demeurent en vigueur, jusqu’à l’élection de l’Assemblée des représentants du peuple, les
dispositions de l’article 4 de l’Organisation provisoire des pouvoirs publics.
Toutefois, à partir de l’entrée en vigueur de la Constitution, aucune proposition de loi
présentée par les députés n’est recevable, sauf si elle est relative au processus électoral, au système de
la justice transitionnelle ou aux instances issues des lois adoptées par l’Assemblée nationale
constituante.
Demeurent en vigueur, jusqu’à l’élection du Président de la République conformément aux
dispositions de l’article 74 et suivants de la Constitution, les dispositions des articles 7, 9 à 14 et de
l’article 26 de l’Organisation provisoire des pouvoirs publics.
Demeurent en vigueur, jusqu’à ce que le premier Gouvernement obtienne la confiance de
l’Assemblée des représentants du peuple, les articles 17 à 20 de la l’Organisation provisoire des
pouvoirs publics.
Jusqu’à l’élection de l’Assemblée des représentants du peuple, l’Assemblée nationale
constituante continue à exercer ses fonctions législatives et de contrôle, ainsi que ses attributions
électorales prévues par la loi constituante relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics ou
les lois en vigueur.
2. Les dispositions ci-après entrent en vigueur ainsi qu’il suit :
- entrent en vigueur, à partir de la date de proclamation des résultats définitifs des premières
élections législatives, les dispositions du chapitre III relatif au pouvoir législatif, à l’exception des
articles 53, 54 et 55, ainsi que la deuxième section du chapitre IV relative au Gouvernement,
- à l’exception des articles 74 et 75, entrent en vigueur à compter du jour de la proclamation
des résultats définitifs des premières élections présidentielles directes, les dispositions de la première
section du Chapitre IV relative au Président de la République. Les articles 74 et 75 n’entrent en
vigueur qu’en ce qui concerne le Président de la République qui sera élu au suffrage direct;
- à l’exception des articles 108 à 111, les dispositions de la première section du Chapitre V
relative à la justice judiciaire, administrative et financière entrent en vigueur à l’issue de la formation
du Conseil supérieur de la magistrature,
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- à l’exception de l’article 118, les dispositions de la deuxième section du Chapitre V relative à
la Cour constitutionnelle entrent en vigueur dès l’achèvement de la nomination des membres de la
première composition de la Cour constitutionnelle,
- les dispositions du chapitre VI relatif aux instances constitutionnelles entrent en vigueur
après l’élection de l’Assemblée des représentants du peuple,
- les dispositions du Chapitre VII relatif au pouvoir local entrent en vigueur dès l’entrée en
vigueur des lois qu’il prévoit.
3. Les élections présidentielles et législatives seront organisées dans un délai de quatre mois à
compter de l’achèvement de la mise en place de l’Instance supérieure indépendante pour les élections,
sans que cela puisse, dans tous les cas, dépasser la fin de l’année 2014.
4. La présentation des candidats pour la première élection présidentielle directe se fait par un
nombre de membres de l’Assemblée nationale constituante, correspondant au nombre déterminé pour
les membres de l’Assemblée des représentants du peuple, ou par un nombre d’électeurs inscrits, et ce,
conformément à la loi électorale.
5. La mise en place du Conseil supérieur de la magistrature intervient dans un délai maximum
de six mois à compter de la date des élections législatives. Intervient à compter de la même date et
dans un délai maximum d’un an, la mise en place de la Cour constitutionnelle.
6. Pour les deux premiers renouvellements partiels de la Cour constitutionnelle, de l’instance
électorale, de l’Instance de la communication audiovisuelle et de l’Instance de la bonne gouvernance
et de la lutte contre la corruption, il sera procédé à un tirage au sort parmi les membres de la première
composition, à l’exception du Président.
7. Au cours des trois mois qui suivent la promulgation de la Constitution, l’Assemblée
nationale constituante crée par loi organique une instance provisoire chargée du contrôle de
constitutionnalité des projets de loi, composée comme suit :
- le Premier Président de la Cour de cassation, Président,
- le Premier Président du Tribunal administratif, membre,
- le Premier Président de la Cour des comptes, membre,
- trois membres ayant une compétence dans le domaine juridique, désignés respectivement et à
titre égal par le Président de l’Assemblée nationale constituante, le Président de la République et le
Chef du Gouvernement.
Les tribunaux sont réputés incompétents pour contrôler la constitutionnalité des lois.
Les fonctions de l’Instance prennent fin dès la mise en place de la Cour constitutionnelle.
8. L’Instance provisoire chargée de la supervision de la justice judicaire continue à exercer ses
fonctions jusqu’à l’achèvement de la composition du Conseil de la magistrature judiciaire.
L’Instance indépendante de la communication audiovisuelle continue à exercer ses fonctions
jusqu’à l’élection de l’Instance de la communication audiovisuelle.
9. L’État s’engage à mettre en application le système de la justice transitionnelle dans tous ses
domaines et dans les délais prescrits par la législation qui s’y rapporte. Dans ce contexte, l’évocation
de la non-rétroactivité des lois, de l’existence d’une amnistie ou d’une grâce antérieure, de l’autorité
de la chose jugée ou de la prescription du délit ou de la peine, n’est pas recevable.
Article 149 :
Les Tribunaux militaires continuent à exercer les attributions qui leur sont dévolues par les
lois en vigueur jusqu’à leur amendement conformément aux dispositions de l’article 110. Dieu est le
garant de la réussite.
Dieu est le garant de la réussite.
Promulguée au Palais de Bardo le 27 janvier 2014 correspondant au 26 Rabi al-awwal 1435
Le Président de la République
Monsieur Mohamed Moncef El Marzougui
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La Président de l’Assemblée nationale constituante
Monsieur Mustapha Ben Jaâfar
Le Chef du Gouvernement
Monsieur Ali Larayedh
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Annexe 4 - Liste des principaux entretiens
Entretiens avec les experts internationaux en matière de justice transitionnelle Filippo di
CARPEGNA et Guluzar ÖZLEM CELEBI le lundi 20 février 2017 à 11h30 au Programme
des Nations Unis pour le Développement (PNUD) à Tunis.
Entretien avec le Professeur Slim LAGHMANI le mardi 21 février 2017 à 9h à la Faculté des
Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
Entretien avec Salsabil KLIBI le mercredi 22 février 2017 à 13h à la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.
Entretien avec l’Ambassadeur de Tunisie à l’UNESCO, Monsieur Ghazi GHERAÏRI, le
vendredi 8 juin 2018 à l’UNESCO à Paris.
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