Page 1
1
Le système des finances publiques tunisien : état des
lieux et introduction aux enjeux de la prochaine réforme
Jihane Ben Yahia - Policy analyst jihane.benyahia@economie-tunisie.org
20 / 07/ 2015
Sommaire
Définition des concepts
Loi Organique du Budget, Loi de Finances et Budget : qu’est-ce que cela signifie ?
Etapes et acteurs du processus budgétaire
Transparence et participation budgétaire
Au niveau de la transparence
Au niveau de la participation
Et les analyses budgétaires dans tout cela ?sable
- Plus de références et documents sur Legaly Docs
Définition des concepts
Loi Organique du Budget, Loi de Finances et Budget : qu’est-ce que cela signifie ?
Pour comprendre ces trois notions et comment elles s’articulent
entre elles, il faut d’abord revenir à la Constitution du 27 janvier
2014 et plus précisément à l’article 66 alinéa 1 et 2 qui dispose : «
La loi fixe les recettes et les dépenses de l’Etat conformément aux
conditions édictées par la loi organique du budget. L’Assemblée
des Représentants du Peuple adopte les projets de loi de finances
et la clôture du budget conformément aux conditions prévues par
la loi organique du budget (…).».
Cet extrait de l’article 66 de la Constitution pose les grandes lignes
des mécanismes financiers publics et de la procédure d’adoption
de la loi de finances mais c’est la Loi Organique du Budget (« LOB
») qui établit les règles d’élaboration, et de du budget de l’Etat tan
-
dis que le Code de Comptabilité Publique lui, établit les règles pra-
tiques de l’exécution du budget. C’est donc sur cette base que tous
les ans, le gouvernement élabore sa proposition de loi de finances
qui contient une partie législative comportant des articles relatifs à
des mesures financières et fiscales que le gouvernement souhaite
entreprendre et une partie comptable qui contient le budget à pro
-
prement parler, c’est-à-dire l’ensemble des données chiffrées rela-
tives aux prévisions de recettes et aux dépenses de l’Etat sur une
année donnée. Cette proposition de loi de finances est soumise à
l’Assemblée des Représentants du Peuple qui elle seule autorise
l’exécution des prévisions budgétaires par l’Administration.
Ce dispositif juridique répond donc à une logique de « hiérarchie »
qui implique que la loi de finance doit être conforme à la Loi Orga
-
nique du Budget qui elle-même reflète les principes énoncés dans
la Constitution, faute de quoi la loi de finance pourrait être frappée
d’inconstitutionnalité .
Etapes et acteurs du processus budgétaire
Traditionnellement, le processus budgétaire est l’ensemble des étapes qui mènent à l’élaboration et à l’adoption d’une loi de finances,
tel que défini par la Loi Organique du Budget. Aujourd’hui, dans un souci d’exhaustivité, on y inclut également les étapes de l’exécution
et du contrôle budgétaire.
Etape 1 : L’élaboration du projet de loi de finances
- Le 1er Ministre notifie via la « lettre de cadrage », les priorités gouvernementales aux chefs d’Administration
- Les ministères préparent leurs prévisions de dépenses
- Le Ministère des Finances reçoit les prévisions de dépenses auxquelles il ajoute les prévisions de recettes qui
sont elles préparées par sa Direction Générale des Ressources et des Equilibres
- L’ensemble des prévisions budgétaires sont discutées entre représentants du Ministère des Finance et les
autres ministères
- Le Ministère des Finances rédige les dispositions du projet de loi de finances
- Le projet de loi de finances est exposé et approuvé en Conseil des Ministres
Etape 2 : L’adoption de la loi de finances
- La Commission des Finances, de la Planification et du Développement de l’Assemblée des Représentants du
Peuple est compétente pour examiner le projet de loi de finances
Fact Sheet
www.economie-tunisie.org
Page 2
2
L’adoption
L’élaboration
1 2
34
Le contrôle
L’exécution
avant le
10 Décembre
POUVOIR
LEGISTATIF
POUVOIR
EXECUTIF
L’examen par la Commission consiste en
un débat général, l’audition du Ministre
des Finances et des représentants de
l’administration, l’audition d’autres par-
ties concernées par les dispositions finan-
cières et fiscales (organisations profes-
sionnelles et syndicales par exemple), le
dépôt d’amendements et le enfin le vote,
article par article. S’agissant du pouvoir
d’amendement des députés, il est utile de
mentionner l’article 63 de la Constitution
qui dispose : « Les propositions de lois et
d’amendements présentés par les députés
ne sont pas recevables s’ils portent atteinte
aux équilibres financiers arrêtés dans la loi
de finances ». Il serait intéressant de s’inter
-
roger sur la portée d’un tel article dans la
mesure où il impose une limite à l’initiative
parlementaire et suscite également des
questionnements sur l’organe compétent
pour juger d’une telle atteinte.
avant le
15 Octobre
POUVOIR
EXECUTIF
POUVOIR
EXECUTIF
POUVOIR
JUDICIAIRE
- Le projet de loi est soumis aux députés de l’Assemblée des Représentants du Peuple en session plénière qui se pro-
noncent sur les dispositions législatives ainsi que sur les différents chapitres budgétaires. Ils peuvent également
déposer de nouveaux amendements et demander de nouvelles auditions
- Les ministères préparent leurs prévisions de dépenses
Etape 3 : L’exécution budgétaire
- Les différents ministères déploient les crédits autorisés conformément aux dispositions du Code de la Comptabi-
lité Publique.
-
Il est très rare que les résultats liés à l’exécution budgétaire soit conformes aux prévisions inscrits dans la loi de
finance. En effet, le gouvernement est souvent amené à dépenser plus que ce qui était initialement prévu (comme
c’est le cas par exemple, pour la compensation de l’énergie) ou moins (notamment, lorsque certains projets ne
sont pas exécutés). Il incombe donc au gouvernement, en théorie, de formuler une proposition de loi de finance de
règlement nécessaire au contrôle parlementaire. Or, il est à signaler que dernière loi de règlement du budget en
Tunisie date de 2011, ce qui atténue considérablement le rôle du pouvoir législatif dans le contrôle budgétaire.
Etape 4 : Le contrôle budgétaire
- Le premier type de contrôle est administratif et est exercé a priori de l’exécution budgétaire par le 1er Ministère au
niveau de Direction Générale du Contrôle des Dépenses Publiques et a posteriori par le Ministère des Finances au
niveau du Contrôle Général des Finances.
- Le second type de contrôle, qui intervient a posteriori de l’exécution budgétaire est juridictionnel et est exercé par
la Cour des Comptes qui rédige un rapport annuel sur la conformité, la régularité et l’opportunité des dépenses en
-
gagées par le Gouvernement. Elle apporte également en principe une assistance à l’Assemblée des Représentants
du Peuple afin d’apporter un éclairage sur des problématiques liées aux finances publiques.
Transparence et participation budgétaire: une réforme indispensable
L’article 10 de la Constitution du 27 janvier 2014 dispose dans son article 10 : « L’Etat veille à la bonne gestion des deniers publics et
prend les mesures nécessaires pour les dépenser selon les priorités de l’économie nationale… ». . Par ailleurs, selon l’article 32 : « L’Etat
garantit le droit à l’information et le droit d’accès à l’information » .
Or, après des années de malversations massives et de corruption impliquant les deniers publics et en période d’incertitudes économiques
marquées par de nouveaux choix à faire en politiques publiques, il est primordial que les citoyens aient pleinement connaissance de l’in
-
formation budgétaire pour comprendre les orientations et priorités des politiques publiques afin qu’ils puissent prendre part au processus
de prise de décision.
Pour cela, il est d’une part nécessaire de renforcer la transparence de l’information (en termes de fiabilité, de pertinence, d’accessibilité
Fact Sheet
www.economie-tunisie.org
Page 3
3
et de respect des délais) et du processus décisionnel (en termes de rôle et de responsabilité de chacun). D’autre part, mettre en place des
mécanismes qui renforcent l’intégration et la participation des citoyens dans le processus budgétaire. Il va de soi que ces considérations
doivent être non seulement entérinées juridiquement (dans la réforme de la Loi Organique du Budget) mais surtout dans la pratique par
l’inclusion des acteurs régionaux et locaux. Ces exigences sont d’autant plus nécessaires à l’heure actuelle que la problématique du
Budget en Tunisie souffre d’un grand nombre de défaillances, dont voici un aperçu:
Au niveau de la transparence
Au niveau de la participation
La « nomenclature budgétaire (c’est-à-dire la manière avec laquelle
le budget de l’Etat est organisé) n’inclut pas le budget des établis
-
sements publics ni celui des caisses de sécurité sociale (CNSS et
CNRPS). La « globalisation des crédits » (c’est-à-dire le fait de rassem
-
bler certaines dépenses dans une même enveloppe) ne permet pas
de visualiser la répartition du budget par région ou par collectivité
publique locale or cette absence d’exhaustivité rend le Gouvernement
redevable que d’une partie seulement de ses actes. La réforme de la
Gestion du Budget par Objectifs n’est pas généralisée et les objectifs
théoriques qui lui ont été assigné (performance et transparence), ne
sont pas encore visibles dans la pratique ni sur le plan de la comp
-
tabilité publique dont les mécanismes sont considérés comme ar-
chaïques et peu propices à assurer la transparence des deniers pu-
blics ni sur le plan des systèmes d’informations (qui devrait regrouper
une application unique pe mettant la préparation, la gestion et le suivi
du Budget et non pas plusieurs, permettant peu de recoupements,
comme c’est actuellement le cas).
La préparation du budget qui débute par la notification de la lettre
de cadrage n’est pas suffisante puisqu’elle n’inclut pas la stratégie
gouvernementale à moyen terme, ce qui rend les lois de finances
dénuées de leur réelle valeur politique et limitées à de la pure tech
-
nique, alors qu’elles sont censées refléter les politiques économiques.
L’exécution du budget qui est actuellement diffusée à travers un docu
-
ment intitulé « Résultats provisoires de l’exécution du Budget de l’Etat
» (publié tous les mois), devrait être mise sous format ouvert et exploi
-
table. Un rapport de mi-parcours à caractère évaluatif et comparant
les résultats aux stratégies de politiques publiques devrait également
être publié. Enfin, une loi de finance de règlement (absente depuis
2011), doit désormais être présentée par le Gouvernement tous les
ans afin d’instaurer un véritable contrôle parlementaire des deniers
publics conformément à l’article 10 de la Constitution.
Et les analyses budgétaires dans tout cela ?
L’implication du pouvoir législatif dans le processus budgétaire
est très faible par rapport à celui du pouvoir exécutif. Or l’Assem-
blée, et plus particulièrement la Commission des Finances, de-
vrait être d’avantage associée durant la phase d’élaboration du
budget en invitant l’administration à auditionner sur la prépa-
ration de leur projet de loi de finances (et non pas uniquement
au moment de l’examen préalable au vote) et en fournissant
à cette dernière, une documentation plus fournie notamment
sur le plan sectoriel. Durant la phase d’exécution du budget, la
Commission des Finances devrait également être en mesure
de disposer de la part de l’Administration, de rapport mensuels
d’exécution plus fournis que ceux qui existent déjà afin qu’un
suivi soit assuré. Enfin, durant la phase de contrôle du budget,
et c’est sans doute l’une des prérogatives les importantes d’une
telle commission, cette dernière devrait être en mesure d’exer-
cer un réel contrôle des deniers publics notamment grâce à la
loi de finances de règlement (absente depuis 2011), des rap-
ports sectoriels de la Cour des Compte (dont l’importance n’est
que peu accordée) et de tous les documents nécessaires à leur
jugement afin d’accorder ou de ne pas accorder les différentes
autorisations budgétaires.
L’implication des citoyens dans le processus budgétaire au ni-
veau national est encore balbutiante et ce, bien que des initia-
tives aient été mis en place au sein du Ministère des Finances.
Aujourd’hui, l’implication citoyenne est d’avantage présente au
niveau local par des initiatives de budget participatif comme
c’est le cas dans les villes de Sayada, Gafsa et La Marsa mais
elle est encore loin d’être généralisée.
Qu’est-ce qu’une analyse budgétaire?
Une analyse budgétaire est un document écrit sous forme de texte,
de graphiques ou d’illustration permettant de décrypter les don
-
nées budgétaires.
Pourquoi faire des analyses budgétaires ?
Le budget de l’Etat est un document lourd, composé de données
chiffrées souvent incompréhensibles par les citoyens qui en per-
çoivent difficilement les enjeux et les implications. Pourtant c’est
notamment à travers leur contribution à l’impôt que des ressources
sont mobilisées pour engager des dépenses. C’est pourquoi, il ap
-
parait intéressant de produire des analyses budgétaires en nous
focalisant sur une approche régionale.
Ici, l’objectif est double : vulgariser des données complexes et sen-
sibiliser les citoyens sur les questions relatives au budget dans cer-
taines régions ainsi que l’impact que cela entraine dans leur vie
quotidienne. Cela permettra ainsi de faire prendre conscience aux
gouvernants des problématiques qui intéressent directement les
citoyens et de faire en sorte que les choix politiques se concrétisent
réellement.
Or, le système des finances publiques tunisien ne permet que de
manière très limitée, de réaliser ce type d’analyses, pourtant né-
cessaires au diagnostic macroéconomique du pays (en terme bud-
gétaire, comptable etc.).
En effet, l’on peut se poser la question légitime de savoir comment
est-il à l’heure actuelle possible d’envisager des réformes, des po-
litiques économiques voire même un modèle de développement
lorsque le diagnostic lui-même, qui est pourtant un préalable fon-
damental, est confronté à tant d’obstacles sur le plan de la trans-
parence et de la participation budgétaire ?
Comment envisager de produire des analyses économiques orien-
tées vers le budget lorsque les données qui émanent du Ministère
des Finances, de la Banque Centrale et de l’Institut National de la
Statistique diffèrent? Comment envisager un plan de développe-
ment des régions pendant longtemps défavorisées lorsqu’il est
Fact Sheet
www.economie-tunisie.org
Page 4
4
impossible de disposer de données budgétaires régionalisées, qui
nous permettraient d’établir un diagnostic, d’en cerner les atouts et
les handicaps et que les populations locales ne sont que très peu
voire pas du tout, impliquées dans un processus décisionnel qui
toucherait pourtant directement leurs conditions de vie ?
Comment impliquer la société civile et la communauté scientifique
dans des travaux de recherche et d’analyse indépendants qui pour
-
raient s’avérer être d’une grande utilité pour les pouvoirs publics?
Comment garantir un véritable contrôle parlementaire des deniers
publics lorsque ces derniers ne sont pas consultés qu’en dernier
ressort pour l’examen des projets de loi de finances ?
Comment garantir le bon déploiement des deniers publics lors-
qu’une des institutions garantes de l’Etat de Droit qu’est la Cour
des Comptes demeure sous le joug, du moins financier, de la Prési
-
dence du Gouvernement? Autant de questions qui évidemment en
amènent bien autre et à laquelle nous tenterons de répondre dans
de prochaines analyses.
Fact Sheet
www.economie-tunisie.org
Page: 1, 2, 3, 4