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DÉCONSTRUIRE LE MYTHE DE LA « SURETÉ » EN TUNISIE
Comment l’instrumentalisation du concept de « pays d’origine sûr »
légitime les expulsions et les refoulements de Tunisien.ne.s d'Italie
Décembre 2021
INTRODUCTION
Depuis le début des années 1990, la
politique d’asile de l’Union européenne (UE)
évolue progressivement dans une direction
de plus en plus restrictive. Tant au niveau
européen qu’au niveau national, les Etats se
dotent d’outils procéduraux pour restreindre
l’accès à la protection internationale. Le
recours au concept de « pays sûr » pour
accélérer la demande d’asile et délivrer plus
facilement des refus aux demandeurs d’asile
constitue à cet égard une
illustration
particulièrement éloquente de la dérive des
politiques d’asile.
Un pays est considéré comme d’origine sûr
lorsque la situation des droits humains y est
présumée satisfaisante, encadrée par un
Etat de droit et que les citoyens
n’y subissent
pas de persécution ou de mauvais
traitements
. Le fait de provenir d’un pays
d’or
igine sûr entraine dès lors une série de
conséquences procédurales
susceptibles
d’exclure les ressortissants de ce pays, en
quête d’asile, d’obtenir le statut de réfugié
issus de groupes
(y
compris
minoritaires
des
discriminations spécifiques).
ceux
faisant
face
à
Non seulement,
le concept de « pays
d’origine sûr » est marqué par une
incompatibilité avec l’esprit, sinon la lettre,
de la Convention de 1951 relative au statut
des réfugiés, et notamment au principe de
non-discrimination
la
en
nationalité.
1 Mais la situation actuelle de la
les
Tunisie ne semble pas présenter
conditions de « sûreté » indispensables à
cette qualification.
raison
de
CADRE LEGAL DU CONCEPT DE
« PAYS SÛR »
Il faut remonter au début des années 1990
pour
constater l’émergence du concept de
« sûreté » dans le débat européen. Face à
l’augmentation du nombre de demandes
d’asile enregistrées dans les Etats membres,
ces-derniers ont adopté une « Résolution sur
les demandes manifestement infondées »
(dite « Résolution de Londres »), qui revient
sur les risques de saturation du système
d’asile. L’adoption d’une liste commune de
« pays sûr » comme moyen de filtrer les
demandes présumées authentiques des
demandes « indues » ou « abusives » était
alors envisagée.
Cette notion a ensuite été intégrée dans la
directive du 1
er décembre 2005 dans le cadre
de l’harmonisation des politiques d’asile des
traité
Etats membres prévue par
d’Amsterdam (directive 2005/58/CE). Le
concept de « pays sûr » a ensuite été repris
par la directive européenne n°2013/32/UE
du 26 juin 2013 relative aux procédures
communes pour assurer la mise en œuvre
le
1 Le concept de « pays d’origine sûr » s’inscrit dans une logique
radicalement opposée à celle de protection qui fonde la convention de
Genève en rompant avec la définition des réfugiés par groupe de
nationalités, pour préférer la formulation relative à l’exigence de craintes
personnelles de persécution ou de raisons personnelles. Comme le
rappelle la CNDH (2017), « l’appréciation des craintes personnelles …
implique un examen individuel du besoin de protection, c’est-à-dire un
examen au fond de la demande et non un examen de recevabilité ayant
pour seul objet de s’assurer de la sûreté du pays de provenance ainsi
que de la trajectoire empruntée par le demandeur
».
















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Ce système accéléré de traitement des
demandes d’asile repose sur un présupposé
selon lequel la personne ne fuit pas un risque
de persécution compte tenu de la situation
en Tunisie.
Cette présomption d’absence de
fondement de la demande peut conduire
l’Etat italien à questionner la fiabilité et la
véracité des éléments avancés par le
demandeur, ce qui peut résulter en un
traitement inéquitable de la demande. La
Commission territoriale n’étant en outre plus
obligée de motiver sa décision de rejet de la
demande.
En outre, l’introduction d’un recours contre
la décision de rejet de la demande d’asile
,
n’a pas d’effet suspensif. Par conséquent, si
l'avocat ne requiert pas immédiatement la
suspension de l'efficacité de la décision, le
demandeur risque d'être renvoyé en Tunisie
dans l’attente de la décision en appel, ce qui
déroge au principe fondamental de non-
refoulement.
L’utilisation du principe de
« sûreté
» n’offre donc pas de garanties
suffisantes de
respect des garanties
procédurales
du droit d’asile.
Enfin, l’examen de la demande d’asile se
déroule dans le cadre d’une procédure
davantage expéditive qu’accélérée
: dès la
réception de la demande, la préfecture de
police doit transmettre sans délai
les
documents nécessaires à la Commission
Territoriale, qui doit procéder à l'audition
dans les 7 jours et adopter la décision dans
les deux jours suivants. Le délai pour faire
appel de la décision de rejet de la demande
d’asile est quant à lui réduit de moitié, soit
15 jours, ce qui porte préjudice à l’examen
individuel de la demande d’asile.

Quoiqu’il en soit du respect des garanties
procédurales fondamentales du droit d’asile,

la situation en matière de droits humains en
Tunisie ne semble pas autoriser l’Italie à
qualifier ce pays comme « pays d’origine
sûr ».
d’un régime d’asile européen commun (dite
« directive Procédures »).
La transposition de cette directive dans les
législations nationales s’est traduite par
l’adoption par plusieurs Etats membres de
listes de pays considérés comme sûrs selon
des critères qui leur étaient propres. C’est le
cas notamment de l’Italie qui a adopté le 4

octobre 2019 un décret interministériel
visant à réduire drastiquement le délai de
traitement des dossiers d’immigration en
Italie pour les migrants originaires de 13
pays « sûrs », parmi lesquels figurent la
Tunisie.
2
Les critères utilisés par l’Italie et les sources
sur lesquelles les autorités italiennes se sont
basées pour inscrire la Tunisie sur sa liste
nationale de « pays d’origine sûr » restent
cependant flous et non transparente. Le fait
que
plus d’un tiers des migrants qui sont
arrivés en
Italie depuis 2019 soient
originaires d’un de ces 13 États, semble être
la
à
seule motivation
l’établissement de cette liste.
sous-jacente
Notons d’ailleurs l’absence de la Tunisie des
listes des « pays d’origine sûr » de la France,
de la Belgique, de l’Allemagne ou de
l’Angleterre.

NON-RESPECT DES GARANTIES
PROCEDURALES FONDAMENTALES
DU DROIT D’ASILE
la
des
sûr »
façon dont
L’inscription de la Tunisie sur la liste italienne
a des
des «
pays d’origine
conséquences sur
les
demandes
ressortissants
d’asile
tunisiens sont examinées. En effet, la charge
de la preuve du besoin de protection
internationale
au
demandeur et non plus à la Commission
Territoriale, qui est dispensée
de l’examen
au fond de la demande d’asile.
incombe désormais
2 Les autres pays concernés par le décret sont l’Albanie, l’Algérie, la
Bosnie-Herzégovine, le Cap-Vert, le Ghana, le Kosovo, la Macédoine du
Nord, le Maroc, le Monténégro, le Sénégal, la Servie et l’Ukraine.






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CRITERES POUR LA
QUALIFICATION D’UN PAYS SÛR
concrétisent souvent dans de graves
violations des droits humains.
La désignation d’un « pays d’origine sûr »
tient compte non seulement des critères
classiques de démocratie, absence de
torture, d’autres formes de violence et de
conflits armés, ainsi que la mesure dans
laquelle la protection contre les persécutions
et les mauvais traitements est offerte par :
l’absence
d’expulsion
Les lois et règlements pertinents du pays et
la manière dont ils sont appliqués ; le
respect des droits et libertés reconnus dans
la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ou dans le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques ou dans
la Convention des Nations Unies contre la
torture ;
ou
d’extradition de ses citoyens vers des pays
tiers où, entre autres, ils risqueraient fort
d’être soumis à la peine de mort, à la
torture, à la persécution ou à d’autres peines
ou traitements inhumains ou dégradants, ou
dans lesquels leur vie ou leur liberté seraient
menacées en raison de leur race, religion,
nationalité,
sexuelle,
appartenance à un groupe social particulier
ou d’opinions politiques ou encore dans
lesquelles ils seraient exposés au risque
sérieux
ou
extradition vers un autre pays tiers ; un
système de recours efficaces contre les
violations de ces droits et libertés
.3
éloignement
d’expulsion,
orientation
LA TUNISIE : UN PAYS D’ORIGINE
SÛR ?
L’état de droit inachevé dans
les dix années de transition
Depuis la révolution de 2011 et au cours des
dix années qui ont suivi, la Tunisie a traversé
une phase de transition vers un État de droit
qui est resté
faille a
interrompu le flux malsain des événements
politiques, provoquant une fracture dans la
vie socio-politique du pays.
inachevé. Une
Le 25 juillet 2021, suite à une journée de
manifestations sur tout le territoire, le
Président de la République Kais Saied a
déclenché l’article 80 de la Constitution
tunisienne de 2014 et a, dans une
controversée dudit
interprétation
article, gelé le Parlement ainsi que révoqué
le gouvernement de Hichem Mechichi sur
fond de crises économique, sociale, sanitaire
et de confiance envers les institutions.
très
irrémédiablement balayée :
Cent jours après le déclenchement de
l’article 80, l’architecture constitutionnelle
de 2014 a désormais été profondément
remaniée. La question du
caractère
constitutionnel du recours au-dit article
la
semble
Tunisie évolue désormais de facto hors cadre
constitutionnel,
nouvelle
dans
composition des pouvoirs organisée par le
décret 117 et qui consacre la concentration
des pouvoirs exécutifs et législatifs - jadis
le
répartis
la
des
gouvernement
Représentants du Peuple (ARP) - dans les
mains du Président de la République.
l’Assemblée
Présidence,
entre
une
et
L’analyse qui suit vise à reprendre les
principaux points au cœur de cette
classification afin de déconstruire
la
présomption de sûreté de la Tunisie et
montrer que, au-delà des difficultés
économiques évidentes, le pays fait face à
des problématiques plus profondes qui se
Le virage amorcé le 25 juillet par la prise de
mesures
judiciaires et administratives
exceptionnelles
4 se confirme en tout point,
la persistance
avec dans son sillage
d’atteintes aux libertés fondamentales et la
permanence d’un appareil sécuritaire e
n
roue libre et dans l’impunité.
3 Annexe II. Désignation comme pays d’origine sûr aux fins de l’article
29 et de l’article 30, par. 1 de la directive 2005/85/CE du Conseil de
l’Europe.
4 D’après les informations collectées, au moins 89 mesures judiciaires et
administratives ont été prises depuis le 25 juillet 2021 contre des
personnalités publiques, issues de la politique, des médias ou encore
contre des hauts-fonctionnaires. En outre, 10 procédures devant les
tribunaux militaires ont été lancés.







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Torture ou autres formes de
traitement ou de punition
inhumains ou dégradants
Malgré des progrès significatifs dans ce
domaine, il existe un certain nombre de
problèmes persistants, comme la définition
de la torture dans l’article 101bis (tel que
modifié en 2011) du Code pénal, qui limite
cette pratique aux actes commis aux fins
d’extorquer des aveux ou des informations
(et non à d’autres fins, telles que la punition)
et à des fins de discrimination raciale (et non
à toute discrimination quelle qu’elle soit).
L’article limite également la définition du
tortionnaire en excluant les personnes ayant
agi sur ordre, sur incitation ou avec les
consentement d’un fonctionnaire public ou
assimilé. Le Rapport spécial sur la torture a,
en juin 2014, appelé la Tunisie à s’assurer
que « la définition de la torture en droit
national (soit) mise en conformité avec la
Convention contre la torture des Nations
Unies
»5.
Même la modification et le renforcement du
cadre légal ne changeraient pas la pratique.
Faute de réformes en profondeur du
système judiciaire et sécuritaire, les actes de
tortures restent monnaie courante en
Tunisie
; cette pratique continue d’être
utilisée contre des victimes au profil divers,
pour obtenir des aveux mais aussi à des fins
punitives et parfois discriminatoires. Les
mauvais traitements infligés aux détenus
par les forces de sécurité sont aussi
fréquents ; ils peuvent prendre la forme de
torture, de harcèlement sexuel et d’autres
formes de traitement cruel. Le Comité des
droits d
e l’homme s’est dit préoccupé par le
fait que « la pratique de la torture reste
présente dans le secteur de la sécurité,
notamment pendant la garde à vue
»6.
Plusieurs cas de décès pendant la garde à
vue, en prison et au cours de
l’arrestation
ont eu lieu ces dernières années.
5 Voir Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCR), Tunisie : Il faut
plus qu’une volonté politique pour éradiquer la torture – Expert de l’ONU,
6
:
http://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsI
D=14671&LangID=F.
2014
- Plus de références et documents sur Legaly Docsjuin
En raison de l’absence d’enquêtes fiables,
indépendantes et impartiales sur toutes les
allégations de torture et d’autres mauvais
traitements, l’impunité pour les cas de
torture et d’autres mauvais traitement
s
demeurent systématiques en Tunisie. «
Le
nombre de condamnations pour les cas de
torture et de mauvais traitement demeure
très faible, les peines prononcées restent
et
particulièrement
les
réparations
victimes
demeurent insuffisantes
»7. Dans les rares
cas qui arrivent devant les tribunaux, les
faits, quelle que soit la gravité des violences
subies par les victimes, ne sont jamais
qualifiés de crime de torture mais, au mieux,
de violences qui constituent un délit.
clémentes
accordées
aux
Menaces aux libertés
Liberté d’expression et de la presse
En Tunisie, un
certain nombre de
légales sont utilisées pour
dispositions
restreindre la liberté d’expression et la
liberté de
la presse. Les autorités
tunisiennes ont montré une intolérance
les personnes qui
croissante envers
fonctionnaires
critiquent
les
institutions de
l'État. De nombreux
blogueurs, militants de la société civile et
utilisateurs de Facebook se retrouvent
poursuivis pour avoir exprimé leur opinion
par des commentaires non violents jugés
insultants ou irrespectueux.
les
ou
Les personnes poursuivies l'ont été en vertu
du Code des Télécommunications (article
86), du Code pénal (article 125, 126, 128)
et du décret-loi n. 115-2011 sur la liberté de
la presse, qui contiennent un certain nombre
de dispositions formulées en termes vagues
et qui criminalisent la liberté d'expression.
Ces articles prévoient de lourdes peines
ans
pouvant
cinq
d'emprisonnement
l'expression
pacifique de divers types de discours. En
outre, la liberté d'expression est garantie,
ainsi que de nombreuses autres garanties
jusqu'à
pour
aller
6 Comité des droits de l’homme, Observations finales concernant le
sixième rapport périodique de la Tunisie, par. 35, 24 avril 2020.
7 Comité des droits de l’homme, Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, par. 35, 24 avril 2020.


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constitutionnelles, dans les limites de la
moralité ou de la décence publique (article
226 et 226
bis du Code pénal), sur la base
desquelles les tribunaux tunisiens ont rendu
plusieurs décisions.
financements des associations et
les
organisations de la société civile.
Discrimination basée sur l’orientation
sexuelle et l’identité de genre

Liberté de réunion et d’association
La Constitution de 2014 intègre toute une
série de dispositions visant à protéger le
droit à la liberté de réunion pacifique et
d’association. Cependant, ces garanties ne
sont pas réglementées par une loi qui
respecte les instruments internationaux,
mais plutôt par une loi de 1969 (loi n. 4-
1969) qui restreint considérablement le droit
à la liberté de réunion pacifique. Cette loi
permet à la police de disperser et arrêter
toute manifestation susceptible de troubler
la sécurité et l'ordre public. Le caractère
vague de notions telles que la « sécurité » et
l'« ordre public » entraîne le risque que ces
dispositions soient détournées. En outre,
l’état d’urgence – renouvelé continuellement
depuis novembre 2015
et les dispositions
relatives à la lutte contre le terrorisme
restreignent les grèves et les manifestations.
À plusieurs reprises au cours des dix
dernières années, les violences policières
lors de manifestations ont laissé de sérieux
doutes sur la gestion des espaces publics et
le recours à la force. Le Comité des droits de
l’homme s’inquiète « de ce que des agents
de la force publique aient souvent fait un
usage excessif de la force, en particulier lors
de manifestations, entraînant des blessés et
des morts
» et « que les agents responsables
de morts et de blessés parmi
les
manifestants soient rarement poursuivis
pour de tels actes, ce qui a créé un climat
d’impunité de fait »8.
Le droit à la liberté d'association, également
garanti par la Constitution, a été menacé ces
dernières années et une tendance à réduire
l'espace de la société civile est réapparue. La
menace terroriste a fait émerger dans le
discours et dans les actions des décideurs
politiques la volonté de mieux « contrôler »
En Tunisie, la discrimination à l'encontre des
personnes LGBTIQA+ (Lesbiennes, Gays,
Bisexuels, personnes Trans, Intersexués,
Queer, Asexués) persiste en droit et en
pratique. La protection des droits des
personnes
des
obstacles persistants, compte tenu de la
criminalisation des relations homosexuelles
et des libertés individuelles.
LGBTIQA+
rencontre
En droit tunisien, les relations sexuelles
consenties entre des personnes du même
sexe sont criminalisées et punies par l'article
230 du Code pénal d'une peine pouvant aller
jusqu'à trois ans de prison.
Selon les données du Ministère de la Justice,
de janvier 2017 à juin 2020, environ 95
personnes ont été condamnées à des peines
allant jusqu'à trois ans de prison en violation
de l'article 230 du code pénal
9. En outre, les
d'être
minorités
emprisonnées jusqu'à six mois pour «
atteinte à la pudeur » (article 226), «
atteinte à la morale et/ou à la décence
publique » (article 226-bis) et « outrage à
un agent public » (article 125).
sexuelles
risquent
Face à la difficulté de contester le flagrant
délit, les autorités policières et judiciaires
soumettent les hommes, ainsi que les
femmes
transgenres, à des examens
médicaux intrusifs, tels que des tests anaux,
dans
le but présumé de « prouver »
l'homosexualité de l'accusé. Les tests anaux
traitement cruel,
sont une
inhumain et dégradant qui peut atteindre le
niveau de la torture.
forme de
A un cadre juridique défavorable, vient se
greffer une
et
vulnérabilité
économique résultant du rejet des identités
sexuelles et de genre non hétéronormatives.
sociale
8 Comité des droits de l’homme, Observations finales concernant le
sixième rapport périodique de la Tunisie, par. 47, 24 avril 2020.
9 Demande d'accès à l'information auprès du ministère de la Justice,
ASF, 07 octobre 2020.




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La société tunisienne est encore marquée
par un fort conservatisme, qui se manifeste
souvent par des actes homophobes et
discriminatoires. Pour les personnes et les
la stigmatisation,
militants LGBTIQA+,
l'exclusion sociale,
les
persécutions arbitraires sont des pratiques
récurrentes. L'État tunisien persiste à
rejeter la diversité du tissu social et la
reconnaissance des différentes sexualités,
identités et expressions de genre.
la violence et
Liberté de religion
La Constitution tunisienne garantit la liberté
de religion ou de conviction dans son article
6, ainsi que dans d'autres dispositions
constitutionnelles. Cependant, des
lois
relatives à l’ordre public et à la moralité
publique imposent des restrictions, comme
les dispositions qui répriment les relations
homosexuelles, les dispositions relatives à la
succession qui
les garanties
fragilisent
d’égalité entre les hommes et les femmes et
la coutume de respecter le ramadan. Comme
précisé par le Rapporteur Spécial sur la
liberté de religion ou de conviction «
[…] il
semble que certaines notions de moralité
publique peuvent être utilisées pour faire
respecter des pratiques religieuses dans le
pays
»10.
Bien que le droit de se convertir soit protégé
par la loi, une certaine pression sociale
émerge, qui peut éclater en actes
discriminatoires et violents. «
Des cas
d’hostilité sociale ont été signalés, plus
précisément des cas de harcèlement ou de
pressions à l’égard de personnes converties,
ainsi que des cas de menaces et de violence
à l’égard de personnes athées »11.
Egalité des sexes
tunisien
L'État
engagé depuis
s'est
longtemps à éliminer la violence à l'égard
des femmes, à protéger les droits acquis de
la femme et à garantit l'égalité. Toutefois la
loi n. 58-2017, qui établit une série de
mesures visant à éliminer toutes les formes
10 Conseil des droits de l’homme, Visite en Tunisie. Rapport du
Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction, par. 44, 3
octobre 2019
11 Ibid., par 64
l'égard des
de violence à
femmes,
criminalise le viol conjugal et empêche le
violeur d'échapper à la sanction en épousant
sa victime, n'a pas empêché les agressions
et le harcèlement à l'encontre des femmes,
ni permis un accès plus aisé à la justice.
Les femmes tunisiennes continuent de subir
un niveau élevé de violence. Selon une
enquête du Ministère des femmes, «
au
moins 47 % des femmes ont été victimes de
violence domestique au cours de leur vie.
Ces chiffres n’ont fait qu’augmenter avec le
début de la pandémie de COVID-19 »12. Par
rapport aux années précédentes, il y a eu
sept fois plus de cas de violence sexiste en
2020.
de
femmes
Les
violences
victimes
rencontrent un certain nombre d’obstacles
pour accéder à la justice à cause du système
judiciaire et de
la perception sociale.
L'impunité des agresseurs est encore
courante. Toutes ces difficultés sont
aggravées par la résistance de certains juges
d'instruction qui ne cachent pas
leur
opposition à la loi n. 58-2017 et qui font
pression sur les victimes pour qu'elles
retirent leurs plaintes.
Justice transitionnelle
inachevée
est
dans
Le processus de justice transitionnelle (JT),
entamé au lendemain de la révolution
tunisienne,
impasse
paralysante. L’adoption de la loi relative à
l’instauration de la JT en 2013 et la création
conséquente de l’Instance Vérité et Dignité
(IVD), ont été confrontées à des obstacles
qui menacent leur bon fonctionnement.
une
Aujourd’hui, environ 32.000 décisions de
réparations individuelles aux victimes de la
dictature et de la régression des droits
économiques et sociaux ne sont toujours pas
appliqués, se rajoutant à l’impunité continue
des forces de l’ordre qui continuent à
12 Amnesty
domestique en Tunisie, 20 mai 2021.
International, La vérité dramatique sur
la violence


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perpétrer des violations graves des droits
humains.
Depuis la création de l'IVD, le contexte
politique s'est fortement opposé à son
travail. Son fonctionnement a été confronté
à de nombreux obstacles de la part du
gouvernement et des décideurs, notamment
un certain retard dans la publication du
rapport. La liste définitive des martyrs et
blessés de la révolution, publiée le 19 mars
2021 après un retard de plus de cinq années,
comprend les noms de 129 martyrs et 634
blessés. À ce jour, aucun jugement ou
décision judiciaire n'a été rendu, aucune
affaire n'a été clôturée. La lenteur des procès
est due aux multiples reports, voire même
l'absence de l'accusé pendant le procès.
Dans le cadre de la justice transitionnelle,
237 mandats d’amener sont délivrés à
l’encontre de bourreaux et de prévenus pour
des violations de droits de l’Homme
ou pour
des crimes financiers, mais ces mandats
d’amener ne sont pas appliqués. Les
prévenus bénéficient de la protection de la
police judiciaire, donc du ministère de
l’intérieur, ce qui renforce le sentiment
d’impunité et d’injustice chez les jeunes
Tunisiens, qui continuent d’être écrasés par
les reliques de l’
État policier. Au lendemain
du 25 juillet, le processus de JT reste dans
les limbes de l'incertitude dans le cadre de la
transition démocratique en Tunisie. La
nomination par le Ministère de l’Intérieur de
deux personnes (Khaled Marzouki, limogé
depuis, et Sami Yahiaoui) poursuivies
devant les chambres criminelles spécialisées
en JT pour de violations graves de droits
humains suscite de sévères critiques. De
plus, l'ensemble du processus risque d'être
sapé par un nouveau projet de réconciliation
économique, mentionné à plusieurs reprises
dans
les discours du Président, qui
compromet la redevabilité pour des affaires
de corruption et de malversation devant les
chambres spécialisées en JT, et brise ainsi
toute lueur de changement social à travers
la justice pénale.
Mouvements sociaux et leur
traitement juridictionnel
une
sociaux.
politique,
La situation socio-économique du pays,
transition
l'impasse
incomplète, avec tout ce que cela implique,
ont été autant d'éléments de revendications
Les
les mouvements
pour
mouvements de protestation
et de
revendication ont connu une tendance à
l'intensification et à la croissance de leur
capacité de mobilisation et d'innovation,
avec des formes de protestation nouvelles et
non stéréotypées. Les mouvements de la
jeunesse tunisienne de janvier 2021 sont le
résultat direct d'un contexte politique
difficile, de l'échec de la construction des
institutions politiques et de la propagation de
la corruption et de l'impunité.
des
humains.
Cependant, ils ont dû faire face à des
poursuites sécuritaires et judiciaires. Le
gouvernement a traité ces protestations
avec stigmatisation,
les accusant de
sabotage et a donné carte blanche aux
services de sécurité pour les réprimer. Plus
de 2.000 jeunes, dont 30% de mineurs, ont
été arrêtés. Les médias et les organisations
de la société civile ont documenté d'horribles
Les
droits
violations
événements de janvier n'ont été qu'un
épisode de la série de mesures de répression
sécuritaire contre les mouvements sociaux
réclamant des droits
et de
constitutionnels. Les dossiers judiciaires des
acteurs du mouvement social, en janvier
2021 et depuis la révolution, ont prouvé
l’intention constante du ministère public de
les renvoyer sur la base des articles
juridiques qui atteignent leur réputation et
les accusent de violence et de désobéissance
afin de les criminaliser et saper la légitimité
de leur mouvement.
jeunesse
Les textes de référence établissant cette
approche sont tous des textes stagnants
émis depuis la promulgation du Code pénal
en 1913, notamment l’article 125 (« outrage
à un fonctionnaire public »), considéré
comme l'un des articles les plus dangereux
utilisés pour confronter les titulaires de
droits et les dirigeants de mouvements de




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protestation. Parmi les méthodes adoptées
par le ministère public pour humilier les
titulaires de droits et dévaloriser
leur
mouvement, il y a des fréquentes saisines
fondées sur la base des articles 226
(« outrage public à la pudeur »), 226-bis
atteinte aux bonnes mœurs ») et 245
(« atteinte à l'honneur ou à la réputation des
personnes ») du Code pénal.
Ces dernières années, la police a durement
réprimé les mouvements sociaux (El Kamour
à Tataouine en juin 2020 et d’Agareb à Sfax
en novembre 2021), a fait un recours
excessif à la violence, a été responsable de
la mort de plusieurs personnes. Tout cela en
toute impunité.
Tunisie : vers un retour de
l’État policier ?
En Tunisie, un projet de loi sur la protection
des forces armées est en discussion depuis
de nombreuses années. En 2015, un projet
de loi relative à la répression des atteintes
contre les forces armées (Projet de loi n. 25-
2015), relancé en 2017 après la m
ort d’un
policier à Sidi Bouzid, a été enregistré au
Parlement. Les lobbys des forces armées, les
syndicats de la police et de la garde
nationale ont toujours fait pression pour
l'adoption de ce projet de loi. Celui-ci a été
fortement contesté par la société civile
organisations
tunisienne
internationales.
International
déclare qu'il s’agit d’un « projet de loi qui
risque de museler toute critique des forces
armées et de renforcer une culture de
l’impunité déjà ancrée dans le système
sécuritaire et judiciaire tunisien »13.
les
Amnesty
et
fortes
critiques
Malgré de
et des
manifestations, le projet de loi a été discuté
à nouveau en juillet 2020. Les amendements
positifs n’ont toutefois pas modifié la nature
du projet de loi, qui contient toujours des
dispositions
renforcer
l'impunité des forces de sécurité et de les
exonérer de toute responsabilité pénale
susceptibles de
lorsqu'elles font un recours excessif à la
force. «
S’il est adopté, il renforcera la
culture de
l’impunité et adressera un
message inquiétant aux forces de sécurité,
leur in
diquant qu’elles ont le feu vert pour
utiliser la force à leur gré, sans s’inquiéter de
devoir rendre des comptes »14.
Ce projet de loi, discuté en 2015 et retiré à
plusieurs reprises, montre en tout cas une
tendance claire des forces de sécurité qui ont
longtemps bénéficié de l'impunité pour les
violations des droits humains et le recours
excessif à la force.
étrangers
des
Situation
migrants et
la restriction du
droit d’asile
Au cours des dernières années, la Tunisie,
traditionnellement considérée comme un
pays d’émigration, s’est progressivement
transformée en un pays de transit, voire
même de destination des populations
migrantes.
juridique
Malgré des avancées considérables, le cadre
juridique régissant la migration et l’asile
demeure incomplet bien que la Tunisie ait
ratifié la Convention de Genève. Le droit
d’asile n’a pas encore été introduit dans le
système
tunisien, bien que
l’impératif d'adopter une loi sur l'asile
découle de l'article 26 de la Constitution qui,
cependant, reste assez restrictive dans sa
définition de l’asile. En l’absence d’une loi
d’asile nationale, en Tunisie, le statut de
réfugié peut uniquement être évalué et
accordé par
le UNHCR. La situation
quotidienne des réfugiés, des demandeurs
d'asile et des migrants est précaire et leur
statut juridique est indéterminé.
Les conditions de séjour des migrants sont
aggravées par la législation sur le séjour
irrégulier, qui expose les migrants à la
détention, laquelle a souvent lieu dans des
centres informels, comme celui d'El Ouardia.
13 Amnesty International, Tunisie: Appel aux Représentants du Peuple
14 Amnesty International, Tunisie. Les membres du Parlement doivent
pour l’abandon de l’examen du projet de loi relatif à la répression des
rejeter la légalisation de l’impunité pour les forces de sécurité, 5 octobre
atteintes contre les forces armées, 24 juillet 2017.
2020.


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Dans ce centre, qui n'est ni enregistré ni
administré officiellement comme un lieu
privatif de liberté, toute détention est de
facto arbitraire.
toutes et tous ses ressortissants. Ce concept
est donc incompatible avec le droit d’asile et
les garanties à fournir à la population
migrante.
Enfin, l'expulsion de migrants subsahariens
interceptés en mer à la frontière libyenne par
la Garde nationale tunisienne en septembre
2021 soulève de sérieux doutes quant au
respect des garanties fondamentales à
fournir à la population migrante et au
respect du principe de non-refoulement.
CONCLUSION
Le droit d’asile
constitue un droit
fondamental consacré tant par la Charte des
l’Union
fondamentaux
droits
européenne15 que par
italien.
Cependant,
la
multiplication des obstacles pour limiter
l’accès aux procédures d’asile.
force est de constater
de
le droit
L’utilisation de la notion de « sûreté » pour
justifier la mise en place d’une procédure
accélérée d’examen d’une demande d’asile
implique non seulement un abaissement des
garanties procédurales indispensables pour
assurer la qualité de cet examen
16, mais
méconnait également
la
situation particulière de nombreux tunisiens
demandeurs d’asile.
la réalité de
En outre, l'instrumentalisation de ce concept
permet une certaine standardisation des
rapatriements vers la Tunisie
1.997
Tunisiens en 2020 et 1.655 jusqu'à mi-
novembre 2021 qui reste le pays vers
lequel l'Italie effectue le plus d'opérations de
rapatriement.
Le concept de « pays d’origine sûr » permet
ainsi de déclarer irrecevable une demande
d’asile et de renvoyer le demandeur vers
l’Etat concerné, sous prétexte que ce pays
est sûr pour lui. Or, la Tunisie ne peut être
considérée comme absolument « sûr » pour
Les organisations signataires entendent
souligner la gravité de la situation vécue par
de nombreux tunisien.ne.s victimes de
violations graves de droits humains et
appellent le gouvernement italien à renoncer
à la notion de « pay
s d’origine sûr » qui vide
le droit d’asile de sa substance.
Les organisations signataires : avec la collaboration de l’Associazione per
gli studi sull’immigrazione :
L'article complet et ses sources peuvent être consultés dans la revue « Diritto, Immigrazione e
Cittadinanza », numéro 3/2021, disponible ici :

https://www.dirittoimmigrazionecittadinanza.it/allegati/fascicolo-n-3-2021/810-
templatetunisia/file
15 L’article 18 de la Charte des droits fondamentaux dispose que « le
droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de
Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au
statut des réfugiés et conformément au traité sur l’Union européenne et
au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ».
16 Notons également le fait que les tunisien.nes soumis à des
procédures accélérées ne reçoivent généralement pas les informations
nécessaires pour demander la protection internationale.









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