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Université de Montréal
De la réforme et de l’harmonisation du droit des sûretés dans un contexte de
mondialisation de l’économie: vers un retour au paradigme de l’uniformisation du droit ?
par
Antoine Leduc
Faculté de droit
Thèse présentée à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de
Docteur en droit (LL.D.)
Mars 2011
© Antoine Leduc, 2011
































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Université de Montréal
Faculté des études supérieures
Cette thèse intitulée :
De la réforme et de l’harmonisation du droit des sûretés dans un contexte de
mondialisation de l’économie: vers un retour au paradigme de l’uniformisation du droit ?
présentée par :
Antoine Leduc
a été évaluée par un jury composé des personnes suivantes :
Monsieur le Professeur émérite Nabil N. Antaki
président-rapporteur et représentant du doyen
Monsieur le Professeur émérite Pierre Ciotola
directeur de recherche
Monsieur le Professeur Stéphane Rousseau
membre du jury
Monsieur le Professeur François Brochu
examinateur externe



























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iii
Résumé de la thèse
La réforme et l’harmonisation du droit des sûretés mobilières sont à l’ordre du jour de
plusieurs organisations internationales, car il est admis qu’un régime de sûretés efficient
favorise l’accès au crédit à de faibles coûts. L’harmonisation de ce droit comporte deux
volets. D’une part, dans l’Occident industrialisé, les efforts d’harmonisation vont de la
réforme des droits internes à l’établissement de régimes spéciaux relativement à des biens
spécifiques (principalement les biens mobiles de grande valeur, tels les aéronefs, le
matériel ferroviaire roulant et les satellites, et les biens incorporels, comprenant les
créances, valeurs mobilières, actifs financiers et titres intermédiés). Ces efforts
d’harmonisation démontrent que d’un point de vue systémique, malgré quelques
différences notables, les régimes nord-américains et européens sont fondés sur des
principes similaires et atteignent des résultats comparables. En résulte l’émergence d’un
ordre juridique transnational en droit des sûretés mobilières, fondé sur les principes de la
primauté de l’individu et la reconnaissance du droit de propriété de l’individu dans ses
biens, mis en œuvre grâce à l’État de droit.
D’autre part, les institutions financières internationales encouragent l’établissement de
régimes de sûretés dans les pays en voie de développement qui obéissent aux mêmes
critères que ceux de l’Occident, en insistant sur les réformes institutionnelles et juridiques
visant l’établissement d’une bonne gouvernance et l’État de droit. Cependant, une
transposition des régimes occidentaux ne peut se faire sans heurts dans les pays en voie
de développement, notamment pour des raisons socio-culturelles et politiques. Lorsque
les principes de la primauté de l’individu, de la propriété individuelle et de l’État de droit

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iv
ne sont pas reconnus dans un pays donné, la réforme et l’harmonisation du droit des
sûretés s’en trouvent compromis.
La démonstration de l’état d’avancement de la réforme et de l’harmonisation du droit des
sûretés dans les pays occidentaux industrialisés est faite grâce à une comparaison du
Uniform Commercial Code, du Code civil du Québec, des Personal Property Security
Acts des provinces canadiennes de common law, des principes des droits français et
anglais, de l’influence du droit communautaire sur les pays membres de l’Union
Européenne. Sont analysés, aussi, dans cette optique, les principaux instruments de
l’harmonisation du droit émanant des organisations internationales.
Par ailleurs, deux études de cas relatifs à la réforme du crédit foncier en Égypte et à la
réforme de l’urbanisme et de l’habitat en République démocratique du Congo, viennent
étayer les difficultés que rencontrent les institutions internationales, telles la Banque
mondiale et l’ACDI, dans le cadre de projets de réformes visant la bonne gouvernance et
l’instauration d’un véritable État de droit, en partie à cause d’un pluralisme des ordres
juridiques de ces pays.
(mots clés : sûretés – sûretés mobilières – harmonisation – droit comparé – droit civil –
common law – droit islamique – droit coutumier africain – droit et développement – État
de droit – ACDI – Banque mondiale)
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Abstract of the thesis
The reform and harmonization of secured transactions on movable (or personal) property
is fostered by international organizations, on the assumption that an efficient regime of
secured transactions will give access to affordable credit to a large number of persons and
corporations. Such reform and harmonization process can be explained according to its
two main features.
Firstly, in Western and developped countries, the focus is on endeavours to harmonize
the various regimes internally and to establish special regimes with respect to specific
assets (for instance, high value mobile equipment, such as aircrafts, rolling stock or
satellites, on the one hand, or incorporeal property, including securities, financial assets
or security entitlements, on the other hand). Even though some differences remains from
a systemic point of view, north american and european regimes are based on similar
principles and achieve comparable results. It is therefore possible to see the emergence
of a transnational legal order in the law of secured transactions, based on individuals and
the enforcement of their rights of ownership, ascertained by the Rule of Law principle.
Secondly, international financial institutions are encouraging the implementation of
secured transactions regimes in developing countries along the same criteria as those used
in Western developed countries, in the context of institutional and legal reforms under
governance and rule of law projects. However, Western regimes must be adapted and
customized before they are transplanted into a developing country. Indeed, for socio-
cultural and political reasons, it is not possible to establish the same kind of regime

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vi
therein. When individual rights and freedoms, including the right of ownership and the
Rule of Law, are not recognized, the reform and harmonization of secured transactions is
not likely to happen.
The status of advancement of the reform and harmonization of secured transactions in the
developed world is illustrated by a comparison between the Uniform Commercial Code,
the Civil Code of Québec, the Personal Property Security Acts of canadian common law
provinces, the applicable principles under both French and English Law, and the
influence of European Law on its member states. An analysis of the main harmonization
instruments proposed by international organizations is also conducted.
Finally, the pitfalls of governance and rule of law reform projects are well described by
two case studies. The first one deals with real estate and mortgage law reforms in Egypt,
with a goal to encourage affordable access to housing; the second one is about urban
planing and housing reforms in the Democratic Republic of Congo. The existence of a
multiplicity of legal orders in these countries explains the difficulties encountered in such
reform processes.
(key words: Secured transactions – Harmonisation – Comparative law – Civil Law –
Common Law – Islamic Law – African Customary Law – Rule of Law – CIDA – World
Bank – Law and Development)
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vii
Table des matières
Résumé de la thèse...........................................................................................................iii
Abstract of the thesis........................................................................................................ v
Table des matières...........................................................................................................vii
Liste des sigles et des abréviations................................................................................xxi
Dédicace........................................................................................................................xxiv
Remerciements.............................................................................................................. xxv
INTRODUCTION............................................................................................................. 1
Problématique, questions et hypothèses de recherche................................................... 6
Posture épistémique, méthodologie de recherche et cadre théorique........................ 11
PREMIÈRE PARTIE - DE LA RÉFORME ET DE L’HARMONISATION
DU DROIT DES SÛRETÉS MOBILIÈRES AU
PLAN SYSTÉMIQUE EN OCCIDENT ...........................18

I-
LA RÉFORME ET LHARMONISATION DU DROIT DES SÛRETÉS
MOBILIÈRES
.............................................................................................. 18
A. La réforme intrinsèque des droits nationaux ................................. 19
1. Une mise en contexte .................................................................... 19
2. La modernisation, la réforme ou l’instauration de régimes
de droits des sûretés mobilières à l’interne ................................... 22
B. L’harmonisation du droit des sûretés mobilières à l’échelle
internationale..................................................................................... 33
1. De l’« unification » à l’« harmonisation » du droit des
sûretés mobilières à l’échelle internationale ? .............................. 33

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viii
2. La prise de garanties dans un contexte transfrontalier ou sur
des biens mobiles, incorporels ou dématérialisés ......................... 37
2.1 les instruments visant les biens mobiles ................................. 37
2.2 les
instruments visant
les biens
dématérialisés.......................................................................... 42
incorporels ou
II-
LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DU DROIT DES SÛRETÉS EN
OCCIDENT
.............................................................................................. 54
A. Des fondements et des valeurs qui sous-tendent
les
principaux régimes de sûretés en Occident .................................... 54
1. Du principe de
l’égalité des créanciers dans
le
recouvrement de leurs créances (pari passu)................................ 55
1.1 recouvrement d’une créance lorsque le débiteur n’est
pas assujetti à une procédure collective des créanciers .......... 56
1.2 recouvrement d’une créance lorsque le débiteur est
insolvable et assujetti à une procédure collective des
créanciers ................................................................................ 62
1.3 justifications au principe de
l’égalité entre
les
créanciers ................................................................................ 65
2. De l’exception au principe de l’égalité entre les créanciers :
l’édification d’un régime de sûretés et l’établissement d’un
ordre de priorités ........................................................................... 67
2.1 un régime dérogatoire ou exorbitant du droit commun .......... 67
2.2 les justifications apportées au soutien de l’édification
d’un régime de sûretés et de l’établissement d’un ordre
de priorités .............................................................................. 69
2.3 du nécessaire arrimage des régimes de sûretés et des
régimes de procédures collectives des créanciers................... 75
2.3.1 utilité, effectivité de la sûreté conventionnelle et
insolvabilité du débiteur.............................................. 76
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ix
a) utilité de la sûreté conventionnelle ....................... 76
b) effectivité de la sûreté conventionnelle................. 77
2.3.2 conciliation d’intérêts divers, parfois divergents ........ 78
a) partage de compétences législatives entre
deux paliers de gouvernements............................. 79
b) arbitrage des intérêts de diverses catégories
de créanciers.......................................................... 83
2.3.3 adaptations des règles en fonction de la finalité
de la procédure collective ........................................... 85
2.3.4 préservation de
la valeur économique des
sûretés conventionnelles dans un contexte de
redressement ............................................................... 89
a) financement postérieur à l’ouverture de la
DIP
procédure
Financing »).......................................................... 91
États-Unis
aux
b) financement postérieur à l’ouverture de la
procédure au Canada............................................. 96
i) évolution prétorienne ...................................... 98
ii) consécration législative................................. 105
c) financement postérieur à l’ouverture de la
procédure dans les textes internationaux ............ 111
d) autres atténuations aux régimes de sûretés ......... 113
2.3.5 principes directeurs de
l’harmonisation des
régimes de sûretés et d’insolvabilité en droit
interne ....................................................................... 116
2.3.6 harmonisation internationale de l’insolvabilité et
traitement équitable des créanciers ........................... 118
Page 10
x
3. Les principales caractéristiques d’un régime de sûretés
mobilières.................................................................................... 123
3.1 historique et évolution des sûretés mobilières : de leur
naissance à leur prolifération incontrôlée et incohérente...... 123
3.2 de la nécessité d’adopter des règles simples, efficaces et
uniformisées.......................................................................... 127
B. De l’uniformisation intrinsèque des régimes de sûretés
mobilières......................................................................................... 128
1. Les principales techniques juridiques permettant l’atteinte
de l’uniformité intrinsèque.......................................................... 130
1.1 l’approche fonctionnelle et unitaire du Titre 9 du
Uniform Commercial Code................................................... 130
1.1.1 distinctions fondamentales entre les approches
dites « formaliste » et « fonctionnelle ».................... 131
1.1.2 genèse, historique et évolution de l’approche
« fonctionnelle » ....................................................... 134
1.1.3 buts poursuivis par l’approche « fonctionnelle »...... 135
1.1.4 principales critiques formulées à l’encontre de
l’approche « fonctionnelle » ..................................... 136
1.2 le principe de l’énumération limitative des sûretés du
droit français ......................................................................... 142
1.3 le concept de la « présomption d’hypothèque » tel que
proposé par l’
Office de révision du Code civil du
Québec
.................................................................................. 143
1.4 le principe de l’« essence de l’opération » tel que
formulé par R.A. Macdonald ................................................ 146
2. De diverses solutions retenues ou proposées .............................. 151
2.1 aux termes de la Convention du Cap (2001)......................... 151
Page 11
xi
2.1.1 historique de la Convention du Cap (2001) et
objectifs poursuivis ................................................... 152
2.1.2 mécanique juridique mise en place par la
Convention du Cap (2001)........................................ 153
2.1.3
impact du choix de n’avoir pas
l’approche fonctionnelle et unitaire .......................... 154
retenu
2.2 l’exemple du Code civil du Québec : les priorités, les
les sûretés-propriété partiellement
hypothèques et
réglementées ......................................................................... 157
2.3 aux termes de la Loi type interaméricaine relative aux
sûretés mobilières ................................................................. 167
2.3.1 historique de
la Loi
interaméricaine
relative aux sûretés mobilières
et objectifs
poursuivis.................................................................. 167
type
2.3.2 problématiques d’ordre conceptuel........................... 173
2.3.3 problématiques d’ordre terminologique.................... 177
2.4 aux termes de la Loi type de la BERD .................................. 179
2.5 aux termes du Guide législatif sur les opérations
garanties .............................................................................. 181
III- DES CONCEPTS ET DES VALEURS DU DROIT DES SÛRETÉS
MOBILIÈRES ............................................................................................ 186
A. Des principales modalités des sûretés réelles................................ 186
1. Les types de sûretés réelles et leurs caractéristiques .................. 187
1.1 les sûretés légales ou conventionnelles................................. 187
1.2 les sûretés mobilières ou immobilières ................................. 195
1.3 les sûretés mobilières conventionnelles avec ou sans
dépossession.......................................................................... 198
Page 12
1.3.1
les modalités de constitution..................................... 199
xii
a) aux termes du Titre 9 du UCC ............................ 200
b) aux termes du Code civil du Québec................... 204
c) aux termes de la Loi type interaméricaine
relative aux sûretés mobilières ........................... 222
d) aux termes de la Loi type de la BERD ................ 225
e) aux termes du Guide législatif sur les
opérations garanties ........................................... 227
1.3.2
les mécanismes de publicité...................................... 228
a) aux termes du Titre 9 du UCC ............................ 229
b) aux termes du Code civil du Québec................... 232
c) aux termes de la Loi type interaméricaine
relative aux sûretés mobilières ........................... 237
d) aux termes de la Loi type de la BERD ................ 241
e) aux termes du Guide législatif sur les
opérations garanties ........................................... 242
2. Les sûretés mobilières conventionnelles dans leur objet et
dans leur cause ............................................................................ 244
2.1 l’objet de la sûreté mobilière conventionnelle ...................... 244
2.1.1 dans la tradition civiliste ........................................... 244
a) concept de patrimoine ......................................... 246
b) droits
réels principaux et droits
réels
accessoires........................................................... 248
c) classification des biens meubles ......................... 252
Page 13
xiii
2.1.2 dans la tradition de common law et de droit
américain................................................................... 255
a) classification traditionnelle du droit des
biens de common law .......................................... 255
b) classification des biens telle que proposée
aux termes du Titre 9 du UCC ............................ 261
2.1.3 de l’arrimage de ces différentes conceptions
d’harmonisation
dans
internationaux ........................................................... 268
instruments
les
2.2 la cause de l’obligation dont l’exécution est garantie
aux termes de la sûreté conventionnelle ............................... 271
2.2.1 dettes présentes ou
futures de caractère
déterminé ou indéterminé lors de la constitution
de la sûreté ................................................................ 271
2.2.2 utilité de la règle de la spécialité de la sûreté
quant à son montant et quant à sa cause ................... 277
B. De quelques considérations sur la mise en œuvre des
sûretés mobilières............................................................................ 279
1. L’ordre de priorités entre
les créanciers : ordre de
temporel et principales dérogations à ce
collocation
principe ....................................................................................... 279
1.1 le principe de l’ordre de collocation temporel ...................... 280
1.2 d’une première exception : le Purchase Money Security
Interest PMSI »)............................................................... 281
1.2.1
le PMSI : historique et présentation de la notion...... 282
1.2.2
la place du PMSI dans le Titre 9 du UCC................. 285
1.2.3
le PMSI et
d’harmonisation du droit........................................... 287
internationaux
instruments
les
Page 14
xiv
1.2.4
les assises théoriques du PMSI ................................. 288
1.2.5 comparaisons entre le PMSI et les mécanismes
mis en place par le
Code civil du Québec visant
l’atteinte d’objectifs analogues ................................. 292
a) priorité du vendeur impayé ................................. 293
b) hypothèque du vendeur en garantie du prix
de vente ............................................................... 293
c) inscription globale de réserves de propriété
et d’autres sûretés-propriété................................ 294
d) critique des solutions mises en place par le
législateur québécois et solution alternative ....... 299
i) critique économique...................................... 299
ii) critique technique et conceptuelle................. 300
iii) solution alternative........................................ 302
1.3 d’une seconde exception : le gage ........................................ 303
1.4 d’une troisième exception : les sûretés légales ..................... 306
1.5 d’une quatrième exception : les droits et priorités des
autorités fiscales.................................................................... 307
1.6 d’une cinquième exception : les droits et priorités
découlant des procédures collectives des créanciers ............ 307
2. Les principes fondamentaux en matière de publicité des
sûretés mobilières conventionnelles ........................................... 308
2.1 des règles de conflits de lois ................................................. 308
2.2 de la publicité par inscription à un registre : fondement
d’un régime de sûretés moderne ........................................... 314
Page 15
xv
2.2.1
fonction du registre de publicité et inscription
des droits ................................................................... 314
2.2.2
inscription d’une sûreté au registre avant sa
constitution (les sûretés prospectives) ...................... 320
2.3 de la renaissance de la publicité par dépossession................ 322
3. Les principes directeurs en matière de réalisation et
d’exécution des sûretés mobilières conventionnelles ................. 323
IV- DE LHARMONISATION DU DROIT DES SÛRETÉS MOBILIÈRES : DES
VALEURS ET DES CONCEPTS À LEUR MISE-EN-ŒUVRE........................... 334
A. Des traditions juridiques et des techniques législatives............... 334
1. En droit civil québécois et en Common Law anglo-
américaine ................................................................................... 336
1.1 la codification du droit : but, objet et technique de
rédaction législative .............................................................. 336
1.1.1 but et objet de la codification.................................... 337
1.1.2
technique de rédaction législative propre à la
codification organisatrice de la tradition civiliste..... 343
1.2 du judge made law au droit légiféré...................................... 346
2. Les divers contextes et formes de l’harmonisation du droit ....... 350
2.1 pays de droit mixte : le bijuridisme canadien ....................... 350
2.2 perspective internationale ..................................................... 356
B. L’harmonisation du droit des sûretés mobilières ........................ 359
1. À l’échelle panaméricaine et internationale................................ 359
1.1 points de convergences et de divergences ............................ 360
Page 16
1.1.1 valeurs ....................................................................... 360
xvi
a) constitution de la sûreté ...................................... 360
b) mécanismes de publicité de la sûreté .................. 362
c) objet et cause de la sûreté.................................... 362
d) priorités entre
les créanciers, mesures
d’exécution et de publicité de la sûreté............... 364
e) approches retenues et cohérence intrinsèque ...... 366
1.1.2 concepts..................................................................... 367
1.2 technique à préconiser et objet de l’harmonisation à ce
niveau : traité, convention, loi type, principes généraux
ou guide législatif.................................................................. 368
2. À l’échelle pancanadienne .......................................................... 382
2.1 harmonisation inter-provinciale ............................................ 382
2.2 sûretés fédérales .................................................................... 383
C. Vers l’uniformisation du droit des sûretés mobilières en
Occident ? ........................................................................................ 385
DEUXIÈME PARTIE – DE LA RÉFORME ET DE L’HARMONISATION
DU DROIT DES SÛRETÉS DANS LES PAYS
CONSIDÉRATIONS
ÉMERGENTS :
JURIDIQUES,
ET
CULTURELLES ...............................................................391

SOCIOPOLITIQUES
I-
LE PRINCIPE DE L’ÉTAT DE DROIT : FONDEMENT DE LÉCONOMIE
MONDIALISÉE ET DU DÉVELOPPEMENT
?............................................... 399
A. L’État de droit : généralités, historique et évolution................... 399
1. Quelques définitions utiles et acceptions de l’idée ..................... 400
1.1 une définition générale.......................................................... 400
Page 17
xvii
1.2 l’évolution historique de l’idée ............................................. 402
1.3 ses composantes institutionnelles et normatives................... 411
2. De l’émergence de ce principe en droit international public ...... 422
B. L’État de droit au cœur des projets de réformes
promulgués par les institutions financières internationales........ 426
1. La distinction entre le « droit du développement » et le
« droit au développement »......................................................... 427
1.1 la notion de « développement » ............................................ 427
1.2 le « droit du développement »............................................... 432
1.3 le « droit au développement »............................................... 443
2. La philosophie des institutions financières internationales et
l’aide accordée aux pays en voie de développement .................. 445
2.1 les principales institutions financières internationales.......... 445
2.2 le rôle de la Banque mondiale et les réformes pilotées
dans les pays en voie de développement............................... 452
2.3 la philosophie de la Banque mondiale quant à la
réforme du droit .................................................................... 462
C. L’État de droit, l’économie et le droit des sûretés « à
l’occidentale » .................................................................................. 468
1. L’État de droit, fondement de l’économie ? ............................... 468
2. De l’émergence de l’État de droit par la réforme du droit
commercial, en particulier du droit des sûretés .......................... 476
II-
L’ÉTAT DE DROIT « SUBSTANTIEL » : LE CAS DE LA RÉFORME DU
RÉGIME DE CRÉDIT FONCIER EN ÉGYPTE .............................................. 481
A. L’État de droit « instrumental » et « formel » en Égypte ........... 482
Page 18
xviii
B. L’État de droit « substantiel » en Égypte : la réforme du
régime de crédit foncier.................................................................. 484
1. D’une étude de terrain effectuée à la demande de l’ACDI,
dans le cadre d’une initiative de la Banque mondiale................. 485
2. De la crise du logement en Égypte : facteurs économiques,
sociaux, démographiques et institutionnels ................................ 492
3. Du cadre législatif et réglementaire égyptien en matière de
crédit foncier ............................................................................... 498
C. La gouvernance et la règle de droit : un historique
tumultueux des sources égyptiennes du droit............................... 508
1. De l’historique et de l’évolution de la tradition islamique
du droit en Égypte....................................................................... 511
1.1 les origines et l’évolution, du VIIe siècle au XIXe siècle...... 512
1.2 l’occidentalisation du droit égyptien : première période
de réforme (1840-1930) ........................................................ 519
1.3 la modernisation du droit égyptien et le nationalisme
séculier : la codification de compromis entre le droit
islamique et le droit occidental (1930-1952) ........................ 521
1.4 vers une réislamisation de la société et du droit
égyptiens (de 1952 à nos jours) ............................................ 524
2. Du droit privé patrimonial en Égypte (obligations, biens,
sûretés) : du droit islamique au droit civil .................................. 526
2.1 de ces principes en droit islamique ....................................... 527
2.2 de ces principes en droit civil égyptien................................. 531
2.3 du système de publicité des droits et du cadastre ................. 543
D. La Real Estate Finance Law de l’an 2001 : structure, objet
et cadre juridique............................................................................ 549
Page 19
xix
1. De la structure et de l’objet de la Real Estate Finance Law....... 550
2. De la nature des droits et obligations conférés en vertu de
cette loi........................................................................................ 561
2.1 de la qualification du contrat tripartite.................................. 561
2.2 de la nature et des modalités de constitution et de
publicité de la sûreté ............................................................. 567
2.3 de l’assiette de la sûreté et des obligations garanties............ 568
2.4 du rang de la sûreté ............................................................... 570
2.5 des mesures d’exécution forcée de la sûreté ......................... 571
2.6 de l’incomplétude de la REFL et de son interaction
avec les autres sources du droit égyptien.............................. 574
E. Le cadre institutionnel et réglementaire promulgué aux
termes de la Real Estate Finance Law ........................................... 575
F. La réforme du droit en Égypte : un processus difficile ............... 582
1. De l’implantation de la Real Estate Finance Law :
juridique et
améliorations possibles à
institutionnel ?............................................................................. 582
son cadre
2. De la réforme du droit en général dans le contexte égyptien...... 589
III- L’ÉTAT DE DROIT « SUBSTANTIEL » : LE CAS DE LA RÉFORME DE
L
URBANISME, DE LHABITAT ET DU CRÉDIT FONCIER EN
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO ............................................ 593
A. L’État de droit « instrumental » et « formel » en RDC............... 594
1. Le contexte politique, social et économique en RDC................. 594
2. L’État de droit en RDC ............................................................... 597
B. L’État de droit « substantiel » en RDC : la réforme de
l’urbanisme, de l’habitat et du crédit foncier............................... 600
Page 20
xx
1. Du cadre légal, judiciaire et administratif en RDC..................... 600
1.1 les sources du droit en RDC.................................................. 601
1.1.1
le droit coutumier oral............................................... 601
1.1.2
le droit légiféré écrit.................................................. 612
1.2 la législation pertinente en matière d’urbanisme et
d’habitat, son interprétation et sa mise en œuvre.................. 617
1.2.1
les lois relatives à l’urbanisme et à l’habitat............. 617
1.2.2
les lois relatives au droit des biens, au régime
foncier et immobilier et au régime des sûretés ......... 620
1.2.3
l’interprétation et la mise en œuvre de ce droit......... 631
2. Position du problème et pistes de solutions ................................ 637
IV- L’HARMONISATION DU DROIT DES SÛRETÉS DANS UN CONTEXTE
DE MONDIALISATION : VERS LUNIFICATION ?...................................... 640
CONCLUSION ............................................................................................................. 645
TABLE DE LA LÉGISLATION................................................................................. 649
TABLE DES JUGEMENTS ........................................................................................ 660
BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................ 663

Page 21
xxi
ACDI :
ALÉNA :
BAD :
Liste des sigles et des abréviations
Agence canadienne de développement international
Accord de libre échange Nord-Américain
Banque Asiatique de développement
BIRD :
Banque Internationale pour la reconstruction et le développement
BERD :
Banque Européenne pour la reconstruction et le développement
C.c.B.C. :
CIDA :
CCE :
C. civ. :
C.c.Q. :
CIDIP-VI :
CIDIP-VII :
Code civil :
Code civil du Bas Canada
Canadian International Development Agency
Code civil égyptien (1948)
Code civil (France)
Code civil du Québec
Sixième conférence interaméricaine spécialisée
en droit international privé de l’OÉA

Septième conférence interaméricaine spécialisée
en droit international privé de l’OÉA

Code civil du Québec
Convention du Cap (2001) :
Convention d’Unidroit relative aux garanties
internationales portant sur des matériels
d’équipement mobiles (Le Cap, 2001)


















Page 22
xxii
CNUDCI :
Commission des Nations Unies pour le droit commercial international
C.p.c. :
FMI :
Code de procédure civile du Québec
Fonds Monétaire International
LACC :
Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (Canada)
LARCC :
Loi sur l’application de la réforme du Code civil (Québec)
LFI :
Loi sur la faillite et l’insolvabilité (Canada)
LTIRSM :
Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières
LTVMQ :
OÉA :
OMC:
ONG:
ONU:
OPPSA :
ORCC :
PMSI :
Loi sur le transfert de valeurs mobilières
et l’obtention de titres intermédiés (Québec)
Organisation des États Américains
Organisation mondiale du commerce
Organisation non gouvernementale
Organisation des Nations Unies
Ontario Personal Property Security Act
Office de révision du Code civil (Québec)
Purchase Money Security Interest


















Page 23
xxiii
PNUD :
PPSA :
RDC :
REÉR :
REFL :
TPS :
TVQ :
UCC :
Programme des Nations Unies pour le développement
Personal Property Security Act
République démocratique du Congo
Régime enregistré d’épargne retraite (Canada)
Real Estate Finance Law (Egypt)
Taxe sur les produits et services (Canada)
Taxe de vente du Québec
Uniform Commercial Code
UNCITRAL :
United Nations Commission on International Trade Law
UNIDROIT :
Institut international pour l’unification du droit privé
USAID :
United States Agency for International Development











Page 24
xxiv
Dédicace
À monsieur Paul-André Crépeau, c.c., o.q., c.r.,
de la Société Royale du Canada,
professeur émérite, Faculté de droit,
Université McGill
D’un ancien étudiant et assistant de recherche reconnaissant et admiratif




















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xxv
Remerciements
La vaste entreprise que représente la rédaction d’une thèse de doctorat ne se fait pas
seule. En cela, nous avons été habilement et intelligemment dirigés par Pierre Ciotola,
professeur émérite à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, qui a fait preuve de
compétence, patience, générosité et dévouement à notre endroit. Nous lui en sommes
vivement reconnaissants.
Nous avons bénéficié d’un soutien appréciable de nos collègues de la Faculté de droit de
l’Université de Montréal, dont les professeurs Nabil Antaki, Guy Lefebvre et Stéphane
Rousseau qui, par leur écoute et leurs encouragements, nous ont permis de mener à bien
ce projet. De même, les commentaires du professeur François Brochu, ainsi que ceux de
tous les membres du jury lors de la soutenance qui s’est déroulée à la Faculté de droit de
l’Université de Montréal le 4 mars 2011, nous furent des plus stimulants et bénéfiques.
Enfin, le soutien de nos proches fut indispensable à la réalisation de cette thèse. Que
notre famille et nos amis trouvent ici l’expression de notre reconnaissance la plus sincère,
en particulier notre épouse, Christel Durand, sans qui nous n’aurions pu mener ce projet à
bon port.
La recherche est à jour au 1er août 2010.
Antoine Leduc
14 mars 2011




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Page 27
INTRODUCTION
Des idées d’uniformité
Il y a de certaines idées d’uniformité qui saisissent
quelquefois les grands esprits (car elles ont touché
Charlemagne), mais qui frappent infailliblement les
petits. Ils y trouvent un genre de perfection qu’ils
reconnaissent, parce qu’il est impossible de ne le pas
découvrir : les mêmes poids dans la police, les mêmes
mesures dans le commerce, les mêmes lois dans
l’État, la même religion dans toutes ses parties. Mais
cela est-il toujours à propos, sans exception ? Le mal
de changer est-il toujours moins grand que le mal de
souffrir ? Et la grandeur du génie ne consisterait-elle
pas mieux à savoir dans quel cas il faut l’uniformité,
et dans quel cas il faut des différences ? À la Chine,
les Chinois sont gouvernés par le cérémonial chinois,
et les Tartares par le cérémonial tartare : c’est
pourtant le peuple du monde qui a le plus la
tranquilité pour objet. Lorsque les citoyens suivent
les lois, qu’importe qu’ils suivent la même ?

MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois, t. II, Livre XXIX,
Chapitre XVIII, Paris, Gallimard, 1995, p. 1038-1039.
Pourquoi harmoniser ou uniformiser le droit ? Cette vaste question se pose depuis des
siècles et fit l’objet d’interprétations diverses selon les contextes et les époques, que l’on
songe aux tables de l’Empereur Justinien 1, à l’époque du droit romain, au droit
canonique de l’Église catholique romaine 2, plus tard, à la lex mercatoria des marchands
du Moyen-Âge 3, à la codification napoléonienne et à celles qui s’en inspirèrent par la
1
2
3
Jean GAUDEMET, Les naissances du droit, 2e éd., Paris, Montchrestien, 1999, p. 99-100.
Ibid., p. 118-127, 184-194.
William TETLEY, « Mixed jurisdictions : common law vs civil law (codified and uncodified) »,
(1999) 4
Rev. dr. unif. 591-619, 877-906, en particulier aux p. 885-886; Philippe KAHN, « La lex
mercatoria : point de vue français après quarante ans de controverses », (1992) 37 R.D. McGill
413, 416.






Page 28
2
suite 4 et, enfin, aux efforts des internationalistes et comparatistes de la fin du XIXe
siècle, qui n’ont cessé de progresser depuis ce temps jusqu’à nous, en ce début de XXIe
siècle 5.
Harmoniser, uniformiser, codifier des normes, des pratiques, des usages, c’est rendre le
droit plus certain, plus accessible et, ce faisant, c’est favoriser la prévisibilité du droit et
des échanges économiques. C’est aussi contribuer à la création de nations, de sociétés, de
pays et, éventuellement, de marchés plus vastes, de zones économiques de libre-échange
qui ne connaissent plus de frontières. Ainsi, les ramifications de l’harmonisation du droit
sont nombreuses. Ses motivations sont tantôt politiques, tantôt économiques; elles sont
aussi philosophiques. Le postulat de l’harmonisation du droit consiste probablement, au
final, tel qu’on l’entend en Occident du moins, à favoriser l’éclosion de la liberté
individuelle par l’entremise du principe de l’État de droit, qui la permet par l’organisation
ordonnée de la vie en société, et ce, tant au niveau local qu’international, dans le respect
de la diversité des cultures et des traditions. Cette reconnaissance de l’individu se traduit,
concrètement, par une conception individualiste du droit de propriété, dont l’État se porte
garant et qui encourage les échanges économiques 6.
4
5
6
J. GAUDEMET, op. cit., supra note 1, p. 205-213 ; François EWALD, dir., Naissance du Code
civil. Travaux préparatoires du Code civil (extraits choisis et présentés par François Ewald)
,
Mayenne (Fr.), Flamarion, 2004. Voir aussi la biographie de l’un des pères du
Code civil des
Français
, écrite par Jean-Luc A. CHARTIER, Portalis, le père du Code civil, Saint-Amand-
Montrond (Fr.), Fayard, 2004.
René DAVID et Camille JAUFFRET-SPINOSI, Les grands systèmes de droit contemporains, 11e
éd., Paris, Dalloz, 2002, p. 1-13.
Ainsi, l’État-nation est-il au cœur de ce processus d’harmonisation et ne saurait être dissocié d’une
réflexion le concernant, ce qui suppose que cette réflexion s’articulera d’abord sur la base d’un
certain positivisme juridique. Néanmoins, l’objet de l’harmonisation, plus large que les systèmes
juridiques concernés dans son application, permet d’en entrevoir les limites : «
Le positivisme
juridique est donc particulièrement adapté à la modernité quand il est qualifié « d’objectiviste » et
davantage encore lorsqu’il est identifié à l’État. C’est en effet la transcendance abstraite de

Page 29
3
Dans cette mouvance, le droit des sûretés est considéré comme l’un des fondements de
l’économie. Il repose sur le droit de propriété qu’un sujet de droit a sur l’ensemble de ses
biens, donc son patrimoine. Ainsi, tout sujet de droit peut en tirer profit en l’affectant, en
tout ou en partie, à l’exécution de ses obligations, en privilégiant l’un ou l’autre de ses
créanciers par l’octroi d’une sûreté qui l’avantagera par rapport aux autres. Le sujet de
droit peut, dès lors, maximiser la valeur de son patrimoine, car le créancier titulaire d’une
sûreté, efficace et reconnue, lui fera crédit à un coût moindre. Il peut aussi, à cette aune,
fractionner son patrimoine et avoir accès à plusieurs sources de financement distinctes, en
aménageant les sûretés et leur rang entre ses divers créanciers.
Pour des raisons pratiques et historiques, le financement des individus ou des entreprises
a longtemps reposé, principalement, sur les biens immobiliers qu’ils possèdent. Puis,
dans les sociétés modernes, on tente graduellement de tirer profit des biens meubles, leur
valeur ayant progressivement déclassé celle des immeubles. Souvent, aussi, les
entreprises qui démarrent n’ont pas d’immeuble ou, tout simplement, œuvrent dans des
domaines où il n’est pas nécessaire d’en détenir un 7. Les principes généraux qui
régissent les sûretés sur les biens meubles ou immeubles sont essentiellement les mêmes,
bien que chaque régime comporte son lot de particularités. Remarquons cependant qu’à
ce titre, le type de régime de sûretés variera grandement d’une société à l’autre. Les pays
l’État, sous le signe de la constitution, et le statut formel de l’individu, sous le signe de la
propriété privée, qui définissent la structure politique de la modernité […]. Cependant, cette
conception du positivisme est la plus fragilisée par des approches sociologiques sur le droit, qui
tentent de faire de l’État un producteur de juridicité parmi d’autres. Sous cet angle, la
« modernité contemporaine » ou la post-modernité, ébranle les fondations d’un positivisme nourri
par un maître prépondérant : l’État ». Voir : Fabien GOUTTEFARDE, « Positivisme juridique et
Modernité », (2007) 37
R.G.D. 7, nos 25 et 27, p. 19 [références omises].
7
Voir, notamment : Roy GOODE, Legal Problems of Credit and Security, Londres, Sweet &
Maxwell, 2003, n
o 1-02, p. 2-3.

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4
industrialisés les plus économiquement avancés disposent de régimes de propriété
foncière rodés depuis des siècles et les biens meubles y ont valeur d’échange depuis
longtemps déjà. Dans ces pays, les régimes de sûretés porteront tant sur les biens
meubles que sur les immeubles; parfois, ces régimes seront distincts, parfois ils seront
intégrés. En revanche, dans les pays émergents ou en voie de développement, la
propriété foncière fait souvent défaut, quand elle n’est pas, tout simplement, inexistante.
C’est donc dire que les sûretés mobilières y sont la plupart du temps également absentes,
sans parler des sûretés personnelles auxquelles il n’est possible de se fier dans bien des
cas 8. Parfois, aussi, ces pays n’adhèrent pas à la conception individualiste du droit de
propriété et lui préfèrent une conception collectiviste ou communautariste, ce qui rend la
transposition de l’idée même d’un régime de sûretés beaucoup plus difficile 9. Le
clivage, entre les pays industrialisés et les pays émergents ou en voie de développement,
est donc important et variable d’une région à l’autre en matière de régimes de propriété et
de sûretés. Ce qui fait que l’on ne pourra pas envisager le phénomène de la réforme et de
l’harmonisation du droit des sûretés de la même manière lorsque l’on considère les pays
industrialisés et les pays émergents.
8
9
Voir : Yves PICOD, Droit des sûretés, Paris, Presses Universitaires de France (Thémis droit
public), 2008, n
o 5, p. 5 et 6 : « L’histoire du droit des sûretés alterne en permanence rigueur et
faveur, manifeste des évolutions vers le raffinement et des régressions vers le frustre. Les sociétés
primitives font d’abord tout naturellement appel aux garanties personnelles. […] Les sûretés
réelles n’apparaissent qu’après les sûretés personnelles : elles supposent en effet un état du droit
suffisamment évolué pour établir une distinction entre la chose et le droit réel qui porte sur cette
dernière
».
« Alors que les systèmes de valeurs traditionnelles présupposaient l’existence d’une collectivité
comme source des obligations morales, la société moderne fait au contraire de la liberté
individuelle et de l’égalité entre tous les individus ses principes fondateurs. C’est l’individu qui
est considéré comme la pierre angulaire de l’ordre moral ; il est source première des obligations.
Ainsi, « dans sa pûreté théorique et dans la logique de la modernité, le droit moderne, à la
différence de celui de la société traditionnelle […], se caractérise par le centrage de la légitimité
du droit autour de l’individu » ». Voir : F. GOUTTEFARDE, loc. cit., supra note 6, no 19, p. 16
[références omises].

Page 31
5
L’harmonisation consiste donc à proposer des outils respectueux de la diversité des
traditions juridiques et des cultures, permettant l’établissement de régimes de droit des
sûretés dans le plus grand nombre de pays possibles, et ce, en visant l’atteinte d’objectifs
comparables. Nous allons étudier ce phénomène car, ainsi que nous le verrons, ce
mouvement de réforme et d’harmonisation est sans aucun doute le plus important ayant
cours en droit privé international depuis les vingt dernières années, et ce, tant dans la
réflexion comparatiste systémique des juristes issus du monde industrialisé, que dans les
projets d’aide au développement qui sont promulgués par les institutions financières
internationales, mondialisation de l’économie oblige.
Ainsi, au premier chef, le droit des sûretés mobilières suscite l’intérêt toujours croissant
de multiples acteurs des scènes économique, politique et juridique, tant aux échelles
nationales qu’internationale. L’importance du rôle joué par les sûretés mobilières, en
matière de crédit, est de moins en moins remise en question. Dans ce contexte d’une plus
grande ouverture des marchés, donc de plus grande mobilité des capitaux, des biens, des
entreprises et des personnes, les systèmes juridiques nationaux doivent s’adapter afin de
permettre aux acteurs du commerce, tant local que transfrontalier, de faire bonne figure et
de bien tirer leur épingle du jeu. La recherche de nouvelles solutions, que ce soit en
matière de droit international privé ou en droit interne, provoque un intense effort de
réflexion au sein de la communauté juridique internationale, dont on commence à peine à
bien saisir toute l’ampleur. Néanmoins, il n’est pas exagéré d’affirmer que le droit des
sûretés mobilières est assurément l’un des domaines qui suscite le plus vif intérêt en
matière d’harmonisation. On constate en effet que nombre d’organisations en font l’une
de leurs priorités. Pensons, entre autres, aux travaux qui ont présentement cours sous les
Page 32
6
auspices de l’Institut international pour l’unification du droit privé, mieux connu sous la
dénomination « Unidroit », à Rome, ainsi qu’aux efforts déployés par la Commission des
Nations Unies pour le droit commercial international, identifiée par l’acronyme
« CNUDCI ». Il en est déjà ressorti plusieurs outils juridiques et législatifs, et d’autres
sont sur le point de voir le jour, notamment en matière d’affacturage, de faillite
internationale, de contrats internationaux, de cession de créances, de valeurs mobilières,
de titres intermédiés et autres actifs financiers, de garanties internationales portant sur des
biens d’équipement mobiles de grande valeur. Tout converge pour opérer des
modifications importantes, dont les effets auront certainement pour conséquence, dans les
années à venir, de modifier le droit des sûretés mobilières à plusieurs niveaux,
internationalement et localement.
Problématique, questions et hypothèses de recherche
Lorsque l’on parle de la réforme et de l’harmonisation du droit des sûretés, dans un
contexte de mondialisation, on peut d’abord envisager la réforme intrinsèque des droits
nationaux en la matière, particulièrement dans le domaine des sûretés mobilières, leur
harmonisation aux autres systèmes et l’apparition de normes supranationales. Cette
dimension nous permet ainsi de considérer le premier niveau de cette harmonisation, qui
est systémique : est-il possible et souhaitable d’harmoniser, au plan de la technique
juridique, les règles de droit de pays souverains, appartenant à des systèmes juridiques
différents, voire même à des traditions juridiques différentes, et quels sont les meilleurs
moyens pour y parvenir ? L’objectif de l’harmonisation consiste à permettre l’atteinte de
solutions ou résultats semblables, voire similaires, d’une tradition juridique à l’autre, tout
en respectant les diverses façons d’y parvenir. C’est ce qui distingue l’harmonisation
Page 33
7
proprement dite de l’uniformisation, qui ne se préoccupe pas de ménager la diversité des
traditions juridiques. Ce faisant, sommes-nous, dans une perspective systémique, en train
d’assister à un renversement de paradigme, qui va de l’harmonisation souple à une
uniformisation progressive du droit des sûretés, principalement mobilières ? Nous allons
explorer ces questions dans le cadre de la première partie de cette thèse [Partie I].
Dans un deuxième temps, l’on peut tenter de cerner les conditions préalables à la réforme
et à la mise en œuvre d’un régime de sûretés, qui correspondent au second niveau de cette
harmonisation, de nature plus pragmatique, voire même sociopolitique ou culturelle :
est-il possible de transplanter des solutions juridiques structurantes, généralement
admises dans les économies libérales, à des pays émergents issus de traditions et cultures,
juridiques, sociétales ou même religieuses, profondément différentes ? [Partie II] Voilà
ainsi posées, dans notre seconde partie, les questions qui font le pendant, l’envers de la
médaille, à celles qui sont analysées dans la première étape de notre recherche.
Nous allons donc explorer ces deux principaux volets de notre problématique générale
de recherche entourant la réforme du droit des sûretés. À cette problématique générale
s’ajoute, pour chacun des volets, deux questions générales.
Premièrement, quelle est la meilleure méthode ou technique qui permette de réaliser ou
d’aspirer à l’harmonisation dite « souple » du droit des sûretés réelles mobilières, entre
systèmes juridiques issus des familles de droit civil et de common law ? En sous-
questions, on peut y ajouter : quels sont les principes qui permettent d’articuler une telle
méthode ? Quel sera l’effet concret de ces instruments de l’harmonisation souple du droit
Page 34
8
et comment en mesurer l’impact réel ? L’harmonisation souple n’est-elle qu’une étape,
un passage obligé, avant d’atteindre un certain niveau d’uniformité ?
Deuxièmement, on peut se demander s’il est possible d’en étendre l’application et l’utilité
au-delà des pays appartenant à la famille occidentale du droit, par exemple aux pays en
voie de développement, qu’ils soient issus de la tradition islamique ou ceux de droit
coutumier africain ? Enfin, en sous-thème, on peut s’interroger sur les conditions
nécessaires à l’implantation d’un régime de sûretés dans une société donnée.
À la première question générale de recherche, on peut ajouter la question spécifique de
recherche suivante : est-ce qu’une loi type, en particulier la loi type interaméricaine
relative aux sûretés mobilières 10, telle qu’adoptée par l’Organisation des États
AméricainsOÉA »), est un bon instrument permettant d’atteindre l’harmonisation
souple du droit des sûretés mobilières à l’échelle internationale et, dans le cas précis de
cette loi modèle, à l’échelle des Amériques ? En sous-questions, nous pourrions ajouter :
quelles sont les forces et les lacunes de la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières et du processus ayant mené à son adoption, et quelles leçons en tirer ? La
technique du bijuridisme canadien législatif peut-elle se transposer au niveau des
réformes internationales en matière de droit des sûretés mobilières ?
10
Voir: OÉA, SIXTH INTER-AMERICAN SPECIALIZED CONFERENCE ON PRIVATE INTERNATIONAL
LAW (CIDIP-VI), 3e session plénière, Model Inter-American Law on Secured Transactions, Doc.
off. OEA/Ser. K/XXI.6, CIDIP-VI/doc.24/02
ligne :
http://www.oas.org/DIL/CIDIP-VI-securedtransactions_Eng.htm (consulté le 30 novembre 2009)
[la «
Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières » ou « LTIRSM »]. Au sujet de ce
texte, voir notamment : Boris KOZOLCHYK et John M. WILSON, « The Organization of
American States Model Inter-American Law on Secured Transactions », (2003) 36 Uniform
Commercial Code Law Journal
15.
(5 mars 2002), en
rev. 2

Page 35
9
À titre d’hypothèses, articulons les suivantes : l’harmonisation plus souple du droit à un
niveau international, qui tienne compte et qui respecte les différences systémiques et
culturelles, est économiquement souhaitable.
Elle peut mais ne devrait pas uniquement s’articuler autour d’une loi type, un cadre plus
rigide, mais aussi autour de principes généraux, permettant d’identifier les fondements et
les valeurs propres à un régime de sûretés moderne. Ainsi, un guide législatif, proposant
des dispositions législatives types ou formulant divers scénarios possibles, pourra être
élaboré. De cette façon, la réception de tels outils de l’harmonisation du droit souple
pourrait s’observer à une plus grande échelle. Cela ne veut pas dire qu’une loi modèle ne
présente pas d’avantages, dont celui d’offrir un cadre juridique déjà établi, prêt à servir 11,
contrairement au guide législatif qui, lui, ne se contente que de formuler des suggestions,
laissant – en principe – au libre arbitre de son auditoire le choix d’une avenue parmi
d’autres.
D’autre part, il n’est pas certain que la méthode propre au bijuridisme canadien législatif
soit nécessairement exportable dans ce contexte, car elle pose déjà nombre de difficultés
en contexte canadien. Rappelons, à ce sujet, que le législateur fédéral canadien, à la suite
de l’entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec, en 1994, a lancé une vaste
entreprise d’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois, qui
consiste à y intégrer les concepts et la nouvelle terminologie de ce droit civil québécois
réformé, à côté de la terminologie de common law par laquelle s’expriment
habituellement les textes législatifs fédéraux. La méthode de rédaction législative propre
11
Avantage non négligeable pour nombre de pays émergents, qui ne disposent pas toujours des
ressources économiques ou du savoir-faire requis pour procéder à une telle réforme.

Page 36
10
à ce que l’on identifie maintenant comme étant le « bijuridisme canadien législatif »,
constitue assurément un véritable laboratoire de droit comparé appliqué. Au plan
technique, la méthode de ce bijuridisme canadien est simple à expliquer : il s’agit de faire
s’exprimer le législateur, à travers ses lois, selon la terminologie propre aux « quatre
auditoires » du droit au Canada, à savoir : le français et l’anglais du droit civil, le français
et l’anglais de la common law 12. On prétendait au début que cette méthode n’était que
pure technique de rédaction législative et qu’aucun changement de fonds n’en résulterait
dans les textes de lois ainsi révisés ou « harmonisés ». C’était là faire preuve de
beaucoup de candeur et d’angélisme, car l’articulation de concepts juridiques va au-delà
de leur simple traduction, qui n’est pas toujours aisée : d’un système à l’autre, les
concepts ne s’équivalent pas toujours. Cette méthode a provoqué certaines tensions,
ayant pour conséquence d’apporter des changements à des politiques législatives par
ailleurs clairement énoncées, que ce soit par le législateur québécois ou le législateur
fédéral, notamment en matière de faillite et d’insolvabilité et de droit des sûretés. Nous
tenterons donc de démontrer les forces et les limites propres à cette méthode.
Par ailleurs, au nombre de nos hypothèses de recherche, on peut se demander si l’on
n’assiste pas en ce moment à un retour, dans les faits, à une harmonisation plus rigide,
proche de l’uniformisation, de par l’apparition progressive de normes supranationales en
droit des sûretés. C’est ce que nous croyons observer.
12
Voir, au sujet de la technique de rédaction législative utilisée en matière d’harmonisation des lois
fédérales avec le droit civil québécois, et aussi au sujet de la dissociation d’un texte fédéral avec le
droit privé provincial, Louise MAGUIRE WELLINGTON, « Bijuridisme canadien : méthodologie
et terminologie de l’harmonisation » dans
L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit
civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, deuxième publication, fascicule 4,
Ottawa, ministère de la Justice du Canada, 2001, 1, p. 5. Voir aussi : Mario DION, « Bijuridisme
canadien et harmonisation du droit », dans
Évolution des systèmes juridiques, bijuridisme et
commerce international / The Evolution of Legal Systems, Bijuralism and International Trade,
Montréal, Wilson & Lafleur, 2002, 187.

Page 37
11
Enfin, nous ne pensons pas qu’il soit possible de transplanter les outils de l’harmonisation
du droit, quels qu’ils soient, hors de la tradition occidentale sans y apporter de profondes
modifications, les conditions préalables à leur réception n’étant pas, la plupart du temps,
présentes, dans les pays en voie de développement.
Posture épistémique, méthodologie de recherche et cadre théorique
Notre thèse de doctorat se veut une contribution au droit comparé, qui en est assurément
la posture épistémique. En fait, si l’on veut être plus précis, cette posture dont découle
notre analyse de droit comparé est d’abord celle du positivisme juridique, ou encore celle
du juspositivisme, telle que formulée par Uberto Scarpelli :
[…] Le juspositivisme au contraire ne suit ni l’une ni l’autre de ces deux grandes
tendances de la science moderne, ni celle de la science empirique, ni celle de la
science abstraite,
il fait quelque chose d’étrange et de déconcertant. Prenant comme
objet d’étude le droit positif, un ensemble de normes posées par la volonté d’êtres
humains, il s’attache à l’étude d’un fait empirique, renonçant ainsi à construire une
science abstraite du droit. […] L’ensemble des normes, posées par la volonté
d’êtres humains, c’est-à-dire ce à quoi le droit est identifié, est considéré
actuellement comme un « quid unicum », un fait absolument unique situé sur un plan
différent de celui des autres faits, un fait qui n’a pas à être expliqué par ses liens avec
d’autres faits, même s’il tend à leur donner forme et qualification, à leur servir de
référence, de critère pour en juger.
La tâche que l’on se propose, par rapport à ce
fait unique, n’est pas d’expliquer et de prévoir, mais fondamentalement de
comprendre les normes qui le constituent, d’en tirer un guide de comportement et
des critères pour en juger
. […] [L]e juspositivisme, au cours de l’accomplissement
de sa tâche fondamentale, comprend le système de normes, s’efforce de passer de
l’incertain au certain, du vague à l’équivoque, à l’univoque et au précis; les normes,
une fois interprétées, sont organisées en un système cohérent et rigoureux, où on les
retrouve plus facilement et où elles s’éclairent réciproquement.
On peut alors parler
de science au sens large, au sens où est scientifique tout discours qui tend à la
précision, la rigueur et la cohérence. Pour interpréter et reconstruire le système, le
juriste élabore un langage spécial, un appareil conceptuel qui permette de traduire
les normes interprétées en expressions précises et de formuler de manière rigoureuse
et cohérente des relations internes au système. Le matériau est éphémère, mais
l’appareil conceptuel des juristes en transcende les métamorphoses : si les normes et
les systèmes de normes qui sont les objets de l’étude disparaissent, et que d’autres
leur succèdent, cet appareil conceptuel est l’héritage de ceux qui ont travaillé sur
des normes données et qui travailleront sur les normes nouvelles
.
[…]
Page 38
12
[Nos italiques] 13
Pour ce faire, nous nous proposons, dans un premier temps, de procéder à une analyse
plus systémique en comparant principalement les législations en matière de sûretés
mobilières du Québec, des États-Unis d’Amérique et, dans une moindre mesure, du
Canada anglais 14, avec la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières,
adoptant ainsi une perspective résolument américaine ou hémisphérique. Puisque dans
cette approche systémique c’est, en bout de piste, l’Occident industrialisé qui nous
intéresse, nous ferons état, lorsqu’opportun, des législations de France et d’Angleterre, les
référents historiques classiques du droit nord-américain civiliste ou de common law, ainsi
qu’aux avancées récentes du droit communautaire européen, en ajoutant les références
qui s’imposeront aux divers projets
internationaux qui ont cours en matières
d’harmonisation du droit des sûretés mobilières. Ce corpus de textes législatifs ou
juridiques nous paraît suffisamment large pour pouvoir en tirer des conclusions probantes
et répondre au premier volet de notre problématique de recherche, à ses questions et
hypothèses sous-jacentes. C’est donc un discours sur le droit, en droit, dans une
13
14
Voir : Uberto SCARPELLI, Qu’est-ce que le positivisme juridique ?, Bruxelles – Paris, Bruylant –
L.G.D.J., 1996, p. 28-29.
Le droit des sûretés mobilières, dans les provinces canadiennes de common law, s’inspire
fortement du droit américain et du
Uniform Commercial Code. Cependant, les législateurs de ces
provinces ont choisi de ne retenir, du
Uniform Commercial Code, que l’équivalent de son Titre 9,
en l’adoptant sous forme de
Personal Property Security Acts. La nuance est de taille car, ainsi que
nous le verrons, le
Uniform Commercial Code vise à codifier et à harmoniser le droit commercial
de façon plus globale, alors que les lois de type PPSA se limitent aux seules sûretés. De plus, le
Uniform Commercial Code est le véritable modèle qui est à la source du grand mouvement
d’harmonisation du droit des sûretés mobilières à travers le monde. Par souci d’économie, et
tenant pour acquis qu’en matière de sûretés les nuances entre le Uniform Commercial Code et les
PPSA du Canada anglais sont minimes, nous référerons donc principalement au
Uniform
Commercial Code
. Pour une discussion sur le type de codification opéré par le Uniform
Commercial Code, voir infra, Partie I, Chapitre IV, sous-section 1.2, intitulée « du judge made law
au droit légiféré ».

Page 39
13
perspective interne, comme le suggère H.L.A. Hart 15, qui sera le nôtre. C’est aussi un
discours sur la forme, sa symbolique, sur le juridisme 16.
En somme, dans cette perspective comparatiste classique initiale, nous envisagerons
l’harmonisation du droit non pas sous l’angle plus large des « traditions juridiques » 17,
qui comporterait notamment des volets sociologiques, anthropologiques ou provenant de
disciplines exogènes au droit, mais bien sous celui d’une comparaison plus systémique,
voire transsystémique et davantage technique, dans ce qui pourrait être qualifié de droit
comparé « appliqué ». En cela, certains pionniers de la méthode comparative en droit
nous enseignent que
[l]a diversité des droits ne tient pas seulement, cependant, à cette variété des règles
qu’ils comportent. C’est une vue superficielle et fausse, en effet, de voir dans le
droit, simplement, un ensemble de normes. Le droit peut bien se concrétiser, à une
époque et dans un pays donné, dans un certain nombre de règles. Le phénomène
juridique, pourtant, est plus complexe.
Chaque droit constitue de fait un système : il
emploie un certain vocabulaire, correspondant à certains concepts; il groupe les
règles dans certaines catégories; il comporte l’emploi de certaines techniques pour
formuler les règles et de certaines méthodes pour les interpréter; il est lié à une
certaine conception de l’ordre social, qui détermine le mode d’application et la
fonction même du droit.

15
16
17
Voir : H.L.A. HART, Le concept de droit, Bruxelles, Facultés Universitaires Saint-Louis, 1976,
notamment aux p. 115-116.
Voir : Pierre BOURDIEU, « Habitus, codes et codification », (1986) 64 Actes de la recherche en
sciences sociales
40, 41.
Voir, à ce sujet : H.Patrick GLENN, Legal Traditions of the World, New York, Oxford University
Press, 2000, p. xxii : «
Tradition appears today as the most fruitful field of inquiry in adressing
[many] questions. It does not appear to be the product of any particular civilization, yet appears
present, explicitely or implicitely, as a formative influence in the law of all of them (including, and
to the present day, that of the west). The same cannot be said about the notion of legal system, the
history of which is clearly and exclusively associated with western (and derived Soviet) legal
theory, and which now may be thought of as part of the problem rather than as the solution.
Systemic thought is an inherent part of what has been described polemically, as ‘The Great White
Lie of Western Legal Theory’. [...] In concentrating on current forms of human thought and
activity, moreover, it appears antithetical to whatever normativity may be derived from the past
».
Comme nous le verrons plus loin, cette idée d’une analyse fondée sur les traditions n’est qu’une
manière de permettre un discours juridique moins rigoureux et, partant, de favoriser l’émergence
d’un
jus commune international, caractérisé par la souplesse d’interprétation et son insertion dans
les divers droits nationaux par les composantes de cette harmonisation « souple » que sont la
doctrine, l’enseignement, la pratique et la jurisprudence.

Page 40
14
[…]
Ce qu’il importe d’apprendre, ce sont les cadres dans lesquels sont ordonnées les
règles, c’est la signification des termes qu’elles utilisent, ce sont les méthodes qui
sont employées pour en fixer le sens et pour les harmoniser entre elles
. Les règles
du droit peuvent changer, par un trait de plume du législateur. Il n’en subsiste pas
moins d’autres éléments, qui eux ne peuvent être arbitrairement modifiés car ils sont
étroitement liés à notre civilisation et à nos modes de pensée : le législateur n’a pas
plus d’action sur eux qu’il n’en a sur notre langage ou sur notre manière de
raisonner.
L’œuvre de Roscoe Pound, aux États-Unis d’Amérique, a mis en valeur l’importance
de ces éléments, sous-jacents aux règles juridiques, que comportent les divers droits.
C’est la présence de ces éléments qu’est fondé le sentiment, que nous avons, de la
continuité historique de notre droit, à travers toutes les modifications que les règles
ont pu subir; c’est la présence de ces éléments, aussi, qui permet de considérer le
droit comme une science, et qui rend possible un enseignement du droit
. 18
[Nos italiques]
On peut concevoir que « traditions » et « systèmes » ne soient pas deux idées
nécessairement opposées, mais que ces concepts réfèrent à des réalités complémentaires.
Ce faisant, nous partons du postulat, dans la première étape de notre recherche, que les
pays industrialisés partagent tous, en pratique, plus ou moins la même conception de
l’ordre juridique et de l’État de droit, ce qui permet d’envisager la question de
l’harmonisation du droit des sûretés à un niveau plus avancé et abstrait, pourrait-on dire
juridiquement parlant, qui est systémique. Les comparaisons peuvent alors possiblement
déboucher sur une harmonisation plus concrète sur ce plan systémique.
Nous allons toutefois avoir recours à cette idée plus large du droit comparé qui fait appel
à la notion de « traditions juridiques », afin d’étudier le second volet de l’harmonisation
du droit, qui s’intéresse, lui, à sa transposition dans les pays émergents ou en voie de
développement. Cet élargissement de la méthode du droit comparé ne veut pas dire que
notre discussion se désintéressera de l’approche systémique. Cependant, force est de
18
Voir : R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, op. cit., supra note 5, no 15, p. 14-15.

Page 41
15
constater que les conceptions de l’ordre juridique et de l’État de droit y sont plus variées.
Partant, l’étude des objectifs sous-jacents aux projets de réformes entourant l’État de droit
entrepris par les institutions financières internationales dans les pays en voie de
développement nous guidera dans notre compréhension des critères permettant ou non
cette harmonisation du droit à cette échelle. Deux études de cas viendront étayer notre
discours, l’une ayant trait à la réforme du crédit foncier en République Arabe d’Égypte,
l’autre concernant les réformes de l’urbanisme, de l’habitat et du crédit foncier en
République démocratique du Congo (« RDC »). Chacun de ces cas met en scène une
société aux prises à des problèmes économiques, politiques, culturels et religieux qui ne
permettent pas d’entrevoir la réforme et l’harmonisation du droit des sûretés de la même
manière que nous la concevons dans l’Occident industrialisé. Ces études de cas nous
fourniront un éventail unique et suffisamment large pour apporter certaines pistes de
réponses à notre problématique générale de recherche.
En résumé, la méthode comparative constitue le cadre théorique nous permettant de
discuter de notre problématique générale de recherche et d’en aborder les différentes
facettes. Il nous faut préciser, cependant, que ce cadre théorique ne saurait nous enfermer
dans un positivisme juridique étroit. La seconde partie de notre recherche permettra au
contraire d’en illustrer les limites et de démontrer, plutôt, les questions qu’il suscite. Ce
« fait de société unique », reposant essentiellement sur l’État et consacrant le monisme
juridique, vole ainsi en éclat dans nombre de sociétés plus traditionnelles aux ordres
juridiques pluriels, qui ne reposent pas nécessairement sur la primauté de l’individu. La
méthode positiviste et comparatiste permet néanmoins de faire jour à cette diversité des
droits. Sa posture épistémique « objective », qui n’admettrait pas l’existence de valeurs
Page 42
16
universelles ou rationnelles, qu’elles soient révélées ou non, puisque le seul vrai droit est
positif et qu’il découle de la volonté d’humains, dévoile toutefois que, d’une part, tout
système juridique se fait porteur de valeurs propres à une société à un moment donné de
son histoire; d’autre part, la diversité des ordres juridiques n’éclipse pas tout à fait le désir
de transcendance de l’être humain et la nécessité de le rattacher à certaines valeurs
universelles, partagées par tous (ou qui devraient l’être). Ces valeurs universelles sont
celles qui permettent, au final, aux droits divers de se rejoindre à un certain niveau et de
voir poindre leur harmonisation. En l’absence de telles valeurs aux prétentions
universelles, comme par exemple la primauté de l’individu et la propriété privée, dans le
cas qui nous intéresse, cette harmonisation n’est pas possible 19.
Enfin, notre réflexion est celle d’un civiliste du Québec. C’est pourquoi une large place
sera faite à l’analyse de ce droit, plus particulièrement du droit positif en cette matière,
qui pourra certainement tirer profit des comparaisons effectuées. En effet, le droit civil
québécois des sûretés mobilières, à l’instar de tout autre droit, comporte ses zones
d’ombres et de lumières. La méthode du droit comparé permet assurément de
comprendre les forces et les faiblesses d’un système donné et, le cas échéant, de formuler
de nouvelles pistes de solutions afin d’en combler les lacunes. C’est ce que nous avons
tenté de faire tout au long de notre analyse, qui s’intéressera surtout aux problèmes
survenant dans un contexte commercial. Nous n’aborderons qu’occasionnellement, et de
façon incidente, les questions relevant du droit consumériste.
19
« En effet, si nous, les modernes, avons pour loi de nous donner notre propre loi, celle-ci n’a-t-elle
pas la prétention de tendre vers davantage de justice sociale, de liberté et d’égalité ? Autant de
valeurs qui supposent un accord « normatif » préalable sur ce qui doit être et qui soulignent la
difficulté de penser un droit totalement autoréférentiel et débarrassé de toute transcendance ».
Voir : F. GOUTTEFARDE,
loc. cit., supra note 6, no 29, p. 20.

Page 43
17
Les grands paramètres de notre projet de recherche étant énoncés, étudions maintenant les
aspects liés au premier volet de notre problématique générale de recherche, à savoir la
réforme intrinsèque des droits nationaux en matière de sûretés mobilières, leur
harmonisation aux autres systèmes et l’apparition de normes supranationales.
Page 44
PREMIÈRE PARTIE -
DE LA RÉFORME ET DE L’HARMONISATION DU
DROIT DES SÛRETÉS MOBILIÈRES AU PLAN
SYSTÉMIQUE EN OCCIDENT
Dans cette première partie, nous expliquerons d’abord en quoi consiste le thème de la
réforme et de l’harmonisation du droit des sûretés [I]. Cette vue d’ensemble de la
problématique nous permettra, par la suite, de discuter des principes fondamentaux du
droit des sûretés tels qu’ils s’observent en Occident [II]. Cette discussion plus générale
est un passage obligé pour quiconque souhaite, suite à l’identification de ces principes
fondamentaux, pousser plus loin la réflexion sur leur articulation à travers l’énonciation
de concepts juridiques, porteurs de valeurs propres à tout système ou régime qui les
promeut [III]. Cette progression nous permettra, en fin d’analyse de cette première partie
de notre thèse, d’aborder pleinement le thème de l’harmonisation du droit des sûretés
mobilières, car nous parviendrons dès lors à certaines constatations quant aux valeurs et
concepts dominants au sein des principaux systèmes (ou textes) étudiés. Ces constats
aideront à la vérification de nos hypothèses de recherche quant à l’atteinte de cette
harmonisation et aux techniques utilisées pour y parvenir [IV].
I-
LA RÉFORME ET LHARMONISATION DU DROIT DES SÛRETÉS MOBILIÈRES
Il importe, dans un premier temps, de cerner les enjeux de la réforme intrinsèque des
droits nationaux en matière de sûretés [A]. En effet, la problématique de l’harmonisation
du droit des sûretés à l’échelle internationale suppose, au préalable, l’existence de
régimes autonomes et distincts d’un pays à l’autre. Ainsi, de la situation propre à chacun
de ces régimes autonomes, dépendra la portée de l’harmonisation du droit des sûretés à
l’échelle internationale et des aspects qui pourront en faire l’objet, ce dont nous traiterons
par la suite [B].

Page 45
19
A.
La réforme intrinsèque des droits nationaux
Afin d’expliquer la pertinence du premier volet de notre problématique générale de
recherche, une mise en contexte au sujet des mouvements de réformes du droit des
sûretés mobilières durant le vingtième siècle s’impose [1]. Nous verrons que, si l’intérêt
soulevé par la question se manifesta d’abord chez les comparatistes, les institutions
politiques et financières internationales s’en sont saisie pour en faire l’une des principales
composantes de leur intervention au niveau de la réforme du droit [2].
1.
Une mise en contexte
Depuis les années 1950, nombre de pays ont procédé à d’importantes réformes de leurs
régimes de droit des sûretés, afin de les rendre cohérents, modernes et faciles à mettre en
œuvre. De tels régimes supposent l’octroi de préférences à certains créanciers sur le
patrimoine d’un débiteur, gage commun des créanciers visant la satisfaction de ses
obligations. Ils visent à rompre avec le principe de l’égalité entre les créanciers ou, en
d’autres mots, à soustraire les créanciers jouissant de sûretés de cette fameuse « loi du
concours » qui existe habituellement entre eux en cas de déconfiture du débiteur 20.
On observe des problèmes similaires, d’un pays à l’autre, visant l’établissement d’un tel
régime. Prolifération des règles de constitutions, création continue dans le temps de
nouveaux mécanismes de sûretés obéissant au principe de la liberté contractuelle, absence
d’uniformité des mécanismes de publicité et des recours, difficulté à assurer un ordre de
priorité cohérent entre les divers créanciers, tels sont les principaux dangers auxquels sont
20
Voir, de façon générale sur ces thèmes, Roderick A. MACDONALD et Jean-Frédérick MÉNARD,
« Credo, Credere, Credidi, Creditum : essai de phénoménologie des sûretés réelles », dans
Mélanges offerts au Professeur François Frenette : études portant sur le droit patrimonial, Saint-
Nicolas (Qc.), Les Presses de l’Université Laval, 2006, 309.

Page 46
20
confrontés les législateurs 21. Les solutions en la matière sont aussi diverses qu’il y a de
législateurs, de juridictions et, bien sûr, de traditions juridiques 22.
Cependant, l’adoption aux États-Unis d’Amérique, dans les années 1950, du Titre 9 du
Uniform Commercial Code 23, a proposé une nouvelle approche, dite « fonctionnelle » ou
« téléologique », consistant principalement à qualifier de sûreté toute opération ayant
pour effet de garantir le paiement d’une obligation, et ce, sans égard à la forme juridique
de cette opération, permettant ainsi l’unification des règles de constitution, des
mécanismes de publicité et des règles entourant l’exercice des recours. Cela a forcé les
acteurs des principales traditions juridiques de l’Occident, à savoir le droit civil ou la
common law, à trouver leurs propres voies à ce chapitre.
Les provinces canadiennes anglaises de common law ont suivi l’approche américaine, par
l’adoption des divers Personal Property Security Acts PPSA ») 24; le Québec a choisi
une solution mitoyenne, créant dans le Code civil du Québec 25 un régime hypothécaire
21
22
23
24
Voir : Jean-François RIFFARD, Le Security Interest ou l’approche fonctionnelle et unitaire des
sûretés mobilières : contribution à une rationalisation du Droit français
, Clermont-Ferrand (Fr.),
Presses Universitaires de la Faculté de Droit de Clermont-Ferrand, L.G.D.J., 1997, p. 23.
La réflexion entourant la réforme du droit des sûretés a principalement trait aux sûretés mobilières.
Le domaine des sûretés immobilières, bien que recelant plusieurs questions intéressantes et
différentes approches, est considéré plus stable et moins sujet à cette prolifération incontrôlée que
ne l’est le régime mobilier.
Uniform Commercial Code, Official Text and Comments – 2009-2010 Edition, The American Law
Institute, National Conference of Commissioners on Uniform State Laws, Thomson Reuters, 2009
Uniform Commercial Code – Official Text – 2009-2010 »]; Corrinne COOPER, dir., Uniform
Commercial Code. The Portable UCC
, Chicago, American Bar Association, 2005.
Voir : Michael G. BRIDGE, Roderick A. MACDONALD, Ralph L. SIMMONDS et
Catherine WALSH, « Formalism, Functionalism, and Understanding the Law of Secured
Transactions », (1999) 44
R.D. McGill 567. Tout au long de ce texte, lorsqu’opportun, nous
référerons au PPSA de l’Ontario. Voir : Richard H. McLAREN, The 2010 Annotated Ontario
Personal Property Security Act
, Toronto, Thomson Canada Limited (Carswell), 2009
OPPSA »].
25
L.Q. 1991, c. 64 [le « Code civil » ou « C.c.Q. »].

Page 47
21
universel tant pour les biens meubles qu’immeubles et préservant, parallèlement, le
régime juridique propre à diverses transactions ayant l’effet de sûretés, dont le crédit-bail,
la vente à tempérament, la vente à réméré, le bail à long terme, tout en les assujettissant à
des règles de publicité et, parfois, aux modalités du régime hypothécaire pour ce qui est
de l’exercice des droits 26. Ainsi, le Québec a tenté de préserver un équilibre entre le
formalisme et l’approche téléologique, rejetant le concept dit de la « présomption
d’hypothèque », tel que proposé jadis par l’Office de révision du Code civil 27. Dans les
vieux pays, l’Angleterre continue, à ce jour, de manifester une sourde résistance, voire
même une certaine indifférence, à ces reclassifications conceptuelles découlant de
l’approche préconisée par les américains 28. La France, qui sort tout juste d’un processus
de révision de son Code civil, imite l’Angleterre à sa manière et décide, jusqu’à un
26
27
28
Voir : Pierre CIOTOLA, « Droit des sûretés : épizootisme législatif ou contre-réforme ? », dans
Mélanges Jean Pineau, Montréal, Les Éditions Thémis, 2003, 41.
Voir, de façon générale, Roderick A. MACDONALD, « Faut-il s’assurer qu’on appelle un chat un
chat ? Observations sur la méthodologie législative à travers l’énumération limitative des sûretés,
la « présomption d’hypothèque » et le principe de « l’essence de l’opération » », dans
Mélanges
Germain Brière
, Collection Bleue, Montréal, Wilson et Lafleur, 1993, 527.
réformes,
la sourde
résistance continue
Bien que l’approche préconisée aux termes du Titre 9 du Uniform Commercial Code fasse
occasionnellement l’objet de débats en Angleterre et se retrouve parfois dans certaines
propositions de
toujours d’opérer, découlant
principalement de l’opposition marqué des avocats de la «
City of London », qui considèrent que le
système anglais de sûretés actuel fonctionne bien surtout, disent leurs détracteurs, parce qu’ils sont
les seuls à bien le maîtriser et qu’ils ne veulent pas perdre cet « avantage concurrentiel » ou
monopole. Voir, entre autres : John DE LACY, « The evolution and regulation of security
interests over personal property in English law », dans John DE LACY, dir.,
The Reform of UK
Personal Property Security Law. Comparative Perspectives
, Londres, Routledge Cavendish, 2010,
3; Hugh BEALE, Michael BRIDGE, Louise GULLIFER et Eva LOMNICKA,
The Law of
Personal Property Security
, Oxford University Press, 2007, p. 753 et ss. [« The Law of Personal
Property Security »]; Hugh BEALE, « The Exportability of North American Chattel Security
Regimes : The Fate of the English Law Commission’s Proposals », (2006) 43
Can. Bus. L. J. 178;
Iwan DAVIES, « The reform of English personal property security law : functionalism and Article
9 of the Uniform Commercial Code », (2004) 24 Legal Studies 295; R. GOODE, op. cit., supra
note 7, no 1-04, p. 3-5; Michael G. BRIDGE, et al., loc. cit., supra note 24, p. 633-648.

Page 48
22
certain point, de préserver son régime actuel, sans par ailleurs suivre l’exemple proposé
par le Québec 29.
Tous ces mouvements de réformes des régimes juridiques internes de pays industrialisés
occidentaux ont suscité l’intense réflexion des diverses communautés juridiques
concernées. La réforme du droit des sûretés mobilières fait donc l’objet, depuis plusieurs
décennies maintenant, d’un intérêt soutenu de la part des comparatistes. Au-delà des
défis intellectuels que présentent les enjeux de la réforme des régimes de droit des sûretés
mobilières, d’autres raisons expliquent cet intérêt toujours croissant pour le sujet, non
seulement de la part des juristes eux-mêmes, mais également des entreprises, des
institutions politiques et financières internationales.
2.
La modernisation, la réforme ou l’instauration de régimes de droits
des sûretés mobilières à l’interne
29
Voir : Michel GRIMALDI, « Vers une réforme des sûretés », (2005) Revue de jurisprudence
commerciale
467, 472 :« Le projet [de réforme] n’a pas retenu le principe d’une sûreté unique,
sans dépossession et soumise à la publicité, sur le modèle du security interest du Code de
commerce uniforme des États-Unis. Après avoir distingué, suivant l’objet de la sûreté, entre le
gage des meubles corporels et le nantissement des meubles incorporels, il prévoit deux variétés de
gages : il conserve un gage avec dépossession et non publié [par inscription] (le gage du Code
civil), il crée un gage sans dépossession et publié sur un registre personnel. La commission a
considéré qu’il serait artificiel et inopportun de confondre toutes ces sûretés en une sûreté unique.
D’abord, sous bien des aspects, les sûretés sur meubles corporels se présentent très différemment
des sûretés sur meubles incorporels, qu’il s’agisse du risque de détournement du bien ou de
l’exécution de la sûreté en cas de défaillance du débiteur. Ensuite, s’agissant des sûretés sur
légitimement préférer une sûreté avec
meubles corporels, certains créanciers peuvent
dépossession, qui leur confère un droit de rétention dont on sait l’efficacité, et certains débiteurs
peuvent avoir la même préférence pour une sûreté qui leur permet de tenir secret leur
endettement
»; Y. PICOD, op. cit., supra note 8, nos 7-10, 12, 17-19, p. 9-13, 14-16, 20-24.
Y. Picod se montre très critique à l’égard de cette réforme que d’aucuns ne considèrent achevée.
L’occasion de procéder à l’unification du droit des sûretés à l’intérieur du seul Code civil n’a pas
été saisie par le législateur français. En résulte un régime de sûretés disparate, inflationniste, qui
n’inspire pas pleinement confiance aux créanciers ni aux débiteurs. « Or, l’inflation conduit
nécessairement à l’évanescence, au dépérissement sournois des meilleures institutions
», nous dit-
il. Nous discuterons de l’évolution du droit français des sûretés au fil de notre texte. Voir enfin :
Jean-François RIFFARD, « Reform of French securities law : A revolution in half-tone ? », dans
Eurofenix : The journal of Insol Europe, Hiver 2007, p. 24.

Page 49
23
La libéralisation des marchés et la mondialisation de l’économie sont grandement
responsables de cet engouement pour la modernisation ou l’instauration de régimes de
sûretés, a fortiori mobilières, dans le plus grand nombre de pays qui soit.
Notons toutefois, d’entrée de jeu à ce sujet, qu’à la fin des années 1970, l’on a observé
l’apparition d’un débat parmi les juristes américains identifiés au courant dit de
l’« analyse économique du droit », remettant en cause l’utilité même d’un régime de
sûretés au plan économique. En effet, certains ont soutenu que rien ne permettait de
conclure qu’un régime de sûretés simple et efficace soit la clef d’un accès au crédit à de
faibles coûts, en ce que l’octroi de sûretés ne serait pas une solution économiquement
« efficiente » 30. Cette approche théorique ne tiendrait pas compte, de l’avis de plusieurs,
de la réalité pratique et ne constituerait donc pas une explication satisfaisante et
concluante au phénomène 31.
D’autres, au contraire, ont tenté de démontrer la nécessité de la constitution d’un tel
régime par le législateur, d’une part afin de favoriser cet accès au crédit à de faibles
coûts, concluant d’autre part que les acteurs du crédit, les institutions financières et les
30
31
Voir : Alan SCHWARTZ, « A Theory of Loan Priorities », (1989) 18 Journal of Legal Studies
209. Pour un exposé concernant l’historique et l’évolution de ce débat, lire : James W. BOWERS,
« Security Interests, Creditors’ Priorities and Bankruptcy », dans Boudewijn BOUCKAERT et
Gerrit DE GEEST, dir.,
Encyclopedia of Law and Economics, Northampton (Ma.), Edward Elgar,
2000, 90, 98-102.
Ronald J. MANN, « Explaining The Pattern of Secured Credit », (1997) 110 Harv. L. Rev. 625, p.
628. En fait, d’après cet auteur, les nombreuses tentatives d’explication du phénomène du crédit
garanti failliraient toutes à la tâche en raison du manque de données empiriques qui permettraient
de les confirmer. Voir aussi : Robert E. SCOTT, « The Politics of Article 9 », (1994) 80
Va. L.
Rev.
1783, 1788 et 1802. Pour J.-F. Riffard, « [l]es critiques avancées à l’encontre des sûretés
n’ayant pas permis de démontrer de manière incontestable l’inefficacité ou le caractère injuste
des sûretés, il n’existerait donc aucune raison de remettre en cause leur existence. Au contraire,
ce débat conforte l’idée selon laquelle tout système de sûreté mobilière conventionnelle doit être
conçu de manière à développer l’accès au crédit. Partant, il est alors nécessaire de faciliter le
recours aux sûretés
». Voir : J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, p. 13.

Page 50
24
emprunteurs, finiraient bien par établir eux-mêmes des mécanismes de priorités assurant
aux prêteurs de meilleures chances de paiement si le législateur ne le faisait pas,
démontrant ici une économie de coûts permettant l’atteinte d’un tel résultat si le
législateur s’en mêle 32. Ce débat a fait long feu et se prolonge encore de nos jours à
l’intérieur de ces cercles 33, sur la foi d’assises théoriques et empiriques incertaines 34,
engendrant ainsi des résultats pour le moins mitigés 35. L’on admet toutefois de plus en
plus qu’une adéquation existe entre le succès de l’implantation d’outils visant
l’harmonisation du droit commercial international et leur désirabilité économique. Pour
32
33
34
35
Voir : Thomas H. JACKSON et Anthony T. KRONMAN, « Secured Financing and Priorities
Among Creditors », (1979) 88
Yale L. J. 1143, 1147, 1150 et 1156.
Voir, notamment : Claire A. HILL, « Is Secured Debt Efficient ? », (2002) 80 Texas Law Review
1117, en particulier aux p. 1176-1177, où l’auteure nous fait part des conclusions de son étude
empirique, suite à sa consultation de divers intervenants du système financier américain.
L’auteure démontre que le droit des sûretés, du point de vue économique, est bénéfique, mais que
ses bénéfices vont varier selon le contexte. Ainsi, pour les petites et moyennes entreprises qui
n’ont qu’un seul banquier, une sûreté universelle sur les biens de cette entreprise sera avantageuse
surtout avant l’insolvabilité et non après, car elle permettra au banquier d’influencer le
comportement de l’entreprise et de contrôler le risque de défalcation. L’utilité est moins grande
après puisque le banquier se retrouve théoriquement « seul ». À l’inverse, pour la grande
entreprise qui bénéficie d’une plus grande variété de sources de financement, les sûretés seront
plus nombreuses et grèveront, pour chacun des créanciers, des biens plus spécifiques, ayant en
principe une meilleure valeur de réalisation. De telles sûretés auront tendance à présenter une plus
grande utilité en cas d’insolvabilité en soustrayant le financier à la loi du concours. Voir aussi :
Omer TENE, « A Tribute to Harvey L. Miller Article : Revisiting the Creditor’s Bargain : The
Entitlement to the Going-Concern Surplus in Corporate Bankruptcy Reorganizations », (2003) 19
Emory University School of Law Bankruptcy Developments Journal 287. Pour cet auteur, il faut
limiter le bénéfice des sûretés à la valeur de liquidation et non pas à tout surplus qui s’en
dégagerait dans un contexte de procédures collectives, sinon le jeu des négociations entre les
créanciers et la poursuite éventuelle de l’activité de l’entreprise insolvable s’en trouveraient
faussés.
Voir : James J. WHITE, « Reforming Article 9 Priorities in Light of Old Ignorance and New
Filing Rules », (1995) 79 Minnesota Law Review 529, en particulier aux p. 534-535.
Voir : Roderick A. MACDONALD, « Le droit des sûretés mobilières et sa réforme : principes
juridiques et politiques législatives », dans Pierre LEGRAND Jr., dir., Common Law d’un siècle à
l’autre
, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 1992, 422, 432-435.

Page 51
25
ce faire, une meilleure collaboration est suggérée entre économistes, juristes, hommes
politiques et autres experts intéressés par la réforme du droit 36.
Quoi qu’il en soit, les principales institutions financières de cette économie mondialisée,
études à l’appui 37, sont d’avis que l’édification d’un régime de sûreté est l’un des
premiers jalons qui permettra à un pays, à ses entreprises et citoyens, d’abord de créer
une économie interne viable, génératrice de richesse, ensuite de concurrencer les autres
pays à armes plus égales sur les marchés mondiaux, l’accès au crédit étant la clef de
voûte d’une économie donnée 38. Ces institutions financières internationales, pour en
36
37
38
Voir : Jeffrey WOOL, « Economic Analysis and Harmonised Modernisation of Private Law »,
(2003)
Rev. dr. unif. 389. Cet auteur relate l’expérience d’UNIDROIT dans le contexte qui a
précédé l’élaboration de la
Convention du Cap (2001), qui a mis sur pied un comité
multidisciplinaire chargé de réaliser des études démontrant la nécessité économique de l’adoption
éventuelle d’une convention qui viendrait simplifier le processus de prise de garanties sur des
matériels d’équipement mobiles, dont les aéronefs. Ces études, qui ont évolué au cours des
négociations ayant mené à l’adoption de la
Convention du Cap (2001), infra note 64, les ont
favorisé et permis l’élaboration d’un instrument d’harmonisation, dit-on, mieux adapté. J. Wool
concède cependant qu’une véritable méthodologie en matière d’économie juridique appliquée pour
l’harmonisation du droit commercial reste à être développée.
« Toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité (exploitation minière ou forestière,
fabrication, distribution, prestation de services ou vente au détail) ont besoin d’un fonds de
roulement pour fonctionner, se développer et être compétitives. Des études réalisées par des
organisations telles que la Banque internationale pour la reconstruction et le développement
(BIRD), le Fonds monétaire international (FMI), la Banque asiatique de développement (BAD) et
la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) ont démontré que
l’octroi de crédits garantis est l’un des moyens les plus efficaces de doter les entreprises d’un tel
fonds de roulement ». Voir le Guide législatif sur les opérations garanties, infra note 45, no 4.
Voir aussi : Nuria de la PENA, « Reforming the legal framework for security interests in mobile
property », (1992)
Rev. dr. unif. 347, 348-349; John M. WILSON, « Secured Financing in Latin
America : Current Law and the Model Inter-American Law on Secured Transactions », (2000) 33
Uniform Commercial Code Law Journal 43, 48 (note 10). Le ministère du commerce et du
développement économique du Mexique a effectué, avant l’adoption de sa nouvelle loi sur les
sûretés réelles mobilières, au mois de mai 2000, une étude indiquant que l’économie de ce pays
tirerait de nombreux avantages de l’adoption d’un tel système. La Banque Mondiale et le
Center
for the Economic Analysis of Law
auraient tous deux menés des études de même nature afin de
démontrer l’importance des bénéfices que les pays d’Amérique latine retireraient de l’implantation
de systèmes de sûretés réelles mobilières réformés.
À cet égard, voir notamment : Harold S. BURMAN, « The Commercial Challenge in Modernizing
Secured Transactions Law », (2003) Rev. dr. unif. 347, 348 : « […] a significant amount of cross-
border commerce does not materialize because even with liberalized trade, disparities in certain
areas of private law, such as secured finance, effectively block or make transactions inefficient, or
fail to provide equivalent access to commercial finance. Secured finance reform has become one

Page 52
26
arriver à ces conclusions, se fondent notamment sur l’expérience des économies libérales
en la matière, jouissant toutes, à des degrés divers mais comparables, de régimes de
sûretés bien établis auxquels les institutions financières locales se fient dans l’octroi de
leurs prêts.
Ainsi, au chapitre des institutions financières internationales qui exercent une influence
en matière de réforme du droit des sûretés, citons en premier lieu la Banque Mondiale et
le Fonds Monétaire International (le « FMI »). Le FMI, moins actif que la Banque
Mondiale dans ce domaine précis, a néanmoins produit un énoncé de principes devant
inspirer les efforts de réformes 39. La Banque Mondiale, quant à elle, s’est davantage
consacrée à la question, procédant à la publication, en avril 2001, de Principes et
directives régissant le traitement de l’insolvabilité et la protection des droits des
of the most effective tools by which countries can enhance their credit capacity for transacting
parties in territories, build their infrastructure, and engage in modern trade and commerce
».
39
du
FMI,
juridique
questions, Département
Alejandro M. GARRO, « Harmonization of Personal Property Security Law : National, Regional
and Global Initiatives », (2003)
Rev. dr. unif. 357, 362, note 18. Le FMI est davantage actif en
matière de règlement de l’endettement des pays du tiers-monde face aux pays industrialisés. Voir,
à ce sujet, Sandra M. ROCKS et Kate A. SAWYER, « Survey of International Commercial
Developments During 2003 », (2004) 59
The Business Lawyer 1663, 1673-1674. Voir aussi :
FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL, Pour des procédures d’insolvabilité ordonnées et efficaces –
Principales
ligne :
http://www.imf.org/external/pubs/ft/orderly/fre/ (consulté le 28 décembre 2009) [l’«
Énoncé de
principes du FMI
»]. Enfin, il faut savoir qu’il existe un programme conjoint de la Banque
mondiale et du FMI relatif à l’évaluation du secteur financier que ces deux institutions mettent en
application dans leurs stratégies d’aide aux pays clients. Le processus est décrit dans un ouvrage
publié conjointement par ces deux instances. Voir : T
HE WORLD BANK et INTERNATIONAL
MONETARY FUND, Financial Sector Assessment : A Handbook, Washington, 2005, en ligne :
http://www.imf.org/external/pubs/ft/fsa/eng/ (consulté le 28 décembre 2009). L’un des pilliers de
la méthode d’évaluation de la solidité du secteur financier d’une économie donnée a trait à
l’infrastructure du système financier, comprenant au premier chef les institutions juridiques
relatives à la finance, dont le régime d’insolvabilité, le régime de sûretés et la protection des
consommateurs. Ce guide réfère aux
Principes de la Banque mondiale, infra note 40, et note que
les pays en voie de développement sont ceux qui ont le plus grand intérêt à mettre en place des
institutions juridiques efficaces en ces domaines, car l’offre de financement, notamment sur les
marchés des capitaux, est moins élevée et diversifiée qu’elle ne l’est sur le marché de la dette.
2000,
en

Page 53
27
créanciers 40, après consultations menées auprès d’experts de plus de soixante-quinze
pays 41. Dans la même veine et proposant des instruments d’harmonisation similaires, la
Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) 42 a
adopté, le 25 juin 2004, le Guide législatif de la CNUDCI sur le droit de l’insolvabilité 43,
ayant pour objet
d'aider à la mise en place d'un cadre juridique efficace et effectif permettant de
résoudre les difficultés financières des débiteurs. Il est destiné à servir de référence
aux autorités nationales et aux organes législatifs lorsqu'ils élaborent de nouvelles
dispositions législatives et réglementaires ou examinent l'adéquation de la législation
et réglementation existantes. Les conseils qu'il fournit visent à concilier la nécessité
de remédier aux difficultés financières du débiteur aussi rapidement et efficacement
que possible avec les intérêts des différentes parties directement concernées par ces
difficultés, principalement les créanciers et d'autres parties prenantes dans l'entreprise
débitrice, ainsi qu'avec les préoccupations d'ordre public. Il aborde les questions
essentielles qui se posent lors de l'élaboration d'une loi sur l'insolvabilité efficace et
effective et aide le lecteur à évaluer différentes options possibles et à choisir celle qui
convient le mieux dans le contexte national ou local.
44
40
41
42
43
44
des
des
droits
BANQUE MONDIALE, Principes et directives régissant le traitement de l’insolvabilité et la
protection
ligne :
http://www.worldbank.org/ifa/ipg_fre.pdf (consulté le 22 novembre 2009) [les «
Principes de la
Banque Mondiale - 2001
»]. Ces principes ont fait l’objet d’une révision en 2005, toujours sous
forme de projet à l’heure actuelle. Voir : B
ANQUE MONDIALE, Principes régissant le traitement de
l’insolvabilité et la protection des droits des créanciers
, projet en date du 21 décembre 2005, en
ligne : http://www.worldbank.org/ifa/IPG_Revised_Principles_French.pdf
le 22
novembre 2009) [les «
Principes de la Banque Mondiale - 2005 »].
créanciers,
(consulté
2001,
Avril
en
Voir, notamment, A. M. GARRO, loc. cit., supra note 39, p. 362-363 : « […] [the Principles] also
examine […] contextual, integrated solutions and best practices together with policy choices
involved in designing a suitable legal framework for secured transactions. The WB Principles are
meant to be relied upon as benchmarks for a system of secured credit, to be used in field studies to
be undertaken by the World Bank in more than one hundred countries in the world. None of these
“principles” and “rules” enjoy the binding force that supports a statute or an international treaty.
However, to the extent that those principles suggest features similar to those adopted in most
modern Laws on secured transactions, they have the potential of becoming persuasive source of
law
[notre soulignement] ». Nous aurons l’occasion de discuter plus loin dans cet ouvrage de
l’effet persuasif de ces instruments comme source de droit.
Mieux connue sous son acronyme anglais, « UNCITRAL », signifiant « United Nations
Commission on International Trade Law
», dont le site Web se trouve à l’adresse Internet
suivante : www.uncitral.org (consulté le 30 novembre 2009).
CNUDCI, Guide
ligne :
http://www.uncitral.org/pdf/french/texts/insolven/05-80723_Ebook.pdf [le « Guide législatif sur
l’insolvabilité
»] (consulté le 22 novembre 2009).
l’insolvabilité, en
la CNUDCI sur
législatif de
le droit de
CNUDCI, Texte de présentation du Guide législatif de la CNUDCI sur le droit de l’insolvabilité,
en ligne : http://www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/insolvency/2004Guide.html
(consulté

Page 54
28
De manière plus importante, et à titre de fondement complémentaire à ce premier Guide,
la CNUDCI a adopté, le 11 décembre 2008, le guide législatif sur les opérations
garanties 45, qui se veut le miroir du Guide législatif sur l’insolvabilité en matière de droit
des sûretés 46. Le groupe de travail de la CNUDCI en droit des sûretés a commencé ce
projet en 2002; il donnera peut-être lieu, maintenant qu’il est complété, à la rédaction
d’une loi type en la matière 47. En tout cas, le moins que l’on puisse dire, c’est que ses
objectifs sont très ambitieux :
1. Le Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties par des sûretés
réelles mobilières
(ci-après « le Guide ») a pour objet d’aider les États à élaborer
des lois modernes sur les opérations garanties (autrement dit des lois sur les
opérations donnant naissance à des sûretés réelles sur des biens meubles) afin de
promouvoir l’offre de crédit garanti. Il s’adresse aux États qui n’ont pas
actuellement de lois efficaces et effectives en ce domaine, aussi bien qu’à ceux
qui en ont déjà, mais qui souhaitent les revoir ou les moderniser, ou encore les
coordonner avec celles d’autres États.
le 22 novembre 2009). La CNUDCI avait préalablement proposé, en 1997, une Loi type de la
CNUDCI sur l’insolvabilité internationale et Guide pour son incorporation
, en ligne :
http://www.uncitral.org/pdf/french/texts/insolven/insolvency-f.pdf (consulté le 22 novembre 2009)
[la «
Loi type de la CNUDCI sur l’insolvabilité internationale »]. En 2009, la CNUDCI ajoute à
ces textes en matière d’insolvabilité en adoptant le
Guide pratique de la CNUDCI sur la
ligne :
d’insolvabilité
coopération
http://www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/insolvency/2009PracticeGuide.html (consulté le
22 novembre 2009).
internationale,
matière
en
en
45
46
législatif de
la CNUDCI sur
CNUDCI, Guide
ligne :
http://www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/payments/Guide_securedtrans.html (le « Guide
législatif sur les opérations garanties
») (consulté le 22 novembre 2009). Pour une présentation
générale du guide, ainsi qu’un historique de l’évolution des projets d’harmonisation du droit des
sûretés au sein des institutions internationales, voir : Spiros V. BAZINAS, « The UNCITRAL
Legislative Guide on Secured Transactions – Key Objectives and Fundamental Policies », (2010)
42
Uniform Commercial Code Law Journal 123.
les opérations garanties, en
De façon générale, voir notamment : Spiros V. BAZINAS, « UNCITRAL’S Work in the field of
Secured Transactions », (2004) 36
Uniform Commercial Code L. J. 67, 73-86, en particulier à la
p. 73 : «
The main objective of the legislation, recommended in the current draft of the guide, is to
facilitate secured lending. On the assumption that security reduces the risk of non-payment,
secured lending is considered that it has the potential of enhancing the amount of credit available
and decreasing its cost. The draft Guide recognizes that such an economic result is not reached
automatically through the enactment of appropriate legislation but depends largely on the
relevant infrastructure, judiciary and enforcement mechanisms
[notre soulignement] ».
47
A. M. GARRO, loc. cit., supra note 39, p. 362.

Page 55
29
2. Le Guide part du principe que des lois rationnelles sur les opérations garanties
peuvent offrir des avantages économiques considérables aux États qui les
adoptent, notamment inciter des prêteurs et d’autres fournisseurs de crédit,
nationaux et étrangers, à octroyer des
le
développement et la croissance des entreprises nationales (en particulier des
petites et moyennes entreprises) et, d’une façon générale, accroître les échanges.
De telles lois procurent également des avantages aux consommateurs en
abaissant le coût des biens et des services et en facilitant l’accès au crédit à la
consommation. Pour remplir pleinement leurs objectifs, elles doivent s’appuyer
sur des systèmes judiciaires et d’autres mécanismes d’application efficaces et
effectifs, mais également être étayées par des lois sur l’insolvabilité respectant
les droits qu’elles confèrent (voir le
Guide législatif de la CNUDCI sur le droit
de l’insolvabilité
).
financements, promouvoir
3. Le Guide s’efforce de transcender les différences entre régimes juridiques pour
proposer des solutions pragmatiques et éprouvées qui peuvent être acceptées et
appliquées dans des États ayant des traditions juridiques divergentes (droit civil,
common law et traditions juridiques chinoise, islamique et autres) ainsi que dans
des États ayant des économies en développement ou développées. Il vise
l’élaboration de lois procurant des avantages économiques concrets aux États
qui les adoptent. Il est possible que les États aient à supporter des dépenses
prévisibles, toutefois limitées, pour élaborer et appliquer de telles lois, mais la
vaste expérience accumulée montre que ces dépenses devraient être largement
compensées par les avantages à court et à long terme qui seront obtenus.
48
[Notre soulignement]
Ce Guide vise non seulement la réforme du droit interne de tout État en matière de sûretés
mobilières, mais aussi son harmonisation au niveau international, surtout en rapport avec
les règles de conflits de lois, ayant pour objectif d’assurer la survie de sûretés grevant des
biens destinés à se déplacer d’un État à l’autre ou des biens incorporels. Il tend à une
certaine neutralité conceptuelle en adoptant sa propre terminologie, qui se veut neutre,
afin d’en faciliter la diffusion et la réception au plus large auditoire possible. Il précise,
enfin, les conditions nécessaires à la réception et à la mise en œuvre d’un régime de
sûretés qui sont, essentiellement, celles relevant de l’État de droit. Cet instrument de
l’harmonisation du droit s’inspire de nombreux autres instruments du même genre qui ont
été adoptés par diverses organisations internationales auparavant 49 et, en ce sens, il
48
49
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, nos 1 à 3 [références omises].
Voir le Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, no 12, qui mentionne les
sources suivantes : « […]
Loi modèle sur les sûretés, finalisée par la BERD en 1994 ; Principes

Page 56
30
constitue probablement la plus grande tentative de synthèse transsystémique qui existe à
l’heure actuelle dans le domaine des sûretés 50.
En parallèle à ces instruments dits de l’harmonisation « souple » du droit, sont
promulgués par certaines organisations régionales d’autres outils faisant partie de cette
mouvance, quoique légèrement plus rigides dans leur forme. On pense, à ces égards, à
deux lois modèles, l’une destinée aux pays d’Europe de l’Est et préparée sous les
auspices de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement
BERD ») 51, l’autre destinée aux pays de l’Amérique latine et préparée sous l’égide de
l’OÉA, à savoir Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières. Cette dernière
loi type suscite notre intérêt particulier pour les raisons que voici.
Nous avons pris part, à titre de délégué du gouvernement du Québec en tant qu’expert en
droit civil québécois des sûretés mobilières, aux travaux d’experts internationaux réunis à
l’initiative de l’OÉA, ayant mené à l’adoption par cette organisation de la Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières. Dans un contexte de libéralisation des
fondamentaux d’un droit moderne des sûretés, élaborés par la BERD en 1997 ; Acte uniforme
portant organisation des sûretés, élaboré par l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du
droit des affaires en 1997 ; étude sur la réforme du droit des opérations garanties en Asie,
réalisée par la BAD en 2000 ; Convention des Nations Unies sur la cession de créances dans le
commerce international […] adoptée en 2001 ; Convention relative aux garanties internationales
portant sur des matériels d’équipement mobiles, adoptée en 2001, et les protocoles s’y
rapportant ; Convention à la loi applicable à certains droits sur des titres détenus auprès d’un
intermédiaire, adoptée par la Conférence de La Haye de droit international privé en 2001 ; Loi
type interaméricaine relative aux sûretés mobilières, élaborée par l’Organisation des États
Américains (OÉA) en 2002 ;
Guide législatif de la CNUDCI sur le droit de l’insolvabilité […]
finalisé en 2004 ; et projet de convention d’Unidroit sur les règles de droit matériel applicables
aux titres intermédiés
».
50
51
Voir, de manière générale, l’Introduction du Guide législatif sur les opérations garanties, supra
note 45.
Voir : EUROPEAN BANK FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT, Model Law on Secured
Transactions 2004, en ligne : http://www.ebrd.com/pubs/legal/secured.pdf (consulté le 27
novembre 2009) [la «
Loi type de la BERD »].

Page 57
31
échanges et d’intérêt marqué pour les instruments juridiques qui favorisent un meilleur
développement économique permettant aux divers pays de pouvoir se concurrencer sur
un même pied, l’OÉA assura, en 2002, la tenue de sa Sixième Conférence
interaméricaine spécialisée en droit international privé, mieux connue sous l’acronyme
CIDIP-VI. L’objectif de ces conférences de l’OÉA, qui se tiennent approximativement
tous les quatre ans, consiste à permettre la tenue de débats sur des questions juridiques
techniques et ainsi favoriser la coopération dans le domaine du droit international privé,
voire même, pour reprendre le mot si juste de P.-A. Crépeau, du « droit privé
international » 52. Dans le cadre de la CIDIP-VI, le droit des sûretés mobilières fut retenu
comme sujet d’études et de discussions. Un comité d’experts a donc travaillé, de 1998
jusqu’à 2002, à la rédaction d’un projet de loi type portant sur le droit des sûretés
mobilières, visant à harmoniser cette sphère du droit à l’échelle des Amériques. Ce projet
de loi type fut ainsi proposé à l’examen attentif des représentants des divers
gouvernements des pays membres de l’OÉA lors de la tenue de la CIDIP-VI; il y a reçu
un accueil favorable et fut officiellement adopté par cette conférence. Depuis lors, l’OÉA
en propose la ratification par tous ses pays membres. En fait, le véritable objectif de ce
processus consiste plutôt à permettre aux pays de l’Amérique latine de moderniser leurs
droits internes en la matière et de permettre la création de sûretés mobilières
conventionnelles sans dépossession, ce qui était déjà possible dans tous les États de
l’Amérique du Nord, au moment où la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières fut adoptée.
52
Voir : Paul-André CRÉPEAU, « Unification du droit privé : perspectives canadiennes », dans
Meredith Mem. Lect. 1998-1999 : La pertinence renouvelée du droit des obligations : back to
basics / The Continued Relevance of The Law of Obligations : Retour aux Sources, Faculté de
droit, Université McGill, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 2000, p. 3.

Page 58
32
Mentionnons, en terminant au chapitre de l’OÉA, que les thèmes de la Septième
Conférence interaméricaine spécialisée en droit international privé, la CIDIP-VII, ont
été établis en 2005, au nombre de deux, à savoir : (i) la rédaction d’instruments en
matière de protection de consommateurs, et (ii) l’implantation de registres informatisés
pour la mise en œuvre de la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières, non
seulement dans les divers pays membres de l’OÉA, mais aussi la création d’un registre
central pour l’Hémisphère 53. Ce registre central viserait l’uniformisation des réquisitions
d’inscriptions d’un pays à l’autre, la publication de sûretés sur des biens mobiles et une
certaine « inter-connectivité » entre les registres des diverses juridictions de l’OÉA.
Finalement, la conférence spécialisée de la CIDIP-VII s’est tenue en octobre 2009 54 et
les ambitions se firent plus modestes. En effet, en matière de sûretés mobilières, un
projet de règlement type relativement à un registre découlant de la Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières fut discuté par les experts présents 55.
Les développements découlant de cette initiative seront à suivre de près et auront
possiblement un impact à l’échelle continentale, s’ils débouchent sur quelque chose.
53
54
55
Voir : OÉA, CIDIP-VII: Preparatory Work for the Seventh Inter-American Specialized
Conference on Private International Law
, Doc. off. OEA/Ser. G/CP/CAJP-2309/05 (19 octobre
http://www.oas.org/DIL/cp15225e01-
2005)
Cidip%20report%2010-20-05.doc (consulté le 27 novembre 2009).
(Original :
English),
ligne :
en
Voir les sites Web de l’OÉA consacrés à la CIDIP-VII, en ligne : http://www.oas.org/DIL/CIDIP-
VII_home.htm
et
http://www.oas.org/DIL/CIDIPVII_documents_diplomatic_conference_secured_transactions.htm
(consultés le 27 novembre 2009). La conférence s’est tenue à Washington, D.C., du 7 au 9
octobre 2009.
Voir : OÉA, CIDIP-VII : Draft OAS model Registry Regulations under the Model Inter-American
Law on Secured Transactions
, Doc. off. OEA/Ser.K/XXI.7/CIDIP-VII/doc.3/09 corr.1 (6 octobre
2009) (Original: Spanish), en ligne : http://www.oas.org/DIL/CIDIP-VII_doc_3-09_corr1_eng.pdf
(consulté le 27 novembre 2009).

Page 59
33
Tous ces mouvements visant la réforme intrinsèque des droits nationaux en matière de
sûretés nous amènent à parler de l’harmonisation du droit des sûretés à l’échelle
internationale, dans une perspective transnationale.
B.
L’harmonisation du droit des sûretés mobilières à l’échelle
internationale
Comme nous venons de le voir, cette mondialisation de l’économie et la libéralisation des
marchés qui en découle influencent les organismes internationaux de réforme du droit. Il
est ainsi possible de constater que ceux-ci passèrent du paradigme de l’unification à celui
de l’harmonisation du droit des sûretés à l’échelle internationale [1], pour peut-être
aujourd’hui opérer un retour à une certaine idée de l’unification en certaines matières,
notamment par l’apparition de plusieurs instruments ou normes supranationaux, qui
viendront graduellement se superposer aux divers régimes nationaux, et même à en
influencer les règles, dans des situations visant la prise de garanties dans un contexte
transfrontalier, ou encore, sur des biens mobiles, incorporels ou dématérialisés [2].
1.
De l’« unification » à l’« harmonisation » du droit des sûretés
mobilières à l’échelle internationale ?
La problématique de l’harmonisation du droit s’articule autour de deux concepts, à
savoir l’unification et l’harmonisation.
Ainsi, le concept de l’unification ou de l’uniformisation du droit, paradigme initial du
droit comparé et des premiers projets d’harmonisation du droit au début du XXe siècle,
vise l’imposition de règles et de normes émanant d’un système juridique unique à la plus
grande échelle possible, abolissant sur son passage toutes différences liées aux traditions
Page 60
34
juridiques en place (au profit de la tradition juridique la plus dominante ou impériale) 56.
Le concept de l’harmonisation « souple » du droit, c'est-à-dire une façon de transposer,
d’un système juridique à un autre, des principes et des valeurs similaires, en les articulant
toutefois en fonction de la technique juridique propre à chaque système, s’est par la suite
imposé 57.
En effet, les organismes internationaux de droit comparé et d’unification du droit, après
d’infructueuses tentatives visant à unifier certains domaines du droit à l’échelle
internationale au moyen de traités ou de conventions, ont réduit leurs ambitions après
certains ratés, proposant plutôt, dans des matières authentiquement internationales, des
instruments visant plutôt l’harmonisation « souple » du droit, dans le respect de la
souveraineté des États et des traditions juridiques de chacun. La Convention de Vienne
sur la vente internationale de marchandise, adoptée en 1980 58, en est un exemple patent.
56
57
58
Au début des années 1980, ce paradigme est tombé en désuétude parce que les instruments qu’il a
vu naître n’on pas été adoptés, pour la plupart. À ce sujet, l’historique de la Convention de Vienne
sur la vente internationale de marchandises en donne une illustration éloquente. Voir notamment :
Antoine LEDUC, « L’émergence d’une nouvelle
lex mercatoria à l’enseigne des Principes
d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international
: thèse et antithèse », (2001) 35
R.J.T. 429, p. 441 et suiv.
C’est sans doute, comme le fait remarquer Jacques Chevallier, l’une des conséquences du post-
modernisme, où « […]
les désillusions générées par l’idée de Progrès, la fin de l’idée que
l’Histoire aurait un sens, la fin de la prétention à l’Universalité, notamment en ce qui concerne les
modèles d’organisation politique : du comparatisme « universaliste », fondé sur l’idée de
trajectoires communes d’évolution que devraient emprunter les divers pays dès l’instant où ils
s’engagent dans un processus de « modernisation », on passe à un comparatisme « relativiste »,
privilégiant l’expression des singularités et des diversités
». Voir Jacques CHEVALLIER, « Vers
un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », (1998) 3
Revue du droit
public
660, 663.
Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, AG NU
Doc. A/Conf. 97.18. Au Canada,
Loi sur les contrats de vente internationale de marchandises,
L.C. 1991, c. 13; au Québec, la Loi concernant la Convention des Nations Unies sur les contrats
de vente internationale de marchandises
, L.Q. 1991, c. 68, L.R.Q., c. C-67.01. Voir, au sujet de ce
texte,
l’analyse de Guy LEFEBVRE et Emmanuel Sibidi DARANKOUM, « La vente
internationale de marchandises : la Convention de Vienne et ses applications jurisprudentielles »,
dans Denys-Claude LAMONTAGNE, dir.,
Droit spécialisé des contrats : les contrats relatifs à

Page 61
35
Ainsi, lentement mais progressivement, s’implantent, au fil des ans, des instruments
supranationaux d’utilité pour les besoins du commerce international. On peut toutefois
remarquer que ces initiatives furent à l’origine parcellaires et se firent d’abord « à la
carte ». L’explication s’en trouvait dans les réticences exprimées, à l’égard de cette
mouvance, notamment par les pays de common law, lesquels, contrairement aux pays
civilistes, prirent plus de temps à entrer dans cette ronde 59. Le professeur P.-A. Crépeau
a bien décrit cette évolution :
Tout d’abord, le mouvement s’élargit progressivement à l’ensemble du globe.
Les pays de Common law se joignent au cercle européen. Les pays d’Extrême-
orient sentent le besoin de s’ouvrir aux relations avec l’Occident. Et,
finalement, les pays de l’Europe de l’Est retrouvent la voie de l’économie de
marché et entrent dans la ronde.
Devant cet élargissement, aussi varié que diversifié, on sent le besoin de
prudence dans le choix des matières. Il ne s’agit plus, comme ont pu le souhaiter
les internationalistes du début du [XXe] siècle, de s’attaquer à de grands pans
des systèmes juridiques, mais bien de cibler certains secteurs susceptibles de
déboucher sur des résultats concrets.
60
Dans cette veine, il n’est pas surprenant de constater que, depuis le milieu des années
1990, le domaine du droit des sûretés « […] est celui auquel les Organisations
internationales consacrent actuellement le plus de ressources qu’à aucune autre branche
du droit […] » 61. Cela s’explique car il s’agit « […] [d]’un domaine qui, il y a vingt ans
seulement, semblait un désert ou un champ miné, [les succès étonnants que l’on y observe
59
60
61
l’entreprise, vol. 2, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 1999, 385, en particulier au no 2,
p. 391-392.
W. TETLEY, loc. cit., supra note 3; G. HUMPHREYS, « La lex mercatoria en matière d’arbitrage
international : quelques différences dans les optiques anglo-françaises », (1992)
Revue de droit des
affaires internationales
849.
P.-A. CRÉPEAU, loc. cit., supra note 52, p. 5.
Herbert KRONKE, « Congrès du 75e Anniversaire d’UNIDROIT – Harmonisation mondiale du
droit privé et intégration économique régionale : hypothèses, certitudes et questions pendantes »,
(2003)
Rev. dr. unif. 11, 21.

Page 62
36
se doivent] au fait que les marchés financiers avaient entre-temps pris un essor
véritablement international » 62.
Cette internationalisation des marchés explique donc en partie le fait que le domaine du
droit des sûretés soit à l’avant-scène de l’harmonisation du droit à l’échelle internationale.
Ainsi, les organisations internationales ont proposé des instruments (ou travaillent
actuellement à la confection de projets) visant principalement deux objectifs : d’abord, la
modernisation, la réforme ou l’instauration de régimes de droits des sûretés à l’interne,
principalement pour les pays émergents ou en voie de développement 63, tel que nous
l’avons vu à la section précédente, les instruments mis de l’avant dans ce contexte
participant de cette idée de l’harmonisation souple du droit (à savoir, l’énonciation de
principes généraux, de guides législatifs, de lois types, etc.); ensuite, l’atteinte de
solutions pour la prise de garanties dans un contexte transfrontalier ou sur des biens
mobiles, incorporels ou dématérialisés, par la promulgation de lois modèles ou de
conventions plus contraignantes, tendant plus vers l’unification du droit par l’apparition
progressive de normes supranationales, ou par la création de régimes spéciaux pour ces
types de biens.
62
63
Ibid., p. 23.
Et, accessoirement, pour les économies libérales, le droit comparé ayant pour objectif de permettre
l’amélioration des droits internes résultant du choc des comparaisons. Mais « [l]
es intérêts du
droit comparé peuvent, succinctement, être groupés sous trois chefs. Le droit comparé est utile
dans les recherches historiques ou philosophiques concernant le droit ; il est utile pour mieux
connaître et améliorer notre droit national ; il est utile pour comprendre les peuples étrangers et
donner un meilleur régime aux relations de la vie internationale. Il est indispensable pour toute
tentative d’harmonisation ou d’uniformisation ». Voir : R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI,
op. cit., supra note 5, no 2, p. 3.


Page 63
37
2.
La prise de garanties dans un contexte transfrontalier ou sur des
biens mobiles, incorporels ou dématérialisés
À côté des instruments découlant de la mouvance de l’harmonisation du droit dite
« souple » que nous venons de décrire, sont apparu ou sont en voie de rédaction, depuis
quelques années déjà, des instruments qui s’inscrivent, eux, dans une tendance peut-être
plus « rigide » de cette harmonisation et qui, graduellement, permettent d’entrevoir
l’émergence de normes supranationales dans le domaine du droit des sûretés. La
libéralisation des marchés facilite le commerce; les transactions transfrontalières en
découlant, quant à elles, présentent des réalités nouvelles avec des défis qui, même s’ils
étaient connus dans certains cas (i.e. les biens mobiles) [2.1], n’étaient pas envisagés dans
d’autres il n’y a pas si longtemps (i.e. les biens incorporels ou dématérialisés) [2.2].
2.1
les instruments visant les biens mobiles
Lorsque l’on parle de « biens mobiles », l’on réfère à des biens qui sont destinés à se
déplacer d’un État à l’autre, de par leur nature ou leur fonction. Les biens d’équipement
destinés au transport, de marchandises ou de personnes, en sont des exemples éloquents.
Ainsi, les avions, les trains, le matériel roulant (les trains routiers, les camions), en sont.
On peut penser également à d’autres types de biens, plus inusités autrefois mais qui,
aujourd’hui, sont entrés dans le domaine commercial et, par conséquent, dans celui du
financement garanti, dont notamment
les satellites (autrement nommés « biens
spatiaux »). Ainsi, l’on conçoit aisément que la prise de garantie sur de tels biens recèle
nombre de pièges, relevant d’abord des conflits de lois, pour ensuite se traduire au niveau
de l’ordre de priorité entre les créanciers et de l’exercice des recours. Il s’agit donc d’un
champ « authentiquement international », où l’on estime qu’un instrument international
serait souhaitable pour trancher ces questions.
Page 64
38
UNIDROIT s’est penché sur les questions entourant la prise de garanties affectant de tels
biens. En résulte l’adoption, par le Conseil d’UNIDROIT en 2001, de la Convention
relative aux garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles (Le
Cap, 2001) 64 qui, par l’adoption simultanée cette même année du Protocole portant sur
les questions spécifiques aux matériels d’équipement aéronautiques à la Convention
relative aux garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles (Le
Cap, 2001) 65, et l’adoption subséquente en 2007 du Protocole de Luxembourg portant
sur les questions spécifiques au matériel roulant ferroviaire à la Convention relative aux
garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles (Luxembourg,
2007) 66, viendra progressivement régir, entre les États contractants les ayant ratifiés, la
prise de garanties sur le matériel aéronautique et le matériel ferroviaire, de la constitution
64
65
66
en
(Le
Cap,
2001),
mobiles
UNIDROIT, Convention relative aux garanties internationales portant sur des matériels
d’équipement
ligne :
http://www.unidroit.org/french/conventions/mobile-equipment/mobile-equipment.pdf (consulté le
27 novembre 2009) [la «
Convention du Cap (2001) »]. La Convention du Cap (2001) a été
ratifiée par dix États, dont les États-Unis d’Amérique. Voir, au sujet de l’état des ratifications, la
fiche disponible en
ligne : http://www.unidroit.org/english/implement/i-2001-convention.pdf
(consulté le 27 novembre 2009). Voir aussi : Roy GOODE, « La Convention du Cap relative aux
garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles : une force motrice pour
le financement international basé sur un bien », (2002) Rev. dr. unif. 3 [« Convention du Cap »];
Roy GOODE,
Commentaire officiel sur la Convention relative aux garanties internationales
portant sur des matériels d’équipement mobiles et le Protocole y relatif portant sur les questions
spécifiques aux matériels d’équipement aéronautiques
, Rome, Institut international pour
l'unification du droit privé (U
NIDROIT), 2002.
UNIDROIT, Protocole portant sur
les questions spécifiques aux matériels d’équipement
aéronautiques à la Convention relative aux garanties internationales portant sur des matériels
d’équipement
ligne :
http://www.unidroit.org/french/conventions/mobile-equipment/aircraftprotocol.pdf (consulté le 27
novembre 2009) [le «
Protocole aéronautique (2001) »].
mobiles
2001),
Cap,
(Le
en
UNIDROIT, Protocole de Luxembourg portant sur les questions spécifiques au matériel roulant
ferroviaire à la Convention relative aux garanties internationales portant sur des matériels
ligne :
d’équipement
http://www.unidroit.org/french/conventions/mobile-equipment/railprotocol.pdf (consulté
le 27
novembre 2009) [le «
Protocole ferroviaire (2007) »].
(Luxembourg,
mobiles
2007),
en

Page 65
39
à la publicité en passant par l’ordre de priorité et l’exercice des recours. Un protocole
verra éventuellement le jour eu égard aux biens spatiaux 67.
Un registre universel et centralisé a été créé pour les fins de l’application de la
Convention du Cap (2001) et du Protocole aéronautique (2001), situé à Dublin, en
Irlande. Ce registre, largement inspiré de ceux existant dans les provinces canadiennes et
aux États-Unis d’Amérique, a été jugé essentiel à la bonne marche du système mis en
place par la Convention du Cap (2001) et du Protocole aéronautique (2001), notamment
au chapitre de l’établissement d’un ordre de priorité entre les créanciers 68.
En 2005, le Parlement du Canada a adopté une loi assurant la mise en œuvre de la
Convention du Cap (2001) et du Protocole aéronautique (2001) 69. La portion en vigueur
de cette loi modifie certaines dispositions de lois fédérales, à savoir la loi sur les
67
68
69
Voir : Roy M. GOODE, « Transcending the Boundaries of Earth and Space : the Preliminary Draft
U
NIDROIT Convention on International Interests in Mobile Equipment / Par delà les frontières de la
terre et de l’espace: l’avant-projet de Convention d’U
NIDROIT relative aux garanties internationales
portant sur des matériels d’équipement mobiles », (1998) 3
Rev. dr. unif. 52 (n.s.).
Voir : Ronald C.C. CUMING, « Le Registre international pour les garanties internationales portant
sur des biens aéronautiques : présentation de sa structure », (2006)
Rev. dr. unif. 19. Puisque la
Convention du Cap (2001), supra note 64, et le Protocole aéronautique (2001), supra note 65,
sont en vigueur depuis 2006, le Registre international est opérationnel depuis le 1
er mars 2006. Il
s’en est fallu de peu pour que le Registre international soit situé au Québec, les dirigeants du
Registre des droits personnels et réels mobiliers ayant été activement impliqués dans les
discussions ayant menées à la création du Registre international. Voir, à ce sujet : Suzanne
POTVIN PLAMONDON, « Une esquisse du système international d’inscription en vertu de la
Convention relative aux garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles
et son application au domaine de l’aéronautique (…) », (2001) 103
R. du N. 11.
Loi sur les garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles (matériels
d’équipement aéronautiques)
, L.C. 2005, c. 3, art. 11 à 18, entrés en vigueur le 28 septembre 2005
(décret), TR/2005-0089 (Gaz. Can. II), art. 10, entré en vigueur le 14 avril 2008 (décret),
TR/2008-0036 (Gaz. Can. II) [la «
Loi fédérale de mise en œuvre de la Convention du Cap
(2001)
»]. Voilà une bien curieuse façon de mettre en œuvre une loi, alors que les dispositions de
ses articles 1 à 9, ainsi que ses trois annexes, qui édictent la Convention du Cap (2001), supra note
64, le
Protocole Aéronautique (2001), supra note 65, et les reproduisent, ne sont pas encore en
vigueur. Tout ce que la loi fait, pour l’instant, c’est de modifier certaines lois fédérales, pour en
exclure le régime de la Convention du Cap (2001), ou lui donner force de loi mais, comme nous le
verrons, aucune disposition n’est encore en vigueur.

Page 66
40
banques 70, la loi sur la faillite et l’insolvabilité 71, la loi sur les arrangements avec les
créanciers des compagnies 72 et la loi sur les liquidations et les restructurations 73, mais il
faut voir que la Convention du Cap (2001) et du Protocole aéronautique (2001) ne sont
pas eux-mêmes encore en vigueur, sans doute parce qu’à ce jour, aucune province ou
territoire canadiens ne les a ratifiés (ces textes relevant de leur compétence
constitutionnelle exclusive en matière de droit privé) 74, bien que certaines lois aient été
70
71
72
73
L.C. 1991, c. 46 [la « Loi sur les banques »]. Le nouvel article 436.1 de cette loi édicte que le
gouverneur en conseil peut, par règlement, régir l’application des articles 426 à 436 de la
Loi sur
les banques
aux biens aéronautiques, soit en les soustrayant à l’application de cette loi, soit en
supprimant les droit acquis sur ces biens en vertu du régime de la
Loi sur les banques. Un
règlement fut adopté en ce sens mais ne sera en vigueur que lors de l’entrée en vigueur du
Protocole Aéronautique (2001), supra note 65, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi fédérale de
mise en œuvre de la Convention du Cap (2001)
, supra note 69. Voir : Règlement sur les biens
aéronautiques
, DORS/2008-109 (Gaz. Can. II), art. 3.
L.R.C. 1985, c. B-3 [la « Loi sur la faillite et l’insolvabilité » ou « LFI »]. Une définition de
« biens aéronautiques » est édictée à l’article 2 (1) de cette loi. Les sous-paragraphes 69 (2) d), et
69.1 (2) d) LFI, et le paragraphe 69.3 (3) LFI, ont pour effet de permettre, à certaines conditions,
au créancier titulaire d’une garantie sur un bien aéronautique de prendre possession desdits biens,
et ce, nonobstant le sursis des procédures habituellement imposé en cas d’avis d’intention de faire
une proposition concordataire, de proposition concordataire ou de faillite. Comme la définition de
« biens aéronautiques » de la LFI réfère à celle du paragraphe 2 (1) de la
Loi fédérale de mise en
œuvre de la Convention du Cap (2001)
, supra note 69, qui n’est pas encore en vigueur, les
dispositions des sous-paragraphes 69 (2) d), et 69.1 (2) d) LFI, et du paragraphe 69.3 (3) LFI, ne le
sont pas davantage.
L.R.C. 1985, c. C-36 [la « Loi sur les arrangements » ou « LACC »]. Une définition de « biens
aéronautiques » est édictée à l’article 2 (1) de cette loi. L’article 11.31 LACC a pour effet de
permettre, à certaines conditions, au créancier titulaire d’une garantie sur un bien aéronautique de
prendre possession desdits biens, et ce, nonobstant le sursis des procédures habituellement imposé
par l’ordonnance initiale prononcée en vertu de l’article 11 LACC. Comme la définition de
« biens aéronautiques » de la LACC réfère à celle du paragraphe 2 (1) de la
Loi fédérale de mise
en œuvre de la Convention du Cap (2001)
, supra note 69, qui n’est pas encore en vigueur, les
dispositions de l’article 11.31 LACC ne le sont pas davantage.
L.R.C. 1985, c. W-11 [la « Loi sur les liquidations »]. Une définition de « biens aéronautiques »
est édictée à l’article 2 (1) de cette loi. L’article 22.2 de la
Loi sur les liquidations a pour effet de
permettre, à certaines conditions, au créancier titulaire d’une garantie sur un bien aéronautique de
prendre possession desdits biens dans le cas d’une ordonnance de liquidation rendue aux termes du
paragraphe 10 c) de cette loi (pour motif d’insolvabilité). Comme la définition de « biens
aéronautiques » de la Loi sur les liquidations réfère à celle du paragraphe 2 (1) de la Loi fédérale
de mise en œuvre de la Convention du Cap (2001)
, supra note 69, qui n’est pas encore en vigueur,
les dispositions de l’article 22.2 de la Loi sur les liquidations ne le sont pas davantage.
74
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), art. no 92 (13).

Page 67
41
adoptées en ce sens par l’Ontario 75, le Québec 76 et les Territoires du Nord-Ouest 77, sans
être toutefois entrées en vigueur. Le résultat actuel de la Loi fédérale de mise en œuvre
de la Convention du Cap (2001) est plutôt limité : la législation fédérale est fin prête à
mettre en œuvre la Convention du Cap (2001) et le Protocole aéronautique (2001), mais
l’entrée en vigueur d’ensemble tarde à venir. Cela n’est qu’une question de temps, et
alors le Canada, ses provinces et ses territoires auront un régime particulier et uniforme
de sûretés relatives aux biens aéronautiques, qui supplantera le droit provincial ou fédéral
en ce domaine 78.
De tels instruments, en plus de créer des normes supranationales, vont sans doute exercer
une certaine influence aux autres niveaux de l’harmonisation du droit, tant sur le plan
substantif que sur le plan pratique. À côté de ces normes supranationales apparaissent
des régimes spéciaux de sûretés consacrés aux biens incorporels ou dématérialisés.
75
76
77
78
Loi de 2002 sur les Garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles
(équipements aéronautiques)
, L.O. 2002, c. 18, ann. B.
Loi assurant la mise en œuvre de la Convention relative aux garanties internationales portant sur
des matériels d’équipement mobiles et du Protocole portant sur les questions spécifiques aux
matériels d’équipement aéronautiques à la Convention relative aux garanties internationales
portant sur des matériels d’équipement mobiles
, L.Q. 2007, c. 2, art. 6. Les dispositions de cette
loi entrent en vigueur aux dates fixées par le gouvernement. Aucun décret n’a été émis et publié
en ce sens.
Loi sur les garanties internationales portant sur des matériels d’équipement aéronautiques
mobiles
, L.T.N.-O. 2009, c. 4.
Voir : Louis PAYETTE, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec, 3e éd., Cowansville
(Qc.), Éditions Yvon Blais, 2006 [«
Les sûretés réelles, 3e éd. »], no 895, p. 421 : « Dans le
domaine de l’équipement aéronautique, les dispositions de la Convention du Cap, le jour où celle-
ci deviendra applicable au Québec, auront préséance sur certaines règles du Code civil à l’égard
de sûretés revêtant un caractère de garantie internationale au sens de cette convention
». Mais
l’on court le risque d’assister à une prolifération des registres et des règles de publicité à respecter.
Aux États-Unis, il faut d’abord y publier une sûreté sur un avion au
Federal Aviation
Administration pour ensuite pouvoir l’inscrire au registre international. De plus, les titulaires de
sûretés légales n’ont pas à y inscrire leurs droits sur des aéronefs et continuent de bénéficier de
leurs privilèges statutaires. Tout cela sape quelque peu l’efficacité de la Convention. Voir, à ce
sujet, Lynn M. LoPUCKI et Elizabeth WARREN, Secured Credit. A Systems Approach,
New York, Aspen Publishers, 2009, p. 413-414.

Page 68
42
2.2
instruments visant
les
dématérialisés
les biens
incorporels ou
Au-delà de ces biens d’équipement mobiles qui présentent des
situations
« authentiquement internationales », ce sont les biens incorporels, tels les créances, et les
valeurs mobilières, actions, ou autres placements ou actifs financiers, détenus directement
ou indirectement, représentés par certificats ou non (des biens alors dématérialisés), qui
posent des défis intéressants lors de la prise de garanties, et ce, tant dans un contexte local
que transfrontalier, et où le besoin d’harmonisation des règles se fait sentir.
En ce qui concerne les créances, la CNUDCI a adopté la Convention des Nations Unies
sur la Cession de créances dans le commerce international 79. Cette Convention propose,
entre autres, de simplifier les règles de conflits de lois relatives à tout type de cession de
créance, qu’elle soit faite à titre de garantie ou à titre « absolu », pour employer la
terminologie de common law (c’est-à-dire qu’il s’agisse alors d’une vente ou d’une
cession pure et simple), en l’assujettissant dans tous les cas à la loi du « principal
établissement » du constituant (le cédant), ainsi que les règles relatives à l’établissement
d’un rang entre les créanciers titulaires de sûretés sur des créances. Adoptée et ratifiée à
l’heure actuelle par un seul pays, le Libéria 80, cette Convention n’est pas encore en
vigueur car au moins cinq pays doivent l’avoir ratifiée pour qu’elle le soit 81; elle aurait
79
80
81
Convention des Nations Unies sur la Cession de créances dans le commerce international,
Rés. AG 56/81, Doc.off. A.G.N.U. 01 47768, 56
e sess., 12 décembre 2001, en ligne :
http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N01/477/68/PDF/N0147768.pdf?OpenElement
(consulté le 29 novembre 2009) [la «
Convention des Nations Unies sur la Cession de
créances
»].
le
Voir
http://www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/payments/2001Convention_receivables_status.ht
ml (consulté le 29 novembre 2009).
CNUDCI,
Web
site
de
en
la
ligne :
Convention des Nations Unies sur la Cession de créances dans le commerce international, supra
note 79, art. 45.

Page 69
43
le mérite, si elle était adoptée ou suivie par le législateur québécois, de mettre fin à cette
dichotomie qui existe entre les règles de conflits de lois concernant les véritables cessions
et les hypothèques sur créances 82, réduisant ainsi les incertitudes qui règnent
actuellement dans ce domaine, particulièrement dans les situations internationales, c’est-
à-dire celles où le débiteur de la créance et le constituant d’une sûreté la grevant ne sont
pas domiciliés dans la même juridiction. Pour bien comprendre l’esprit qui préside à un
tel instrument de l’harmonisation du droit, il importe de reproduire son préambule :
PRÉAMBULE
Les États contractants,
Réaffirmant leur conviction que le commerce international sur la base de l’égalité et
des avantages mutuels constitue un élément important susceptible de promouvoir les
relations amicales entre les États,
Considérant que les problèmes créés par les incertitudes quant à la teneur et au choix
du régime juridique applicable à la cession de créances constituent un obstacle au
commerce international,
Désireux d’énoncer des principes et d’adopter des règles relatifs à la cession de
créances qui garantissent la prévisibilité et la transparence et favorisent la
modernisation de la législation relative aux cessions de créances tout en préservant
les pratiques de cession actuelles et en facilitant le développement de nouvelles
pratiques,
Souhaitant aussi dûment protéger les intérêts du débiteur en cas de cession de
créances,
Estimant que l’adoption de règles uniformes régissant la cession de créances
favoriserait l’offre de capitaux et de crédit à des taux plus favorables et faciliterait
ainsi le développement du commerce international,
82
Lire à ce sujet
Voir : Articles 3097, 3105 et 3120 C.c.Q.
les commentaires de
Michel DESCHAMPS, « The Priority Rules of the United Nations Receivables Convention : A
Comment on Bazinas », (2002) 12
Duke Journal of Comparative & International Law 389, 392.
Voir aussi : Spiros V. BAZINAS, « Multi-Jurisdictional Receivables Financing : UNCITRAL’s
Impact on Securitization and Cross-Border Perfection », (2002) 12
Duke Journal of Comparative
& International Law
365; Spiros V. BAZINAS, « UNCITRAL Draft Convention on Assignment
of Receivables in International Trade. Lowering the Cost of Credit : The Promise in the Future
UNCITRAL Convention on Assignment of Receivables in International Trade », (2001) 9
Tulane
J. of Int’l & Comp. Law
259; voir enfin: Bruce A. MARKELL, « UNCITRAL’s Receivables
Convention : The First Step, but not the Last, A Comment on Bazinas », (2002) 12 Duke Journal
of Comparative & International Law
401.

Page 70
44
Sont convenus [sic] de ce qui suit […]
Voilà énoncé, en quelques paragraphes, l’ordre du jour des ténors de l’harmonisation du
droit des sûretés dans ce contexte de mondialisation du commerce qui est le nôtre. Nous
verrons, dans les prochains chapitres, si ce programme est réaliste et s’il est en voie de se
réaliser.
Attardons nous quelque peu au cas des valeurs mobilières, actions, autres placements ou
actifs financiers, détenus directement ou indirectement 83, représentés par certificats ou
non (des biens alors dématérialisés), qui font l’objet de plusieurs projets de réformes,
certains ayant déjà été adoptés, d’autres étant en voie de l’être ou étant encore sous étude.
Les enjeux concernent principalement les règles de transfert de ces biens, les modes de
constitution et de publicité des droits les grevant, les règles de conflits de lois, l’exercice
des recours et, enfin, la protection des investisseurs et créanciers face aux émetteurs,
intermédiaires et firmes de courtages qui gèrent ces placements 84.
En 1994 et 1999, les États-Unis d’Amérique ont parti le bal en révisant les dispositions en
ces matières des Titres 8 et 9 du Uniform Commercial Code 85. Ce Titre 8, combiné aux
83
84
Pour une explication au sujet de la détention directe et de la détention indirecte, lire :
Michel DESCHAMPS, « Le nouveau régime québécois de sûretés sur les valeurs mobilières »,
(2009) 68
R. du B. 545, 549-550.
La problématique d’ensemble a été posée comme suit pour le Canada avant l’avènement des
nouvelles lois en ces matières, mais elle se transpose aux autres pays non dotés à l’heure actuelle
de règles semblables en la matière : «
Il n’existe pas au Canada de législation régissant de façon
globale le transfert de titres détenus auprès d’un intermédiaire. Cette forme de détention est à
l’occasion reconnue, mais cette reconnaissance n’est encore que fragmentaire. Le droit privé
relatif à la détention et au transfert des titres se retrouve principalement dans des dispositions
conçues pour un système de détention directe où l’investisseur possède des certificats représentant
ses titres et où le transfert de titres s’effectue par la négociation des certificats. Il est parfois
difficile d’appliquer ces dispositions de façon cohérente ou uniforme à un système de détention
auprès d’intermédiaires financiers ». Voir : Michel DESCHAMPS, « Les sûretés sur des titres
détenus auprès d’un intermédiaire en droit canadien », (2005)
Rev. dr. unif. 189.
85
Voir, pour un historique des travaux ayant menés à sa plus récente réforme en la matière,
Carl S. BJERRE et Sandra M. ROCKS,
The ABCs of the UCC – Article 8 : Investment Securities,

Page 71
45
dispositions du Titre 9 en matière de sûretés, apporte ses solutions à tous les problèmes
que nous venons d’énumérer. En ce qui a trait au régime de détention indirecte par un
intermédiaire, résumons qu’aux termes des Titres 8 et 9 du Uniform Commercial Code,
une sûreté grevant des valeurs mobilières dématérialisées inscrites en compte auprès d’un
intermédiaire de marché est créée par l’entremise d’un mécanisme de dépossession
fictive, qui confère au créancier la maîtrise exclusive du compte de courtage. Cette
maîtrise est établie aux termes d’un contrat écrit entre le courtier et le créancier; dès lors,
ce mécanisme suffit à publier la sûreté sans qu’il soit nécessaire de l’inscrire à un registre
quelconque 86, la fonction privative de cette nouvelle forme de gage étant assurée par
l’établissement d’un rang prioritaire en faveur du créancier qui ne dépend pas de l’ordre
du temps 87. Les règles de conflits de lois prévoient, comme facteurs de rattachement,
soit l’autonomie de la volonté des parties, soit le lieu où est situé le compte (i.e. la
succursale de l’intermédiaire), soit le lieu du principal établissement de l’institution
financière 88.
Les écueils relatifs à la nature du bien grevé et à son transfert sont évités en créant un
nouveau type de droit identifié comme étant un « security entitlement » 89, que l’on
pourrait résumer comme étant l’ensemble des droits du constituant dans la valeur
2e éd., ABA Section of Business Law, 2004 ; Russell A. HAKES, « UCC Article 8 : Will the
indirect holding of securities survive the light of the day ? », (2002) 35
Loyala of Los Angeles Law
Review
661.
U.C.C. § 9-203(1)(a) (1995); U.C.C. § 9-203(b)(3)(D) (2010). La notion de « contrôle » est définie
à différents endroits, notamment aux sections U.C.C. § 9-104, 9-105, 9-106 et 9-107 (2010). C’est
une façon de remplir l’exigence de la dépossession pour les biens intangibles (i.e. l’équivalent des
biens meubles incorporels du droit civil). La publicité par ce mode de constitution est autorisée
aux termes de la section U.C.C. § 9-314 (2010).
U.C.C. § 9-327 et 9-328 (2010).
U.C.C. § 9-304 et 9-305 (2010).
U.C.C. § 8-102 (a) (17) (2010).
86
87
88
89

Page 72
46
mobilière ou l’actif financier indirectement détenu 90. Cette solution contourne le
problème de la nature du bien grevé ou, plutôt, des droits qui échoient à tous les
intervenants concernés (notamment l’émetteur, l’intermédiaire et l’investisseur) lorsque
les valeurs sont détenues indirectement. En effet, alors qu’une sûreté grevant des
certificats d’actions portera essentiellement sur le droit réel de propriété dans les actions
(avec tous les privilèges et droits qui s’y rattachent face à l’émetteur) 91, il s’avère plus
difficile de cerner les droits affectant des valeurs mobilières dématérialisées détenues
indirectement dans un compte de courtage 92. Ainsi, la solution américaine, qui cristallise
les droits de l’investisseur et les obligations de l’intermédiaire dans ce concept de
« security entitlement », qui devient éventuellement l’objet de la sûreté, fait voler en
éclats les usuelles notions de droit des biens, de droits de créances et de droit corporatif
qui peuvent exister au plan théorique, pour rendre le tout fonctionnel à travers cette
notion 93.
90
91
92
93
« A security entitlement is actually a sui generis form of property interest, a hybrid between
property and contract consisting of a bundle of several carefully meshed components. […] A
security entitlement is a bundle of property rights and contract rights resulting from an
undertaking by a
securities intermediary to provide an entitlement holder the rights that
constitute a security or other financial asset. The entitlement holder acquires the security
entitlement in most cases when the securities intermediary credits the financial asset to the
entitlement holder’s
securities account ». Voir: C. S. BJERRE et S. M. ROCKS, op. cit., supra
note 85, en particulier aux p. 33-34, de façon générale aux p. 33-66.
Voir : L. PAYETTE, Les sûretés réelles, 3e éd., supra note 78, nos 948-949, p. 443-444.
Ibid., nos 955-957, p. 446-449. Voir aussi : Pierre CIOTOLA et Antoine LEDUC, « Arrêt Val-
Brillant
: évolution ou régression de l’hypothèque mobilière avec dépossession, en droit civil
québécois ? », (2006) 40
R.J.T. 5, 56.
U.C.C. § 8-102 (a) (17) (2010): « “Security Entitlement” means the rights and property interest of
an entitlement holder with respect to a financial asset specified in Part 5 »; U.C.C. § 8-501 – § 8-
511 (2010). Cet éclatement des droits s’insère tout à fait, cependant, dans la logique du droit des
biens de la
common law, plus éclatée que celle du droit civil. Voir, à ce sujet, notre discussion,
infra, Partie I, Chapitre III, sous-section A, 2.1.2, intitulée « L’objet de la sûreté mobilière
conventionnelle dans la tradition de
common law et de droit américain ».

Page 73
47
L’influence américaine se fait sentir au niveau des organisations internationales. Ainsi, la
Conférence de La Haye de droit international privé a adopté une convention, visant
essentiellement à traiter des problèmes de conflits de lois dans la création de sûretés sur
des titres dématérialisés 94. À l’heure actuelle, seuls les États-Unis d’Amérique, la Suisse
et l’Île Maurice l’ont signée, ces deux derniers pays l’ayant également ratifiée. On
annonce que la Communauté Européenne et le « G30 » recommandent à leurs pays
membres d’en faire autant. Cette convention, qui ne traite pas du droit substantif mais
plutôt de la loi applicable, propose que le facteur de rattachement soit fonction du libre
choix des parties ou, à défaut, que ce soit la loi de l’intermédiaire pertinent qui
s’applique. La détermination du droit applicable en matière de compte de titres détenus
indirectement est une épineuse question que seule l’adoption d’une loi uniforme permet
de régler dans une perspective internationale. En cela, le préambule de la Convention de
La Haye explique la démarche, qui s’inscrit dans la même mouvance que celle observée
jusqu’ici pour les autres instruments :
Les États signataires de la présente Convention,
Conscients du besoin pratique urgent, dans un marché financier mondial de plus en
plus étendu, de conférer certitude et prévisibilité à la détermination de la loi
94
CONFERENCE DE LA HAYE DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ, Convention du 5 juillet 2006 sur la loi
applicable à certains droits sur des titres détenus auprès d’un intermédiaire
, en ligne
http://www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.text&cid=72 (consulté le 29 novembre 2009)
[la «
Convention de La Haye »]. Voir aussi : CONFERENCE DE LA HAYE DE DROIT INTERNATIONAL
PRIVÉ
, La Convention de La Haye sur les titres : un régime de conflits de lois moderne et mondial
pour les transactions impliquant des titres détenus auprès d’un intermédiaire
, en ligne :
http://www.hcch.net/upload/outline36f.pdf (consulté le 29 novembre 2009) ; Roy GOODE,
Hideki KANDA, Karl KREUZER, et Christophe BERNASCONI,
Convention de la Haye sur les
titres : rapport explicatif
, Brill Academic Publisher, 2005 ; Sandra M. ROCKS, « The Hague
Convention on the Law Applicable to Certain Rights in Respect of Securities Held with an
Intermediary », (2003) 36 Uniform Commercial Code Law Journal 1. Pour un commentaire à
l’égard de cette convention et des autres projets de réformes en la matière ainsi que sur l’évolution
de ces idées au Canada, voir : Bradley CRAWFORD, « The Hague “PRIMA” Convention: Choice
of Law to Govern Recognition of Dispositions of Book-based Securities in Cross Border
Transactions », (2003) 38
Can. Bus. L.J. 157.

Page 74
48
applicable aux titres qui sont aujourd'hui communément détenus par le biais de
systèmes de compensation et de règlement-livraison ou d'autres intermédiaires,
Sensibles, en vue de faciliter les flux internationaux de capitaux et l'accès aux
marchés des capitaux, à l'intérêt essentiel qu'il y a à réduire les risques juridiques,
liés aux opérations
les risques systémiques et
transfrontières portant sur des titres détenus auprès d'un intermédiaire,
les coûts correspondants,
Désireux d'établir des dispositions communes sur la loi applicable aux titres détenus
auprès d'un intermédiaire pouvant bénéficier à tous les États, quel que soit leur
niveau de développement économique,
Reconnaissant que « l'approche du lieu de l'intermédiaire pertinent » (PRIMA) telle
que déterminée par des conventions de compte avec des intermédiaires, assure la
certitude juridique et la prévisibilité nécessaires,
Sont résolus de conclure une Convention à cet effet et sont convenus des
dispositions suivantes : […]
En ce qui a trait au droit substantif et de manière complémentaire à la Convention de La
Haye, UNIDROIT adopta, en 2009, la Convention d’UNIDROIT sur les règles matérielles
relatives aux titres intermédiés (Genevève, 2009) 95. Cette convention est ouverte pour
adoption par ses États membres. Dans l’historique qui est fait de cette convention, l’on
précise le contexte dans lequel elle s’inscrit :
[…] Un cadre juridique approprié est d’autant plus important compte tenu de la
valeur extrêmement élevée des titres concernés par les systèmes intermédiés et du
volume énorme des transactions qui ont lieu quotidiennement. Les titres servent
aussi souvent de garanties dans les transferts de grandes quantités d’espèces. Par
ailleurs, les titres jouent un rôle important dans le cadre des opérations de politique
monétaire des banques centrales, et sont donc essentiels pour la liquidité de
l’ensemble du système financier moderne. Seuls quelques pays ont entrepris une
modernisation radicale de l’encadrement juridique pour la détention, le transfert ainsi
que la constitution de garanties sur des titres, limitée bien entendu au système
juridique interne. La détention et le transfert de titres au niveau transfrontalier se
ressentent donc des insuffisances et défauts des systèmes juridiques internes, et aussi
du problème de compatibilité entre les différents régimes applicables à une situation
donnée.
95
2009),
UNIDROIT, Convention d’UNIDROIT sur les règles matérielles relatives aux titres intermédiés
ligne :
(Genevève,
http://www.unidroit.org/french/conventions/2009intermediatedsecurities/conference/conferencedo
cuments2009/conf11-2-042-f.pdf (consulté le 29 novembre 2009) [la «
Convention de Genève sur
les titres »]. Un projet de commentaire est actuellement en cours de rédaction, dont une version
préliminaire est disponible. Voir : U
NIDROIT, Projet de commentaire officiel sur le projet de
Convention sur les règles de droit matériel applicables aux titres intermédiés
, en ligne :
http://www.unidroit.org/french/conventions/2009intermediatedsecurities/conference/conferencedo
cuments2009/conf11-2-005-f.pdf (consulté le 29 novembre 2009).
en

Page 75
49
La question de l’harmonisation des règles de droit international privé applicables aux
titres détenus par un intermédiaire est réglée au niveau international par la
Convention de La Haye sur la loi applicable à certains droits sur des titres détenus
auprès d'un intermédiaire adoptée en décembre 2002 sous les auspices de la
Conférence de La Haye de droit international privé. Toutefois, la Convention de La
Haye, de par sa nature même, ne traite pas les questions de droit matériel.
Au niveau régional, les Directives européennes sur le caractère définitif du règlement
et sur les contrats de garantie financière ont établi un cadre juridique traitant de
certains aspects de la détention et de la disposition de titres au sein de l’Union
européenne, en particulier pour les opérations garanties.
Dans ce contexte, un régime abordant de façon globale les questions de droit
matériel au regard des problèmes susmentionnés est nécessaire, notamment au
niveau universel. Ce régime serait un complément nécessaire à la Convention de La
Haye, pour les réformes internes engagées dans plusieurs pays en Asie et en
Amérique, et pour les efforts d’harmonisation au sein de l’Union européenne.
La Convention d’UNIDROIT sur les règles matérielles relatives aux titres
intermédiés se propose de combler cette lacune. Elle vise à améliorer l’efficacité
interne et la compatibilité des systèmes au niveau transfrontalier en fournissant un
cadre juridique de base pour le système moderne de détention des titres intermédiés.
En particulier, pour ce qui est de la détention des titres auprès d’un intermédiaire,
l’instrument décrit les droits dérivant du crédit de titres à un compte de titres; il règle
les différentes méthodes de transfert des titres, et la constitution de garantie et
d’autres droits limités; il précise les règles concernant l’irrévocabilité des
instructions de réaliser des inscriptions en compte, et la finalité de telles inscriptions;
il interdit les saisies à l’échelon supérieur; il établit des rangs de priorité entre des
droits concurrents sur des titres; il protège l’acquéreur de bonne foi de titres; il
énonce les droits et obligations du titulaire de compte et de l’intermédiaire en cas
d’insolvabilité; il établit un régime de répartition des pertes et définit aussi la relation
juridique entre les constituants de garantie et les preneurs de garantie lorsque les
titres intermédiés sont donnés en garantie. […]
96
Avec ces instruments que sont la Convention de La Haye et la Convention de Genève sur
les titres, la table est mise pour une harmonisation, voire une uniformisation des règles au
niveau mondial en matière de transfert de valeurs mobilières et de prise de garanties sur
ces biens. En Europe, la directive de la Commission européenne sur les contrats de
garantie financière s’inscrit dans cette tendance pour ce marché commun 97.
96
97
Extrait de l’historique de la Convention de Genève sur les titres, supra note 95. Voir : UNIDROIT,
Historique de la Convention d’UNIDROIT sur les règles matérielles relatives aux titres intermédiés,
en ligne : http://www.unidroit.org/french/conventions/2009intermediatedsecurities/overview.htm
(consulté le 29 novembre 2009).
UNION EUROPÉENNE, Directive 2009/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009
modifiant la directive 98/26/CE concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de

Page 76
50
Au Canada, la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada a rédigé une loi type,
largement inspirée du Titre 8 du Uniform Commercial Code, qu’elle propose pour
adoption à l’ensemble des provinces canadiennes 98. À ce jour, sous l’impulsion du
travail de cette Conférence, au moins cinq provinces et un territoire de common law ont
adopté de nouvelles lois régissant le transfert des valeurs mobilières 99.
Au Québec, la Loi sur le transfert de valeurs mobilières et l’obtention de titres
intermédiés 100 est en vigueur depuis le 1er janvier 2009. Cette loi prévoit un régime
spécial en ces matières et modifie le Code civil à de notables égards en matière de
sûretés. Reproduisons, pour l’instant, le premier paragraphe des notes explicatives ainsi
que l’article 1er de cette loi :
de
l’Union
paiement et de règlement des opérations sur titres et la directive 2002/47/CE concernant les
contrats de garantie financière, en ce qui concerne les systèmes liés et les créances privées, Journal
officiel
http://eur-
lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:146:0037:0043:FR:PDF (consulté le 29
novembre 2009) ; Directive 2002/47/CE du Parlement Européen et du Conseil du 6 juin 2002
concernant les contrats de garantie financière, Journal officiel des Communautés européennes,
L 168/43,
http://eur-
lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2002:168:0043:0050:FR:PDF (consulté le 29
novembre 2009).
européenne,
L 146/37,
ligne :
ligne :
en
en
98
99
100
mobilières,
CONFÉRENCE POUR LHARMONISATION DES LOIS AU CANADA, Loi uniforme sur le transfert des
valeurs
ligne :
http://www.ulcc.ca/fr/us/Uniform_Securities_Transfer_Act_Fr.pdf (consulté
le 29 novembre
2009). Voir : Eric T. SPINK et Maxime A. PARÉ, « The
Uniform Securities Transfer Act:
Globalized Commercial Law for Canada », (2003) 19
Banking & Finance Law Review 321;
M. DESCHAMPS,
loc. cit., supra note 84.
2004,
en
Il s’agit de l’Ontario, de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, de Terre-
Neuve et des Territoires du Nord-Ouest. Voir :
Securities Transfer Act, S.O. 2006, c. 8; Securities
Transfer Act
, S.A. 2006, c. S-4.5; Securities Transfer Act, S.B.C. 2007, c. 10; Securities Transfer
Act
, S.S. 2007, c. S-42.3; Securities Transfer Act, S.N.L., 2007, c. S-13.01; Securities Transfer
Act, S.N.W.T., 2009, c. 14.
Loi sur le transfert de valeurs mobilières et l’obtention de titres intermédiés, L.Q. 2008, c. 20,
L.R.Q. c. T-11.002 [la « Loi sur le transfert de valeurs mobilières » ou « LTVMQ »]. Nous
discuterons plus loin du processus d’adoption de cette loi, ainsi que de ses tenants et aboutissants.


Page 77
51
NOTES EXPLICATIVES
Cette loi, sur le fondement de la Loi uniforme sur le transfert de valeurs mobilières
adoptée par la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada et à laquelle ont
adhéré l’ensemble des provinces et territoires canadiens, vise à établir un cadre
juridique supplétif régissant certains aspects de droit privé qui s’attachent au transfert
des valeurs mobilières et à l’obtention de titres intermédiés sur des actifs financiers.
[…]
1. La présente loi vise, dans un contexte d’harmonisation de la législation des
provinces et territoires canadiens en la matière, à établir le cadre juridique régissant
certains aspects de droit privé relatifs au transfert de valeurs mobilières et à
l’obtention de titres intermédiés sur des actifs financiers.
Ainsi que nous le voyons, l’harmonisation du droit à l’échelle internationale est à
l’œuvre, particulièrement dans le domaine du droit des sûretés. L’influence de cette
intense activité que nous venons de décrire se fait déjà sentir au Québec. D’une part,
remarquons que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Val-Brillant, fut directement
inspirée par ces projets de réformes internationaux et par le droit américain afin de
conclure à la validité d’une hypothèque mobilière sans dépossession grevant un titre de
créance non représenté par un titre négociable 101, en dépit du fait que la lecture des
dispositions pertinentes du Code civil permettait d’entretenir de sérieux doutes à cet
égard au moment où cette décision fut rendue 102. La Cour suprême fut saisie de cette
101
Caisse populaire Desjardins de Val-Brillant c. Blouin, [2003] 1 R.C.S. 666, nos 22-24, p. 687-688,
(j. Gonthier); 2003 CSC 31 [« Val-Brillant »]. C’est ce que le juge LeBel appelle le « principe
d’harmonisation des règles juridiques », exercice de droit comparé justifiant les emprunts
ponctuels d’une tradition juridique à l’autre,
a fortiori dans un contexte d’internationalisation des
échanges économiques, favorisant ainsi un « dialogue » entre les traditions et des « rapports de
convergence » entre celles-ci. Voir : Louis Le BEL et Pierre-Louis Le SAUNIER, « L’interaction
du droit civil et de la common law à la Cour suprême du Canada », (2006) 47
Les Cahiers de Droit
179, 232. Même si le juge LeBel y affirme que «
les tribunaux hésitent à se faire législateurs »,
c’est néanmoins ce qu’ils font lorsqu’ils tiennent compte de ce «
principe d’harmonisation des
règles juridiques
» comme méthode d’interprétation d’un système en particulier. La juge
Deschamps, dans sa dissidence, le lui rappelle bien. Plusieurs des questions soulevées par l’arrêt
Val-Brillant sont maintenant réglées par l’effet de la LTVMQ et de sa réglementation. Nous en
discutons plus loin,
infra, Partie I, Chapitre III, sous-section A., 1.3.1, b), traitant des modalités de
constitution des sûretés mobilières aux termes du Code civil du Québec.
102
Notons que la juge Deschamps a bien relevé, dans sa dissidence, que les nouvelles dispositions du
Uniform Commercial Code en matière de constitution et de publicité par le mécanisme du
« contrôle » (i.e. maîtrise de fait) n’ont certainement pas pu influencer le législateur québécois de

Page 78
52
question en raison de la lenteur du législateur québécois à adapter et rendre disponible la
technique de l’hypothèque mobilière sans dépossession aux particuliers. Sur cette
question et de nombreuses autres, le législateur fit la sourde oreille aux nombreux et
répétés commentaires d’experts l’incitant à revoir sa législation 103. Mentionnons
seulement, à ce stade-ci, que l’onde puissante de l’harmonisation fit réagir le législateur
québécois plus rapidement et profondément lors du processus ayant mené à l’adoption de
la LTVMQ que toutes ces demandes antérieures et répétées d’experts visant à modifier
certains pans du régime de sûretés québécois.
D’autre part, constatons que l’adoption croissante de projets de lois similaires dans les
juridictions avoisinantes produit un effet certain sur les discussions qu’ont les juristes
québécois quant aux réformes proposées. Alors qu’autrefois, il existait une certaine
tendance du Québec à vouloir atteindre un résultat pratique identique à celui obtenu par
ses partenaires commerciaux concernant un problème juridique donné, mais en y
parvenant de manière à respecter la tradition civiliste 104, l’on constate qu’aujourd’hui
1991 et 1994, puisque ce mécanisme n’existait pas à ce moment en droit américain. Cet argument
nous semble important, contrairement à ce que prétend le juge Gonthier à cet égard, qui s’inspire
des avancées américaines postérieures à l’édiction du nouveau Code pour tirer ses conclusions.
Voir Val-Brillant, supra note 101, no 114, p. 715 (j. Deschamps). Pour des analyses critiques de
cet arrêt, voir : P. CIOTOLA et A. LEDUC,
loc. cit., supra note 92; Denise PRATTE,
« L’hypothèque avec dépossession de créances non représentées par un titre négociable ou le
retour à une fiction accommodante », dans
Mélanges offerts au professeur François Frenette :
Études portant sur le droit patrimonial
, Saint-Nicolas (Qc.), Les Presses de l’Université Laval,
2006, 421 ; Madeleine CANTIN CUMYN et Michelle CUMYN, « La notion de biens », dans
Mélanges offerts au professeur François Frenette : Études portant sur le droit patrimonial, Saint-
Nicolas (Qc.), Les Presses de l’Université Laval, 2006, 127, 147-148. L. Payette approuva
cependant les conclusions de cet arrêt. Voir : L. PAYETTE,
Les sûretés réelles, 3e éd., supra note
78, n
os 806 et suiv.
103
104
Nous pensons aux controverses entourant l’article 2692 C.c.Q., la publicité des réserves de
propriété, crédits-baux, baux à long terme, aux frais extrajudiciaires qui ne sont plus garantis par
hypothèque (art. 2667 C.c.Q.), etc.
En outre, M. le ministre Rémillard avait déjà exprimé ses réticences face à la présomption
d’hypothèque et entendait soi-disant «
privilégier plutôt la tradition civiliste, laquelle préfère les

Page 79
53
cette préoccupation est probablement en train, sinon de disparaître, à tout le moins de
s’atténuer grandement. La libéralisation des marchés, entrainant avec elle depuis les dix
dernières années l’apparition de cabinets d’avocats nationaux et internationaux, suivant
l’essor transnational des entreprises, n’y est sans doute pas étrangère 105.
L’on est donc en droit de se demander si l’on est vraiment dans une ère d’harmonisation
« souple » du droit ou si l’on ne tend pas de plus en plus vers l’uniformisation, qui serait
l’aboutissement de cette démarche d’harmonisation. Mais pour bien évaluer ces
mouvements de l’harmonisation et de l’uniformisation du droit des sûretés mobilières, il
importe de les mettre en contexte à l’aune des principes fondamentaux du droit des
sûretés
en
Occident.
105
situations nettes à celles reposant sur l’interprétation des tribunaux ». Voir : Gil RÉMILLARD,
« Présentation du projet de
Code civil du Québec », (1991) 22 R.G.D. 5, 55.
Les praticiens sont ainsi vus comme étant des moteurs de l’harmonisation souple du droit. Voir, à
cet égard, les observations de H. Patrick GLENN, « Harmony of the Laws in the Americas »,
(2003) 34
U. Miami Inter-Am. L. Rev. 223, 236. Mais cette harmonisation n’est peut-être pas aussi
souple qu’il n’y paraît à première vue. En effet, les firmes véritablement internationales émergent
principalement de New York et de Londres et tendent à s’établir dans plusieurs pays. Leurs
juristes sont rompus au droit anglo-américain et aux divers droits internes où ils sont établis. Les
juristes non-américains doivent recevoir une formation initiale aux États-Unis et pratiquer
quelques années à la maison-mère avant d’essaimer. Ce faisant, ces cabinets et leurs juristes
propagent une vision du droit grandement inspirée du droit anglo-américain. Voir, à ce sujet :
Donald R. CRAWSHAW, « Globalization and the practise of law – One lawyer’s perspective »,
(2008) 46
Can. Bus. L. J. 162. Dans cette veine, les facultés de droit doivent suivre la mouvance
et adapter leur
cursus universitaire afin de former des juristes qui seront rompus aux exigences de
la mondialisation. Voir, à ce sujet : Aline GRENON, « La mondialisation progressive des
Facultés de droit au Canada », (2001) 31
R.G.D. 741. Par ailleurs, du fait que le droit civil et la
common law sont les deux traditions juridiques les plus répandues à travers le monde, il serait
impératif de dispenser un enseignement qui les combinent. Voir : Louis PERRET, « De la
nécessité d’enseigner le droit civil et la common law dans les Facultés de droit au Canada »,
(2001) 31 R.G.D. 731. Ces questions ne sont pas nouvelles mais ne font que s’accentuer.
L’impact de l’enseignement sur l’harmonisation du droit soulève les débats depuis longtemps.
Voir : Jutta BRUNNÉE, « L’unification de l’enseignement du droit en Europe ? », dans
H. Patrick GLENN, dir., Droit québécois et droit français : communauté, autonomie et
concordance
, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 1993, 567.

Page 80
II-
LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DU DROIT DES SÛRETÉS EN OCCIDENT
Il nous apparaît nécessaire, dans cette partie de notre analyse, de bien cerner les
fondements et les valeurs qui sous-tendent les principaux régimes occidentaux de sûretés
mobilières [A]. On peut ainsi mieux comprendre les motivations politiques, sociales et
économiques, voire même morales, que les législateurs veulent traduire dans le cadre
normatif envisagé. Dans cette même veine, on identifiera les principales techniques et les
solutions retenues en vue de l’uniformisation intrinsèque des régimes de sûretés
mobilières [B].
A.
Des fondements et des valeurs qui sous-tendent les principaux régimes
de sûretés en Occident
Il est possible d’affirmer que les systèmes juridiques occidentaux connaissent et partagent
pratiquement tous, depuis longtemps, le principe de l’égalité des créanciers dans le
recouvrement de leurs créances [1]. Il demeure néanmoins une exception notable à ce
principe, à savoir que tout régime de sûretés légiféré constitue ce que l’on identifie
généralement, dans la tradition de droit civil, comme étant une « cause légitime de
préférence », en ce qu’un tel régime vise l’établissement d’un ordre de priorités [2]. Au
nombre des préoccupations qu’ont en commun les législateurs des traditions de droit civil
et de common law, lorsqu’ils édictent des lois visant à régir l’ordonnancement des
priorités entre les créanciers, se retrouvent les notions de simplicité et d’efficacité dont
doivent faire preuve les régimes de sûretés, qui seront leurs principales caractéristiques
[3].


Page 81
55
1.
Du principe de l’égalité des créanciers dans le recouvrement de
leurs créances (
pari passu)
La compréhension du fonctionnement d’un régime de sûretés, quel qu’il soit, passe
inévitablement par celle des modes de recouvrement qui sont mis à la disposition des
créanciers, lorsque le débiteur est en situation de défaut d’exécution de ses obligations.
En cela, on distingue généralement deux situations : d’abord, lorsque le débiteur est
solvable, voire lorsqu’il est insolvable, sans qu’il ne soit assujetti à une quelconque
procédure collective des créanciers [1.1]; ensuite, lorsque le débiteur est insolvable et
qu’il se trouve assujetti aux règles d’une procédure collective des créanciers [1.2] 106.
Après avoir procédé à l’examen de ces deux situations, nous verrons les justifications
possibles apportées au soutien de ce principe de l’égalité entre les créanciers [1.3].
106
en
1999,
14-15
septembre
Cette dichotomie ou division dans le traitement de ce sujet est d’ailleurs justement relevée par un
groupe d’experts internationaux ayant produits une étude pour le compte de la Banque Mondiale.
Voir: Roy GOODE,
et al., « Building Effective Insolvency Systems : Debtor-Creditor Regimes »,
Banque Mondiale, Washington, D.C.,
ligne :
http://www4.worldbank.org/legal/insolvency_ini/WG10-paper.htm (consulté le 17 août 2004)
Building Effective Insolvency Systems »], au no 12 : « The two most common methods [of debt
collection]
are seizure of the debtor’s assets by way of execution of a judgement against it and
involuntary bankruptcy or winding-up
». Voir aussi: Guide législatif sur les opérations garanties,
supra note 45, Chapitre V, « Priorité d’une sûreté réelle mobilière », p. 5, no 16. Elle mérite d’être
soulignée, car peu nombreux sont les ouvrages ou articles de doctrine qui abordent le sujet de cette
manière, du moins en droit civil classique, ceux-ci en faisant une matière de droit civil pur, à la
croisée du droit des obligations et du droit des biens. Cela fut justement souligné par Y. PICOD,
op. cit., supra note 8, no 10, p. 11 : « […] Cette conception traditionnelle du droit des sûretés est
aujourd’hui largement dépassée : le droit des sûretés forme le cordon ombilical entre le droit des
obligations et des biens, d’un côté, et le droit bancaire et des procédures collectives, de l’autre.
On a antérieurement précisé qu’il s’intégrait au droit du crédit. L’opposition classique entre
sûretés civiles (hypothèques, cautionnement) et commerciales (nantissement des parts sociales,
des créances professionnelles ou du fonds de commerce…) est aujourd’hui surannée.
[…] ». En
droit québécois, une exception mérite d’être soulignée : Jacques DESLAURIERS,
Les sûretés
réelles au Québec
, Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, qui expose systématiquement les liens
inextricables qui existent entre le droit de la faillite et le droit des sûretés, mais qui demeure
malheureusement silencieux au sujet de l’impact de la
Loi sur les arrangements, supra note 72, sur
le domaine des sûretés. Voir, à cet égard, notre recension : Antoine LEDUC, « Chronique
bibliographique. JACQUES DESLAURIERS, Les sûretés réelles au Québec, Montréal, Wilson &
Lafleur, 2008, 878 p., ISBN 978-2-89127-853-9 », (2009) 50
Les Cahiers de Droit 435.


Page 82
56
1.1
recouvrement d’une créance lorsque le débiteur n’est pas
assujetti à une procédure collective des créanciers
Lorsque le débiteur manque à ses obligations et qu’il refuse ou néglige d’exécuter sa
prestation, soit par choix lorsqu’il est solvable 107, soit en raison de son insolvabilité, le
créancier tentera de récupérer ce qui lui est dû par le débiteur, en exerçant
individuellement contre ce dernier, à sa propre initiative, les recours qui sont mis à sa
disposition par le législateur. On peut donc parler de mesures d’exécution forcée des
obligations.
Dans la tradition civiliste d’aujourd’hui, lorsque la créance est certaine, liquide et
exigible, ces recours seront habituellement exercés non pas contre la personne même du
débiteur, mais contre son patrimoine, qui constitue le « gage commun » de ses
créanciers 108, visant la satisfaction de leurs créances et que l’on identifie, dans la théorie
civiliste classique, comme étant le prolongement économique de la personne du
débiteur 109.
107
108
En présumant qu’il ait des motifs valables de le faire.
Voir, notamment, Roderick A. MACDONALD, « How Far Functionalism », conférence
prononcée au Insolvency Institute of Canada’s 14
th Annual Conference and General Meeting,
Mont-Tremblant, Québec, du 3 au 5 octobre 2003 [non publiée], au n
o 30 : « Today in the civil law
four such background principles
[that govern the compulsory performance of obligations] can be
noted. First, judgments are to be executed against the property, and not the person of a debtor :
slavery and debtor’s prison no longer exist. Second, prior to a seizure in execution consequent
upon a judgment, a debtor is free to deal with his or her assets as he or she sees fit : a market
economy presupposes debtor agency as the default position. Third, in principle, all a debtor’s
patrimony or estate, both present and future, is exigible : all assets are available to be seized and
sold as the common pledge of creditors. Fourth, as already noted, in the event of a shortfall,
creditors rank rateably in the proceeds generated by the sale of the assets comprising the common
pledge : whether a debtor is insolvent or bankrupt, the pari passu scheme is applicable ».
109
Voir notre exposé au sujet de la notion de patrimoine, ci-dessous, Partie I, sous-section III
.A.2.1.1a), traitant de l’objet de la sûreté mobilière conventionnelle dans la tradition civiliste.


Page 83
57
Ce « gage commun » des créanciers sera composé de l’ensemble des biens du débiteur,
meubles et immeubles, présents et à venir, à l’exception de ceux qui sont insaisissables et
de ceux qui font l’objet d’une division de patrimoine permise par la loi 110. Ainsi, et dans
cette mesure, quiconque s’oblige personnellement sera tenu de remplir ses engagements
sur l’ensemble de ses biens 111.
Ce droit de gage n’a pas, a priori, d’assiette définie. L’étendue du patrimoine d’un
débiteur variera dans le temps et dépendra des gestes posés par son titulaire. C’est
pourquoi le droit civil met à la disposition des créanciers divers mécanismes permettant
d’assurer une certaine surveillance des agissements d’un débiteur et d’empêcher tout
geste pouvant affecter négativement, à leur préjudice, la valeur de ce gage commun 112.
À titre d’exemples, un créancier peut s’adresser au tribunal en vue de faire nommer un
110
111
112
C.c.Q., art. 2. C’est aussi ce que l’on appelle le principe de l’« assiette universelle ». Voir : R. A.
MACDONALD et J.-F. MÉNARD,
loc. cit., supra note 20, p. 322. Pour une discussion détaillée
au sujet du gage commun des créanciers et de son étendue en droit civil québécois, voir :
L. PAYETTE,
Les sûretés réelles, 3e éd., loc. cit., supra note 78, p. 7-76. En ce qui a trait aux
divisions de patrimoine permises par la loi, les règles du droit des successions et celles du droit des
sociétés sont à mentionner. Par exemple, aux termes de l’art. 780 C.c.Q., « [l]
e patrimoine du
défunt et celui de l’héritier sont séparés de plein droit, tant que la succession n’a pas été liquidée.
Cette séparation a effet à l’égard tant des créanciers de la succession que des créanciers de
l’héritier ou du légataire particulier
». Par ailleurs, les biens transférés dans un patrimoine
d’affectation, qu’il s’agisse d’une fiducie ou d’une fondation, sont exclus du patrimoine du
constituant, à moins que ce dernier ne les y aient transférés en fraude des droits de ses créanciers.
C.c.Q., art. 2645 ; C. civ., art. 2284 et 2285. Ce faisant, le créancier se voit conférer un droit
personnel, i.e. un droit de créance qui s’exerce sur la personne du débiteur et non pas sur un bien
directement. Ce droit personnel permet l’exécution d’une prestation. En cas de défaut, le
créancier ne disposera que d’un droit de gage général sur l’ensemble des biens du débiteur. Cette
situation se distingue de celle où le créancier se voit conférer un droit réel sur un bien (par
exemple, une sûreté réelle); dans ce cas, le créancier peut exercer son droit directement contre le
bien. Son droit ne porte alors pas sur l’ensemble du patrimoine du débiteur.
C.c.Q., art. 1626 à 1636 ; C. civ., art. 1167 (action paulienne) et 1166 (action oblique). Voir
également R.A. MACDONALD,
loc. cit., supra note 108, nos 33-41. Voir, enfin, Pierre VOIRIN
et Gilles GOUBEAUX, Droit civil : personnes – famille – incapacité – biens – obligations –
sûretés
, t. 1, 29e éd., Paris, L.G.D.J., 2003, en particulier au no 1245, p. 599-600. Ces auteurs
indiquent qu’en droit civil français, les mesures de protection du droit de gage général des
créanciers prévues par la loi ne s’intéressent pas à la problématique de l’augmentation du passif,
mais bien à celle de la diminution de l’actif.

Page 84
58
séquestre aux biens du débiteur 113. Il peut également recourir aux mécanismes de la
saisie avant jugement, de l’injonction et des ordonnances de sauvegarde 114. Il peut
exercer, en lieu et place du débiteur, les droits et actions de celui-ci, lorsque le débiteur
refuse de les exercer et que cela cause préjudice au créancier, aux termes de l’action dite
« oblique » du Code civil 115. Enfin, un créancier peut intenter une action en
inopposabilité, autrefois appelée action paulienne, afin de faire déclarer inopposable à son
endroit l’acte juridique que fait le débiteur en fraude de ses droits 116. Notons que ces
mesures de protection s’appliquent à tous types de débiteurs et qu’elles peuvent être
invoquées par tous types de créanciers, incluant les créanciers garantis 117, car découlant
du droit commun des obligations, auxquelles il faut ajouter la compensation ou le droit de
rétention (découlant de l’exceptio non adimpleti contractus) 118. Ces mesures sont
habituellement complétées par d’autres, aux objectifs similaires, que l’on retrouvera par
exemple dans les procédures collectives, dont la Loi sur la faillite et l’insolvabilité 119.
De même, dans le cas d’une vente, la résolution peut aussi être considérée comme
113
114
115
116
117
118
119
Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., c. C-25 [« C.p.c. » ou le « Code de procédure
civile
»], art. 742 à 750 ; C.c.Q., art. 2305 à 2311 ; C. civ., art. 1961 à 1963.
C.p.c., art. 733 et suiv. (saisie avant jugement), art. 751 et suiv. (injonction), art. 754.2
(ordonnances de sauvegarde).
C.c.Q., art. 1627-1630.
C.c.Q., art. 1631-1636.
Les termes juridiques « créancier garanti » et « créancier non-garanti » ou « créancier ordinaire »
ou « créancier chirographaire » revêtent, en droit canadien, une signification particulière, au regard
de la définition législative qui en est donnée à l’article 2 de la
Loi sur la faillite et l’insolvabilité,
supra note 71, ou encore, aux termes de certaines lois fiscales. Nous utiliserons cependant ces
expressions, tout au long du présent texte, de façon plus large que l’acception technique stricte que
cette définition législative suggère, c’est-à-dire que nous nous en servirons pour distinguer les
créanciers détenteurs de sûretés ou de garanties, en opposition à ceux qui n’en détiennent pas.
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 108, no 41.
LFI, art. 95-96, 98. En droit français, voir : Michel JEANTIN et Paul LE CANNU, Droit
commercial. Entreprises en difficulté
, 7e éd., Paris, Éditions Dalloz, 2007, p. 402-450.

Page 85
59
mécanisme de protection 120. En somme, le droit commun met déjà à la disposition des
créanciers, en toile de fonds, plusieurs outils leur permettant de se protéger contre les
défalcations de leurs débiteurs.
En droit civil québécois, ce sont les articles 2, 2644 à 2646 du Code civil qui édictent les
grands principes que nous venons d’énoncer entourant la notion de gage commun des
créanciers 121. Insistons, de façon particulière, sur les termes employés par le législateur à
l’article 2646 C.c.Q. :
2646. Les créanciers peuvent agir en justice
pour faire saisir et vendre les biens de leur
débiteur.
2646. Creditors may
judicial
proceedings to cause the property of their debtor
to be seized and sold.
institute
En cas de concours entre les créanciers,
la distribution du prix se fait en proportion de
leur créance, à moins qu’il n’y ait entre eux des
causes légitimes de préférence.
If the creditors rank equally, the price is
distributed proportionately to their claims, unless
some of them have a legal cause of preference.
Le premier principe posé par cet article est celui de la saisie et de la vente des biens d’un
débiteur, à défaut d’exécution volontaire directe ou en nature. Le second est celui de
l’égalité des créanciers dans le recouvrement de leurs créances, autrement appelé « loi du
concours », qui énonce qu’en ce cas, la distribution du prix de vente des biens du débiteur
se fait en proportion de leurs créances, à moins qu’il n’y ait entre eux des causes
légitimes de préférences 122. Il n’existe donc aucun ordre de priorité entre les créanciers
120
121
122
C.c.Q., art. 1741-1743 ; C. civ., art. 1654-1657. Notons toutefois que pour certains, il s’agit plutôt
là d’une sûreté-propriété. Voir : R.A. MACDONALD et J.-F. MÉNARD,
loc. cit., supra note 20,
p. 353-354.
En droit français, voir : Y. PICOD, op. cit., supra note 8, no 2, p. 2-3.
Ces causes légitimes de préférences sont d’abord, en droit civil québécois, les priorités et les
hypothèques (art. 2647 C.c.Q.). À ces causes s’ajoutent néanmoins les diverses variantes du droit
de propriété utilisé à des fins de sûretés, qui provoquent l’exclusion du concours des créanciers qui
en sont bénéficiaires. Voir, de manière générale, J. DESLAURIERS,
op. cit., supra note 106,
nos 101-119, p. 29-34. Voir aussi le Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45,
Chapitre V, « Priorité d’une sûreté réelle mobilière », n
os 2 et 3.




Page 86
60
ordinaires ou chirographaires qui dépendrait de l’antériorité de la naissance d’une
créance, chaque créance ne conférant à son titulaire, au reste, qu’un droit personnel. Il
existe cependant un ordre de priorité au bénéfice des créanciers prioritaires et
hypothécaires qui, dans ce dernier cas, bénéficient d’un droit réel. Cet ordre de
collocation variera en fonction de la situation du débiteur, c’est-à-dire en fonction du fait
qu’il soit régi ou non par une procédure collective de réalisation.
Le principe de l’égalité entre les créanciers existe donc même lorsque le débiteur n’est
pas en situation d’insolvabilité, quoi qu’il nécessite habituellement une action positive de
la part des créanciers autres que le premier saisissant afin de leur permettre d’accéder à ce
concours 123. Ainsi, bien que ce principe de l’égalité soit clairement posé par le
législateur québécois pour les situations où le débiteur n’est pas insolvable, il n’en est fait
aucune véritable systématisation comme celle que procure l’existence d’une procédure
123
Voir, entre autres, l’article 2893 C.c.Q., et les articles 578 et 615 C.p.c. concernant l’allégation de
déconfiture. L. Payette précise que l’utilisation de cette procédure pousse à l’extrême limite le
principe de l’égalité des créanciers qui aboutit dès lors à une liquidation collective. Cette
procédure, précise-t-il, «
devait en toute logique demeurer dans la législation [provinciale, i.e. le
Code civil] pour assurer que celle-ci présente un ensemble cohérent et complet
», la Loi sur la
faillite et l’insolvabilité
, demeurant le véhicule le plus couramment utilisé à cette fin. Voir
Louis PAYETTE,
Les sûretés dans le Code civil du Québec, Cowansville (Qc.), Yvon Blais, 1994,
p.. 30-47 [en particulier, voir, à la p. 31, le paragraphe no 96 et la note no 104]. Cette absence
virtuelle de procédure collective de réalisation qui serait régie par les règles du droit civil
québécois s’explique en raison du partage des compétences législatives au Canada, le législateur
fédéral ayant l’autorité législative exclusive en matière de « banqueroute et de faillite », et ce, aux
termes de l’article 91(21) de la
Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 74, tandis que le
législateur provincial a pleine compétence en ce qui a trait à la propriété et aux droits civils dans la
province (art. 92(13) de ladite
Loi constitutionnelle de 1867). Voir, par ailleurs, François T’KINT,
Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, 2e éd., Bruxelles, Larcier,
1998, n
os 85 et 102, p. 51-52, 60 : « Il ne suffit pas en effet, pour que la règle de l’égalité s’impose
aux créanciers, que le débiteur se soit endetté au-delà de son actif. Le débiteur même insolvable
conserve, on le sait, l’entière maîtrise de ses biens. Son patrimoine reste une masse mouvante qui
risque de se réduire au gré des actes de disposition de son titulaire. À ce stade, le gage commun
des créanciers est un droit sans assiette définie, un droit purement éventuel. Il y a concours dès
que ce droit se « fixe » sur certains biens déterminés (voire même sur tous les biens) du débiteur.
Alors seulement est assurée concrètement l’égalité. […] Le concours naît ainsi de la mise en
œuvre concrète et effective du droit de « gage commun » des créanciers
».

Page 87
61
collective de réalisation dans les cas d’insolvabilité du débiteur 124. En droit français, le
Code civil fait explicitement référence aux procédures collectives 125.
Dans les pays de common law, le droit des biens ne s’articule pas de la même manière
que dans les pays de droit civil, pas plus, du reste, que les relations entre créanciers et
débiteurs (i.e. le droit des obligations), même si l’on y trouve, sur le fond, plusieurs
similitudes 126. Ainsi, la notion de patrimoine, telle qu’entendue dans la conception
civiliste classique, n’existe pas en common law et la conception du droit de propriété
n’est pas la même. Les relations entre créanciers et débiteurs, entre autres les
mécanismes de protection, tant du débiteur que du créancier, et les mécanismes de
recouvrement mis à la disposition des créanciers puisent à plusieurs sources diverses,
qu’il s’agisse de lois particulières ou de règles jurisprudentielles. C’est sans doute
pourquoi ce principe de l’égalité entre les créanciers n’y est pas exprimé aussi clairement
que dans les situations d’insolvabilité, régies par une procédure collective des créanciers,
à laquelle tous les créanciers sont assujettis de façon systématique 127. Les législations en
124
125
126
127
Voir Pierre CROCQ, « L’évolution des garanties du paiement : de la diversité à l’unité » dans
Mélanges Christian Mouly, t. 2, Paris, Litec, 1998, 317, qui confirme l’influence indirecte du droit
des procédures collectives sur le droit des sûretés. Voir aussi Pierre CIOTOLA,
Droit des sûretés,
3e éd., Montréal, Thémis, 1999, p. 14, qui reconnaît implicitement ce principe, en parlant de la
«
loi du concours ou principe de l’égalité des créanciers au cas d’insolvabilité du débiteur ».
Voir, enfin, F. T’KINT,
op. cit., supra note 123, p. 10-11, 54-84; Michel CABRILLAC et
Christian MOULY,
Droit des sûretés, 5e éd., Paris, Litec, 1999, no 520, p. 424-425.
C. civ., art. 2287 : « Les dispositions du présent livre ne font pas obstacle à l’application des
règles prévues en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou
de liquidation judiciaire ou encore en cas d’ouverture d’une procédure de traitement des
situations de surendettement des particuliers
». Cela reflète bien le caractère unitaire de la
législation française, qui n’est pas exempte, comme nous le verrons, de contradictions en matière
de droit des sûretés et de droit des procédures collectives.
R.A. MACDONALD et J.-F. MÉNARD, loc. cit., supra note 20, p. 326-328. Voir notre exposé à
ce sujet, ci-dessous, Partie I, à la sous-section III.A.2.1, traitant des sûretés mobilières
conventionnelles dans leur objet.
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 108, nos 26 et 47 : « […] At least at the conceptual
level, the civil law remedial framework of debtor / creditor law is more comprehensive than that of

Page 88
62
la matière, dans la tradition de common law, expriment cependant clairement ce
principe 128.
Toutefois, d’aucuns ne remettent en question la nécessité, pour tout régime juridique, de
prévoir des mécanismes d’exécution forcée des obligations et de recouvrement de dettes
efficaces, qui constitueront le droit commun, applicable tant aux créanciers garantis
qu’aux créanciers ordinaires 129.
Examinons maintenant en quoi l’existence d’une procédure collective des créanciers
magnifiera le principe de l’égalité entre les créanciers.
1.2
recouvrement d’une créance
le débiteur est
insolvable et assujetti à une procédure collective des
créanciers
lorsque
Nous l’avons déjà évoqué, c’est l’existence d’une procédure collective des créanciers,
commune à tous les créanciers d’un débiteur, supervisée par l’autorité judiciaire, qui
128
129
the common law. This framework covers both omissions (the oblique action) and positive acts (the
Paulian action). It covers both non-insolvency, shadow of insolvency and insolvency situations. It
is available to both unsecured and secured creditors
». Voir aussi M.G. BRIDGE, et al., loc. cit.,
supra note 24, p. 651-654.
Voir : Ian F. FLETCHER, The Law of Insolvency, 4e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 2009, no 1-
008, p. 3-4: «
Foremost among the characteristics of the developed law of insolvency is the
principle of collectivity. […] It is a central tenet of the of the collectivity principle that the
debtor’s assets are administered, and creditors’ claims processed, without any regard for the
chronological order in which assets were acquired or debts created. […] Thus the general notion
of “equality among all creditors”, sometimes expressed in the Latin maxim
par est condicio
omnium creditorum, has in practice been modified at various times by the cumulative effects of
judicial and legislative interventions which have resulted in a stratified system of distribution
whereby defined groups of creditors are accorded preferential status or enjoy some kind of
privilege
».
Voir R. GOODE, et al., loc. cit., supra note 106, au no 11 : « As we have said earlier, it cannot be
assumed that the necessary lending powers exist and that an institutional structure is in place for
general debt collection [in emerging economies]. The enforcement of unsecured debts is highly
important to a sound financial system, but the great variety in legal regimes for such enforcement
and in the effectiveness of these regimes makes it difficult to state general propositions.
Nonetheless, it can be said that every legal system should provide an effective means by which
unsecured creditors may enforce their rights against the debtor and its property without undue
delay or expense
».

Page 89
63
viendra systématiser l’application du principe de l’égalité entre les créanciers et
contribuera à lui donner un sens véritable.
Il faudrait remonter au droit romain du Bas-Empire pour trouver les premières traces
d’une telle procédure collective 130. L’évolution et l’histoire du droit de la faillite en droit
anglo-saxon a suscité l’intérêt de nombreux juristes. Un auteur belge signalait déjà, en
1936, que « [l]’Angleterre, pays peu favorable à l’abondance de textes législatifs, [avait
alors] édicté plus de quarante-cinq lois sur la faillite » 131. Voilà donc un trait
caractéristique important de l’évolution de ce droit qu’il faut souligner, sachant que la
common law est habituellement un « judge made law ». Voyant dans ce domaine des
questions d’intérêts complexes ne pouvant être laissées à la seule évolution prétorienne
dans leur façonnement, notamment la protection du crédit, le législateur anglais
commença à édicter des dispositions législatives propres à la faillite aussi tôt qu’en 1542,
sous Henri VIII. Il faut cependant attendre l’année 1623 pour voir l’apparition, dans les
textes législatifs anglais, du principe de la distribution égalitaire entre tous les créanciers
et de la création d’une procédure collective ayant un caractère officiel, se substituant aux
mesures d’exécution individuelles, plaçant ainsi l’administration des biens du débiteur
sous le contrôle de la justice 132. Ces principes sont désormais généralement admis dans
130
131
132
Voir, notamment : Louis-Joseph De La DURANTAYE, Traité de la faillite en la province de
Québec
, Montréal, L.J. De La Durantaye, 1934, p. 1-3; Charley Del MARMOL, La faillite en droit
anglo-saxon
, Paris, L.G.D.J., 1936, p. 382; W.J. JONES, The Foundations of English
Bankruptcy : Statutes and Commissions in the Early Modern Period
, vol. 69, Philadelphie, The
American Philosophical Society, 1979, p. 8 et 30.
C. Del MARMOL, op. cit., supra note 130, p. 80.
Ibid., p. 14.

Page 90
64
les législations modernes occidentales venant régir les situations d’insolvabilité du
débiteur 133.
A. Bohémier, résumant les principales règles en droit canadien de la faillite, a toutefois
bien exprimé les caractéristiques communes, à quelques adaptations près, aux diverses
procédures collectives :
L’insolvabilité provoque une désorganisation des rapports juridiques unissant le
débiteur et ses créanciers. Le droit de la faillite intervient pour imposer des remèdes
de nature collective et empêcher le débiteur d’agir sur son patrimoine.
[…]
Aux recours individuels des créanciers, le droit de la faillite va substituer une
procédure collective en vue d’assurer un traitement équitable de l’ensemble des
créanciers.
Dès qu’il y a faillite, les créanciers non garantis perdent le bénéfice de leurs recours
individuels. Pour établir leurs droits, ils doivent se soumettre à la procédure de
vérification des créances, en faisant parvenir au syndic leur preuve de réclamation.
Cette procédure leur permet d’établir leurs droits d’une façon expéditive et à peu de
frais. Les créanciers sont regroupés en une masse et doivent désormais agir
collectivement (assemblées de créanciers, inspecteurs et syndic).
D’autre part, pour protéger les droits des créanciers et leur assurer un traitement
équitable, le droit de la faillite empêche le débiteur d’agir sur son patrimoine. Dès
qu’il y a faillite, il y a dessaisissement du débiteur dont tous les biens sont dévolus
au syndic. À cet égard, la faillite apparaît donc comme une procédure d’exécution
collective au profit de tous les créanciers.
134
[Références omises]
Dessaisissement du patrimoine du débiteur au profit d’un officier nommé par le tribunal
chargé de l’administrer au profit des créanciers, perte du bénéfice des recours individuels
pour les créanciers ordinaires et, parfois même, pour les créanciers garantis, voilà les
principaux effets de cette procédure collective qu’est la faillite, qui permettra,
133
134
Voir, en droit canadien : Albert BOHÉMIER, Faillite et insolvabilité, t. 1, Montréal, Thémis,
1992, p. 42; en droit américain : Grant GILMORE,
Security Interests in Personal Property, vol. 2,
Boston, Little Brown, and Company, 1965, p. 1287 : « Equality is equity ».
A. BOHÉMIER, op. cit., supra note 133, p. 39 et 41.

Page 91
65
habituellement, une liquidation ordonné des biens du débiteur et la distribution de
dividendes, le cas échéant, à l’ensemble des créanciers, au pro rata de leurs
réclamations 135.
Évidemment, une telle distribution sera sujette aux autres dispositions de la loi, conférant
certaines préférences à certaines catégories de créanciers. Il s’agira donc de parvenir à
l’équilibre entre les divers intérêts en présence, qu’il s’agisse, par exemple, de l’État pour
le recouvrement des sommes dues en vertu des lois fiscales, des employés pour les
salaires impayés, ou des créanciers garantis, détenteurs de sûretés conventionnelles.
Nous discuterons plus loin de ces questions et identifierons les principaux types de
procédures collectives, dont la faillite, certaines visant la seule liquidation des biens du
débiteur, d’autres visant d’abord à en assurer le redressement 136.
Néanmoins, toute procédure collective, quelque soit son objectif principal, aboutirait
souvent à une liquidation ordonnée des biens du débiteurs 137. Cette idée de « liquidation
ordonnée » découlerait logiquement du principe de l’égalité entre les créanciers.
1.3
justifications au principe de l’égalité entre les créanciers
Parmi les possibles justifications du principe de l’égalité des créanciers et de la nécessité
d’instaurer une procédure collective pour en assurer l’application, citons la prévention
des fraudes et des tractations malhonnêtes, ainsi que le désir d’éviter les poursuites
135
136
137
LFI, art. 141 : « Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, toutes les réclamations
établies dans la faillite sont acquittées au prorata
».
Voir notre discussion, ci-dessous, Partie I, sous-section II. A. 2.3.3, relativement à l’adaptation des
règles de priorités en fonction de la finalité de la procédure collective.
R. GOODE, et al., loc. cit., supra note 106, no 23 : « Whichever method is adopted, the ultimate
(though not necessarily intended) outcome in the majority of cases is thought to be the same,
namely winding up of the debtor company
».

Page 92
66
anarchiques 138. De même, la procédure collective de liquidation a pour but d’assurer une
distribution juste et équitable des biens du débiteur. C. Del Marmol, citant E. Lambert,
résumait ces justifications en ces termes :
Combien choquante, au point de vue de l’équité et surtout combien contraire aux
exigences primordiales de l’intérêt social devient, pendant la crise commerciale
actuelle, l’application d’une conception périmée de l’absolutisme des droits
individuels qui permet à un créancier grincheux, vindicatif ou même simplement
inintelligent, de détruire, au détriment de la masse des créanciers raisonnables et
prévoyants, la valeur actuelle de leur gage commun et son aptitude, quand la crise
économique actuelle sera conjurée ou atténuée, à leur fournir à tous satisfaction
totale ou au moins partielle.
139
Il y aurait donc un souci de justice distributive chez un législateur qui met en œuvre un tel
principe dans ses lois 140. Cette volonté d’égalité fut de tous temps voisine de celle de
justice et constituerait, à ce titre, un enjeu important du droit 141. Certaines raisons
autorisent cependant le législateur à y déroger.
138
139
140
141
A. BOHÉMIER, op. cit., supra note 133, p. 51-56.
C. Del MARMOL, op. cit., supra note 130, p. 383. En droit belge, F. T’Kint suggère que la
faillite est « […]
une procédure collective de liquidation [du] patrimoine [du failli], spécialement
organisée par le législateur dans le but de maintenir intact le « gage commun » de ses créanciers,
d’éviter les poursuites anarchiques et d’assurer l’égalité dans la distribution. C’est dans le cadre
de la faillite que seront servis les titulaires de sûretés, non sans conflits parfois avec le curateur
[i.e le syndic de faillite], gardien des intérêts de la « masse » des créanciers
». Voir : F. T’KINT,
loc. cit., supra note 123, no 6 (d), p. 11. Voir aussi Michel CABRILLAC, « Les ambiguités de
l’égalité entre les créanciers » dans
Mélanges en hommage à André Breton et Fernand Derrida,
Paris, Dalloz, 1991, 31. Voir, en droit américain, Hideki KANDA et Saul LEVMORE,
« Explaining Creditor Priorities », (1994) 80 Va. L. Rev. 2103, 2122 : « […] The pro rata rule
governing unsecured creditors is best explained as creating a residual pool of claimants who can
efficiently share in the cost of both employing agents and making decisions about the (insolvent)
firm’s future. The pro rata rule facilitates the sharing of administrative and legal expenses and
also permits the creditors to be served by a common agent with limited conflicts of interest […]

[référence omise] ».
Voir, notamment, R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 35, p. 430.
Yves-Marie MORISSETTE, « Quelques points de repère sur l’égalité dans une société
diversifiée », (2000) 79
R. du B. can. 81, 86. Y.-M. Morissette mentionne, au passage, que la
valeur de l’égalité fut centrale, comme on le sait, dans la Révolution Française (p. 86), tout comme
elle constitue, avec celle de la liberté, l’une des deux pierres d’assises de la démocratie américaine
depuis 1787 (p. 89). Il faut en effet rappeler que le droit civil de l’Ancien régime se caractérisait
par les inégalités qu’il consacrait, non seulement dans le droit des personnes et de la famille, mais
encore, pour partie, dans le droit des biens. Ainsi, le Code civil des Français de 1804 établira le
principe de l’égalité des personnes, de l’égalité des héritiers et de l’égalité des terres. Voir, à ce

Page 93
67
2.
De l’exception au principe de l’égalité entre les créanciers :
l’édification d’un régime de sûretés et l’établissement d’un ordre
de priorités
Si l’on accepte le postulat de l’égalité des créanciers dans le recouvrement de leurs
créances, l’on comprendra que tout régime de sûretés est dérogatoire ou exorbitant du
régime de droit commun [2.1]. Cependant, c’est à l’aune de ce principe que nous
pourrons tenter de dégager les principales justifications apportées au soutien de
l’édification d’un régime de sûretés et de l’établissement d’un ordre de priorités entre les
créanciers [2.2]. Nous verrons que cet ordre de priorité devra, en autant que possible, être
le même, que l’on soit dans un contexte de procédure collective des créanciers ou non
[2.3].
2.1
un régime dérogatoire ou exorbitant du droit commun
En droit civil, le principe de l’égalité entre les créanciers constitue
la pierre angulaire du droit applicable aux créanciers et aux sûretés; il fait de
l’égalité la règle, de la préférence l’exception. On y recourt constamment pour
justifier l’interprétation stricte et rigoureuse des conditions d’existence des sûretés.
Le créancier qui veut se sortir du rang des créanciers ordinaires doit démontrer, avec
la rigueur de celui qui s’appuie sur une disposition d’exception, que la loi ou une
convention que la loi autorise lui donne préséance.
142
[Référence omise; notre soulignement]
142
sujet, Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 7e éd.,
Paris, Dalloz, 1998, n
os 228-229 et 231, p. 236-239.
L. PAYETTE, Les sûretés réelles, 3e éd., supra note 78, no 122, p. 51. Voir également : 167599
Canada inc.
c. 9007-4337 Québec inc., [1999] R.D.I. 642 (C.S.), (j. Rolland), p. 644 : « Les biens
du débiteur sont le gage commun des créanciers et la préférence que confère l’hypothèque
constitue une exception au principe général. En ce sens, l’hypothèque est de droit strict et le
titulaire qui désire y recourir doit respecter scrupuleusement les conditions établies par la loi
[…]
». Ces propos reçurent l’approbation de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Amyot c.
Banque Nationale du Canada, [2004] R.J.Q. 2385, J.E. 2004-1773 (C.A.) (j. Morissette), no 30.
En droit français, voir : Y. PICOD,
loc. cit., supra note 8, no 172, p. 240.


Page 94
68
Ainsi, le régime de sûretés constitue un régime dérogatoire ou exorbitant du droit
commun, en ce qu’il préfère certains créanciers à d’autres en leur conférant une priorité
de rang 143.
Partant, la maxime « pas de sûretés sans texte [habilitant] » devrait trouver application et
être respectée par les tribunaux. Les tribunaux de nombreuses traditions, dont ceux de la
France, de l’Angleterre, du Québec et des États-Unis, ont cependant trouvé des
justifications permettant de laisser libre cours à certaines sûretés, dont la constitution
n’aurait pas été formellement ni explicitement prévue ou autorisée par le législateur, le
principal motif retenu étant habituellement de permettre l’évolution des techniques de
crédit mises de l’avant par les forces du marché, voire de répondre à certains « vides
législatifs » en fonction de contextes particuliers 144.
Néanmoins, l’égalité absolue des créanciers ne serait pas souhaitable 145. Le législateur y
prévoit d’ailleurs certains tempéraments dont bénéficieront même les créanciers
chirographaires.
Par exemple, en droit civil, mentionnons
les règles de
la
143
144
145
Voir les art. 2647, 1801 C.c.Q., 134 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil,
L.Q. 1992, c. 57 [la «
LARCC »] et 2664 C.c.Q., lequel prévoit que « [l]’hypothèque n’a lieu que
dans les conditions et suivant les formes autorisées par la loi
».
Voir notre discussion, infra, au sujet du financement postérieur à l’ouverture d’une procédure
collective, Partie I, sous-section II. A. 2.3.4.
A. BOHÉMIER, loc. cit., supra note 133, p. 55 : « Nous serions défavorables à l’adoption d’une
règle d’égalité absolue des créanciers. Pour des raisons d’équité et d’efficacité, il nous paraît
normal d’assurer le paiement de certains créanciers de préférence à d’autres : sur le plan moral,
toutes les dettes n’ont pas une valeur égale, et certains créanciers ont droit à une protection plus
grande que les autres. La difficulté est plutôt de savoir suivant quelle échelle de valeurs les
préférences seront établies et de choisir à l’intérieur des valeurs retenues, quelles considérations
permettront de faire primer un ordre de valeur sur un autre
» [notre soulignement].

Page 95
69
compensation 146, celles de la subrogation partielle, ainsi que les droits du premier
saisissant par rapport à ceux des autres créanciers 147.
Enfin, ce sont les sûretés dites « réelles » 148, qu’elles soient légales, judiciaires ou
conventionnelles, qui constitueront les exceptions les plus notables au principe de
l’égalité entre les créanciers. Leurs justifications sont nombreuses, surtout en ce qui a
trait aux sûretés conventionnelles.
2.2
les justifications apportées au soutien de l’édification d’un
régime de sûretés et de l’établissement d’un ordre de
priorités
De nombreuses justifications peuvent être apportées au soutien de la création de sûretés
légales. Ce sont habituellement des motifs d’ordre sociétal et politique qui entreront en
jeu, afin d’accorder une protection à des groupes ou intérêts particuliers. En effet, une
146
147
148
La compensation est un mode d’extinction des obligations selon la théorie générale des
obligations. Ce mode peut cependant présenter un effet de sûreté et procurer un avantage à un
créancier s’en prévalant. C’est pour cela que la
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, supra, note 71,
tout en reconnaissant le mécanisme, ne l’assujetti pas moins à une procédure de révision dans la
mesure où il aurait pour effet de conférer une préférence frauduleuse. Voir : LFI, art. 97 (3). Par
ailleurs, la Cour suprême du Canada a jugé, sur division, que la compensation équivalait à une
« garantie » au sens du paragraphe 224 (1.3) de la
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1
[la «
LIR » ou « Loi de l’impôt sur le revenu »], dans l’arrêt Caisse populaire Desjardins de l’Est
de Drummond
c. Canada, 2009 CSC 29. Ce faisant, la compensation ne peut être opposée à la
Couronne fédérale dont la fiducie présumée, pour le recouvrement de dettes fiscales, lui est
prioritaire. Avec déférence, cette décision nous apparaît erronée.
L. PAYETTE, op. cit., supra note 123, nos 130-153, p. 50-59, qui mentionne également les
exceptions de la dette subordonnée et des sûretés négatives.
À ce stade-ci de la discussion, nous utilisons l’expression « sûreté réelle » dans un sens plus large
que celui qui lui est habituellement conféré en droit civil, car une telle expression serait
techniquement impropre pour parler d’une réalité similaire en common law, la notion de droit réel
n’existant pas dans cette tradition. En faisant abstraction de cette nomenclature des droits
patrimoniaux proprement civiliste, les deux traditions distinguent également les sûretés qui
confèrent au créancier un droit dans la chose, i.e. les sûretés dites « réelles », des sûretés
personnelles qui n’établissent qu’un lien obligationel entre le créancier et le débiteur.

Page 96
70
sûreté « [...] est légale lorsque la loi attache à un état de fait [sa] création [...] » 149. Ces
questions dépassent le cadre de la présente étude, qui s’intéresse plus particulièrement à
l’intérêt que présentent les sûretés conventionnelles. Nous verrons cependant les
incidences que
les sûretés
légales présenteront sur
l’effectivité des sûretés
conventionnelles 150.
Le fait de permettre la constitution de sûretés réelles conventionnelles obéit également à
des motifs d’ordre sociétal et politique. En effet, une sûreté réelle conventionnelle, dont
le législateur autorise par ailleurs la constitution, naît de la volonté des parties et confère
au créancier un droit dans le bien grevé afin d’assurer l’exécution de tout type
d’obligation licite. Ce droit dans le bien grevé, publicisé, sera normalement assorti d’une
priorité en faveur du créancier, qui lui permettra idéalement de le liquider rapidement, en
cas de défaut du débiteur et d’éteindre ainsi la dette avec le produit de cette liquidation.
Ce faisant, la protection du crédit est, sans conteste, l’un des fondements de tout régime
de sûretés réelles conventionnelles. Faire crédit à quelqu’un, c’est le croire et lui faire
confiance 151. Mais « [l]e droit des sûretés est le droit de la méfiance, où plutôt celui de
la prudence » 152. Ainsi, les sûretés seraient les « filles du crédit », en ce que leur
149
150
151
152
Voir : Antoine EIGENMANN, L’effectivité des sûretés mobilières : étude critique en droit suisse
au regard du droit américain et propositions législatives
, Fribourg, Éditions Universitaires
Fribourg Suisse, 2001, n
o 7, p. 3.
Voir notre discussion, ci-dessous, Partie I, sous-section III. A. 1.1.
Philippe MALAURIE et Laurent AYNÈS, Cours de droit civil : Les sûretés, la publicité foncière,
t. 9, 7
e éd., Paris, Cujas, 1995, no 1, p. 11 (note 2) : « Le verbe latin credere : avoir confiance, se
fier ».
Stéphane PIEDELIÈVRE, Les sûretés, Paris, Armand Collin, 1996, p. 3. Voir aussi, en droit
américain, R.J. MANN, loc. cit., supra note 31, p. 668 : « Whether the borrower is large or small,
doubts about the firm’s financial structure tend to be associated with secured debt
».

Page 97
71
utilisation accrue par les créanciers en favoriserait l’expansion 153. On vise donc, par la
création d’un régime de sûretés réelles conventionnelles, à permettre aux créanciers
d’échapper à la loi du concours et à leur donner une meilleure chance de paiement sur les
biens du débiteur, surtout lorsque le débiteur se trouve en situation d’insolvabilité 154,
parce que « [p]référer tout le monde, c’est n’aimer personne » 155. Tout régime de
sûretés représente donc une rupture de l’égalité des créanciers 156.
Ainsi, la justification ou, autrement dit, la légitimité d’un tel régime de sûretés, pour
parler civiliste, reposerait sur des motifs d’ordre économiques 157. Comme nous l’avons
déjà dit, on considère généralement qu’un régime approprié de sûretés conventionnelles
est la clef d’un accès au crédit à des coûts moindres et que cela est, partant, nécessaire au
bon fonctionnement des économies de marché, a fortiori dans un contexte de
153
154
155
156
157
M. CABRILLAC et C. MOULY, op. cit., supra note 124, p. 5.
Cela est d’autant plus vrai qu’une étude américaine arrive à la conclusion que les créanciers
chirographaires ne recevraient que peu ou prou de dividendes en remboursement de leurs créances
dans le cadre d’une procédure collective. Voir Lynn M. LOPUCKI, « The Death of Liability ? A
System/Strategic Analysis », (1996) 106
Yale L. J. 1. Pour des statistiques comparables, en droit
canadien, voir notamment Jacob S. ZIEGEL, « The Modernization of Canada’s Bankruptcy Law
in a Comparative Context », 4
C.B.R. (4th) 151, p. 167, note 82. Les sûretés réelles ne seraient
toutefois pas à l’abri de certaines déconvenues lorsque survient la faillite du débiteur. Voir, en
droit français, P. MALAURIE et L. AYNÈS,
op. cit., supra note 151, p. 13 et 18. Ces auteurs
déplorent le fait que « […][l]
es sûretés réelles ne [soient] plus très sûres lorsque survient […] la
faillite. Les titulaires de sûretés réelles se voient alors imposer une procédure de vérification qui
retarde leurs poursuites, des délais et des remises, et surtout sont souvent primés par des
créanciers qui absorbent tout l’actif du débiteur (salariés et Trésor public)
». Une telle situation
semble pratiquement généralisée dans bons nombres de pays occidentaux. Voir notamment, en
droit canadien, Philippe H. BÉLANGER, « Droits, priorités et super priorités des ministères du
Revenu », (2001) 35
R.J.T. 83.
P. MALAURIE et L. AYNÈS, op. cit., supra note 151, p. 19.
Pour François T’Kint, « [l]e terme « sûreté » évoque l’idée de garantie, de protection. Il est
originaire du latin securitas, qui peut se traduire aussi bien par « sécurité ». Le Littré, qui en
commente l’étymologie, donne la signification : « assurance, certitude », le Robert : « absence de
crainte » ». F. T’KINT, loc. cit., supra note 123, no 1, p. 5.
Cette constatation n’est pas nouvelle. Voir : Laurent BAUDOUIN, « Les aspects généraux du
droit privé dans la province de Québec », dans Les systèmes de droit contemporains, t. 21, Paris,
Dalloz, 1967, p. 615-616.

Page 98
72
mondialisation, alors que les commerçants de toutes nationalités se retrouvent désormais
en compétition directe 158. En plus de cet objectif d’utilité sociale que nous venons
d’énoncer, on en poursuivrait d’autres ayant trait à l’efficience économique, à la liberté
contractuelle, et à l’efficience interne (ou fonctionnelle) propre à tout régime de sûretés,
visant à réduire les coûts reliés à la création, à la surveillance et à la réalisation des
sûretés 159.
En fait, on pourrait voir, dans le rôle joué par les créanciers détenteurs de sûretés, auprès
de leurs débiteurs, une piste de justification plausible à cette rupture de l’égalité et dont,
au demeurant, tous les créanciers bénéficieraient, indistinctement de leur statut de
créancier garanti ou non-garanti 160. Les principaux créanciers garantis d’un emprunteur
jouiraient en effet de prérogatives, en raison de leurs sûretés, leur permettant d’influencer
positivement le comportement de l’emprunteur, en l’empêchant, notamment, de
s’engager dans la poursuite d’activités commerciales présentant un risque trop élevé, qui
viendrait diminuer sa stabilité financière, en prévenant la conversion des biens de
l’entreprise formant l’assiette de la sûreté en des biens d’utilité privée, en limitant la
possibilité de l’emprunteur de contracter de nouvelles dettes, et en augmentant, par
conséquent, les incitatifs qui encourageront le débiteur à rembourser sa dette initiale 161.
158
159
160
161
R.J. MANN, loc. cit., supra note 31, p. 638 et 676.
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 35, p. 434-435.
Voir, notamment, A. BOHÉMIER, op. cit., supra note 133, p. 55-56.
Voir, notamment, R.E. SCOTT, loc. cit., supra note 31, p. 1791-1803. R.E. Scott précise sa
pensée comme suit, à la p. 1793 : «
Those creditors best able to monitor the debtor will be
compensated for doing so with priority claims to the debtor’s assets. This argument turns on the
assumption that the debtor, who wishes to minimize the total credit bill, will issue debt contracts
that give priority position to those creditors best able to control future misbehaviour
». Cet auteur
avance même un certain nombre d’arguments au soutien d’une relation quasi-exclusive entre un
emprunteur et un créancier principal. Voir également R.J. MANN,
loc. cit., supra note 31, p. 638-

Page 99
73
Le Guide législatif sur l’insolvabilité affirme que reconnaître à certains créanciers une
préférence en rupture avec le principe de l’égalité des créanciers n’est pas incompatible
avec l’objectif de leur assurer à tous un traitement « équitable ». En effet, ledit guide
précise :
[…] Dans la mesure où différents créanciers ont conclu différents arrangements
commerciaux avec le débiteur, leur classement peut se justifier par le fait qu’il est
souhaitable que le système d’insolvabilité reconnaisse et respecte ces différents
arrangements, préserve les attentes commerciales légitimes, favorise la prévisibilité
dans les relations commerciales et encourage l’égalité de traitement des créanciers se
trouvant dans la même situation. L’établissement d’un système de classement clair
et prévisible aux fins de la répartition peut permettre aux créanciers de déterminer
avec certitude leurs droits au moment de conclure des arrangements commerciaux
avec le débiteur et, le cas échéant, faciliter l’octroi de crédits garantis.
162
[Notre soulignement]
De l’idée plus restreinte d’égalité entre les créanciers, on passe à l’idée plus large
d’égalité de traitement des créanciers se trouvant dans la même situation 163. Cette
668. R.J. Mann se montre beaucoup plus critique que R.E. Scott à l’égard de ces justifications.
Entre autres, il décrie les présumés bénéfices d’une relation quasi-exclusive entre le débiteur et un
créancier en particulier. Conférer de tels pouvoirs à un créancier reviendrait sans doute à annihiler
toute possibilité de croissance en raison d’une trop forte crainte de l’adoption d’un comportement
risqué chez le débiteur, comportement qui peut parfois être bénéfique pour une entreprise et
favoriser une meilleure croissance. R.J. Mann voit donc une divergence d’intérêts économiques
entre le créancier et le débiteur dans ces cas. Au demeurant, il semblerait que le crédit garanti
serait moins populaire, et de loin, dans le cas de grandes entreprises publiques, pratique que les
agences de cotation de crédit tendraient à décourager. Tout dépendra, à ce chapitre, de la durée de
la relation de crédit que les parties souhaitent établir. Enfin, ce ne serait pas tant les sûretés elles-
mêmes que les conventions restrictives qui y figurent qui seraient la source de ce pouvoir conféré
aux créanciers sur le comportement des débiteurs, ce que l’on appelle, en droit civil, les « sûretés
négatives », qui seraient, d’après R.J. Mann, pratiquement inévitables. Dans un autre ordre
d’idées, on a soutenu que la facilité avec laquelle un créancier peut obtenir une sûreté grevant
l’universalité des biens présents et à venir d’un débiteur, inciterait ce créancier à exercer un
contrôle moins efficace du comportement du débiteur, en ce que ce contrôle serait plus spécifique
à ses propres intérêts et ne tiendrait pas compte de ceux, plus généraux, de la masse des créanciers.
Voir, à ce sujet, M.G. BRIDGE
et al., loc. cit., supra note 24, p. 626.
Guide législatif sur l’insolvabilité, supra note 43, p. 291, no 52.
Notion qui, comme on le verra, prendra un sens encore plus significatif dans un contexte de
procédures collectives internationales.
Voir : Dobah CARRÉ,
La faillite internationale :
comparaison des systèmes canadien et européen
, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 2009, p.
49 : « […] la loi de la faillite intervient à la fois comme loi de procédure et loi de fonds, en ce sens
que la faillite est une voie d’exécution sur les biens du débiteur et que la faillite est une institution
qui poursuit le double objectif
d’assurer une égalité de traitement de tous les créanciers, locaux ou
étrangers, et de faciliter le relèvement du débiteur » [non-italiques dans le texte, référence omise].
162
163

Page 100
74
notion d’égalité de traitement vise l’atteinte de l’équité, favorise le commerce, la
prévisibilité des rapports contractuels et l’accès au crédit garanti. Partant de ces
constatations, il est possible d’envisager cette rupture de l’égalité sous l’angle de la
fraternité 164. Cette composante essentielle de la célèbre maxime de la Révolution
Française de 1789, « Liberté, Égalité, Fraternité », aurait été occultée de nos démocraties
nord-américaines 165. C.D. Gonthier pose un regard neuf à ce sujet, s’exprimant comme
suit :
In my view, fraternity is simply the forgotten element of democracy which, although
rarely identified, is nevertheless present throughout our legal system. It is the glue
that binds liberty and equality to a civil society. It is intuitive. It is the forging
element of a community. It advances goals of fairness and equity, trust and security,
and brings an element of compassion and dedication to the goals of liberty and
equality. It bonds individuals who share similar values and goals not only to their
current neighbours, but also provides a sense of continuity with the past and the
future.
166
En résumé, les avantages que procure l’octroi de sûretés conventionnelles en faveur de
créanciers seraient donc justifiés en ce que leur rôle serait bénéfique à l’ensemble de la
société 167. Ayant examiné les motifs généralement invoqués au soutien de cette rupture
de l’égalité, nous verrons maintenant en quoi l’arrimage des régimes de sûretés et des
régimes de procédures collectives des créanciers, dans un contexte d’insolvabilité, est
souhaitable.
164
165
166
167
Charles D. GONTHIER, « Liberty, Equality, Fraternity : The Forgotten Leg of the Trilogy, or
Fraternity : The Unspoken Third Pillar of Democracy », (2000) 45
R.D. McGill 567, 589 : « […] I
invite you to look at and examine law and laws through the lens of fraternity. You may find it to
be a catalyst and source of inspiration for making our society more human
».
Voir, entre autres, l’essai de Fernand MORIN, Les présupposés de la règle de droit. Essai sur le
non-dit du droit
, Montréal, Liber, 2006. L’auteur réfère tout au long de son texte aux fondements
essentiels à la survie d’une société démocratique que sont l’égalité et la liberté. Jamais ne réfère-t-
il à l’idée de fraternité.
C. D. GONTHIER, loc. cit., supra note 164, p. 569.
Ibid., p. 578, par analogie avec la justification donnée aux avantages dont profitent certaines
personnes en matière de droit fiscal, en raison de leur rôle bénéfique à l’ensemble de la société.

Page 101
75
2.3
du nécessaire arrimage des régimes de sûretés et des
régimes de procédures collectives des créanciers
La mise en place d’un régime de sûretés signifie l’édification d’un ordre de priorités entre
les créanciers. Cet ordre de priorités pourra varier, selon que le débiteur soit assujetti à
l’exercice d’une procédure collective des créanciers ou non. La présente discussion n’en
est pas une qui porte sur les règles précises régissant l’ordonnancement des créanciers
dans ces contextes. À cet égard, un exposé comparatif des principales règles en la
matière, limité à certains textes, se trouve au chapitre III de cette première partie de notre
analyse 168. Au présent stade, il s’agit plutôt d’une discussion de principes généraux
visant à démontrer, d’une part, les liens inextricables qui existent entre les régimes de
sûretés et les régimes de procédures collectives et, d’autre part, la nécessité de l’arrimage
des règles entre ces deux régimes.
Ainsi, toute sûreté procure des avantages indéniables à son titulaire dans un contexte
normal, c’est-à-dire lorsque le débiteur est solvable. Cependant, l’utilité et l’effectivité
d’une sûreté, en particulier d’une sûreté conventionnelle, seront mises à l’épreuve lorsque
le débiteur est insolvable, principalement lors de l’ouverture d’une procédure collective
des créanciers [2.3.1]. Il s’agira, en ces cas, de procéder à la conciliation d’intérêts
divers, parfois divergents, qui opposera ceux des créanciers titulaires de sûretés
conventionnelles, à ceux d’une foule d’autres créanciers, dont notamment les créanciers
chirographaires, les créanciers titulaires de sûretés légales ou de préférences, dont l’État
pour les dettes fiscales, les employés pour les salaires impayés, et les créanciers titulaires
de sûretés « judiciaires » [2.3.2]. On a suggéré que la conciliation de ces intérêts pourra
168
Voir, ci-dessous, Partie I, sous-section III. B.1.

Page 102
76
varier et, surtout, que l’exécution des sûretés conventionnelles pourra être suspendue,
selon qu’il s’agisse d’une procédure collective visant la liquidation des biens du débiteur
ou le redressement et la restructuration financière de ce même débiteur [2.3.3]. Exercice
difficile, s’il en est, qui doit rechercher l’atteinte de l’équilibre entre ces divers intérêts,
dont, au premier chef, la préservation de la valeur des sûretés conventionnelles [2.3.4].
Nous terminerons cette discussion en résumant, d’une part, les principes directeurs de
l’harmonisation des régimes de sûretés et d’insolvabilité en droit interne [2.3.5], et
d’autre part, ceux relatifs à l’harmonisation internationale de l’insolvabilité et au
traitement équitable des créanciers dans le contexte des procédures collectives
internationales [2.3.6].
2.3.1
utilité, effectivité de la sûreté conventionnelle et
insolvabilité du débiteur
Il importe de poser la distinction entre l’utilité d’une sûreté conventionnelle dans un
contexte d’insolvabilité [a] et son effectivité [b].
a)
utilité de la sûreté conventionnelle
La sûreté conventionnelle sera utile tant au créancier qu’au débiteur. Elle sera utile au
débiteur, car elle lui permettra d’obtenir crédit plus facilement et à faible coût. Elle sera
utile au créancier car, comme nous l’avons vu précédemment, il pourra idéalement, en
cas de défaut du débiteur et par préférence aux autres créanciers, disposer rapidement du
bien grevé et appliquer le produit de disposition en remboursement ou en réduction de la
dette. Dans la mesure où le créancier a l’assurance que la sûreté dont il est titulaire
produira ses effets lorsque le moment sera venu d’y recourir, il pourra fixer les
paramètres du crédit et l’offrir au débiteur à un coût moindre. La sûreté conventionnelle,
Page 103
77
œuvre de prévision résultant de la volonté ou de l’autonomie des parties, serait donc une
bonne affaire pour tout le monde, en autant qu’elle soit effective.
b)
effectivité de la sûreté conventionnelle
L’effectivité se définit comme étant « […] la qualité d’un droit propre à produire les
effets juridiques escomptés. L’effet est rapporté à la finalité; l’effectivité évalue
l’institution par rapport à ses buts » 169.
Ainsi, tout régime de sûretés conventionnelles sera effectif dans la mesure où ses effets
sont prévisibles. Par l’établissement de règles claires et simples relativement à la
constitution, à la publicité, à l’ordre de priorité et aux mesures d’exécution, la finalité
d’un tel régime consiste à conférer un droit de préférence aux créanciers qui en
bénéficient sur le produit de liquidation du bien grevé 170.
Partant, une sûreté conventionnelle sera effective en autant que tout régime de procédures
collectives lui reconnaisse sa validité et lui confère son rang, en utilisant les critères
établis par le régime de sûretés dont elle origine et que les droits d’exécution du titulaire
ne soient pas suspendus. Autrement, le régime de sûretés ne sera pas pleinement effectif
et le coût du crédit risque d’en être affecté. Cela s’explique par le fait que toute sûreté
conventionnelle présentera une véritable utilité lorsque le débiteur est insolvable. Si les
critères de validité et l’ordre de priorité sont considérablement modifiés dans le contexte
de la procédure collective et que les recours des créanciers garantis sont suspendus ou
considérablement limités, ou encore que la valeur économique de la sûreté n’est pas
169
170
A. EIGENMANN, op. cit., supra note 149, no 171, p. 53, [références omises].
Ibid., p. 53-56.

Page 104
78
préservée, le régime de sûretés conventionnelles aura une valeur ou une utilité amoindries
et les coûts du crédit augmenteront en conséquence 171.
C’est pourquoi toute dérogation aux règles établies par le régime de sûretés, dans le
contexte d’une procédure collective des créanciers, devra être clairement circonscrite,
pour que le créancier garanti puisse en évaluer les effets à l’avance. Une conciliation
d’intérêts divers, parfois divergents, devra s’opérer.
2.3.2
conciliation d’intérêts divers, parfois divergents
Arrimer les régimes de sûretés aux régimes de procédures collectives soulève plusieurs
niveaux de difficultés. Nous en identifions deux principaux. D’une part, notons
l’existence fréquente d’une division des compétences législatives entre divers paliers de
gouvernements dans le cas des États fédérés [a]. D’autre part, il y a l’arbitrage qui doit
s’opérer entre les diverses catégories de créanciers [b] 172.
171
172
Voir, notamment, Philip R. WOOD, Comparative Law of Security and Guarantees, Londres,
Sweet & Maxwell, 1995, p. 3 : «
Secured creditors are super-priority creditors on insolvency.
Security must stand up on insolvency which is when it is needed the most. Security which is valid
between the parties but not as against the creditors of the debtor is futile. Bankruptcy laws which
freeze or delay or weaken or de-prioritise security on insolvency destroy what the law created.
Hence the end is more important than the beginning
». Voir également, en ce sens,
A. BOHÉMIER,
op. cit., supra note 133, p. 19. Voir, enfin, le Guide législatif sur les opérations
garanties
, supra note 45, Chapitre V, « Priorité d’une sûreté réelle mobilière », p. 5-6, nos 15-18.
Hormis les règles des procédures collectives qui présenteront une incidence certaine sur le droit
des sûretés, on note que ce droit est au carrefour du droit des obligations, du droit des biens, du
droit de la procédure civile et du régime d’exécution des jugements. À l’instar de la réflexion
entreprise par la CNUDCI, dans le cadre de ses guides législatifs en matière de sûretés et
d’insolvabilité, nous limiterons nos discussions à ces deux domaines et ne mentionnerons
qu’occasionnellement les autres domaines du droit dont nous venons de faire état, dont
l’importance est certes non négligeable, mais qui rendrait notre discussion impossible si nous
devions tout couvrir, le domaine de l’insolvabilité étant celui qui a, au demeurant, la plus grande
incidence sur un régime de sûretés.


Page 105
79
a)
partage de compétences
entre deux paliers de gouvernements
législatives
Dans nombre d’États qui sont constitués en fédérations, s’opère un partage des
compétences législatives entre deux paliers de gouvernements. Ainsi, au Canada et aux
États-Unis, la compétence législative en matière de faillite et d’insolvabilité est dévolue
au législateur fédéral, alors que la compétence législative relative à l’établissement d’un
régime de sûretés l’est au législateur provincial ou étatique 173. Dans plusieurs pays
d’Amérique latine, qui sont également des fédérations, s’opère parfois également un
partage des compétences entre deux paliers de gouvernement. Cependant, ce partage des
compétences confère plutôt la compétence législative en matière de droit commercial au
législateur fédéral, alors que la compétence législative en matière de droit de la
consommation échoit au législateur étatique ou provincial 174. Ajoutons, enfin, que
l’Union Européenne influence l’harmonisation des droits internes de ses pays membres
en droit des sûretés et en matière de procédures collectives, par l’adoption de directives
ou de règlements 175.
173
174
175
En droit canadien, voir notre discussion, supra note 123; en droit américain, voir
Steven L. HARRIS et Charles W. MOONEY, Jr., « Revised Article 9 Meets the Bankruptcy
Code : Policy and Impact » (2001) 9
Am. Bankr. Inst. L. Rev. 85.
B. KOZOLCHYK et J.M. WILSON, loc. cit., supra note 10, p. 48-49.
Voir la Directive relative aux sûretés sur les valeurs mobilières, supra note 97 ; En droit des
procédures collectives, voir : D. CARRÉ,
op. cit., supra note 163, p. 20-22, 54-58. De manière
générale, sur l’harmonisation du droit privé européen et l’influence du droit communautaire, voir :
Jacques MESTRE, « L’idée d’un droit privé européen : regards français », dans
Convergence,
concurrence et harmonisation des systèmes juridiques : Les Journées Maximilien-Caron 2008
,
Montréal, Les Éditions Thémis, 2009, p. 115 ; Marcel FONTAINE, « Un regard « pan-
européen » », dans
Convergence, concurrence et harmonisation des systèmes juridiques : Les
Journées Maximilien-Caron 2008
, Montréal, Les Éditions Thémis, 2009, p. 153. Le droit
communautaire européen s’avère beaucoup plus coordonné et unificateur que ne l’est le droit
fédéral canadien. Malgré une certaine unification du droit qui existe au niveau du législateur
fédéral dans ses champs de compétences législative, puis entre les provinces de
common law, le
principe de la diversité des droits (fédéral, provinciaux, civiliste et de
common law, public et
privé), demeure l’une des caractéristique fondamentale du droit canadien. À l’inverse, le droit
communautaire européen, tout en respectant la diversité d’expression des droits nationaux, impose

Page 106
80
En droit canadien et en droit américain, on observe une certaine déférence du législateur
fédéral à l’endroit des régimes de sûretés créés par les provinces ou États dans l’édiction
des lois régissant les procédures collectives. Cependant, cette cohabitation ne se fait pas
toujours sans heurts, tant au niveau des principes qu’au niveau de la rédaction d’un texte
législatif 176. À titre d’exemple, en droit canadien, le législateur fédéral doit composer
avec des régimes provinciaux qui sont issus de deux systèmes juridiques différents, à
savoir la common law pour les provinces canadiennes-anglaises et le droit civil pour le
Québec 177. A. Bohémier a cependant bien traduit cette réalité en exprimant le postulat
suivant :
[…] La solvabilité étant la situation normale et l’insolvabilité, l’exception, les règles
civiles doivent, dans la mesure du possible, être respectées par le droit de la faillite.
On ne construit pas un édifice en fonction de la sortie de secours. On ajuste plutôt
celle-ci en fonction de la construction principale. En ce sens, l’efficacité et le bon
sens exigent que le corps principal – le droit civil [des sûretés] – conserve toujours
une
certaine primauté. 178
l’atteinte de résultats comparables et homogènes d’un État à l’autre par la voie de directives. Pour
une comparaison entre les modes d’harmonisation des droits canadien et européen, voir :
Gérald GOLDSTEIN, « L’expérience canadienne en matière d’uniformisation, d’harmonisation et
de coordination des droits », (1998) 32
R.J.T. 235. Malgré cela, la situation vers l’harmonisation
et l’intégration juridique toujours plus marquée continue de s’accentuer au fil des ans, d’un Océan
à l’autre, en terre canadienne.
En droit canadien, voir notamment : A.J. ROMAN et M.J. SWEATMAN, « The Conflict Between
Canadian Provincial Personal Property Security Acts and the Federal Bankruptcy Act : The War is
Over », (1992) 71 R. du B. can. 77; Jacob S. ZIEGEL, « Personal Property Security and
Bankruptcy : There is No War ! », (1993) 72
R. du B. can. 44. Pour une perspective québécoise,
voir : Roger P. SIMARD et Antoine LEDUC, « Affaire
Château d’Amos : intégrité du droit
canadien de la faillite ou du droit civil québécois, deux intérêts inconciliables dans un régime
fédéral ? », dans B
ARREAU DU QUÉBEC, SERVICE DE LA FORMATION PERMANENTE,
Développements récents en droit administratif (2000), vol. 131, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon
Blais, 2000, 85. En droit américain, voir notamment : G.Ray WARNER, « The Anti-Bankruptcy
Act : Revised Article 9 and Bankruptcy », (2001) 9
ABI Law Review 3.
Voir, notamment, Alain VAUCLAIR et Lyne TASSÉ, « Droit civil et common law en équilibre
sur la balance de Thémis : l’exemple de la
Loi sur la faillite et l’insolvabilité », (2003) 37 R.J.T. 5.
Voir : A. BOHÉMIER, op. cit., supra note 133, p. 19. Voir aussi en ce sens, en droit américain :
G.R. WARNER, loc. cit., supra note 1176, p. 4. Voir enfin, le Guide législatif sur l’insolvabilité,
supra note 43, p. 75-76, no 81 : « Dans un contexte strictement interne, la loi sur l’insolvabilité ne
« crée » pas de droits (personnels ou réels) ni de créances, mais devrait respecter les droits et
créances qui ont été acquis contre le débiteur en vertu d’autres dispositions juridiques
176
177
178

Page 107
81
[Notre soulignement]
Il faut noter qu’en affirmant ce principe, A. Bohémier le fait dans le cadre d’une
discussion sur le partage des compétences législatives entre le législateur fédéral
canadien, qui a compétence exclusive en matière de « banqueroute et d’insolvabilité », et
les législateurs des provinces qui, eux, ont compétence exclusive en matière de
« propriété et de droits civils ». Force est de constater que l’opinion du professeur
Bohémier fut progressivement ignorée par les tribunaux canadiens, au premier chef la
Cour suprême du Canada, qui développèrent une théorie dite de la primauté du droit
fédéral en matière d’insolvabilité (i.e. doctrine of paramountcy), imaginée pour éviter la
« balkanisation » du droit des procédures collectives au niveau fédéral, le tout au
détriment de l’originalité et de la cohérence propres à chaque régime provincial, en
particulier du droit civil québécois, mais favorisant graduellement une harmonisation,
pour ne pas dire une intégration toujours plus grandes des règles à ce niveau de
réglementation fédérale. En ce sens, l’exercice de pouvoirs législatifs en matière
d’insolvabilité par une autorité fédérale représente un autre outil d’harmonisation du droit
des sûretés, voire d’uniformisation du droit 179, auquel s’ajoute bien sûr l’effet de
procédures transfrontalières d’insolvabilité. Nous reviendrons à ces sujets plus loin 180.
applicables, à savoir celles du droit civil, commercial ou public. Elle s’emploie à déterminer le
rang relatif de chacun de ces droits et créances lorsqu’une procédure d’insolvabilité a été ouverte
et, s’il y a lieu, à établir les restrictions et modifications auxquelles ils seront soumis pour que
soient atteints les objectifs collectifs de cette procédure
». Contra : Jacob ZIEGEL, « Bill C-55
and Canada’s Insolvency Law Reform Process », (2006) 43
Can. Bus. L.J. 76, 96.
179
180
Voir notre discussion à ce sujet dans R.P. SIMARD et A. LEDUC, loc. cit., supra note 176.
Voir nos discussions, ci-dessous, Partie I, sous-section II. A. 2.3.4 (relative à la préservation de la
valeur économique des sûretés conventionnelles dans un contexte de redressement), et Partie I,
sous-section sous-section II. A. 2.3.6 (relative à l’harmonisation internationale de l’insolvabilité et
au traitement équitable des créanciers).

Page 108
82
L’existence d’un partage de compétences législatives constitue donc une difficulté
additionnelle à l’arrimage des règles entre les régimes de sûretés et ceux de procédures
collectives, mais cela ne veut pas dire que la situation soit nécessairement plus facile, en
pratique, dans un État unitaire. Les aléas de la politique, le processus législatif et
l’interprétation judiciaire peuvent tous avoir une incidence et, jusqu’à un certain point,
miner la cohérence d’un régime de sûretés et de procédures collectives que l’on
souhaiterait harmonisé. En France, le Doyen Picod déplore l’absence d’arrimage entre
les réformes récentes en droit des sûretés et en droit des procédures collectives, en
affirmant :
Il n’en demeure pas moins que la confrontation des règles régissant le droit des
sûretés et celles relatives aux procédures collectives aboutit à des solutions parfois
incertaines. Les premières privilégient en effet le sort de l’entreprise, en particulier
celui des salariés, sur le sort des créanciers, dont l’attente légitime repose sur la
sûreté.
[…]
Les procédures d’insolvabilité affectent aussi nécessairement le droit des sûretés
réelles : soit elles modifient le rang des garanties et privilèges, soit elles instituent à
l’intérieur même de ces procédures de nouvelles priorités en créant des privilèges, tels
que celui de conciliation.
[…]
Compte tenu du développement du rôle du crédit dans notre société, le droit des
sûretés subit de profondes mutations : autrefois relativement statique, son
bouillonnement est aujourd’hui son caractère majeur. À la recherche de son
équilibre, son évolution est marquée, d’un côté, par l’influence prégnante des
organismes de crédit, en quête permanente de la garantie idéale – la plus efficace – et,
de l’autre, par l’intervention des pouvoirs publics (à travers le législateur et le juge),
protecteurs des faibles et soucieux du sort des entreprises. Aujourd’hui tiraillé par les
influences souvent contradictoires du droit de la consommation, du droit bancaire et
du droit des procédures collectives, il déborde en permanence ses cadres traditionnels,
laissant chaque fois un peu plus de cohérence dans son éparpillement, renonçant en
quelque sorte à son unité.
181
181
Y. PICOD, op. cit., supra note 8, nos 1 et 10, p. 1, 12 et 13.

Page 109
83
Ce qui nous amène à traiter du complexe arbitrage des intérêts de diverses catégories de
créanciers.
b)
arbitrage des
catégories de créanciers
intérêts de diverses
Édicter une procédure collective, c’est procéder à l’arbitrage des intérêts de diverses
catégories de créanciers. Cet arbitrage opposera les intérêts des titulaires de sûretés
conventionnelles, notamment à ceux des créanciers titulaires de sûretés légales ou de
préférences, dont l’État pour les dettes fiscales, les employés pour les salaires impayés,
ainsi parfois ceux des créanciers titulaires de sûretés « judiciaires » (parce que décrétées
par le tribunal 182) et, enfin, à ceux des créanciers chirographaires 183.
Afin de préserver l’autonomie de la volonté des parties, on a suggéré que les sûretés
conventionnelles devraient subir le moins d’entorses possibles dans un contexte de
procédure collective 184. C’est pourquoi toute préférence qui aurait pour effet de
supplanter les sûretés conventionnelles devrait être clairement circonscrite. Par exemple,
le caractère occulte de ce genre de préférence devrait être évité. Les préférences légales
182
183
Nous utilisons l’expression « sûreté judiciaire » pour désigner toute sûreté décrétée par un tribunal,
faute de mieux. Cette expression ne réfère pas à la traditionnelle hypothèque judiciaire, qui est
celle servant à garantir les créances qui résultent d’un jugement et qui naît par l’effet d’une
disposition de la loi. C.c.Q., art. 2724 (4).
Le Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre V. Priorité d’une sûreté
réelle mobilière », p. 49, n
o 83, préconise : « La loi devrait limiter tant le type que le montant des
créances privilégiées naissant par l’effet de la loi qui ont priorité sur les sûretés réelles mobilières
et, si de telles créances existent, elles devraient être décrites dans la loi de manière claire et
précise ».
184
Roy GOODE, et al., loc. cit., supra note 106, no 27 : « The justification for such priority is to be
found in the concepts of bargain, value and notice
».

Page 110
84
ou judiciaires devraient donc faire l’objet d’une publicité obligatoire. De même, leur
nombre, ainsi que leurs sources, devraient être limités 185.
Il ne semble pas réaliste ou envisageable d’éliminer complètement les préférences
légales. En outre, en certains pays, une protection constitutionnelle est conférée aux
droits de certains groupes de personnes, dont les privilèges des salariés 186. De plus, le
bien commun exige parfois que ces intérêts soient préservés. Ces intérêts seraient, en
cela, dits « supérieurs » à tous les autres. Dans cette veine, le principe de la souveraineté
des États, garant de la sauvegarde de ces intérêts, est un obstacle majeur à la conclusion
d’instruments internationaux de l’harmonisation du droit en matière de sûretés et de
faillite, qui viendraient établir des règles uniformes en ce domaine. Cependant, on note
une évolution dans les discussions qui ont cours à cet égard 187.
Enfin, les créanciers chirographaires seraient ceux qui écoperaient le plus dans le
contexte des procédures collectives 188. En effet, la procédure de faillite servirait, le plus
souvent, de véhicule à la liquidation des biens du débiteur, profitant principalement aux
créanciers garantis et aux créanciers privilégiés, les créanciers chirographaires ne
recueillant que les miettes, comme le suggère A. Bohémier 189. Ce résultat est plutôt
185
186
187
188
189
Voir notre exposé au sujet de la distinction fondamentale entre les sûretés légales et
conventionnelles,
infra, Partie I, sous-section III. A. 1.1.
Voir: Boris KOZOLCHYK, et al., « Meeting of OAS-CIDIP-VI Drafting Committee on Secured
Transactions : Conference Transcript : Day Two : X. Priority Rules », (2001) 18
Ariz. J. Int’l &
Comp. Law
449, 456, où il est fait référence au cas spécifique du Pérou.
Voir: Hannah L. BUXBAUM, « Unification of the Law Governing Secured Transactions :
Progress and Prospects for Reform », (2003)
Rev. dr. unif. 321, 325-326; H.S. BURMAN, loc. cit.,
supra note 38; Ulrich DROBNIG, « Brief Considerations on Co-ordinating Developments in the
field of Secured Transactions Law », (2003)
Rev. dr. unif. 353.
Voir, notamment: J.S. ZIEGEL, loc. cit., supra note 154, p. 167, note 82.
A. BOHÉMIER, op. cit., supra note 133, p. 53.

Page 111
85
ironique, la procédure collective se voulant d’abord la consécration du principe de
l’égalité entre les créanciers dans le recouvrement de leurs créances. Ainsi, pour éviter
de vider la procédure collective de son sens (et de ses fonds disponibles à la masse des
créanciers), certains soutiennent qu’il faudrait prélever un montant de la valeur des biens
constituant l’actif du débiteur correspondant à un certain pourcentage, en vue de le
distribuer aux créanciers chirographaires, leur conférant, en quelques sortes, une certaine
priorité dans la distribution du produit de liquidation 190.
L’arbitrage de tous les intérêts en présence est complexe. Comme nous allons maintenant
le voir, il pourra varier en fonction de la finalité de la procédure collective.
2.3.3
adaptations des règles en fonction de la finalité
de la procédure collective
Il y aurait deux types principaux de procédures collectives. Les premières visent la
liquidation des biens du débiteur, les secondes le redressement ou le sauvetage de
l’entreprise du débiteur 191.
190
191
Voir, notamment, J.S. ZIEGEL, loc. cit., supra note 154, p. 188; G.R. WARNER, loc. cit., supra
note 176, p. 11. On appelle cette idée « cantonnement » ou « cushion of free assets ». Dans
certains pays que l’idée d’une sûreté universelle rebute, il semblerait que cette mesure pourrait être
nécessaire afin de la faire accepter. Le
Guide législatif sur l’insolvabilité précise cependant que
« [l]
’adoption de telles exceptions au remboursement prioritaire des créanciers garantis peut
toutefois rendre incertain le recouvrement du crédit garanti et, de ce fait, décourager l’octroi de
ce type de crédit et en augmenter le coût. Il est très souhaitable que le recours à ces exceptions
dans une loi sur l’insolvabilité soit limité
». Voir : Guide législatif sur l’insolvabilité, supra note
43, p. 294, n
o 64.
R. GOODE, et al., loc. cit., supra note 106, no 23. Pour un exposé en droit canadien, voir
Jacques DESLAURIERS,
La faillite et l’insolvabilité au Québec, Montréal, Wilson & Lafleur,
2004, p. 1-16. Voir, enfin, le
Guide législatif sur l’insolvabilité, supra note 43, p. 11, 23-35. Ce
Guide parle aussi de «
négociations volontaires de restructurations », ce que l’on appelle dans la
pratique courante les « restructurations informelles », car se faisant dans un cadre extrajudiciaire
librement négocié entre le débiteur et ses créanciers et non pas à travers celui, plus formel et
rigide, d’une procédure supervisée par un tribunal. Le Guide suggère l’adoption de critères dans
une législation sur l’insolvabilité permettant ce type de restructuration informelle, car en certains
pays, cela est proscrit. Nous n’en traiterons pas de façon spécifique dans notre discussion. Voir,

Page 112
86
Les procédures visant la liquidation n’ont, en théorie, d’autre objectif que de liquider les
biens du débiteur. On souhaitera maximiser la valeur de cette liquidation pour la masse
des créanciers, ce pourquoi le dessaisissement s’opérera en faveur d’un administrateur de
l’insolvabilité et les droits des divers créanciers, habituellement à l’exclusion de ceux des
créanciers garantis, seront suspendus. Cependant, une procédure de liquidation pourra,
en certains cas plus exceptionnels, servir de véhicule au transfert d’une entreprise, qu’elle
soit acquise par certains de ses dirigeants, actionnaires ou employés ou, encore, qu’elle
soit vendue à un tiers qui en continuera l’exploitation. Dans une telle situation, la
frontière entre les procédures de liquidation et de redressement s’amincit, les zones grises
pouvant être nombreuses lorsqu’une entreprise est insolvable.
En principe, les procédures visant le redressement ou le sauvetage de l’entreprise du
débiteur procèdent d’un esprit différent d’une procédure de liquidation. Il s’agit de
permettre à l’entreprise de continuer ses opérations, de renégocier et restructurer son
endettement et, parfois, de modifier sa structure
juridique, administrative et
organisationnelle, ainsi que le champ de ses activités 192. De telles procédures seraient
192
de façon plus spécifique à cet égard, Guide législatif sur l’insolvabilité, supra note 43, p. 260-270
(procédure de redressement accélérée).
Au Canada, le redressement de compagnies publiques insolvables emporte souvent leur
privatisation. Partant, ces compagnies se redresseront en vertu des dispositions de la
Loi sur les
arrangements
, en ce qui a trait à leur endettement et à leurs relations avec les créanciers. Elles
feront par ailleurs appel aux dispositions des lois corporatives, dont l’article 192 de la
Loi
canadienne sur les sociétés par actions
, L.R.C. 1985, c. C-44, afin de restructurer leur capital-
actions et de proposer un plan d’arrangement pour cet aspect au tribunal. Aux procédures
collectives de redressement s’ajouteront donc des procédures corporatives. Voir notamment, à ce
sujet : David TARDIF-LATOURELLE, « Les enjeux relatifs à la restructuration d’une compagnie
publique et courte présentation sur la chambre commerciale », Conférence de l’Association du
Barreau canadien, Division Québec, Section Faillite et insolvabilité, Montréal, 13 octobre 2004
[non publié] ; Sandra ABITAN et David TARDIF-LATOURELLE, « Les restructurations
effectuées conjointement au terme des lois sur l’insolvabilité et des lois corporatives », Conférence
de l’Association du Barreau canadien, Division Québec, Section Faillite et insolvabilité, Montréal,
29 novembre 2005 [non publié]. Voir aussi :
Abitibi-Consolidated inc. (Arrangement relatif à),
C.S. Montréal, n
o 500-11-035851-092, 13 mars 2009, j. Gascon.

Page 113
87
plus avantageuses pour l’ensemble des créanciers, lorsque l’entreprise est viable, en ce
qu’elles permettent la préservation d’emplois et la poursuite d’une activité économique.
Pour cela, une atteinte aux droits des créanciers garantis, titulaires de sûretés
conventionnelles, serait justifiée 193.
Ainsi, l’on suspendrait, durant la période de redressement, l’exercice des recours de tous
les créanciers, incluant ceux des créanciers garantis, de même que l’on permettrait au
débiteur de continuer d’utiliser les biens grevés, afin qu’il puisse continuer à exploiter
son entreprise. Au surplus, de telles mesures s’avéreraient nécessaires lorsque les
régimes de sûretés permettent la constitution de sûretés conventionnelles grevant
l’universalité des biens présents et futurs d’un débiteur. Il s’agirait en effet d’éviter que
les créanciers garantis détiennent un droit de veto qui empêcherait une entreprise de se
réorganiser 194. Lorsque l’on affecte ainsi les droits des créanciers garantis, il faudrait
néanmoins qu’ils soient impliqués dans le processus et qu’ils aient voix au chapitre 195.
Cependant, cela soulève
la problématique suivante : n’est-ce pas
là changer
diamétralement l’entente initiale entre les créanciers garantis et le débiteur et faire en
sorte que les créanciers garantis financent, parfois à leur corps défendant, les
193
194
Rapport du Secrétaire général : projet de guide législatif sur les opérations garanties, Doc. off.
CNUDCI NU, Doc. NU A/CN. 9/WG. VI/WP.6/Add. 5, p. 6-8, n
os 16-22 (26 septembre 2002).
Cependant, aux États-Unis, le Bankruptcy Code prévoit une procédure que l’on nomme
communément «
cramdown », qui procure une certaine protection au créancier garanti en cas
d’imposition d’un plan d’arrangement sans son consentement, mais cette procédure d’opposition
serait rarement utilisée en pratique, parce que trop coûteuse et aléatoire. Voir : James J. WHITE,
« Death and Resurrection of Secured Credit », (2004) 12
ABI Law Review 139, 164-169. Voir
ligne :
aussi: BANKRUPTCY,
http://www.law.cornell.edu/uscode/html/uscode11/usc_sec_11_00001129----000-.html
(consulté
le 3 janvier 2010); Sally McDONALD HENRY, dir., The Portable Bankruptcy Code & Rules,
American Bar Association, 2008, p. 115-116 [le «
Bankruptcy Code »].
11 U.S.C.
(2009),
1129
(A)
(b)
(2)
en
§
195
Rapport du Secrétaire général : projet de guide législatif sur les opérations garanties, Doc. off.
CNUDCI NU, Doc. NU A/CN. 9/WG. VI/WP.6/Add. 5, n
os 23-24, p. 8, (26 septembre 2002).

Page 114
88
réorganisations dont ils ne voudraient pas ? Une attitude trop libérale favorisant la
réorganisation à tout prix des entreprises, cette « culture du sauvetage », n’est-elle pas
néfaste pour l’économie, en ce que le maintien artificiel de compagnies non viables
présenterait plus d’inconvénients que d’avantages ? 196 Autrement dit, comment séparer
le bon grain de l’ivraie ? 197 Comment s’assurer que seules les entreprises insolvables
mais encore viables ne bénéficieront d’une procédure de redressement ? Bien difficile
d’effectuer le tri dans tous les cas. Pour cette raison, il faudrait faire montre de flexibilité
et permettre de passer facilement d’une procédure de redressement à une procédure de
liquidation (et vice-versa) lorsque les circonstances l’exigent, quitte à envisager une
procédure unitaire pour y parvenir 198.
Tout cela démontre la tension qui existe entre le régime des sûretés et celui des
procédures collectives. Alors que les sûretés ont pour objectif premier de favoriser
l’essor du crédit garanti, là n’est pas celui des procédures collectives, qui traitent de
questions commerciales et économiques collectives, visant à
préserver et maximiser la valeur des actifs du débiteur au profit collectif des
créanciers, et à faciliter une répartition équitable entre les créanciers. On aidera à
faire atteindre ces objectifs en empêchant que les créanciers ne se précipitent pour
faire valoir leurs droits individuellement à l’encontre d’un débiteur commun, et en
196
197
198
J.J. WHITE, loc. cit., supra note 194, p. 150-153.
« S’approchant, les serviteurs du propriétaire lui dirent : « Maître, n’est-ce pas du bon grain que
tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de l’ivraie ? » Il leur dit : « C’est
quelque ennemi qui a fait cela ». Les serviteurs lui disent : « Veux-tu donc que nous allions la
ramasser ? » « Non, dit-il, vous risqueriez, en ramassant l’ivraie, d’arracher en même temps le
blé. Laissez l’un et l’autre croître jusqu’à la moisson ; et au moment de la moisson, je dirai aux
moissonneurs : Ramassez d’abord l’ivraie et liez-la en bottes que l’on fera brûler ; quant au blé,
recueillez-le dans mon grenier
». MATTHIEU, 13, 27-30.
Guide législatif sur l’insolvabilité, supra note 43, p. 11, 19-20, nos 6, 22-25, en particulier au
no 25 : « Quelle que soit la façon dont la loi sur l’insolvabilité est structurée en ce qui concerne le
redressement et la liquidation, elle devrait garantir qu’un débiteur, une fois dans le système, ne
puisse en sortir sans que son avenir ait été déterminé d’une manière ou d’une autre ». C’est pour
cela que le Guide législatif recommande d’établir un équilibre entre les deux types de procédures.

Page 115
89
facilitant le redressement des entreprises commerciales viables et la liquidation de
celles qui ne le sont pas. C’est pourquoi une loi sur l’insolvabilité peut affecter les
droits des créanciers garantis de différentes manières lorsque s’ouvre une procédure
d’insolvabilité.
[…] Un nombre croissant de lois sur l’insolvabilité reconnaissent que, si le fait de
limiter la réalisation des sûretés risque d’influer négativement sur le coût du crédit et
l’offre de crédit, le fait de ne pas arrêter les actions des créanciers garantis pourrait
contrarier les objectifs fondamentaux de la procédure d’insolvabilité. Cela est
particulièrement vrai en cas de redressement, puisqu’il est bien souvent
indispensable que le débiteur puisse continuer à utiliser des actifs grever pour faire
fonctionner et, par conséquent, redresser l’entreprise. Tous les effets néfastes que
l’arrêt est susceptible d’avoir peuvent être atténués par des mesures visant à protéger
la valeur économique des actifs grevés contre toute dépréciation
199.
Pour ces raisons, dans un contexte de procédure collective, les droits des créanciers
garantis ne seront pas absolus. Cependant, toute mesure d’exception ne devrait pas, dans
la mesure du possible, porter atteinte à
la valeur économique des sûretés
conventionnelles.
2.3.4
la valeur économique des
préservation de
sûretés conventionnelles dans un contexte de
redressement
Une procédure collective produira ses effets sur le régime de sûretés. D’une part, la
procédure collective pourra porter atteinte aux droits des créanciers garantis en imposant
un sursis à leur exercice. D’autre part, les biens affectés de sûretés pourront se déprécier,
être utilisés ou vendus pendant le sursis des procédures ou, enfin, être grevés de nouvelles
charges, qui viendront déclasser celles des créanciers garantis qui existent au moment de
l’ouverture de la procédure collective.
En principe, ces mesures d’exceptions devraient être clairement définies et circonscrites,
afin de permettre aux créanciers garantis d’en évaluer le risque au moment de l’octroi du
crédit et de la prise de sûretés conventionnelles, car ces mesures présentent un coût qui se
199
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre XII. Incidence de
l’insolvabilité sur une sûreté réelle mobilière », p. 1 et 8, n
os 2-3, 27.

Page 116
90
reflétera dans celui du crédit 200. Toutefois, afin de préserver l’offre de crédit garanti, des
mécanismes de protection doivent être mis en place pour permettre aux créanciers
garantis de recouvrer la valeur de leurs sûretés ou l’équivalent.
Parmi ces mécanismes figurent l’aménagement de l’arrêt des poursuites et la protection
de la valeur des biens grevés. Dans un contexte de liquidation, il sera souvent plus
avantageux pour la masse que le créancier garanti puisse exercer ses droits sans délai,
surtout lorsque la valeur de la créance est plus élevée que celle des biens et qu’il n’y a pas
possibilité de redressement. D’autre part, la protection de la valeur des biens grevés sera
nécessaire dans le cadre d’une procédure de redressement où le sursis des procédures
s’imposera et où l’utilisation des biens grevés sera nécessaire. Elle prendra la forme d’un
élargissement de l’assiette de la sûreté initialement consentie par l’ajout de biens
supplémentaires ou de remplacement en faveur du créancier garanti; ou encore, un
versement périodique d’une somme correspondant au montant de la dépréciation, voire le
versement d’intérêts, constituent d’autres options. Ces mesures de protection supposent
toutefois qu’une évaluation soit faite des éléments d’actif et de leur dépréciation
éventuelle afin de pouvoir bien jauger de la situation, ce qui n’est pas sans complexité.
Des critères pourront être établis dans la loi, mais le tribunal jouira habituellement d’une
large discrétion pour l’apprécier 201.
La question de la préservation de la valeur économique des sûretés conventionnelles se
pose avec beaucoup d’acuité lorsqu’un financement postérieur à l’ouverture de la
200
201
Rapport du Secrétaire général : projet de guide législatif sur les opérations garanties, Doc. off.
CNUDCI NU, Doc. NU A/CN. 9/WG. VI/WP.6/Add. 5, p. 3-4, n
os 6-8 (26 septembre 2002) ;
Guide législatif sur l’insolvabilité, supra note 43, p. 14, no 13, p. 105-108.
Voir, de façon générale, le Guide législatif sur l’insolvabilité, supra note 43, p. 105-108.

Page 117
91
procédure de redressement est mis en place et que ce financement est assorti d’une
priorité de rang, au bénéfice du financier l’ayant octroyé, qui a préséance sur celle des
créanciers titulaires de sûretés conventionnelles consenties avant l’ouverture de ladite
procédure. Un tel financement sera accordé pour financer la continuation des opérations
de l’entreprise durant la période de restructuration et, accessoirement, pour payer les
coûts administratifs et les honoraires de l’administrateur de l’insolvabilité en charge de la
procédure de redressement. Nous allons successivement discuter des mesures concernant
ce type de financement aux États-Unis [a], au Canada [b], puis dans les divers textes
internationaux [c]. Nous terminerons cette section en examinant les autres atténuations
portées aux régimes de sûretés par les régimes de procédures collectives [d].
a)
financement postérieur à l’ouverture de
la procédure aux États-Unis («
DIP
Financing
»)
Le droit américain traite de ce genre de financement de façon très précise dans sa
législation. Ce sont les dispositions concernant ce que l’on appelle le « DIP Financing »,
c’est-à-dire « debtor in possession financing », que certains traduisent par l’expression
« financement débiteur-exploitant » 202
laquelle nous préférons « financement
postérieur à l’ouverture de la procédure ») 203.
202
Voir : CANADA, SÉNAT, Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau. Examen de
la
Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des
compagnies, Rapport du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, 2
e session, 37e
ligne :
2003,
législature,
http://www.parl.gc.ca/37/2/parlbus/commbus/senate/com-f/bank-f/rep-f/bankruptcy-f.pdf (consulté
le 3 janvier 2010) [le «
Rapport du Comité sénatorial »]. Cette expression signifie que le débiteur
conserve la maîtrise et la possession de ses biens même lorsqu’il se trouve en situation
d’insolvabilité, après le commencement d’une procédure collective, aux fins de continuer
l’exploitation de son entreprise.
novembre
115,
en
p.
4
203
En effet, l’expression « financement débiteur-exploitant » s’avère une traduction littérale
malheureuse. Le
Guide législatif sur l’insolvabilité, supra note 43, p. 125, utilise l’expression

Page 118
92
L’article 364 du Bankruptcy Code 204 prévoit en effet que l’administrateur de
l’insolvabilité peut, dans les cas y indiqués où l’entreprise continue ses opérations,
demander l’autorisation du tribunal en vue d’obtenir un financement. La présentation de
cette demande fera l’objet d’un préavis et d’une enquête et audition. Le financement
recherché sera tantôt non garanti; tantôt, il sera garanti. Le financement sera garanti
seulement si l’administrateur de l’insolvabilité démontre que, sans l’octroi d’une sûreté
en faveur de l’éventuel prêteur, il lui sera impossible d’obtenir les fonds. La sûreté
pourra grever les biens de l’entreprise qui ne le sont pas déjà, lorsque cela est possible.
La sûreté, dans l’autre situation, pourra affecter des biens de l’entreprise qui le sont déjà,
mais sans obtenir de rang prioritaire à ceux des créanciers antérieurs. Enfin, dans le cas
le plus extrême, la sûreté portera sur des biens déjà grevés et aura un rang égal, voire
prioritaire, à ceux des créanciers antérieurs. Toutefois, dans les cas où une sûreté de rang
égal ou prioritaire est autorisée en faveur du nouveau financier, preuve devra être faite
qu’une « protection suffisante » (adequate protection) 205 des intérêts des créanciers
garantis antérieurs a été aménagée, autrement dit que la valeur des sûretés antérieures
« financement postérieur à l’ouverture de la procédure », qui nous semble meilleure. Dans la
nouvelle terminologie canadienne, l’expression « financement temporaire » («
interim financing »)
est employée, car le financement est mis à la disposition du débiteur durant la période intérimaire
s’écoulant entre l’ouverture de la procédure collective et la présentation d’un arrangement à ses
créanciers. Voir : LFI, art. 50.6 (1) ; LACC, art. 11.2 (1).
204
205
11
ligne :
BANKRUPTCY,
http://www.law.cornell.edu/uscode/html/uscode11/usc_sec_11_00000364----000-.html
(consulté
le 3 janvier 2010), disposition intitulée « Obtaining credit »; voir aussi : S. McDONALD HENRY,
dir.,
Bankruptcy Code, supra note 194, p. 115-116.
(2009),
U.S.C.
364
en
§
11
Aux fins du Bankruptcy Code, dont celles de l’article 364, cette notion de « protection suffisante »
est définie aux termes de l’article 361 du même Code, intitulé «
Adequate protection ». Voir :
ligne :
BANKRUPTCY,
§
http://www.law.cornell.edu/uscode/html/uscode11/usc_sec_11_00000361----000-.html
(consulté
le 5 janvier 2010). Les mesures suivantes sont envisagées : versements périodiques d’une somme
d’argent au créancier par le syndic équivalent à la dépréciation subie par le créancier,
élargissement de l’assiette de la sûreté (biens additionnels ou de remplacement) ou, enfin,
« granting such other relief […] as will result in the realization by such entity of the indubitable
equivalent
of such entity’s interest in such property » [nos caractères gras].
(2009),
U.S.C.
361
en

Page 119
93
sera préservée. On noterait cependant une grande discrétion judiciaire dans l’évaluation
de ce que constitue une « protection suffisante », lui conférant ainsi un caractère des plus
aléatoire 206.
Par ailleurs, il serait très difficile de satisfaire aux critères du paragraphe 364 (d) du
Bankruptcy Code afin d’obtenir l’autorisation d’un financement postérieur à l’ouverture
de la procédure de rang prioritaire aux sûretés des créanciers garantis antérieurs : ce type
de financement ferait rarement, en pratique,
l’objet de contestation;
il serait
habituellement négocié entre les parties au préalable et avalisé par les tribunaux ensuite,
qui se montrent cléments, en raison d’un « magasinage de juridictions » (forum shopping)
dont ils font l’objet 207.
Ainsi, malgré la présence de ces critères législatifs assez stricts, on a initialement soutenu
que cette disposition, et d’autres du Bankruptcy Code américain, étaient d’inspiration
« socialiste », parce qu’elles tendraient à favoriser la continuation des opérations de
l’entreprise au détriment des droits des créanciers garantis. Elles auraient été interprétées
de façon large et libérale pendant un certain temps, ce qui aurait considérablement
amoindri la valeur du régime de sûretés aux États-Unis. Ainsi, les salariés et les
syndicats, de gauche, remportaient le plus souvent la « bataille » à l’encontre des
institutions financières, de droite. Ce faisant, les créanciers garantis n’avaient d’autre
choix, la plupart du temps, que d’involontairement financer la restructuration des
entreprises, souvent de longue durée, même lorsqu’ils auraient plutôt préféré se retirer ou
206
207
Voir, notamment: J.J. WHITE, loc. cit., supra note 194, p. 143, 146, 173-175.
Ibid., p. 169-170.

Page 120
94
bloquer la restructuration pour provoquer une liquidation rapide et récupérer leurs mises,
ce que leurs sûretés leur auraient permis de faire en temps ordinaire 208.
Si cette situation a prévalu dans les années 1980, il semblerait qu’aujourd’hui un
équilibre relatif existe entre les divers intérêts en présence. Toutefois, certains vont plus
loin en affirmant que, d’un processus de redressement contrôlé par les entreprises, les
américains seraient passés à un processus contrôlé par les créanciers, à leur profit 209. Les
plans de redressement sont habituellement négociés à l’avance entre les créanciers
garantis, les débiteurs et les nouveaux financiers, avant que des procédures ne soient
208
209
Ibid., p. 139-148. Pour une opinion contraire, lire : Bruce A. MARKELL, « White’s Wheel »,
(2004) 12
ABI Law Review 193, qui soutient que les institutions financières ont pleinement
participé à la réforme de 1978 ayant menée à l’adoption du
Bankruptcy Code américain. Il serait
donc faux de prétendre qu’il y ait eu conspiration à leur endroit de la part de « socialistes »
désabusés.
Voir : Michelle M. HARNER, « Trends in Distressed Debt Investing : An Empirical Study of
Investors’ Objectives », (2008) 16
ABI Law Review 69. Cette auteure a réalisé une étude
empirique (par sondage) auprès d’institutions financières américaines et anglaises se spécialisant
dans le financement d’entreprises en difficulté, appelés en anglais «
professional distressed debt
investors
». Peu nombreuses (on en dénombrerait environ 170 aux États-Unis), ces institutions ou
investisseurs achèteraient à escompte les dettes de l’entreprise en difficulté. Les créanciers,
garantis ou non, voire les actionnaires, leur céderaient ainsi leurs intérêts ou participation dans
l’entreprise. Ce phénomène est possible en raison de la segmentation et de la spécialisation du
crédit, entre autres aux termes de prêts syndiqués ou de financements sur des biens spécifiques. Il
se fonde sur les ententes et relations contractuelles existantes, dont les sûretés. Le phénomène
change la donne pour l’entreprise, car il ne s’agit plus d’une relation traditionnelle à long terme
basée sur la confiance, mais bien d’un marché, où seule la valeur de l’investissement compte. Ces
investisseurs, réputés « activistes », tentent de prendre le contrôle de l’entreprise, dont le conseil
d’administration ou le comité des créanciers dans la procédure de redressement. Ils tentent aussi
d’obtenir la conversion éventuelle de leurs prêts en actions. L’objectif consiste à influencer les
décisions de l’entreprise, incluant sa stratégie de redressement, ce qui provoquerait parfois des
liquidations plus rapides d’entreprises autrement viables. Ces investisseurs sont perçus comme
des « vautours » (i.e. «
vulture funds ») par certains, car ils dépossèdent les entreprises et leur
dictent leur loi; pour d’autres, ils sont des « phénix », seules sources de financement parfois
disponibles, permettant aux entreprises en difficulté de se redresser. L’auteure conclut :
«
Consequently, either extreme – i.e. a debtor-controlled process or a creditor-controlled process-
may promote inefficiency. Striking an appropriate balance between the two extremes may
maximize efficiency
». Pour atteindre cet équilibre, l’auteure suggère de remplacer les comités de
créanciers, dans les procédures de redressement, par un officier indépendant nommé par la Cour.
Nous ne croyons pas que cet officier soit à l’abri de toute influence, l’expérience canadienne
relativement aux contrôleurs de la
Loi sur les arrangements en attestant. Voir, sur ce point,
Janis P. SARRA, « Governance and Control: The Role of Debtor-in-Possession Financing under
the CCAA », dans Annual Review of Insolvency Law, 2004, Toronto, Carswell, 2005, 119, 133-
135.

Page 121
95
instituées. De plus, l’on identifie les juridictions et les juges qui seront les plus
accommodants pour entériner de
tels plans avant d’instituer
les procédures
appropriées 210. Il se serait donc développé un « marché du redressement » aux États-
Unis, rendu possible par les tribunaux, friands des causes importantes et médiatiques. Le
crédit garanti ne s’en porterait pas plus mal, car ce jeu force les créanciers garantis à y
participer pleinement et à poser les gestes requis pour préserver leurs intérêts; le droit
n’étant pas complètement dénué de sa pertinence dans ce processus négocié, car ce sont
ses assises qui permettraient d’équilibrer les forces en présence et d’en arriver à un
arrangement négocié 211, dont le fait qu’un créancier détienne une sûreté valide et
210
J.J. WHITE, loc. cit., supra note 194, p. 148, 163, 170, 175-180, 183-184. Cette thèse est
corroborée par Lynn M. LoPucki dans son essai très critique à l’endroit des juges américains
d’insolvabilité, qu’il accuse de corruption, à tout le moins morale et intellectuelle. Voir: Lynn
M. LoPUCKI,
Courting Failure: How Competition for Big Cases is Corrupting the Bankruptcy
Courts
, Ann Arbour, University of Michigan Press, 2005. À cet égard, il est intéressant de lire la
recension qui en est faite par l’ancien juge canadien de la
commercial list de Toronto,
James FARLEY, « Review Essays and Book Reviews.
Courting Failure : How Competition for
Big Cases is Corrupting the Bankruptcy Courts
, by Lynn M. LoPucki (Ann Arbor, U. Michigan
Press, 2005, 322 pages, US $ 27.95 », (2006) 44
Can. Bus. L.J. 306. Les critiques de
L.M. LoPucki lui semblent excessives, surtout dans le choix des mots. Parler de la « corruption »
des juges qui tenteraient de moduler leurs jugements pour s’attirer les causes intéressantes serait
un peu trop fort et irrespectueux du processus judiciaire. Cela étant, « Courting failure
was
obviously written for a wider audience than the legal and insolvency practitioner communities;
given what LoPucki sees as the political roadblock to reform, the attention-grabbing approach is
not unexpected and perhaps necessary. Professor LoPucki has provided us with a very interesting
work – stimulating, indeed prickly, but one that posits a situation that demands careful reflection
and analysis of the existing regime. I look forward to seeing how it all turns out
». Venant d’un
ancien magistrat qui fut lui-même à la source d’un forum shopping au Canada durant son règne qui
influença profondément et durablement la pratique canadienne en matière de redressement, le
commentaire ne manque pas de piquant.
211
J.J. WHITE, loc. cit., supra note 194, p. 188-189, 192 [réferences omises]:
[…] what I describe in this paper is the rise of a private market for the
reorganization and sale of public companies. I believe that the major
effect of the Code on public companies’ bankruptcy is its facilitation of
that market. The participants in this market are the Bankruptcy Courts,
the DIP, the professional DIP lenders, traders in bankruptcy debt, lawyers
and investment bankers that specialize in bankruptcy, and bankruptcy
managers (CRO’s and others). The firm’s assets and its non-management
employees, are like hogs at auction, what is bargained over. […]
The judges want big cases and the DIP’s and DIP lenders want certainty,
favourable law, and, most of all, laissez faire. […]



Page 122
96
opposable 212. Cette thèse fait l’objet de critiques, car elle simplifierait à outrance une
réalité beaucoup plus complexe 213.
En conclusion, aux États-Unis, la loi a favorisé l’évolution de pratiques commerciales et
jurisprudentielles, dont celle du financement postérieur à l’ouverture de la procédure.
Qu’en est-il au Canada ?
b)
financement postérieur à l’ouverture de
la procédure au Canada
Au Canada, le mouvement procéda à l’inverse mais fut influencé par les pratiques
américaines. En effet, nous avons assisté en ce domaine au développement d’une
pratique commerciale, avalisée par les tribunaux et consacrée, en 2009, par le législateur.
Jusqu’alors, à l’inverse du droit américain, la loi canadienne ne traitait pas du
financement postérieur, prioritaire ou non, que ce soit dans la Loi sur la faillite et
But make no mistake, these plans are not crammed down, they will have
the agreement of every class. The parties will have chosen a venue where
an outlier is unlikely to get his wish from the court and where the
outcome negotiated in the private market and reflecting the economic
power of the parties will control. The Code has made this market
possible.
212
213
Voir: S.L. HARRIS et C.W. MOONEY, Jr., loc. cit., supra note 173; Steven Lawrence
R. AHERN, III, « “Workouts” Under Revised Article 9: A Review of Changes and Proposal for
Study », (2001) 9 ABI Law Review 115; Jay Lawrence WESTBROOK, « Bankruptcy Control of
the Recovery Process », (2004) 12
ABI Law Review 245; de façon plus extrême, voir:
G.R. WARNER,
loc. cit., supra note 176, p. 4: « The question examined in this piece […] is
whether the changes incorporated in Article 9 revisions are contrary to bankruptcy law and
policy. It is the thesis of this article that they are)
», parce qu’ils favoriseraient trop le crédit
garanti au détriment des objectifs de redistribution d’une loi sur l’insolvabilité.
Voir : Karen GROSS, « A Response to J.J. White’s Death and Resurrection of Secured Credit :
Finding Some Trees But Missing The Forrest », (2004) 12
ABI Law Review 205. Cette auteure
n’est pas complètement en désaccord avec cette approche mais y apporte des nuances. Pour un
autre auteur, la thèse d’une présumée mort du crédit garanti, suivie de sa résurrection, serait
fausse. « But of course secured credit did not die. It was never admitted to the hospital. Lenders
continued to lend, and no one has yet showed that the Code alone caused their profits to
disappear, or even lessen
». Voir: B.A. MARKELL, loc. cit., supra note 208, p. 196. Au
demeurant, cette culture du sauvetage s’est internationalisée, le modèle américain ayant inspiré
bien des réformes à l’international.


Page 123
97
l’insolvabilité ou dans la Loi sur les arrangements. Néanmoins, les tribunaux, dans les
provinces de common law puis, au Québec, se sont investis, en vertu de leur compétence
inhérente, du pouvoir d’autoriser un tel financement et de l’assortir d’une sûreté sui
generis [i]. Il est intéressant de brièvement retracer cette évolution qui s’est faite jour, en
dépit d’une interprétation doctrinale voyant dans cette compétence inhérente un pouvoir
plus limité 214. En effet, cet exercice permet de constater que l’harmonisation du droit
prend divers chemins, dont celui des tribunaux et des praticiens, influencés par une
certaine forme de droit comparé pour intégrer au droit canadien des concepts qui lui sont
étrangers, reflétant une pratique transfrontalière de l’insolvabilité qui s’intensifie au fur et
à mesure que les liens économiques du libre-échange le dictent 215. Voilà donc
214
Interprétation restrictive qui fut pratiquement ignorée par les tribunaux et par une doctrine plus
libérale. Voir, dans les provinces de
common law : David B. LIGHT, « Involuntary Subordination
of Security Interests to Charges for DIP Financing under the Companies’ Creditors Arrangement
Act », 30 C.B.R. (4th) 245;
H. Alexander ZIMMERMAN, « Financing the Debtor in
Possession », Tenth Annual Meeting and Conference, Scottsdale, Arizona, Novembre 1999 [non
publié]; Andrew KENT, « Comment on Professor Yamauchi’s Paper », (2004) 40
Can. Bus. L. J.
295.
Contra : Janis SARRA, « Debtor in Possession Financing : The Jurisdiction of Canadian
Courts to Grant Super-Priority Financing in CCAA Applications », (2000) 23
Dalhousie L.J. 337;
Keith YAMAUCHI, « The Court’s Inherent Jurisdiction and the CCAA : a beneficient or bad
doctrine ? », (2004) 40
Can. Bus. L. J. 250; Janis SARRA, « Judicial Exercise of Inherent
Jurisdiction under the CCAA », (2004) 40
Can. Bus. L. J. 280; J.P. SARRA, loc. cit., supra note
209. Au Québec, voir : Antoine LEDUC, « Les limites de la “juridiction inhérente” du tribunal et
le cas du financement débiteur-exploitant («
DIP Financing ») en droit civil québécois », (2005)
39
R.J.T. 551 [« Limites »]; Antoine LEDUC, « Grands pas et faux pas de la compétence
inhérente du tribunal en droit canadien de l’insolvabilité : qui fait la loi ?», (2009) 111 R. du N.
425 [« Grands pas et faux pas »]; Pierre LEPAGE et Jean LEGAULT, « La validité des sûretés
créées par le tribunal sous le régime de la
Loi sur les arrangements avec les créanciers des
compagnies
», Cinquième conférence annuelle sur les sûretés, Insight Information Co., Montréal,
14 et 15 septembre 2005 [non publié].
Contra : Alain N. TARDIF, « « Keeping the lights on » :
Une approche pragmatique à la loi », Conférence-débat sur la portée de la compétence inhérente
du
tribunal, Association du Barreau Canadien, division Québec, Section « Faillite et
insolvabilité », Montréal, 15 février 2006 [non publié] ; Sandra ABITAN, « Super-priority
Lending under the Companies’ Creditors Arrangement Act », Troisième conférence annuelle sur
les sûretés, Insight Information Co., Montréal, 22 et 23 septembre 2003 [non publié]. Voir aussi :
Patrice BENOIT, « Le
insolvables », dans
Association de
planification fiscale et financière, Congrès 2003, 21 :1, p. 21 :20-21 :22.
financement des entreprises
215
Sur l’influence des pratiques américaines, voir : Jeffrey B. GOLLOB, « Distressed Debt Lenders
and their Impact on Restructurings and Workouts in Canada », Annual Review of Insolvency Law,
2004
, Toronto, Carswell, 2005, 173; J.P. SARRA, loc. cit., supra note 209, p. 160-168.

Page 124
98
l’illustration d’une autre ramification de l’harmonisation du droit. Aux termes d’une
réforme législative entrée en vigueur le 18 septembre 2009, le législateur canadien
confirma cette évolution prétorienne [ii].
i)
évolution prétorienne
Initialement, sous l’empire de la Loi sur les arrangements, les tribunaux des provinces de
common law ont invoqué leur « inherent jurisdiction » ou « equitable jurisdiction » pour
autoriser des financements postérieurs assortis de charges prioritaires, au motif qu’il y
avait un « vide législatif » à combler 216. En effet, l’intention du législateur, en édictant la
Loi sur les arrangements, consiste à assurer la mise en œuvre de tous les moyens
nécessaires au redressement des entreprises en difficulté. Puisque la technique du « DIP
Financing » existait aux États-Unis, on argua que le législateur canadien avait sûrement
fait un oubli dans sa législation en ne mettant pas ce moyen à la disposition des
entreprises d’ici. C’est ainsi que fut rendu possible l’obtention, par le débiteur ou par le
contrôleur, d’un financement postérieur à l’ouverture des procédures, assorti d’une
charge prioritaire, et ce, même dans les cas où les créanciers garantis antérieurs s’y
objectaient, lorsque la « prépondérance des inconvénients » ne jouait pas en leur
défaveur.
La jurisprudence a graduellement établi les critères (aléatoires) 217 devant guider les
tribunaux dans l’octroi de financements postérieurs 218. Ils ne suivirent pas ceux établis
216
217
Pour un exposé détaillé de ces questions, voir : A. LEDUC, Limites, supra note 214.
J.P. SARRA, loc. cit., supra note 209, p. 144-145: « This speaks to the necessity of the court
balancing the prejudice to creditors and the challenge of doing so where the upside potential
benefit of the DIP is not clear and cannot be adequately weighed against the costs that are a likely
outcome of the process. Hence, the notion of DIP financing to “keep the lights on” has intuitive
appeal as a standard by which the court can assess the quantum of the DIP facility requirement
»
[notre soulignement – référence omise].

Page 125
99
par le Bankruptcy Code américain (i.e. « adequate protection »), ni davantage ceux
développés en matière de charges prioritaires octroyées en faveur d’un séquestre (i.e.
« receiver ») qui, eux, font preuve d’une déférence plus méthodique aux droits des
créanciers garantis 219. Bien que l’on s’autorisât à s’inspirer de cette législation étrangère
pour repérer des « vides législatifs » dans la législation canadienne, l’articulation des
principes en assurant la mise en œuvre devait obéir à d’autres considérations, propres aux
« réalités canadiennes ». De façon générale, il était considéré plus facile d’obtenir un
financement intérimaire prioritaire au Canada qu’aux États-Unis, ce qui a fait dire à
certains que la Loi sur les arrangements était l’équivalent du Chapitre 11 du Bankruptcy
Code américain, mais sans règles précises 220.
Les tribunaux du Québec, invoquant également leur compétence inhérente 221, ont
rapidement emboîté le pas aux tribunaux des provinces voisines, pour ne pas être en reste
de dossiers de redressements intéressants et éviter leur exode dans des juridictions plus
conciliantes. À titre d’exemple, la restructuration de la compagnie aérienne Air
218
219
220
221
Voir: Lloyd W. HOULDEN, Geoffrey B. MORAWETZ et Janis P. SARRA, The 2009 Annotated
Bankruptcy and Insolvency Act
, Toronto, Thomson / Carswell, 2008, N§16 (18) et N§16 (19), p.
1145-1148, en particulier à la p. 1147: « […]
There are five principles currently operating in the
court’s consideration of DIP financing applications : adequate notice of DIP financing and
priming requests, sufficient disclosure, timeliness of request, balancing of the prejudice to
creditors and other stakeholders, and the principle of granting priority as an extraordinary
remedy
».
Kowal Investments Ltd. c. Deeder Electric Ltd., (1975) 9 O.R. (2d) 84 (C.A.); (1975) 21 C.B.R.
(N.S.) 201 (Ont. C.A.), pp. 207-209, tel que cité par D.B. LIGHT,
loc. cit., supra note 214, p. 254.
H.A. ZIMMERMAN, loc. cit., supra note 214 : « […] many Canadian and U.S. counsel have
come to refer to the CCAA as the Canadian equivalent of Chapter 11 United States Bankruptcy
Code proceeding, but with no “rule book” or detailed statutory provisions
».
Compétence néanmoins limitée, bien que les tribunaux d’instances inférieures ignorent les
enseignements de la Cour suprême du Canada à cet égard. Voir :
Lac d’Amiante du Québec ltée c.
2858-0702 Québec inc., [2001] 2 R.C.S. 743, nos 35-40, 78. Voir cependant : Shermag
(Arrangement relatif à),
2009 QCCS 537.


Page 126
100
Canada 222, dont le siège social était pourtant à Montréal, se joua néanmoins à Toronto,
provoquant l’ire de la communauté juridique d’affaires montréalaise. La Cour supérieure
de Montréal, à la demande du Barreau de Montréal, créa une chambre commerciale, en
2001, composée de juges entendant quasi exclusivement des causes de redressement
commercial. Dans la même foulée, le Barreau de Montréal a développé, de concert avec
les juges de cette chambre commerciale, un modèle d’ordonnance initiale relative aux
procédures intentées sous l’empire de la Loi sur les arrangements 223, que les avocats
doivent utiliser en indiquant, le cas échéant, les différences entre l’ordonnance modèle et
celle qui est présentée devant le juge 224. D’autres modèles d’ordonnances types ont vu le
222
223
224
Air Canada, Re (2003), 2003 CarswellOnt 1220 (Ont. S.C.J. [Commercial List]), j. Farley. Le
plus important financement prioritaire de l’histoire canadienne y fut accordé : 700 millions $ US.
Les rumeurs qui circulent dans la communauté juridique montréalaise pour expliquer le fait que
cette restructuration se soit déroulée à Toronto sont nombreuses. D’une part, la débitrice et son
prêteur intérimaire voulaient s’assurer que le juge soit favorable à leur demande d’ordonnance
initiale, surtout pour l’octroi d’un financement intérimaire garanti. Le juge Farley le fut et permis
même que soient garanties des sommes dépensées avant l’ouverture de la procédure. D’autre part,
on craignait les effets possibles de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans
Syndicat national de
l’amiante d’Asbestos inc.
c. Mine Jeffrey inc., [2003] R.J.Q. 420 (C.A.), nos 44-46, p. 52-53, en
vertu duquel l’on a jugé que le pouvoir du contrôleur, avec ou sans l’autorisation du tribunal, de
mettre fin à un contrat s’applique difficilement à une convention collective en raison du cadre
législatif qui en fait un instrument particulier dépassant le simple contrat bilatéral. Le juge Farley
ne s’est pas prononcé sur cette question, invitant les parties à négocier. Le syndicat lui avait
toutefois fait parvenir une traduction anglaise de l’arrêt de la Cour d’appel, qui ne fit pas l’objet
d’une interprétation contradictoire.
Yves LAVERTU, « Un problème de perception », Le Journal du Barreau [Montréal] (1er
novembre 2004) 3 : «
Le bâtonnier de Montréal, Bernard Synnott, estime que ce projet [de modèle
d’ordonnance initiale] constitue une réponse efficace au problème […] de la concurrence faite à
la Chambre commerciale de Montréal par les tribunaux de Toronto. Le bâtonnier a d’ailleurs fait
de cette question l’une des priorités de son mandat. […] Quant au « magasinage de
juridictions », dit-il, il doit cesser : trop de grandes entreprises canadiennes dont le siège social
est à Montréal se rendent en Ontario pour y déposer leurs procédures de C-36. Il n’y a pas
qu’Air Canada. Le phénomène est courant, déclare-t-il, et il dure depuis plusieurs années. Au
bout du compte, cela nuit aux possibilités de travail des avocats montréalais. […]
». Voir aussi :
Yves LAVERTU, « Chambre commerciale : modèle d’ordonnance »,
Le Journal du Barreau
[Montréal]
(1er novembre 2004) 3 ; Bernard SYNNOTT, « Propos du Bâtonnier de Montréal : Des
sujets chauds pour l’année à venir », Le Journal du Barreau [de Montréal] (1er août 2004).
sur
de Montréal,
Disponible
http://www.barreaudemontreal.qc.ca/loads/frm-OrdonnanceInitiale.doc (consulté
2010). Ce document est également disponible en anglais.
site Web
Barreau
du
le
en
le 6
ligne :
janvier

Page 127
101
jour par la suite 225. De façon générale, de tels modèles d’ordonnances types ont été
développés dans la plupart des provinces canadiennes, de concert entre les barreaux
locaux et les juges de la Cour supérieure 226. Les objectifs de ces outils sont nombreux.
D’abord, ils consistent à assister les juges dans le traitement de causes de plus en plus
complexes, qui exigent une spécialisation certaine et des interventions rapides.
Également, ils visent à uniformiser la pratique en matière de redressement. Œuvres de
prévision, les parties sont davantage en mesure de savoir ce qui sera accepté ou non. On
permet une spécialisation des juges et des praticiens; on évite aussi que des avocats non
initiés au domaine ne viennent chambarder les façons de faire. Enfin, on combat le forum
shopping car ces outils tendent à démontrer, malgré quelques différences, une vision
partagée des procédures de redressement d’un océan à l’autre, c’est-à-dire une grande
flexibilité judiciaire.
225
226
en
Il existe deux autres ordonnances modèles dont le Barreau de Montréal assure la diffusion, d’une
part une ordonnance complémentaire à l’ordonnance initiale modèle relative au financement
http://www.barreaudemontreal.qc.ca/loads/frm_FinancementDIP.doc
postérieur,
(consulté le 6 janvier 2010) ; d’autre part, une ordonnance concernant le processus de mise en
preuve des réclamations et les procédures d’assemblées de créanciers aux termes de la LACC, en
http://www.barreaudemontreal.qc.ca/loads/frm-ProcedureReclamationsAssemblées.doc
ligne :
(consulté le 6 janvier 2010).
ligne:
Voir : Janis SARRA, RESCUE ! The Companies’ Creditors Arrangement Act, Toronto, Thomson
Carswell, 2007, p. 46.

Page 128
102
Nous pouvons sérieusement critiquer ces développements jurisprudentiels et pratiques 227.
Notons cependant, pour nos fins, qu’ils illustrent au moins deux phénomènes. D’une
part, les tribunaux, sous le couvert de leur compétence inhérente, se donnent la latitude de
rendre toute décision qu’ils estiment opportune en fonction des circonstances de l’affaire
devant eux 228. Bien que quelques arrêts aient tenté d’apporter des balises à l’exercice de
227
228
Voir : A. LEDUC, Grands pas et faux pas, supra note 214, p. 443, 447-448 : « En effet, ce
processus soulève d’épineuses questions. Qu’en est-il de l’indépendance de la magistrature ? De
son impartialité ? Une partie peut-elle présumer que la cause est déjà entendue, sur les éléments
qui font l’objet d’une ordonnance modèle ?
Quid, aussi, de la constitutionnalité de ce processus ?
[…] Au-delà des avantages pratiques indéniables associés à la standardisation d’une telle
procédure, on peut se demander si un glissement de la réforme législative n’est pas en train de
s’opérer au profit de ces réformes ad hoc ponctuelles et de l’usage trop libéral de la compétence
inhérente des tribunaux. Ces processus de réformes informels, certes menés par des juristes
compétents, agissant de bonne foi et désireux de mieux servir les intérêts de la justice et, partant,
des justiciables, représentent-ils toute la mosaïque des intérêts divergents ? Présentent-ils tout le
caractère d’imputabilité, de représentativité et de légitimité que l’on associe habituellement au
processus législatif ? N’ont-ils qu’un effet au strict plan procédural, ou ne contribuent-ils pas à
modifier ou influencer le droit, parfois profondément, sur le fond ? Fond et forme, droit
procédural et droit substantif, sont-ils vraiment dissociables et peuvent-ils l’être ? Nous
demeurons convaincus que le processus législatif est nécessaire à l’accomplissement de la
réforme du droit, afin de préserver l’imputabilité, la représentativité et la légitimité nécessaires au
maintien de l’intégrité du système juridique face à l’ensemble des justiciables et le maintien de
l’État de droit
». Voir également : Annick DESJARDINS, « Réflexions critiques sur l’arrimage
entre le droit du travail et la pratique en regard de la Loi sur les arrangements avec les créanciers
des compagnies », Conférence portant sur les développements législatifs et jurisprudentiels en
matière de protection des salariés dans le cadre des restructurations : la perspective de l’employeur
et des salariés, Association du Barreau Canadien, division Québec, Section « Faillite et
insolvabilité », Montréal, 23 septembre 2009 [non publié]. Néanmoins, le juge coordonnateur de
la chambre commerciale de la Cour supérieure de Montréal «
désire compléter la mise à jour des
directives de la Chambre commerciale pour 2010, de même que les ordonnances types pour les
affaires touchant la L.A.C.C. Certaines provinces sont déjà fort avancées dans cet exercice. Une
certaine coordination des efforts des Barreaux des différentes provinces serait souhaitable à ce
niveau. […] Pour conclure, [le juge Clément Gascon] a invité les avocats en droit des affaires à
prendre leur place, à écrire plus de doctrine et à être plus présents dans les événements et les
conférences à l’extérieur du Québec, afin qu’ils participent à l’évolution de ce droit et à la
crédibilité du Québec en ce domaine
». Voir : Chantal PERREAULT, « Déjeuner-causerie avec
l’honorable Clément Gascon », (2010) 15-2
Point de mire 5, 7. Enfin, un phénomène similaire
existe aux États-Unis, qui est aussi l’objet de vives critiques. Voir : L.M. LoPUCKI,
op. cit.,
supra note 210, p. 17-18, 22-24.
Car le droit du redressement tel qu’il s’est développé au Canada par la pratique judiciaire va
beaucoup plus loin que la simple question de l’autorisation de financement postérieur assorti d’une
charge prioritaire
sui generis. D’une part, ce financement fut autorisé non seulement pour
permettre à l’entreprise de continuer ses opérations durant la période intérimaire ou payer les frais
et honoraires du professionnel de l’insolvabilité, mais aussi dans une foule d’autres circonstances,
notamment : charge prioritaire en faveur de fournisseurs de marchandises pour les biens vendus
après le dépôt d’une ordonnance initiale; charge prioritaire consentie pour un financement octroyé
avant l’ordonnance initiale ; charge prioritaire consentie pour permettre la continuation de travaux

Page 129
103
cette compétence inhérente 229, force est de constater qu’elles ne sont pas suivies de
manière cohérente ou constante par ceux qui les énoncent 230. D’autre part, le second
phénomène, découlant du précédent, sans doute le plus important, a trait au processus de
réforme et d’uniformisation du droit des procédures de redressement qui, maintenant, est
229
230
de construction ; charge prioritaire consentie pour prémunir les administrateurs et dirigeants de
toute condamnation potentielle en responsabilité ; financement visant à assurer le maintien de la
couverture d’assurance durant la période de restructuration, que ce soit l’assurance responsabilité
des administrateurs que l’assurance aux biens, ainsi que pour financer les frais de conservation des
biens. Voir : S. ABITAN,
loc. cit., supra note 214, p. 6; P. BENOIT, loc. cit., supra note 214,
p. 21 :1, 21 :20-21 :22. Un financement prioritaire fut même autorisé dans le cadre d’un avis
d’intention de faire une proposition concordataire sous l’empire de la
Loi sur la faillite et
l’insolvabilité
afin de permettre au débiteur de continuer un litige contre son principal créancier
garanti. Voir :
Re Bearcat Exploration Ltd. (27 mai 2004), 2004 CarswellAlta 1183 (Alta Q.B.).
D’autre part, les tribunaux autorisent la résiliation des contrats, la vente d’éléments d’actif dans le
contexte du redressement avec purge de droits réels, la libération de tiers solvables qui ne sont pas
créanciers du débiteur, la libération d’une caution, etc. Voir : A. LEDUC,
Grands pas et faux pas,
supra note 214, p. 437-440.
Voir : Stelco Inc. (Re) (31 mars 2005, M32289), [2005] O.J. No. 1171 (Ont. C.A.) [« Stelco
Inc.
»]. Les décisions dans les affaires suivantes proposent également une interprétation plus
restrictive de la compétence inhérente, en établissant une distinction entre celle-ci et la discrétion
judiciaire :
Richtree Inc. (Re) (26 janvier 2005, 04-CL-5584), [2005] O.J. No. 251 (Ont. S.C.J.) ;
Skeena Cellulose Inc., Re, (2003) 43 C.B.R. (4th) 187; Shermag (Arrangement relatif à), 2009
QCCS 537. La compétence inhérente a trait au pouvoir strictement procédural du tribunal visant à
préserver le
statu quo de la situation de l’entreprise durant la période de redressement. La
discrétion judiciaire est possible si, au terme d’une interprétation des principes juridiques
applicables à une situation donnée, qui se trouvent dans tout le
corpus législatif et jurisprudentiel
(ne se limitant pas qu’aux seules dispositions de la
Loi sur les arrangements), le tribunal en vient à
la conclusion recherchée par les parties. Cette approche n’est que l’énonciation de principes
d’interprétation législative de base et visent à aller au-delà de l’idée reçue d’un « vide législatif »
en cas de silence d’une loi particulière, en l’occurrence la
Loi sur les arrangements.
Le tribunal peut-il avaliser un plan d’arrangement qui prévoit la libération de tiers solvables qui ne
sont pas créanciers du débiteur ? La libération d’une caution de la débitrice proposante à l’égard
des créanciers ? Les tribunaux ontariens et québécois répondent désormais par l’affirmative à ces
questions. On peut alors s’interroger sur la finalité et l’utilité d’une caution, qui ne prend
habituellement pas fin de cette manière. Voir :
Metcalfe & Mansfield Alternative Investments II
Corp., (Re)
, (2008) 296 D.L.R. (4th) 135, [2008] O.J. No. 3164 (QL) (C.A.), 2008 ONCA 587
(CanLII), j. Blair, permission d’appeler refusée par la Cour suprême du Canada, [2008] S.C.C.A.
No. 337 (QL), décision rendue dans le cadre du plan d’arrangement déposé dans le contexte de la
crise des papiers commerciaux adossés à des actifs (PCAA). Il est intéressant de voir à quel point
le juge Blair, qui fut pourtant l’auteur de l’arrêt
Stelco Inc., supra note 229, relègue aux oubliettes
les principes qu’il y énonçait pour revenir à l’approche large et libérale de l’interprétation de la
LACC sur cette question, ne recourant pas à la compétence inhérente ou à la discrétion judiciaire,
mais bien, dans ce cas, à l’intention du législateur. Pour un commentaire critique, lire :
Geoff R. HALL, « Commentaries. Asset Backed Commercial Paper and the “Intention of
Parliament” in the Ontario Court of Appeal », (2008) 47
Can. Bus. L. J. 54. Cette décision fut
suivie au Québec. Voir : Charles-Auguste Fortier inc. (Arrangement relatif à), 2008 QCCS 5388,
j. Parent.
Contra : Michaud c. Steinberg inc., [1993] R.J.Q. 1684 (C.A.).

Page 130
104
passé des mains du législateur à celles des juges et praticiens de l’insolvabilité. Le
législateur aurait trop tardé à s’acquitter de sa tâche au goût de la pratique, car la réforme
législative s’est fait attendre longtemps. Bien que la révision de la Loi sur la faillite et
l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements doive avoir lieu aux cinq ans 231, plus de
douze années se sont écoulées 232 entre la réforme de 1997 et celle qui a culminé en
2009 233, dont les innovations législatives consacrent la pratique et la jurisprudence
établies.
231
232
Avant les modifications entrées en vigueur le 18 septembre 2009 : LFI, art. 216 ; LACC, art. 22 ;
depuis le 18 septembre 2009 : LFI, art. 285; LACC, art. 63.
en
10
mars
2009,
mardi,
Toronto],
Pour un historique des chassés-croisés entourant la législation en matière d’insolvabilité et sa
réforme, lire les commentaires très critiques de Jacob S. ZIEGEL, « The Travails of Bill C-55 »,
(2005) 42
Can. Bus. L. J. 440 [« Travails »] ; J. ZIEGEL, loc. cit., supra note 178; Jacob ZIEGEL,
« Canada bankruptcy law is out of date. Change has been too long in coming »,
Financial Post
ligne :
[de
http://www.financialpost.com/story.html?id=1371584 (consulté le 14 janvier 2010). Dans ces
articles, le professeur Ziegel déplore la lenteur et le manque de transparence du processus ayant
entouré le plus récent volet de la réforme. Absence de consultations publiques, processus noyauté
par divers groupes d’influences, absence de notes explicatives relativement au projet de loi, telles
en sont les déficiences. Pour y pallier, le professeur Ziegel a suggéré la mise sur pied d’un institut
permanent de réforme de l’insolvabilité, composé de juristes, sociologues et économistes, chargés
de l’évaluation continue de la législation et de la formulation de recommandations pour les
réformes, qui serait appuyé sur des données sérieuses. Une telle suggestion a été reprise par
Jacob ZIEGEL,
Stephanie BEN-ISHAI,
Tamara BUCKWOLD, Ronald C.C. CUMING et Vaughan BLACK,
Submissions on Bill C-55,
2005 : The Wage Earner Protection Program Act, and Amendments to the Bankruptcy and
Insolvency Act and the Companies’ Creditors Arrangement Act, presented to the Committee on
Industry, Natural Resources, Science and Technology, 9 novembre 2005, p. 18-19, [non publié],
document disponible en version électronique en communiquant avec l’un ou l’autre des auteurs
Submissions on Bill C-55 »] ; A. LEDUC, Grands pas et faux pas, supra note 214, p. 452-454.
Voir enfin, au sujet de la réforme, Stephanie BEN-ISHAI et Anthony DUGGAN, dir.,
Canadian
Bankruptcy and Insolvency Law : Bill C-55, Statute c. 47 and Beyond
, Toronto, Lexis Nexis,
2007 ; Philippe BÉLANGER et Sylvain RIGAUD,
La réforme de la législation en matière
d’insolvabilité : nouveautés et codification de pratiques existantes
, Cowansville (Qc.), Éditions
Yvon Blais, 2009.
Anthony L. DUGGAN,
Roderick J. WOOD,
233
Loi édictant la Loi sur le Programme de protection des salariés et modifiant la Loi sur la faillite et
l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et d’autres lois en
conséquence
, projet de loi no C-55 (sanctionnée le 25 novembre 2005), 1ère session, 38e légis.
(Can.), L.C. 2005, c. 47, entrée en vigueur le 7 juillet 2008 pour les articles 1, 43, 55, 57, 60 à 62,
67, 88 et 107 (décret), TR/2008-0078 (Gaz. Can. II.), puis le 18 septembre 2009 pour les articles 2
à 42, 44 à 54, 56, 58, 59, 63 à 66, 68 à 87, 89 à 105, 108 à 131 et 136 à 139 (décret), TR/2009-
0068 (Gaz. Can. II.) [la « Loi sur le Programme de protection des salariés »]; Loi modifiant la loi
sur la faillite et l’insolvabilité, la loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la

Page 131
105
ii)
consécration législative
Le financement postérieur à l’ouverture de la procédure est maintenant autorisé tant en
vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité 234 que de la Loi sur les arrangements 235. Il
requiert l’envoi d’un préavis aux autres créanciers avant que le tribunal ne statue sur une
demande faite en ce sens. L’ensemble des biens d’un débiteur peuvent être affectés 236;
est « débiteur » tant une entreprise qu’une personne physique qui en exploite une 237.
Une liste non exhaustive des critères à être utilisés par le tribunal est établie 238. Le
tribunal doit tenir compte de la durée anticipée des procédures, de la gestion des affaires
financières en l’instance, de la confiance des créanciers dans les dirigeants; le prêt doit
favoriser la présentation d’une proposition viable 239. Le juge prend en considération la
loi sur le programme de protection des salariés et le chapitre 47 des lois du Canada (2005), projet
de loi n
o C-12 (sanctionnée le 14 décembre 2007), 2e session, 39e légis. (Can.), L.C. 2007, c. 36,
entrée en vigueur le 7 juillet 2008 pour les paragraphes 1 (5) à (7) (décret), TR/2008-0078
(Gaz. Can. II.), puis le 18 septembre 2009 pour le paragraphe 1 (1), les articles 3 et 6, le
paragraphe 9 (3), les articles 12 et 13, les paragraphes 14 (2) et (3), 15 (2) et (3), 16 (2) et (3) et
17 (2), les articles 19 à 22, 34, 35, 37, 42, 44, 46 à 48 et 50, le paragraphe 51 (1), les articles 55 à
57, le paragraphe 58 (2) et de l’article 67 (décret), TR/2009-0068 (Gaz. Can. II.). Pour le résumé
législatif de cette dernière loi, voir : Marcia JONES,
Résumé législatif LS-584F. Projet de loi C-12
(…), Division du droit et du gouvernement, Service d’information et de recherche parlementaires,
ligne :
Bibliothèque
http://www2.parl.gc.ca/Sites/LOP/LEGISINFO/index.asp?Language=F&query=5298&Session=15
&List=ls (consulté le 14 janvier 2010).
Voir enfin : E. Patrick SHEA, « Coming into force of the
WEPPA and certain of the amendments to the BIA », (2008) 25-4 National Insolvency Review 50;
Stephanie BEN-ISHAI,
Bankruptcy Reforms, Toronto, Thomson Carswell, 2008.
Parlement,
décembre
2007,
du
14
en
234
235
236
237
238
239
LFI, art. 50.6.
LACC, art. 11.2.
LFI, par.50.6 (1) ; LACC, par. 11.2 (1).
LFI, par.50.6 (2).
LFI, par.50.6 (5) ; LACC, par. 11.2 (4).
Ce critère en a remplacé un plus restrictif qui était initialement prévu au projet de loi C-55, aux
termes duquel on devait mettre en preuve que le prêt allait accroître les chances de survie de
l’entreprise en cas d’acceptation de la proposition.
Des commentateurs favorables à
l’assouplissement de ce critère s’expriment comme suit : «
À notre avis, cette modification est
heureuse et vient confirmer que les dispositions relatives au financement temporaire constituent
en fait une codification de la jurisprudence canadienne existante en cette matière. En somme,
nous ne croyons pas que cette codification entraîne des changements majeurs quant aux motifs

Page 132
106
nature et la valeur des biens du débiteur qui pourront être affectés d’une charge prioritaire
et du préjudice sérieux qu’en subiront les autres créanciers. Le rapport du syndic ou du
contrôleur sur l’état de l’évolution de l’encaisse devra corroborer le tout. La sûreté ne
garantira que les obligations postérieures au dépôt des procédures 240; la portée de cette
sûreté est déterminée par le tribunal 241. Enfin, les modalités de publicité et d’exercice de
cette sûreté ne sont pas précisées dans ces lois 242.
Les commentateurs et la jurisprudence estiment qu’il s’agit là d’une codification des
pratiques antérieures 243. Ainsi, les tribunaux continueront à jouir d’une large discrétion.
Cependant, cette pratique est élargie tous azimuts. En effet, le financement postérieur
sera disponible non seulement en contexte de redressement commercial de grandes
entreprises sous l’empire de la Loi sur les arrangements, mais à toutes les entreprises
240
241
242
pour lesquels les tribunaux canadiens accordent ou non un financement temporaire. Les
tribunaux devront continuer de chercher un équilibre entre les besoins de liquidité de l’entreprise
insolvable alors qu’elle tente de se restructurer et le préjudice potentiel aux créanciers garantis
dont les sûretés et garanties seront affectées par la charge prioritaire
». Voir : P. BÉLANGER et
S. RIGAUD,
op. cit., supra note 232, p. 45.
Ce qui évitera que des obligations antérieures au dépôt de la procédure ne soient garanties comme
ce fut le cas dans l’arrangement d’Air Canada.
LFI, par.50.6 (1) ; LACC, par. 11.2 (1).
Ce qui démontre le caractère approximatif de cette réforme. Antérieurement, au Québec, la
jurisprudence assimilait les charges prioritaires créées aux termes de la LACC à des hypothèques
du Code civil et au respect de ses formalités d’exécution. Voir :
Industries aéronautiques
Symphony (Syndic de)
, J.E. 2007-1492, AZ-50439588, 2007 QCCS 3066 (C.S.), j. Barakett. Voir
aussi : P. BÉLANGER et S. RIGAUD,
op. cit., supra note 232, p. 48 : « La Réforme ne précise
pas s’il est nécessaire de publier de telles charges et ne prévoit pas non plus le régime de mise à
exécution de ces charges. Nous sommes d’avis que les ordonnances créant de telles charges
devraient continuer à prévoir, de manière à tout le moins sommaire, un régime de mise à
exécution prévoyant l’envoi d’un préavis au syndic (ou au contrôleur), de même qu’aux créanciers
garantis, le cas échéant, ou, encore, la nécessité d’obtenir l’autorisation du tribunal qui devrait
veiller, notamment à ce que les créanciers garantis intéressés soient avisés d’une telle demande
».
Cela fut confirmé à nouveau dans Dessert & Passion inc. (Proposition de), AZ-50579686 (C.S.),
2009 QCCS 4669, j. Chaput [«
Dessert & Passion »].
243
P. BÉLANGER et S. RIGAUD, op. cit., supra note 232, p. 45 ; Dessert & Passion inc.
(Proposition de)
, AZ-50579686 (C.S.), 2009 QCCS 4669, j. Chaput, no 34.

Page 133
107
ainsi qu’aux individus qui en exploitent une et qui tentent de faire une proposition à leurs
créanciers aux termes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.
Cela va à l’encontre des vœux exprimés par l’Association des banquiers canadiens, qui
aurait préféré que ce type de financement soit limité aux restructurations de grandes
entreprises sous l’empire de la Loi sur les arrangements, afin de ne pas augmenter les
coûts du crédit 244. En ce sens, il fut suggéré que le seuil d’admissibilité au régime de
cette loi, qui permet à toute entreprise ayant un endettement minimal de 5 millions de
dollars d’en bénéficier 245, soit révisé à la hausse, afin d’en réserver l’application aux
véritables grandes entreprises 246. Force est de constater que ces suggestions n’ont pas été
jugées recevables par le législateur.
C’est un tribunal du Québec qui rendit la première décision au Canada relativement à
l’octroi d’un financement temporaire sous l’article 50.6 LFI 247. L’affaire Dessert &
Passion met en scène une moyenne entreprise de fabrication de desserts comptant
environ 78 employés. Sa situation financière se détériore en raison d’un incendie de son
usine survenu en 2008 et de dépassements de coûts pour la construction de cette usine.
Son créancier principal, Banque nationale du Canada, mandate un expert-comptable au
printemps 2009 pour vérifier sur place l’information financière de la compagnie. À
l’automne 2009, sur la foi de l’analyse de l’expert-comptable, la banque rappelle ses prêts
244
245
246
247
Voir: CANADIAN BANKERS ASSOCIATION, Examination of the Administration and Operation of the
Bankruptcy and Insolvency Act and the Companies Creditors Arrangement Act
, submitted to the
Standing Senate Committee on Banking, Trade and Commerce, Juin 2003 [non publié], p. 5-6.
LACC, art. 3.
A. LEDUC, Limites, supra note 214, p. 592 ; J. ZIEGEL et al., Submissions on Bill C-55, supra
note 232, no 24, p. 17.
Dessert & Passion inc. (Proposition de), AZ-50579686 (C.S.), 2009 QCCS 4669, j. Chaput.

Page 134
108
et cesse d’avancer des fonds, convaincue qu’aucun redressement de la compagnie n’est
possible. La compagnie se place alors en avis d’intention de faire une proposition
concordataire à ses créanciers en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et
demande au tribunal de consentir à un financement postérieur prioritaire, ainsi qu’à
l’établissement d’une charge prioritaire en faveur des administrateurs et dirigeants de la
compagnie aux termes de l’article 64.1 LFI 248.
Le tribunal, malgré la contestation de la Banque, l’accueillit favorablement. D’une part,
même si le témoignage du représentant de la banque confirma qu’à son avis, la situation
financière de l’entreprise ne s’améliorera pas même avec un financement intérimaire 249,
qu’elle n’avait plus confiance en l’entreprise et qu’elle ne lui ferait plus d’avances, le
juge Chaput indiqua cependant « qu’il n’a pas dit que BNC ne fait plus confiance à M.
Vachon comme dirigeant et gestionnaire de D&P » 250. D’autre part, le juge Chaput nota
que « la prévisibilité d’une proposition viable paraît bien mince » 251, et que « l’on ne
peut exclure que la position de BNC [ne] se détériorera pas au cours des prochaines
semaines »; « si la charge pour le financement intérimaire est constituée, les sûretés de
248
249
250
Cette dernière demande sera refusée, la débitrice n’ayant démontré, aux termes du paragraphe 64.1
(3) LFI, qu’elle était dans l’impossibilité de souscrire à une assurance responsabilité, en plus du
fait qu’elle est administrée par un administrateur unique, qui en contrôle l’actionnariat. Voir :
Dessert & Passion inc. (Proposition de), AZ-50579686 (C.S.), 2009 QCCS 4669, j. Chaput,
n
os 85-90. L’objectif de l’article 64.1 LFI est d’assurer que les administrateurs demeurent en poste
durant la procédure de mise en place d’une proposition aux créanciers. Cet article ne vise pas le
cas d’un administrateur unique, qui est également l’actionnaire de contrôle, car autrement il
pourrait se soustraire à ses responsabilités statutaires. Voir :
Industries Show Canada inc.
(Arrangement relatif à)
, 2009 QCCS 5788, j. Mongeon.
Dessert & Passion inc. (Proposition de), AZ-50579686 (C.S.), 2009 QCCS 4669, j. Chaput, no 26.
Ibid., no 49. Avis aux créanciers : il faut spécifiquement dire, dans vos témoignages, que vous
n’avez plus confiance dans les dirigeants et administrateurs.
251
Ibid., no 60.

Page 135
109
BNC rétrograderont d’un rang. C’est un préjudice sérieux » 252. Néanmoins, le juge
conclut en affirmant que « [d]ans les circonstances, il paraît indiqué pour la survie de
l’entreprise et l’intérêt général des créanciers que le financement intérimaire soit
autorisé » 253. À la lecture de ce raisonnement, la conclusion du juge surprend. Il fut
probablement influencé par le fait que l’entreprise espérait se renflouer avec les
« importantes commandes en vue de la période des Fêtes » 254.
Des charges prioritaires totalisant 450 000 $ furent autorisées, alors que l’entreprise est à
ce moment-là endettée envers ses créanciers garantis pour une somme de 3 856 000 $ et
qu’elle l’est envers ses créanciers ordinaires pour une somme de 1 607 000 $ 255.
Appelées « sûretés ou hypothèques » par le juge, le dispositif du jugement laisse à la
discrétion du prêteur temporaire le loisir de les publier ou non aux registres
appropriés 256. Elles ne pourront toutefois être mises à exécution sans l’envoi de préavis
de défaut aux parties intéressées « conformément aux lois applicables » 257. Ces charges
sont de « rang supérieur à celui de tous autres hypothèques, gages, sûretés, priorités,
contrats de vente conditionnelle ou de location-acquisition, charges ou garantie de
quelque nature que ce soit […] grevant les biens de Dessert & Passion inc. » 258.
252
253
254
255
256
257
258
Ibid., no 69.
Ibid., no 72.
Ibid., no 12.
Ibid., nos 5-6.
Ibid., nos 101, 103.
De quelles lois s’agit-il ? On l’ignore, mais on présume que les dispositions du Code civil sont à
l’esprit du juge. Voir : Dessert & Passion inc. (Proposition de), AZ-50579686 (C.S.), 2009 QCCS
4669, j. Chaput, n
o 104.
Ibid., nos 107-108. Comment le juge peut-il créer une charge qui primera des contrats de
« location-acquisition » (un crédit-bail) ? Le crédit-bailleur ou le locateur à long terme demeurent

Page 136
110
Le marché du financement temporaire n’est pas encore une industrie aussi bien rodée au
Canada qu’elle ne l’est aux États-Unis. Les institutions financières traditionnelles ne s’y
sont pas encore vraiment intéressées. Il faudra voir comment il se développera et si l’on
assistera à une segmentation du crédit similaire à ce qui s’est produit aux États-Unis 259.
Enfin, il sera intéressant de mesurer, à plus long terme, quels en seront les effets sur le
crédit garanti, mais on peut d’ores et déjà affirmer que le droit canadien du redressement
semble avoir choisi une voie favorisant d’abord l’industrie de la restructuration et les
entreprises, plutôt que le marché du crédit garanti.
Voyons maintenant de quelle manière le financement postérieur à l’ouverture de la
procédure est envisagé dans les textes internationaux.
propriétaires des biens loués et cela fut reconnu par la jurisprudence. Voir, notamment : Lefebvre
(Syndic de) ; Tremblay (Syndic de)
, [2004] 3 R.C.S. 326; Transport international Pool inc. c. St-
Georges, Hébert inc.
, J.E. 2005-247 (C.A.) ; Transport Consol (1998) inc. (Syndic de), J.E. 2004-
1634 (C.S.) ;
Mines Jeffrey inc. (Arrangement relatif à), J.E. 2005-76 (C.S.). Pour les ventes à
tempérament conclues avant le 1
er juin 2001, voir Ouellet (Syndic de), [2004] 3 R.C.S. 348.
259
Voir, entre autres : J.P. SARRA, op. cit., supra note 209. Il est à se demander si une telle
segmentation est souhaitable. En effet, la cession de prêts, soit à l’avance dans un contexte de
titrisation de créances par les banques, soit lorsque l’entreprise veut les céder à escompte pour
bénéficier d’un financement rapide, sont à l’origine de la crise financière mondiale qui éclata en
2008. Sachant que le Canada s’en est beaucoup mieux tiré que les États-Unis et que la plupart des
pays du G8, on peut penser que cela reposait en partie sur une gestion des crédits moins
segmentée.





Page 137
111
c)
financement postérieur à l’ouverture de
la
textes
internationaux
procédure
dans
les
Les principaux textes internationaux 260 de l’harmonisation du droit des sûretés et des
procédures collectives reconnaissent l’importance d’adopter des mesures spéciales qui
favoriseront le redressement d’une entreprise insolvable mais encore viable 261. Le
financement postérieur à l’ouverture de la procédure est reconnu comme l’une de ces
mesures. Il est encouragé d’édicter des dispositions qui le rendront possible. Cependant,
les droits des créanciers garantis antérieurs ne devront pas être affectés, leur
consentement pourra être requis et une protection contre la dévaluation de leur sûreté
260
À l’exception de la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières qui ne se contente que
d’énoncer des règles de priorité et un ordre de collocation des créances dans un contexte ordinaire,
hors insolvabilité. Voir, à ces égards,
Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières,
supra note 10, art. 47-53, 60. Il est étonnant qu’elle ne s’exprime pas à ce sujet, à l’instar des
autres textes internationaux. Une version antérieure contenait une disposition prévoyant que toute
sûreté mobilière sans dépossession publiée primait notamment le syndic de faillite. Le but de cette
disposition, rédigée en termes plutôt ambigus, était d’exprimer l’intention de ses rédacteurs à
l’effet que toute sûreté doit être publiée pour être valide et opposable au syndic de faillite. Mais
au-delà de cette disposition, pas d’intention plus clairement exprimée quant à l’interaction entre
les sûretés conventionnelles de la
Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières, les
sûretés légales et le droit de l’insolvabilité. Les comptes-rendus des travaux du comité de
rédaction indiquent pourtant que la question a été débattue. On a suggéré que la
Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières
devrait s’exprimer clairement à cet égard et
suggérer que l’ordre de priorité, ainsi que les conditions de validité et d’opposabilité des sûretés
devraient être identiques tant en contexte d’insolvabilité qu’en contexte normal. Force est de
constater qu’aucun consensus ne fut atteint et que plusieurs réticences furent exprimées,
notamment quant à la portée des diverses sûretés légales existant dans divers pays et de la
protection constitutionnelle dont y jouissent certaines catégories de créanciers. Cela explique sans
doute la présence de l’article 1 (2) permettant à un État de déroger à la Loi type interaméricaine
relative aux sûretés mobilières
. Voir, à ces sujets, B. KOZOLCHYK, et al., loc. cit., supra note
186, p. 449-490. Par ailleurs, la
Loi type de la BERD n’en traite que pour énoncer des principes
généraux. La sûreté doit être reconnue en cas d’insolvabilité et être sujette aux mêmes règles
d’annulation que toute autre transaction ; son exécution se fait hors des procédures collectives ou,
dans le cas contraire, le liquidateur doit lui remettre possession des biens grevés rapidement ; les
créanciers qui peuvent primer les créanciers existants après l’ouverture de la procédure
d’insolvabilité sont l’objet d’une énumération limitative.
Loi type de la BERD, supra note 51, art.
31. Cela s’explique par la vocation plus limitée de ces instruments types, qui ne ratissent pas aussi
large que les guides législatifs ou autres énoncés de principes généraux.
261
Guide législatif sur l’insolvabilité, supra note 43, p. 125-132 ; Guide législatif sur les opérations
garanties, supra note 45, « Chapitre XII. Incidence de l’insolvabilité sur une sûreté réelle
mobilière », pp. 10, 13, 16, 26, 33 ;
Principes de la Banque Mondiale – 2001, supra note 40, p. 51
et 61, nos 131-132, 162-163 (principes 16 et 18) ; Principes de la Banque Mondiale – 2005, supra
note 40, p. 3, 5-11, 21 (principe C-12).

Page 138
112
devra leur être accordée. Un financement postérieur pourra faire l’objet soit d’une
priorité législative lui conférant un meilleur rang que celui des créanciers ordinaires mais
ne déclassant pas les créanciers garantis, soit d’une sûreté réelle. Si la sûreté réelle grève
des biens qui ne le sont pas déjà, le consentement des créanciers garantis ne devrait pas
être requis, alors qu’il devrait l’être si la sûreté grève des biens qui le sont déjà. Dans les
cas où les créanciers garantis consentent à ces mesures, l’approbation du tribunal ne serait
pas nécessaire. Comme on le voit, le redressement de l’entreprise en difficulté ne signifie
pas qu’il doive être fait entorse aux attentes commerciales légitimes des créanciers
antérieurs, une valeur préconisée par les organisations internationales, car la prévisibilité
constitue à leurs yeux le fondement des relations commerciales.
Notons que ce type de mesures existe à des degrés variables dans les différentes
législations, mais que l’harmonie ne règne pas, certains pays se montrant plus réticents
que d’autres à porter atteinte aux droits des créanciers garantis 262. La culture du
sauvetage des entreprises est néanmoins en voie de se généraliser 263, comme en attestent
262
Une recension complète de ce phénomène dépasse le cadre du présent texte. Toutefois, une étude
relève les mesures adoptées dans les pays suivants : Australie, Brésil, Canada, Allemagne, Hong
Kong, Inde, Japon, Pays-Bas, Pologne, Afrique du Sud, Royaume-Uni et États-Unis. Voir :
INSOL INTERNATIONAL, Financing in Insolvency Proceedings, Londres, William Clowes Ltd.
Beccles, Suffolk, 2006, en particulier à la p. 120 pour le Royaume-Uni : « […]
the rights of
secured creditors are paramount and there can be no prospect of rescue finance being granted
priority ahead of or ranking at an equivalent level to the pre existing fixed charge security without
the agreement of the secured creditor
[…] ». Par ailleurs, en France, un privilège de postériorité
fut adopté en matière de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire, garantissant les
créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture de la procédure collective, conférant un
droit de poursuite individuelle sur les biens du débiteur et un véritable droit de prélèvement
prioritaire sur l’actif de ce dernier. De même, un privilège au bénéfice des créanciers de la
procédure de conciliation fut mis en place afin de protéger les créances dites de
new money,
comme le veut l’expression française. Mais ces mesures sont complexes et assorties de plusieurs
conditions, dont on remet en question l’efficacité. Voir : Y. PICOD, op. cit., supra note 8, nos 187-
193, p. 261-266.
263
Pour un commentaire à cet effet en droit français, lire : M. JEANTIN et P. LE CANNU, op. cit.,
supra note 119, nos 1-24, p. 1-14.

Page 139
113
nombre d’autres atténuations aux régimes de sûretés ou aux ententes contractuelles qui
peuvent survenir dans un contexte de redressement.
d)
autres atténuations aux
sûretés
régimes de
Le financement postérieur ne représente que l’une des nombreuses atténuations possibles
au régime de sûretés suite à l’ouverture de la procédure. Les mesures de protection des
droits des salariés 264, les sûretés relatives aux honoraires professionnels 265, à la
protection des administrateurs et dirigeants 266, aux fournisseurs essentiels 267, sont du
nombre, sans oublier les droits et priorités du Trésor public. Il faut aussi considérer la
question de la résiliation et de l’annulation des contrats 268 et, enfin, les mécanismes
264
265
266
267
268
Au Canada, une sûreté prioritaire relative aux salaires impayés grevant les « actifs à court terme »
de la personne insolvable est créée, jusqu’à concurrence de deux mille dollars, LFI, art. 81.3 et
81.4. Cette sûreté déclassera celle des créanciers garantis antérieurs grevant les inventaires et les
créances. Le programme de protection des salariés est une autre mesure qui s’ajoute à cette sûreté
prioritaire. Ce programme, administré par le ministre du Travail, prévoit le versement de salaire
aux personnes physiques jusqu’à concurrence de trois mille dollars pour la période de six mois
précédant la faillite ou la mise sous séquestre de l’employeur. Ces créances salariales, qui peuvent
être prélevées sur le Trésor, sont administrées par le syndic de faillite, dont les honoraires pour ce
faire sont payables à même les biens du failli. Enfin, la Couronne peut être subrogée dans la
sûreté prioritaire sur paiement des prestations prévues au programme. Voir :
Loi sur le Programme
de protection des salariés
, préc., supra note 235; Règlement sur le Programme de protection des
salariés
, DORS/2008-222 (Gaz. Can. II). La loi confère une priorité pour la perte qu’en subiront
les créanciers garantis. Voir : LFI, sous-paragraphe 136 (1) d.01. Par ailleurs, une sûreté
universelle visant à assurer le paiement des versements aux régimes de pension prescrits qui
auraient dû l’être mais ne l’ont pas été, est créée aux termes des articles 81.5, 81.6 LFI, toute
proposition ou arrangement devant respecter ces dispositions, aux termes des paragraphes 60 (1.5)
LFI et 6 (6) et 6 (7) LACC. Encore ici, la loi confère une priorité pour la perte qu’en subiront les
créanciers garantis. Voir : LFI, sous-paragraphe 136 (1) d.02. Enfin, les conventions collectives
font l’objet d’une protection spéciale. Voir : LFI, art. 65.12 ; LACC, art. 33.
LFI, art. 47.2, 64.2, paragraphe 243 (6); LACC, art. 11.52.
LFI, art. 64.1; LACC, art. 11.51.
LACC, art. 11.4. Ce pouvoir n’est pas prévu à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.
LFI, art. 65.11 ; LACC, art. 32. La possibilité de permettre à une entreprise en difficulté de
résilier un contrat a pour objectif de favoriser la présentation d’une proposition ou d’un
arrangement viable à ses créanciers. Le régime canadien prévoit cependant des exceptions à cette
faculté de résilier : n’y sont pas assujettis les contrats financiers admissibles, les baux visés par le
paragraphe 65.2 (1) LFI, les conventions collectives, les accords de financement au titre desquels
le débiteur est l’emprunteur et les baux d’immeubles ou de biens réels au titre desquels le débiteur

Page 140
114
particuliers aux procédures collectives de mise en vente des biens d’un débiteur 269. Au
Canada, toutes ces mesures furent graduellement intégrées à la législation, avec pouvoir
ultime conféré au juge de rendre « toute ordonnance qu’il estime indiquée » dans le cadre
d’une procédure intentée en vertu de la Loi sur les arrangements 270, le pouvoir inhérent
demeurant par ailleurs à lui seul gage de flexibilité dans le contexte de la Loi sur la
faillite et l’insolvabilité 271. D’aucuns n’y virent une déperdition du crédit garanti 272.
est le locateur. Voir : LFI, paragraphe 65.11 (10) ; LACC, paragraphe 32 (9). La loi prévoit
aussi, désormais, la possibilité pour un débiteur de céder des contrats. LFI, art. 66 (1.1), 84.1 ;
LACC, art. 11.3. Hormis les contrats financiers admissibles et les conventions collectives, ces
dispositions entourant la cession de contrat n’excluent pas expressément les «
accords de
financement au titre desquels le débiteur est l’emprunteur
» comme dans le cas de celles traitant
de la résiliation, mentionnant toutefois à titre d’exception à ce régime «
les droits et obligations
qui, de par leur nature, ne peuvent être cédés
». Un contrat de prêt tombera-t-il sous cette
exception ? On peut le croire, mais la porte est ouverte à l’interprétation.
LFI, art. 65.13 ; LACC, art. 36. Le tribunal a désormais le pouvoir d’autoriser une vente hors du
cours normal des affaires des biens de l’entreprise en difficulté «
sans qu’il soit nécessaire
d’obtenir l’acquiescement des actionnaires, et ce malgré toute exigence à cet effet, notamment en
vertu d’une règle de droit fédérale ou provinciale
». Bien sûr, une telle vente purge les droits réels
existants, sur autorisation du tribunal. LFI, paragraphe 65.13 (7) ; LACC, paragraphe 36 (6). Le
produit de disposition est affecté d’une charge en faveur des créanciers touchés. Mentionnons
toutefois que cette possibilité contourne l’exercice des droits réels aux termes du régime de
sûretés, dont l’utilisation pourra s’avérer moins avantageuse, notamment en ce qui a trait aux
délais et préavis exigés. Enfin, la nomination par un créancier garanti d’un séquestre aux termes
de l’article 243 LFI semble permettre la vente des biens d’une entreprise aux conditions que le
tribunal estime indiquées.
LACC, art. 11. Nous avons critiqué cette disposition car elle représente à notre avis une
abdication par le législateur de ses pouvoirs au profit des tribunaux. Voir : A. LEDUC,
Grands
pas et faux pas, supra note 214, p. 443-450. Certains se sont inquiétés de ce que les pratiques
jurisprudentielles soient désormais codifiées, car cela pourrait limiter les tribunaux dans leurs
pouvoirs créatifs, par exemple pour l’octroi d’une charge prioritaire visant à retenir les employés
clés dans le cadre d’un redressement (i.e.
key employee retention program), qui n’est pas prévue
aux termes des modifications. Nous ne croyons pas que ces inquiétudes soient fondées. À preuve,
un tribunal a déjà autorisé l’octroi d’une pareille charge. Voir :
In Re Canwest Global
Communications
, O.S.C. (Commercial List), no CV-09-8396-00CL, 6 octobre 2009, par. 62-64.
Un pouvoir similaire est conféré aux juges américains. BANKRUPTCY, 11 U.S.C. § 105 (2009),
ligne :
en
http://www.law.cornell.edu/uscode/html/uscode11/usc_sec_11_00000105----000-.html
(consulté
le 17 janvier 2010).
Il n’y a pas de disposition équivalente à celle de l’article 11 LACC dans la Loi sur la faillite et
l’insolvabilité
.
Voir : David R.M. JACKSON, « Is There Anything Left for the Secured Lenders ? The Current
State of Statutory Super Priorities and the Impact of Bill C-55 », (2006) 23
National Insolvency
269
270
271
272

Page 141
115
En somme, ces mesures participent de l’arsenal mis à la disposition des entreprises, de
leurs conseillers et des tribunaux afin de faciliter le redressement de celles qui peuvent
s’en sortir 273. En Amérique du Nord, le droit du sauvetage de l’entreprise et des
procédures collectives est un droit de plus en plus négocié, dont les paramètres sont
progressivement établis dans un contexte judiciarisé, la loi et le droit des contrats devant
s’ajuster devant l’impératif du redressement. On pourrait croire que le droit des sûretés
ou du crédit garanti n’en soit devenu qu’un maillon, mais son importance économique
continue quand même, malgré les soubresauts dont il fait l’objet, d’exercer une certaine
influence, du moins en doctrine et dans les textes internationaux 274. C’est pourquoi il
importe de considérer les principes directeurs de l’harmonisation ou de l’arrimage des
régimes de sûretés et d’insolvabilité en droit interne.
273
274
Review 1; J.S. ZIEGEL, Travails, supra note 232, p. 446; P. BÉLANGER et S. RIGAUD, op. cit.,
supra note 232, p. 57-59.
Des mesures analogues à celles que nous venons de décrire en droit canadien existent en droit
américain. Elles servirent de sources d’inspiration au législateur canadien. Voir notamment :
BANKRUPTCY, 11 U.S.C. § 363 (Use, sale or lease of property), 365 (Executory contracts and
unexpired leases), 1113 (Rejection of collective bargaining agreements) (2009).
Cependant, le Guide législatif sur l’insolvabilité va dans la même direction que les solutions
préconisées en Amérique du Nord, tout en indiquant que les droits des créanciers garantis doivent
être préservés, ce qui peut sembler contradictoire. Voir :
Guide législatif sur l’insolvabilité, supra
note 43, p. 122-125 (recommandations sur la disposition des biens hors du cours normal des
affaires), 146-149 (recommandations sur le traitement des contrats), 169-171 (recommandations
sur l’annulation des contrats), 172 (recommandations sur les droits à compensation
(set-off)), 175-
176 (recommandations sur les contrats financiers et la compensation globale (
netting)). Voir
aussi, dans le même sens : Principes de la Banque Mondiale – 2001, supra note 40, p. 45-51,
n
os 116-130 (principes 14) (Traitement des obligations contractuelles), (principe 15) (Opérations
frauduleuses et préférentielles);
Principes de la Banque Mondiale – 2005, supra note 40, p. 20-21
(principe C-10) (Traitement des obligations contractuelles), (principe C-11) (Transactions
annulables).



Page 142
116
2.3.5
l’harmonisation des
principes directeurs de
régimes de sûretés et d’insolvabilité en droit
interne
Afin de conclure au sujet de la nécessité d’arrimer les régimes de sûretés et ceux
d’insolvabilité, il est utile de résumer les principes qui se dégagent des textes
internationaux, considérant que ces efforts sont en voie de devenir des sources du droit
des sûretés pour tout législateur 275.
Ainsi, la sûreté doit demeurer valide en situation d’insolvabilité du débiteur.
Les règles permettant d’invalider une sûreté consentie lors d’une période suspecte avant
la faillite du débiteur doivent être identiques, que l’on soit en situation d’insolvabilité ou
non.
Le créancier garanti doit être en mesure de réaliser sa sûreté en tout temps, qu’une
procédure collective ait été instituée ou non, bien que certaines limites à ses droits soient
permises lorsque le redressement de l’entreprise est possible; dans le cas contraire,
l’administrateur de l’insolvabilité est tenu de rapidement évaluer les biens grevés, de les
liquider et de remettre le produit de disposition au créancier garanti.
Enfin, les règles de priorités doivent être limitées et celles qui déclassent les sûretés
conventionnelles peu nombreuses et clairement circonscrites; elles doivent demeurer
identiques, que l’on soit en situation d’insolvabilité ou non 276. Toute dérogation à ce
principe doit prévoir une façon de protéger la valeur des intérêts des créanciers garantis,
titulaires de sûretés conventionnelles. Essentiellement, il faut trouver des moyens de
275
276
A.M. GARRO, loc. cit., supra note 39, p. 363.
Principes de la Banque mondiale – 2001, supra note 40, no 58, p. 24 et 27 (Principe 3).

Page 143
117
protéger les intérêts des créanciers autres que conventionnels différends de l’octroi de
privilèges ou autres formes de sûretés légales 277.
Enfin, le financement postérieur à l’ouverture de la procédure doit être possible, mais
sujet à une sauvegarde appropriée des droits et intérêts des créanciers garantis antérieurs.
Le critère de la protection suffisante (adequate protection) est celui proposé; il peut
évidemment prendre plusieurs formes, l’essentiel étant de maintenir le statu quo pour les
créanciers garantis et de prévenir l’érosion de la valeur de leurs sûretés. Cette protection
doit aussi être accordée lorsque l’exercice des droits des créanciers garantis est
suspendu 278.
Ces principes devront être respectés, sinon un régime de sûretés ne produira pas ses
effets 279. Réformer le droit des sûretés sera de peu d’utilité si des réformes équivalentes
ne sont pas mises en place en matière de droit de l’insolvabilité et qu’aucune mesure n’est
prise pour s’assurer de la complémentarité des deux régimes. Cette complémentarité sera
aussi nécessaire dans un contexte international ou transfrontalier.
277
278
279
Ibid., nos 58, 131-152 (Principes 3 et 16).
Ibid., nos 139, 162-163 (Principes 16 et 18). Voir, en particulier, le no 139 : « […] La protection
des créanciers peut revêtir des formes multiples, mais il s’agit, en substance, de maintenir en
l’état la sûreté que détient un créancier garanti sur un bien par des mesures qui permettront soit
d’empêcher la valeur du nantissement de décliner, soit de dédommager le créancier garanti de
cette perte de valeur. Les formes de protection envisageables consisteront à faire des paiements
en espèces périodiques pendant la durée de la procédure, à accorder au créancier garanti
concerné une sûreté réelle supplémentaire sur d’autres actifs non garantis, à conférer au
créancier garanti un rang prioritaire lors des remboursements sur les autres actifs non grevés,
etc. ».
De façon générale, voir : Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre
XII. Incidence de l’insolvabilité sur une sûreté mobilière » ; Loi type de la BERD, supra note 51,
art. 31.


Page 144
118
2.3.6
harmonisation internationale de l’insolvabilité et
traitement équitable des créanciers
L’internationalisation des marchés n’est pas qu’une vue de l’esprit. De plus en plus, les
entreprises se mondialisent. Elles ont des places d’affaires dans plus d’un pays et même
sur plusieurs continents. Leurs biens se trouvent donc dans plusieurs juridictions, ainsi
que leurs créanciers et leurs débiteurs. L’impact de ces situations se fait sentir tant dans
un contexte de financement transfrontalier, relativement à la prise de sûretés, que dans le
cadre de procédures d’insolvabilité, tant locales qu’internationales.
L’État où s’ouvre une procédure collective applique habituellement son droit interne tant
pour la procédure proprement dite que pour ses effets (lex fori concursus). Le tribunal de
l’État du for établit la validité et l’opposabilité des sûretés en fonction de ses propres
règles de conflits de lois (à l’exception des droits portant sur des immeubles et des biens
meubles qui s’y unissent par accession, qui peuvent alors être assujettis à la loi du situs).
Ces règles vont référer au droit applicable, qui ne sera pas celui de l’insolvabilité, mais
d’autres lois ou sources de droit, locales ou étrangères. En revanche, le droit processuel
de l’insolvabilité viendra préciser les effets des sûretés dans le contexte de la procédure
collective. La reconnaissance de sûretés étrangères, leur rang et la possibilité pour le
créancier d’exercer ses droits sont autant de facettes qui en dépendront 280. Voilà donc un
premier niveau d’harmonisation possible, qui concerne le droit matériel ou substantif de
l’insolvabilité en lien avec les sûretés. Les guides législatifs de la CNUDCI, les lois
types de la BERD et de l’OÉA, les Principes de la Banque Mondiale et du FMI, sont
autant d’instruments de l’harmonisation qui tentent d’apporter des solutions aux
280
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre XII. Incidence de
l’insolvabilité sur une sûreté mobilière », p. 4-5, 20 ; Guide législatif sur l’insolvabilité, supra note
43, p. 75-82.

Page 145
119
problématiques qu’il soulève. Les différents droits internes ont avantage à adopter des
règles de conflits de lois similaires et à harmoniser leurs règles relatives à la constitution,
à la validité et à la publicité des sûretés, afin qu’elles soient reconnues d’un État à l’autre
et qu’elles procurent aux créanciers les effets recherchés, et ce, tant localement qu’à
l’étranger, a fortiori dans un contexte d’insolvabilité 281.
Le second niveau est complémentaire mais se situe ailleurs. Il concerne plutôt le droit
procédural de l’insolvabilité. Qu’advient-il lorsqu’un débiteur a des biens, des créanciers
ou des débiteurs situés dans plusieurs juridictions ? Quelle est la juridiction compétente
pour organiser la faillite ? Quelle est la loi applicable ? Dans quels États une faillite va
produire ses effets ? Qu’advient-il lorsqu’une entreprise multinationale fait faillite dans
un État, voire dans plusieurs en même temps ? Comment résoudre les conflits de
faillite ? Comment assurer un traitement équitable entre les créanciers, tant locaux
qu’étrangers ? En doctrine, deux théories s’opposèrent longtemps, soient celle de
l’universalité (ou de l’unité) et celle de la pluralité (ou de la territorialité).
La théorie de l’universalité prône un facteur de rattachement objectif et unique pour
décider du lieu de l’ouverture d’une procédure de faillite, soit l’État du domicile du
débiteur. Selon cette doctrine, seul le tribunal de cet État serait compétent pour être saisi
d’une procédure d’insolvabilité, qui s’étendrait aussi à l’étranger, permettant de créer une
seule masse de créanciers, d’assurer leur traitement équitable et d’éviter les faillites
concurrentes. Cette théorie a ses limites, dont la souveraineté des États et la crainte que
peuvent avoir les créanciers étrangers de n’être pas bien protégés dans une procédure qui
281
Voir notre discussion, ci-dessous, Partie I, sous-section III. B. 2.1, traitant des règles de conflits de
lois en matière de constitution et de publicité des sûretés mobilières conventionnelles.

Page 146
120
est, justement, étrangère. Cette crainte est renforcée par l’absence d’harmonisation
complète dans le domaine des sûretés :
Enfin, la règle de compétence exclusive du tribunal du domicile a pour conséquence
de léser certains créanciers garantis d’une sûreté sur l’universalité des biens du
débiteur, si ces derniers sont situés dans différentes juridictions qui ne reconnaissent
pas toutes le même effet à ce type de sûreté en cas de faillite. En effet, ainsi que le
soutient Albert Bohémier, le lien intime entre le droit privé et le droit de la faillite sur
le plan interne fera obstacle au système de l’unité tant et aussi longtemps que le droit
privé lui-même (surtout en ce qui concerne les sûretés) ne sera pas unifié.
282
À l’inverse, la théorie de la territorialité, dont l’un des objectifs premiers consiste à
protéger les créanciers nationaux, pose le principe que la faillite ne peut entraîner d’effets
en dehors des frontières de l’État où elle est prononcée. Cette approche coupe court à
l’internationalisation des procédures et favorise leur pluralité. En pratique, c’est plutôt ce
système qui a prévalu, souveraineté des États oblige. Mais une application extrême de ce
principe ne permet pas de traiter adéquatement les cas d’insolvabilité transfrontaliers ni
d’assurer l’égalité de traitement des créanciers. Si des mesures ne sont pas mises en
œuvre pour assurer une coopération entre les États, est à craindre la fraude par le
divertissement des biens d’un débiteur ayant plusieurs places d’affaires, ce qui nuirait à la
sécurité des investissements dans un contexte mondialisé. L’absence d’harmonie en
matière d’insolvabilité internationale ferait obstacle au commerce international 283.
282
283
D. CARRÉ, op. cit., supra note 163, p. 12 [références omises].
L’adoption de la Loi type de la CNUDCI sur l’insolvabilité internationale, supra note 44, est
proposée aux termes du
Guide législatif sur l’insolvabilité, qui lui est postérieur, mais dont l’un
des objectifs principaux consiste à établir un cadre pour l’insolvabilité internationale. Le
Guide
législatif sur l’insolvabilité
reproduit la Loi type de la CNUDCI sur l’insolvabilité internationale
en annexe, ainsi que le Guide pour l’incorporation de cette loi. Ce dernier Guide constitue en
quelque sorte un commentaire explicitant les origines et les dispositions de la loi type. Voir le
Guide législatif sur l’insolvabilité, supra note 43, Annexe III, « Deuxième partie. Guide pour
l’incorporation dans le droit interne de la Loi type de la CNUDCI sur l’insolvabilité
internationale », p. 347, n
o 32.

Page 147
121
Pour ces raisons, il serait de mise aujourd’hui de parler d’une troisième voie, mitoyenne,
que l’on qualifie de territorialisme modéré ou d’universalisme assoupli 284. Son porte-
étendard est la Loi type de la CNUDCI sur l’insolvabilité internationale, datant de 1997,
dont les objectifs consistent à harmoniser le domaine de la faillite internationale en
instaurant une coopération entre les tribunaux d’un pays à l’autre, afin d’assurer un
traitement équitable des créanciers, du débiteur, de favoriser la stabilité économique et
d’encourager le redressement des entreprises en difficulté 285.
Le régime proposé aux termes de la Loi type de la CNUDCI sur l’insolvabilité
internationale ne concerne que la procédure et non le droit substantif. Il consiste à établir
des critères de distinction entre des procédures multiples. Il distingue la « procédure
étrangère principale » de la « procédure étrangère non principale », la principale étant
celle qui a lieu dans l’État où le débiteur a le « centre de ses intérêts principaux » 286. Il
établit des mécanismes pour favoriser la reconnaissance des procédures étrangères 287 et
étendre les droits du représentant étranger de l’insolvabilité sur son territoire lorsque cela
s’avère souhaitable. Le régime permet à plusieurs procédures de coexister, protégeant
dès lors les créanciers nationaux, mais établit une certaine hiérarchie entre elles 288. Des
règles incitant à la coopération entre les tribunaux sont suggérées, ainsi que des règles
pour régir les procédures concurrentes. Enfin, pour assurer le traitement équitable des
créanciers et éviter l’enrichissement sans cause, la loi type propose d’interdire à un
284
285
286
287
288
Sur toutes ces questions, lire : D. CARRÉ, op. cit., supra note 163, en particulier aux p. 6, 7-25.
Loi type de la CNUDCI sur l’insolvabilité internationale, supra note 44, Préambule.
Ibid., paragraphes 2 (b) et 2(c).
Ibid., Chapitre III.
Ibid., Chapitres IV et V.

Page 148
122
créancier de cumuler les réclamations d’une faillite à l’autre sans qu’il ne soit tenu
compte de ce qu’il a reçu dans une autre procédure 289. Plusieurs pays ont adopté, avec
certaines adaptations 290, le texte de la Loi type de la CNUDCI sur l’insolvabilité
internationale, dont les États-Unis d’Amérique en 2005 291 et le Canada en 2009 292.
L’Union Européenne, de son côté, adopta un règlement 293 aux objectifs comparables
mais qui se limite à des procédures se déroulant sur son territoire. Son champ
d’application est plus limité, ce pourquoi l’on souhaite l’adoption de la Loi type de la
CNUDCI sur l’insolvabilité internationale par ses États membres 294.
289
290
291
292
293
294
Ibid., art. 32.
« Des textes législatifs fondés sur la Loi type de la CNUDCI sur l'insolvabilité internationale ont
été adoptés en Australie (2008), en Afrique du Sud (2000), en Colombie (2006), en Érythrée
(1998), aux États-Unis d'Amérique (2005), en Grande-Bretagne (2006), aux Îles Vierges
britanniques, territoire d'outre-mer du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord
(2003), au Japon (2000), en Maurice (2009), au Mexique (2000), au Monténégro (2002), en
Nouvelle-Zélande (2006), en Pologne (2003), en République de Corée (2006), en Roumanie
(2003), en Serbie (2004) et en Slovénie (2007)
», peut-on lire sur le site Web de la CNUDCI, à la
page concernant l’état des ratifications des textes de la CNUDCI en insolvabilité, en ligne :
http://www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/insolvency/1997Model_status.html (consulté le
23 janvier 2010).
BANKRUPTCY, 11 U.S.C., Chapter 15, Ancillary and Other Cross-Border Cases, en
ligne :http://www.law.cornell.edu/uscode/html/uscode11/usc_sup_01_11_10_15.html (consulté le
23 janvier 2010); S. McDONALD HENRY, dir.,
Bankruptcy Code, supra note 194, p. 1501 et ss.
[le «
Bankruptcy Code »]. Au sujet de l’adoption de cette loi-type aux États-Unis et pour une
discussion sur ses applications jurisprudentielles récentes dans des affaires transfrontalières avec le
Canada, lire : Guy MARTEL et David TOURNIER, « Coopération judiciaire et insolvabilité
transfrontalière : un nouveau cadre législatif », (2009) 68
R. du B. 185. Dans certaines affaires
transfrontalières, le financement intérimaire prioritaire octroyé aux États-Unis ou au Canada fut
reconnu dans la juridiction voisine.
LFI, art. 267-284 ; LACC, art. 44-61.
UNION EUROPÉENNE, Règlement 1346/2000, 29 mai 2000.
D. CARRÉ, op. cit., supra note 163, p. 25, 39-46 ; Guide législatif sur l’insolvabilité, supra note
43, Annexe III, « Deuxième partie. Guide pour l’incorporation dans le droit interne de la Loi type
de la CNUDCI sur l’insolvabilité internationale », p. 343-344, n
os 18-19.

Page 149
123
Enfin, dans cette même foulée, la CNUDCI adopta, le 1er juillet 2009, le Guide pratique
de la CNUDCI sur la coopération en matière d’insolvabilité internationale 295, qui fait la
somme d’expériences pratiques illustrant la coopération entre les tribunaux dans le cadre
de procédures transfrontalières, se voulant un autre outil d’information qui vise
l’harmonisation du droit de l’insolvabilité 296.
Bien qu’il soit trop tôt pour parler d’une harmonisation complète du droit de
l’insolvabilité aux deux niveaux que nous avons identifiés, les outils proposés en ce sens
par les organisations internationales sont autant de pas en cette direction. Ces efforts
s’ajoutent à l’influence bien réelle des pratiques judiciaires, que nous avons décrites
précédemment, qui débordent du strict cadre des procédures d’insolvabilité pour toucher
significativement aux régimes de sûretés, dont nous allons maintenant aborder les
caractéristiques principales.
3.
Les principales caractéristiques d’un régime de sûretés mobilières
Nous retracerons, dans un premier temps et de façon générale, l’historique et l’évolution
des sûretés mobilières [3.1], ce qui nous permettra d’entrevoir, dans un deuxième temps,
la nécessité d’adopter des règles simples, efficaces et uniformisées en cette matière [3.2].
3.1
historique et évolution des sûretés mobilières : de leur
naissance à leur prolifération incontrôlée et incohérente
Le Québec, lorsque le Code civil du Bas Canada était encore en vigueur, les provinces du
Canada anglais, avant l’avènement des Personal Property Security Acts, les différents
295
296
Guide pratique de la CNUDCI sur la coopération en matière d’insolvabilité internationale, en
ligne :
http://www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/insolvency/2009PracticeGuide.html
(consulté le 23 janvier 2010).
Voir : Jenny CLIFT, « UNCITRAL Practical Guide on Cross-Border Insolvency Cooperation »,
(2009) Fourth Quarter
Insol World 15.

Page 150
124
États des États-Unis d’Amérique, avant l’adoption du Titre 9 du Uniform Commercial
Code, nombre de pays de l’Europe continentale d’aujourd’hui, dont la France, la
Belgique et la Suisse, le Royaume-Uni, la majorité des pays de l’Amérique latine 297 et le
Mexique d’avant la nouvelle Loi sur les sûretés réelles mobilières du 23 mai 2000 298, ont
tous connu des systèmes de sûretés réelles mobilières déficients, voire même, dans le cas
des pays de tradition civiliste, pratiquement inexistants. Si, d’un point de vue
systémique, on constate des différences marquées et peut-être inextricables entre le droit
civil et la common law, notamment au chapitre du droit des biens 299, on peut néanmoins
constater certaines similitudes factuelles qui menèrent, dans les deux cas, à la
constatation de la nécessité de réformer ce domaine du droit pour tenir compte de
nouvelles réalités commerciales.
Dans les pays de droit civil d’influence française, l’adage « Res mobilis, res vilis » 300, a
grandement influencé le travail des légistes, au point d’ériger au niveau du dogme la règle
297
298
299
300
Pour un exposé traitant de la situation historique et actuelle dans les pays de l’Amérique latine,
voir : B. KOZOLCHYK et J.M. WILSON,
loc. cit., supra note 10, p. 35-39.
Secured Transactions Law, Diario Oficial de la Federación, 23 mai 2000, citée par J.M.
WILSON, « Mexico : New Secured Transactions and Commercial Registry Laws », (2000) 7
Inter-American Trade Report 1815. Voir également : J.A. GARCIA et L.A UNIKEL, « Mexico
Upgrades Laws on Security Interests », (2000) 7
Inter-American Trade Report 1815, 1819-1821.
Ces deux articles sont disponibles sur le site Web du
National Law Center for Inter-American
Free Trade
, en format pdf (bulletin bi-mensuel du 3 juillet 2000, numéro 13), en ligne :
http://www.natlaw.com/bulletin/2000/0007/tr03jul00.pdf (consulté le 24 janvier 2010). Il faut
noter, au passage, certains faits qui nous semblent contradictoires, à propos de ce processus de
réforme mexicain : d’une part, leur Cour suprême réprouve l’exercice extra-judiciaire de recours
hypothécaires comme constituant une violation des garanties de justice fondamentale; d’autre part,
la nouvelle loi mexicaine sur les sûretés réelles mobilières édicte, d’après les commentaires des
auteurs susmentionnés, des sanctions contre le débiteur en défaut allant jusqu’à l’emprisonnement
pour dettes.
Voir notre analyse, ci-dessous, Partie I, sous-section III.A.2, portant sur les sûretés mobilières
conventionnelles dans leur objet et dans leur cause.
Voir, notamment, Sylvio NORMAND, Introduction au droit des biens, Montréal, Wilson &
Lafleur, 2000, p. 53.

Page 151
125
voulant que « les biens meubles n’ont pas de suite par hypothèque » 301. Ainsi, en dehors
du gage avec dépossession et de certaines variantes de ce concept sous forme de
nantissement, principalement en matière commerciale et agricole, les sûretés mobilières
furent a priori limitées en nombre et en genre. Au demeurant, ce sont surtout les sûretés
de type possessoires qui eurent cours en matière mobilière dans la tradition civiliste. Cela
s’explique alors surtout par l’absence d’un système de publicité approprié, qui rendait de
ce fait plus difficile la constitution et, en premier lieu, l’opposabilité de toute sûreté
conventionnelle sans dépossession sur un bien meuble 302.
Les mêmes réticences sont présentes dans la tradition de common law. Les sûretés
mobilières sont d’abord limitées au « pledge » et les sûretés sans dépossession sont
proscrites, car il n’existe aucun mode de publicité permettant d’en déceler l’existence.
Partant, toute sûreté sans dépossession est vue comme étant frauduleuse. Puis, au dix-
neuvième siècle, la législation sur les Bills of Sale et les lois sur les compagnies
301
302
Ce qui est toujours le cas en droit français. Voir : C. civ., art. 2398 (anciennement C. civ., art.
2119). Déjà, pour M. Cabrillac et C. Mouly, cet article et l’adage auquel il réfère sont périmés, car
la « […]
législation [française] a fait place à des hypothèques mobilières, officiellement
reconnues comme telles (hypothèque maritime, fluviale et aérienne), outre celles qui, selon
beaucoup dont nous sommes, sont dissimulées sous le manteau du gage
[références omises] ».
Voir : M. CABRILLAC et C. MOULY,
op. cit., supra note 124, no 511, p. 418. Voir aussi
Emmanuel PUTMAN, « Sur l’origine de la règle « meubles n’ont pas de suite par hypothèque » »,
[1994]
Rev. trim. dr. civ. 543. Voir, sur la nouvelle disposition du Code civil français, Y. PICOD,
op. cit., supra note 8, no 301, p. 357-358. Enfin, voir l’article 2022 du Code civil du Bas Canada,
pour la reprise de cette règle dans le droit civil québécois antérieur à la réforme de 1994.
Yves Caron avait déjà l’occasion de s’exprimer comme suit, dès 1969 : « Il n’est pas erroné de
dire que sans les difficultés résultant de l’identification des biens meubles et celles d’en suivre les
déplacements ou ceux de leurs possesseurs, l’hypothèque mobilière aurait déjà été définitivement
acquise il y a bien longtemps. […] [La] difficulté majeure est [donc] celle de l’identité des biens
meubles et de la publicité des contrats qui les affectent. C’est là la justification historique de la
prohibition des hypothèques mobilières. […] Le système de publicité et d’enregistrement est [par
conséquent] la clef de voûte d’une loi sur les garanties réelles, et en particulier sur les garanties
réelles mobilières
». Voir : Yves CARON, « L’Article 9 du Code uniforme de commerce peut-il
être exporté ? Point de vue d’un juriste québécois », dans Jacob S. ZIEGEL et William
F. FOSTER, dir., Aspects of Comparative Commercial Law : Sales, Consumer Credit, and
Secured Transactions
, Montréal, Eugène Doucet, 1969, 374, p. 381 et 390.

Page 152
126
édictèrent l’exigence de publier tout transfert où cession faite à titre de sûreté, d’où
l’émergence de sûretés mobilières sans dépossession 303. Le « chattel mortgage » et le
« charge » existent depuis ce temps, auxquels s’ajoute le « consensual lien » 304. Un
régime équivalent aux sûretés-propriétés du droit civil, qualifié de « quasi-sûretés »,
existe en parallèle, comprenant les « conditional sales, financial leasing and hire-
purchase agreements », qui n’ont pas à être publiées. En résumé, il s’agit toujours là du
régime en vigueur en Angleterre 305.
La nécessité de réformer le droit des sûretés, dans son ensemble, et plus particulièrement
en matière mobilière, est né d’un ensemble de circonstances comparables, tant pour les
pays de tradition civiliste que pour ceux de common law. Comme l’affirme J.-F. Riffard,
le « bilan pathologique » est, dans les deux cas, très similaire et comparable 306. Si l’on
considéra un temps, du moins dans les pays civilistes, que seuls les biens immeubles
présentaient des caractéristiques pouvant satisfaire l’insécurité chronique des créanciers,
en raison, notamment, de leur inamovibilité et de leur plus grande valeur, ce
raisonnement a, depuis, perdu de son acuité, particulièrement depuis la deuxième moitié
du XXe siècle, en raison de l’importance économique désormais conférée aux biens
meubles de toutes sortes.
303
304
305
306
J. DE LACY, loc. cit., supra note 28, p. 8-37, 77-82, en particulier à la p. 81: « It was only by
virtue of the introduction of registration systems under the Bills of Sale Acts (in relation to
individuals) and Companies Acts that this problem [i.e. certainty in security interests] began to be
managed. However, these registers never really developped to meet the changing commercial
environment. Essentially, English law in relation to personal property security interest has
remained regulated by eighteenth- and nineteenth-century common law principles with Victorian
legislation superimposing a registration system
». Les efforts de réformes semblent être au point
mort en droit anglais.
Voir, notamment, M.G. BRIDGE et al., loc. cit., supra note 24, p. 633-637.
H. BEALE et al., The Law of Personal Property Security, supra note 28, p. 8-11, 13.
Voir : J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, p. 23.
A. EIGENMANN,
op. cit., supra note 149, p. 29.
Voir aussi, en droit suisse,

Page 153
127
À côté de ces considérations purement économiques sont apparues, au fil des ans, des
considérations relevant de la technique juridique qui, bien évidemment, présentèrent
néanmoins leur impact économique. Prolifération des sûretés dont on retrouve la source
dans des textes législatifs aussi divers que nombreux, voire même dans le sacro-saint
principe de la liberté contractuelle qui permettrait l’élargissement de la nomenclature
pratiquement à l’infini, formalités de constitutions complexes et onéreuses, procédures
d’exercice des recours multiples et différentes, parfois même divergentes, qui s’avèrent
au demeurant longues, complexes et onéreuses. À tout cela, il faut ajouter la
gourmandise du législateur et celle de certains groupes d’intérêts, qui se traduit par la
création de privilèges légiférés (ou « statutaires » 307), conférant une priorité de rang à
ceux qui en sont bénéficiaires 308.
Ainsi, des motifs d’ordre économique et juridique démontrent la nécessité d’adopter des
règles simples, efficaces et uniformisées, afin de régir les sûretés réelles mobilières.
3.2
de la nécessité d’adopter des règles simples, efficaces et
uniformisées
Des observateurs issus des principales traditions juridiques occidentales s’accordent pour
identifier les qualités dont doit faire preuve un régime de sûretés réformé. Simplicité des
modalités de constitution et efficacité de la sûreté, uniformité intrinsèque du système et
nombre limité de sûretés (ou règle ayant un tel effet), exécution rapide et non-coûteuse,
système de recours uniformisé, système de publicité uniforme, règles de priorité simples
307
308
Voir : Paul-André CRÉPEAU, dir., Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues, 2e éd.,
Cowansville (Qc.), Editions Yvon Blais, 1991, p. 214,
s.v. « droit statutaire ».
Voir, notamment, en droit civil québécois, Pierre CIOTOLA, « Commentaires sur la réforme des
sûretés réelles », (1990) 24
R.J.T. 569, 570.

Page 154
128
et claires permettant au créancier de savoir exactement quelle est sa position dans l’ordre
de collocation sur les biens du débiteur par rapport aux autres créanciers et de connaître
l’endettement réel du débiteur, tels sont les principaux critères qui doivent inspirer le
législateur 309. On indique également que la sûreté idéale devrait être en mesure
d’évoluer en même temps que la créance du débiteur et ne représenter qu’une atteinte
parcimonieuse au crédit du constituant 310. En corollaire, la sûreté devrait pouvoir grever
tout type de biens, être consentie par toute espèce de constituant en faveur de tout type de
créancier, afin de garantir tout type d’obligation licite, présente ou future, déterminée ou
déterminable 311.
Essayons maintenant d’identifier et de comparer diverses méthodes connues et utilisées à
ce jour qui tentent de parvenir à l’atteinte de ces résultats.
B.
De l’uniformisation intrinsèque des régimes de sûretés mobilières
Les objectifs généralement poursuivis, par toute réforme de quelque domaine du droit,
consistent à faire œuvre de « modernisation » et de « rationalisation » 312, afin de
répondre, dans le cas précis des sûretés mobilières, aux exigences de simplicité et
d’efficacité, que nous avons précédemment étudiées. À cet égard, nous analyserons les
principales techniques juridiques utilisées pour l’atteinte de l’uniformisation intrinsèque
des systèmes de sûretés mobilières [1]. Nous exposerons ensuite diverses solutions
309
310
311
312
Voir, entre autres, Jacques AUGER, « Problèmes actuels de sûretés réelles », (1997) 31 R.J.T. 619,
632-633; P. MALAURIE et L. AYNÈS,
op. cit., supra note 151, p. 15; J.M. WILSON, loc. cit.,
supra note 37, P. 65-69 ; Ulrich DROBNIG, « Basic issues of European rules on security in
movables », dans John DE LACY, dir.,
The Reform of UK Personal Property Security Law.
Comparative Perspectives
, Londres, Routledge Cavendish, 2010, 444.
M. CABRILLAC et C. MOULY, op. cit., supra note 124, no 7, p. 7.
R. GOODE, et al., loc. cit., supra note 106, no 15.
Voir, notamment, R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 35, p. 427.

Page 155
129
préconisées à travers l’analyse des principaux systèmes de sûretés mobilières occidentaux
réformés [2].
Observons que si, de façon générale, il y a convergence de vues quant aux objectifs
poursuivis, il demeure cependant une certaine tension quant au choix de la route pour y
parvenir. En outre, l’enjeu fondamental consiste à concilier le principe de l’autonomie de
la volonté à l’idéal d’un régime de sûretés mobilières qui soit moderne, unique et
uniforme, en ce qui a trait aux modalités de constitution, de publicité et de réalisation 313.
Laisser libre cours à la liberté contractuelle des parties ne permet certes pas la création
d’un tel régime de sûretés mobilières qui soit uniforme, en ce que les exceptions
échappant à la réglementation en place risquent alors de se multiplier et de devenir
légion. À l’inverse, une négation de cette liberté contractuelle des parties, si elle permet
l’édification d’un régime uniforme, cohérent et parfaitement prévisible, empêcherait la
naturelle et souhaitable évolution des pratiques de ce domaine du droit commercial et de
l’appareil législatif conçu et mis en place pour les soutenir 314. Il ne faut pas perdre de
vue que cette uniformisation du domaine des sûretés permettra la création d’un ordre de
priorité et la mise en place de mécanismes de réalisation qui soient, on l’espère,
cohérents, ce qui est sans doute l’objectif cardinal poursuivi.
313
314
Voir : J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, où ce dernier précise, à la p. 207, ce que l’on entend
par cela : «
Adopter un système unique et uniforme de sûreté mobilière entraîne deux séries
d’implications intrinsèquement liées. Unique, il a vocation de régir toutes conventions
constitutives de sûreté. Uniforme, il entend les soumettre toutes au même régime
».
P. Ciotola rappelle à juste titre que la liberté contractuelle a permis l’évolution des pratiques en
matière de crédit. Ainsi, les techniques de la vente « conditionnelle », de la vente à réméré, de la
vente avec clause résolutoire, celles des transports de créances, les clauses de dation en paiement,
les clauses de déchéance du terme et les clauses de cession de loyers et d’indemnités d’assurance,
figurent au nombre de ces innovations, en droit civil québécois. Voir : Pierre CIOTOLA, « La
réforme des sûretés sous le Code civil du Québec », dans B
ARREAU DU QUÉBEC et CHAMBRE DES
NOTAIRES DU
QUÉBEC, La réforme du Code civil, vol. 3, Sainte-Foy (Qc.), Presses de l’Université
Laval, 1993, 303, 314, n
o 17.

Page 156
130
1.
Les principales techniques juridiques permettant l’atteinte de
l’uniformité intrinsèque
La doctrine identifie généralement quatre (4) grandes techniques possibles afin
d’accomplir ces objectifs de modernisation et de rationalisation du droit des sûretés
réelles mobilières 315. Il y aurait, d’abord, l’approche dite « fonctionnelle » et unitaire,
telle que proposée aux termes du Titre 9 du Uniform Commercial Code et des autres
législations qui s’en inspirent [1.1]. On note, ensuite, le principe de l’énumération
limitative des sûretés, émanant du droit civil français [1.2]. Puis, le concept de la
« présomption d’hypothèque », proposé par l’Office de révision du Code civil du Québec
en 1978 [1.3]. Enfin, le principe dit de l’« essence de l’opération », tel que formulé par
R.A. Macdonald [1.4]. Notons que la principale pierre d’achoppement de l’atteinte de
l’uniformité réside dans le traitement qui sera fait des sûretés-propriété et de l’aliénation
fiduciaire 316.
1.1
l’approche fonctionnelle et unitaire du Titre 9 du Uniform
Commercial Code

Il importe d’expliciter, en premier lieu, cette distinction posée entre les approches dites
« formaliste » et « fonctionnelle » (ou téléologique) [1.1.1]. Nous retracerons ensuite
brièvement la genèse, l’historique et l’évolution de l’approche fonctionnelle en droit
américain [1.1.2], pour ensuite en examiner les buts [1.1.3]. Enfin, nous terminerons
cette esquisse en examinant les principales critiques qui sont formulées à l’encontre de
cette approche [1.1.4].
315
316
Voir, de façon générale, R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27.
Voir, notamment, les commentaires de S.V. BAZINAS, loc. cit., supra note 46, p. 74, 85-86.

Page 157
131
1.1.1
distinctions fondamentales entre les approches
dites « formaliste » et « fonctionnelle »
L’approche dite « formaliste » relève essentiellement du principe de
la
liberté
contractuelle, et réfère donc à la forme juridique de la transaction. On pourrait dire,
jusqu’à un certain point, qu’elle n’est pas tant une approche, à proprement parler, qu’une
situation de faits, caractérisée par un certain laisser-faire, du moins lorsque l’on considère
l’état du domaine des sûretés mobilières aux États-Unis d’avant l’avènement du Titre 9
du Uniform Commercial Code. Ainsi, grâce à l’ingéniosité des praticiens du droit, on a
progressivement vu se développer autant de sûretés conventionnelles que l’imagination le
permettait, dans le but de contourner les règles contraignantes parfois imposées, par les
tribunaux ou par le législateur, à l’encontre des intérêts des créanciers. Ces sûretés
conventionnelles obéissaient donc toutes à des critères variés et différents, en ce qui a
trait à leurs formalités de constitution, de publicité, d’opposabilité et de réalisation. S’en
suivirent de longs et coûteux litiges, où le nœud principal du débat consistait, la plupart
du temps, à qualifier juridiquement la transaction, afin de savoir si cela conférait une
sûreté valide et opposable en faveur du créancier, qui respectait les critères particuliers à
la forme juridique de la transaction envisagée.
L’approche dite « fonctionnelle » ou « fonctionnaliste », se présenta comme étant
l’alternative à cette approche ou situation de faits dite « formaliste », et ce, au terme
d’une relativement lente évolution doctrinale et législative, aux États-Unis. On voulait
éviter de voir se multiplier des sûretés conventionnelles aux formes juridiques
particulières, et ainsi créer un régime unitaire, en ce qui concerne tant les formalités de
constitution, de publicité que de réalisation, et ce, sans égard à la qualification juridique
Page 158
132
donnée par les parties à la transaction. Ce faisant, on crut faire œuvre de modernisation
et de rationalisation.
L’objectif principal poursuivi par cette approche est sans doute de vouloir porter une
solution définitive au problème de l’identification des droits des parties ou de tout tiers
sur un bien meuble, sans égard à la personne qui en a la possession, c’est-à-dire la
détention ou la garde physique, notamment par l’établissement de règles de publicité
uniformes. La doctrine anglo-saxonne, dans le domaine, parle du « ostensible ownership
problem », qui se pose généralement dans le cas des sûretés mobilières sans dépossession,
ou dans le cas des réserves de propriété sur un bien meuble, autrement qualifiées de
« propriété-sûretés » ou de « quasi-sûretés », voire même dans le cas des baux de
financement, des dépôts et des prêts à usage 317. Ainsi donc, en faisant obéir toute
transaction ayant pour but de garantir le paiement ou l’exécution d’une obligation à un
seul et même régime juridique, on permet l’édification d’un système de publicité des
droits sur les biens meubles et d’un ordre de collocation temporel (c’est-à-dire qui soit
fonction de la date et de l’heure de l’inscription de la sûreté au registre approprié).
La consécration législative ultime de l’approche fonctionnelle américaine fut initialement
codifiée à la section U.C.C. § 9-102 (1995), qui se lit comme suit :
§ 9-102. Policy and Subject Matter of Article.
(1) Except as otherwise provided in Section 9-104 on excluded transactions,
this Article Applies
317
Voir: Grant GILMORE, Security Interests in Personal Property, vol. 1, Boston, Little, Brown and
Company, 1965, p. 24-25. Cette problématique vient du fait que pendant longtemps, possession et
propriété furent indissociables, et qu’une préférence accordée à un créancier sans qu’elle ne fasse
l’objet d’une publicité quelconque, en l’absence de dépossession du débiteur, présentait un air de
fraude. Les origines de ce concept remonte au «
Twyne’s Case » de l’an 1601, fréquemment cité.

Page 159
133
(a) to any transaction (regardless of its form) which is intended to create a
security interest in personal property or fixtures including goods, documents,
instruments, general intangibles, chattel paper or accounts; and also
(b) to any sale of accounts or chattel paper.
(2) This Article applies to security interests created by contract including
pledge, assignment, chattel mortgage, chattel trust, trust deed, factor’s lien,
equipment trust, conditional sale, trust receipt, other lien or title retention contract
and lease or consignment intended as security. This Article does not apply to
statutory liens except as provided in Section 9-310.
(3) The application of this Article to a security interest in a secured obligation is
not affected by the fact that the obligation is itself secured by a transaction or
interest to which this Article does not apply.
318
[Notre soulignement]
Ainsi, tel que nous l’évoquions, cette approche dite « fonctionnelle » ou « téléologique »,
doit être comprise en opposition à l’approche ou situation dite « formaliste ». La
disposition de la section U.C.C. § 9-102 (1995) 319 indique clairement que le Titre 9 du
UCC, pris dans son ensemble, vise à régir toute transaction conventionnelle, à l’exclusion
des privilèges légiférés, dont le but ultime est de conférer un security interest à son
titulaire, c’est-à-dire toute transaction ayant pour but de garantir le paiement ou
l’exécution d’une obligation. Cela signifie donc que l’on procède à la « […] qualification
des opérations de garantie d’après l’intention des parties plutôt que d’après la forme
318
319
Voir: UNIFORM COMMERCIAL CODE, Article 9, Secured Transactions; Sales of Account and
Chattel Paper
, 1995 Text, Current Version, dans Uniform Commercial Code, Official Text – 2000,
The American Law Institute, National Conference of Commissioners on Uniform State Laws,
2000, p. 779-780 [le «
Uniform Commercial Code – Official Text – 2000 »].
Au même effet, depuis la récente révision, voir U.C.C. § 9-109 (2010), qui est cependant beaucoup
mois limpide que son ancienne version. Voir aussi: E.E. SMITH, « An Introduction to Revised
UCC Article 9 (1999) » dans C. COOPER, dir.,
The New Article 9 Uniform Commercial Code, 2e
éd., American Bar Association, 2000, 17, p. 18-21. Il faut toutefois noter l’élargissement de
l’application du Titre 9 du UCC (2000) à de nouvelles catégories de transactions qui étaient
autrefois exclues de sa sphère d’application. Par exemple, les privilèges agricoles (
agricultural
liens), sont désormais visés par la sous-section U.C.C. § 9-109 (a) (2) (2010). Voir enfin :
OPPSA, art. 2.

Page 160
134
utilisée […] » 320, ce qui n’est pas sans générer ses sources d’incertitudes, comme nous le
verrons plus loin.
1.1.2
genèse, historique et évolution de l’approche
« fonctionnelle »
Cette consécration de l’approche fonctionnelle et unitaire est le fruit d’une évolution
législative et doctrinale qui s’étend sur plusieurs années. On remarque, aux États-Unis,
certains efforts en ce qui a trait à la « fusion statutaire » des instruments de financement
que sont les ventes conditionnelles et les chattel mortgages, dans les années 1910 321. On
tenta en effet, dans certains États américains, de fondre les régimes juridiques applicables
à ces instruments en un seul et même régime uniforme, en raison de l’apparente identité
des objectifs poursuivis par les créanciers aux termes de ces transactions 322. Puis,
quelques décennies plus tard, les rédacteurs du projet de Titre 9 du UCC voulaient
remédier à la situation qui prévalait jusqu’alors et que l’on identifiait comme étant le
« system of independent security devices », c’est-à-dire cette situation de laisser-faire
caractérisée par la prépondérance du principe de la liberté contractuelle en matière de
sûretés mobilières et par une réglementation législative et jurisprudentielle éparse.
L’approche fonctionnelle devait servir de guide pour opérer les distinctions entre les
divers types de sûretés, en lieu et place de la situation « formaliste » antérieure. On
estimait cependant qu’il existait alors cinq (5) grandes catégories de financement, à
savoir : (i) le financement de l’inventaire et des comptes à recevoir; (ii) celui des dettes
320
321
322
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27, p. 532.
Ces efforts s’attirèrent déjà bien des critiques, tel que le rapporte G. GILMORE, op. cit., supra
note 317, p. 289 (en particulier à la note 2).
Ibid.

Page 161
135
contractuelles incorporelles à long terme; (iii) celui de l’équipement industriel; (iv) le
crédit agricole; (v) le crédit aux consommateurs 323. Chacune de ces catégories devait
initialement faire l’objet d’un titre distinct au Uniform Commercial Code. Les rédacteurs
arrivèrent toutefois à la conclusion, lors du processus de rédaction, que les différences
entre ces catégories n’étaient pas si importantes qu’on l’avait initialement cru. C’est ainsi
que la fusion ultime des quatre (4) premières catégories susmentionnées s’opéra à
l’intérieur d’un seul et même Titre, c’est-à-dire le neuvième du UCC, le crédit aux
consommateurs étant alors laissé sur la touche pour diverses raisons politiques 324.
1.1.3
buts poursuivis par l’approche « fonctionnelle »
Cette approche se voudrait exhaustive et tendrait ainsi à couvrir toute transaction
susceptible de créer une sûreté mobilière conventionnelle. On éviterait ainsi la création
de nouveaux instruments juridiques créés par l’ingéniosité des juristes et, partant, le
morcellement du régime unitaire applicable à toute sûreté pour en assurer la validité et
l’opposabilité, ainsi que la préservation de l’uniformité des mécanismes d’exécution et de
réalisation 325.
Il est également important de préciser que les rédacteurs de l’Article 9 UCC ne désiraient
toutefois pas totalement rompre avec le droit jusqu’alors en vigueur 326, notamment en ce
qui a trait à l’exercice d’une certaine liberté contractuelle par les parties. Bien sûr, ils en
restreignirent néanmoins l’exercice, non pas en ce qui concerne le choix de la forme de la
323
324
325
326
Ibid., p. 290-291.
Ibid., p. 292-294.
Ibid., p. 295-297, en particulier à la p. 296.
Ibid., p. vii, 297-301.

Page 162
136
transaction par les parties, mais en ce qui a trait aux modalités de publicité, à
l’ordonnancement des priorités et aux mécanismes de réalisation 327.
1.1.4
principales critiques formulées à l’encontre de
l’approche « fonctionnelle »
Les critiques portées à l’endroit de cette approche fonctionnelle sont nombreuses 328. On
pourrait en résumer les principaux arguments comme suit.
Tout d’abord, l’approche fonctionnelle poserait une sérieuse limite au principe de la
liberté contractuelle des parties. Là-même où l’on veut créer un régime présentant des
qualités intrinsèques de clarté et de certitude, on instaurerait plutôt un régime qui, à sa
face même, peut être générateur d’ambiguïté et d’incertitudes, tant pour les parties que
pour les tiers. Ainsi, le problème de la qualification des transactions, que l’approche
fonctionnelle vise à contourner, peut-il exister dans toute sa splendeur et avec une
complexité accrue, en sachant qu’il faut découvrir l’intention des parties de conférer au
créancier une garantie de paiement ou d’exécution d’une obligation, aux termes de la
transaction à l’étude, peu importe la qualification juridique qui lui est donnée par les
327
Ibid., p. 297. Un auteur français n’a pas manqué de relever une certaine ironie à la chose : « Après
s’être défendus de porter atteinte à la liberté contractuelle des parties en précisant que celles-ci
pourraient continuer à avoir recours aux anciennes formes de sûretés, les rédacteurs du Livre IX
énoncèrent que toutes ces sûretés devaient désormais se conformer aux dispositions du régime
uniforme, tant au niveau des conditions de constitution, d’opposabilité, ou de réalisation. Toute
sûreté, quelle que soit sa forme, devient de facto un security interest. Pour plagier la formule
célèbre de H. Ford, les parties sont libres de créer une nouvelle sûreté pourvu que ce soit un

security interest ! ». Voir : J.-F. RIFFARD,
op. cit., supra note 21, p. 217. À notre avis, il faut
nuancer les propos de cet auteur, qui a en partie raison, dans son observation de la situation. S’il
est vrai que le Titre 9 du UCC impose des formalités de constitution, de publicité et de réalisation,
il permet aux parties de convenir de nombre de stipulations qui dépassent ce strict cadre, par
exemple la tête sur laquelle repose le titre de propriété de l’objet grevé, ce qui peut présenter une
incidence particulière, notamment en matière de faillite ou en matière fiscale. Voir, à ce sujet, les
dispositions des sections U.C.C. § 9-201 et § 9-202 (2010).
328
Voir, de façon générale, M.G. BRIDGE et al., loc. cit., supra note 24; Martin BOODMAN et
Roderick A. MACDONALD, « How Far Is Article 9 of the Uniform Commercial Code
Exportable ? A Return to Sources ? », (1996) 27 Can. Bus. L.J. 249; R.A. MACDONALD, loc.
cit.
, supra note 35, 436; I. DAVIES, loc. cit., supra note 28.

Page 163
137
parties 329. S’agit-il, en l’occurrence, d’un critère d’appréciation subjectif (ou in
concreto) ou objectif (ou in abstracto) ? 330
Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que l’approche fonctionnelle semble a
priori faire fi de toute considération relevant du droit de propriété des parties ou de tout
intérêt leur étant attribué conventionnellement ou légalement, en créant ce concept unique
et englobant de sûreté qu’est le « security interest », lequel couvre tant les sûretés avec ou
sans dépossession, que les propriété-sûretés, l’aliénation fiduciaire, la vente ou la cession
de créance et les baux de financement. De l’avis de certains, cette désincarnation du
concept de « security interest » des fondements de l’analyse classique du droit des biens
ne serait que partielle et, jusqu’à un certain point, illusoire, puisqu’un « security interest »
est un droit de sûreté ou de garantie conféré au créancier dans un « bien personnel » (i.e.
« personal property »), c’est-à-dire, en adaptant, tant que faire se peut ces concepts de la
common law à la terminologie civiliste, un droit réel dans un bien meuble. Ainsi, la
qualification d’un security interest, en tant que telle, n’échappe pas à la nécessité de
déceler un vocabulaire utilisé par les parties, évocateur de ces réalités propres à l’analyse
classique du droit des biens 331. De plus, cette inclusion tous azimuts, sous un concept
unique, des sûretés avec ou sans dépossession, des propriété-sûretés, de l’aliénation
fiduciaire, de la vente ou de la cession de créances et des baux de financement, imposerait
une re-conceptualisation de ces diverses transactions, créant, de ce fait, une certaine
329
330
M.G. BRIDGE et al., loc. cit., supra note 24, p. 574 et 590.
Par exemple, la législation américaine fournit certains critères de distinctions entre les « true
leases » et les « security leases », les formalités de constitution et de publicité n’étant pas les
mêmes selon le cas. On propose que ces critères de distinction soient objectifs. Voir, entre autres,
G. GILMORE, op. cit., supra note 317, p. 338-340.
331
M.G. BRIDGE et al., loc. cit., supra note 23, p. 574.

Page 164
138
artificialité et générant un nouveau type de « formalisme », ce que l’on visait pourtant à
éviter 332.
D’autre part, le droit de l’insolvabilité prévoit la distribution à la masse des créanciers des
biens du débiteur. Ainsi, en cette matière, les distinctions propres au droit des biens
conservent toute leur pertinence, ainsi qu’aux termes de diverses lois fiscales, en vertu
desquelles les législateurs tant fédéral que provinciaux se confèrent des privilèges ou des
priorités, en faisant appel à des concepts classiques du droit des biens 333.
Enfin, les exclusions permises à l’étendue de l’application du Titre 9 du UCC sont
relativement nombreuses 334, ce qui crée une disparité entre les divers États américains,
sans compter la limitation inhérente du Titre 9 du UCC aux seules sûretés
conventionnelles, les privilèges légiférés étant virtuellement aussi variés que nombreux,
selon les compétences des législateurs des États américains ou fédéral 335.
332
333
334
335
Ibid., p. 619. Pour R.A. MacDonald, cette approche fonctionnelle est désincarnée et empêche une
réflexion législative antérieure sur la nature et l’essence des transactions qui sont visées par la
notion de
security interest, laissant le soin aux juges d’en préciser les contours, ce qui est l’une des
limites de cette approche mais qui s’explique par l’histoire de la common law et l’évolution des
sûretés, un droit essentiellement prétorien qui ne se fonde pas sur un concept articulé,
contrairement à l’hypothèque du droit civil. Voir : Roderick A. MACDONALD, « Article 9 Norm
Entrepreneurship », (2006) 43 Can. Bus. L. J. 240, 275-278, 282-283. Sur la nécessité de bien
articuler un concept,
a fortiori lorsqu’il s’agit d’un emprunt au droit étranger, et ce, afin que la
greffe prenne, lire les commentaires de George L. GRETTON, « Reception Without Integration ?
Floating Charges and Mixed Systems », (2003) 78
Tulane Law Review 307, au sujet de la non
intégration conceptuelle en droit civil écossais du « Floating Charge » du droit anglais.
M.G. BRIDGE et al., loc. cit., supra note 23, p. 576, 617-618.
Voir, notamment, E.E. SMITH, loc. cit., supra note 319, p. 21 : « Of course, as it is the case under
current Article 9, even though a type of property may be excluded from Revised Article 9, it is
often possible for a secured party to obtain a security interest in that type of property using other
federal or state statutes, or common law
».
G. GILMORE, op. cit., supra note 317, p. 306-308. Gilmore précise que cette uniformisation des
règles en matière de privilèges « statutaires » serait certes souhaitable, mais qu’il s’agit d’une
tâche difficile et complexe, en raison, notamment, des sphères de compétence législatives en
action. D’autre part, les rédacteurs du Titre 9 du UCC ont considéré que bon nombre de ces dits
privilèges s’éloignaient de l’économie générale du régime de sûretés mobilières, envisagé aux

Page 165
139
Ces critiques sont toutes d’intérêt. Le problème du manque de clarté et de certitude en
regard de l’approche fonctionnelle, en ce qui a trait au processus de qualification des
transactions, nous semble réelle. Nous croyons cependant que la plus pertinente de ces
critiques, surtout dans un contexte d’harmonisation du droit des sûretés mobilières, aux
échelles nationales et internationales, soit celle concernant l’existence de cette dichotomie
entre les lois sur les sûretés mobilières, d’une part, le droit de la faillite et de
l’insolvabilité, les diverses lois fiscales et les autres privilèges, priorités ou sûretés
légales, d’autre part. En effet, le droit des sûretés, de façon générale, mais surtout dans
un tel contexte d’harmonisation, devrait être davantage analysé, compris et considéré
dans sa relation avec le droit de la faillite et de l’insolvabilité, ce qui n’était pas, jusqu’à
récemment, une attitude répandue et développée, tant par la doctrine que par les
législateurs, mais qui tend à changer, comme nous l’avons évoqué précédemment 336.
En terminant au sujet de ce bref survol de l’approche fonctionnelle, une considération
nous semble inéluctable, peu importe l’approche choisie. On a relevé que les rédacteurs
du Titre 9 du UCC et certains commentateurs ont considéré comme interchangeables les
notions de propriété et de sûreté 337. Cela s’expliquerait en raison de la nécessité d’établir
un système de publicité des droits permettant aux parties et aux tiers de connaître avec
termes du Uniform Commercial Code, qui vise à régir le domaine du crédit commercial et non
celui du crédit consumériste.
336
Voir nos remarques à ce sujet, supra, note 106. Voir aussi: Jacob S. ZIEGEL, « Canadian
Perspectives on “How Far Is Article 9 Exportable” », (1996) 27
Can. Bus. L.J. 226, 244, où cet
auteur affirme ce qui suit : « What does, I think, emerge clearly from this variegated canvas is that
it would be a serious mistake to read the provincial PPS legislation in isolation from the many
countermovements diluting or trumping the priorities established by the Acts ».
337
Voir, notamment: I. DAVIES, loc. cit., supra note 28, p. 301, 303, 321.

Page 166
140
exactitude et précision l’étendue de leurs droits sur les biens grevés, ainsi que leur rang. Il
s’agirait cependant d’une lecture imparfaite de la situation :
[…] [A]t the level of perfection and priority, the distinction between security and
ownership is indeed irrelevant. The significant question is not whether the interest
should be characterized as one of ownership or security, but whether it raises the sort
of problems that a publicity regime applicable to non-possessory security interests is
best geared to address. In other words, the drafters did not necessarily view the
location of title as irrelevant to the concept of security, but rather to the kinds of
problems that a perfection and priority regime is designed to redress.
While the perfection and priority policies regulating security interests can be
logically extended to other non-possessory property rights, we question the wisdom
of effecting that extension by deeming them to be security interests.
[...]
The need to resort to formal techniques to accomplish the security characterization in
these exceptional cases [
e.g. conditional sales, leases and consignments] illustrates
two points: (i) that security interests and other non-possessory property interests
share a common problem – the need for publicity – and not a common character, and
(ii) that functional analysis alone is inadequate to resolve this common problem.
[...]
The policy issue in question is whether or not ownership is intrinsically deserving of
a higher level of protection at the priority level than the interest of a secured
creditor.
338
[Nos soulignements]
Voilà qui résume fort bien la question entourant l’essence de la publicité des droits. On
pourrait penser, à cet égard, qu’en raison des progrès remarquables de la technologie,
qu’il n’y ait plus d’arguments qui tiennent à l’encontre de la publication obligatoire de
tout intérêt ou droit dans un bien meuble, quel qu’il soit, pour en assurer la validité et
l’opposabilité aux tiers, sauf peut-être en certains cas limités en droit consumériste. Les
arguments de coûts et de complication accrue des transactions ne tiennent plus la route.
Il ne s’agit donc pas de savoir, en l’espèce, si cela est source d’injustice ou d’incertitude à
l’égard des personnes titulaires de tout droit de propriété, en raison d’une requalification
338
M.G. BRIDGE et al., loc. cit., supra note 24, p. 585 et 614.

Page 167
141
de leur transaction à titre de security interest, laissant croire que ces personnes acquièrent
un droit moindre que le droit de propriété convoité. Il s’agit plutôt du rôle de la publicité,
qui assure l’opposabilité des droits et l’édification d’un ordre de priorité. D’ailleurs, on
remarquait avec justesse que ces exigences de publicité sont toutes présentes en matière
immobilière 339.
Toutefois, au-delà de ces questions, demeurent celles ayant trait à l’uniformisation entre
les sûretés et les propriété-sûretés quant aux recours et à leur exercice. On dénaturerait le
droit de propriété en empêchant son titulaire de récupérer son bien, de le vendre et de
conserver tout surplus provenant de cette vente, de même que de la possibilité de se
prévaloir d’une clause pénale aux termes d’un contrat de quasi-sûreté, par exemple un
bail, en cas de défaut du débiteur 340. En cela, la quasi-sûreté n’équivaut pas à la sûreté et
les préceptes du droit des biens demeurent importants dans les effets qu’ils produisent.
Cette objection nous semble plus sérieuse. Cependant, comme nous le verrons plus
loin 341, les propriété-sûretés empêchent la création d’un ordre de priorité entre les
créanciers, puisque toute réservation du titre de propriété équivaut à l’exclusion pure et
simple du concours entre les créanciers.
339
340
341
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27, p. 555-556, 580-581. Nous verrons cependant que
cette vision, bien qu’à l’origine des mouvements de réformes en droit des sûretés, fut
graduellement délaissée ces dernières années et qu’un retour à l’occultisme s’opère, notamment en
raison de la constitution et publication d’une sûreté par dépossession fictive, s’opérant par la
maîtrise ou le « control » du bien grevé. Voir, à ce sujet, notre discussion, ci-dessous, Partie I,
sous-sections III. A. 1.3 (les sûretés mobilières conventionnelles avec ou sans dépossession) et
III. B. 2.3. (De la renaissance de la publicité par dépossession).
I. DAVIES, loc. cit., supra note 28, p. 306-307.
Voir notre discussion, ci-dessous, Partie I, sous-section III. B.1, relativement à l’ordre de priorité
entre les créanciers.

Page 168
142
Le principe de l’énumération limitative des sûretés émanant du droit civil français
propose une autre solution à l’édification d’un régime de sûretés uniformes et cohérent.
1.2
le principe de l’énumération limitative des sûretés du droit
français
Existe-t-il un numerus clausus des sûretés réelles, en droit civil français ? La
jurisprudence française du XIXième siècle et la doctrine classique répondirent par
l’affirmative 342. Ainsi, seules les causes légitimes de préférences que sont, aux termes de
l’article 2323 C. civ. 343, les privilèges et les hypothèques, seraient reconnues comme
sûretés réelles, les sûretés nommées par le législateur constituant une liste exhaustive.
Cette approche s’est cependant effritée depuis. En France, c’est désormais le triomphe de
la liberté contractuelle, qui s’ajoute à la consécration de nouvelles sûretés par le
législateur lui-même 344.
Il faut voir que, dans sa formulation la plus stricte, c’est-à-dire par l’inclusion d’une
disposition législative présentant un caractère d’ordre public, énonçant que « toute
convention par laquelle les parties cherchent à créer une garantie réelle est nulle si elle
n’est pas autorisée explicitement par la loi » 345, ce principe serait beaucoup plus rigide
que ses autres versions possibles. En effet, l’approche fonctionnelle constituerait, en elle-
même, comme d’ailleurs toutes les autres techniques visant à uniformiser et à unifier les
342
343
344
M. CABRILLAC et C. MOULY, op. cit., supra note 124, no 505, p. 411.
Anciennement, art. 2094 C. civ.
Philippe SIMLER et Philippe DELEBECQUE, Droit civil : les sûretés, la publicité foncière, 4e
éd., Paris, Dalloz, 2004, n
o 5, p. 9-10 ; Y. PICOD, op. cit., supra note 8, no 172, p. 240. Par
ailleurs, il y aurait une énumération limitative des sûretés en droit anglais. Voir : J. DE LACY,
loc.
cit., supra note 28, p. 7 (note 17); H. BEALE, et al., The Law of Personal Property Security, op.
cit.
, supra note 8, p. 8. Il faut cependant y ajouter la flexibilité découlant de l’Equity qui permet
de palier à nombre de situations imprévues.
345
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27, p. 566.

Page 169
143
formalités de constitution, de publicité, ainsi que les mécanismes de réalisation, l’une des
multiples variantes de cette idée de l’énumération limitative des sûretés, selon l’angle
envisagé 346.
Analysons maintenant la version de ce principe de l’énumération limitative des sûretés
telle que proposée par l’Office de révision du Code civil du Québec, aux termes de la
notion de la « présomption d’hypothèque ».
1.3
le concept de la « présomption d’hypothèque » tel que
proposé par l’Office de révision du Code civil du Québec
Le concept de la « présomption d’hypothèque » fut une version québécoise de l’approche
fonctionnelle, adoptée aux termes du Titre 9 du UCC. Notre intention n’est pas de
reprendre, ici, les multiples analyses qui ont déjà fait état de cette question 347. Nous
allons nous contenter de rappeler les lignes de forces de cette proposition de l’OFFICE DE
RÉVISION DU CODE CIVIL DU QUÉBECORCC »), que le législateur québécois n’a pas
retenue aux termes de sa réforme, lors de l’adoption et de l’entrée en vigueur du Code
civil du Québec.
Les articles 281 à 285 du Livre quatrième du Projet de Code civil portant sur les biens,
énonçaient les règles de ce régime 348. Cette notion de la présomption d’hypothèque était,
en fait, beaucoup plus restrictive que ne l’est celle de « security interest » et toute
l’approche fonctionnelle du UCC. En effet, non seulement y vit-on l’apparition d’un
346
347
348
J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, p. 211.
Pour une étude détaillée de la question et une référence aux autres études en traitant, voir :
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27.
QUÉBEC, OFFICE DE RÉVISION DU CODE CIVIL, Rapport sur le Code civil du Québec, vol. I, Éditeur
officiel du Québec, 1978; QUÉBEC, QUÉBEC CIVIL CODE REVISION OFFICE, Report on the Civil
Code
, vol. I., Éditeur officiel du Québec, 1978 [le « Projet de Code civil de l’ORCC »].

Page 170
144
concept de sûreté unique, générateur et fédérateur, regroupant sous le vocable de
l’hypothèque toute transaction conférant un droit sur un bien visant à assurer le paiement
d’une obligation, et ce, quelque soit le nombre, le nom ou la nature des actes intervenus et
nonobstant les termes employés par les parties. On y vit, en plus, l’apparition d’une
opération de requalification systématique de toute transaction par laquelle le créancier se
réservait la propriété du bien à des fins de garantie. C’est ainsi que toutes formes de
propriété-sûretés devinrent virtuellement proscrites, se métamorphosant automatiquement
en transfert de propriété (le titre passant donc à l’acheteur/débiteur), conférant cependant
une réserve d’hypothèque ou une hypothèque en faveur du vendeur/créancier. L’article
282 du Projet de Code civil, in fine, énonçait ce qui suit :
Ainsi, l’aliénation ou la location d’un bien ou
une autre convention qui tombe sous le coup de
l’article précédent emporte, quelles qu’en soient
les modalités, transfert de propriété avec réserve
d’hypothèque en faveur du créancier, ou, selon
le cas, ne lui confère qu’une hypothèque, et la
faculté ou l’obligation d’achat dont elle peut
être assortie est alors sans effet.
regardless of
Thus,
the conditions, any
alienation or lease of property or any other
agreement which comes under the preceding
article entails transfer of ownership subject to
a hypothec in favour of the creditor or, as the
case may be, merely confers a hypothec upon
him, and any option or obligation to purchase
which it may entail is then without effect.
[Notre soulignement]
De même, en pareil contexte, on crut bon d’interdire
la résolution, par
le
vendeur/créancier, de toute vente ayant pour finalité de lui conférer une garantie, en
raison de la survenance d’un défaut de l’acheteur/débiteur 349.
Les avantages de cette approche sont essentiellement les mêmes que ceux précédemment
énoncés en regard de l’approche fonctionnelle du Titre 9 du UCC. Simplicité et
cohérence du régime, uniformisation des formalités de constitution, de publicité et de
349
Voir l’article 284 du Livre quatrième du Projet de Code civil de l’ORCC, supra note 348.



Page 171
145
réalisation, empêchement de contourner ces règles d’intérêt commun par le recours à des
techniques peu ou pas réglementées, en particulier en matière de réserves de propriété.
Enfin, l’objectif informationnel visé par l’édification d’un système de publicité assurant
un ordonnancement clair des priorités entre les créanciers est alors pleinement atteint.
Les inconvénients de cette approche peuvent toutefois sembler plus sérieux que ceux
précédemment énoncés en regard de l’approche fonctionnelle et unitaire américaine. Les
arguments selon lesquels l’approche proposée par le système de la présomption
d’hypothèque soit lourd et inefficace, notamment en matière de publicité, et les
prétendues origines de common law qu’on lui impute comme étant un grave péché
originel, ne retiendront pas notre attention à ce stade-ci 350. On notera cependant l’affront
plus important fait au principe de la liberté contractuelle 351. En effet, cette
requalification législative et impérative de toute forme de propriété-sûreté en hypothèque,
avec transfert du titre de propriété par l’effet de la loi, allait beaucoup plus loin que
l’approche du Titre 9 du UCC 352.
350
351
352
Voir cependant R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27, p. 536-543, qui rappelle, avec
justesse selon nous, que cette approche téléologique ou fonctionnelle caractérise la philosophie
générale du droit civil codifié en matière d’interprétation des lois et des contrats. Il va même plus
loin, à la p. 543, affirmant que « […] tous les droits occidentaux admettent la nécessité d’une
approche téléologique aux questions de qualification dans le domaine des sûretés réelles
».
Mentionnons, au demeurant, que le Titre 9 du UCC n’est certes pas une construction législative
qui s’inspire de la
common law. Voir entre autres, à ce sujet, Charles W. MOONEY, Jr.,
« Relationship between the prospective Unidroit International Registry, Revised Uniform
Commercial Code Article 9 and national civil aviation registries », (1999) 4
Rev. dr. unif. 335,
343.
Cependant, cet affront au principe de la liberté contractuelle était un choix tout à fait conscient que
posait l’ORCC. Voir, à ce sujet, Q
UÉBEC, OFFICE DE RÉVISION DU CODE CIVIL, Rapport sur le
Code civil du Québec : Commentaires
, t. 1, vol. 2, Éditeur officiel du Québec, 1978, p. 433;
Q
UÉBEC, CIVIL CODE REVISION OFFICE, Report on the Civil Code : Commentaries, t. 1, vol. 2,
Éditeur officiel du Québec, 1978, p. 429. Voir les commentaires de L. PAYETTE, Les sûretés
réelles
, 3e éd., loc. cit., supra note 78, nos 151-157, p. 62-67.
On retiendra cependant que certains auteurs soutiennent que le Uniform Commercial Code
américain procède, lui aussi, à une certaine requalification des transactions en « security

Page 172
146
Dès lors, on comprendra mieux l’enjeu fondamental : comment concilier le principe de
l’autonomie de la volonté à la mise en œuvre d’un régime des sûretés mobilières qui soit
moderne, uniforme et exhaustif, en ce qui a trait aux modalités de constitution, de
publicité et de réalisation ?
C’est à cette problématique que le professeur R.A. Macdonald tenta d’apporter une
solution en formulant le principe dit « de l’essence de l’opération », pour les systèmes
civilistes, que nous allons maintenant étudier.
1.4
le principe de l’« essence de l’opération » tel que formulé
par R.A. Macdonald
R.A. Macdonald s’est inspiré des articles 1040a-1040e C.c.B.C. pour formuler sa
proposition de l’adoption, par le législateur québécois, de dispositions au Code civil du
Québec édictant le principe de l’essence de l’opération, en vue d’assurer l’uniformité et la
cohérence du régime des sûretés réelles mobilières 353. Ce principe permettrait l’exercice
de la liberté contractuelle des parties, qui conserveraient le loisir de choisir la forme de la
convention qui leur sied le mieux, sans risque que le législateur ne procède par la suite à
une requalification modifiant les droits en découlant, notamment en ce qui a trait au
353
interests », détachant ainsi, par conséquent, l’analyse des conventions de sûretés des racines du
droit des biens de la tradition de
common law. Voir notre discussion, supra, note 332.
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27, p. 566 : « Quels sont la nature et l’effet d’un tel
principe, et comment y arriver en pratique ? Commençons par la dernière question.
L’énonciation du principe se fait en deux étapes. Elle exige, premièrement, une disposition
législative prévoyant la publicité et des mécanismes de réalisation obligatoires pour toute sûreté
de droit commun, en l’occurrence, le régime hypothécaire. Ensuite, il est nécessaire d’ajouter des
dispositions prévoyant que toutes les autres opérations juridiques ayant pour objet ou effet de
créer un droit dans ou sur un bien à fin de garantir l’exécution d’une obligation seront également
soumises aux régimes de publicité et de réalisation gouvernant les hypothèques ». On note donc
que les formalités de constitution peuvent différer de celles du régime hypothécaire dans le cas de
nouvelles transactions ou de transactions autrement réglementées par le Code civil, seuls les
régimes de publicité et de réalisation étant dès lors unifiés et uniformisés. R.A. Macdonald
formule ensuite sa proposition en projet d’articles, à la p. 567 de son texte précité.

Page 173
147
transfert du droit de propriété. Il aurait cependant pour effet d’assujettir, au régime
général des hypothèques, toute transaction conférant un droit sur un bien afin de garantir
l’exécution d’une obligation, pour ce qui est de la publicité et des mécanismes de
réalisation.
Ce principe de l’essence de l’opération s’inspire certes de l’approche fonctionnelle du
Titre 9 du UCC. Il en diffère cependant, de même qu’il diffère de la présomption
d’hypothèque, à des degrés importants. Ainsi, aucune requalification des opérations de
garantie, autres que celles découlant du régime général de l’hypothèque, n’est
imposée 354. On se rappellera que, dans le cas du Titre 9 du UCC, toutes les transactions
conférant un intérêt dans un bien personnel afin de garantir l’exécution ou le paiement
d’une obligation deviennent des « security interests », subissant dès lors, par conséquent,
une requalification, dont certains, comme nous l’avons déjà souligné, s’interrogent quant
aux effets.
Dans un contexte de droit civil codifié, l’adoption d’un principe de l’essence de
l’opération constitue néanmoins une « fausse alternative » 355. En effet, ce principe
permet certes l’établissement de règles de publicité et de réalisation communes à tous les
types de garanties. En revanche, il faillit à la tâche en ce qui a trait à l’édification d’un
354
On peut cependant objecter que cette approche impose une requalification partielle, notamment au
chapitre des mécanismes de réalisation, qui sont uniformisés, dénaturant par conséquent la nature
de la transaction. C’est ce qu’a soutenu J.-F. RIFFARD,
op. cit., supra note 21, p. 215-218. Voir
la réponse de R.A. Macdonald à ce genre d’objection : R.A. MACDONALD,
loc. cit., supra note
27, p. 570-572, qui estime que le droit de propriété n’est pas absolu, contrairement à l’approche
civiliste classique qui le conçoit ainsi. Ce qui compte, c’est qu’au moment de la transaction, le
titre reste sur la tête du propriétaire. Si ce droit de propriété est tronqué par un régime de recours
uniformisé qui permet au débiteur ou à tout tiers intéressé de remédier au défaut et de conserver la
jouissance du bien, cette troncature du droit de propriété n’est pas une objection suffisante à
l’encontre du principe de l’essence de l’opération. Notons que le régime québécois du
Code civil
du Québec n’a pas suivi cette approche.
355
J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, nos 617-618, p. 217-218.

Page 174
148
ordre de priorité cohérent, se fondant sur le principe de l’ordre du temps 356. Il permet
donc, jusqu’à un certain point, la constitution de régimes de sûretés multiples et
parallèles. Il sape l’efficacité d’un régime hypothécaire unifié. En effet, l’hypothèque ne
conférant qu’un droit de préférence au créancier qui en est titulaire dans l’organisation de
la loi du concours, il sera plus avantageux de choisir l’exclusion pure et simple de ce
concours, en recourant aux mécanismes des réserves de propriété, de l’aliénation
fiduciaire ou des baux de financement 357. Ce faisant, le créancier échappe à l’ordre du
temps en matière de collocation.
Il faut donc faire un choix, qui pourra être différent, selon qu’il s’agisse d’un régime de
sûretés opérant dans un système de droit civil ou de common law 358.
En droit civil, le droit des biens distingue les droits réels principaux des droits réels
accessoires. La technique de l’hypothèque confère à son titulaire un droit réel accessoire
sur le bien grevé. Dès lors que son assiette s’étende aux universalités de biens meubles
corporels et incorporels, présents et à venir, et qu’il soit possible de garantir l’exécution
d’une universalité d’obligations présentes et futures identifiées, le recours à d’autres
356
357
358
Voir notre discussion à ce sujet, ci-dessous, Partie I, à la sous-section III.B.1, relative à l’ordre de
priorités entre les créanciers.
P. CROCQ, loc. cit., supra note 124, p. 317-334, an particulier à la p. 319 : « La recherche de
nouvelles garanties résulte donc de la volonté d’échapper, d’une part, au caractère accessoire et,
d’autre part, au risque de préférence. Face au caractère accessoire, les créanciers recherchent
leur salut dans des garanties indépendantes. Face au risque de préférence, ils essayent de
bénéficier de situations d’exclusivité
».
Pour une discussion plus élaborée des différences systémiques fondamentales entre le droit civil et
la
common law en matière de droit des biens, voir ci-dessous, Partie I, sous-section III.A.2,
relativement aux sûretés mobilières conventionnelles dans leur objet et dans leur cause. Ainsi,
l’atteinte d’un même objectif se fera donc par l’entremise de voies différentes, selon le système
juridique médiateur d’intérêts divergents. Voilà tout le défi posé par la méthode comparative, tel
que nous le rappellent René DAVID et Camille JAUFFRET-SPINOSI,
Les grands systèmes de
droit contemporains
, 10e éd., Paris, Dalloz, 1992, p. 12 : « L’équilibre entre intérêts opposés et la
réglementation de justice que le droit cherche à réaliser peuvent, dans des droits variés, être
obtenus par des voies diverses
».

Page 175
149
techniques de garanties, impliquant la manipulation des droits réels, ne peut qu’être
problématique, tant d’un point de vue pratique qu’au plan conceptuel. S’il s’agit de
favoriser des principes d’uniformisation des règles, fondés sur des exigences de
simplicité et d’efficacité, et sur la nécessité d’établir une certaine cohérence des règles de
priorités, le choix qui s’impose est la création d’un régime hypothécaire universel d’ordre
public. Le recours au principe de l’énumération limitative des sûretés évitera que l’on
procède à une requalification des transactions telle que la notion de la présomption
d’hypothèque le faisait. Ce choix est catégorique : on ne manquera pas d’objecter qu’il
constituera un frein à l’évolution des techniques de crédit. On peut toutefois s’interroger
sur leur possible évolution lorsque toutes les barrières à la constitution d’une sûreté sans
dépossession efficace sont ainsi levées. Comme le remarque J.-F. Riffard, « c’est à ce
prix que l’on pourra maintenir une véritable uniformité, garante d’une certaine égalité
entre les créanciers » 359.
En common law, le droit des biens ne s’articule pas de la même manière qu’en droit civil,
en particulier en ce qui a trait au concept du droit de propriété. L’approche fonctionnelle
et unitaire du security interest peut ainsi englober plus facilement toutes les formes de
transactions de sûretés, le maniement des legal title et equitable title permettant une plus
grande souplesse. Bien qu’il existe une requalification des transactions qui se muent en
security interest dès lors que la finalité de l’opération est de garantir l’exécution d’une
obligation, la notion même de security interest n’interfère pas au niveau de l’articulation
des legal title et equitable title entre le créancier et le débiteur. Elle permet l’atteinte des
mêmes objectifs que l’approche du droit civil préconisant la création d’un régime
359
J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, no 618, p. 218.

Page 176
150
hypothécaire unique, utilisant le principe de l’énumération limitative. On constate donc
que le maniement des droits réels exige probablement plus de précisions. Le sort des
réserves de propriété ne peut se comprendre de la même manière en droit civil et en
common law. C’est pour cela que leur traitement différera selon le système de droit 360.
En pratique, cependant, nous verrons que cette conception ne demeure qu’une visée
intellectuelle, les différents projets d’harmonisation favorisant, en lieu et place d’une
véritable approche unitaire qu’ils n’épousent que du bout des lèvres, une segmentation et
une spécialisation du crédit par types de biens, tel que le Uniform Commercial Code
l’établit, du reste.
360
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27, no 25 (note 96), p. 571. De manière assez
intéressante, il s’agit d’ailleurs là d’arguments qui sont invoqués par les Écossais à l’encontre de
l’adoption possible, pour tout le Royaume-Uni incluant l’Écosse, d’un régime unitaire fondé sur
l’approche téléologique à l’image du Titre 9 du UCC, le droit privé écossais étant de tradition
civiliste et adoptant le régime de droit des biens romaniste. Voir, à ce sujet : George GRETTON,
« Security over moveables in Scots law », dans John DE LACY, dir.,
The Reform of UK Personal
Property Security Law. Comparative Perspectives
, Londres, Routledge Cavendish, 2010, 270, en
particulier aux p. 279-280: «
In a civilian system of property law, ownership is an unambiguous
and primary conception. Common lawyers deconstruct ownership as a ‘bundle of rights’ and it
may well be that in the common law systems that is correct but, in the civil law, ownership is not a
bundle of rights
. […] ‘Security interest’ turns out to be (from a civilian perspective) elusive. The
policy of the UCC is this: ‘In title finance, the title is functionnally a security interest. So the law
should characterise it as such’. That could be done either by converting it into a limited real
right, or by keeping it as ownership but strictly as security ownership. When one put the text of
the UCC under magnifying glass, it is unclear which of these is happening. However, that
criticism is perhaps itself a culture-bound criticism. In a system where ownership is
conceptualised as a bundle of rights, the sorts of issues being canvassed above perhaps do not
matter and perhaps do not even make sense. Civil lawyers are, it might be said, obsessed by the
question of who has which real rights at each moment. Anglo-american lawyers are not so
obsessed. Having established that the philosophy of the UCC is functionalism, for the Anglo-
American lawyer the story is ended. The civil lawyer may be prepared to accept the
functionalism, but wishes to make it run on a different operating system. It is unfortunate that
scepticism about UCC Article 9 has often been misconstructed as a distrust of functionalism. That
may come into it, but a functionalist philosophy, however enthusiastically embraced, still needs
technical implementation
. »

Page 177
151
Nous allons maintenant nous attarder à l’étude de diverses solutions qui furent retenues
ou qui sont préconisées par les systèmes en place ou par les principaux projets de réforme
actuellement en cours dans le domaine des sûretés réelles mobilières.
2.
De diverses solutions retenues ou proposées
Nous ne reviendrons pas sur la solution adoptée par les législateurs des États américains
et ceux des provinces canadiennes-anglaises, qui ont choisi, pour la majorité, l’adoption
de l’approche fonctionnelle et unitaire du « security interest ». Nous examinerons
cependant les solutions adoptées ou préconisées par UNIDROIT, aux termes de la
Convention du Cap (2001) [2.1], par le législateur québécois aux termes du Code civil du
Québec [2.2], par l’OÉA aux termes de la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières [2.3], par la BERD aux termes de la Loi type de la BERD [2.4] puis, enfin, par
la CNUDCI aux termes du Guide législatif sur les opérations garanties [2.5].
2.1
aux termes de la Convention du Cap (2001)
Dans notre étude comparée des projets de réforme des sûretés réelles mobilières, il
s’impose de commencer par celle d’un projet international qui est susceptible d’avoir une
influence sur chacun des droits étatiques nationaux, dans la mesure où la Convention du
Cap (2001) sera ratifiée par un nombre important de pays.
Nous évoquerons tout d’abord, dans un premier temps, les objectifs poursuivis par la
Convention du Cap (2001), et retracerons brièvement l’historique des travaux effectués à
ce sujet [2.1.1]. Nous exposerons ensuite brièvement la mécanique juridique mise en
place pour atteindre ces objectifs [2.1.2], et considérerons, enfin, l’impact du choix de
Page 178
152
n’avoir pas retenu l’approche fonctionnelle et unitaire du Titre 9 du UCC, sur les autres
projets de réformes ou sur les autres systèmes déjà en place [2.1.3].
2.1.1
historique de la Convention du Cap (2001) et
objectifs poursuivis
On rapporte que c’est le juriste canadien T.B. Smith, alors membre du conseil de
direction d’UNIDROIT, qui proposa l’entreprise de la rédaction de la Convention du Cap
(2001). Un autre juriste canadien, R.C.C. Cuming, supervisa les travaux d’un groupe de
travail exploratoire restreint établissant le besoin et la faisabilité d’un tel projet 361.
R. Goode en précise les objectifs poursuivis :
L’objectif [principal] de cette convention est d’établir un régime juridique
international pour les sûretés et droits apparentés portant sur des matériels
d’équipement qui se déplacent habituellement d’un État à un autre dans le cours
normal des affaires – comme les avions et le matériel roulant ferroviaire –, et sur les
satellites ou autres objets spatiaux qui, bien entendu, ne sont pas localisés sur Terre.
[…]
Le projet de Convention relative aux garanties internationales portant sur des
matériels d’équipement mobiles vise quatre objectifs essentiels : offrir une
protection internationale aux sûretés portant sur des matériels d’équipement mobiles
de grande valeur, et susceptibles d’une individualisation; offrir aux titulaires de ces
garanties une gamme simple de recours pour inexécution pouvant être exercés
promptement; prévoir un régime en vertu duquel ces garanties peuvent être parfaites
[sic] par l’inscription afin que les tiers puissent connaître leur existence; établir des
règles de reconnaissance et de priorité de ces garanties, applicables y compris en cas
de faillite du débiteur
362.
Comme on peut le constater, on a délibérément limité la sphère d’application de la
Convention à des biens très spécifiques, de très grande valeur et susceptibles
d’individualisation, qui réfèrent à des situations authentiquement internationales, dans le
but « d’éviter tout risque d’interférence quelconque avec les règles du droit national,
361
362
R.M. GOODE, loc. cit., supra note 67, p. 53.
Ibid., p. 53 et 57. Voir aussi : R.M. GOODE, Convention du Cap, supra note 64, p. 4-5.

Page 179
153
sauf dans la mesure nécessaire pour conférer une priorité aux titulaires de garanties
internationales inscrites » 363. Ces biens de grandes valeur peuvent notamment
comprendre les cellules d’aéronefs, les moteurs d’avion, les conteneurs, les hélicoptères,
les plates-formes de forage pétrolier, le matériel ferroviaire roulant, les navires et bateaux
immatriculés et le matériel d’équipement spatial 364. Ce faisant, il s’agit d’établir un
régime spécial de sûretés qui se superposera aux régimes existants.
La rédaction d’un tel projet de texte législatif comporte son lot de difficultés. Nous
verrons maintenant les voies que son comité de rédaction a choisi d’emprunter pour lui
assurer une plus grande souplesse d’adaptation et une ratification rapide.
2.1.2
mécanique juridique mise en place par la
Convention du Cap (2001)
Le Conseil de direction d’UNIDROIT, le comité d’étude et le comité de rédaction de la
Convention du Cap (2001), ont travaillé en étroite collaboration, tout au long de
l’élaboration de ce projet, avec les différents gouvernements, leurs experts, ainsi qu’avec
les représentants des différentes industries concernées. Dès l’abord, l’industrie
aéronautique a manifesté un intérêt marqué pour le projet. Il s’est avéré, au fil des
travaux, qu’il était impossible de concevoir des règles identiques et également
appropriées à tous les types de matériels 365. Les différents groupes de travail concernant
363
364
365
Martin J. STANFORD, « A broader or a narrower band of beneficiaries for the proposed new
international regimen ?: Some reflections on the merits of the Convention/Protocol structure in
faciliting the former / Élargir ou restreindre l’éventail des biens d’équipement qui seront soumis
au nouveau régime international proposé ?: quelques considérations sur le bien-fondé de la
structure Convention/Protocole pour faciliter une plus large application de la Convention », (1999)
4 Rev. dr. unif. 242, 243.
Ibid., p. 245.
Roy GOODE, « The preliminary draft UNIDROIT Convention on International Interests in Mobile
Equipment: the next stage », (1999) 4
Rev. dr. unif. 265 (n.s.), 269. R. Goode indique qu’il n’est

Page 180
154
chacune des industries visées par le projet n’étaient pas tous rendus au même état
d’avancement dans leurs réflexions. Afin de ne pas priver les gens de l’industrie
aéronautique d’un instrument législatif important à court terme, dont les travaux
progressait plus rapidement, et aussi afin de ne pas devoir réinventer la roue pour chacune
des différentes composantes de la Convention du Cap (2001) 366, on a formulé la solution
prévoyant que « pour chaque type de matériel d’équipement mobile, la convention sera
modifiée par un protocole contenant des dispositions spécifiques à cette catégorie, qui
compléteront ou modifieront les dispositions générales de la Convention » 367.
Ces données démontrent bien la nature très spécifique de ce projet et peuvent sans doute
permettre d’expliquer, dans une certaine mesure, le rejet de l’approche fonctionnelle et
unitaire du « security interest » par son Comité de rédaction.
2.1.3
impact du choix de n’avoir pas
l’approche fonctionnelle et unitaire
retenu
L’approche fonctionnelle et unitaire du security
interest, bien que présentant
d’indéniables avantages, n’en est pas pour autant une panacée, ce que les rédacteurs du
Titre 9 du UCC n’ont jamais affirmé, au demeurant.
Ainsi, le comité de rédaction de la Convention du Cap (2001) a choisi de ne pas retenir
l’approche fonctionnelle et unitaire telle que préconisée aux termes du Titre 9 du UCC.
Voici ce qu’écrit R. Goode à ce sujet :
pas aisé, au demeurant, de bien définir les divers biens qui sont couverts par la Convention, afin de
s’assurer d’un véritable critère d’individualisation, permettant également de générer des solutions
précises et adaptées à chacun des secteurs visés de l’industrie.
366
367
M.J. STANFORD, loc. cit., supra note 363, p. 245.
R. GOODE, loc. cit., supra note 67, p. 59 et 61.

Page 181
155
Les dispositions relatives au champ d’application du projet de convention ne
peuvent être parfaitement comprises sans une connaissance de l’évolution de la
réflexion dont elles résultent. On s’est proposé à l’origine de suivre le modèle de
l’article 9 du Code Commercial Uniforme des États-Unis d’Amérique en adoptant
une conception fonctionnelle de la sûreté afin d’y intégrer les contrats de vente avec
réserve de propriété et les contrats de bail constitués à fin de garantie, et en
prévoyant un système d’inscription par débiteur permettant la perfection [sic] des
sûretés sur les biens futurs et les produits. Il est cependant rapidement apparu que
cette démarche soulèverait de sérieuses difficultés. Tout d’abord, seuls les États-
Unis d’Amérique du Nord assimilent la réserve de propriété à une garantie.
Ailleurs, tant dans le monde de la
Common Law que du droit civil, une nette
distinction est faite entre d’une part, l’octroi d’une garantie par un débiteur portant
sur un bien qu’il détient, et d’autre part, un contrat entre le vendeur et l’acheteur
prévoyant que la propriété ne sera transférée à l’acheteur que lors du paiement total.
Les sûretés sont en général soumises à l’inscription mais non pas la réserve de
propriété, et il existe d’autres différences fondamentales de traitement. Si l’article 9
suscitait l’admiration, il impliquait à l’évidence des reclassifications qui ont été
considérées trop radicales pour être acceptées par les États ne connaissant pas un tel
système. D’aucuns se sont inquiétés, notamment dans les milieux professionnels du
crédit-bail, que l’assimilation de la vente conditionnelle et des contrats de bail à des
sûretés pourrait avoir une incidence sur le régime fiscal de ces opérations et peut-
être des effets négatifs. De plus, les milieux professionnels du crédit-bail se sont
opposés même à ce que les contrats de bail soient qualifiés de contrats de réserve de
propriété. Il a finalement été décidé de créer trois catégories : les contrats
constitutifs de sûreté, les contrats de vente conditionnelle, et les contrats de bail.
368
La Convention du Cap (2001) s’appliquera aux garanties conventionnelles se retrouvant
dans les trois catégories que sont les contrats constitutifs de sûretés, les contrats de vente
conditionnelle et les baux 369. De plus, l’application de la convention est limitée aux
seuls biens mobiles susceptibles d’individualisation et de grande valeur, de même qu’aux
seuls biens présents lors de la constitution de la garantie conventionnelle 370.
368
369
370
Ibid., p. 61 et 63.
Convention du Cap (2001), supra note 64, art. 2.
Convention du Cap (2001), supra note 64, art. 7. Cet article prévoit les conditions de formes
requises à la création d’une garantie internationale. Le contrat doit être conclu par écrit, porter sur
un bien dont le constituant, le vendeur conditionnel ou le bailleur a le pouvoir de disposer, et
rendre possible l’identification du bien conformément au Protocole. Ainsi, le bien doit pouvoir
être identifié lors de la constitution de la garantie. Voir :
Protocole aéronautique (2001), supra
note 65, art. VII – Description des biens aéronautiques : « Une description d’un bien
aéronautique, qui comporte le numéro de série assigné par le constructeur, le nom du
constructeur et la désignation du modèle, est nécessaire et suffit à identifier le bien aux fins du
paragraphe c) de l’article 7 de la Convention et de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article V du
présent Protocole
». Voir cependant : Protocole ferroviaire (2007), supra note 66, art. V –
Indentification du matériel ferroviaire roulant dans le contrat. Cette disposition prévoit que le
contrat de garantie peut identifier du matériel ferroviaire présent et futur, mais précise à l’égard du

Page 182
156
Ainsi, ce système de garanties internationales n’a pas la même vocation que tout système
de droit interne, qui consiste à régir un ensemble plus vaste de sûretés et de transactions.
D’autre part, on prévoit un système de publicité constitué par l’inscription du bien, en
supposant leur individualisation. Enfin, ces biens d’équipement mobiles présentent une
grande valeur et ne passent pas inaperçus dans le patrimoine de quiconque. Cette grande
valeur qui leur est attribuée fait ressortir le fait que les joueurs impliqués dans toute
transaction impliquant de tels biens sont rompus aux usages du commerce international.
On a donc voulu laisser la plus grande latitude possible à l’autonomie de la volonté des
parties.
Pour ces raisons, il est possible que ce choix de n’avoir pas adopté une approche
fonctionnelle et unitaire ne présente pas d’impact significatif, et ce, tant sur les diverses
législations nationales régissant les sûretés mobilières que sur les autres projets
d’harmonisation. En cela, rappelons l’objectif du comité de rédaction de la Convention
du Cap (2001) de ne pas interférer avec les différentes législations nationales et d’ainsi
créer un régime spécial 371. Néanmoins, il reflète bien l’inconfort de plusieurs juristes,
issus tant de la common law que du droit civil, à l’égard de cette idée.
Nous allons maintenant étudier la solution adoptée par le législateur québécois aux
termes du Code civil du Québec.
matériel futur que la garantie est constituée « dès le moment où le constituant, le vendeur
conditionnel ou le bailleur peut disposer du matériel roulant ferroviaire, sans nécessité d’un
nouvel acte de transfert
». Autrement dit, la garantie internationale est créée lorsque le bien entre
dans le patrimoine du titulaire. La publicité de garanties internationales futures est permise mais à
titre de préinscription. Voir :
Convention du Cap (2001), supra note 64, par. 18 (3).
371
Sur le caractère spécial de ce régime supra-national, voir notre discussion, supra, Partie I, sous-
section I. B. 2.1, relative aux instruments de l’harmonisation visant les biens mobiles.

Page 183
157
2.2
l’exemple du Code civil du Québec : les priorités, les
hypothèques
partiellement
réglementées
sûretés-propriété
les
et
Comme nous l’avons évoqué lors du survol que nous avons précédemment fait du
mécanisme de la présomption d’hypothèque, le législateur québécois a choisi de ne pas
retenir cette solution lors de la dernière réforme du régime des sûretés. Il n’en a pas
moins procédé à une réforme d’importance, qui constituait, de l’avis de plusieurs
commentateurs, l’un des traits saillants à souligner à l’occasion de l’entrée en vigueur du
nouveau Code civil du Québec. Ainsi, on note un effort important de rationalisation et
d’uniformisation de ce domaine du droit 372.
En matière de sûretés légales, il faut souligner la disparition des privilèges et leur
remplacement par un régime bicéphale de priorités et d’hypothèques légales. En matière
de sûretés conventionnelles, il faut noter l’apparition d’une sûreté unique, à savoir
l’hypothèque. On a donc prévu un régime hypothécaire unique, tant en matière
immobilière que mobilière. La nouveauté sans doute la plus importante est la
consécration de l’hypothèque mobilière sans dépossession. Enfin, on note un effort
d’uniformisation des modes de publicités et des mécanismes de réalisation. Malgré ses
imperfections, le régime de sûretés du Code civil du Québec est considéré le premier et le
plus moderne des régimes civilistes, dont les résultats pratiques sont comparables à ceux
du Uniform Commercial Code américain, allant même plus loin que ce dernier du point
372
L. PAYETTE, Les sûretés réelles, 3e éd., supra note 78, p. 1-3, 61-76.

Page 184
158
de vue de l’articulation d’un régime complet et intégré de toutes les sûretés, mobilière,
immobilières, légales et conventionelles 373.
Le législateur québécois n’a toutefois pas retenu l’approche fonctionnelle, pas plus qu’il
n’a adopté de principe de l’essence de l’opération, ni de principe de l’énumération
limitative des sûretés. Il a cependant réglementé, de façon partielle, voire parcellaire,
certains mécanismes de propriété-sûretés traditionnellement reconnus en droit civil 374.
C’est ainsi que la fiducie constituée à des fins de garantie et la vente à tempérament,
obéissent à la logique propre à chacun de leurs régimes constitutifs, sauf en matière de
publicité et de réalisation, ces transactions étant alors assujetties aux règles du régime
hypothécaire 375.
De même, en matière de publicité, le crédit-bail et les baux d’une durée de plus d’un an,
doivent désormais être publiés 376. On note toutefois que ces transactions ne sont pas
assujetties au régime hypothécaire en ce qui a trait à l’exercice des recours 377.
373
374
375
376
Voir, entre autres: R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 332, p. 241 et 288. Cette opinion est
partagée par des civilistes de l’étranger, dont notamment l’écossais G.L. GRETTON,
loc. cit.,
supra note 332, p. 329 (note 104).
Ce choix fut critiqué par Marc BOUDREAULT et Pierre CIOTOLA, « Présentation et critique des
dispositions du Projet de loi 125 portant sur les sûretés réelles », (1991) 22
R.G.D. 697, 707-708.
Ces auteurs soulignent que le
Code civil du Québec « prévoit une voie de compromis qui combine
à la fois les avantages de la liberté contractuelle et les inconvénients de conflits potentiels
». Voir
notre discussion, Partie I, à la sous-section III.B.1.2.5, ci-dessous, intitulée « Comparaisons entre
le PMSI et les mécanismes mis en place par le
Code civil du Québec visant l’atteinte d’objectifs
analogues ».
C.c.Q., art. 1263, 1745 et 1749. En matière de publicité, dans le cas de la vente à tempérament,
seuls les contrats portant sur des véhicules routiers, des biens meubles déterminés par règlement
ainsi que sur des biens meubles acquis pour l’exploitation d’une entreprise sont assujettis à cette
exigence.
Dans le cas des baux de plus d’un an dits « à long terme », cette exigence est toutefois limitée aux
véhicules routiers, aux biens meubles déterminés par règlement, ainsi qu’aux biens meubles requis
pour l’exploitation d’une entreprise. Voir : C.c.Q., art. 1852.

Page 185
159
Quant à la vente avec faculté de rachat, elle doit également être publiée 378. La faculté de
rachat ne peut être exercée qu’après l’envoi d’un avis, qui doit être publié lui aussi 379.
Toutefois, s’il appert que cette transaction a pour objet de garantir un prêt, elle sera
pratiquement requalifiée à titre d’hypothèque et l’exercice de la faculté de rachat obéira
alors aux règles d’exercice des droits hypothécaires 380.
D’autre part, devant cette réglementation incomplète du régime hypothécaire dans une
perspective unitaire, on pourrait soutenir que les ventes sous condition suspensive ou
résolutoires 381, les ventes de biens meubles, l’échange, les promesses de vente avec
option d’achat 382, tout autre contrat nommé pouvant servir à des fins de sûreté, par
exemple le prêt à usage et le dépôt 383, ainsi que tout autre contrat innommé, échappent à
ces règles de publicité et de réalisation. Puisque cette réforme est incomplète du point de
vue de la création d’un régime unitaire, est-ce à dire que l’on risque de voir se développer
de nouvelles transactions de crédit qui contourneraient les règles propres au régime
hypothécaire, en matière de publicité et d’exercice des droits ?
377
378
379
380
381
382
383
C.c.Q., art. 1847 et 1852.
C.c.Q., art. 1750.
C.c.Q., art. 1751.
C.c.Q., art. 1756.
En matière immobilière, les ventes sous condition résolutoires sont réglementées. Voir : C.c.Q.,
art. 1742, 1743 et 2938. L’exercice de la clause résolutoire doit respecter les règles de la prise en
paiement.
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27, p. 577-581.
À titre d’exemple, on remarque, en pratique, que le contrat de dépôt, le contrat de mandat, le
contrat de prêt à usage, et le contrat de fiducie sont utilisés dans les étapes qui précèdent la
constitution d’un crédit-bail, soit à l’étape de la construction et de l’assemblage des pièces
composant l’équipement loué. Dans un tel cas, le crédit-bailleur donne ordre au tiers fournisseur
d’installer et d’assembler les parties de l’équipement loué à l’usine du crédit-preneur qui, durant
cette période, détiendrait les biens soit à titre de dépositaire, de mandataire, d’emprunteur ou de
fiduciaire, pour le compte du crédit-preneur, le contrat de crédit-bail ne prenant naissance que lors
de la livraison de la pièce d’équipement assemblée et ne devant être publié qu’à ce moment. Des
problèmes relatifs à l’accession mobilière peuvent toutefois survenir dans ces situations.

Page 186
160
On s’est interrogé sur la possibilité de déceler, à partir des articles 1801, 1842 et 2748
C.c.Q., l’existence d’une règle s’apparentant à celle du principe de l’essence de
l’opération 384. La disposition la plus marquante dans cette piste d’analyse est certes celle
de l’article 1801 C.c.Q., qui se lit comme suit :
pour
1801. Est réputée non écrite toute clause selon
laquelle,
de
garantir
l’obligation de son débiteur, le créancier se
le droit de devenir propriétaire
réserve
irrévocable du bien ou d’en disposer.

l’exécution
to securing
1801. Any clause by which a creditor, with a
view
the
obligation of his debtor, reserves the right to
become the irrevocable owner of the property or
to dispose of it is deemed not written.
the performance of
Voudrait-ce dire que toute clause traitant du droit de propriété, non directement
réglementée et autorisée aux termes du Code civil serait interdite, dans la mesure où l’on
peut la qualifier de stipulation ayant pour objet de garantir l’exécution d’une obligation ?
En doctrine, un courant minoritaire émet des doutes quant à la possibilité d’interpréter
cette disposition de si large façon. Bien que l’économie générale des garanties puisse
servir de justification à cette fin, on rappelle que l’article 1801 C.c.Q. s’inscrit d’abord
dans le contexte plus étroit de la réglementation des pactes commissoires. D’autre part,
on pourrait assimiler cette interprétation à une énonciation rigide du principe de
l’énumération limitative des sûretés, qui présenterait alors un frein à l’exercice de la
liberté contractuelle des parties et à l’évolution des pratiques commerciales 385. Cette
interprétation n’est pas partagée par tous; la majorité des auteurs 386 et la jurisprudence 387
384
385
386
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27, p.589-591.
Ibid., p. 589-591. Voir aussi : M. BOODMAN et R. MACDONALD, loc. cit., supra note 328, p.
263.
Voir : P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, no 3.80 (notes 329 et 330), p. 289-292;
Louis PAYETTE,
Les sûretés dans le Code civil du Québec, 2e éd., Cowansville (Qc.), Éditions
Yvon Blais, 2001, n
os 163-188, 1868-1869, p. 64-73 et 811; Michel DESCHAMPS, « La fiducie
pour fins de garantie », dans Conférences MEREDITH Lectures 1997 : Les sociétés, les fiducies et
les entités hybrides en droit commercial contemporain / Contemporary Utilisation of Non-
Corporate Vehicles of Commerce
, Faculté de droit, Université McGill, 1997, 134, 143 (note 26).

Page 187
161
voyant dans la disposition de l’article 1801 C.c.Q. une limite claire à la création de
sûretés qui échapperaient à la réglementation des sûretés dont le Code civil traite
explicitement.
Ainsi, l’article 1801 C.c.Q., conjugué à l’article 134 LARCC 388, aurait une fonction
similaire à celle du principe de l’essence de l’opération, dans son interprétation actuelle.
Cette approche est toutefois source d’insatisfaction en ce qui a trait à l’établissement d’un
ordre de priorité cohérent, se fondant sur le principe de l’ordre du temps.
Cette approche est également source d’insatisfaction en ce qu’elle énonce plusieurs règles
incohérentes et incompatibles, entourant les modalités de constitution, de publicité et
d’exécution, comme si l’on avait renoncé à l’édiction d’une politique législative
d’ensemble. Nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin.
Enfin, bien que le législateur québécois ait choisi de ne pas adopter le principe de la
présomption d’hypothèque, l’on assisterait, présentement, à un curieux retour du
balancier. D’abord, le législateur fédéral, dans le cadre de son programme de bijuridisme
législatif, a modifié la définition du terme « créancier garanti » de la Loi sur la faillite et
l’insolvabilité, mais ne fit rien de celle de la Loi sur les arrangements 389. Aux termes de
387
388
389
Par exemple, la cession de créance à titre de garantie n’est plus permise mais bien l’hypothèque.
Voir :
Boisclair (Syndic de) [2001] R.J.Q. 2815 (C.A.), no 19, p. 2818, J.E. 2001-1995 (C.A.),
REJB 2001-26424 (C.A.) ;
Poulin-Sansoucy c. Services immobiliers Simmco D.P. inc. (23 mai
2000), Montréal 500-09-006618-987, J.E. 2000-1156 (C.A.) ; [2000]
J.Q. n° 1691 (C.A.).
Supra, note 143.
Voir : Loi d’harmonisation no1 du droit fédéral et du droit civil, L.C. 2001, c. 4 [la « Loi
d’harmonisation n
o 1 »], art. 25. Pour le droit transitoire, voir l’article 177 de la Loi
d’harmonisation no 1, la nouvelle définition du terme créancier garanti, que l’on retrouve à
l’article 2 (1) LFI, ne s’appliquant qu’aux procédures instituées après le 1
er juin 2001. Il est
intéressant de noter que le terme « créancier garanti », dont on trouve une autre définition à
l’article 2 LACC, n’a pas encore été modifié dans le même sens que celle de la LFI, même suite à
la plus récente réforme ayant culminée le 18 septembre 2009. Il y a donc disparité des définitions

Page 188
162
la nouvelle définition de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, sont créanciers garantis les
personnes titulaires : d’une hypothèque, d’un gage, d’une charge ou d’un privilège sur ou
contre les biens du débiteur; la personne qui détient une réclamation fondée sur un effet
de commerce ou garantie par ce dernier; la personne titulaire, selon le Code civil du
Québec ou les autres lois de la province de Québec, d’un droit de rétention ou d’une
priorité constitutive de droit réel sur ou contre les biens du débiteur ou une partie de ses
biens; et finalement, lorsque l’exercice de ses droits est assujetti aux règles prévues pour
l’exercice des droits hypothécaires au livre sixième du Code civil du Québec, la personne
qui vend un bien au débiteur, sous condition ou à tempérament, la personne qui achète un
bien au débiteur avec faculté de rachat en faveur de celui-ci, et le fiduciaire d’une fiducie
constituée par le débiteur afin de garantir l’exécution de l’obligation.
Nous avons déjà eu l’occasion de critiquer cette nouvelle définition du terme créancier
garanti 390. À notre avis, le législateur aurait simplement dû référer directement au droit
provincial et adopter une définition téléologique. Une telle définition aurait permis une
harmonisation parfaite et continue de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité aux régimes de
sûretés mis en place dans les provinces canadiennes. Le même raisonnement vaut pour la
Loi sur les arrangements.
Telle ne fut pas l’approche choisie. En matière de sûretés conventionnelles, la nouvelle
définition du terme créancier garanti édicte, jusqu’à un certain point, une présomption
d’hypothèque dans le contexte du droit de la faillite, les bailleurs à long terme et les
de ce terme dans les lois fédérales canadiennes, sans compter celle du paragraphe 224 (1.3) LIR,
supra note 146.
390
R.P. SIMARD et A. LEDUC, loc. cit., supra note 176, p. 134-140. De façon plus générale au sujet
de la définition du terme « créancier garanti » dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, voir
J. DESLAURIERS,
op. cit., supra note 193, p. 405-421.

Page 189
163
crédit-bailleurs n’y étant cependant pas expressément visés 391. En termes concrets, cela
signifie que les ventes à tempérament ou conditionnelles, les ventes avec faculté de rachat
et la fiducie-sûreté ne sont plus des transactions analysées sous l’angle du droit de
propriété dans un contexte de faillite. C’est leur caractère accessoire de sûreté qui
domine et qui est maintenant reconnu. On a en effet estimé, sur la foi de la doctrine qui
confère aux différents mécanismes de réserves de propriété réglementés par le Code civil
le caractère premier d’une sûreté, qu’il fallait refléter cette caractéristique propre à ces
transactions dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité 392. On se souviendra qu’autrefois,
les créanciers titulaires de réserve de propriété n’avaient qu’à produire, pour récupérer le
bien, une preuve de réclamation de biens (à titre de propriétaire) auprès du syndic de
faillite 393. Cette situation est désormais modifiée pour faire en sorte que ces mêmes
créanciers soient tenus d’exercer les recours hypothécaires auxquels ils sont assujettis.
Les créanciers qui se prévaudront d’une telle sûreté auront la possibilité de se la faire
racheter par le syndic de faillite 394.
De même, le fiduciaire d’une fiducie constituée à des fins de garantie aux termes de
l’article 1263 C.c.Q., devra produire une réclamation à ce titre au syndic de faillite, même
si les biens qui furent transférés par le débiteur failli dans la fiducie ne lui appartiennent
391
392
Ces créanciers ne sont pas visés par la définition, puisqu’ils ne sont pas assujettis, dans l’exercice
de leurs recours, aux règles d’exercice des droits hypothécaires, le crédit-bailleur ou le locateur à
long terme demeurant propriétaires des biens loués. Voir la jurisprudence citée plus tôt à ce sujet,
supra, note 258.
Alain VAUCLAIR et Martin-François PARENT, « L’harmonisation de la législation fédérale en
matière de faillite et d’insolvabilité avec le droit civil de la province de Québec : quelques
problématiques » dans
L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province
de Québec et le bijuridisme canadien
, deuxième publication, fascicule 8a, Ottawa, ministère de la
Justice
ligne :
http://Canada.justice.gc.ca/fr/min/pub/hfl/fascicule8a.pdf
(consulté le 21 octobre 2001).
Canada,
2001,
7-10,
du
en
p.
1,
393
394
LFI, art. 81.
LFI, art. 128-134.

Page 190
164
pas, pas plus qu’ils n’appartiennent à quiconque, la fiducie étant un patrimoine
d’affectation (art. 1261 C.c.Q.). Cette mesure fut jugée nécessaire afin que le syndic
puisse évaluer la validité d’un tel transfert. D’une part, il peut s’agir de déterminer si la
fiducie-sûreté a été constituée en fraude des droits des autres créanciers. La fiducie-
sûreté est nécessairement un contrat à titre onéreux, tel que l’exige l’article 1263 C.c.Q;
toutefois, le syndic pourra se prévaloir des dispositions relatives aux traitements
préférentiels et opérations sous-évaluées de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité 395, ainsi
que des dispositions relatives à l’action en inopposabilité du Code civil 396. De plus, il
faut mentionner la disposition de l’article 1292 C.c.Q., qui donne une autre ouverture au
syndic de faillite afin d’examiner la validité de la fiducie-sûreté. Par ailleurs, même si la
fiducie-sûreté est validement constituée, le syndic a néanmoins intérêt à être informé de
la réclamation de ce créancier garanti. En effet, par l’effet de la disposition de l’article
1297 C.c.Q., on peut concevoir que le syndic de faillite puisse avoir droit au surplus
résultant de la réalisation des actifs placés en fiducie par le débiteur failli en faveur d’un
créancier garanti 397. Ajoutons à cela que l’utilité de cette mesure est de permettre au
syndic de faillite, comme pour les ventes à tempéraments et autres réserves de propriété
mentionnées dans la définition, de racheter la garantie.
Tous les effets de cette modification n’ont pas encore été pleinement appréciés. En effet,
on peut se demander si les autorités fiscales considéreront désormais les ventes à
tempérament, les ventes avec faculté de rachat et la fiducie-sûreté comme autant de
mécanismes qui sont subordonnés aux super-priorités qu’elles détiennent, notamment aux
395
396
397
LFI, art. 95-96.
C.c.Q., art. 1631-1636.
L. PAYETTE, op. cit., supra note 386, no 1892, p. 823-824.

Page 191
165
fiducies présumées des lois fiscales 398. Si tel était le cas, on ne voit pas quelle utilité
conserveraient ces mécanismes pour les créanciers : la réservation du droit de propriété
est entre autres utilisée afin d’éviter l’application des priorités de la Couronne 399.
Enfin, mentionnons que la Cour d’appel du Québec en était presque rendue à la
consécration d’une approche fonctionnelle judiciaire, s’il fallait en croire les termes du
juge Baudouin :
[35] En réalité, la location à long terme avec réserve de propriété, la vente à
tempérament et le crédit-bail sont trois formules d’accueil pour une même réalité : la
création d’une sûreté mobilière. Seule donc la structure juridique apparente est
différente. Si la mesure de publicité imposée dans un cas produit comme effet
l’opposabilité aux tiers, pourquoi ce serait différent dans les autres ?
[36] Dans les deux hypothèses, en effet, l’attribution du droit de propriété jusqu’au
paiement final tant au vendeur à tempérament qu’au locateur n’est qu’une sorte de
fiction permettant d’assurer l’efficacité d’un mécanisme de crédit pour l’achat d’un
bien.
400
De là à conclure à l’adoption d’un principe jurisprudentiel équivalent à la présomption
d’hypothèque, il n’y avait qu’un pas. Cependant, la Cour suprême du Canada est venue
nuancer la question. Tout en reconnaissant que le législateur fédéral consacre désormais
le caractère de sûretés des ventes à tempérament, ventes avec faculté de rachat et
fiducies-sûretés, la Cour suprême fait néanmoins primer le droit de propriété des
locateurs et crédits-bailleurs face à un syndic de faillite, sa publication n’étant pas
nécessaire pour le rendre opposable au syndic puisqu’il n’est pas visé par la définition du
398
399
400
Voir la définition du terme « créancier garanti » figurant au paragraphe 224 (1.3) LIR, supra note
146.
Philippe H. BÉLANGER, « Droits, priorités et super-priorités des ministères du Revenu », (2001)
35 R.J.T. 83, 133-145.
Massouris (Syndic de), [2002] R.J.Q. 901 (C.A.), j. Baudouin, p. 906.

Page 192
166
terme « créancier garanti », et ce, malgré les impératifs des articles 1847 et 1852 C.c.Q.
en matière de publicité 401.
La cohérence intrinsèque n’est pas l’apanage du régime québécois actuel. D’une part, le
législateur québécois opta pour un moyen terme entre les approches téléologique et
formaliste, par l’intégration des régimes hypothécaires mobiliers et immobiliers, mais
assura la survie des sûretés-propriétés et la reconnaissance du droit de propriété en
certaines transactions mobilières. D’autre part, le législateur fédéral, avec son
programme d’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois, vient
en quelque sorte partiellement défaire l’équilibre établit entre ces deux approches par le
législateur québécois 402. Et l’interprétation jurisprudentielle navigue à travers ces
ornières, sans compter l’effet des modifications à l’ordre de priorité du droit civil
québécois dans les régimes de procédures collectives 403.
401
402
403
Voir : Ouellet (Syndic de), [2004] 3 R.C.S. 348, no 15 ; Lefebvre (Syndic de) ; Tremblay (Syndic
de)
, [2004] 3 R.C.S. 326. Voir aussi la décision subséquente de la Cour d’appel du Québec dans :
Transport international Pool inc. c. St-Georges, Hébert inc., J.E. 2005-247 (C.A.). Ces décisions
ont été vigoureusement critiquées par Aline GRENON, « La problématique entourant les sûretés-
propriétés au Québec : Lefebvre (Syndic de) ; Tremblay (Syndic de) et Ouellet (Syndic de) »,
(2005) 35
R.G.D. 285. Nous sommes d’accord avec son analyse, sauf quant à sa conclusion. En
effet, A. Grenon soutient qu’à défaut d’une modification législative par le législateur québécois
qui viendrait préciser que la publicité par inscription est nécessaire pour rendre opposable toute
sûreté-propriété à un tiers, incluant un syndic de faillite, c’est au législateur fédéral de prendre la
balle au bond et de le préciser dans la législation sur l’insolvabilité, notamment pour assurer une
uniformité avec le droit applicable en la matière dans les provinces de
common law, entre autres
suite à l’arrêt
Re Giffen, [1998] 1 R.C.S. 91. Avec déférence, voilà une interprétation qui ne
respecte pas les compétences législatives en présence, en plus de présenter un relent de
colonialisme.
Pour une critique à cet égard, lire : R.A. MACDONALD et J.-F. MÉNARD, loc. cit., supra note
20, p. 328-330.
Voir notre discussion à ce sujet, supra, Partie I, sous-section II. A. 2.3.4, relativement à la
préservation de la valeur économique des sûretés conventionnelles dans un contexte de
redressement.

Page 193
167
Pour ces raisons, et dans un souci de cohérence, il y aurait lieu de réformer à nouveau le
droit civil québécois des sûretés et de l’harmoniser véritablement à tous les niveaux,
incluant celui de la législation fédérale.
Nous tenterons maintenant de cerner l’approche préconisée aux termes de la Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières.
2.3
aux termes de la Loi type interaméricaine relative aux
sûretés mobilières

Nous aborderons d’abord l’historique de la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières et ses objectifs poursuivis [2.3.1], pour ensuite soulever certaines
problématiques d’ordre conceptuel [2.3.2], et d’autres d’ordre terminologique [2.3.3].
2.3.1
la Loi
interaméricaine
historique de
relative aux sûretés mobilières et objectifs
poursuivis
type
Les régimes de sûretés, en particulier les régimes de sûretés mobilières, sont
pratiquement inexistants dans la majorité des pays de l’Amérique latine. Lorsqu’ils
existent, ils sont à ce point vétustes qu’ils ne remplissent pas leurs fonctions. Cela
présente un impact direct sur les coûts du crédit. Nombre d’études démontrent
maintenant que l’incertitude reliée au paiement ou au recouvrement des prêts expliquerait
les forts taux d’intérêts exigés par les institutions financières auprès des emprunteurs, qui
oscillent parfois même autour de 40 % 404. Les sûretés existantes sont nombreuses,
n’obéissent pas à des règles uniformes. En matière mobilière, il n’y a pas de registre de
publicité centralisé et informatisé, mis à part certains registres informels mis en place par
404
Voir B. KOZOLCHYK et J.M. WILSON, loc. cit., supra note 10, p. 35-39. L’on y réfère entre
autres à une étude de la Banque centrale du Brésil datant de 1999, ainsi qu’à certaines études de la
Banque mondiale.

Page 194
168
l’industrie bancaire dans certains pays. En matière immobilière, des registres existent,
mais les frais d’enregistrement des actes sont prohibitifs, correspondant parfois à un
pourcentage de la transaction dont on veut procéder à l’inscription 405. Les procédures de
d’exécution et de recouvrement sont longues, complexes et coûteuses, en plus d’être
desservies par un système judiciaire archaïque et souvent corrompu 406.
Dans ce contexte, et afin de permettre à ces pays de se doter des outils économiques qui
leur permettront d’établir un système de crédit compétitif et abordable, on a identifié
l’édification d’un régime de sûretés moderne parmi les éléments fondamentaux.
Au niveau juridique, l’OÉA comporte un Comité juridique interaméricain, lequel est
composé de onze (11) juristes ressortissants des États membres et qui fait office d’organe
consultatif auprès de l’OÉA 407. Le Comité recommande la convocation de conférences
juridiques spécialisées, parmi
lesquelles figure
la Conférence
inter-américaine
spécialisée en droit international privé, mieux connue sous l’acronyme « CIDIP » 408, qui
se tient approximativement tous les quatre (4) ans, et dont l’objet consiste à débattre des
405
406
407
408
Alejandro M. GARRO, « Exportability of North American Chattel Security Regimes : The Inter-
American Model Law on Secured Transactions », (2006) 43
Can. Bus. L. J. 200, 206-207.
Guillermo A. MOGLIA CLAPS et Julian B. McDONNELL, « Secured Credit and Insolvency Law
in Argentina and the U.S. : Gaining Insight From a Comparative Perspective », (2002) 30
Georgia
Journal of International and Comparative Law
393.
MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA, Activités et priorités du ministère de la Justice en droit
international privé – Rapport à la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, août 1998,
p. 6.
Acronyme provenant de l’Espagnol, signifiant « Conferencia Especializada sobre Derecho
Internacional Privado ». Voir : Enrique LAGOS, « The Coexistence of Legal Systems in the
Americas from an OAS perspective », dans Louis PERRET, Alain-François BISSON et Nicola
MARIANI,
Évolution des systèmes juridiques, bijuridisme et commerce international / The
Evolution of Legal Systems, Bijuralism and International Trade, Montréal, Wilson & Lafleur,
2002, 139, 148 (note 30).

Page 195
169
questions techniques et de la poursuite de la coopération dans le domaine du droit
international privé.
Le National Law Center for Inter-American Free Trade (le « National Law Center ») de
l’Université d’Arizona, à Tucson, dirigé par le professeur Boris Kozolchyck, fort d’une
entente de coopération le liant à l’OÉA, fut l’hôte des négociations ayant mené à la
conclusion de la Convention inter-américaine sur la loi applicable aux contrats
internationaux, lors de la CIDIP-V, en 1994. Par la suite, l’OÉA demanda au National
Law Center de lui formuler des suggestions de sujets de recherche dignes d’intérêt pour
la tenue éventuelle de la CIDIP-VI. Lors de la première réunion des experts préparatoire
à la CIDIP-VI, le National Law Center proposa à l’OÉA de considérer la possibilité
d’élaborer un traité ou une loi type concernant les sûretés réelles mobilières. Cette
suggestion fut bien reçue des autres délégations, en particulier des pays d’Amérique
latine, qui y virent une occasion de réformer leur droit en la matière, sur la base des
travaux déjà entrepris dans cette direction par le National Law Center avec le
gouvernement du Mexique. De plus, un intérêt général visant la création d’un registre
unique de la publicité des droits à l’échelle des Amériques fut manifesté par l’ensemble
des experts présents.
Les travaux ayant mené à la tenue de la CIDIP-VI ainsi qu’à l’adoption de la Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières s’échelonnent de 1997 à 2002 409. Ayant
au préalable analysé les principales pistes de solutions existantes en ce qui a trait à la
rationalisation et à la modernisation d’un régime de sûretés mobilières, nous tenterons
409
Pour un résumé, voir B. KOZOLCHYK et J.M. WILSON, loc. cit., supra note 10, p. 39-42.

Page 196
170
maintenant de voir dans quelle mesure la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières parvient à concilier les impératifs d’un régime uniformisé et unitaire avec les
exigences que présente un certain maintien du principe de la liberté contractuelle des
parties, pour permettre l’évolution des pratiques commerciales.
Les sources disponibles pour l’étude de la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières comprennent également, en plus de la loi type même, le Projet préliminaire
OÉA 410, une énonciation des principes prépondérants qu’une telle loi devrait couvrir (les
« Principes ») 411, en plus du compte-rendu des réunions préparatoires des experts qui
sont chargés de la rédaction de ce projet 412. Les transcriptions des notes prises lors de
410
411
412
OÉA, Réunion d’experts gouvernementaux préparatoire à la tenue de la Sixième Conférence
Interaméricaine spécialisée en droit international privé (CIDIP-VI),
International Loan Contracts
of a Private Nature, in Particular the Uniformity and Harmonization of Secured Transactions
Law
, (Working Document of a Model Inter-American Law on Secured Transactions submitted by
the National Law Center for Inter-American Free Trade), Doc. off. OEA/Ser.K/XXI/RE/CIDIP-
VI/doc.4/98 (1998), article 95;
Ibid., Los Contratos De Préstamos Internacionales De Naturaleza
Privada Y, En Particular, La Uniformidad Y Amonización De Los Sistemas De Garantía
Comerciales Y Financieras
, (Proyecto de Ley Modelo Interamericana sobre Garantiás Mobiliarias
presentado por el Centro Jurídico Nacional para el Libre Comercio Interamericano), Doc. off.
OEA/Ser.K/XXI/RE/CIDIP-VI/doc. 4/98 (1998), artìculo 95 [le «
Projet préliminaire OÉA »].
OÉA, Réunion d’experts gouvernementaux préparatoire à la tenue de la Sixième Conférence
Interaméricaine spécialisée en droit international privé (CIDIP-VI),
Principios Jurídicos De Un
Sistema De Garantías Mobiliarias
, (Documento presentado por la Delegación de los Estados
Unidos), Doc. off. OEA/Ser. K/XXI/REG/CIDIP-VI/INF. 3/00 (2000) [les «
Principes
américains, version originale espagnole
»]; Ibid., Legal Principles Governing a System of
Secured Transactions, (Document submitted by the delegation of the United States), Doc. off.,
OEA/Ser. K/XXI/REG/CIDIP-VI/INF. 3/00 (2000);
Ibid., Summary of Reg/CIDIP-VI/INF. 3/00,
Legal Principles Governing a System of Secured Transactions
, Doc. off. OEA/Ser.
K/XXI/REG/CIDIP-VI/INF. 5/00 (2000) [les «
Principes américains, version traduite en
anglais
»]; Ibid., Principios Discutidos por la Delegación Mexicana a la Luz De Las Differentes
Propuestas En Materia De Garantías Mobiliarias
, Doc. off. OEA/Ser. K/XXI/REG/CIDIP-
VI/INF. 2/00 (2000), et sa version en document non-officiel traduit en anglais par la délégation
américaine, intitulé
Principles Discussed by the Mexican Delegation in Light of the Different
Proposals on the Secured Financing Topic
[les « Principes mexicains, version originale
espagnole
» et les « Principes mexicains, version traduite en anglais »].
OÉA, Réunion d’experts gouvernementaux préparatoire à la tenue de la Sixième Conférence
Interaméricaine spécialisée en droit international privé (CIDIP-VI), Background and List of
Documents for the Prepatory Meeting of Government Experts for the Sixth Inter-American
Specialized Conference on Private International Law (CIDIP-VI)
, (Document prepared by the
Department of International Law of the Secretariat for Legal Affairs), Doc. off. OEA/Ser.
K/XXI/REG/CIDIP-VI/doc. 4/00 (2000);
Ibid., Report of the Meeting of Government Experts to

Page 197
171
certaines réunions du comité de rédaction furent également publiées 413. Enfin, certains
observateurs se sont déjà penchés sur la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières, et ce, à différentes étapes, tant lors des travaux de rédaction qu’après son
adoption 414.
De la lecture de l’article 1 de la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières,
l’on note que le premier objectif énoncé est la création d’un régime unitaire et uniforme
de sûretés mobilières. L’on y mentionne également que tout pays adoptant cette loi doit
créer un registre de publicité unique et d’application universelle à toute sûreté mobilière,
tant à celles existantes au moment de l’adoption de la loi qu’à celles créées après.
D’autre part, la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières ne vise qu’à régir
les sûretés mobilières conventionnelles. Ainsi, à l’article 2, l’on retient l’approche
fonctionnelle et unitaire du Titre 9 du UCC. Cette disposition prévoit en effet que :
esta
Ley
pueden
Artìculo 2. Las garantias mobiliarias a que
refiere
constituirse
contractualmente sobre uno o varios bienes
muebles especificos, sobre categorias genéricas
de bienes muebles, o sobre la totalidad de los
bienes muebles del deudor garante, ya sean estos
presentes o futuros, corporales o incorporales,
la valoracion pecuniaria al
susceptibles de
momento de la constitucion o posteriormente,
con el fin de garantizar el cumplimiento de una o
varias obligaciones, presentes o futuras sin
importar la forma de la operacion o quien sea el
Article 2. The security interests to which this
Law refers are created contractually over one or
several specific items of movable property, or on
all of the secured debtor’s movable property,
whether present or
future, corporeal or
incorporeal, susceptible to pecuniary valuation at
the time of creation or thereafter, with the
objective of securing the fulfillment of one or
more present or future obligations regardless of
the form of the transaction and regardless of
whether ownership of the property is held by the
secured creditor or the secured debtor.
Prepare for the Sixth Inter-American Specialized Conference on Private International Law
(CIDIP-VI)
, Doc. off. OEA/Ser. K/XXI/REG/CIDIP-VI/doc. 6/00 (2000) [le « Rapport de la
deuxième réunion d’experts gouvernementaux
»].
Boris KOZOLCHYK, et al., « Meeting of OAS-CIDIP-VI Drafting Committee on Secured
Transactions : Conference Transcript », (2001) 18
Ariz. J. Int’l & Comp. Law 342, 449, 491, 605,
711.
Voir, notamment, J.M. WILSON, loc. cit., supra note 37; B. KOZOLCHYK et J.M. WILSON,
loc. cit., supra note 10; Antoine LEDUC, « Récents développements en matière d’harmonisation
du droit des sûretés réelles mobilières à l’échelle des Amériques », (2001) 103
R. du N. 51.
413
414

Page 198
172
titular de la propriedad.
Cuando a una garantia mobiliaria se le dé
publicidad de conformidad con esta Ley el
acreedor garantizado tendra el derecho preferente
a ser pagado con el producto de la venta de los
bienes gravados.
When a security
in
interest
accordance with this Law, the secured creditor
has the preferential right to payment from the
proceeds of the sale of the collateral.
is publicized
Il s’agit d’une évolution notable, sur les plans conceptuels et terminologiques, entre cette
disposition et celles qui l’ont précédées, figurant au Projet préliminaire OÉA, dont les
articles 1 et 6 se lisaient comme suit :
Articulo 1. Una Garantia Mobiliaria Unitaria :
La garantia real mobiliaria es un derecho real
sobre bienes muebles que garantizan el
cumplimention de una obligacíon, incluyendo
transacciones en donde una persona en posesión
original de los bienes o que extiende crédito se
reserva el domino, vende por medio de contratos
de consignación, es una arrendadora financieria
por un término superior a un ano, es un acreedor
hipotecario de una hipoteca industrial destinada a
financiar la compra de bienes muebles, provee
crédito garantizados por descuentos en libros, es
cesionario de créditos destinados a servir como
garantias de un préstamo, es acreedor prendario
de prendas comerciales realizadas por la entrega
de la factura, o está garantizado con bienes
muebles incorporados o dherios a un inmueble
siempre y cuando la garantía real mobiliaria haya
sido perfeccionada antes de que dichos bienes se
incorporen o adhieran al inmueble.
Articulo 6. Sustitución de Mecanismos de
Garantía Mobiliaria preexistentes : La garantía
real mobiliaria que se establece en términos de lo
previsto en la presente sustituye a todas las
garantías, y mecanismo similares regulados por
las demás leyes relativas creando una garantía
única cuya constitución, perfeccionamiento,
prelación, cesión, negociación, modificación y
extinción se regulan por esta ley.
Article 1. The Movable Security Interest is an in
rem right over movable goods that secures the
fulfillment of an obligation, including operations
which use the reservation of title, consignment
agreements, financial leases for terms over a
year, industrial mortgages designed to finance
the purchase of movable property, book
discounts and assignments of accounts designed
to serve as security for a loan, commercial
pledges employing the delivery of the invoice,
or
movable
incorporated to real property if the MS [i.e.
Movable Security Interest] was perfected prior to
the incorporation of fixture to the land.
goods which
adhered
are
The movable security
Article 6.
interest
established under the provisions of this Law
substitutes all other guarantees/security interests
and similar mechanism presently regulated by
other laws applicable to in rem rights, between
commercial entities, thereby creating a unitary
creation,
guarantee/security
perfection, priority, assignment, negotiation,
amendment and cancellation are regulated by the
present Law.
interest whose
La lecture de ces dispositions commande plusieurs commentaires, certains d’ordre
conceptuel, d’autres d’ordre terminologique.





Page 199
173
2.3.2
problématiques d’ordre conceptuel
Si l’on va au-delà de la terminologie utilisée dans la Loi type interaméricaine relative aux
sûretés mobilières, l’objectif poursuivi est énoncé clairement et a pour effet d’assujettir
toutes les conventions ayant pour but de garantir l’exécution ou le paiement d’une
obligation aux règles de publicité et d’exécution qui y sont prévues. Cette solution
semble très avantageuse, notamment pour l’édification d’un ordre de priorités clair et
simple, surtout dans des pays où les techniques de crédit ne sont pas aussi avancées qu’en
Amérique du Nord 415.
Sur le plan conceptuel, la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières, en
comparaison du Projet préliminaire OÉA, tend à une certaine neutralité. Ainsi, dans la
Loi
type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières,
la sûreté mobilière
conventionnelle ne réfère aucunement au concept de droit réel; le Projet préliminaire
OÉA la qualifiait autrefois de droit réel sur un bien meuble affecté à l’exécution d’une
obligation. Il s’agit d’une amélioration, puisque la notion de droit réel est propre au droit
civil et non à la common law. En cela, la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières respecte davantage les traditions juridiques et facilite son adoption à une plus
grande diversité de pays.
Les contours de la sûreté mobilière de la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières, sans être limpides, sont désormais mieux définis qu’ils ne l’étaient aux termes
du Projet préliminaire OÉA. Ainsi, le caractère accessoire de la sûreté mobilière est-il
davantage précisé, car la sûreté est celle qui a pour but de garantir l’exécution de toute
obligation présente ou future, ce qui présente une résonance particulière en droit civil. Le
415
A.M. GARRO, loc. cit., supra note 39, p. 364.

Page 200
174
droit de suite est dorénavant prévu à l’article 48 de la Loi type interaméricaine relative
aux sûretés mobilières. Cependant, le caractère indivisible 416 de l’hypothèque du droit
civil québécois ne s’y retrouve pas.
Alors que le Projet préliminaire OÉA puisait aux influences américaines afin de
compléter la définition de cette sûreté unitaire, qui énumérait alors les réserves de
propriété, le dépôt, les baux de financement pour un terme supérieur à une année, les
hypothèques « commerciales », les « dettes de livres » et les cessions de créances
destinées à servir de garanties pour un prêt, les gages commerciaux et les biens mobiliers
rattachés ou réunis à un immeuble, la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières ne contient plus ce genre d’énumération. On énonce simplement un principe
d’application générale selon l’essence de l’opération, ce qui constitue une autre
amélioration par rapport au Projet préliminaire OÉA.
Enfin, on énonce que la sûreté mobilière, lorsque publiée, confère à son titulaire le droit
préférentiel au paiement du produit de vente du bien grevé. Ce droit préférentiel serait un
type de droit nouveau, indépendant des concepts relatifs au droit de propriété, ne référant
en fait qu’au droit d’un créancier de posséder le bien grevé, d’éventuellement le vendre et
d’en toucher le produit. L’on réfère ainsi à l’éclatement du concept de droit de propriété,
tant en droit civil qu’en common law, pour justifier l’adoption de ce principe 417. Cette
416
417
C.c.Q., art. 2662.
Boris KOZOLCHYK, et al., « Meeting of OAS-CIDIP-VI Drafting Committee on Secured
Transactions : Conference Transcript : Day One : II. Discussion of Key Principles and Provisions
of the Model Law », (2001) 18
Ariz. J. Int’l & Comp. Law 342, 342-344. C’est surtout l’idée du
« bundle of rights » de la
common law, toutefois, qui a servi de justificatif. En ce sens, voir :
Boris KOZOLCHYK et Dale BECK FURNISH, « The OAS Model Law on Secured
Transactions : A Comparative Analysis », (2006) 12
Southwestern Journal of Law and Trade in
the Americas
101, 112-118, en ligne: http://ssrn.com/abstract=934642 (consulté le 14 février
2010).

Page 201
175
idée semble en effet novatrice et porteuse de solutions plus neutres d’un point de vue
systémique, soutien-t-on 418.
Cependant, on retient qu’il n’existe pas, dans la Loi type interaméricaine relative aux
sûretés mobilières, de concept fédérateur de sûreté aussi bien défini que ne l’est
l’hypothèque du droit civil québécois. La sûreté mobilière que l’on y prévoit s’apparente
davantage à la notion de security interest telle que développée aux termes du Titre 9 du
UCC, qui n’est que l’énonciation d’un principe d’application général à toute transaction
ayant pour but de garantir le paiement ou l’exécution d’une obligation, sans égard au
titulaire du titre de propriété.
En cela, la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières adopte un principe de
l’essence de l’opération, qui permet de continuer à utiliser les mécanismes de réserve de
propriété. La Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières opère cependant
une certaine requalification des transactions présentant certaines ambiguïtés. De deux
choses l’une : d’une part, certaines transactions seront régies par d’autres dispositions
législatives, comme l’autorise son paragraphe 1 (2), ce qui permettra de préserver certains
régimes particuliers; d’autre part, toutes les conventions obéiront intégralement au
régime unique de la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières et toute
logique qui leur soit intrinsèquement propre disparaîtra, sauf le fait de permettre au
créancier de demeurer propriétaire du bien. Il faudra voir de quelle manière l’on
418
Cette solution est-elle vraiment neutre et susceptible d’application indifférenciée en droit civil et
en
common law ? En tout cas, elle prend au moins en compte cette évolution de l’entendement du
concept de propriété. Voir notre discussion relative à l’éclatement de la notion de droit réel
accessoire en droit civil québécois,
infra, Partie I, sous-section III. A. 2.1.1.

Page 202
176
interprétera les attributs réservés à ce droit de propriété tronqué, devenu pratiquement
accessoire 419.
Dans un tel cas, la préservation des mécanismes de réserves de propriété empêche,
comme nous l’avons vu précédemment, l’édification d’un ordre de priorité fondé sur
l’ordre du temps, car certains créanciers s’excluront littéralement du concours. On peut
supputer que
les dérogations permises au paragraphe 1 (2) LTIRSM seront
nombreuses 420, car l’on voulait, par la rédaction de l’article 2 LTIRSM, permettre de
recourir aux techniques connues ainsi qu’au principe de la liberté contractuelle. Les
résistances culturelles face à un tel résultat risquent d’être bien senties 421 et le Mexique
n’a pas retenu l’approche proposée aux termes de la LTIRSM dans sa réforme de 2000 et
2003 422.
En fait, si l’objectif que l’on visait à atteindre consistait à préserver un équilibre entre la
forme et la substance, l’on pourrait s’y prendre autrement. Pour cela, en droit civil, le
législateur peut règlementer chaque transaction utilisant le droit de propriété de manière
précise, tant pour ses modalités de constitution que pour ses modalités d’exécution, tout
en les assujettissant à une publicité obligatoire, en plus de créer, en parallèle, un régime
419
420
421
422
Voir notre discussion à ce sujet, infra, Partie I, sous-section III. B. 1.2.
Notons toutefois que l’intention exprimée par les rédacteurs à l’égard de cette disposition semble
plus limitée. En effet, on parle ici d’exclure certains biens particuliers de l’application de la
LTIRSM, par exemple les valeurs mobilières dématérialisées, les matériels d’équipement mobiles
de grande valeurs, qui peuvent être assujettis à des conventions internationales. Voir :
B. KOZOLCHYK et J.M. WILSON,
loc. cit., supra note 10, p. 61.
Ibid., p. 44.
Dale BECK FURNISH, « Accomodating Registry Systems for the OAS Model Law on Secured
Transactions : Mexico’s New Registry Regulations and the Integral System of Registry
Management (Sistema Integral de Gestión Registral SIGER) », (2005) 37
Uniform Commercial
Code Law Journal
3, 8-9. Le législateur mexicain a simplement ajouté deux nouvelles sûretés à
celles déjà existantes en droit mexicain, à savoir le gage sans dépossession et la fiducie, qui font
désormais l’objet d’une inscription systématique au registre des compagnies.

Page 203
177
véritable de sûretés réelles accessoires. À cela s’ajoutera l’adoption d’une disposition
énonçant le principe de l’essence de l’opération ou de l’énumération limitative des
sûretés afin d’éviter la constitution de sûretés qui échapperaient à ce cadre législatif. À
cet égard, compte tenu d’un tel objectif, c’est ce que le législateur québécois aurait pu
faire lors de la réforme ayant menée à l’adoption du Code civil du Québec; c’est aussi ce
que la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières aurait pu proposer comme
solution 423.
Voyons maintenant les problématiques d’ordre terminologique dont la Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières souffre.
2.3.3
problématiques d’ordre terminologique
On note encore une fois une amélioration substantielle de la terminologie utilisée dans la
Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières par rapport à celle du Projet
préliminaire OÉA 424.
En effet, la terminologie du Projet préliminaire OÉA comportait de nombreuses
difficultés. Le vocabulaire employé en langue espagnole était évocateur de réalités bien
différentes et toutes autres que ne l’était celui utilisé en langue anglaise. Ainsi, un
« Movable Security Interest », bien qu’étant défini comme étant un droit réel, référait
surtout à la notion de Security Interest du Uniform Commercial Code. De même,
l’expression « movable goods » ne semblait pas équivaloir à l’expression « bienes
muebles ». On sait en effet que le terme « goods » est clairement défini aux termes du
423
424
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 108, nos 75-77.
Supra, note 410.

Page 204
178
Titre 9 du UCC et qu’il ne correspond en rien à la classification des biens meubles du
droit civil. Par ailleurs, les notions de l’« industrial mortgage » et du « consignment »
réfèrent à des notions propres à la common law, qui ne s’articulent pas de la même
manière en droit civil. Enfin, le concept de « fixtures » de la common law ne présente pas
d’équivalence directe en droit civil, si ce n’est qu’à travers le concept de l’immeuble par
destination.
La Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières utilise les termes « movable
property », plus neutres, que les termes « movable goods ». On a voulu aussi utiliser une
expression nouvelle, soit « Attributable Movable Property », afin de traiter des
« proceeds », c’est-à-dire le produit de vente ou le bien de remploi, de manière plus
neutre et appropriée à un environnement civiliste 425. Cependant, de nombreux termes
s’inspirent directement du Titre 9 du UCC, à commencer par la notion de security interest
même.
De tout cela, il faut conclure que la terminologie juridique utilisée dans Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières n’est pas toujours neutre. Elle est parfois
chargée de significations propres à des conceptions civilistes et de common law qui ne
s’équivalent pas, selon que l’on lise la version anglaise ou espagnole. Même s’il faut
interpréter ces termes dans un contexte bien précis, cette disparité pourrait néanmoins
devenir source de confusion. Nous reviendrons à ce sujet en dernière analyse, en ce qui a
trait à l’importance du choix d’une terminologie juridiquement neutre, dans l’élaboration
425
B. KOZOLCHYK et J.M. WILSON, loc. cit., supra note 10, p. 49-52.

Page 205
179
d’un projet d’harmonisation international des garanties mobilières ou, encore, à la
possibilité d’emprunter à la technique de rédaction législative du bijuridisme canadien 426.
Nous allons maintenant brièvement analyser l’approche retenue aux termes de la Loi type
de la BERD.
2.4
aux termes de la Loi type de la BERD
La Banque Européenne pour la reconstruction et le développement fut créée en 1991.
Elle représente l’une des suites directes de la chute du mur de Berlin et de l’ouverture des
pays de l’Europe de l’est qui s’en suivit. Ayant pour objectif de favoriser leur transition
vers l’économie de marché, il fut établi, dès la première rencontre annuelle des dirigeants
de cette institution, que les ex-pays communistes n’étaient pas dotés, pour la plupart, de
régimes de sûretés, ni de l’infrastructure judiciaire et administrative requises à son
déploiement. Cette tâche fut considérée comme l’une des plus pressantes. Un comité
d’experts internationaux fut mis sur pied qui, dix-huit mois plus tard, accoucha de la Loi
type de la BERD, sans doute le premier instrument du genre à voir le jour.
La Loi type de la BERD propose un système simple afin que chaque pays destinataire
puisse l’adapter à son droit national, selon ses besoins et son système juridique. La base
y est : à chacun par la suite d’y ajouter ou d’y déroger. Cette loi type adopte, en autant
que possible, une terminologie neutre. Elle est agrémentée d’un commentaire qui
426
Voir notre discussion, ci-dessous, Partie I, sous-section IV. A. 2.

Page 206
180
explique chacune de ses dispositions. La simplicité fut prônée pour en faciliter l’adoption
rapide 427.
Enfin, c’est l’approche téléologique ou fonctionnelle qui est préconisée. Ainsi, « [t]hings
and rights may be encumbered by the owner with a security right (called a charge) in
order to grant security for a debt » 428. On précise également, dans la description
liminaire qui est faite de ses traits saillants, ce qui suit:
Several features of the Model Law should be noted :
1. Single Security Right
The Model Law is based on the idea of a single security right (a ‘charge’) in
respect of all types of things and rights
. The distinction between various
traditional types of security rights, such as pledges of movables, pledge of
rights, and mortgages is merged in one right.
Ajoutons, au nombre de ses objectifs, que la Loi type de la BERD se veut un régime
applicable aux pays de droit civil du continent, tout en empruntant aux régimes de
common law les nombreuses solutions adoptées dans les pays de cette tradition eu égard,
dit-on, aux techniques modernes de financement 429.
En conclusion de ce chapitre, nous verrons que le Guide législatif sur les opérations
garanties préconise, lui aussi, l’adoption de l’approche fonctionnelle ou téléologique.
427
428
429
John L. SIMPSON et Jan-Hendrik M. RÖVER, « Introduction. A Legal System for Secured
Transactions in Market Economies in Transition. An Introduction to the European Bank’s Model
Law on Secured Transactions », dans
Loi type de la BERD, supra note 51.
Loi type de la BERD, supra note 51, art. 1.1. Le commentaire indique que le terme « charge » est
le plus neutre en anglais pour décrire une sûreté conventionnelle, ce pourquoi il fut choisi.
J.L. SIMPSON et J.-H. M. RÖVER, loc. cit., supra note 427. Ce commentaire suggère que les
pays de common law ont une expertise plus développée en matière de droit commercial. Nous en
discutons plus loin,
infra, note 1144, mais il s’agit à notre avis d’un faux débat.

Page 207
181
2.5
termes du Guide
aux
garanties 430
législatif sur
les opérations
Le Guide législatif sur les opérations garanties préconise l’adoption de l’approche
téléologique dans sa forme la plus extrême, à savoir celle d’une sûreté unitaire
globale 431, à l’image du security interest (du UCC) ou de l’hypothèque présumée (de
l’ORCC). Cette approche passe par l’abolition pure et simple des sûretés-propriétés, avec
une reconnaissance particulière, cependant, aux sûretés consenties pour garantir le prix
d’acquisition d’un bien 432.
À défaut d’adopter cette version la plus extrême de l’approche fonctionnelle, le guide
suggère que les propriétés-sûretés soient néanmoins assujetties aux mêmes règles de
publicité et de réalisation que celles applicables au régime de sûretés primaire ou de base.
Il s’agit, en quelque sorte, du principe de l’essence de l’opération.
Le Guide s’appuie sur nombre d’exemples pour étayer sa position. D’une part,
l’expérience nord-américaine est citée en modèle, le Québec ayant également, semble-t-il,
opté pour l’approche fonctionnelle 433. D’autre part, la Loi type interaméricaine relative
aux sûretés mobilières et la Loi type de la BERD vont dans cette direction. Enfin, les
avantages supplantent les inconvénients.
430
431
432
433
Ni les Principes de la Banque mondiale, supra note 40, ni l’Énoncé de principes du FMI, supra
note 39, ne traitent de ces questions.
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Introduction », « Chapitre I. Champ
d’application, approches fondamentales en matière de sûretés et thèmes généraux à tous les
chapitres du Guide », p. 14, 17, 32-33, 58-61, 64-67.
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre IX. Financement
d’acquisitions ». Voir notre discussion,
infra, Partie I, sous-section III. B. 1.2, relative au
Purchase Money Security Interest et à ses transpositions en droit civil.
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre I. Champ d’application,
approches fondamentales en matière de sûretés et thèmes généraux à tous les chapitres du Guide »,
p. 59. Ce qui est faux, bien entendu. À notre sens, cela entache malheureusement la crédibilité de
ce guide.

Page 208
182
Au nombre des avantages, le droit des sûretés peut être régi par un texte législatif unique,
alors que l’approche formaliste ne le permettrait pas. Autant les sûretés sans
dépossession que celles avec dépossession peuvent en bénéficier, avec les adaptations
nécessaires, toutefois, à chaque type de sûretés. Puis, dans un contexte international, la
reconnaissance d’une sûreté globale en droit interne favorise la reconnaissance d’un plus
grand nombre de sûretés d’un pays à l’autre. En somme, il s’agit de reconnaître le
principe de la « relativité de la propriété sur les biens meubles » 434 afin de permettre la
généralisation du crédit garanti :
En outre, dans cette approche, un créancier qui envisage de consentir un prêt garanti
n’a pas à étudier les divers mécanismes de sûretés possibles ni à en évaluer les
conditions et les limites, les avantages et les inconvénients. De même, il est plus
facile pour les créanciers d’un constituant ou pour un représentant de l’insolvabilité
d’un constituant de mesurer leurs droits (et leurs obligations) vis-à-vis du créancier
garanti s’ils n’ont qu’à se référer à un seul régime, caractérisé par une sûreté réelle
mobilière globale. En simplifiant ainsi les choses, on réduira non seulement le coût
de la constitution des sûretés mais aussi le coût de réalisation et, par voie de
conséquence, le coût du crédit de façon générale.
435
Mais le guide admet que, conceptuellement, cette approche implique une requalification
des transactions et que tous les États ne reconnaissent pas ce soi-disant principe de la
relativité de la propriété sur des biens meubles. Pour contrer ces objections, il faudra
« former les juristes et les gens d’affaires pour les aider à comprendre les implications
pratiques de cette requalification » 436.
Une telle remarque, d’un paternalisme
intellectuel suspect, n’aidera pas nécessairement à susciter l’adhésion. Les juristes et
gens d’affaires du Royaume-Uni, de la France, de bon nombre d’autres pays européens,
434
435
436
Ibid., p. 60.
Ibid., p. 59.
Ibid., p. 60.

Page 209
du Québec, comprennent habituellement les implications de cette approche mais des
choix différents ont été faits dans ces juridictions et peuvent l’être.
183
* * *
En conclusion à ce deuxième chapitre, on constate que les fondements du droit des
sûretés mobilières en Occident sont partagés. Exception faite au principe de l’égalité
entre les créanciers, la préférence conférée au créancier garanti doit augmenter ses
chances de remboursement en cas de défalcation du débiteur et, ce faisant, réduire les
coûts du crédit garanti. L’effectivité d’un régime de sûretés repose en grande partie sur
sa reconnaissance en droit de l’insolvabilité. À l’inverse, plus les droits internes
reconnaîtront un grand nombre de sûretés mobilières, voire les mêmes ou, mieux encore,
une sûreté unique et identique, plus l’harmonisation des procédures collectives sera
possible, d’où l’intérêt d’harmoniser les droits internes en matière de sûretés. Mais les
tensions sont nombreuses entre ces deux régimes, la pratique et l’interprétation judiciaire
contribuant à fortement moduler le droit des sûretés. Au-delà des textes législatifs, des
principes et des efforts d’harmonisation, notons qu’en Amérique du Nord, tout au moins,
le droit de l’insolvabilité s’est grandement judiciarisé, pour retourner à un certain « judge
made law », mais où les qualités du stare decisis encourageant la prévisibilité et la
stabilité des normes et des rapports contractuels font de plus en plus défaut. En parallèle,
l’uniformisation intrinsèque des régimes de sûretés mobilières suppose une rationalisation
des mécanismes de constitution, de publication et d’exercice des droits. Pour réussir,
cette démarche doit s’arrimer à la réforme du droit de l’insolvabilité. Les façons d’y
parvenir sont nombreuses. Entre l’approche téléologique, le principe de l’énumération
limitative et le principe de l’essence de l’opération, la difficulté consiste à y intégrer (ou
Page 210
184
non)
les diverses sûretés-propriété.
Si, de façon majoritaire,
les organismes
internationaux de réforme du droit préconisent l’approche téléologique (avec l’exception
notable de la Convention du Cap (2001)), dans les faits, elle est loin de faire l’unanimité.
S’il y a absence d’harmonie ou de cohérence d’ensemble à ce niveau à l’échelle
internationale, d’un État à l’autre, cela ne revient pas à dire que l’harmonisation du droit
des sûretés ne soit pas en devenir. Au demeurant, comme nous le verrons dans le
prochain chapitre, même les systèmes qui prétendent à l’atteinte de l’uniformité
intrinsèque n’y parviennent pas nécessairement, en raison du nombre d’exceptions qu’ils
autorisent et de la création de régimes spéciaux en fonction de catégories particulières de
biens.
En ce sens, bien que le Guide législatif sur les opérations garanties reconnaisse que plus
le champ d’application du régime des sûretés sera large, plus il sera efficace, il convient
aussi d’exclure de son champ certains types de sûretés, dont celles sur les biens mobiles
(aéronefs, matériel ferroviaire roulant, etc.), la propriété intellectuelle, les valeurs
mobilières, les droits à paiement naissant de contrats financiers régis par des conventions
de compensation globale ou naissant d’opérations de change et, enfin, les immeubles
(bien que des similitudes et des recoupements existent) 437. Ces exclusions sont
considérées comme des régimes spéciaux et c’est ce que le droit international est en voie
d’instaurer à l’échelle planétaire. Le Guide soutient qu’il ne devrait pas y avoir d’autres
exclusions au régime. Ces régimes spéciaux influencent les droits internes. À défaut de
parvenir à l’uniformisation intrinsèque de manière instantanée et cohérente, au terme
d’une réforme d’ensemble unique, l’instauration graduelle de régimes spéciaux,
437
Ibid., p.40-43, 65-66.

Page 211
185
combinée à l’internationalisation de la pratique du droit, des échanges commerciaux et à
leur reconnaissance par les tribunaux, provoquent une certaine forme d’harmonisation du
droit des sûretés qui commence à poindre.
Pour mieux étayer ces hypothèses, nous allons poursuivre notre étude en comparant les
concepts et les valeurs du droit des sûretés mobilières propres aux principaux systèmes
étudiés.
Page 212
III- DES CONCEPTS ET DES VALEURS DU DROIT DES SÛRETÉS MOBILIÈRES
Dans ce troisième chapitre, nous procéderons à l’analyse comparée des concepts des
différents systèmes étudiés et aussi, par voie de conséquence, à l’examen des valeurs
qu’ils mettent de l’avant. Cette analyse est un passage obligé, qui nous permettra
d’identifier les éléments relevant de la politique et de la technique juridiques propres à
toute règle de droit 438. Nous pourrons dès lors déceler les points de convergences et de
divergences entre chacun desdits systèmes juridiques (ou textes législatifs) comparés, ce
qui nous permettra, en dernière analyse dans le cadre du quatrième et dernier chapitre de
cette première partie, de tirer les conclusions qui s’imposeront quant à l’état
d’avancement du phénomène d’harmonisation du droit des sûretés mobilières en
Occident.
Ainsi, nous procéderons successivement à l’étude des principales modalités des sûretés
réelles [A], pour ensuite exposer les principales considérations ayant trait à la mise en
œuvre des sûretés réelles mobilières [B].
A.
Des principales modalités des sûretés réelles
Il importe, dans un premier temps, de bien dégager les types de sûretés réelles et leurs
caractéristiques [1]. Cela nous amènera naturellement, par la suite, à considérer de façon
plus spécifique les sûretés réelles mobilières conventionnelles dans leur objet et dans leur
cause [2].
438
Voir : Paul-André CRÉPEAU, « La fonction du droit des obligations », (1998) 43 R.D. McGill
729, 755, n
o 33.



Page 213
187
1.
Les types de sûretés réelles et leurs caractéristiques
Il s’agit de cerner l’étendue et le champ d’application propre à tout régime de sûretés
mobilières. Par le fait même, il s’agit aussi d’entrevoir le cadre législatif particulier dans
lequel ce régime s’articulera. En termes de classifications propres au régime général des
sûretés, on distingue généralement les sûretés légales des sûretés conventionnelles [1.1],
les sûretés mobilières des sûretés immobilières [1.2], de même que les sûretés mobilières
conventionnelles, avec ou sans dépossession [1.3].
1.1
les sûretés légales ou conventionnelles
Les sûretés naissent de dispositions de la loi ou par l’effet de la volonté des parties. On
ajoute parfois, à cette summa divisio, les sûretés qui naissent par l’effet d’un jugement.
Bien sûr, en droit civil, toute sûreté, qu’elle soit légale, conventionnelle ou judiciaire, naît
d’abord, en principe, par l’opération de la loi, qui en autorise la constitution dans chacun
de ces cas.
Les sûretés légales sont expressément écartées du champ d’application du Titre 9 du
UCC 439. La Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières et la Loi type de la
BERD ne visent que les sûretés conventionnelles, mobilières dans le premier cas, et
mobilières autant qu’immobilières dans le second 440. La rédaction de la disposition du
Titre 9 UCC traitant du champ d’application de cette loi est plus spécifique et détaillée
que ne l’est la disposition équivalente de la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières, déjà moins précise que ne l’était l’article 2 du Projet préliminaire OÉA,
439
440
U.C.C. § 9-104 (1995) et U.C.C. § 9-109 (2010) ; OPPSA, art. 4.
Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières, supra note 10, art.1 et 2 ; Loi type de la
BERD
, supra note 51, art. 1.2.

Page 214
188
lequel spécifiait que son champ d’application était restreint aux seules sûretés mobilières
conventionnelles, à l’exclusion des privilèges légiférés et des sûretés autrement
réglementées aux termes d’autres lois 441.
Le Titre 9 du UCC précise que son champ d’application couvre toute sûreté mobilière
conventionnelle dans un bien personnel ou dans un fixture, les privilèges agricoles (i.e.
agricultural lien), les ventes de créances, les consignments, certaines sûretés mobilières
créées aux termes de dispositions d’autres titres du Uniform Commercial Code et les
security interests in secured obligation 442. Les exclusions y sont également précisées par
une énumération 443. En outre, sont exclus les privilèges ou autres sûretés mobilières
relevant de la compétence du législateur fédéral 444, le privilège du locateur 445, les
privilèges légiférés conférés aux termes de l’exécution d’un contrat de service ou de la
fourniture de matériaux 446, toute retenue ou privilège fiscal établit en faveur de salariés
ou d’employés 447, les ventes de créances prenant place dans un contexte de vente
d’entreprise ou celles ayant pour objectif principal leur recouvrement 448, toute cession de
droits aux termes d’une police d’assurance 449, toute cession de droits aux termes d’un
441
442
443
444
445
446
447
448
449
Voir l’article 2 du Projet préliminaire OÉA, supra note 410, ainsi que les Principes mexicains,
supra note 411, qui réitéraient cette idée.
U.C.C. § 9-109(a) et (b) (2010), qui reprend les anciennes dispositions de l’article U.C.C. § 9-102
(1995). L’étendue de l’application de du Titre 9 du UCC (2010) aux privilèges agricoles constitue
une nouveauté par rapport à l’ancienne version.
U.C.C. § 9-109(c) et (d) (2010), qui reprend les anciennes dispositions de l’article U.C.C. § 9-104
(1995).
U.C.C. § 9-109(c)(1), (2) et (3) (2010).
U.C.C. § 9-109(d)(1) (2010).
U.C.C. § 9-109(d)(2) (2010).
U.C.C. § 9-109(d)(3) UCC (2010).
U.C.C. § 9-109(d)(4) et (5) (2010).
U.C.C. § 9-109(d)(8) (2010).

Page 215
189
jugement 450, tout droit de compensation 451, la constitution ou la cession d’un intérêt ou
d’un privilège portant sur un bien réel 452, toute cession d’une réclamation de nature
délictuelle ou extracontractuelle (i.e. an assignment of a claim arising in tort, other than
a commercial tort) 453, toute cession d’un compte bancaire dans le cadre d’un contrat de
consommation 454.
En revanche, le Code civil du Québec vise à réglementer tant les sûretés légales que
conventionnelles 455 ou judiciaires 456. Ce fut d’ailleurs l’une des préoccupations
centrales de l’ORCC et des légistes rédacteurs du Code civil du Québec, c’est-à-dire de
faire en sorte que l’ensemble du droit des sûretés, tant conventionnelles, légales,
judiciaires, tant mobilières qu’immobilières, soit régit par le Code civil uniquement. On
visait ainsi à éliminer la disparité des sources du droit des sûretés existant sous l’ancien
régime 457. Force est cependant de constater que l’atteinte de cet objectif doit franchir de
nombreux obstacles, certains relevant du ressort du législateur québécois, d’autres pas.
450
451
452
453
454
455
456
U.C.C. § 9-109(d)(9) (2010).
U.C.C. § 9-109(d)(10) (2010).
U.C.C. § 9-109(d)(11) (2010).
U.C.C. § 9-109(d)(12) (2010).
U.C.C. § 9-109(d)(13) UCC (2010).
L’article 2664 C.c.Q., in fine, précise que l’hypothèque est conventionnelle ou légale. En matière
de sûretés légales, les priorités de l’article 2651 C.c.Q. s’ajoutent aux hypothèques légales édictées
par le régime des articles 2724-2732 C.c.Q.
L’hypothèque judiciaire n’existe pas comme telle, à proprement parler, en droit civil québécois. Il
s’agit plutôt d’une hypothèque légale dont peut bénéficier tout créancier en faveur de qui fut rendu
un jugement portant condamnation à verser une somme d’argent ou des aliments. Voir les articles
2724 (4) et 2730 C.c.Q. Pour les formalités associées à la constitution, à la publicité et à
l’opposabilité d’une telle hypothèque légale, voir P. CIOTOLA,
op. cit., supra note 124, nos 2.75-
2.81, p. 150-154.
457
Voir, de façon générale, P. CIOTOLA, loc. cit., supra note 308.

Page 216
190
En ce qui a trait aux sûretés légales, on dénombre les priorités et les hypothèques légales.
On se souviendra que l’ORCC en avait proposé l’abolition pure et simple, dans son
Projet de Code civil de 1978 458. Le législateur québécois n’a pas suivi cette
recommandation. Il aurait, en apparence, considérablement réduit le nombre de sûretés
légales qui existaient sous l’ancien droit. Ainsi, les priorités sont limitées à l’énumération
de l’article 2651 C.c.Q., et comprennent les frais de justice et toutes les dépenses faites
dans l’intérêt commun, la créance du vendeur impayé pour le prix d’un bien meuble
vendu à une personne physique qui n’exploite pas une entreprise, les créances de ceux qui
ont un droit de rétention sur un bien meuble, les créances de l’État pour les sommes dues
en vertu des lois fiscales, et, enfin, les créances des municipalités et des commissions
scolaires pour les impôts fonciers sur les immeubles qui y sont assujettis, de même que
celles des municipalités, spécialement prévues par les lois qui leur sont applicables, pour
les taxes autres que foncières sur les immeubles et les meubles en raison desquels ces
taxes sont dues.
458
On proposait en effet la conservation de seulement trois espèces d’hypothèques, à savoir les
hypothèques conventionnelles, judiciaires et testamentaires. L’abolition des hypothèques légales et
des privilèges était recommandée. Cette mesure était jugée nécessaire, car la justification apportée
au soutien de la création législative de privilèges et d’hypothèques légales en faveur de certaines
catégories de créanciers était jugée trop arbitraire par l’ORCC et contraire au principe de l’égalité
entre les créanciers dans le recouvrement de leurs créances. L’ORCC soulignait qu’en plus de
cent ans, le législateur québécois avait adopté, par lois spéciales dérogatoires au droit commun,
pas moins de deux cents privilèges spéciaux, la plupart se rattachant aux droits de la Couronne ou
aux municipalités. Comme solution de compromis, l’ORCC proposa que le législateur puisse
maintenir certains privilèges comme hypothèques légales, à la condition expresse que ces
hypothèques soient soumises à la publicité et ne prennent rang que suivant la date et l’heure de
leur inscription. Voir, à ce sujet, Q
UÉBEC, OFFICE DE RÉVISION DU CODE CIVIL, op. cit., supra note
351, p. 350, 356-376; Q
UÉBEC, CIVIL CODE REVISION OFFICE, op. cit., supra note 351, p. 350,
353-372. Voir aussi P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, no 2.1, p. 73-74. Bien que séduisante,
on a relevé le caractère utopique de cette idée. Voir J.-F. RIFFARD,
op. cit., supra note 21, p. 191-
197. Voir enfin : Jean PINEAU, « La philosophie générale du nouveau Code civil du Québec »,
(1992) 71 R. du B. can. 423, 432. Un auteur parle aujourd’hui d’une contre-réforme qui a lieu
dans ce domaine. Voir : P. CIOTOLA,
loc. cit., supra note 26, p. 45-47.

Page 217
191
Les priorités sont de caractère occulte, car le Code civil ne les soumet pas à une exigence
de publicité obligatoire 459. De plus, les dispositions de l’article 2651 C.c.Q., alinéas 4e et
5e, ouvrent une première brèche quant à l’unicité des sources du droit des sûretés en droit
civil québécois. En effet, le législateur réfère aux lois fiscales et aux lois municipales
comme sources permettant la création de certaines priorités en faveur de l’État, des
municipalités et des commissions scolaires 460.
S’ajoutent à ces priorités les hypothèques légales énumérées à l’article 2724 C.c.Q., qui
comprennent celles de l’État pour les sommes dues en vertu des lois fiscales et certaines
autres créances de l’État ou de personnes morales de droit public spécialement prévues
dans les lois particulières, les créances des personnes qui ont participé à la construction
ou à la rénovation d’un immeuble, la créance du syndicat des copropriétaires pour le
paiement des charges communes et des contributions au fond de prévoyance, et les
créances résultant d’un jugement. Ces hypothèques légales doivent être publiées et
459
460
Voir : P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, nos 2.14 et 2.30, p. 81 et 101, qui rappelle que les
créances prioritaires de l’État pour les dettes fiscales sont exceptionnellement soumises à la
publicité sur demande de dénonciation présentée par un créancier qui procède à une saisie-
exécution ou qui émet un préavis d’exercice d’un recours hypothécaire, aux termes de l’article
2654 C.c.Q. Certaines créances fiscales des municipalités seraient également soumises à un régime
de publicité dérogatoire du droit commun. En pratique, l’État n’obtempère jamais à ces demandes.
P. Ciotola a souligné cette dérogation majeure au régime uniformisé des sûretés préconisé au Code
civil du Québec, tel qu’établi en faveur des municipalités aux termes de lois particulières, qui
dénaturerait les priorités et les hypothèques légales établies par le droit commun, tout en étant
source de controverses juridiques et de compromis coûteux. Il a proposé que soient adoptées
certaines modifications législatives pour corriger la situation, afin de mettre un terme à la disparité
des textes législatifs et ainsi favoriser une meilleure intégration des dispositions de droit municipal
au droit commun applicable à tous, dont le
Code civil du Québec se veut l’expression. Entre
autres, le régime des priorités du Code civil devrait prévoir la possibilité de contraindre la
municipalité à dénoncer et à inscrire sa priorité au registre approprié d’après les modalités
précisées à l’article 2654 C.c.Q. Pour assurer la survie de cette priorité lors de la prise en
paiement et sa reconnaissance dans le droit fédéral de la faillite, il suggère qu’elle soit doublée
d’une hypothèque légale dont le rang serait déterminé par la loi. Voir : P. CIOTOLA, op. cit.,
supra note 124, p. 102-124, et en particulier aux p. 104, 122-124, nos 2.34 et 2.49 (et note 148).
Voir cependant les modifications apportées, depuis lors, aux articles 2651(5), 2655 et 2656 C.c.Q.,
et l’adoption du nouvel article 2654.1 C.c.Q., aux termes de la Loi modifiant diverses dispositions
législatives en matière municipale
, L.Q. 1999, c. 90.

Page 218
192
suivent l’ordre du temps, à l’exception de l’hypothèque des personnes qui ont participé à
la construction et à la rénovation d’un immeuble 461. Sauf exception, les créanciers
titulaires d’une priorité peuvent cumuler l’hypothèque légale qui leur est dévolue par la
loi 462.
La proposition de l’ORCC d’abolir toute sûreté légale s’avère toujours intéressante et
d’actualité, bien que l’on puisse soutenir que l’intérêt commun et l’équité servent de
justifications à l’édiction de certaines sûretés légales. À défaut de retenir cette solution,
le législateur québécois aurait pu définir clairement au Code civil même tout le régime
des priorités et des hypothèques légales sans référer à des lois particulières. En effet,
cette réduction apparente des anciens privilèges légiférés, notamment ceux en faveur de
la Couronne, est sujette à la même inflation que celle connue avant la réforme. La
rédaction actuelle des dispositions du Code civil du Québec traitant des priorités et des
hypothèques légales, par ses fréquents renvois aux lois particulières, autorise à le penser.
En fait, P. Ciotola parle à ce sujet d’une brèche béante, qui nous éloignerait
considérablement des objectifs initialement promulgués par l’ORCC 463. Cette brèche est
également ouverte par le législateur fédéral et les tribunaux, particulièrement dans le
cadre des procédures d’insolvabilité 464.
461
462
463
464
Voir les art. 2725, 2727, 2729, 2730, et 2952 C.c.Q. Pour un exposé général de l’ensemble des
règles en matière d’hypothèques légales, voir P. CIOTOLA,
op. cit., supra note 124, p. 125-193;
L. PAYETTE,
op. cit., supra note 386, p. 618-674. Voir, enfin, de manière plus spécifique,
Vincent KARIM,
Les contrats d’entreprise, de prestation de services et l’hypothèque légale,
Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 2003.
P. CIOTOLA, loc. cit., supra note 26, p. 52-53.
Ibid., p. 45-47.
Voir notre discussion, supra, Partie I, sous-section II. A. 2.3.4., sur la préservation de la valeur
économique des sûretés conventionnelles dans un contexte de redressement.

Page 219
193
À ces sûretés légales régies par le droit provincial s’ajoutent celles relevant du droit
fédéral, notamment aux termes des diverses lois fiscales 465 et de la Loi sur les
banques 466. Bon nombre de ces sûretés, que l’on songe aux diverses fiducies présumées
établies pour les diverses taxes ou autres déductions à la source, présentent un caractère
occulte 467. Ces sûretés échappent, bien entendu, au contrôle législatif des gouvernements
provinciaux, qui ne sont pas en reste, par ailleurs, pour l’édiction de ce type de
mécanismes à leur bénéfice. Cette situation semble exister de la même manière aux
États-Unis, que l’on en juge seulement par le champ d’application réservé au Titre 9 du
UCC 468.
Afin de favoriser le crédit garanti, il y aurait lieu, dans un contexte d’harmonisation du
droit, d’établir des critères qui permettraient, d’une part, de limiter le nombre et les
465
466
467
Voir : P.H. BÉLANGER, loc. cit., supra note 154. Voir aussi : Louis L’HEUREUX, La fiducie
présumée de la Loi de l’impôt sur le revenu
, Toronto, Carswell, 2002; Roger P. SIMARD,
« Recours des ministères du Revenu en cas de faillite et d’insolvabilité », dans B
ARREAU DU
QUÉBEC, SERVICE DE LA FORMATION PERMANENTE, Développements récents en droit de la faillite,
vol. 107, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 1998, 137.
Loi sur les banques, L.C. 1991, c. 46, notamment à son article 427.
De plus, le fisc, non content de ses vastes droits et pouvoirs déjà prévus à la loi, tente de toujours
les faire élargir par l’interprétation jurisprudentielle. C’est ainsi qu’une longue querelle dura
plusieurs années, de 2003 à 2009, afin de savoir si la fiducie présumée de la Couronne continuait
de s’appliquer pour les montants de TPS et de TVQ non récupérés au moment d’une faillite,
déclassant les créanciers garantis. Bien que la loi indique clairement que la fiducie présumée
tombe suite à la faillite au chapitre de la TPS et de la TVQ, le fisc échafauda une théorie basée sur
le mandat du débiteur fiscal et la naissance de la fiducie antérieurement à la faillite, qui en ferait le
propriétaire des sommes perçues à ce moment-là.
Pour un résumé du débat, voir :
Louise LALONDE, « La TPS et la TVQ : le loup de retour dans la bergerie », dans
Janis P. SARRA, dir.,
Annual Review of Insolvency Law, Toronto, Carswell, 2006, 355. La
première décision à avaliser cette position fut rendue dans l’affaire
Chibou-Vrac inc., Re, [2003]
R.J.Q. 2809 (C.S.). En 2009, la Cour suprême du Canada renversa ce courant jurisprudentiel dans
l’arrêt
Québec (Revenu) c. Caisse populaire Desjardins de Montmagny, 2009 CSC 49, j. Le Bel.
Ironiquement, la Cour suprême du Canada y rappelle que la réforme de la
Loi sur la faillite et
l’insolvabilité
de 1992 avait notamment pour but de réduire le nombre de priorités dont la
Couronne bénéficiait. Autres temps, autres mœurs, car la réforme du droit canadien de
l’insolvabilité de 2009 augmente considérablement le nombre de priorités légales au détriment des
droits des créanciers garantis. Voir,
supra, Partie I, sous-section II. A. 2.3.4., sur la préservation
de la valeur économique des sûretés conventionnelles dans un contexte de redressement.
468
L.M. LoPUCKI et E. WARREN, op. cit., supra note 78, p. 436, 463, 605-656.

Page 220
194
sources des sûretés légales permises et, d’autre part, l’établissement de sûretés légales
plus uniformes d’une juridiction à l’autre, tout en enrayant leur caractère occulte. C’est
ce que la Convention du Cap (2001) propose 469; c’est également ce que le Guide
législatif sur les opérations garanties 470 et les Principes de la Banque mondiale 471
suggèrent.
Il s’agit cependant de vœux pieux. En effet, ces principes sont biens connus des
législateurs occidentaux. Périodiquement, un effort de rationalisation est fait en matière
de sûretés légales, mais en raison des pressions provenant de divers groupes d’intérêts, le
retour du balancier s’opère assez rapidement vers leur prolifération plus ou moins
contrôlée. L’harmonisation, voire l’uniformisation, en ce domaine, relève davantage de
l’utopie, puisque l’établissement de sûretés légales découle directement de la prérogative
de l’État souverain, visant au premier chef la protection des revenus du Trésor public et
de certaines catégories de créanciers à qui l’on veut du bien, dont les salariés.
469
470
471
Convention du Cap (2001), supra note 64, art. 39-40, en vertu desquels un État contractant pourra
«
faire une déclaration selon laquelle les catégories de garanties non conventionnelles qu’il
désignerait pourraient être inscrites comme garanties internationales et pourraient dès lors être
traitées selon les mêmes règles de priorités. Il est envisagé qu’un État pourrait souhaiter se
prévaloir de cette faculté pour les garanties non conventionnelles qui ne jouissent pas déjà d’un
statut privilégié en vertu de son droit interne, tels que les privilèges du fisc ou les privilèges des
salariés dont la priorité ne dépend pas de l’inscription
». Voir, à ce sujet, R. GOODE, loc. cit.,
supra note 67, p. 73 et 75; R. GOODE, Convention du Cap, supra note 64, p. 8.
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre I. Champ d’application,
approches fondamentales en matière de sûretés et thèmes généraux communs à tous les chapitres
du
Guide », p. 51; Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre V.
Priorité d’une sûreté réelle mobilière », p. 49-50, recommandations 83-86; S.V. BAZINAS,
loc.
cit.
, supra note 46, p. 79.
Principes de la Banque Mondiale – 2001, supra note 40, p. 56-58, nos 146-152, principe 16;
Principes de la Banque Mondiale – 2005, supra note 40, p. 21, principe C-12. Le FMI ne se
prononce pas clairement à ce sujet, mais il affirme néanmoins que les créanciers garantis doivent
être colloqués au premier rang, avant les créanciers privilégiés et chirographaires. Voir l’Énoncé
de principes du FMI
, supra note 39, p. 34.

Page 221
195
Nous allons maintenant examiner la seconde classification des sûretés, qui se fait à partir
de leur caractère mobilier ou immobilier.
1.2
les sûretés mobilières ou immobilières
Il est clair, des dispositions du Titre 9 du UCC, que ce texte ne vise pas à couvrir les
sûretés immobilières 472. C’est également l’orientation proposée par la Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières 473.
Le législateur québécois a choisi de retenir l’approche inverse 474. Ainsi, l’hypothèque
s’étend désormais tant aux biens meubles qu’aux immeubles 475. Il s’agirait d’une
« intégration horizontale » du droit des sûretés, que peu d’autres législateurs ont imité 476.
Bien entendu, ce choix législatif présente des avantages et des inconvénients. Au nombre
des avantages, mentionnons la simplification et l’uniformisation importante qui en
472
473
474
475
476
Voir la définition du terme « security interest », à la section U.C.C. § 1-201 (a) (35) (2010) et les
commentaires de James J. WHITE et Robert S. SUMMERS,
Uniform Commercial Code, 5e éd.,
St. Paul (Minnessota), West Group, 2000, p. 734-735, traitant des diverses exceptions à cette règle.
Comparer : OPPSA, s. 1 (1), s.v. « security interest ».
LTIRSM, supra note 10, art. 1. Voir également, à ce sujet, les Principes américains, version
traduite en anglais
, supra note 411, p. 2 : « It should be clarified that the basis suggested for
unifying movable security interests in Mexican law cannot and should not include real property.
The traditional mortgage, for obvious reasons both conceptual and having to do with general
orientation and the legal system itself, can not and should not be absorbed into a unified movable
security interest, whose scope should be restricted to movable goods in a broad commercial
sense
». L’influence américaine se fait sentir, ainsi que les difficultés du droit des biens en
common law. Pourtant, en droit civil, l’intégration de l’hypothèque mobilière et immobilière est
possible, car cela tient à l’articulation des droits réels en droit civil qui permet cette intégration
conceptuelle.
L. Payette rappelle que « […] [cette] démarche d’abriter sous un seul concept, celui de
l’hypothèque, régi par des règles communes, les sûretés du domaine immobilier et celles du
domaine mobilier, [est propre au Québec], ce que peu de systèmes juridiques ont d’ailleurs tenté
d’accomplir
». Voir : L. PAYETTE, Les sûretés réelles, 3e éd., supra note 78, no 2, p. 2.
C.c.Q., art. 2665.
Voir, à ce sujet : QUÉBEC, OFFICE DE RÉVISION DU CODE CIVIL, op. cit., supra note 351, p. 349-
350; Q
UÉBEC, CIVIL CODE REVISION OFFICE, op. cit., supra note 351, p. 347-348.

Page 222
196
résulte, en ce qui a trait aux formalités de constitution et aux mécanismes de réalisation,
bien que des différences notables demeurent entre les deux types de sûretés.
Ainsi, l’acte d’hypothèque immobilière est assujetti à la forme notariée, alors que
l’hypothèque mobilière ne l’est pas 477; les régimes de publicité et d’inscription obéissent
à des règles différentes, les sûretés immobilières et mobilières étant inscrites à deux
registres différents, le registre foncier en étant un de titres et de dépôts d’actes, alors que
le registre mobilier est nominatif et informationnel; le principe de l’ordre de collocation
en fonction du temps est davantage respecté en matière immobilière qu’il ne l’est en
matière mobilière 478. À ces inconvénients, s’ajoutent les doutes émis quant au caractère
réel de l’hypothèque mobilière, notamment l’hypothèque sur des créances, ou encore
l’hypothèque sur des universalités de biens et la notion du report de l’hypothèque. Ces
inconvénients ont fait dire à certains auteurs que l’intégration entre les deux régimes n’est
que partielle et la dualité, bien réelle 479.
Ces problèmes peuvent toutefois être corrigés aux termes de modifications législatives,
afin de concrétiser une meilleure intégration entre les deux régimes, notamment en
matière de publicité. Ainsi, bien que la solution proposée par le législateur québécois
comporte certaines faiblesses, elle fait néanmoins la démonstration que l’intégration des
sûretés réelles mobilières et immobilières est possible en droit civil. Cette intégration est
477
478
479
Sauf l’hypothèque mobilière consentie en faveur du fondé de pouvoir des créanciers de l’article
2692 C.c.Q.
inc. (Arrangement relatif à),
2008 QCCS 4668.
Voir, en ce sens, Positron Technologies
Voir notre discussion, ci-dessous, Partie I, sous-section III. B. 2.2., relative à la publicité par
inscription à un registre.
P. CIOTOLA, loc. cit., supra note 26, p. 60-61.

Page 223
197
certes plus aisée qu’en common law, l’édifice romaniste des droits réels étant de
maniement plus souple, conceptuellement, que le droit des biens de common law 480.
Notons que la Loi type de la BERD propose une intégration des régimes immobiliers et
mobiliers 481. La Banque mondiale se contente d’indiquer que le régime de sûretés doit
couvrir tout type de biens 482. La possibilité de suggérer une intégration des régimes aux
termes du Guide législatif sur les opérations garanties fut envisagée lors des travaux
préparatoires, à la suggestion de la BERD 483, mais il n’y fut pas donné suite. En effet, le
Guide législatif sur les opérations garanties exclut expressément les biens immeubles de
sa portée, en précisant toutefois qu’ils peuvent être affectés par ses recommandations,
notamment en matière d’accession mobilière et de cession de créance garantie par un
immeuble 484. Les mérites de l’intégration des régimes sont discutés par la doctrine
480
481
482
483
Voir notre discussion, ci-dessous, Partie I, sous-section III. A. 2.1, relative à l’objet de la sûreté
mobilière conventionnelle.
Loi type de la BERD, supra note 51, art. 5.2.
Principes de la Banque Mondiale – 2001, supra note 40, p. 24-29, nos 48-63, principe 3; Principes
de la Banque Mondiale – 2005
, supra note 40, p. 13-14, principes A-2, A-3 et A-4. Le FMI ne se
prononce pas à ce sujet.
Le projet de guide s’est toujours limité aux sûretés mobilières conventionnelles. Cependant, la
BERD, en tant qu’observateur privilégié des travaux de rédactions de ce projet, a fait la remarque
suivante : « [l]
e Guide laisse également entendre qu’il doit exister une séparation stricte entre les
biens meubles et les biens immobiliers. Cette séparation peut être parfaitement rationnelle dans
certains régimes juridiques, mais il se peut qu’elle ne soit pas toujours appropriée. Au contraire,
dans certains cas, il peut être très judicieux qu’un pays s’efforce d’adopter des réformes relatives
à ces deux types de biens en même temps et de soumettre les sûretés sur les biens meubles et sur
les biens immeubles à des règles analogues. Le Guide devrait laisser cette option ouverte et
donner des indications générales sur la façon dont il serait possible de mener à bien une réforme
portant sur les biens tant meubles qu’immobiliers
». Voir Note du Secrétariat, Projet de guide
législatif sur les opérations garanties
, Doc. off. CNUDCI, Doc. NU A/CN.9/WG. VI/WP. 4 (24
avril 2002).
484
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre I. Champ d’application,
approches fondamentales en matière de sûretés et thèmes généraux communs à tous les chapitres
du
Guide », p. 42-43, 65-66.

Page 224
198
québécoise, qui se veut très certainement une contribution originale à la question 485.
Observons, ici également, que l’harmonie n’est pas la règle. Observons aussi que le
Guide, probablement influencé par les experts de common law, manque à son objectif de
présenter tous les choix législatifs possibles.
Nous passons donc à
l’examen de
la summa divisio des sûretés mobilières
conventionnelles, c’est-à-dire la distinction établie entre les sûretés avec ou sans
dépossession.
1.3
les sûretés mobilières conventionnelles avec ou sans
dépossession
Les systèmes réformés de sûretés mobilières visent tous à permettre la constitution de
sûretés conventionnelles sans dépossession. C’en est d’ailleurs l’un des objectifs
principaux. Il demeure cependant toujours permis de conférer des sûretés mobilières
conventionnelles avec dépossession. Nous étudierons d’abord les modalités de
constitution qui leur sont propres [1.3.1]. Nous verrons ensuite que l’intérêt principal que
présente cette distinction réside essentiellement dans les mécanismes de publicité
associés à ces deux catégories de sûretés mobilières [1.3.2]. On note une confusion des
règles de constitution et de publicité, particulièrement en matière de sûretés avec
dépossession.
Si la dépossession s’avère utile en ce qui a trait à la maîtrise qu’elle procure au créancier
sur certains types de biens précis, plus particulièrement lors de l’exécution de la sûreté
485
Voir, notamment : Denise PRATTE, « Cinq ans après la réforme, nos sûretés sont-elles sûres ? »
dans B
ARREAU DU QUÉBEC, SERVICE DE LA FORMATION PERMANENTE, La réforme du Code civil,
cinq ans plus tard, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 1998, 179; P. CIOTOLA, loc. cit.,
supra note 314, no 278, p. 416.

Page 225
199
(pensons aux valeurs mobilières, aux titres de créances, négociables ou non), on pourrait
croire que ce mécanisme ne suffise plus, à lui seul, à en assurer la publicité et
l’opposabilité, compte tenu de la possibilité de constituer un registre de publicité central,
informatisé et facilement accessible, un tel registre étant cardinal à l’établissement d’un
régime de sûretés sans dépossession cohérent.
Toutefois, constatons que, contrairement à la logique d’un régime de publicité fondé sur
l’inscription de droits, l’occultisme de la dépossession a récemment opéré un retour en
force, à la faveur, notamment, de la création d’un régime spécial de sûretés relatif aux
valeurs mobilières et autres actifs financiers, tel que promulgué par les organismes de
réforme du droit, influencés par le droit américain. Cela pose, au final, la question de
l’efficacité et de l’effectivité d’un régime de sûretés moderne.
1.3.1
les modalités de constitution
Il importe d’identifier les parties à la sûreté, c’est-à-dire le constituant et le titulaire. En
second lieu, il faut cerner les formalités associées à sa constitution, qui lui procureront sa
validité. Nous procéderons à cet examen en comparant, successivement, les dispositions
du Titre 9 du UCC [a], celles du Code civil du Québec [b], de la Loi type interaméricaine
relative aux sûretés mobilières [c], de la Loi type de la BERD [d] et, enfin, du Guide
législatif sur les opérations garanties et des Principes de la Banque mondiale et du FMI
[e].


Page 226
200
a)
aux termes du Titre 9 du UCC
Aux termes du Titre 9 du UCC, le constituant d’un security interest est défini comme
étant un « debtor » 486. Ce terme précise que le débiteur est une personne qui détient un
intérêt dans le bien grevé ou qui est tenu de l’exécution de l’obligation garantie (i.e.
« obligor ») 487. De façon générale, les transactions consuméristes ne relèvent pas de
l’application du Titre 9 du UCC. Une incorporation par référence aux critères des
diverses lois applicables en matière de protection du consommateur est donc mentionnée
aux fins de couvrir de telles transactions lorsque nécessaire 488. Les autres transactions
plus spécifiques aux termes desquelles une partie devient « débiteur » sont également
précisées. Le titulaire d’un security interest est défini comme étant un « secured
party » 489.
Certaines formalités de constitution seront identiques, selon qu’il s’agisse d’une sûreté
avec ou sans dépossession, ou constituée par le mécanisme du « contrôle », l’équivalent
de la maîtrise, une forme de dépossession fictive. Ainsi, dans chaque cas, il devra exister
une contrepartie ou considération suffisante afin de créer une obligation entre les parties
486
487
488
489
U.C.C. § 9-105(1)(d) (1995), U.C.C. § 9-102(a)(28) (2010). Comparer : OPPSA, art. 1 (1), s.v.
«
debtor ».
John O. HONNOLD, Steven L. HARRIS et Charles W. MOONEY, Jr., Security Interests in
Personal Property
, 3e éd., New York, Foundation Press, 2001, p. 89.
Voir les articles U.C.C. § 9-201 et § 9-203(4) (1995), U.C.C. § 9-201(b) (2010). On y précise par
ailleurs, à diverses occasions dans le texte même du Titre 9 du UCC, les particularités propres aux
security interests grevant de « biens de consommations » (i.e. consumer goods), une catégorie de
biens législativement définie à la section U.C.C. § 9-102 (a) (23) (2010), comme étant les biens
destinés à l’usage personnel, familial ou domestique. Comparer : OPPSA, art. 1 (1), s.v.
«
consumer goods ».
U.C.C. § 9-105(1)(m) (1995), U.C.C. § 9-102(a)(72) (2010). Comparer : OPPSA, art. 1 (1), s.v.
«
secured party ».

Page 227
201
(i.e. value has been given) 490. De même, le débiteur doit être titulaire de droits dans le
bien grevé (i.e. debtor has rights in the collateral) 491. Il n’est pas nécessaire qu’il en soit
le propriétaire, c’est-à-dire qu’il détienne le « full ownership »; le titre de propriété étant
de toute façon non pertinent, sauf exceptions 492.
D’autres formalités seront particulières à chaque type de sûretés. En ce qui a trait aux
sûretés avec dépossession, il faudra qu’il y ait remise du bien au créancier 493. La
catégorie des sûretés avec dépossession est limitée aux seuls biens meubles corporels ou
aux titres négociables 494. Certaines modalités particulières devront être également
respectées dans le cas de sûretés mobilières constituées par le « contrôle » conféré au
créancier sur certains biens incorporels, par exemple sur des documents de crédit ou titres
non négociables (i.e. comprenant les termes législativement définis de « deposit
account », « electronic chattel paper », « investment property », « letter-of-credit
rights ») 495. Dans ces cas de biens immatériels (intangibles), le créancier doit détenir le
490
491
492
493
494
495
U.C.C. § 9-203 (2010). Comparer : OPPSA, art. 11. Implicitement, il s’agit là de la
reconnaissance du caractère accessoire de la sûreté à une dette. On précise que «
Article 9 tells us
nothing about the obligation that is secured, leaving that to other law. Although we usually think
of the obligation as being a contractual promise to repay a loan or to pay the price of goods
bought, in theory a security interest could secure virtually any obligation – liquidated or
unliquidated, contingent or noncontingent
». Voir : J.O. HONNOLD, S.L. HARRIS et
C.W. MOONEY, Jr., loc. cit., supra note 487, p. 88. Mentionnons, au demeurant, que les sûretés
ne peuvent jamais prétendre à une autonomie complète de la cause de l’obligation qui lui donne
naissance. Par exemple, une lettre de crédit ne saurait être valide dans le cas où la cause de
l’obligation garantie est illicite. Voir, pour une discussion comparative au sujet de l’autonomie des
garanties, F. DESSEMONTET, « Sûretés, garanties et abstraction » dans F. DESSEMONTET,
dir.,
Sûretés et garanties bancaires, Paris, Litec, 1997, 71.
U.C.C. § 9-203(1)(b),(c), et (2) (1995); U.C.C. § 9-203(b)(2) (2010).
U.C.C. § 9-202 (2010). Comparer : OPPSA, art. 2.
U.C.C. § 9-203(1)(a) (1995); U.C.C. § 9-203(b)(3)(B) et (C) (2010) ; U.C.C.§ 9-313 (2010).
Comparer : OPPSA, art. 22.
Dans ce cas, la remise s’effectue par la délivrance du certificat : U.C.C.§ 8-301 (2010).
U.C.C. § 9-203(1)(a) (1995); U.C.C. § 9-203(b)(3)(D) (2010). Ces catégories de biens n’existent
pas nommément aux termes de la loi ontarienne.

Page 228
202
« contrôle » du bien, c’est-à-dire le pouvoir de transiger ou de percevoir seul les valeurs
qu’il représente 496. Ainsi, la dépossession, réelle ou fictive, devient elle-même un
mécanisme de constitution de la sûreté, en plus de lui conférer son opposabilité. Notons
toutefois la distinction établie par ces dispositions entre la dépossession et le « contrôle »,
qui en font deux mécanismes clairement distincts avec leurs règles propres, bien que l’on
ait interprété le « contrôle » comme accomplissant une fonction privative équivalente à la
dépossession, mais en regard des biens meubles immatériels non négociables 497.
En ce qui a trait aux sûretés sans dépossession, le débiteur devra avoir signé un « security
agreement », c’est-à-dire une entente aux termes de laquelle est constitué un « security
interest », comportant une description suffisante du bien grevé. L’exigence de l’écrit
n’existe obligatoirement que pour les sûretés sans dépossession. Elle s’étend toutefois
aussi à celles grevant des biens immatériels constituées par le mécanisme du « contrôle »,
car une entente de maîtrise (i.e. « control agreement ») est nécessaire pour le conférer 498.
Ce faisant, le Uniform Commercial Code contient des règles précises concernant la
constitution de sûretés affectant ces biens immatériels, dont les valeurs mobilières,
dématérialisées ou non, directement détenues ou non.
496
497
498
Ibid.. La notion de contrôle est définie à différents endroits, notamment aux sections U.C.C. § 9-
104, 9-105, 9-106 et 9-107 (2010). C’est une façon de remplir l’exigence de la dépossession pour
les biens intangibles (i.e. l’équivalent des biens meubles incorporels du droit civil). La publicité
par ce mode de constitution est autorisée aux termes de la section U.C.C. § 9-314 (2010).
Comparer : OPPSA, art. 1 (2) et 22.1.
J.J WHITE et R.S. SUMMERS, op. cit., supra note 472, p. 775 : « One way to think of control is
to regard it as the intangible’s equivalent to possession of tangibles. As we have said […],
security interests in intangibles for which there is no indispensable res to be possessed (like a
negotiable instrument) cannot be perfected by possession. Yet some of these intangible interests
can be put under the “control” of a secured creditor to the exclusion of others, and this will put
third parties on notice
».
Voir, de façon générale au sujet des modalités de constitution préconisées par le Titre 9 du UCC,
E.E. SMITH,
loc. cit., supra note 319, p. 25-27; J.J WHITE et R.S. SUMMERS, op. cit., supra
note 472, p. 747-811. Pour une perspective historique, voir G. GILMORE, op. cit., supra note
320, p. 345-354.

Page 229
203
Dans ce dernier cas, le régime est simple 499. Dans le cas d’un certificat au porteur, le
contrôle s’acquiert par sa délivrance; dans le cas d’un certificat nominal, le contrôle
s’acquiert par l’endossement et la délivrance du certificat, ou encore par l’enregistrement
du nom de l’acquéreur aux livres de l’émetteur. S’il s’agit d’une valeur mobilière non
représentée par certificat, le contrôle s’acquiert soit par l’enregistrement aux livres de
l’émetteur de l’acquéreur, soit par la conclusion d’une entente avec l’émetteur qu’il se
conformera aux instructions de l’acquéreur, sans qu’il ne soit nécessaire d’obtenir le
consentement du propriétaire inscrit par la suite. En ce qui concerne le cas d’un
« security entitlement » 500, le contrôle s’acquiert soit lorsque l’acquéreur en devient
titulaire, soit lorsque l’intermédiaire consent à n’obéir qu’aux instructions de l’acquéreur
sans qu’il ne soit nécessaire d’obtenir le consentement du titulaire (i.e. « entitlement
holder ») par la suite. Le contrôle perdure même si le propriétaire inscrit ou le titulaire
du droit, le cas échéant, conserve la faculté de transiger sur les valeurs avant la
survenance d’un cas de défaut. Un émetteur ou un intermédiaire peuvent mais ne sont
pas obligés de consentir à de telles ententes de contrôle. Dans tous les cas, le
consentement du propriétaire inscrit ou du titulaire est requis.
Ce régime vise à reproduire la simplicité inhérente au régime de détention directe
d’actions, représentées ou non par certificat, au régime de détention indirecte, où les
valeurs sont détenues par des intermédiaires. Il constitue toutefois, à l’intérieur même du
Titre 9 du UCC, un régime spécial.
499
500
U.C.C. § 9-106 (a) (2010) ; U.C.C. § 8-106 (2010).
Supra, notes 89, 90 et 93.

Page 230
204
Passons maintenant en revue les principales règles applicables en la matière en droit civil
québécois.
b)
aux termes du Code civil du Québec
L’article 2665 C.c.Q., 2e alinéa, édicte que « [l]’hypothèque mobilière a lieu avec
dépossession ou sans dépossession du meuble hypothéqué. Lorsqu’elle a lieu avec
dépossession, elle est aussi appelée gage ». Ainsi, le seul critère de distinction établi par
le Code civil du Québec pour l’hypothèque mobilière est la dépossession ou son absence.
Le régime général énonce les principes qui s’appliquent aux deux types d’hypothèques et
les critères spécifiques à chacun sont précisés par la suite.
Les articles 2681 à 2686 C.c.Q. édictent les règles générales à l’égard du constituant de
l’hypothèque. Ainsi, le constituant peut être le débiteur lui-même ou un tiers 501. En
principe, il doit avoir la capacité d’aliéner les biens qu’il soumet à une hypothèque 502.
La capacité d’aliéner réfère à la notion de pouvoir. Cela signifiera que toute personne qui
est ou qui devient propriétaire du bien grevé 503, ou ses représentants dûment autorisés
ayant la capacité de l’aliéner à sa place 504, pourront validement constituer une
hypothèque. Chose certaine, la capacité d’aliéner les biens réfère clairement à la capacité
501
502
503
C.c.Q., art. 2681.
C.c.Q., art. 2681.
P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, nos 3.7, 4.11-4.27, p. 205, 413-424. P. Ciotola rappelle
qu’une personne ne peut consentir une hypothèque que sur un bien dont elle est ou devient
propriétaire, en référant à l’article 2670 C.c.Q., traitant de l’hypothèque sur le bien d’autrui ou sur
un bien à venir. Voir aussi l’article 2682 C.c.Q., relativement au titulaire d’un droit conditionnel
ou susceptible d’être frappé de nullité, qui ne peut consentir plus que le droit qu’il possède.
504
Ibid. Voir également L. PAYETTE, op. cit., supra note 123, nos 488-496, p. 152-155.

Page 231
205
d’en transférer le titre de propriété. Il s’agit là d’une différence conceptuelle importante
avec le régime prévu aux termes du Titre 9 du UCC 505.
Certaines restrictions sont prévues en regard de la qualité personnelle du constituant.
Ainsi, la « personne physique qui n’exploite pas une entreprise » 506 ne peut initialement
pas, lors de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, consentir d’hypothèque
mobilière sans dépossession. Les restrictions à la constitution d’une hypothèque
mobilière sans dépossession par un particulier trouvent explication dans le désir du
législateur, lors de la codification de 1994, d’éviter le surendettement du consommateur.
Les pressions des groupes de protection des droits des consommateurs eurent raison d’un
accès plus universel à cette sûreté. Par conséquent, l’hypothèque sans dépossession est
initialement complètement interdite au particulier 507; ce n’est qu’en 1999 que le
législateur a timidement permis que certains biens dits d’« importance », comme les
véhicules routiers, puissent être hypothéqués sans dépossession par un particulier 508.
505
506
507
508
En effet, comme nous l’avons vu, supra, notes 491 et 492, le Titre 9 du UCC exige seulement que
le constituant de la sûreté détienne des droits dans le bien, sans qu’il n’en détienne nécessairement
le droit légal (
legal title) ou celui de propriété. Ce droit devrait être plus que celui d’un dépositaire
(
mere possession). En clair, cela signifie que le security interest peut être consenti sur tout droit
détenu par le constituant dans un bien. Voir : J.J WHITE et R.S. SUMMERS,
op. cit., supra note
472, p. 756-757; G. GILMORE, op. cit., supra note 317, p. 353-354. Évidemment, la mécanique
de ces droits n’est pas la même que celle des droits réels du droit civil. Cependant, « […]
le
contenu du droit réel d’hypothèque, c’est la faculté de pouvoir tirer profit de la valeur de son
objet, lequel est un droit réel ou personnel accordant lui-même à son titulaire, c’est-à-dire le
débiteur, la faculté de jouir et/ou de disposer d’un bien, ou encore d’exiger l’exécution d’une
prestation de faire ou de ne pas faire.
L’élément valeur s’attache donc au contenu et non à l’objet
du droit d’hypothèque […]
», comme le rappelle François FRENETTE, « De l’hypothèque : réalité
du droit et métamorphose de l’objet », (1998) 39
Les Cahiers de Droit 803, 812.
La notion de l’« exploitation d’une entreprise » est définie à l’article 1525 C.c.Q., in fine. Au fil
du présent texte et par commodité, nous utiliserons indistinctement les termes « particulier » ou
« consommateur », afin de parler de la « personne physique qui n’exploite pas une entreprise » du
Code civil du Québec.
P. CIOTOLA, loc. cit., supra note 314, nos 23-26, p. 317-319.
Voir : Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives relativement à la publicité
des droits personnels et réels mobiliers et à la constitution d’hypothèques mobilières sans

Page 232
206
Notons toutefois qu’à cette occasion, le législateur n’a pas étendu l’hypothèque sans
dépossession du particulier aux divers biens incorporels, dont les créances et les titres
non-négociables, laissant ainsi en plan des demandes de modifications législatives
importantes présentées à ce chapitre, notamment, par le Barreau du Québec 509.
Suite à ces modifications, le particulier put consentir une hypothèque sans dépossession
que dans un nombre restreint de cas, c’est-à-dire « dans les conditions et sur les véhicules
routiers et autres biens meubles déterminés par règlement » 510. Il ne pouvait consentir
une hypothèque sur une universalité de biens, ni une hypothèque ouverte, ni une
hypothèque sur un meuble représenté par un connaissement 511. À l’inverse, la personne
ou le fiduciaire qui exploite une entreprise peuvent consentir une hypothèque mobilière
509
510
dépossession, L.Q. 1998, c. 5, art. 9, modifiant l’art. 2683 C.c.Q [la « Loi modifiant le Code civil
(P.L. 181)
»].
Le Barreau du Québec avait en effet proposé une rédaction différente à l’article 2683 C.c.Q., dans
le cadre des travaux ayant menés à l’adoption de la
Loi modifiant le Code civil (P.L. 181), supra
note 508, afin de permettre la constitution d’hypothèques mobilières sans dépossession par les
particuliers sur des placements ou autres biens incorporels, «
dont la « dépossession » est soit
impossible soit impraticable
». En cela, le Barreau proposait que seuls les biens meubles corporels
soient réglementés par l’article 2683 C.c.Q., élargissant ainsi l’étendue de l’hypothèque mobilière
sans dépossession. Voir : C
OMITÉ PERMANENT DU BARREAU DU QUÉBEC SUR LE DROIT DES
SÛRETÉS
, Mémoire concernant la publicité des droits personnels et réels mobiliers et la
constitution d’hypothèques mobilières sans dépossession (P.L. 181)
, février 1998, p. 13-14 [non
publié], en ligne : http://www.barreau.qc.ca/opinions/memoires/1998/pl181.pdf (consulté le 23
décembre 2004). Le législateur n’a pas retenu ces propositions. Voir, à cet égard,
Marc BOUDREAULT et Stéphane BRUNELLE, « L’impact des modifications entrées en vigueur
le 17 septembre 1999 relativement à la création et à la publication de certains droits mobiliers »,
(1999) 2
C.P. du N. 19, 25-30.
C.c.Q., art. 2683. Les biens meubles déterminés par règlement comprennent alors : un véhicule de
promenade, une motocyclette, une habitation motorisée, une motoneige d’un modèle postérieur à
1988, certains véhicules tout terrain, une caravane ou une semi-caravane, une maison mobile, un
bateau, une motomarine, un aéronef. Voir l’art. 15.01 du
Règlement sur le registre des droits
personnels et réels mobiliers
, (1993) 125 G.O. II 8058 art. 15 modifié par (1998) 130 G.O II 2015,
art. 5 et par (1999) 131 G.O. II 3846 art. 1 et 2. Encore une fois, nous souscrivons aux critiques de
P. Ciotola, qui déplore ce renvoi à des textes réglementaires par le législateur québécois en vue de
compléter les dispositions fondamentales du Code civil du Québec. Voir : P. CIOTOLA, op. cit.,
supra note 124, no 3.7 (note 27), p. 206.
511
Voir les articles 2684-2686 C.c.Q. Pour une juste critique de ces restrictions, voir : L. PAYETTE,
op. cit., supra note 123, nos 497-504, p. 155-158.

Page 233
207
sans dépossession, une hypothèque sur une universalité de biens et une hypothèque
ouverte. Aux termes de l’article 2685 C.c.Q., seule la personne qui exploite une
entreprise peut consentir une hypothèque sur un meuble représenté par un connaissement.
Enfin, mentionnons que toute personne peut consentir une hypothèque mobilière avec
dépossession 512.
Des modifications législatives et réglementaires plus récentes, entrées en vigueur en
2009, changent quelque peu la donne quant à la possibilité pour un particulier de
consentir une hypothèque mobilière sans dépossession. Notons d’abord l’adoption de
l’article 2684.1 C.c.Q. 513 qui permet au particulier de consentir une hypothèque sans
dépossession universelle sur des valeurs mobilières ou des titres intermédiés, présents ou
à venir, visés par la Loi sur le transfert de valeurs mobilières. Il peut aussi consentir à
une hypothèque universelle sur tout autre type de biens déterminés par règlement. Le
nouvel article 15.2 du Règlement sur le registre des droits personnels et réels
mobiliers 514 précise désormais, à cet égard, qu’en plus des biens déjà susceptibles
d’hypothèque mobilière sans dépossession énumérés plus tôt 515, le particulier peut ainsi
hypothéquer les biens suivants : les biens précieux au sens de la Loi sur les impôts 516; les
biens incorporels, dont les biens qui constituent une forme d’investissement au sens de la
Loi sur les valeurs mobilières 517; les valeurs mobilières et les titres intermédiés visés par
512
513
514
515
516
517
Pour le cas particulier d’une société, voir P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, p. 207-210.
Loi sur le transfert de valeurs mobilières, supra note 100, art. 133.
Règlement modifiant le Règlement sur le registre des droits personnels et réels mobiliers, (2009)
141 G.O. II, 23A, art. 1 et 2 (entré en vigueur le 16 janvier 2009).
Supra, note 510.
L.R.Q., c. I-3.
L.R.Q., c. V-1.1.

Page 234
208
la Loi sur le transfert de valeurs mobilières; les instruments dérivés visés par la Loi sur
les instruments dérivés 518; les créances; les droits découlant d’un contrat d’assurance; et
enfin, les droits de propriété intellectuelle.
Mentionnons toutefois que l’article 15.2 du règlement précité interdit, dans tous les cas,
la constitution d’une hypothèque mobilière sans dépossession par un particulier grevant
des biens constituant un Régime enregistré d’épargne retraite, un Fonds enregistré de
revenu de retraite, un Régime enregistré d’épargne études ou un Régime enregistré
d’épargne invalidité au sens de la Loi sur les impôts. Le législateur fédéral en a fait
autant en déclarant ces biens insaisissables aux termes de la Loi sur la faillite et
l’insolvabilité 519. Toutes ces modifications sont d’importance et nous verrons pourquoi
dans les pages qui suivent.
En ce qui a trait aux modalités propres à l’hypothèque mobilière sans dépossession, elle
doit être constituée par écrit, sous peine de nullité absolue, comporter une description
suffisante du bien grevé 520 et indiquer la somme déterminée pour laquelle elle est
consentie 521. Elle ne présente pas l’exigence d’être constatée sous la forme notariée, sauf
lorsqu’elle garantit le paiement des obligations ou autres titres d’emprunts émis par un
518
519
520
521
L.Q. 2008, c. 24.
LFI, par. 67 (1) b. 3.
Pour le régime général des hypothèques mobilières sans dépossession, voir : C.c.Q., art. 2696-
2701.
C.c.Q., art. 2689.

Page 235
209
fiduciaire, une société en commandite ou une personne morale autorisée à le faire par la
loi 522.
D’autre part, présentons sommairement le régime général spécifique à l’hypothèque
mobilière avec dépossession ou gage avant d’en reprendre chacune de ses composantes.
Ce régime prévoit, depuis les modifications apportées au Code civil par la Loi sur le
transfert de valeurs mobilières, que le gage est constitué par la remise matérielle du bien
ou du titre au créancier 523. L’ajout du terme « matérielle » consacre la thèse de la
matérialisation du gage, qui le limite désormais clairement aux seuls biens corporels et
titres négociables. Le gage n’est pas obligatoirement soumis à la forme écrite 524, sauf
s’il y a entiercement 525. Ainsi, la dépossession elle-même devient un mécanisme (ou une
formalité) de constitution de la sûreté 526. Le gage est donc un contrat réel, car il se forme
par la tradition de la chose sur laquelle il porte 527. Enfin, la Loi sur le transfert de
valeurs mobilières modifie substantiellement le régime du gage du Code civil, en y
ajoutant un régime particulier pour le gage grevant des valeurs mobilières ou titres
522
523
524
525
526
527
C.c.Q., art. 2692 C.c.Q. Voir, en ce sens, P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, nos 3.3 et 3.32 , p.
203 et 234; Positron Technologies inc. (Arrangement relatif à), 2008 QCCS 4668. Contra :
L. PAYETTE,
Les sûretés réelles, 3e éd., supra note 78, nos 887-889, p. 371-373. Cet auteur est
d’avis que l’on peut constituer un gage en faveur du fondé de pouvoir de l’article 2692 C.c.Q., et
ce, sans que la formalité de l’acte notarié prévue à cette disposition du Code civil ne l’empêche,
mais le tribunal ne lui a pas donné raison dans l’affaire
Positron Technologies inc., susmentionnée.
C.c.Q., art. 2702, tel que modifié aux termes de la Loi sur le transfert de valeurs mobilières, supra
note 100, art. 135.
Pour le régime général des hypothèques mobilières avec dépossession, imparfaitement appelées
gages, voir : C.c.Q., art. 2702-2709.
C.c.Q., art. 2705.
Sur le sens de la dépossession, voir : P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, no 3.33, p. 234-238.
Paul-André CRÉPEAU, dir., Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues : les obligations,
Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 2003, p. 88,
s.v. « contrat réel ».

Page 236
210
intermédiés visés par cette même loi. Les articles 2714.1 à 2714.7 C.c.Q. 528 établissent
une autre façon que la remise matérielle de mettre en possession le créancier pour ce type
de biens, par le truchement du concept de « maîtrise », l’équivalent du concept de
« control » du Uniform Commercial Code. C’est donc le retour de la dépossession
fictive. Reprenons ces éléments, afin d’illustrer la profondeur des changements mis en
œuvre.
Jusqu’à l’adoption du nouveau régime édicté par la Loi sur le transfert de valeurs
mobilières, le débat entourant la portée de l’hypothèque mobilière avec dépossession fut
l’une des controverses les plus importantes ayant suivi l’entrée en vigueur du Code civil.
Il opposait les tenants de la thèse de la matérialisation du gage, pour qui le gage ne
pouvait grever que des biens incorporels et des titres négociables, aux tenants de la thèse
de sa dématérialisation, pour qui le gage s’étendait également aux biens incorporels et
titres non négociables, à condition que le créancier s’en voit conférer la « maîtrise de
fait » 529. Le débat fut nourri, d’une part, par les restrictions de l’article 2683 C.c.Q. à la
capacité d’un particulier de consentir une hypothèque mobilière sans dépossession et,
d’autre part, par certaines ambiguïtés rédactionnelles entourant la constitution et la
publicité du gage dans les dispositions pertinentes du Code civil 530. Nous avons déjà eu
528
529
530
Loi sur le transfert de valeurs mobilières, supra note 100, art. 136.
Voir, pour l’historique de ce débat, P. CIOTOLA et A. LEDUC, loc. cit., supra note 92.
Les principales ambiguïtés entouraient la notion de « remise » du titre ou du bien, lorsqu’il
s’agissait d’un titre de créance non négociable, pour constituer le gage. Les articles 2702, 2708,
2709 et 2710 C.c.Q. permettaient d’entretenir certains doutes. L’article 2702 C.c.Q. parlait
seulement de la remise du « titre » ou du « bien », sans préciser s’il devait s’agir d’un titre
négociable. L’article 2709 C.c.Q. précise cependant que la remise d’un titre négociable se fait par
endossement et/ou délivrance. L’article 2708 C.c.Q. parle du gage qui grève «
des biens
représentés par un connaissement ou un autre titre négociable ou qui grève des créances
», sans
que la nature de la créance ne soit précisée. Enfin, l’article 2710 C.c.Q. précise qu’une hypothèque
qui grève une créance ou une universalité de créance peut être constituée avec ou sans

Page 237
211
l’occasion d’écrire que n’eussent été des restrictions imposées par le législateur, aux
termes de l’article 2683 C.c.Q., à la constitution d’une hypothèque mobilière sans
dépossession par une « personne physique qui n’exploite pas une entreprise », le débat
sur la dématérialisation du gage n’aurait probablement pas eu lieu. Tous convenaient
cependant, dans ce débat, que ces restrictions n’avaient certainement pas leur place dans
un régime moderne de crédit, au surplus lorsque l’on songe que plusieurs autres
techniques ayant l’effet de sûretés sont disponibles aux particuliers, notamment la
fiducie-sûreté, les réserves de propriété et la location à long terme.
Dans ce contexte, la problématique prit un tournant de continuité historique en
comparaison avec l’ancien gage du Code civil du Bas Canada. En effet, le législateur
souhaitait-t-il, lors de la codification de 1994 et par la suite, également soustraire
l’hypothèque mobilière avec dépossession de la portée de la personne physique qui
n’exploite pas une entreprise, ou en limiter la constitution aux seuls biens corporels et
titres négociables ? Autrement dit, a-t-il voulu empêcher que certains biens, qui
pouvaient être l’objet d’un gage sous l’empire de l’ancien Code, ne puissent plus l’être
sous l’empire du nouveau Code civil ? La réponse ne fut pas simple. Dans la mesure où
les restrictions de l’article 2683 C.c.Q. n’avaient pas été adoptées, l’on aurait pu
concevoir, sans trop d’inconfort, que l’hypothèque mobilière avec dépossession se limita
alors aux biens meubles corporels et aux seuls titres négociables, puisque les particuliers
auraient été en mesure de constituer une hypothèque mobilière sans dépossession sur tous
dépossession. Nous ne referons pas l’exégèse de ces dispositions dans ces pages. Mentionnons
seulement que la lecture de ces dispositions avec l’ensemble des autres dispositions du Code civil,
dans un souci de cohérence, militait en faveur de l’interprétation restrictive du gage, ce que le
défenseur le plus acharné de la thèse libérale admettait d’emblée. Voir, à ce sujet : L. PAYETTE,
op. cit., supra note 386, no 861, p. 359.

Page 238
212
types de biens. Cependant, compte tenu de ces restrictions, monsieur le juge Gonthier
affirma ce qui suit :
[...] Par ailleurs, les droits en question [i.e. l’hypothèque sur la part dans une société
en nom collectif (art. 2211) et l’hypothèque sur les droits résultants d’une police
d’assurance-vie (art. 2461 et 2462)] n’étant pas normalement représentés par des
titres négociables, ils ne pourraient plus faire l’objet d’un gage. Étant donné la nature
de ces droits, qui sont le plus souvent détenus par des particuliers, il paraît
invraisemblable que le législateur ait voulu limiter ainsi la possibilité de les
hypothéquer […]. Il est à cet égard intéressant de noter que les
Commentaires du
ministre de la Justice
[…] concernant l’art. 2461, al. 2, indiquent que cet article
s’applique à des situations autrefois couvertes par « [l]a notion de gage du droit
antérieur », ce qui suggère que l’hypothèque envisagée par cet article est une
hypothèque mobilière avec dépossession
531.
[Références omises]
Or, il fut démontré que l’hypothèque avec dépossession n’était pas le gage du droit
antérieur 532. D’une part, l’hypothèque mobilière sans dépossession devait initialement
être ouverte aux particuliers, sans restriction; d’autre part, la création d’un registre de
publicité des droits central, uniforme et universel, venait régler le contentieux séculaire
entourant l’interdiction de l’hypothèque mobilière en droit civil, car l’absence d’un
régime de publicité crédible et organisé avait historiquement toujours été un frein à son
acceptation 533.
531
532
533
Voir l’arrêt Val-Brillant, supra note 101, no 8, p. 678, j. Gonthier. Le cas de l’article 2461 C.c.Q.
constitue une problématique importante en matière d’uniformisation des règles de publicité et de
priorité entre les créanciers, car, là encore, il s’agit d’un régime particulier relativement à
l’opposabilité des hypothèques sur des polices d’assurance, qui fait fi du régime de publicité par
inscription. Mentionnons que cette notion de «
gage du droit antérieur » n’a pas été remplacée par
l’hypothèque mobilière avec dépossession du nouveau Code civil; ainsi, cet argument du juge
Gonthier peut s’analyser sous un autre angle, et dans cette pespective, ne nous semble pas
concluant. En cela, nous souscrivons à ce qu’écrit la juge Deschamps.
Val-Brillant, supra note
101, n
o 95, p. 710, j. Deschamps.
P. CIOTOLA et A. LEDUC, loc. cit., supra note 92, p. 42-51.
Ibid., p. 11-12.


Page 239
213
La Cour suprême du Canada s’invita dans ce débat. Au lieu de dissiper la controverse,
elle contribua à l’alimenter de plus belle 534. Dans l’arrêt Val-Brillant, la majorité conclut
qu’un titre de créance non négociable pouvait faire l’objet d’un gage sous le Code civil du
Québec. En l’occurrence, un certificat de dépôt, représentant un régime enregistré
d’épargne retraite (REÉR), constituait un tel titre qui pouvait faire l'objet d'une
hypothèque mobilière avec dépossession. Ironiquement, aux termes des récentes
modifications apportées au Code civil et au Règlement sur le registre des droits
personnels et réels mobiliers, il n’est désormais plus possible de constituer un gage « à la
Val-Brillant » sur un certificat de dépôt représentant un REÉR 535.
La Cour suprême du Canada posa donc le principe suivant :
[28] Ainsi, une hypothèque mobilière avec dépossession portant sur une créance non
négociable est validement constituée et publiée lorsque (i) le débiteur a cédé au
créancier la maîtrise effective de la créance en lui consentant le droit de la percevoir
directement en cas de défaut, sans autorisation supplémentaire de sa part; (ii)
lorsqu’un titre non négociable constate la créance et que sa remise est possible, ce
titre a été remis au créancier; et (iii) l’hypothèque a été rendue opposable au
débiteur de la créance en conformité avec l’art. 1641 C.c.Q.
536
Cette décision suscita les principales critiques que voici. Le juge Gonthier importa le
concept de « maîtrise effective de la créance » en droit civil québécois. Cette maîtrise
n’était pas parfaite car elle ne jouissait pas d’une reconnaissance législative et
jurisprudentielle. En outre, un créancier ne pouvait se voir conférer la faculté de
percevoir seul, sans autre autorisation de la part du constituant, la créance hypothéquée,
534
535
536
La doctrine majoritaire critiqua sévèrement cette décision. Voir les autorités citées, supra note
102.
Supra, notes 513 à 519.
Val-Brillant, supra note 101, nos 16 et 28, p. 683, 690-691, j. Gonthier.

Page 240
214
vu l’interdiction faite aux pactes commissoires aux termes de l’article 1801 C.c.Q. 537 De
plus, le juge Gonthier recréa une modalité de dépossession fictive procédant par la
notification de l’acte d’hypothèque ou l’acceptation du débiteur cédé, analogue à celles
qui existaient sous l’empire du Code civil du Bas Canada 538. D. Pratte souligna, à juste
titre, qu’il s’agissait là d’un retour à une « fiction accommodante » 539. Pourtant, le
langage du Code civil était suffisamment clair à cet égard : la remise du titre ne pouvait
s’accomplir par la signification de l’acte constitutif écrit ou par l’acceptation du débiteur
cédé, anciennes formes conférant la « possession utile » au créancier sous le Code civil
du Bas Canada. En effet, les articles 2710 et 1641 C.c.Q. ne traitent que de la façon de
rendre opposable une hypothèque sur créance, et non de la façon de constituer une telle
hypothèque.
Rappelons que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Val-Brillant, fut directement
inspirée par ces projets de réformes internationaux et par le droit américain afin de
conclure à la validité d’une hypothèque mobilière sans dépossession grevant un titre de
créance non représenté par un titre négociable 540, preuve indéniable de l’influence de ces
efforts d’harmonisation.
L’arrêt Val-Brillant amena son lot de questionnements. Quelle en était la portée ?
S’appliquait-il aux seuls titre de créances non négociables, ou pouvait-il inclure
également les droits d’un particulier sur des valeurs mobilières dématérialisées, sur un
537
538
539
540
Supra, notes 386 et 387.
C.c.B.C., art. 1570-1571, 1966.
D. PRATTE, loc. cit., supra note 102.
Supra, note 101.

Page 241
215
compte de courtage détenu auprès d’un intermédiaire ? Majoritairement, la doctrine
conclut que cet arrêt avait une portée restrictive, si tant était qu’on devait lui accorder une
certaine importance, car les précédents ne valent que ce que valent leurs motifs. Si
l’ambiguïté du Code civil relative à la constitution d’un gage sur créance pouvait soulever
certains doutes quant à l’acceptation du raisonnement de la Cour suprême à cet égard, il
était plus difficile de le transposer à la création d’un gage sur un compte de courtage
détenu auprès d’un intermédiaire. Les droits du titulaire d’un tel compte ne pouvaient
seulement s’analyser sous l’angle du droit de créance à l’égard du courtier. En réalité,
l’on tentait d’hypothéquer les droits du titulaire dans les valeurs mobilières, à l’instar de
ce que l’on aurait fait si de telles valeurs avaient été représentées par certificat, ce que le
Code civil autorisait d’ailleurs explicitement à l’article 2756 C.c.Q. 541 S’ajoutait à ces
difficultés conceptuelles le fait que le particulier ne pouvait consentir d’hypothèque sur
une universalité de biens, ce qui, au demeurant, est contraire à l’économie du gage qui ne
peut, du reste, porter sur des biens futurs dans son acception traditionnelle. Puis, en
termes d’exercice de recours, seul le courtier en valeur mobilières qui détient une
hypothèque sur des valeurs mobilières était autorisé à vendre lesdites valeurs sans se plier
à la mécanique des préavis d’exercice des droits hypothécaires du Code civil 542. Les
prétentions entourant l’exercice d’un retrait de l’autorisation de percevoir une créance de
l’article 2744 C.c.Q. comme mécanisme équivalent n’étaient d’aucune utilité, ne
541
542
Abrogé aux termes de la Loi sur le transfert de valeurs mobilières, supra note 100, art. 137.
L’ancien article 2756 C.c.Q. se lisait comme suit : «
Le titulaire d’une hypothèque mobilière avec
dépossession, qui grève des actions du capital-actions d’une personne morale, n’est pas tenu de
dénoncer son droit à celui qui a émis les actions ; dans tous les cas, cependant, l’exercice des ses
droits hypothécaires est soumis aux dispositions et conventions qui régissent le transfert des
actions hypothéquées
».
C.c.Q., art. 2759 (avant les modifications y apportées aux termes de la Loi sur le transfert de
valeurs mobilières
, supra note 100, art. 138).

Page 242
216
s’appliquant pas en l’espèce et étant contraire à l’interdiction des pactes commissoires de
l’article 1801 C.c.Q., en plus de saper la notion de « maîtrise effective de la créance »
développée par le juge Gonthier.
Pour remédier à ces difficultés, nous avons suggéré que le législateur procède à plusieurs
modifications législatives, non pas afin d’accroître l’importance que certains voudraient
que l’on accorde à cette dématérialisation du gage dont nous avons déjà traité, mais plutôt
afin de l’abroger le plus complètement et définitivement possible comme mécanisme de
publicité 543. Évidemment, nous suggérions du même souffle que le concept de la
maîtrise de fait d’un bien, voire même le « contrôle », soit articulé de manière précise
pour certaines catégories de biens clairement identifiées, mais seulement à titre de
mécanisme de constitution de la sûreté, la publicité devant obligatoirement, dans la
majorité des cas, demeurer l’inscription. Enfin, nous ajoutions que ce mécanisme de
« contrôle » devrait par ailleurs se refléter dans l’exercice des recours du créancier, où il
présenterait sa véritable utilité. En d’autres termes, nous avons suggéré un accès
universel à l’hypothèque mobilière sans dépossession, tous constituants confondus, en
ajoutant comme modalité de constitution et d’exercice de recours le concept de maîtrise.
L’objectif étant de préserver le régime de publicité par inscription, l’établissement d’un
ordre de priorité cohérent, la mise au rencart des sûretés occultes.
Force est de constater que nous n’avons pas été entendus. Nous reviendrons plus loin sur
les questions entourant la publicité des droits et l’exercice des recours 544. Pour l’instant,
543
544
P. CIOTOLA et A. LEDUC, loc. cit., supra note 92, p. 60-69.
Voir notre discussion, ci-dessous, Partie I, sous-section III.B.2.

Page 243
217
reprenons de manière plus détaillée les éléments découlant de la réforme mise en place
par la Loi sur le transfert de valeurs mobilières au chapitre de la constitution du gage.
Le gage, stricto sensu, est désormais limité aux seuls biens corporels ou autres titres
négociables. Notons cependant l’incohérence qui demeure de la non-modification de
l’article 2710 C.c.Q., qui continue de permettre, théoriquement, que soit constitué un
gage sur une universalité de créances, bien que dans les faits, cette disposition s’avère
maintenant sans objet relativement au gage. L’arrêt Val-Brillant ne s’applique donc plus
aux questions auxquelles il tenta d’apporter un éclairage nouveau 545. En revanche, on
note l’élargissement de l’hypothèque sans dépossession pour le particulier, aux termes de
l’article 2684.1 C.c.Q.
Le gage, lato sensu, se spécialise en matière de valeurs ou de certains titres. Le nouveau
régime des articles 2714.1 à 2714.7 C.c.Q., qui repose essentiellement sur la Loi sur le
transfert de valeurs mobilières est, au fond, la codification du droit américain et la
création d’un régime spécial, qui se superpose à celui du Code civil, avec renvoi à une loi
particulière. La remise de possession des valeurs mobilières ou de titres intermédiés
s’opère conformément à la maîtrise qu’obtient le créancier conformément à la Loi sur le
transfert de valeurs mobilières 546. Pour une valeur représentée par certificat, la remise
s’opère par sa délivrance et la maîtrise se confère par simple livraison s’il est au porteur,
par son endossement s’il est nominatif ou s’il est inscrit au nom de l’acquéreur auprès de
l’émetteur 547. Pour une valeur non représentée par certificat, la livraison s’opère par
545
546
547
M. DESCHAMPS, loc. cit., supra note 83, p. 556.
C.c.Q., art. 2714.1.
LTVMQ, art. 55.

Page 244
218
l’inscription de l’acquéreur à titre de détenteur auprès de l’émetteur. Cette livraison suffit
à conférer la maîtrise, qui peut se constituer, à défaut de livraison, par la conclusion d’un
accord de maîtrise avec l’émetteur, aux termes duquel l’émetteur convient de se
conformer aux instructions de l’acquéreur sans le consentement additionnel du détenteur
inscrit de la valeur mobilière 548. Dans le cas de « titres intermédiés » 549, l’acquéreur en
obtiendra la maîtrise, soit en devenant titulaire du titre, soit en concluant avec
l’intermédiaire en valeurs mobilières un accord de maîtrise, soit si une autre personne
détient la maîtrise pour son compte 550. L’émetteur ou l’intermédiaire en valeurs
mobilières ne sont pas tenus de conclure un accord de maîtrise et ils ne peuvent le faire
qu’avec le consentement du détenteur inscrit ou titulaire du titre 551. La faculté pour le
détenteur inscrit titulaire du titre de pouvoir continuer à transiger sur les valeurs
n’entache pas la maîtrise 552.
548
549
LTVMQ, art. 50, 56.
Curieusement, la notion de « titre intermédié » n’est pas vraiment définie aux termes de la Loi sur
le transfert de valeurs mobilières
, supra note 100, ou du Code civil. L’article 6 LTVMQ indique
cependant : « […]
Il y a, par ailleurs, obtention d’un titre intermédié sur un actif financier sous le
régime de la présente loi dès lors qu’une personne, acquéreur de droits sur cet actif, obtient d’un
intermédiaire en valeurs mobilières un titre, dit intermédié, sur ce même actif
». Pour
M. Deschamps, « […] [l]e terme titre intermédié sert donc à décrire le droit du titulaire du compte
[de titres] à l’égard d’une valeur mobilière ou d’un autre bien incorporel crédité à son compte
».
Voir : M. DESCHAMPS,
loc. cit., supra note 83, p. 551. Le chapitre IV de la LTVMQ indique
comment l’on acquiert un titre intermédié et le contenu de ce droit. C’est, ni plus ni moins,
l’équivalent du «
security entitlement » du droit américain. Voir, à ce sujet, supra, notes 89, 90 et
93. Notons, enfin, aux termes de la LTVMQ, la reconceptualisation des notions de « valeurs
mobilières » et d’« actifs financiers », définies aux articles 10 à 13 LTVMQ. En substance, est
une valeur mobilière un titre de participation ou obligation d’un émetteur qui satisfont aux critères
de la LTVMQ. La notion d’actifs financiers, plus large que celle de valeurs mobilières, décrit les
valeurs mobilières et autres biens incorporels lorsque ces valeurs et autres biens sont inscrits dans
un compte de titres.
550
551
552
LTVMQ, art. 113.
LTVMQ, art. 57, 114.
LTVMQ, art. 56, 113.

Page 245
219
Le particulier peut consentir un tel gage conformément à l’article 2714.5 C.c.Q. La
dépossession qui s’opère conformément aux modalités de l’article 2714.1 de certificats
représentant des valeurs assujetties à la Loi sur le transfert de valeurs mobilières n’ont
pas à être négociables, aux termes de l’article 2714.7 C.c.Q. 553
Enfin, grande nouveauté en matière de constitution de gage sur des valeurs mobilières ou
des titres intermédiés : le titulaire d’un tel gage peut aliéner les biens grevés ou les
affecter à son tour d’une hypothèque en faveur d’un tiers (sauf convention contraire avec
le constituant initial) 554. Il s’agit clairement là d’une entorse au principe posé par les
articles 2681, 2682 et 2670 C.c.Q., en vertu desquels seul le propriétaire d’un bien peut
l’hypothéquer. Cela représente un changement radical par rapport au droit antérieur 555.
On peut penser que cette disposition a pour but de permettre à l’intermédiaire en valeurs
mobilières de se financer lui-même à partir des actifs financiers qui sont sous sa
gestion 556. Mais cette nouvelle règle soulève plusieurs difficultés, dont nous parlerons en
matière d’ordre de priorité 557.
Il s’agit ici, pratiquement en tous points, de la reproduction du régime américain adopté
aux termes des Titres 8 et 9 du UCC. Notons cependant que le régime du Code civil ne
prévoit pas de règle particulière relativement aux sûretés grevant des comptes de
553
554
555
556
557
Ce qui renforce, par une interprétation a contrario, le caractère matériel du gage portant sur tout
autre type de bien. Voir, en ce sens : M. DESCHAMPS,
loc. cit., supra note 83, p. 556.
C.c.Q., art. 2714.6.
P. CIOTOLA et A. LEDUC, loc. cit., supra note 92, p. 35 ; M. DESCHAMPS, loc. cit., supra note
83, p. 558.
Contra : L. PAYETTE, Les sûretés réelles, 3e éd., supra note 78, no 856.
L. PAYETTE, Les sûretés réelles, 3e éd., supra note 78, nos 995-997.
Infra, Partie I, sous-section III.B.1.3.

Page 246
220
banque 558 ou les droits résultant d’une lettre de crédit. Enfin, le Code civil ne connaît
pas le concept du « Electronic chattel paper » 559.
On peut donc conclure que, malgré certaines différences conceptuelles, le régime
québécois est pratiquement au pair avec le régime américain en termes de règles de
constitution.
Mentionnons que l’évolution québécoise jurisprudentielle et législative en ce domaine est
pour le moins surprenante. D’une part, le législateur québécois fit longtemps la sourde
oreille aux demandes répétées de modifications exigées au Code civil en matière de
sûretés, en particulier en ce qui a trait à la possibilité pour un particulier de consentir une
hypothèque mobilière sans dépossession. C’est timidement qu’il s’avança d’abord sur
cette question, ayant toujours en tête l’idée de protéger le consommateur contre le piège
du surendettement. Puis, par la suite, il n’hésita pas à prendre un virage marqué, en
élargissant significativement l’accès du particulier à l’hypothèque mobilière sans
dépossession, d’une part; d’autre part, en adoptant, sans consultations publiques 560, la
558
559
560
À ce sujet, une hypothèque mobilière sans dépossession grevant le compte est possible. De plus,
une convention de compensation entre le déposant et la banque dépositaire donnera une protection
aussi efficace, dit-on, qu’une hypothèque, bien que la Cour suprême du Canada ait assimilé une
telle convention à une garantie au sens de l’article 224 (1.3) LIR, supra note 146, ayant pour effet
de faire primer la fiducie présumée de cette même loi pour le recouvrement de dettes fiscales sur
un tel droit de compensation. Voir, à ce sujet :
Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond
c.
Canada, 2009 CSC 29. Pour M. Deschamps, « cette décision ne devrait pas être interprétée
comme impliquant qu’un accord de cette nature est une hypothèque au sens du droit civil
québécois
». M. DESCHAMPS, loc. cit., supra note 83, p. 552 (note 17).
Dont la définition, à la section U.C.C. § 9-102(a) (31) (2010), se lit comme suit : « ‘Electronic
chattel paper’ means chattel paper evidenced by a record or records consisting of information
stored in an electronic medium ».
Pour un historique des travaux parlementaires, lire : Suzie LANTHIER, Les sûretés sur les valeurs
mobilières :
transposable
le mouvement d'uniformisation d'origine américaine est-il
universellement ? Vers une approche québécoise à la question
, Mémoire de maîtrise, Montréal,
Faculté des études supérieures, Université de Montréal, 2009, p. 162-164. La ministre des finances
de l’époque, Monique Jérôme-Forget, qui pilota la présentation de la Loi sur le transfert de valeurs
mobilières, indique erronément, lors de l’étude détaillée du projet de loi, que les experts dans le

Page 247
221
Loi sur le transfert de valeurs mobilières et le régime particulier de sûretés et de règles
concernant le transfert proprement dit de ces valeurs, en calquant le régime américain,
dans la foulée d’un processus d’harmonisation pancanadien et international. Le contraste,
avec la lenteur des réformes antérieures, le poids des consultations publiques et des
travaux parlementaires qui prévalaient autrefois, est trop saisissant pour ne pas être
relevé. Mais où sont donc passés les organismes de protection du consommateur ?
Constatons, enfin, que les objections qui pouvaient autrefois exister en faveur du
maintien, réel ou imaginé, d’institutions propres à la tradition civiliste, par exemple toute
la résistance à l’adoption de l’approche téléologique et du principe de l’essence de
l’opération ou de la présomption d’hypothèque 561, semblent maintenant avoir disparu
comme par enchantement et cèdent le pas à l’impérative nécessité de l’harmonisation de
notre droit avec celui du continent nord américain et du monde. Le changement de
domaine furent consultés et qu’ils se montrèrent favorables au projet de loi. Voir : QUÉBEC,
ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission des finances publiques, 1ère
session, 38
e législation, vol. 40., no 46, 11 juin 2008, « Étude détaillée du projet de loi no 47 – Loi
sur le transfert de valeurs mobilières et d’autres actifs financiers (1) », 15h10 (Mme Jérôme-
Forget), en ligne: http://www.assnat.qc.ca/fra/38Legislature1/DEBATS/journal/cfp/080611.htm
(consulté le 13 février 2010). Or, rien n’est plus faux. À notre connaissance, c’est l’Autorité des
marchés financiers («
AMF »), responsable de l’élaboration du projet de loi, qui constitua une
table de concertation en 2006. À cette table de concertation furent invités des professeurs de droit
et des praticiens reconnus, que l’on informa des intentions gouvernementales en la matière. En
tout, seulement deux rencontres d’informations furent tenues au cabinet McCarthy Tétrault,
présidées par Me Michel Deschamps, alors expert-conseil de l’AMF, et Me Julien Reid, de la
direction des affaires juridiques de l’AMF. Ces rencontres eurent lieu les 7 septembre 2006 et 30
novembre 2006. Nous faisions partie des experts invités. Suite à ces deux réunions d’information,
les experts convoqués n’ont plus entendu parler de quoi que ce soit. La présentation du projet de
loi n
o 47 eut lieu le 13 novembre 2007, avec sanction le 20 juin 2008 et entrée en vigueur le 1er
janvier 2009. Il n’y a donc pas eu d’audiences publiques et le projet fut adopté dans les deux
dernières journées de la session parlementaire de juin 2008, avant l’ajournement des travaux pour
les vacances estivales. L’urgence de l’adoption de cette loi, en catimini, fut-elle dictée par d’autres
impératifs, notamment afin de contrer les velléités du gouvernement fédéral canadien de créer une
commission unique des valeurs mobilières au Canada ? Voir, sur les réticences du Québec à ce
sujet, Monique JÉRÔME-FORGET, « Les leçons à tirer des scandales financiers », dans Antoine
LEDUC, dir., Les récents scandales financiers au Québec en matière de fonds communs de
placement
, L’ASSOCIATION DU BARREAU CANADIEN, DIVISION QUÉBEC, Actes de la formation
juridique permanente 2008, vol. 1, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 2008, 131.
561
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27; G. RÉMILLARD, loc. cit., supra note 104.

Page 248
222
paradigme est de taille; la création du régime spécial de l’hypothèque avec dépossession
sur des valeurs mobilières ou titres intermédiés constitue un tournant majeur dans la
conception même d’un Code civil et de l’effet de système qu’il est censé engendrer 562.
Nous verrons maintenant quelles sont les modalités de constitution envisagées aux termes
de la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières.
c)
termes
aux
type
interaméricaine relative aux sûretés
mobilières

Loi
de
la
La Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières, en son article 3, pose un
certain nombre de définitions. Ainsi, le « Secured Debtor » (Deudor garante) est « the
person, whether the principal debtor or a third party, who creates a security interest over
movable property in accordance with this Law ». À l’instar du droit civil québécois, le
constituant peut être le débiteur principal ou un tiers qui agira, dans ce dernier cas, à titre
de caution réelle. Par ailleurs, le « Secured Creditor » (Acreedor garantizado) est « the
person in whose favor a security interest is created, possessory or non-possessory,
whether for its own benefit or for the benefit of other persons ». C’est par cette dernière
définition que la loi type établit une distinction entre les sûretés avec et sans
dépossession. Notons, de cette définition, la souplesse visant à permettre à un créancier
de détenir une sûreté pour le bénéfice d’autres personnes 563. Le constituant n’a pas à être
propriétaire du bien grevé et le titre n’importe pas 564.
562
563
Infra, Partie I, sous-section IV.A.1.1, relativement à la codification du droit.
En droit civil québécois, cette question est plutôt complexe, aux termes de l’article 2692 C.c.Q.,
contrairement à la solution de common law, qui accepte sans difficulté qu’un « collateral agent »
agisse à titre de mandataire pour le bénéfice de plusieurs créanciers, présents et futurs. Une telle

Page 249
223
La notion de « security interest », traduite en espagnol par l’expression garantía
mobiliaria, n’est pas définie. Cependant, l’article 1 nous apprend que la loi type a pour
objet de régir toute sûreté mobilière garantissant l’exécution de tout type d’obligation.
La sûreté mobilière sans dépossession doit faire l’objet d’un contrat écrit et entre en
vigueur à sa signature par les parties 565. Le contrat doit être daté, les parties doivent être
identifiées. Il doit comprendre la signature manuscrite ou électronique du constituant. Le
montant de la sûreté doit être indiqué; une description suffisante des biens grevés doit y
figurer; enfin, la cause de la sûreté, c’est-à-dire l’obligation garantie, doit être énoncée.
L’écrit peut revêtir toute forme, incluant télex, télécopie, courriel. La forme notariée
n’est pas exigée 566.
À l’inverse, la sûreté mobilière avec dépossession n’exige pas la constitution d’un écrit.
Elle se créée soit par la remise du bien au créancier ou à un tiers convenu, soit par le
« contrôle » qu’en exerce le créancier ou un tiers convenu 567. Notons que l’entiercement
nécessite un écrit, tout comme en droit québécois 568. Curieusement, la notion de
« contrôle » n’est pas définie et aucun régime spécial en matière de sûretés sur des
valeurs mobilières ou des titres intermédiés n’est proposé aux termes de la Loi type
structure est particulièrement utile dans l’établissement d’un prêt par syndicat bancaire. Voir :
J. DESLAURIERS,
op. cit., supra note 106, p. 695 et suiv.
564
565
566
567
568
LTIRSM, supra note 10, art. 2.
Ibid., art. 6.
Ibid., art. 7.
Ibid., art. 8.
Ibid., art. 30. Comparer : C.c.Q., art. 2705.

Page 250
224
interaméricaine relative aux sûretés mobilières 569. Toutefois, des règles particulières à
une sûreté grevant une lettre de crédit ou le droit aux produits d’icelle sont édictées 570.
Enfin, la remise de possession aux termes d’un gage portant sur un titre négociable
s’effectue par l’endossement et la délivrance d’un tel titre 571.
Voilà donc un régime qui se retrouve à mi-chemin entre celui des États-Unis et celui du
Québec. On sent la touche civiliste, entre autres dans l’exigence d’un écrit et ses
formalités. Cependant, il ne semble pas y avoir de restriction relative à la qualité du
constituant, contrairement aux valses-hésitations du droit québécois en la matière 572.
L’influence américaine n’est pas loin aussi. Qu’il s’agisse de la terminologie ou, encore,
de la création de règles spéciales pour les sûretés relatives à des lettres de crédit.
Analysons maintenant brièvement les modalités de constitution proposées aux termes de
la Loi type de la BERD.
569
570
571
572
Voir cependant : Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières, supra note 10, art. 1, al.
2, qui édicte : « A State may declare that this Law does not apply to the types of collateral
expressly specified in this text
». Voir aussi, en ce sens : LTIRSM, art. 37. Certains membres du
comité de rédaction de ladite loi indiquent cependant que des régimes spéciaux pour certains types
de biens doivent être créés en dehors de cette loi, par exemple en matière de valeurs mobilières et
de titres intermédiés, puis en matière de biens mobiles. La loi type ne vise donc pas à régir ces cas.
Voir : B. KOZOLCHYK et D. BECK FURNISH,
loc. cit., supra note 417, p. 131-132. Puisqu’il
en est ainsi, on ne voit pas pourquoi le terme « control » est utilisé dans la loi type, risquant de
créer une confusion inutile.
LTIRSM, supra note 10, art. 23-26. Semble-t-il que le mécanisme de la lettre de crédit soit sous-
utilisé en Amérique latine et, en ce sens, on veut faire œuvre utile.
LTIRSM, supra note 10, art. 27-29.
La version antérieure contenait une distinction pour tenir compte du droit consumériste de
plusieurs pays d’Amérique latine, qui ne fut pas jugée déterminante, au final. Voir :
B. KOZOLCHYK et J.M. WILSON,
loc. cit., supra note 10, p. 48-49.



Page 251
225
d)
aux termes de la Loi type de la BERD
Toute personne peut constituer une sûreté sur ses biens, à l’exception d’une personne
physique qui n’exploite pas une entreprise. En revanche, la personne physique qui
exploite une entreprise peut consentir une sûreté sur les biens de son entreprise 573. Le
constituant doit être propriétaire du bien qu’il désire grever 574. Une charge commerciale
(i.e. enterprise charge) ne peut être créée que par une compagnie 575. Le constituant peut
être le débiteur principal ou un tiers 576.
Le titulaire d’une sûreté peut être toute personne détenant une créance à l’encontre du
constituant. La sûreté ne peut être consentie pour garantir une obligation contractée par
le constituant en faveur d’un tiers 577. Le titulaire de la sûreté peut désigner un tiers pour
détenir la sûreté à sa place 578.
La Loi type de la BERD prévoit trois types de sûretés : une sûreté publiée par inscription
(donc, sans dépossession); une sûreté en faveur d’un vendeur impayé; une sûreté avec
dépossession 579.
573
574
575
576
577
578
Loi type de la BERD, art. 2. Le commentaire précise que selon l’état d’avancement du droit
consumériste d’une juridiction à l’autre pour lesquelles la loi se destine, on pourrait alors en
élargir l’application aux personnes physiques qui n’exploitent pas une entreprise. Cependant,
l’objectif principal de la loi type a trait au crédit à l’entreprise.
Loi type de la BERD, supra note 51, art. 2 et 6.5.1.
Ibid., art. 6.6.
Ibid., art. 4.3.1.
Ibid., art. 3.1.
Ibid., art. 3.2 et 16. Ici encore, cette loi prévoit un régime de détention de sûretés en cas de
pluralité de créanciers, dont le législateur québécois serait fort aise de s’inspirer. Voir nos
commentaires, supra note 563.
579
Ibid., art. 6.1.

Page 252
226
Les sûretés avec et sans dépossession doivent être constatées par un écrit. La principale
différence entre les deux types de sûretés réside dans le mode de publicité. Un formulaire
figure en annexe à la loi type comme exemple d’écrit exigé. L’écrit doit identifier les
parties et la cause de la sûreté; dans le cas d’un gage, la somme maximale de la sûreté; il
doit contenir une description suffisante des biens grevés et la signature des parties. La
date d’entrée en vigueur de la sûreté est celle de la signature de l’acte par le constituant.
L’écrit doit mentionner qu’il a pour objet la création d’une sûreté 580.
La sûreté en faveur du vendeur impayé est d’une nature particulière. Elle implique un
écrit entre le vendeur et l’acheteur, aux termes duquel le vendeur se réserve la propriété
du bien vendu jusqu’à parfait paiement ou se créé une sûreté pour garantir le paiement du
prix de vente. La réserve de propriété n’est pas admise aux termes de la Loi type de la
BERD : elle est réputée ne pas exister, le titre de propriété étant transféré immédiatement
à l’acheteur et le vendeur obtenant alors une sûreté 581. Cette technique est le calque de la
présomption d’hypothèque de l’ORCC 582.
La Loi type de la BERD propose un cadre peut-être plus rigide que les autres étudiés
jusqu’à présent, mais présente néanmoins des mesures équivalentes. On voit cependant
l’importance du droit de propriété et la référence implicite à l’édifice romaniste des droits
réels. Relevons que l’on n’y traite pas de régimes spéciaux, entre autres pour les valeurs
mobilières et les titres intermédiés, mais il faut se rappeler que cette loi type fut rédigée
580
581
582
Ibid., art. 6.2, 6.4 et 7.
Ibid., art. 6.1.2 et 9.
Voir notre discussion, supra, Partie I, sous-section II.B.1.3.

Page 253
227
avant leur avènement, en 1994. Voyons, enfin, ce que les autres instruments
internationaux proposent.
e)
aux termes du Guide législatif sur les
opérations garanties

En ce qui a trait aux parties à une sûreté, le Guide législatif sur les opérations garanties
suggère qu’aucune limitation ne soit posée aux termes d’une loi sur les sûretés
mobilières. Ainsi, toute personne devrait pouvoir affecter ses biens en garantie de ses
obligations et tout créancier devrait à son tour pouvoir en bénéficier. Le Guide reconnaît
toutefois que certains États peuvent adopter des lois de protection des consommateurs,
auquel cas le Guide s’efface devant de telles lois 583.
En matière de typologie des sûretés mobilières, le Guide reconnaît la différence
traditionnelle entre les sûretés avec et sans dépossession. Les sûretés sans dépossession
étant celles qui ont toujours posé davantage de problèmes, le Guide indique que toute
sûreté sans dépossession doit être d’application universelle et ne pas simplement qu’être
l’adaptation temporaire et fragmentaire du régime de sûretés avec dépossession aux
sûretés sans dépossession. Autrement dit, il ne s’agit pas d’en faire des gages sans
dépossession 584.
En ce qui a trait aux modalités de constitutions, le Guide recommande que toute sûreté
sans dépossession revête la forme écrite, indiquant l’intention des parties de créer une
sûreté, identifiant ces mêmes parties, décrivant l’obligation garantie et les biens grevés et,
583
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre I. Champ d’application,
approches fondamentales en matière de sûretés et thèmes généraux à tous les chapitres du Guide »,
p. 35.
584
Ibid., p. 44-51.

Page 254
228
facultativement, indiquant le montant maximal pour lequel la sûreté est consentie. Dans
le cas d’une sûreté avec dépossession, la convention peut être verbale, mais l’écrit est
préconisé. Le gage devrait se limiter aux biens corporels et titres négociables 585.
Cependant, pour les sûretés grevant des comptes de banques et le droit au produit d’une
lettre de crédit, le Guide recommande qu’elles soient créées par le mécanisme du
« contrôle » 586.
Enfin, comme nous l’avons déjà dit, les valeurs mobilières et titres intermédiés sont
exclus des recommandations du Guide, car vus comme un régime distinct, sujets à la
Convention de Genève sur les titres 587.
Ces comparaisons nous permettent d’affirmer que les modalités de constitution se
ressemblent d’un régime à l’autre 588. Nous allons maintenant nous attarder davantage à
l’intérêt principal posé par la distinction entre les sûretés mobilières avec ou sans
dépossession, qui tient aux fonctions de publicité particulières à chacune de ces
catégories de sûretés.
1.3.2
les mécanismes de publicité
On distingue généralement deux (2) modes de publicité des sûretés mobilières. D’abord,
les sûretés mobilières sans dépossession devront normalement faire l’objet d’une
585
586
587
588
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre II. Constitution d’une
sûreté réelle mobilière (efficacité entre les parties) », p. 101-102 (Recommandations 13-15).
Curieusement, le Guide législatif sur les opérations garanties le prévoit dans le chapitre traitant de
l’opposabilité des droits, mais sans donner plus de détails.
Supra, note 95.
Les Principes de la Banque mondiale, rédigés en termes plus généraux, sont au même effet. Voir :
Principes de la Banque Mondiale – 2001, supra note 40, p. 24-27, principe 3; Principes de la
Banque Mondiale – 2005
, supra note 40, p. 13-14, principes A-1 à A-3.

Page 255
229
inscription à un registre, afin d’en assurer l’opposabilité aux tiers. Dans le cas des sûretés
mobilières avec dépossession, la remise matérielle du bien par le débiteur au créancier et
sa détention continue feront office de publicité, sans qu’il y ait nécessité de procéder à
l’inscription de la sûreté à un registre quelconque pour en assurer l’opposabilité aux tiers.
Bien entendu, il demeure toujours possible d’inscrire la sûreté mobilière avec
dépossession au registre mobilier après sa constitution 589. Enfin, s’ajoute parfois, à ce
second mode de publicité, une variante, qui est une forme de dépossession fictive : celui
du « contrôle » (ou la « maîtrise »). Le mécanisme de la signification (ou de la
notification) peut en être une seconde variante, lorsqu’il équivaut à la remise de
possession nécessaire à la constitution d’un gage, mais il peut aussi simplement constituer
une formalité d’opposabilité additionnelle, applicable en toute circonstance, et non pas un
mécanisme de constitution.
Pour analyser ces modalités de publicité, nous comparerons donc successivement le droit
américain [a], le droit civil québécois [b], la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières [c], la Loi type de la BERD [d] et, enfin, le Guide législatif sur les opérations
garanties [e].
a)
aux termes du Titre 9 du UCC
Aux termes du Titre 9 du UCC, la publicité par voie d’inscription au registre mobilier est
la règle. Les autres modes de publicités, lorsqu’ils sont autorisés, le sont en des termes
explicites, ce qui leur confère un caractère d’exception 590. Cette règle est parfaitement
589
590
U.C.C. § 9-308 (c) (2010) ; C.c.Q., art. 2707 ; LTIRSM, supra note 10, art. 10 in fine; Loi type de
la BERD
, supra note 51, art. 8.2, 8.5-8.6, 9.3; Guide législatif sur les opérations garanties, supra
note 45, « Chapitre III. Opposabilité d’une sûreté réelle mobilière », no 46, p. 45.
U.C.C. § 9-302(1) et (2) (1995); U.C.C. § 9-310 (2010).

Page 256
230
justifiée, car elle vise l’atteinte d’objectifs informationnels et l’établissement d’un ordre
de priorité cohérent. Ainsi, les nouvelles formes de sûretés qui naîtront de l’ingéniosité
des juristes n’échapperont pas à cette exigence de publicité en raison de l’approche
fonctionnelle de la sûreté, à moins d’entrer dans l’une des multiples exceptions permises.
Ces exceptions sont donc plus ou moins justifiées, d’un point de vue rationnel, et
pourront, dans une certaine mesure, empêcher une parfaite publicité. Par voie de
conséquence, les objectifs informationnels et l’établissement d’un ordre de priorité
cohérent sont compromis.
Les exceptions au principe de l’inscription obligatoire à un registre sont les suivantes.
Certaines sûretés sont opposables aux tiers du seul fait de leur constitution 591; les sûretés
qui sont assujetties à l’application d’une autre loi ou traité ne doivent pas être inscrites
autrement qu’en la manière prescrite aux termes de ces lois ou traités 592; certaines
sûretés peuvent ou doivent être publiées par voie de dépossession 593; enfin, certaines
591
592
593
U.C.C. § 9-302(1) (1995); U.C.C. § 9-310(b)(2), 9-309 (2010).
U.C.C. § 9-302(3) et (4) (1995); U.C.C. § 9-310 (b) (3)(2000). En termes de « lois », le UCC fait
référence aux régimes spéciaux qui existent d’un État à l’autre et, aussi, au niveau fédéral, pour
des institutions particulières ou des biens particuliers. Les traités visent des biens particuliers,
comme la
Convention du Cap (2001), supra note 64.
Entre autres, les sûretés dans de la « money » doivent être publiées par voie de dépossession
(U.C.C. § 9-304(1) (1995) et U.C.C. § 9-312(b)(3) (2010)); les sûretés sur les titres négociables
(i.e. «
instruments ») doivent ou peuvent être publiées par voie de dépossession ou par inscription
(U.C.C. § 9-304(1) (1995), U.C.C. § 9-312(a) et 9-313(a) (2010)); les sûretés conférant le droit au
paiement d’une lettre de crédit doivent être publiées par voie de dépossession (U.C.C. § 9-304(1)
(1995)), mais aux termes des modifications portées au Titre 9 du UCC, cette exigence disparaît
lorsqu’une sûreté dans le bien qui est l’objet de la lettre de crédit est publiée (U.C.C. § 9-308(d)
(2010)), la publicité du droit au paiement d’une lettre de crédit pouvant être autrement effectuée
lorsque le créancier détient la maîtrise de fait de cette créance (U.C.C. § 9-312(b)(2) (2010)); la
détention d’un certificat de valeur mobilière à des fins de sûreté est suffisante pour en assurer la
publicité (U.C.C. § 9-115(6) (1995) et U.C.C. 9-313(a) (2010)); la publicité d’un «
chattel
paper » est assurée par inscription ou dépossession (U.C.C. § 9-305 (1995)), la dépossession étant
désormais limitée aux seuls «
tangible chattel papers » suite aux modifications portées au Titre 9
u UCC (U.C.C. § 9-313(a) (2010)); les sûretés affectant tous les autres biens (i.e. les «
goods » et
les « negotiable documents ») peuvent être publiées par voie de dépossession (U.C.C. § 9-305
(1995), U.C.C. § 9-313(a) (2010)); enfin, la détention du bien peut être exercée par l’entremise

Page 257
231
sûretés ne seront publiées que si le créancier détient la maîtrise de fait du bien grevé 594 :
c’est le cas des valeurs mobilières et titres intermédiés.
Les mécanismes de publicité ont pour
fonction d’assurer
l’opposabilité des
transactions 595. Ils ont aussi pour mission de permettre l’édification d’un ordre de
priorité entre les créanciers. Habituellement, c’est le principe de l’ordre temporel qui
devrait s’appliquer. Nous verrons plus loin, lors de notre analyse de ce principe, que les
exceptions y sont nombreuses. À ce stade-ci, nous nous contenterons de mentionner
qu’en droit américain, une exception à ce principe est notamment conférée aux titulaires
de sûretés dont la publicité est assurée par la maîtrise de fait du bien grevé (i.e.
« control ») 596. En effet, ces créanciers jouiront dans certains cas d’une priorité de rang
594
595
596
d’un tiers, à certaines conditions (U.C.C. § 9-305 (1995), U.C.C. 9-313(c) (2010)). Voir :
E.E. SMITH,
loc. cit., supra note 319, p. 30-31.
Comme nous l’avons vu précédemment, la publicité peut être accomplie par la maîtrise de fait du
bien grevé pour les catégories de biens définis suivantes : «
investment property », « deposit
account
», « electronic chattel paper » et « letter of credit right ». E.E. SMITH, loc. cit., supra
note 319, p. 31-32.
On notera cependant que le titulaire d’une sûreté non publiée aura tout de même préséance sur les
autres créanciers non-garantis, aux termes des articles U.C.C. § 9-201 (1995) et U.C.C. § 9-201
(2010). Cette particularité ne survivrait pas en matière de faillite. Voir E.E. SMITH,
loc. cit., supra
note 319, p. 33. Voir notre discussion au sujet de la fonction d’un régime de publicité, ci-dessous,
Partie I, sous-section III.B.2.1.
Pour une définition de ce concept, voir U.C.C. § 8-106 (1994), qui s’applique également au Titre 9
du UCC. Dans la préface du Titre 8 du UCC (1994), on résume l’intérêt de cette notion : «
In
general, obtaining control means taking the steps necessary to place the lender in a position
where it can have the collateral sold off without the further cooperation of the debtor. Thus, for
certificated securities, a lender obtains control by taking possession of the certificate with any
necessary indorsement. For securities held through a securities intermediary, the lender can
obtain control in two ways. First, the lender obtains control if it becomes the entitlement holder;
that is, has the securities positions transferred to an account in its own name. Second, the lender
obtains control if the securities intermediary agrees to act on instructions from the secured party
to dispose of the positions, even though the debtor remains the entitlement holder. Such an
arrangement suffices to give the lender control even though the debtor retains the right to trade
and exercise other ordinary rights of an entitlement holder
». Voir Uniform Commercial Code –
Investment Securities, dans Uniform Commercial Code, Official Text – 2000, supra note 318, p.
661.

Page 258
232
par rapport à tout autre créancier 597, incluant parfois même ceux dont la sûreté aurait été
publiée ou inscrite antérieurement, à partir du moment, et de ce seul fait, où ils acquièrent
cette maîtrise de fait exclusive du bien grevé 598.
Nous notons qu’il est très difficile d’énoncer des principes généraux en la matière, la
rédaction du Titre 9 du UCC s’avérant d’une prodigieuse complexité 599. D’une part, il y
a surabondance de définitions de termes qui s’entrecoupent. Ces définitions ont non
seulement trait aux diverses catégories de biens, mais aussi aux opérations juridiques qui
sous-tendent toute la mécanique des sûretés. D’autre part, cette constatation n’a rien
d’étonnant, car cela a tout à voir avec la technique de rédaction législative utilisée, qui
consiste à tout prévoir dans les moindres détails et non à procéder à l’énonciation de
principes généraux. Nous y reviendrons 600.
Nous allons maintenant cerner les caractéristiques propres au droit civil québécois en
matière de publicité des droits.
b)
aux termes du Code civil du Québec
Aux termes du Code civil du Québec, la situation paraît à première vue plus simple. Elle
l’est, dans une certaine mesure, mais elle tend à se rapprocher de plus en plus du droit
américain. On peut énoncer un certain nombre de principes généraux. Tout d’abord, la
publicité est une mesure obligatoire en vue d’assurer l’opposabilité aux tiers de toute
597
598
599
600
Voir, de façon générale, U.C.C. § 9-327 à 331 (2010).
Par exemple, voir U.C.C. § 9-328(5) (2010) concernant les « certificated security in registered
form
», et surtout U.C.C. § 9-309 (1995) et U.C.C. § 9-331 (2010).
C’est le cas du Uniform Commercial Code pris dans son ensemble.
Voir notre discussion, ci-dessous, Partie I, sous-section IV.A.1.

Page 259
233
sûreté et de lui conférer son rang 601. L’hypothèque immobilière doit nécessairement être
publiée par inscription au registre foncier 602. Énonçons ensuite que la distinction posée
entre les sûretés mobilières avec et sans dépossession y prend davantage de relief qu’en
droit américain, en raison de l’existence de ce concept de sûreté unique qu’est
l’hypothèque. Par conséquent, les droits résultants des hypothèques sans dépossession
seront obligatoirement inscrits au registre mobilier, la dépossession constituant le seul
autre mode de publicité prévu au livre sixième du Code civil du Québec 603. La
dépossession est assurée par la détention continue – et paisible – du bien ou du titre
qu’exerce le créancier. La dépossession, pour tout bien corporel ou titre négociable, ne
peut s’exercer que de cette manière. Il s’agit, comme l’indique l’article 2702 C.c.Q.,
d’une détention « matérielle » 604, ce qui confirme cette matérialisation du gage du Code
civil du Québec.
À côté de cette dépossession véritable, s’ajoute désormais un régime de dépossession
fictive pour les gages portant sur des valeurs mobilières ou titres intermédiés, au sens de
la Loi sur le transfert de valeurs mobilières. Ainsi, la détention paisible et continue
nécessaire à ce type de gage s’opère par la maîtrise 605. L’inscription au registre mobilier
n’est pas nécessaire. La maîtrise confère, de surcroît, un rang prioritaire à son
601
602
603
604
605
Voir : C.c.Q., art. 2663, 2934 et 2941. Sur le rôle et la fonction de la publicité, voir nos
commentaires,
infra, Partie I, sous-section III.B.2.2.
Il y a, au Québec, deux registres, le foncier et le mobilier, aux fonctions et modalités différentes,
bien qu’il y ait des recoupements.
Voir : C.c.Q., art. 2703 et 2938.
Le mot « matérielle » fut ajouté suite aux modifications apportées à l’article 2702 C.c.Q. aux
termes de la Loi sur le transfert de valeurs mobilières, supra note 100, art. 135.
C.c.Q., art. 2714.1.

Page 260
234
titulaire 606. De même, la détention d’un certificat nominatif confère à son détenteur,
même en l’absence de maîtrise, un rang prioritaire à tout créancier qui détiendrait une
hypothèque inscrite au registre mobilier sur le même bien. De plus, la Loi sur le transfert
de valeurs mobilières précise qu’« [u]ne inscription sur le registre des droits personnels
et réels mobiliers ne constitue pas un avis de l’existence de revendications relativement à
une valeur mobilière ou à un actif financier » 607. Enfin, l’émetteur ou l’intermédiaire en
valeurs mobilières ne sont pas tenus de confirmer à un tiers l’existence d’un accord de
maîtrise, sauf si le détenteur inscrit ou titulaire du titre leur demandent 608. Ces mesures
confirment clairement l’existence d’un régime spécial, parallèle à celui du Code civil.
Lorsque l’on pense aux objectifs d’un régime de publicité, visant à rendre publique
l’existence de droits, à enrayer l’occultisme et à favoriser l’établissement d’un ordre de
priorité cohérent, ce régime spécial s’inscrit en faux par rapport à ceux-ci. Mais là n’est
pas le seul régime spécial opérant en marge du Code civil. Le régime des contrats
d’assurance faisait déjà bande à part dès l’entrée en vigueur du Code en 1994.
En effet, en matière de cession ou d’hypothèque résultant d’un contrat d’assurance,
l’article 2461 C.c.Q. prévoit que de tels actes ne sont opposables tant à l’assureur, au
bénéficiaire ou aux tiers, qu’à compter du moment où l’assureur en reçoit avis. Dans ce
cas, cela signifie que l’inscription ne suffit pas à assurer l’opposabilité de l’hypothèque,
ni à lui conférer son rang, même lorsqu’il s’agit d’une hypothèque mobilière sans
dépossession, qui doit pourtant obligatoirement être inscrite au registre. Ainsi, un
créancier qui a inscrit antérieurement son hypothèque peut se voir déclasser par un
606
607
608
C.c.Q., art. 2714.2-2714.4.
Loi sur le transfert de valeurs mobilières, supra note 100, art. 27.
Ibid., par. 57 (2) et 114 (2).

Page 261
235
créancier qui transmet son avis de cession ou d’hypothèque à l’assureur avant lui, ce qui
constitue une exception notable au principe de l’ordre du temps établi par l’inscription et
aux autres effets qui y sont normalement rattachés 609. Notons qu’avec la matérialisation
du gage opérée par l’article 2702 C.c.Q., il ne sera vraisemblablement plus possible, si
tant est qu’on l’ait cru 610, de constituer un gage valide sur un contrat d’assurance,
d’autant plus qu’un tel contrat est explicitement exclut de l’application de la Loi sur le
transfert de valeurs mobilières 611. Par conséquent, le régime de l’hypothèque portant sur
un contrat d’assurance sera obligatoirement sans dépossession, la formalité de l’avis à
l’assureur s’ajoutant toutefois à celle de l’inscription au registre mobilier. C’est ce que
l’on appelle le mécanisme de la notification, qui s’applique de toute façon en matière
d’hypothèque de créance 612.
D’autres règles favorisent l’occultisme. Ainsi, celles des articles 2699 et 2708 C.c.Q. :
les hypothèques mobilières grevant des biens représentés par connaissement, des titres
négociables ou des créances, sont opposables aux créanciers du constituant, si
l’hypothèque est inscrite ou si le titre est remis au titulaire dans les dix (10) jours qui
suivent l’exécution de sa prestation. Voici donc une période occulte minimalement de
dix (10) jours : elle sera évidemment supérieure dans le cas d’un gage.
609
610
611
612
Voir, en ce sens : L. PAYETTE, op. cit., supra note 386, nos 379, 1199-1200, p. 152-153, 516-517.
Ce qui était éminemment contestable. Voir : P. CIOTOLA et A. LEDUC, loc. cit., supra note 92.
Contra : Caisse populaire St-Raymond de Hull c. Dériger (30 janvier 2001), Hull 550-05-009547-
004, J.E. 2001-616 (C.S.).
Loi sur le transfert de valeurs mobilières, supra note 100, art. 11.
En matière d’hypothèque de créance, seules la dépossession ou l’inscription sont les modes de
publicité requis par l’art. 2710 C.c.Q. Toutefois, les droits résultant d’une telle hypothèque ne
pourront être exercés que si elle est rendue opposable de la même manière qu’une cession de
créance, c’est-à-dire en suivant notamment les prescriptions de l’art. 1641 C.c.Q., qui précise que
« [l]
a cession est opposable au débiteur et aux tiers, dès que le débiteur y a acquiescé ou qu’il a
reçu une copie ou un extrait pertinent de l’acte de cession ou, encore, une autre preuve de la
cession qui soit opposable au cédant
».

Page 262
236
Enfin, les sûretés-propriété que sont la fiducie-sûreté 613, les réserves de propriété 614, la
faculté de rachat 615, le crédit-bail 616 et le bail à long terme 617 doivent, dans la plupart
des cas, être publiées pour être opposables. Cependant, les dispositions qui régissent la
publicité et les recours divergent d’une transaction à l’autre. Délai de grâce de quinze
jours pour la publicité des réserves de propriété, des crédits-baux et des baux à long
terme, favorisant l’occultisme, délai réduit en peau de chagrin par la Cour suprême du
Canada et la Cour d’appel du Québec dans un contexte de faillite, puisque, en certains
cas, la non-publication ne sera pas fatale au créancier à l’égard d’un syndic de faillite 618.
Enfin, ces sûretés-propriété ne présentent aucune exigence d’indication de montant au
registre, s’écartant donc de la règle de la spécialité, qui prévaut en matière d’hypothèque
mobilière sans dépossession, règle nécessaire afin de connaître avec plus de précision
l’étendue de l’endettement d’un débiteur par simple consultation du registre. De plus, les
biens assujettis à ces transactions ne font pas partie du patrimoine du débiteur.
Le régime québécois n’est donc pas unitaire en matière de publicité. Il suit les traces du
régime américain, sans toutefois établir le régime de l’inscription à titre principal. Il
conserve cependant la distinction entre l’inscription et la dépossession. Il limite
désormais le gage aux seuls biens corporels et titres négociables, puis créé un régime
spécial de gages sur des valeurs mobilières et titres intermédiés. Les sûretés-propriétés,
613
614
615
616
617
618
C.c.Q., art. 1263.
C.c.Q., art. 1745, 1748 et 1749.
C.c.Q., art. 1750-1756.
C.c.Q., art. 1847.
C.c.Q., art. 1852.
Ouellet (Syndic de), [2004] 3 R.C.S. 348 ; Lefebvre (Syndic de) ; Tremblay (Syndic de), [2004] 3
R.C.S. 326;
Transport international Pool inc. c. St-Georges, Hébert inc., J.E. 2005-247 (C.A.).

Page 263
237
en raison de l’approche retenue par le législateur québécois, font l’objet d’une
réglementation spéciale. Ainsi, le Code civil procède moins par catégories de biens ou de
transactions que le Uniform Commercial Code, même s’il tend désormais davantage dans
cette direction. Voyons ce que Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières
prévoit en ces matières.
c)
termes
type
aux
interaméricaine relative aux sûretés
mobilières

Loi
de
la
Aux termes de la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières, trois modes de
publicité sont identifiés, à savoir l’inscription au registre mobilier 619, la possession du
bien par le créancier 620 et, sur un mode plus mineur, la notification 621. La notion de
« control » est mentionnée une fois, sans que l’on sache trop bien de quoi il s’agit 622. À
l’inverse de ce qui est prévu aux termes du Titre 9 du UCC 623, aucune préséance n’est
accordée à un mode particulier de publicité, bien que la loi type précise qu’un État
l’adoptant doive créer un registre unitaire et uniforme s’appliquant à toutes les sûretés
existant dans cet État 624, en plus d’indiquer que toute sûreté peut être publiée par
inscription 625. La loi type, à l’instar du Code civil du Québec, se contente d’indiquer
619
620
621
622
623
624
625
LTIRSM, supra note 10, art. 1, 3 et 10.
Ibid., art. 10, 27-29.
Ibid., art. 29 in fine, 30.
Elle semble utilisée comme l’équivalent de la dépossession. Voir : LTIRSM, supra note 10, art.
10, qui établit : «
A security interest may be publicized […] by delivery of possession or control of
the collateral to the secured creditor
[…] ».
Supra, note 590.
LTIRSM, supra note 10, art. 1 in fine.
LTIRSM, supra note 10, art. 10, alinéa 3. Notons qu’une exception existe à ce principe. Une
sûreté dans une lettre de crédit se créée par sa remise au créancier lorsque la lettre ne l’interdit pas.
La remise a pour seul but de prévenir l’encaissement de la lettre par le débiteur. Pour que le

Page 264
238
qu’une sûreté est publiée conformément à ladite loi ou par la remise de possession ou
« contrôle » qu’exerce le créancier sur un bien. Puisque cette notion de contrôle n’est pas
précisée, on peut se demander si l’on n’y ouvre pas la porte à la création de gages sans
dépossession. Considérant que la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières a adopté l’approche fonctionnelle, il aurait été utile d’y intégrer une
disposition limitant explicitement les modes de publicité, afin d’empêcher que de
nouvelles sûretés y échappent.
À l’exemple du Code civil du Québec, la publicité s’articule en fonction de la distinction
existant entre les sûretés avec ou sans dépossession. Toutefois, au lieu de procéder par
l’énonciation de principes généraux, la loi type énonce des règles de publicité spécifiques
à des transactions ou catégories de biens particulières, à l’instar du Uniform Commercial
Code. Cela se comprend, car la loi type n’a pas adopté de concept unique de sûreté, à
l’inverse de l’hypothèque du Code civil.
Ainsi, les sûretés grevant des biens de nature spéciale, qui doivent se conformer à des
exigences de publicité en vertu d’une autre loi ou d’un traité, doivent se conformer à cette
loi ou traité 626. On note ensuite des règles propres à la publicité de sûretés affectant les
comptes à recevoir 627, les créances non pécuniaires 628, les lettres de crédit 629, les
créancier puisse tirer sur ladite lettre, elle doit être amendée pour le lui permettre. LTIRSM, supra
note 10, art. 23.
626
627
LTIRSM, supra note 10, art. 37. Cela est conforme au droit américain. Voir : U.C.C. § 9-302(3) et
(4) (1995), U.C.C. § 9-311 (2010). Il n’y a pas de disposition équivalente en vertu du
Code civil du
Québec
pour la reconnaissance de sûretés étrangères ou spéciales. Ces sûretés existent et obéissent
à leurs régimes propres, comme par exemple la garantie de l’article 427 de la Loi sur les banques,
L.C. 1991, c. 46.
LTIRSM, supra note 10, art. 13-20. La notification au débiteur cédé est une formalité qui s’ajoute
à l’inscription pour rendre complètement opposable la sûreté grevant un compte à recevoir.

Page 265
239
instruments et titres 630, l’inventaire 631, la propriété intellectuelle 632, et les droits au
paiement du prix d’acquisition d’un vendeur ou financier de biens corporels (i.e.
« Acquisition Security Interest » 633, l’équivalent du « purchase money security interest »
américain) 634. À l’exception des sûretés sur des instruments et titres et sur des lettres de
crédit, qui peuvent se publier par dépossession, toutes les autres sûretés doivent
obligatoirement être publiées par inscription. Ce qui vient, à notre sens, limiter la portée
du terme « control » de l’article 10 LTIRSM, ainsi que la possibilité de créer des gages
sans dépossession.
Le droit civil québécois n’a pas recours à cette technique du mode de publicité énoncé en
fonction de catégories de biens à ce point déterminées. On note qu’à l’heure actuelle, la
Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières est moins prolixe que ne l’est le
Titre 9 du UCC, en ce qui a trait au nombre de définitions de ce genre. Elle pourrait
néanmoins le devenir, ayant choisi de reproduire le même modèle.
Cette différence entre le droit civil québécois, le Titre 9 du UCC et la Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières s’explique en regard de la philosophie
générale ayant inspiré la rédaction de chaque texte. En effet, le Code civil du Québec
628
629
630
631
632
633
634
LTIRSM, supra note 10, art. 21-22. Il s’agit de toute obligation non pécuniaire garantie par la
sûreté.
Ibid., art. 23-26.
Ibid., art. 27-29.
Ibid., art. 31.
Ibid., art. 32.
Ibid., art. 12.
Nous traitons de cette notion et des règles de publicité y afférentes dans la section de chapitre
consacrée à l’étude des règles de priorités entre les créanciers, ci-dessous, Partie I, sous-section
III.B.1.2.

Page 266
240
procède habituellement par l’énonciation de principes généraux féconds de conséquences,
qui s’appliqueront à une multiplicité de cas. Par exemple, les comptes à recevoir, le droit
au paiement du produit d’une lettre de crédit, les titres négociables, représentent diverses
sortes de créances. En droit civil québécois, l’ensemble des créances sont régies par les
dispositions applicables aux hypothèques mobilières sur des créances 635.
En conclusion, la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières se veut d’abord
une loi permettant d’encadrer la publicité à un registre unitaire 636. Elle ne vise pas à
créer un effet de système, à l’instar d’un Code civil, ni à empêcher d’exister les divers
types transactions connues de l’auditoire auquel elle se destine. Se posera toutefois
inévitablement la question de la requalification de ces transactions, puisque la Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières prévoit une uniformisation des modes de
publicité et des recours.
On note toutefois que la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières
distingue les modalités de constitution et de publicité des sûretés, établissant un régime
d’inscription informatif (i.e. « notice filing system »), qui ne confond pas les deux types
de modalités, en ce que la publicité ne se fait pas par le dépôt intégral de l’acte constitutif
de sûretés au registre mobilier, d’une part, et en ce que, d’autre part, les formalités liées à
l’acte constitutif sont limitées, ne nécessitant pas le recours à l’acte notarié. Il s’agit là de
changements conceptuels importants par rapport à l’état du droit dans les pays
635
D’ailleurs, la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières, supra note 10, réfère aux
Règles et Usances relatives aux crédits documentaires de la Chambre de commerce international.
Ces instruments obéissent habituellement à ces règles, qui prévaudront. Il s’avère par conséquent
inutile de tenter de les réglementer de manière particulière dans un régime de sûretés. Voir, à ce
sujet : L. PAYETTE, Les sûretés réelles, 3e éd., supra note 78, nos 1229-1234.
636
B. KOZOLCHYK et D. BECK FURNISH, loc. cit., supra note 417, p. 132-134, 138-139.

Page 267
241
d’amérique latine, qui sont beaucoup plus formalistes que ce que propose la Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières, au point que certains observateurs
prédisent une révolution juridique si ces principes y sont adoptés. Mais il y aura fort à
faire, car le Mexique, s’étant doté d’une loi sur les sûretés mobilières en 2000, conserve
une approche plus formaliste, assujettissant la constitution des sûretés mobilières au
respect de la forme notariée et la publicité à un système de dépôt des actes, ce qui, pour
les américains, est contre l’entendement et le progrès 637.
La Loi type de la BERD pose le principe de la publicité par inscription afin d’enrayer les
d)
aux termes de la Loi type de la BERD
sûretés occultes. Il s’agit là de l’un de ses traits saillants :
The Model Law works on the principle that charges are a matter for public
knowledge
. Since Roman Law the creation of secret rights in assets has been
disfavoured. A person who gives assets as security but does not indicate this to his
creditors creates and impression of ‘false wealth’. The Model Law achieves
publicity by relying on registration of charges at a separate registry.
638
L’établissement d’un tel registre n’est pas prévu de manière aussi détaillée que dans la
Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières, mais l’idée est évoquée d’avoir
un registre unitaire, sauf peut-être pour la distinction possible entre un registre foncier et
un registre mobilier 639.
La Loi type de la BERD pose le principe de la publicité par inscription 640. La publicité
par dépossession n’est permise que pour des biens que le constituant peut remettre et,
637
638
639
640
Dale BECK FURNISH, « The Creation and Notice of Security Interest in Movable Property
(
Efectos Constitutivos de las GarantíasReales Mobiliarias) », (2003) 36 Uniform Commercial
Code Law Journal
99.
J.L. SIMPSON et J.-H. M. RÖVER, loc. cit., supra note 427.
Loi type de la BERD, supra note 51, art. 11 (voir le commentaire accompagnant cet article).
Ibid., art. 8.

Page 268
242
dans ce cas, l’inscription n’est pas requise 641. La sûreté en faveur du vendeur impayé,
analogue à la présomption d’hypothèque de l’ORCC, existe sans nécessité d’inscription
pour une période de six (6) mois. Le vendeur peut toutefois, à l’intérieur de ce délai,
l’inscrire au registre 642. Les sûretés sur créances se rendent opposables par notification
au débiteur cédé 643. Voici, simplement formulés, les principes de base que tout régime
de publicité devrait contenir. La Loi type de la BERD y parvient avec une économie de
moyens remarquable, proche de la tradition civiliste.
Nous terminons ce survol des principes en matière de publicité en discutant des
recommandations faites par le Guide législatif sur les opérations garanties.
e)
aux termes du Guide législatif sur les
opérations garanties

Le Guide législatif sur les opérations garanties recommande l’établissement d’un registre
unitaire et uniforme. Il privilégie le mécanisme de l’inscription comme premier mode de
publicité. Tout autre mode y sera alternatif. Ainsi, la dépossession, en présence d’un tel
registre, devrait être limitée aux seuls choses corporelles et titres négociables 644.
Cependant, à l’image du Uniform Commercial Code, le Guide législatif sur les
opérations garanties comporte par ailleurs plusieurs exceptions à ces principes 645. Ainsi,
le « contrôle » sera un mode de publicité privilégié pour plusieurs biens, dont un compte
641
642
643
644
645
Ibid., art. 10.
Ibid., art. 9.
Ibid., art. 12-13.
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre III. Opposabilité d’une
sûreté réelle mobilière », p. 14-15, 41-42 (en particulier les Recommandations 32-33).
Ibid., p. 42 (Recommandation 34).

Page 269
243
bancaire et le droit au produit d’une lettre de crédit 646. Curieusement, le Guide indique
que les biens meubles assujettis à un registre spécialisé feront l’objet d’une inscription à
ce registre 647, de manière analogue au Titre 9 du UCC et à la Loi type interaméricaine
relative aux sûretés mobilières 648, au lieu d’en suggérer la suppression et son
remplacement par un registre unique. Le Guide prévoit les règles d’opposabilité en cas
d’accession mobilière ou immobilière, sur le produit de vente d’un bien grevé et sur les
biens en transit 649. Le mécanisme de la notification pour une sûreté grevant des créances
n’est suggéré qu’au moment de la demande de paiement par le créancier en cas de défaut
du constituant et non comme mesure d’opposabilité proprement dite 650.
Enfin, le Guide législatif sur les opérations garanties indique que la « […] loi devrait
prévoir que différentes méthodes d’opposabilité peuvent être utilisées pour différents
types de biens grevés, qu’ils soient ou non en vertu de la même convention de sûreté » 651.
C’est donc une conception réifiée du droit des biens qui est sous-jacente au régime de
sûretés qu’il propose. Par conséquent, le Guide fait le choix d’une approche
essentiellement calquée sur le Uniform Commercial Code, ainsi que nous le verrons
maintenant en étudiant les sûretés mobilières conventionnelles dans leur objet et dans leur
cause, en comparant les traditions de droit civil et de common law anglo-américaine.
646
647
648
649
650
651
Ibid., p. 43, 45 (Recommandations 35, 48-50).
Ibid., p. 43 (Recommandation 38).
U.C.C. § 9-310 (b) (3) (2010); LTIRSM, supra note 10, art. 1.
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre III. Opposabilité d’une
sûreté réelle mobilière », p. 43-44 (Recommandations 39-45).
Ibid., p. 7.
Ibid., p. 43 (Recommandation 36).

Page 270
244
2.
Les sûretés mobilières conventionnelles dans leur objet et dans leur
cause
Nous allons voir, dans un premier temps, les différences systémiques fondamentales qui
existent entre le droit civil et la common law quant à l’objet de la sûreté mobilière
conventionnelle [2.1]. Après coup, nous serons en mesure de mieux comprendre le
caractère de la cause de l’obligation dont l’exécution est garantie aux termes de la sûreté
mobilière conventionnelle [2.2].
2.1
l’objet de la sûreté mobilière conventionnelle
Nous commencerons par énoncer les règles générales du droit civil [2.1.1], pour ensuite
examiner celles propres à la common law et au droit américain [2.1.2]. Nous verrons,
enfin, l’arrimage possible entre ces deux conceptions et les instruments d’harmonisation
internationaux [2.1.3].
2.1.1
dans la tradition civiliste
C’est l’édifice du droit des biens de la tradition civiliste dont nous avons pour mission de
retracer les fondements, avec une économie de mots. Pour les fins de notre propos, nous
avons identifié trois sujets qui nous permettront de faire un tour d’horizon assez complet.
Nous nous attarderons successivement à l’examen du concept de patrimoine [a], pour
ensuite mieux saisir la distinction entre droits réels principaux et droits réels accessoires
[b]. Enfin, nous terminerons ce survol par un bref examen de la classification des biens
meubles du droit civil dans leur utilité en matière de sûretés réelles mobilières [c].
D’entrée de jeu, il importe de bien faire ressortir que ces notions participent toutes, à
divers degrés, d’une conception abstraite du droit de propriété, largement tributaire de
Page 271
245
l’héritage du droit romain 652. Ainsi, il s’agit de l’articulation de classifications propres
aux droits et aux biens, qui permettent de mieux cerner les relations entre les droits et les
biens (ou choses) 653. Ces classifications, bien qu’étant des abstractions, n’en présentent
pas moins une grande utilité pratique. En effet, elles permettent, lors du processus de
qualification des droits et des biens, de découvrir le régime juridique applicable à chaque
situation de faits. C’est uniquement sous cet angle qu’elles seront présentées et
analysées 654. Il s’agit donc d’établir un modèle en cernant l’essence des choses, leur
représentation intellectuelle, qui permettra de remonter du particulier à l’universel et de
concevoir l’idée d’une summa divisio rerum 655. Attardons nous maintenant à l’examen
de la notion de patrimoine.
652
653
654
655
Voir, notamment : Sylvio NORMAND et Donald FYSON, « Le droit romain comme source du
Code civil du Bas Canada », (2001) 103 R. du N. 87.
Cette présentation du sujet peut porter à l’équivoque. En effet, le terme « bien », dans sa
conception moderne, est synonyme de « droit patrimonial ». Or, dans sa conception classique, les
biens se composent de choses – objets matériels – et de droits. Nous verrons plus loin que dans les
faits, son utilisation comporte encore les deux sens. Voir : P.-A. CRÉPEAU,
op. cit., supra note
307, p. 59,
s.v. « bien »; Comparer : P.-A. CRÉPEAU, op. cit., supra note 527, p. 30, s.v. « bien ».
Voir enfin, sur ces questions : M. CANTIN CUMYN et M. CUMYN,
loc. cit., supra note 102.
S. NORMAND, op. cit., supra note 300, p. 45.
Voir : Paul OURLIAC et Jean-Louis GAZZANIGA, Histoire du droit privé français : de l’An mil
au Code civil
, Paris, Albin Michel, 1985, p. 233 : « L’apport du Droit romain et plus encore celui
de la scholastique, toujours soucieuse de division (
dividendo investigat) va conduire à des
distinctions plus subtiles. La théologie enseignait que la connaissance véritable ne porte ni sur le
concept qui est une forme vide, ni sur la chose elle-même que son instabilité rend insaisissable,
mais sur le concept de l’essence rapporté à un modèle. Pour Cicéron, qui est à l’époque l’auctor
par excellence, les choses existent par ce qu’elles sont (
quae sunt) mais aussi par la
représentation qu’on en a (
quae intelliguntur). On peut ainsi remonter du particulier à l’universel
et concevoir l’idée d’une summa divisio rerum qui existe encore dans le Code civil et que Loisel
(n
o 194) exprime par la maxime : « Tous les biens sont meubles ou immeubles » ».




Page 272
246
a)
concept de patrimoine
Au sommet de la pyramide, on distingue le droit objectif du droit subjectif, le second
étant reconnu et légitimé par le premier 656.
La principale classification des droits subjectifs est celle opposant les droits
patrimoniaux aux droits extrapatrimoniaux, le critère de distinction étant la possibilité
d’une évaluation pécuniaire du droit considéré 657.
On aura compris que ce sont les droits patrimoniaux, c’est-à-dire ceux susceptibles
d’évaluation pécuniaire, qui nous intéressent à ce stade-ci. Ces droits réfèrent bien sûr à
la notion de patrimoine. La théorie personnaliste ou subjective, élaborée au XIXième
siècle par Aubry et Rau, est toujours prédominante, bien que l’on ait, depuis, vu
l’apparition de théories autres, actuellement en émergence. À l’aune de cette théorie
principale, le patrimoine est présenté comme une émanation de la personnalité. Ainsi, le
patrimoine se définit comme étant l’ensemble des rapports de droit (ou l’ensemble des
biens et des obligations) d’une personne ayant une valeur pécuniaire, formant une
universalité juridique (c’est-à-dire comportant l’actif et le passif). Il est indivisible et
intransmissible entre vifs, puisqu’il correspond à la personnalité économique de son
sujet 658.
656
657
658
En effet, on définit le droit objectif comme étant l’« [e]nsemble des règles applicables à la vie en
société et sanctionnées par la puissance publique
». Il s’agit donc de l’ordre juridique pris dans
son ensemble. Le droit subjectif se définit comme étant une «
[p]rérogative que le droit objectif
reconnaît à un sujet de droit, le titulaire, dans l’intérêt de ce dernier
». Voir : P.-A. CRÉPEAU,
op. cit., supra note 527, p. 123, 131, 134, s.v. « droit », « droit objectif », « droit subjectif ».
J.-L. AUBERT, op. cit., supra note 141, p. 204.
Ibid., nos 206-209, p. 210-214; S. NORMAND, op. cit., supra note 300, p. 13-21; P.-
A. CRÉPEAU,
op. cit., supra note 307, p. 419, s.v. « patrimoine ».

Page 273
247
Le Code civil du Québec ne comporte aucune définition de la notion. Le législateur
québécois précise cependant, à l’article 2 C.c.Q., que « [t]oute personne est titulaire d’un
patrimoine ». Il y est également indiqué que le patrimoine peut faire l’objet d’une
division ou d’une affectation dans la seule mesure prévue par la loi. Ainsi, les seules
affectations permises sont la fondation et la fiducie (art. 1256 et 1260 C.c.Q.) 659. Les
divisions de patrimoines seraient, en revanche, plus nombreuses 660. Cela ne serait pas
sans affecter le principe de la sujétion uniforme de tous les biens d’une personne à la
satisfaction de ses créanciers pour l’exécution de ses dettes 661. Par cette disposition, le
législateur québécois se trouverait à concilier la théorie classique du patrimoine à la
théorie objectiviste de l’affectation 662. Cette approche fut critiquée parce que vidant de
son sens et de son utilité la théorie du patrimoine, notamment à titre d’explication de la
notion de « gage commun des créancier ». On s’interroge donc sur l’utilité de codifier
une notion qui ne l’est traditionnellement pas 663.
En conclusion de ce bref exposé sur la notion de patrimoine, nous retenons la place
centrale que continue néanmoins d’occuper la conception personnaliste, qui permet
659
660
661
662
663
Sur ces notions, voir S. NORMAND, op. cit., supra note 300, p. 24-25; John E.C. BRIERLEY,
« Titre sixième. De certains patrimoines d’affectation », dans BARREAU DU QUÉBEC ET CHAMBRE
DES NOTAIRES DU
QUÉBEC, La réforme du Code civil : personnes, successions, biens, vol. 1, Ste-
Foy (Qc.), Presses de l’Université Laval, 1993, 735; Madeleine CANTIN-CUMYN, « L’origine de
la fiducie québécoise », dans
Mélanges Paul-André Crépeau, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon
Blais, 1997, 199.
Voir, à ce sujet : L. PAYETTE, Les sûretés réelles, 3e éd., supra note 78, nos 54-59. L’auteur
explique les divisions de patrimoine résultant des successions, substitutions et sociétés.
S. NORMAND, op. cit., supra note 300, p. 22-23; P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, p. 3-14.
S. NORMAND, op. cit., supra note 300, p. 15. Contra : P.-A. CRÉPEAU, op. cit., supra note 527,
p. 250, s.v. « patrimoine ». Le fait que le patrimoine puisse faire l’objet d’une division et d’une
affectation rompt avec la théorie classique.
Roderick A. MACDONALD, « Reconceiving the Symbols of Property : Universalities, Interests
and Other Heresies », (1994) 39
R.D. McGill 761, 785.

Page 274
248
l’articulation d’une classification des droits patrimoniaux entre « droits réels » et « droits
personnels » (autrement appelés « droits de créance » 664), laquelle présente son utilité en
matière de sûretés 665. C’est ce que nous regarderons maintenant de plus près.
b)
droits réels principaux et droits réels
accessoires
Comme nous venons de l’énoncer, on distingue les droits réels des droit personnels.
On ajoute parfois à cette summa divisio les droits dits « intellectuels ». Les droits
personnels sont des droits de créance qui s’exercent sur la personne du débiteur et non sur
un bien directement. Ils permettent d’exiger l’exécution d’une prestation. En cas de
défaut d’exécution, le créancier ne dispose que d’un droit de gage général sur l’ensemble
des biens du débiteur. Ce sont donc des jus in personam 666.
À l’inverse du droit personnel, le droit réel est un « droit à caractère patrimonial qui est
exercé directement sur un bien » 667. Il s’agit, plus précisément, d’un pouvoir juridique
664
665
666
667
Ainsi, le terme « droit personnel » serait à éviter, car créant un risque de confusion avec les droits
de la personnalité
, qui réfèrent à une réalité toute autre. Voir : J.-L. AUBERT, op. cit., supra note
141, n
o 203 (note 2), p. 207.
Nous faisons nôtres les propos de F. FRENETTE, loc. cit., supra note 505, p. 806 : « Cette
classification, aussi fondamentale que traditionnelle, a été à la fois critiquée et contestée par des
auteurs de renom. Imparfaite, elle demeure toutefois essentielle en l’absence de toute autre théorie
expliquant mieux sur le plan juridique comment les choses, corporelles ou incorporelles, sont
mises au service des personnes. C’est ce qu’a compris le législateur [québécois] lors de la
recodification, et il faut prendre acte de sa position à cet égard.
Toute discussion sur le bien-fondé
de cette position et toute remise en question de la distinction classique elle-même doivent donc
être poursuivies en d’autres lieux et en d’autres temps [références omises; non-italiques dans le
texte original] ». Pour une critique de cette classification en droit québécois, voir
R.A. MACDONALD,
loc. cit., supra note 663.
Voir : J.-L. AUBERT, op. cit., supra note 141, no 203, p. 207; P.-A. CRÉPEAU, op. cit., supra
note 527, p. 131, s.v. « droit personnel ».
Voir : COMITÉ DE RÉDACTION – EDITORIAL COMMITTEE (DICTIONNAIRE DE DROIT PRIVÉ
& PRIVATE LAW DICTIONARY), « Notes lexicographiques – Lexicographical Notes / Droit réel – Real
Right », (1998) 100 R. du N. 275, 279, s.v. « droit réel », nouvelle définition y proposée ; P.-
A. CRÉPEAU,
op. cit., supra note 527, p. 133, s.v. « droit réel ».

Page 275
249
conféré à une personne ou sujet de droit sur un bien (i.e. l’objet du droit) 668. Les deux
attributs fondamentaux du droit réel sont le droit de suite et le droit de préférence. Ces
attributs ne sont plus nécessairement « constitutifs d’état », en droit civil québécois, en
raison de certains tempéraments législatifs qui leurs sont apportés 669. Enfin, les droits
réels sont opposables aux tiers.
On classifie les droits réels en droits réels principaux et droits réels accessoires. Les
droits réels principaux, qui ont une existence autonome, comprennent traditionnellement
le droit de propriété, ses modalités et ses démembrements. Le droit de propriété confère à
son titulaire la prérogative exclusive de tirer profits de tous les avantages que procure un
bien, puisqu’il voit réunis sur sa seule tête les trois attributs propres à ce droit : l’usus, le
fructus et l’abusus, c’est-à-dire le droit d’utiliser, de jouir et de disposer du bien 670. Les
démembrements du droit de propriété ne confèrent à la personne qui en est titulaire que
l’un ou l’autre de ces attributs, ou plusieurs, ne conférant au plus qu’un « abusus »
restreint ou imparfait, par exemple dans le cas de la nue-propriété. Il n’y aurait pas, en
668
669
670
Voir : J.-L. AUBERT, op. cit., supra note 141, no 204, p. 208; S. NORMAND, op. cit., supra note
300, p. 29.
F. FRENETTE, loc. cit., supra note 505, p. 807. F. Frenette rappelle en effet que le droit de suite
n’existe pas lorsqu’il y a eu aliénation du bien grevé dans le cours des activités de l’entreprise, aux
termes des articles 2674 et 2700 C.c.Q. Nous sommes d’accords avec cette thèse, qui ne voit pas
un péché mortel à l’absence du droit de suite ou aux limites qui y sont portées par le législateur
dans le processus subséquent de qualification d’un droit réel, qui reporte le droit de suite sur le
produit de vente ou sur le bien de remploi. À défaut, le créancier doit publier un avis de
conservation sur le bien vendu.
S. NORMAND, op. cit., supra note 300, p. 31-33. S. Normand ajoute, à ces trois attributs, celui de
l’
accessio, c’est-à-dire le droit de faire sien ce qui vient se greffer au bien dont on est propriétaire
(p. 33). Au sujet de l’accessio, on lira avec intérêt François FRENETTE, « Du droit de propriété :
certaines de ses dimensions méconnues », (1979) 20
C. de D. 439.

Page 276
250
droit civil québécois, d’énumération limitative des droits réels et des démembrements du
droit de propriété 671.
Les droits réels accessoires sont, comme l’indique leur appellation, accessoires à une
créance, dont ils visent à assurer le paiement. À l’inverse des droits réels principaux, ils
ne bénéficient donc pas d’une existence autonome et cessent d’exister lorsque la créance
s’éteint. Aux termes du Code civil du Québec, l’hypothèque serait le seul droit réel
accessoire reconnu (art. 2660 C.c.Q.) 672. Ce qui, dès lors, permet de poser une définition
à la notion de sûreté réelle, dont l’hypothèque constitue le parangon : « c’est un
accessoire de la créance qui confère au créancier le droit au paiement préférentiel sur la
valeur d’un bien ou d’un ensemble de biens qui lui est affectée » 673. Ayant ainsi
redescendu tout l’« arbre généalogique » de la notion de sûreté réelle telle qu’elle se
présente dans la tradition civiliste d’aujourd’hui, nous sommes maintenant en mesure
d’en mieux cerner et identifier l’objet.
Il est désormais généralement admis que l’objet du droit réel de l’hypothèque « porte sur
un droit et uniquement sur un droit » 674. Son « véritable objet est [par conséquent] le
droit du constituant sur le bien grevé, [l’hypothèque permettant] seulement d’en
671
672
673
674
COMITÉ DE RÉDACTION – EDITORIAL COMMITTEE (DICTIONNAIRE DE DROIT PRIVÉ &
PRIVATE LAW DICTIONARY), loc. cit., supra note 667, p. 279; S. NORMAND, op. cit., supra note
300, p. 32 et suiv. Voir cependant, à ce sujet : Madeleine CANTIN CUMYN, « De l’existence et
du régime juridique des droits réels de jouissance innomés : essai sur l’énumération limitative des
droits réels », (1986) 46
R. du B. 3.
S. NORMAND, op. cit., supra note 300, p. 33.
M. CABRILLAC et C. MOULY, op. cit., supra note 124, no 503, p. 410.
F. FRENETTE, loc. cit., supra note 505, p. 811; S. NORMAND, op. cit., supra note 300, p. 33.
Contra : M. CANTIN CUMYN et M. CUMYN, loc. cit., supra note 102.

Page 277
251
appréhender la valeur et non de bénéficier des utilités qu’il peut offrir » 675. L’obtention
de cette valeur se concrétise par l’exercice de droits hypothécaires, le cas échéant 676.
Cette approche, à notre avis conforme à la représentation intellectuelle abstraite d’un
droit réel 677, permet au constituant d’engager n’importe lequel de ses biens à des fins de
sûreté, voire même une universalité de biens, procurant ainsi une souplesse et une large
étendue à la notion de sûreté réelle 678.
La conception du droit réel que nous venons de décrire élargit l’entendement traditionnel
de la notion qui la confinait aux choses matérielles, mais cette ancienne conception
traditionnellement restrictive ne serait plus de mise aujourd’hui 679.
675
676
677
678
679
M. CABRILLAC et C. MOULY, op. cit., supra note 124, no 504, p. 410.
C.c.Q., articles 2660 et 2748. Voir aussi : F. FRENETTE, loc. cit., supra note 505, p. 812.
F. Frenette soutient que le droit conféré par l’hypothèque n’est plus un droit réel accessoire, mais
bien un droit réel démembré. En effet, le droit à la valeur étant conféré
de suite au créancier, il
acquiert de ce fait toute la potentialité de devenir propriétaire du bien grevé et d’ainsi jouir de ses
attributs fondamentaux. Cette opinion audacieuse est réfutée par M. CABRILLAC et C. MOULY,
op. cit., supra note 124, no 504, p. 410.
S. NORMAND, op. cit., supra note 300, p. 49 : « L’exemple des biens incorporels le plus souvent
signalé demeure les droits réels, qui même s’ils portent fréquemment sur un bien corporel,
constituent eux mêmes des abstractions. Ainsi, le droit de propriété d’une maison est un bien
distinct de l’objet matériel sur lequel il porte
».
J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, nos 655-656, p. 234-235.
M. CABRILLAC et C. MOULY, op. cit., supra note 124, no 504, p. 411. Pour R.A. Macdonald, le
recours à la notion de droit réel pour définir l’hypothèque aurait pu être évité par le législateur,
bien qu’il convienne que le nouvel objet de ce droit semble conforme aux réalités pratiques
commerciales en matière de sûretés réelles mobilières. En effet, cet auteur note un manque de
logique et de cohérence intrinsèque dans l’utilisation de ce terme à l’intérieur des dispositions du
Code civil du Québec, de même qu’une rupture avec sa conception traditionnelle. D’après ce
dernier, il eût suffit de préciser les qualités propres au régime hypothécaire que sont le droit de
suite et le droit de préférence, de même que son caractère accessoire, sans avoir à s’encombrer de
la qualification de droit réel, désormais insuffisante pour décrire les diverses conceptions du droit
de propriété telles que reflétées dans l’ensemble du Code civil, entre autres en regard de la
distinction posée en ce domaine par la notion de fiducie. Cette approche avait été retenue par
l’ORCC dans son Projet de Code civil, l’hypothèque n’y étant pas définie comme un droit réel.
Ainsi, plutôt que d’adapter la conception classique des droits patrimoniaux à cette évolution des
pratiques, il suggère l’adoption d’un nouveau concept doctrinal générique dit de l’
interest pour
qualifier toute relation de personne à objet. Voir R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 663,
n
o 42, p. 805. Avec déférence, nous ne pouvons souscrire à pareille proposition. D’une part, nous

Page 278
252
Nous avons identifié l’objet « véritable » de la sûreté réelle conventionnelle. Son objet
« apparent » 680 sera le bien effectivement grevé. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agira
de biens meubles, dont nous allons maintenant voir les classifications proposées en droit
civil québécois.
On distingue les biens corporels des biens incorporels, les biens immeubles des biens
c)
classification des biens meubles
meubles (art. 899 C.c.Q.).
On distingue les biens meubles corporels des biens meubles incorporels. Les biens
meubles corporels, qui existent physiquement, comprennent les choses qui peuvent se
transporter, soit qu’elles se meuvent elles mêmes (i.e. les animaux), soit qu’il faille une
force étrangère pour les déplacer (i.e. les biens inanimés) (art. 905 C.c.Q.). Sont réputés
meubles corporels les ondes ou l’énergie maîtrisées par l’être humain et mises à son
service (art. 906 C.c.Q.).
Les biens meubles incorporels sont des droits patrimoniaux qui portent sur un meuble.
Cette dernière catégorie de biens est très vaste, puisqu’aux termes de l’article 907 C.c.Q.,
sont meubles tous les biens qui ne sont pas autrement qualifiés par la loi. Il s’agit donc
d’une catégorie résiduaire, comprenant tous les biens incorporels qui ne se rattachent pas
croyons que la doctrine a su adapter la conception classique des droits patrimoniaux aux nouvelles
réalités. D’autre part, cette nouvelle notion de l’
interest nous semble trop diffuse pour référer à un
quelconque édifice intelligible permettant d’atteindre les objectifs de la conception classique, mise
aux goûts du jour. Enfin, cette idée n’est pas sans rappeler la notion désincarnée de «
security
interest
» propre aux systèmes de sûretés qui s’inspirent du Titre 9 du UCC. Notons que cette
opinion contredit ce que R.A. Macdonald exprime dans un article ultérieur. En effet, il soutient,
avec d’autres, que la conception civiliste du droit de propriété est relativement claire. Voir
M.G. BRIDGE et al., loc. cit., supra note 24, p. 651. Voir par ailleurs les avantages que
R.A. Macdonald semble voir dans la distinction posée en
common law entre le legal title et le
beneficial title, dans R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27, no 25 (note 96), p. 571.
680
Le mot est de J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, no 660, p. 236.

Page 279
253
à la catégorie des immeubles. Ainsi, les droits réels mobiliers, les droits de créance, les
universalités, les droits intellectuels sont-ils des biens meubles incorporels. Enfin, les
biens se divisent en capitaux et en fruits et revenus (art. 908 C.c.Q.). Les dispositions
des articles 909 et 910 C.c.Q. précisent de quoi il s’agit.
L’hypothèque du droit civil québécois est donc un droit réel affecté à l’exécution d’une
obligation (art. 2660 C.c.Q.). Elle est accessoire, indivisible et doit être publiée pour être
opposable aux tiers (art. 2661 à 2663 C.c.Q.). Elle grève soit un ou plusieurs biens
particuliers, corporels ou incorporels, soit un ensemble de biens compris dans une
universalité (art. 2666 C.c.Q.). L’hypothèque mobilière conventionnelle peut donc
affecter, de cette manière, tant les biens corporels qu’incorporels. Le Code civil apporte
certaines précisions quant à certains biens que peut grever l’hypothèque mobilière
conventionnelle, notamment les biens meubles matériellement attachés ou réunis à un
immeuble qui ne perdent pas leur individualité (art. 2672 C.c.Q.), les biens résultant de
l’accession mobilière (art. 2673 C.c.Q.), l’universalité (art. 2674, 2697 C.c.Q.), les
créances (art. 2676, 2699, 2710-2713 C.c.Q.), les actions (art. 2677 C.c.Q.), les
connaissements ou autres titres négociables (art. 2699 et 2708 C.c.Q.) et, enfin,
nouveautés non négligeables, les valeurs mobilières et titres intermédiés au sens de la Loi
sur le transfert de valeurs (art. 2714.1 C.c.Q.). La nature de l’universalité est quelque
peu précisée à l’article 2684 C.c.Q., qui se lit comme suit :
2684. Seule la personne ou le fiduciaire qui
exploite une entreprise peut consentir une
hypothèque sur une universalité de biens,
meubles ou immeubles, présents ou à venir,
corporels ou incorporels.
Celui qui exploite l’entreprise peut,
ainsi, hypothéquer les animaux, l’outillage
ou le matériel d’équipement professionnel,
2684. Only a person or a trustee carrying on
an enterprise may grant a hypothec on a
universality of property, movable or
immovable, present or future, corporeal or
incorporeal.
The person or
thus
hypothecate animals, tools or equipment
pertaining to an enterprise, claims and
trustee may
Page 280
254
les créances et comptes clients, les brevets et
marques de commerce, ou encore
les
meubles corporels qui font partie de l’actif
de l’une ou l’autre de ses entreprises et qui
sont détenus afin d’être vendus, loués ou
traités dans le processus de fabrication ou de
transformation d’un bien destiné à la vente, à
la location ou à la prestation de services.
customer accounts, patents and trademarks,
or corporeal movables included in the
assets of any of his enterprises kept for sale,
lease or processing in the manufacture or
transformation of property intended for
sale, for lease of for use in providing a
service.
De façon générale, le législateur québécois s’en tient aux grandes catégories de biens des
classifications traditionnelles, définies de très large façon, comme nous avons pu le voir,
pour décrire l’objet apparent de l’hypothèque, c’est-à-dire le bien meuble affecté.
Toutefois, on peut s’interroger sur l’utilité de l’énumération prévue au deuxième alinéa
de l’article 2684 C.c.Q. La doctrine et la jurisprudence affirment qu’il ne s’agit pas d’une
énumération limitative 681. Avec déférence, cette interprétation découle sans doute d’une
lecture de l’ensemble des dispositions du Code civil du Québec relatives au concept de
l’universalité, mais elle ne saute pas aux yeux. D’autre part, les catégories de biens qui y
sont mentionnées ne sont pas définies. Ces termes feraient souvent référence à des
notions du Droit antérieur. Nous y voyons une certaine analogie avec les diverses
catégories de biens prévues aux termes du Titre 9 du UCC. Suivant la tradition civiliste
en matière de rédaction de lois, cette énumération serait donc superfétatoire.
Nous avons voulu présenter un panorama de la tradition civiliste du droit des biens, en
relation avec le droit des sûretés réelles mobilières, envisagé dans une perspective
québécoise. Nous avons surtout voulu démontrer le caractère abstrait, général et
relativement simple qui ressort des classifications usuelles du droit patrimonial. Bien sûr,
nous aurions pu faire état de certaines dérogations importantes rencontrées dans les
681
Denise PRATTE, Priorités et hypothèques, Sherbrooke, Éditions Revue de Droit Université de
Sherbrooke, 1995, no 208, p. 96; Caisse populaire Laurier c. Lunetterie des Galeries Inc., REJB
2000-17695 (C.A.).

Page 281
255
dispositions du Code civil du Québec à ce sujet, qui, aux dires de certains juristes
respectés, remettraient en cause tout l’édifice tel que présenté. Ce débat, certes
fondamental, transcende néanmoins l’objet de notre discussion. Nous avons vu
également qu’à défaut de connaître une meilleure conception, le législateur québécois et
la majorité des auteurs s’entendent sur le bien-fondé de cette conception.
En contraste, nous présenterons maintenant les traits saillants du droit des biens dans les
traditions de common law et américaine.
2.1.2
dans la tradition de common law et de droit
américain
La présentation du sujet, distinguant la tradition de common law de celle du droit
américain, peut surprendre. En effet, on sait que les États-Unis (ainsi que les provinces
anglo-canadiennes et les territoires canadiens) sont des pays de common law. Nous
verrons néanmoins qu’une classification des biens artificielle, aux termes du Titre 9 du
UCC [b], se superpose à celle de la common law traditionnelle [a].
a)
classification traditionnelle du droit des
biens de
common law
La common law ne connaît pas de classification du droit des biens « rationalisée », à
l’image de celle du droit civil. Ici, point de modèles, point de « summa divisio rerum »
établies en tentant de cerner l’essence des choses, leur représentation intellectuelle. Cela
s’explique par le fait que le système de droit des biens de common law est une
Page 282
256
construction qui a certes évoluée, mais qui s’érige au fil des ans depuis le XIIième
siècle 682. Ce droit des biens puise ses assises dans un régime féodal 683.
La première distinction entre les deux systèmes, la plus frappante, réside dans l’absence
d’un concept de patrimoine en common law, tel qu’entendu dans la tradition civiliste 684.
Le droit de propriété n’y est donc pas défini de la même manière. « Ownership is an
enforceable bundle of rights that links a person to a thing », peut-on lire en introduction
du chapitre traitant de cette question d’un recueil bien connu 685. Il n’y a donc pas de
concept unificateur pour décrire cette réalité 686. Ce concept du droit de propriété prendra
682
683
684
685
686
Il ne faut pas voir, dans ces remarques, quelque attitude condescendante ou de propos
désobligeants, dont la conclusion à tirer serait la présumée incohérence du système de
common
law
. A.-F. Bisson a justement remarqué que tant le système de common law que celui du droit civil
ont nécessairement dû présenter «
pragmatisme et volonté de cohérence ». En fait, ce que cet
exposé tend à faire ressortir, ce sont les «
différences plus ou moins importantes de conceptions du
droit
» qui existent entre les deux systèmes. Voir : Alain-François BISSON, « Dualité de systèmes
et codification civiliste », dans
Conférences sur le nouveau Code civil du Québec, Cowansville
(Qc.), Éditions Yvon Blais, 1992, 39, 41-42.
Voir : Aline GRENON, « Dans un contexte d’harmonisation et d’économies intégrées, quelques
réflexions au sujet du concept de propriété en droit civil et en common law », dans
L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien.
Deuxième recueil d’études en fiscalité
, Association de planification fiscale et financière et
Ministère
ligne :
http://www.apff.org/francais/Publications/bijuridisme_canadien.html (consulté le 3 avril 2010).
Voir aussi : Anne-Françoise DEBRUCHE, « Les biens », dans Louise BÉLANGER-HARDY et
Aline GRENON, dir.,
Éléments de common law canadienne : comparaison avec le droit civil
québécois
, Toronto, Thomson Carswell, 2008, 101.
Canada,
Justice
2005,
1 :1,
du
en
de
la
Cette situation n’est pas sans présenter d’analogie et de ressemblance avec celle qui prévalait en
France, bien avant la codification. Voir P. OURLIAC et J.-L. GAZZANIGA,
op. cit., supra note
675, p. 231-234. En outre, aux p. 232 et 234, ces auteurs précisent : «
Le droit coutumier ancien
classait les biens par rapport à la saisine. Les biens devaient être individualisés (ce sont les biens
« marqués »); ils peuvent appartenir à la famille (on parlera couramment d’héritages); ou, comme
les cateux, à l’individu.
[…] L’idée de patrimoine, aujourd’hui considérée comme un
prolongement de la personnalité, est étrangère à l’ancien droit : les biens d’un individu sont
distingués d’après leur origine ou leur affectation; lors de la succession, chaque bien suit sa loi
propre, ce qui fera dire à Loisel (n
o 313), évoquant le pécule des soldats romains : « Les Français,
comme gens de guerre, ont reçus divers patrimoines et plusieurs sortes d’héritiers d’une même
personne ». L’unité n’existe que pour les meubles et les dettes qui « tiennent aux os »
».
Derek Mendes DA COSTA, Richard J. BALFOUR et Eileen E. GILLESE, Property Law : Cases,
Text and Materials
, 2e éd., Toronto, Emond Montgomery Publications, 1990, p. 2 :1.
Barbara PIERRE, « Classification of Property and Conceptions of Ownership in Civil and
Common Law », (1997) 28
R.G.D. 235, 241 : « In contrast, a concept of ownership is not part of

Page 283
257
d’ailleurs des contours différents selon la nature du bien. Ainsi, on distingue les biens
réels (real property) des biens personnels (personal property) (l’équivalent, dans une
certaine mesure, de la distinction civiliste existant entre les immeubles et les meubles).
Cette dichotomie diffère de celle du droit civil car elle fut établie « […] en fonction de
l’application de règles de procédures civile et que l’Angleterre médiévale avait
développé un régime juridique presque entièrement centré sur les tenures » 687. Les biens
réels se subdivisent en héritages corporels et héritages incorporels. Les biens personnels
se subdivisent en chatels réels et chatels personnels. Les chatels réels comprennent les
baux, les produits de la terre (récoltes sur pied) et la végétation naturelle. Les chatels
personnels comprennent les choses possessoires et les choses non possessoires (i.e.
choses in action) 688. Bien que l’importance de la distinction entre biens réels et biens
personnels tende à s’amenuiser avec le temps, elle continue néanmoins à jouer un rôle.
D’abord, en ce qui a trait à la restitution en nature; ensuite, en ce qui concerne la façon de
créer et de transporter un intérêt dans le bien. Dans le cas des biens réels, un écrit est
nécessaire, alors que dans le cas des biens personnels, aucun écrit n’est exigé, sauf
disposition législative particulière 689. Enfin, les règles successorales applicables à
the common law of real property. The pursuit for “the owner” is an entirely civilian
preoccupation. [...] Having no specific, technical meaning for ownership, the word is used
indiscriminately to refer to several different powers over, or benefits in, the land
».
Michel BASTARACHE et Andréa BOUDREAU OUELLET, Précis du droit des biens réels,
Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 1993, p. 14. Voir aussi, à la p. 15 : «
Avec les années, les
actions réelles et personnelles sont venues à définir les deux catégories de biens principaux
auxquels elles étaient applicables : le bien réel, c’est donc le bien-fonds (ou plus précisément
l’ensemble des intérêts d’un propriétaire sur un bien-fonds); le bien personnel, c’est l’équivalent
du bien meuble (objets, marchandises…). Il ne s’agit cependant pas là d’une définition juridique
des termes. La réalité est beaucoup plus complexe
».
Ibid., p. 18; Bruce ZIFF, Principles of Property Law, 3e éd., Scarborough (On.), Carswell, 2000,
p. 73-77.
M. BASTARACHE et A. BOUDREAU OUELLET, op. cit., supra note 687, p. 19.
687
688
689

Page 284
258
chaque catégorie de biens peuvent différer 690. Mentionnons aussi que, selon la doctrine
des tenures (ou des domaines / estates), dans les provinces canadiennes de common law,
« la Couronne demeure propriétaire absolu du territoire, de sorte qu’une personne qui
achète un bien-fonds (i.e. bien réel) ne se fait concéder que la tenure « en franc-socage »
ou « franche », la seule forme de tenure qui subsiste aujourd’hui. Cette personne n’a
donc pas un droit de propriété absolu mais plutôt un domaine ou un « intérêt » relatif au
bien-fonds » 691.
À ces distinctions s’ajoute celle, non moins fondamentale, existant en matière de droit de
propriété, entre le legal title et le equitable ou beneficial title 692. Ainsi, une personne
peut détenir l’un, l’autre ou ces deux droits à la fois dans un bien. Cette dernière
distinction est, encore une fois, le produit de l’histoire 693. En Angleterre, il y eût un
temps deux ordres de tribunaux, à savoir ceux de Common Law et ceux d’Equity. Les
seconds se sont développés, au fil du temps, afin de pallier la rigidité propre aux règles de
la common law. Avec les années, le rôle de l’Equity se précisa et consista à parfaire la
Common law, et non pas à la supplanter. Ainsi que le veut la formule désormais
consacrée, « [Equity] is a court of conscience ». Les tribunaux d’Equity ont développé
leurs propres règles. L’institution par excellence résultant de ce régime de droit est, bien
entendu, le trust. Depuis les Judicature Acts de 1873-1875, on a fusionné ces deux
690
691
692
693
B. ZIFF, loc. cit., supra note 688, p. 74-75.
A. GRENON, loc. cit., supra note 683, p. 1 :4.
R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, op. cit., supra note 358, nos 296-305, p. 277-284.
Pour un exposé détaillé à ce sujet, lire : B. ZIFF, op. cit., supra note 688, p. 77, 181-207;
A.H. OOSTERHOFF et E.E. GILLESE, Text, Commentary and Cases on Trusts, 4e éd.,
Scarborough (On.), 1992, p. 3-92.

Page 285
paliers de tribunaux en un seul 694. Cependant, les règles particulières à la Common law
et à l’Equity continuent d’évoluer et d’interagir. M. Cantin Cumyn a bien résumé la
pertinence que la distinction présente et conserve de nos jours :
259
En Common Law, la légitimité de l’activité juridique du trustee est fondée sur un
droit ou sur un titre : le
trustee administre la trust property en vertu d’un legal title.
Parallèlement, un droit de
beneficial title est reconnu au bénéficiaire du trust, lui
conférant l’intérêt suffisant pour exiger du
trustee qu’il lui rende compte de sa
gestion. […] Malgré la réunion de ces juridictions [que sont la
Common Law et
l’
Equity] dans un même tribunal, l’ancienne dualité des titres subsiste. Elle
détermine, notamment, la nature des recours, ainsi que l’identité de ceux qui peuvent
les exercer contre le
trustee. Si le trustee manque à la fiduciary obligation, c’est le
titulaire actuel ou éventuel du
beneficial title qui peut, en principe, agir contre lui
pour obtenir le remède approprié :
compensation ou equitable damages, accounting,
ou encore la reconnaissance d’un
constructive trust. 695
Cette division entre le legal title et le beneficial title n’est pas exclusive au trust. Elle
apparaît comme toile de fond à l’ensemble des relations juridiques dans l’univers de la
common law. Elle est source d’une pluralité de droits pour ceux qui en sont titulaires, qui
peuvent exister simultanément sur un même bien, conférant par conséquent diverses
prérogatives. Ce qui a fait dire à certains qu’à la différence du droit civil, la common law
ne poserait pas de distinction aussi claire entre les droits d’un propriétaire et ceux d’un
créancier 696. Ainsi, le maniement des droits ne peut être l’objet d’aucune analogie entre
les deux systèmes, car le droit de propriété est divisible en common law alors qu’il est
absolu en droit civil 697. Plusieurs personnes peuvent détenir un interest sur un bien en
694
695
696
697
Pour un historique de l’évolution de ce régime d’Equity et une comparaison avec la notion
d’équité du droit civil, lire : Anne-Françoise DEBRUCHE, « What is “Equity” ? Of Comparative
Law, Time Travel and Judicial Cultures », (2009) 39
R.G.D. 203.
Voir : Madeleine CANTIN CUMYN, L’administration du bien d’autrui, Cowansville (Qc.),
Éditions Yvon Blais, 2001, n
o 3, p. 4.
Voir: M.G. BRIDGE et al., loc. cit., supra note 24, p. 651: « Much more than the common law, the
civil law distinguishes between owing and owning
».
Sur l’absolutisme du droit de propriété en droit civil et son opposition au régime féodal fragmenté
(similaire à celui de l’Angleterre, qui préavalait en France avant la Révolution de 1789 et
l’édiction subséquente du Code Napoléon de 1804), voir : Jean LECLAIR, « Le Code civil des
Français de 1804 : une transaction entre révolution et évolution », (2002) 36
R.J.T. 1, 61-62 :

Page 286
260
common law 698, alors qu’il n’y a qu’un seul propriétaire en droit civil 699. Bien sûr,
comme nous l’avons vu, la notion de droit réel a certes évolué et la propriété comporte
ses démembrements. Mais l’articulation conceptuelle des deux traditions diffère
profondément 700.
Nous allons maintenant voir qu’à ce système de droit des biens s’ajoute une classification
des biens propre aux systèmes de sûretés réformés ayant emprunté la voie du Titre 9 du
UCC.
698
699
700
« Dans la nuit du 4 août 1789, l’Assemblée constituante décréta la « destruction de la féodalité »
et prononça l’abolition de tous les droits réels féodaux qui grevaient les propriétés. L’article 17
de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen devait affirmer que la propriété était « un
droit inviolable et sacré ». L’article 544 du Code allait confirmer le caractère libre, absolu et
individuel de la propriété.
[…] Le droit de pleine propriété est donc consacré, c’est-à-dire une
propriété libre de toutes charges ou redevances seigneuriales. Cette consécration du droit à la
pleine propriété constitue, avec le contrat, le principal pilier du Code civil. L’insistance sur le
caractère absolu visait, en premier lieu, à l’opposer au morcellement féodal du droit réel qu’on
venait justement d’abolir et, en deuxième lieu, à rassurer les acquéreurs de biens nationaux,
inquiets qu’ils étaient de se voir dépouiller de leurs biens par les anciens propriétaires
».
du
7 :1,
2002,
Canada,
Voir : Martin LAMOUREUX, « Rapport sur l’harmonisation du terme « Interest » », dans
L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien.
Recueil d’études en fiscalité
, Association de planification fiscale et financière et Ministère de la
Justice
ligne :
http://www.apff.org/francais/Publications/bijuridisme_canadien.html (consulté le 3 avril 2010).
Cet auteur recense les diverses significations de ce terme en
common law, qui en font un terme
polysémique, n’ayant pas d’équivalent en droit civil. Il propose néanmoins, aux fins du
bijuridisme et de l’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil du Québec, que les
lois fiscales traduisent le terme « interest » par celui d’« intérêt », en
common law française (par
opposition au terme « droit » actuellement employé), puis par le terme « droit réel – real right »,
comme équivalent civiliste, la notion de droits réels étant celle qui s’approche le plus, malgré les
différences, de celle d’
interest. Évidemment, l’auteur est bien conscient des limites de cette
approche, car les termes recouvrent des réalités intraduisibles, mais s’il le faut, au nom de
l’uniformité de traitement des justiciables d’un océan à l’autre, le législateur fédéral peut établir
des règles «
au détriment du respect complet du système de droit privé québécois ». Cette étude
démontre bien les limites du bijuridisme législatif canadien. Nous y reviendons.
en
A. GRENON, loc. cit., supra note 683.
Même si en pratique, on peut voir des rapprochements entre les finalités de chaque système, l’on
ne peut, à notre avis, faire l’économie des distinctions qui leurs sont propres. N’y change rien le
fait que « [l]a propriété en droit civil et en common law peut ainsi être définie, dans une
perspective transsystémique de la propriété, comme une relation d’exclusivité du propriétaire vis-
à-vis de tous, relativement à un bien corporel ou incorporel
». Voir, en ce sens : Yaël EMERICH,
« Regard civiliste sur le droit des biens de la common law : pour une conception transsystémique
de la propriété », (2008) 38
R.G.D. 339, 376.

Page 287
261
b)
classification des biens
proposée aux termes du Titre 9 du UCC
telle que
Le système réformé du Titre 9 du UCC se superpose au système de droit des biens de
common law 701. Les rédacteurs de ce texte législatif ont donc établit un certain cadre,
précisant que l’objet du security interest est un « collateral » 702. Ce « collateral » n’est,
en fait, que le bien affecté. On comprend donc que tout bien personnel peut être affecté
d’un security interest. Mais qu’est-ce à dire ? C’est là que les choses se corsent. Les
rédacteurs du Titre 9 du UCC ont érigé une nomenclature définissant les biens en
plusieurs catégories. Ces catégories sont pertinentes pour connaître les règles régissant
les mécanismes de publicité requis et l’ordre de priorité. Elles reflètent les pratiques
commerciales existantes au moment de la codification. Entre toutes ces catégories, une
distinction est posée par la doctrine entre les biens pouvant faire l’objet d’un pledge (i.e.
701
C’est toute la philosophie du « judge made law » qui se trouve derrière cette technique de
rédaction législative du «
statutory law », où le législateur n’intervient que ponctuellement pour
réglementer une frange bien délimitée du droit, laissant aux tribunaux le soin de dire le droit. Voir
les savoureux et éclairants commentaires de G. GILMORE,
op. cit., supra note 133, p. 536-537 :
«
Does the sweeping language of the Code “security interest” definition bring this whole
Pandora’s box of informal agreements between debtors and creditors within the Code, codify the
whole case law of equitable liens, and reduce this involved problem to the simple choice between
an Article 9 security interest and nothing ? It is submitted that the answer to the question just
posed should be, with an emphasis, No. We might say that if the equitable lien – or at any rate
this aspect of the equitable lien – had not existed, it would have been necessary to invent it; if the
Code in some sense abolishes the equitable lien, it will have to be invented all over again. Article
9, for all its comprehensiveness, is a statute drafted to regulate certain well-known or
institutionalized types of financing transactions. It is fair enough to say that a transaction which
sets out to be one of those types should conform to Article 9 or fall by the wayside. But beyond the
area of institutionalized transaction, there stretches a no-man’s land, in which strange creatures
do strange things. For these strange things there are no rules; it makes no sense to measure them
against the rules which professionnals have developped for professional transactions. The best
that can be done is to let the courts pick their way from case to case, working out their solutions
ad hoc and ad hominem
». Voir aussi, en ce sens, la disposition fondamentale du Uniform
Commercial Code
que l’on retrouve à l’article U.C.C. § 1-103 (2010). Cette disposition consacre
le caractère supplétif au UCC de la common law et de l’Equity, ainsi que du droit « statutaire ». En
cas de divergence cependant, les dispositions du UCC priment.
702
U.C.C. § 9-105(1)(c) (1995) et U.C.C. § 9-102(a)(12) (2010). Le terme « collateral » est défini
comme étant le «
property subject to a security interest or agricultural lien ».

Page 288
262
gage) et ceux qui ne le peuvent 703. Ainsi, la doctrine distingue les biens « tangibles », les
biens « semi-intangibles » et les biens « intangibles » ou « pures intangibles » 704.
Les biens « tangibles », l’équivalent des meubles corporels du droit civil, se divisent en
quatre catégories de « goods » 705, qui sont les biens de consommation 706, les biens
d’inventaire 707, les produits de la ferme 708 et l’équipement 709. Ces catégories sont
mutuellement exclusives, la catégorie de l’équipement étant résiduaire. Les définitions
qui correspondent à ces catégories sont toutes, à l’exception de celle touchant les produits
de la ferme, fonction de l’utilité que représentent les biens dans l’industrie. L’intérêt de
cette classification a trait aux différences de traitement qui peuvent exister quant aux
règles de publicité et de priorité relativement à chacune des catégories. Ces biens
peuvent être engagés 710.
Les biens « semi-intangibles » 711, initialement identifiés comme étant des « pledgeable
intangibles » 712, dont la traduction civiliste serait l’expression « biens meubles « quasi-
corporels » » 713, se divisent en cinq catégories. Il s’agit des « investment property » 714,
703
704
705
706
707
708
709
710
711
712
713
714
G. GILMORE, op. cit., supra note 317, p. 367-400.
E.E. SMITH, loc. cit., supra note 319, p. 21-25.
U.C.C. § 9-105(1)(h) (1995); U.C.C. § 9-102(a)(44) (2010).
U.C.C. § 9-109(1) (1995); U.C.C. § 9-102(a)(23) (2010).
U.C.C. § 9-109(4) (1995); U.C.C. § 9-102(a)(48) (2010).
U.C.C. § 9-109(3) (1995); U.C.C. § 9-102(a)(34) (2010).
U.C.C. § 9-109(2) (1995); U.C.C. § 9-102(a)(33) (2010).
G. GILMORE, op. cit., supra note 317, p. 368-376.
E.E. SMITH, op. cit., supra note 319, p. 22.
G. GILMORE, op. cit., supra note 317, p. 377.
J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, no 666, p. 238.
U.C.C. § 9-115(1)(f) (1995); U.C.C. § 9-102(a)(49) (2010).

Page 289
263
des « instruments »715, des « documents » 716, des « chattel paper » 717 et des « letter-of-
credit right » 718. L’« investment property » comprend les valeurs mobilières, qu’elles
soient représentées par certificat ou non, les comptes de valeurs mobilières et les
« security entitlement ». La publicité des sûretés grevant ce type de biens n’est possible
que par inscription, à moins que le créancier n’en détienne la maîtrise de fait (i.e.
« control ») 719. Les instruments sont des titres de créance négociables par endossement
et délivrance, qui ne pouvaient autrefois être publiés que par dépossession, mais qui
désormais peuvent aussi l’être par voie d’inscription 720. Les documents sont des
documents de titre, tels les connaissements, négociables ou non. Les documents
négociables peuvent être publiés par dépossession ou par inscription. Les documents
non-négociables peuvent l’être par notification ou par inscription 721. Les chattel papers,
sous-catégorie inventée de toutes pièces par les rédacteurs de la première mouture du
Titre 9 du UCC 722, sont des titres de créance non négociables. Ils peuvent être publiés
par dépossession, par inscription, ou encore, par la maîtrise de fait du document 723. Les
« letter-of-credit right » sont les droits au paiement du produit d’une lettre de crédit. La
715
716
717
718
719
720
721
722
723
U.C.C. § 9-105(1)(i) (1995); U.C.C. § 9-102(a)(47) (2010).
U.C.C. § 9-105(1)(f) (1995); U.C.C. § 9-102(a)(30) (2010).
U.C.C. § 9-105(1)(b) (1995); U.C.C. § 9-102(a)(11) (2010).
U.C.C. § 9-105(3) (1995); U.C.C. § 9-102(a)(51) (2010).
E.E. SMITH, loc. cit., supra note 319, p. 26 et 31.
Ibid., p. 30.
U.C.C. § 9-304(1),(3),(4) (1995); U.C.C. § 9-312(a),(c),(d) (2010).
G. GILMORE, op. cit., supra note 317, p. 378-379.
E.E. SMITH, loc. cit., supra note 319, p. 30-31.

Page 290
264
publicité en est assurée par dépossession ou par la maîtrise de fait de la lettre de crédit
(i.e. « control ») 724.
Les biens « intangibles » ou « pure intangibles » 725, seraient des « biens incorporels
« purs » » 726. Ils comprennent les « accounts » , les « deposit accounts », les « contract
rights », les « commercial tort claims » et, enfin, les « general intangibles » 727. Les
accounts sont des créances, nées ou éventuelles, non représentées par un instrument ou
par un chattel paper. Les deposit accounts sont des comptes bancaires de diverses
variétés, à l’exclusion de ce qui tombe sous la catégorie des « investment property »,
c’est-à-dire concernant les valeurs mobilières. Les commercial tort claims sont les
réclamations judiciaires en matière délictuelle. Les « general intangibles » constituent
une catégorie résiduaire. Ces biens ne peuvent habituellement pas être engagés.
Cependant, la seule façon de publiciser une sûreté grevant un deposit account est
désormais la maîtrise de fait conférée au créancier (i.e. control).
Le civiliste qui fait l’effort de compréhension que demande l’entendement de cette
nomenclature retient son souffle. C’est un univers qui lui est totalement étranger. La
complexité technique qui en ressort fut d’ailleurs reconnue par Grant Gilmore lui-
même 728. Elle s’expliquerait par l’historique de la rédaction du Titre 9 du UCC. On se
souviendra en effet qu’il fut initialement prévu de rédiger cinq titres distincts au Uniform
Commercial Code en fonction des diverses catégories de financement alors identifiées.
724
725
726
727
728
Ibid.
G. GILMORE, op. cit., supra note 317, p. 379.
J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, no 667, p. 238.
E.E. SMITH, loc. cit., supra note 319, p. 23-25.
G. GILMORE, op. cit., supra note 317, p. 367-368.

Page 291
265
On avait commencé à articuler les définitions de biens autour de chacune de ces
catégories, qui sont demeurées, par la suite, lors de leur « fusion » en un seul et même
titre qu’est devenu le Titre 9 du UCC 729. Grant Gilmore admit que cette classification
eût pu être grandement simplifiée. Néanmoins, il ne considérait pas qu’elle présentait des
difficultés insurmontables, notamment en matière de qualification. Il voyait cependant un
non-sens à ce que les chattel papers puissent faire l’objet d’un gage 730. Il reconnaissait
d’ailleurs la propension du Titre 9 du UCC à élargir les catégories de biens qui puissent
en faire l’objet, comparativement à l’ancien droit, et que l’accès à l’information n’en était
que plus difficile pour les créanciers et les tiers 731. Force est de constater que cette
tendance atteint de nouveaux sommets suite à la dernière révision du Titre 9 du UCC. En
effet, les instruments ne pouvaient, à l’origine, être publiés que par dépossession. Ils
peuvent désormais l’être aussi par inscription. La logique derrière la règle initiale était
simple :
It is in general true to say that if intangible property can be pledged, it must be
pledged : that is to say, no perfected security interest can be created in such property
except by its physical delivery to the creditor.
732
[référence omise]
Nous croyons que cette règle conserve toute sa pertinence. Nous notons par ailleurs que
la dématérialisation des valeurs encourage, en droit américain, le recours fréquent aux
729
730
Voir notre discussion relative à la genèse, à l’historique et à l’évolution de l’approche
fonctionnelle,
supra, Partie I, sous-section II. B. 1.1.2.
G. GILMORE, op. cit., supra note 317, p. 379 : « Under the perfection provisions, a security
interest in chattel paper can be perfected by possession. The deletion of the transfer language
from the definition
[of chattel paper] seems to suggest that a security interest in chattel paper
could be so perfected even though the “writing” or “paper” was not one regarded as
“transferable by delivery in the ordinary course of business”. This is a nonsense
».
731
732
Ibid., p. 390.
Ibid., p. 387.

Page 292
266
mécanismes de publicité que sont la maîtrise de fait de la créance, la notification et sa
possession, le cas échéant. Autant d’exceptions au principe de la publicité par inscription
ne se justifient plus. Nous verrons cependant que la fonction conférée à la publicité, dans
l’édification d’un ordre de priorité, n’est pas la même en droit américain qu’en droit civil.
Loin de simplifier la nomenclature existante, la dernière version révisée du Titre 9 du
UCC ajoute de nouvelles catégories et sous-catégories. Par exemple, on distingue
désormais les « tangible chattel papers » des « electronic chattel papers », les premiers
étant inscrits sur support papier, les seconds étant virtuels, existant sur support
électronique. On permet même, dans le cas des electronic chattel papers, que la publicité
d’une sûreté grevant de tels biens puisse s’effectuer par la simple maîtrise de fait de la
créance (i.e. « control ») :
A secured party obtains control over electronic chattel paper if there is only one
authoritative or identifiable copy of the electronic record of the chattel paper, the
copy of the records identifies the secured party and its interest, the copy is
communicated to and maintained by the secured party or its designated custodian,
the copy is readily identifiable as the authoritative copy, and there are appropriate
controls in place relating to revisions of the copy.
Rev. ¶ 9-105. 733
Le lecteur qui se préoccupe des qualités de certitude et de simplicité, dont doit faire
preuve un système de sûretés dans son intelligibilité, croit nager en pleine science-fiction.
Les problèmes de preuve inhérents à ce type de bien et à la créance qu’il représente nous
semblent insurmontables. Cela encourage l’occultisme le plus total. On se rappellera que
Grant Gilmore voyait un non-sens dans l’articulation de la notion même de chattel paper,
dont la publicité d’une sûreté grevant ce type de bien pouvait s’effectuer par
dépossession. L’illogisme de cette situation est poussé un cran plus loin, maintenant que
733
E.E. SMITH, loc. cit., supra note 319, p. 31.

Page 293
267
cette publicité peut s’effectuer par simple maîtrise de fait, de surcroît lorsque le titre de
créance est ainsi constaté sur support électronique.
Enfin, la catégorie des « pure intangibles » s’élargit, au lieu de se restreindre et de se
simplifier. Gilmore signalait d’emblée que les trois catégories initialement prévues des
accounts, des contract rights et des general intangibles auraient dû se confondre en une
seule 734. Nous avons aujourd’hui les deposit accounts, les commercial tort claims, les
general intangible qui comprennent désormais les « payment intangibles » et les
« softwares ».
Nous retenons que cette classification n’en est pas une qui s’opère à partir de la nature
des droits, mais bien en fonction de catégories artificielles de biens, présentant toutes
leurs particularités. Comme le soulignait avec justesse un auteur français,
elle apparaît quelque peu incompatible avec l’objectif de simplification et
d’uniformité clairement affiché par les réformateurs américains. Une telle
classification se révélant fastidieuse, superflue et dangereuse, l’on est en droit de
s’interroger sur son utilité, voire sa nécessité.
735
Aussi est-il suggéré, dans un contexte d’uniformisation du droit des sûretés mobilières en
droit français, de ne pas retenir cette classification proprement américaine. On peut tenir
compte autrement de certaines limites qu’imposeront les contingences propres à certaines
transactions particulières, notamment en matière consumériste 736. Nous souscrivons sans
réserve à cette prise de position.
734
735
736
G. GILMORE, op. cit., supra note 317, p. 380-383.
J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, no 668, p. 239.
Ibid., p. 240.

Page 294
268
Cela démontre donc une incompatibilité sérieuse et fondamentale entre deux visions de la
rédaction législative, deux systèmes de droit. Voyons si un arrimage de ces différentes
conceptions est possible et ce qu’en proposent les instruments d’harmonisation
internationaux.
2.1.3
de l’arrimage de ces différentes conceptions
dans
d’harmonisation
internationaux
instruments
les
Nous avons déjà relevé que la terminologie employée aux termes de la Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières n’est pas toujours neutre 737. Ainsi, elle
prévoit la création de sûretés (i.e. security interests) sur tout type de bien meuble,
comprenant une universalité de biens meubles présents et futurs, corporels et incorporels.
Une sûreté publiée aux termes de cette loi confère à son titulaire un droit préférentiel de
recevoir le paiement du produit de la vente des biens grevés 738. On y ajoute quelques
définitions ayant trait aux biens 739. Celle du terme Movable Property Collateral (Bienes
Muebles en Garantìa) précise qu’il peut s’agir de tout bien meuble, incluant les comptes
à recevoir et tout autre bien incorporel, dont la propriété intellectuelle et le droit au report
de la sûreté sur le produit de la vente d’un bien grevé (i.e. attributable movable property).
Des définitions particulières de l’inventaire et des comptes à recevoir sont données.
Enfin, comme nous l’avons vu, les sûretés sont par la suite définies en fonctions de
catégories de biens, dont plusieurs ne font pas l’objet de définition, dont les instruments
et titres négociables, le droit au produit de lettres de crédit, etc. 740 Le droit de suite de la
737
738
739
740
Voir notre discussion, supra, Partie I, sous-section II. B. 2.3.
LTIRSM, supra note 10, art. 2.
Ibid., art. 3.
Voir notre discussion, supra, Partie I, sous-section II. A. 1.3.2. c).

Page 295
269
sûreté y est précisé 741; il est complété par les dispositions traitant des droits du
constituant et de celles relatives à l’exercice des droits du créancier. Ainsi, la vente de
biens grevés par le constituant dans le cours normal de ses affaires éteint la sûreté sur les
biens ainsi vendus et le droit de report du créancier sur le produit de vente ne sera
opposable au constituant que si une mention spéciale à cet effet est faite au registre lors
de la publication de la sûreté 742. Le report de la sûreté sur tout bien de remplacement de
nature équivalente n’est pas précisé 743. Par ailleurs, la vente par le créancier purge les
droits de ce créancier et de ceux ayant des droits postérieurs, mais non de ceux ayant des
droits antérieurs 744.
Nous voici donc en présence d’un régime de sûreté fondé sur l’approche téléologique,
mais sans sûreté principale comme l’hypothèque. On utilise plusieurs concepts propres
au droit civil, tels les biens meubles, corporels ou incorporels, ce qui suppose sa
transposition dans un univers civiliste, ce que sont majoritairement les pays de
l’Amérique latine auxquels ce texte est destiné. Toutefois, comme il n’y a pas de sûreté
principale à l’image de l’hypothèque, qui serait fondée sur l’édifice des droits réels du
droit civil, toute cette trame de fonds est absente de la Loi type interaméricaine relative
aux sûretés mobilières, ce qui en compromet l’intelligibilité. Sa version antérieure était
cependant beaucoup moins neutre et la terminologie employée était littéralement un
calque du droit américain.
741
742
743
LTIRSM, supra note 10, art. 48.
LTIRSM, supra note 10, art. 49, 11.
Ce que l’on appelle, en droit civil québécois, un bien de remploi ou de remplacement, qui
constitue une modulation du droit de suite, nouvelle expression du droit réel accessoire de
l’hypothèque mobilière. Voir : C.c.Q., art. 2674 et 2700 ; P. CIOTOLA,
op. cit., supra note 124,
nos 3.116-3.117, p. 335-336.
744
LTIRSM, supra note 10, art. 67.

Page 296
270
La Loi type de la BERD utilise une terminologie plus neutre. Ainsi, toutes choses et tous
droits peuvent être grevés pour garantir l’exécution d’une obligation 745. Le concept de
« Charged Property » réfère à tous droits et toutes choses grevés aux termes d’icelle, sans
plus de précision 746. La sûreté s’étend à tous biens qui deviennent la propriété du
constituant durant son existence. L’acquéreur dans le cours normal des affaires de biens
grevés est protégé, mais dans un nombre limité de cas 747. Au-delà de ces dispositions
générales, là s’arrête l’énonciation des prérogatives associées à la sûreté. L’approche
retenue est assurément plus souple et neutre que ne l’est celle de la Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières. Mais l’édifice conceptuel est trop
sommaire pour être indépendant d’un véritable système juridique.
Enfin, le Guide législatif sur les opérations garanties procède de la même manière que le
Titre 9 du UCC 748. Son édifice conceptuel est beaucoup plus détaillé et il prévoit toutes
les possibilités dans leurs moindres détails. Cependant, il reflète une approche qui n’est
pas nécessairement adaptée à l’édifice romaniste des droits réels et qui se veut
indépendante, un système en soi, à l’image du UCC.
Nous terminons notre étude des principales modalités des sûretés mobilières en abordant
la notion de la cause de l’obligation dont l’exécution est garantie aux termes d’une sûreté
mobilière conventionnelle.
745
746
747
748
Loi type de la BERD, supra note 51, art. 1.
Ibid., art. 5.
Ibid., art. 19.2, 19.3, 20, 21.
Voir notre discussion, supra, Partie I, sous-section II. A. 1.3.2. e).

Page 297
271
2.2
la cause de l’obligation dont l’exécution est garantie aux
termes de la sûreté conventionnelle
Nous allons succinctement exposer l’état du droit américain et du droit québécois relatif à
l’étendue de l’obligation garantie par une sûreté mobilière, tout en faisant état des
solutions proposées aux termes des instruments internationaux de l’harmonisation du
droit [2.2.1]. Nous verrons par la suite l’utilité que peut présenter, dans toute législation
régissant les sûretés mobilières, l’édiction d’une règle de spécialité quant au montant de
la garantie et quant à sa cause [2.2.2].
2.2.1
dettes présentes ou
futures de caractère
déterminé ou indéterminé lors de la constitution
de la sûreté
Le droit américain est très permissif quant à l’étendue de l’obligation garantie par un
security interest. En effet, il est loisible au débiteur de consentir une sûreté grevant non
seulement ses biens présents et ceux à venir, en totalité ou en partie, mais aussi de
prévoir, au contrat constitutif de sûreté (i.e. security agreement), qu’il consente cette
sûreté afin de garantir toute obligation, présente ou futur, le liant au créancier.
L’obligation future n’a pas à être déterminée ou identifiée. De même, l’obligation
garantie ne fait l’objet d’aucune mesure de publicité, qu’il s’agisse du montant garanti ou
de l’obligation elle-même 749.
En principe, le droit civil est moins permissif que ne l’est le droit américain. La notion de
la « spécialité de l’hypothèque » exige en effet des précisions de trois ordres : spécialité
749
U.C.C. § 1-201(b)(35) (2010) (définition du terme « Security interest », qui signifie un intérêt dans
des biens personnels ou des fixtures pour garantir le paiement ou l’exécution d’une obligation) ;
U.C.C. § 9-102(a)(73) (2010) (définition du terme «
Security agreement », qui signifie un contrat
constitutif d’un Security interest) ; U.C.C. § 9-201 à § 9-206 (2010) (sur la constitution d’un
Security interest). Voir, enfin, pour les mesures de publicité : U.C.C. § 9-308 et suiv. (2010).

Page 298
272
relative à son assiette (l’identification des biens grevés avec, pour corollaire, la spécialité
de l’inscription relative à chaque bien grevé), spécialité relative à la cause (l’obligation
garantie) et, enfin, spécialité relative au montant de l’hypothèque (qu’il ne faut pas
confondre avec le montant de la créance garantie). L’hypothèque est donc « spéciale »,
c’est-à-dire limitée ou circonscrite, par opposition à « générale ». Elle est spéciale, bien
sûr, en ce qu’elle constitue une dérogation au gage commun, ce pourquoi elle est
traditionnellement assujettie à des conditions de fond et de forme dont dépend sa
validité 750.
En droit civil québécois, le débiteur peut grever ses biens présents et ceux à venir, en
totalité ou en partie 751. Alors que l’hypothèque traditionnelle, de nature immobilière, ne
permettait pas qu’elle soit constituée sur une universalité 752, le principe de la spécialité
de l’inscription relativement à chaque bien prenait tout son sens. C’est toujours le cas, en
matière immobilière 753, mais ce ne l’est pas en matière mobilière (sauf en ce qui
concerne les véhicules routiers 754).
Il n’y a pas de débat, non plus, quant à la nécessité d’indiquer, à l’acte constitutif
d’hypothèque, le montant précis pour lequel l’hypothèque est consentie. L’article 2689
C.c.Q. fait explicitement mention de cette exigence, tout comme le faisait l’article 2044
750
751
752
753
754
De façon générale, voir : Jacques AUGER, « La spécialité de l’hypothèque », dans Mélanges Jean
Pineau
, Montréal, Éditions Thémis, 2003, 607.
C.c.Q., art. 2666.
P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, no 4.42, p. 440.
Voir : C.c.Q., art. 2949. Bien qu’une hypothèque puisse être constituée sur une universalité
d’immeubles, présents et futurs, l’hypothèque ne grèvera chaque immeuble que lorsqu’elle sera
inscrite de manière spécifique à chacun.
Règlement sur le registre des droits personnels et réels mobiliers, (1993) 125 G.O. II, 858, art. 14,
qui précise que l’inscription d’un véhicule se fait sous une fiche descriptive établie sous son
numéro d’identification.

Page 299
273
C.c.B.C. Il s’agit donc de la règle de la spécialité du montant de l’hypothèque 755. Ce
montant doit faire l’objet d’une publicité756, sauf dans le cas du gage, pour lequel aucun
écrit n’est exigé 757.
La spécialité de l’hypothèque quant à sa cause fit l’objet d’une lente évolution. En
matière d’hypothèques légales ou d’hypothèques résultant de jugements, cette règle ne
fait aucun doute 758. Cependant, en matière d’hypothèques conventionnelles, la question
suscita plus d’interrogations. Si le Code civil semble permettre sans trop d’ambiguïté que
l’hypothèque puisse servir à garantir une obligation future déterminée et identifiée,
certains entretinrent des doutes quant aux obligations futures non identifiées et
indéterminées 759. Fallait-il, à l’acte constitutif d’hypothèque, indiquer la cause de la
créance garantie et de quelle manière ? On a prétendu que le principe de la spécialité de
l’hypothèque, stricto sensu, exigerait qu’il y soit non seulement fait référence à la créance
garantie, mais que sa quotité y soit précisée, et cela en vertu du caractère accessoire de
l’hypothèque à la créance. Cette hypothèse fut rejetée d’emblée, notamment pour
permettre que soient considérées valides des hypothèques portant sur des ouvertures de
755
756
757
758
759
Voir : Jacques AUGER, « L’hypothèque garantissant des obligations futures non identifiées :
l’hypothèque volante ! », (1995) 97
R. du. N. 450, 454.
Voir : QUÉBEC, REGISTRE DES DROITS PERSONNELS ET RÉELS MOBILIERS, Manuel de l’inscription
et de la consultation des droits personnels et réels mobiliers
, 28 janvier 2009, p. 31-33
(Réquisition d’inscription d’une hypothèque conventionnelle sans dépossession), en ligne :
https://www.rdprm.gouv.qc.ca/rdprmweb/publications/fr/6-Manuel_2009%20(RH).pdf
(consulté
le 20 février 2010).
C.c.Q., art. 2702.
C.c.Q., art. 2725, 2727, 2729 et 2730.
Voir : J. AUGER, loc. cit., supra note 755. Cet auteur a toutefois temporisé son opinion plus tard.
Voir : J. AUGER,
loc. cit., supra note 750.

Page 300
274
crédit 760. Comme on le sait, le mécanisme de l’ouverture de crédit peut constituer une
obligation future identifiée, mais éventuelle. Question incertaine sous l’ancien Code,
l’article 2688 C.c.Q. y apporte une solution définitive. On considéra un temps qu’il
fallait néanmoins référer à l’obligation garantie dans l’acte d’hypothèque 761, s’inspirant
en cela de la jurisprudence française 762. Depuis, la question semble résolue. D’une part,
l’article 2797 C.c.Q. édicte que l’hypothèque, à défaut d’être radiée du registre mobilier,
survit malgré l’extinction de l’obligation, dans le cas d’une ouverture de crédit et « dans
tout autre cas où le débiteur s’oblige à nouveau en vertu d’une stipulation dans l’acte
constitutif de l’hypothèque ». La jurisprudence et la doctrine soutiennent que cette
disposition suffit pour conclure à la possibilité de créer une hypothèque visant à garantir
des obligations futures non identifiées 763. D’autre part, on a soutenu que le Code civil
n’exigerait pas expressément que l’on réfère à l’obligation garantie dans l’acte
d’hypothèque 764. De même, l’hypothèque peut garantir tout type d’obligation, présente
760
761
762
763
Banque Mercantile c. Yves Germain, [1984] C.S. 856 (C.S.), p. 863 et 864; Société en commandite
de La Rousselière
(Syndic de) (7 mars 1991), Montréal, 500-11-003784-903 (C.S.), p. 6-7.
Banque Mercantile c. Yves Germain, [1984] C.S. 856 (C.S.), p. 864.
Voir : C. civ., art. 2132 et 2148 (anciens) ; M. CABRILLAC et C. MOULY, op. cit., supra note
124, p. 623-624, 651-656. Le droit français a quelque peu évolué sur ces questions. Alors que le
principe de la spécialité s’applique toujours pour les biens affectés individuellement (C. civ., art.
2418-2419, mais voir les exceptions, C. civ., art. 2420), la cause de l’hypothèque doit désormais
être déterminée dans l’acte (C.civ., art. 2421), ce qui est nouveau par rapport au droit antérieur, le
Code civil français n’en faisait pas autrefois mention et c’est la jurisprudence qui avait établi ce
tempéraments maintenant codifiés (C. civ., art. 2422) :
principe. Ce principe
«
l’hypothèque peut être ultérieurement affectée à la garantie de créances autres que celles
mentionnées par l’acte constitutif pourvu que celui-ci le prévoit expressément
». Les français ont
baptisé cette nouvelle modalité sous le vocable d’« hypothèque rechargeable ». Voir, sur ces
questions : Y. PICOD,
op. cit., supra note 8, nos 308-311, p. 363-368.
jouit de
Voir : P. CIOTOLA, op. cit., supra note 1244, no 3.12, p. 212; L. PAYETTE, Les sûretés réelles,
3
e éd., supra note 78, nos 639-645, p. 287-293; St-Jacques c. Charbonneau, [1999] R.D.I. 200,
REJB 1999-11965 (C.A.), commentée par Yvan DESJARDINS, « Le principe de la spécialité de
l’hypothèque rejeté par la Cour d’appel », (2000) 102
R. du N. 441 ; Banque HSBC Canada c.
9082-3659 Québec Inc., J.E. 2005-667 (C.S.), j. Jacques.
764
P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, no 3.12, p. 212.

Page 301
275
ou future, voire une universalité d’obligations, le seul critère de validité étant leur licéité.
Le Code civil n’établit pas de distinction au chapitre des obligations qui peuvent être
garanties et le principe de l’universalité met à mal celui de la spécialité. L’hypothèque
peut donc garantir des obligations de faire dont la quotité n’est pas déterminée. Enfin, on
ajoute que si une hypothèque peut garantir un cautionnement qui, lui, n’a pas de
restriction quant aux obligations qu’il garantit, ce doit être a fortiori le cas de
l’hypothèque 765.
Ainsi, aux termes de la réforme du Code civil, le législateur québécois a voulu simplifier
et rendre plus efficace le régime hypothécaire, en levant l’interdiction des sûretés
conventionnelles sur une universalité de biens et l’incertitude entourant les garanties pour
les dettes futures de l’ancien Code. Toutefois, l’hypothèque est l’accessoire d’une
créance. La prudence s’impose afin de démontrer qu’elle puisse, en pratique, servir à
garantir des obligations futures autres que celles qui sont identifiées, ce qui pourra
dépendre du contexte et de la preuve disponible 766. En conclusion, bien qu’étant
techniquement plus restrictif que le régime américain, en ce qui a trait à la règle de la
spécialité quant au montant, le régime hypothécaire québécois fait désormais montre de la
même souplesse.
La Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières se démarque clairement du
droit américain, en adoptant une solution qui se rapproche grandement de celle du droit
765
766
C.c.Q., art. 2362 ; Les sûretés réelles, 3e éd., supra note 78, no 642, p. 290.
C’est également le cas, en droit américain, car un Security agreement est sujet aux règles
d’interprétation des contrats. La jurisprudence a déjà interprété restrictivement la portée d’un tel
contrat relativement aux obligations garanties, lorsqu’il fut mis en preuve que le constituant
croyait s’obliger pour moins. Voir : L.M. LoPUCKI et E. WARREN, op. cit., supra note 78, p.
150-163, en particulier aux p. 150-151, 158-159.

Page 302
276
civil québécois. Pour ce faire, la tradition civiliste des pays de l’Amérique latine est
invoquée comme argument justificatif. Les rédacteurs affichent ainsi une conscience des
règles de l’accessoire de la sûreté et de son caractère spécial 767. Ainsi, la sûreté réelle
mobilière peut grever les biens présents et ceux à venir 768 du débiteur, en garantie de
l’exécution de
tout
type d’obligations, présentes ou futures, déterminées ou
déterminables 769.
Enfin,
l’acte constitutif de
la sûreté réelle mobilière doit
obligatoirement contenir une mention de la somme maximale pour laquelle elle est
consentie, dont la publicité est requise 770, et mentionner la cause 771. Rédigée de la sorte,
la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières laisse à penser que la règle de
la spécialité de la créance pourrait être d’application plus rigide et ne pas couvrir les
obligations futures indéterminées. Ce sera question d’interprétation. La Loi type de la
BERD suit une approche similaire 772. Le Guide législatif sur les opérations garanties, de
son côté, prône l’approche la plus libérale en la matière, mais reconnaît le principe de la
spécialité quant au montant de la sûreté, sans toutefois y voir là une impérative
nécessité 773.
767
768
769
770
771
772
773
J.M. WILSON, loc. cit., supra note 37, p. 73 et 77.
LTIRSM, supra note 10, art. 2.
Ibid., art. 1.
Ibid., art. 38.
Ibid., art. 7.
Loi type de la BERD, supra note 51, art. 4.
Guide législatif sur les obligations garanties, supra note 45, « Chapitre I. Champ d’application,
approches fondamentales en matière de sûretés et thèmes généraux communs à tous les chapitres
du Guide », p. 35-36 ; « Chapitre II. Constitution d’une sûreté réelle mobilière (efficacité entre les
parties) », p. 101-102 (Recommandations 14-17).

Page 303
277
Nous allons voir l’utilité découlant du principe de la spécialité de la sûreté mobilière
quant à son montant et quant à la source juridique de l’obligation garantie dans tout
régime de sûreté.
2.2.2
utilité de la règle de la spécialité de la sûreté
quant à son montant et quant à sa cause
Il est vrai que la règle de la spécialité de la sûreté, dans son application la plus rigide,
puisse représenter un frein à l’évolution des techniques de crédit. On soutient toutefois
qu’elle s’avère nécessaire. J. Auger a bien résumé les raisons permettant de soutenir cette
position :
Faut-il s’étonner de l’existence du principe de la spécialité de l’hypothèque et des
conséquences qui en découlent quant à l’identification de l’obligation garantie ?
Cela ne devrait pas. En effet, le droit commun des créanciers est celui qu’énoncent
les articles 2644, 2645 et 2646 C.c.Q. En principe, les créanciers d’un même
débiteur ont des droits égaux sur le patrimoine de ce dernier, à moins qu’il n’y ait
entre eux des causes légitimes de préférence. Une de ces causes c’est l’hypothèque
et il est normal que le législateur assujettisse cette préférence dérogatoire au droit
commun à des règles de nature à en empêcher l’usage trop facile ou même abusif.
C’est à la fois l’intérêt du débiteur qui le commande et celui des tiers : le débiteur
afin que son crédit ne soit pas irrémédiablement compromis et les tiers, créanciers
actuels et futurs ou acquéreurs, qui ont droit de connaître la situation hypothécaire
exacte du débiteur. Permettre qu’un créancier puisse détenir en permanence une
hypothèque susceptible de garantir l’exécution de toutes les dettes présentes et
futures d’un débiteur ne va pas dans le sens de ces intérêts légitimes. C’est
vraisemblablement la raison pour laquelle existe le principe de la spécialité de
l’hypothèque.
774
[Nos soulignements]
Ainsi, l’intérêt des débiteurs et l’égalité informationnelle des créanciers et des tiers sont
les principales assises théoriques justifiant la règle de la spécialité de la sûreté 775.
En ce qui a trait à la protection des intérêts du débiteur, la nature accessoire de la sûreté et
le principe de la spécialité permettent d’en limiter l’étendue dans le temps. Ainsi, c’est
774
775
J. AUGER, loc. cit., supra note 755, p. 470.
Pour une opinion contraire, lire : J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, nos 714-731, p. 254-260.

Page 304
278
toute la question touchant la fin ou l’extinction de la sûreté qui s’articule autour de ces
concepts. Le Code civil du Québec, à ses articles 2795-2802 C.c.Q., précise de façon
explicite les principales modalités d’extinction de l’hypothèque. Ainsi, mentionnons la
perte du bien grevé, son changement de nature, sa mise hors commerce ou son
expropriation, lorsque ces événements portent sur la totalité du bien, provoquent
l’extinction de l’hypothèque (art. 2795 C.c.Q.). Également, en vertu du principe de
l’accessoire articulé à l’article 2661 C.c.Q., l’hypothèque s’éteint par l’extinction de
l’obligation dont elle garantit l’exécution (art. 2797 C.c.Q.). On a vu précédemment que
certains tempéraments sont apportés à cette dernière règle, notamment dans le cas
d’ouvertures de crédit.
Le Titre 9 du UCC, la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières et le
Guide législatif sur les opérations garanties ne comportent aucune disposition traitant
directement de l’extinction de la sûreté. En droit américain, nous avons vu qu’il n’y a pas
de principe clairement articulé de l’accessoire (bien que le Security interest le confirme),
encore moins de notion de spécialité. On impose par contre une limite temporelle de cinq
ans à la validité de l’inscription d’une sûreté au registre, si les parties ne l’ont pas
autrement prévue à l’intérieur de ce cadre 776. Cela ne règle toutefois pas la question de
l’extinction de la sûreté proprement dite, bien qu’il existe une procédure visant à faire
radier l’inscription lorsque la dette est éteinte 777.
776
777
U.C.C. § 9-403(2)(3) (1995) et U.C.C. § 9-515 (2010) ; LTIRSM, supra note 10, art. 39.
U.C.C. § 9-404 (1995) et U.C.C. § 9-513 UCC (2010) ; Guide législatif sur les opérations
garanties
, supra note 45, « Chapitre IV. Le système de registre », pp. 37-38 (Recommandations
nos 72-75). Il n’y a pas d’équivalent dans la Loi type interaméricaine relative aux sûretés
mobilières
.

Page 305
279
Sans articuler de règles propres au caractère accessoire du régime, les sûretés peuvent
devenir autonomes et plomber le patrimoine du débiteur. Comment les autres créanciers
et les tiers peuvent-ils avoir l’assurance de leur rang ? Qu’advient-il du crédit du
débiteur ? Les caractères de l’accessoire et de la spécialité de la sûreté préviennent ce
genre de difficulté. La Loi type de la BERD contient une disposition qui prévoit tous les
cas d’extinction de la sûreté et, en ce sens, s’inspire davantage du droit civil 778.
Nous passons maintenant à l’examen des considérations sur la mise en œuvre des sûretés
mobilières.
B.
De quelques considérations sur la mise en œuvre des sûretés
mobilières
Après nous être attardés à l’étude des principales modalités des sûretés mobilières, nous
pouvons maintenant procéder à l’examen de leurs effets concrets. Ainsi, il s’agit de
considérer la vie même de la sûreté, de sa mise en œuvre jusqu’à son extinction. Pour ce
faire, nous analyserons les règles de priorités entre les créanciers [1], pour ensuite étudier
les principes directeurs en matière constitution et de publicité des droits [2]. Enfin, nous
terminerons ce troisième chapitre par l’examen des principes directeurs en matière de
réalisation et d’exécution des sûretés mobilières conventionnelles [3].
1.
L’ordre de priorités entre les créanciers : ordre de collocation
temporel et principales dérogations à ce principe
Nous verrons, dans un premier temps, que l’on pose généralement comme principe
l’ordre de collocation temporel entre les créanciers [1.1]. Nous étudierons par la suite la
principale dérogation à ce principe qu’est le Purchase Money Security Interest (le
778
Loi type de la BERD, supra note 51, art. 32.

Page 306
280
« PMSI ») [1.2]. Nous retracerons brièvement les autres exceptions au principe que sont
le gage [1.3], les droits et priorités du fisc [1.4] et, enfin, ceux découlant du droit de
l’insolvabilité [1.5].
1.1
le principe de l’ordre de collocation temporel
Le principe de l’ordre de collocation temporel est le principe cardinal du droit des sûretés
des systèmes occidentaux : l’ordre de priorité entre les créanciers d’un débiteur est
fonction de la date et de l’heure de la publicité de leurs sûretés, en ordre chronologique
décroissant. « Prior tempore, potior jure », « the first-in-time is the first-in-right », tels
sont les dictons résumant l’idée 779.
Force est cependant de constater que ce principe est réduit à l’état de peau de chagrin,
tellement les exceptions y sont nombreuses. C’est ce que soutiennent des juristes
respectés, tant en droit américain 780 qu’en droit québécois 781.
779
780
781
Voir : U.C.C. § 9-312(5)(a) (1995) et U.C.C. § 9-322(a)(1) (2010); C.c.Q., art. 2945; LTIRSM,
supra note 10, art. 48 ; Loi type de la BERD, LTIRSM, supra note 51, art. 17.2 ; Guide législatif
sur les opérations garanties
, LTIRSM, supra note 45, « Chapitre V. Priorité d’une sûreté réelle
mobilière », p. 48 (Recommandation 76).
Voir: J.J. WHITE, loc. cit., supra note 34, p. 540 : « When one summarizes the rights of the first to
file under current law, it is hard to see the principle that earns the King priority in certain
circumstances and subordinates the King in others. A skeptic might say that the priority rule in
Articles 2 and 9 are no more than a set of ad hoc rules that portray the power and interests of the
parties that influenced the drafting of Articles 2 and 9. Although there may be a kernel of truth to
that claim, I suspect that the complexities of and variation in the underlying transactions call for
varied rules and sometimes obscure the guiding principles. Even if there is a principle somewhere
in this dung heap, the hodge podge of current rules on priority should not satisfy us
». Pour un
survol de l’ensemble des règles de priorités en droit américain, voir : E.E. SMITH,
loc. cit., supra
note 319, p. 33-43.
Voir : P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, p. 345-366. Cet auteur parle, avec raison, du « leurre
de la collocation chronologique selon la date de l’inscription au registre des droits personnels et
réels mobiliers ». On en lira le texte pour connaître dans le détail les dérogations multiples au
principe de l’ordre du temps, en droit civil québécois.

Page 307
281
Le cadre de la présente étude ne nous permet pas de passer en revue toutes les exceptions
qui sont faites audit principe et de juger du bien-fondé de chaque cas. Toutefois, il
importe de comprendre les implications découlant du choix de le retenir et d’envisager de
façon générale les motifs pouvant servir de justifications aux dérogations. Pour ce faire,
nous analyserons le concept du Purchase Money Security Interest. D’une part, cette
notion n’existe pas comme telle dans la tradition civiliste. D’autre part, les auteurs
américains identifient ce concept comme étant la principale dérogation au principe de
l’ordre de collocation temporel. Enfin, les instruments internationaux d’harmonisation
font la place belle au Purchase Money Security Interest. Dans une perspective
d’harmonisation du droit, c’est donc la notion qui permet de faire le tour de toutes ces
questions et de traiter de façon indirecte des autres dérogations qui sont permises au
principe général de l’ordre temporel. En effet, sur le plan technique et conceptuel, le cas
du PMSI soulève les difficultés les plus intéressantes. Cette mise en contexte étant faite,
procédons à l’analyse de l’exception que constitue le PMSI au principe prior tempore,
potior jure.
1.2
d’une première exception : le Purchase Money Security
Interest
PMSI »)
Nous analyserons la principale dérogation à la règle de l’ordonnancement temporel des
priorités entre les créanciers. Ainsi, nous examinerons d’abord l’historique de la notion
de Purchase Money Security Interest telle qu’elle se développa sous l’impulsion des
tribunaux américains [1.2.1]. Nous cernerons ensuite la place et l’étendue de cette notion
aux termes du Titre 9 du UCC [1.2.2] et des instruments internationaux d’harmonisation
du droit [1.2.3]. Nous aborderons, en quatrième lieu, les diverses justifications proposées
à cette dérogation [1.2.4]. Nous comparerons ce mécanisme du droit américain avec les
Page 308
282
techniques utilisées en droit civil québécois, qui permettent l’atteinte d’objectifs
similaires [1.2.5].
1.2.1
le PMSI : historique et présentation de la notion
La notion de PMSI a des racines historiques profondes, antérieures à l’adoption du Titre 9
du UCC, dont les sources remontent à une certaine jurisprudence de la common law
américaine, élaborée à partir de la seconde moitié du XIXième siècle. Grant Gilmore nous
indique que l’articulation de ce concept, dans sa forme la plus primitive, remonterait
même à l’Angleterre du XVIIième siècle de Lord Coke 782.
Avant de s’attarder au concept du PMSI proprement dit, il faut savoir que les « railroad
mortgages » permettaient, au créancier bénéficiaire, de grever l’ensemble des biens du
débiteur, présents et à venir (i.e. after-acquired property) 783. C’est donc le choc de la
priorité conférée à un tel créancier sur les biens à venir d’un débiteur, avec celle que l’on
pourrait conférer à un créancier subséquent sur lesdits biens à venir, qui résume l’origine
et l’essence de la sûreté que deviendra par la suite le PMSI.
Ainsi, ce conflit s’est d’abord manifesté au sein de l’industrie ferroviaire américaine 784.
En 1871, la Cour suprême des États-Unis parvint à la conclusion qu’un privilège
conventionnel non publié, accordé en faveur du gouvernement américain sur certaines
pièces constituant le matériel ferroviaire roulant (i.e. rolling stock), c’est-à-dire des
782
783
784
Voir : G. GILMORE, op. cit., supra note 133, p. 745. Voir aussi: Grant GILMORE., « The
Purchase Money Priority », (1963) 76
Harv. L.Rev. 1333.
Voir : G. GILMORE, op. cit., supra note 133, p. 746 et 748.
Ibid., p. 746 : « The reason why our priority problem first appears in the railroad equipment
cases, and for a generation or more seemed to be exclusively a problem of railroad finance, is that
the railroad mortgage was the first important type of security transaction in which American
courts, and subsequently American legislatures, were induced, by the logic of circumstance, to
recognize such an interest in after-acquired property
».

Page 309
283
locomotives et des wagons, avait préséance sur des « mortgages » antérieurement
publiées et grevant l’ensemble des biens du débiteur, présents et à venir 785. Il est bon de
préciser que ce matériel roulant avait initialement été vendu par le gouvernement
américain au débiteur, la New Orleans and Ohio Railroad Company. Gilmore explique
l’attitude de la Cour suprême des États-Unis comme suit :
For present purposes it is enough to say that the majority (although by no means
universal) rule in nineteenth century American jurisprudence had come to be that the
mortgagee’s interest in after-acquired property was “merely equitable” – that is to
say, in modern terminology, unperfected – until the mortgagee, by some new act
(taking possession of the property of filing a supplemental mortgage with respect to
it), had caused his interest to “ripen” into a legal interest, had (as we should say)
perfected the interest. Under such state of law, the priority of the purchase-money
interest over the “merely equitable” or unperfected claim of the earlier mortgagee
went without saying. The question would not become one worthy of judicial
concern until after-acquired property interest had, in some context, flowered as a
legal or perfected interest.
786
Les clauses permettant au mortgagor de grever ses biens à venir devinrent graduellement
reconnues par les tribunaux et par les législatures des différents États américains, d’abord
pour les compagnies ferroviaires, les compagnies de téléphone et de télégraphe et autres
compagnies d’utilité publique 787.
Le PMSI continua de se développer dans les années qui suivirent cette décision. Le
bénéficiaire d’une telle sûreté devint indistinctement le vendeur des biens grevés ou celui
en ayant financé l’acquisition 788. On peut aisément concevoir que, d’une évolution
prétorienne tous azimuts de ce concept, plusieurs injustices seraient apparues à l’égard
785
786
787
788
United States c. New Orleans R.R., 79 U.S. (12 Wall.) 362, 364-365, 20 L. Ed. 434, 436 (1871),
telle que citée par G. GILMORE,
op. cit., supra note 133, p. 745.
G. GILMORE, op. cit., supra note 133, p. 746. On constate ici l’importance que revêt la
distinction entre le
legal title et le equitable title dans la tradition de common law. Un tel
raisonnement serait impensable en droit civil.
Ibid., p. 748.
Ibid., p. 749.

Page 310
284
des créanciers initiaux, titulaires de sûretés grevant les biens à venir du débiteur 789. C’est
ainsi que s’est naturellement policée l’évolution du concept, par l’apparition de limites à
son amplitude, imposées par la jurisprudence.
Parmi ces limites, notons ce que l’on désigne comme étant le « tracing requirement »,
c’est-à-dire que les biens acquis subséquemment à l’octroi d’un mortgage auxquels
prétendent avoir droit les créanciers bénéficiaires d’un purchase-money interest, doivent
être clairement identifiables et preuve du déboursé des sommes nécessaires à leur
acquisition par le créancier doit être faite.
De même, des limites ayant trait aux biens pouvant faire l’objet d’un PMSI furent tracées.
En ce qui concerne l’industrie ferroviaire, la Cour suprême des États-Unis avait établi un
critère, en vertu duquel la structure permanente des chemins de fers (« permanent
structure ») était généralement grevée au bénéfice des créanciers bénéficiaires de
mortgages, et le matériel ferroviaire roulant (« rolling stock »), pouvait faire l’objet d’un
purchase money interest. Cette dichotomie ne fut pas facilement transposable au
contexte des biens d’autres
types d’entreprises, par exemple de
l’industrie
manufacturière. Les équipements, les inventaires et les comptes recevables furent
particulièrement visés, non sans certaines difficultés, entre autres en raison de la doctrine
of fixtures (i.e. les immeubles par destination du droit civil) 790. On parvint à la
789
790
Ibid.
Ibid., p. 754 : « As to the equipment, indeed, it was frequently easy to say that no recognition of an
after-acquired property interest was technically involved : the equipment, on installation in the
factory, might well itself have become real property under the doctrine of fixtures and would thus,
as “accessions”, come automatically under the lien of the mortgage ». Cette théorie se compare à
la notion de l’immeuble par destination du droit civil. On notera que le législateur québécois, lors
de la récente réforme du Code civil, en a modifié l’étendue, à l’article 903 C.c.Q. Désormais, «
les
meubles utilisés comme machinerie ou outillage dans une entreprise, même lorsqu’ils sont
attachés à un immeuble, ne pourront plus être immobilisés. Le législateur explique cette

Page 311
285
conclusion que ces biens pouvaient néanmoins faire l’objet de purchase money interests,
même s’ils venaient qu’à faire partie de la « structure permanente » d’une usine 791.
En terminant, il est important de mentionner que les conflits potentiels entre créanciers
titulaires de mortgages grevant les biens à venir du débiteur et ceux titulaires d’un
purchase money interest ne furent pas légion. En effet, il semblerait, toujours d’après
Gilmore, que les premiers finançaient les dettes à long-terme des entreprises, laissant aux
seconds le soin de financer leurs dettes à court terme. Or, les créanciers titulaires de
mortgages ne produisirent pas de réclamations à l’égard des biens à venir en dehors de
l’équipement, laissant aux créanciers titulaires de PMSI le champ libre pour les
inventaires et les comptes à recevoir 792.
Examinons maintenant de quelle manière cette notion fut codifiée par les rédacteurs du
Titre 9 du UCC.
1.2.2
la place du PMSI dans le Titre 9 du UCC
On a codifié, pour l’essentiel, les critères qui avaient été élaborés par la jurisprudence
antérieure. La version antérieure du Titre 9 donnait une définition du PMSI 793. De cette
définition, l’on retient que le PMSI est un security interest grevant un bien en faveur du
vendeur ou d’une autre personne en ayant financé l’acquisition. Cette définition ne
modification apportée au droit par la perte d’utilité de la catégorie depuis l’introduction de
l’hypothèque mobilière. Auparavant, l’immobilisation fictive permettait justement d’étendre
l’application de l’hypothèque à l’ensemble des biens d’une entreprise, y compris aux meubles
»
[références omises]. Voir : S. NORMAND,
op. cit., supra note 300, p. 57-58.
791
792
793
Voir G. GILMORE, op. cit., supra note 133, p. 754 et suiv.
Ibid., p. 778-779.
U.C.C. § 9-107 (1995). La version révisée de l’an 2000 ne pose plus vraiment de définition et
prévoit plutôt, de manière plus complexe, la portée d’un PMSI selon les diverses catégories de
biens. Voir : U.C.C. § 9-103 (2010) Des auteurs américains déplorent le caractère illisible de cette
nouvelle disposition. Voir : L.M. LoPUCKI et E. WARREN,
op. cit., supra note 78, p. 334.

Page 312
286
présente pas de limite quant aux catégories de biens pouvant faire l’objet d’un PMSI, bien
que traditionnellement, l’on ait limité l’application de cette sûreté aux « goods » 794. En
revanche, la version révisée du Titre 9 du UCC ne propose plus de définition du PMSI,
mais restreint de façon explicite l’application de cette notion aux seuls « goods », c’est-à-
dire les biens de consommation, l’inventaire, les produits de la ferme et l’équipement. De
plus, le PMSI pourra désormais grever tout logiciel dont l’utilisation est reliée aux
catégories de biens susmentionnées 795.
Bien sûr, dans les deux cas, le créancier titulaire d’un PMSI se voit conférer une priorité
de rang face à tout autre créancier détenteur d’une sûreté grevant les mêmes biens qui
aurait été publiée antérieurement, à condition d’avoir respecté les conditions prescrites à
la validité et à l’opposabilité du PMSI. En ce qui a trait au PMSI grevant l’inventaire et
les produits de la ferme vivants ou à naître (« livestock that are farm products »), le
créancier doit publier sa sûreté avant que le débiteur n’entre en possession des biens, ainsi
qu’envoyer un avis aux autres créanciers inscrits au registre qui sont titulaires de sûretés
grevant des inventaires de même nature, de son intention de se voir conférer un PMSI
dans ces dits biens lorsque le débiteur en aura la possession 796. Pour l’équipement, le
créancier dispose d’un délai, soit de 10 jours 797, soit de 20 jours 798 de la réception des
biens par le débiteur pour publier sa sûreté au registre.
794
795
796
797
798
G. GILMORE, op. cit., supra note 133, p. 780. Gilmore évoque la possibilité théorique que le
PMSI, aux termes du Titre 9 du UCC, puisse grever indistinctement tout type de biens, incluant les
«
intangibles », c’est-à-dire les biens incorporels du droit civil.
U.C.C. § 9-103 (2010).
U.C.C. § 9-324(b), (c), (d) (2010).
U.C.C. § 9-312(4) (1995).
U.C.C. § 9-324(a) (2010).

Page 313
287
Enfin, au chapitre des nouveautés, la version révisée du Titre 9 du UCC prévoit une règle
de conflit, lorsque le vendeur des biens faisant l’objet d’un PMSI et un autre créancier se
prétendent tous deux titulaire d’un PMSI sur les même biens. Cette règle tranche la
question de la priorité de rang en faveur du vendeur 799.
En aucun cas, le « tracing requirement » évoqué plus tôt, n’est mentionné. Les
commentaires officiels de la version révisée du Titre 9 du UCC indiquent toutefois que
« [t]he concept of [PMSI] requires a close nexus between the acquisition of collateral
and the secured obligation. Thus, a security interest does not qualify as a [PMSI] if a
debtor acquires property on unsecured credit and subsequently creates the security
interest to secure the purchase price » 800.
Voyons maintenant ce que les instruments internationaux de l’harmonisation du droit
proposent eu égard à la notion de PMSI.
1.2.3
le PMSI et
d’harmonisation du droit
les
instruments
internationaux
La Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières prévoit des règles semblables
au droit américain 801. Le Guide législatif sur les sûretés mobilières, bien que privilégiant
l’approche fonctionnelle, propose deux variantes du principe de la garantie de paiement
du prix d’acquisition. La première consiste essentiellement à reproduire le modèle
américain du PMSI; la seconde à réglementer les sûretés-propriété que sont la réserve de
799
800
801
U.C.C. § 9-324(g)(1) (2010).
Uniform Commercial Code – Official Text – 2000, Official Comment, supra note 318, U.C.C. § 9-
103 (2000), p. 1608.
LTIRSM, supra note 10, art. 3, al. IX, 12, 40 et 51.

Page 314
288
propriété et le crédit-bail dans le but d’arriver à des fins analogues 802. La Loi type de la
BERD fait bande à part en proscrivant ce type de sûreté, au moyen d’un mécanisme
similaire à la présomption d’hypothèque, qui interdit la réserve de propriété et la convertit
en sûreté 803.
Si les solutions proposées ne sont pas identiques, d’aucuns ne considèrent que ceux qui
financent l’acquisition de biens nécessaire au fonctionnement d’une entreprise méritent
une certaine protection.
1.2.4
les assises théoriques du PMSI
Grant Gilmore ne semble pas proposer de justification au soutien de l’inclusion du PMSI
au Titre 9 du UCC, en dehors des considérations historiques qu’il expose en retraçant les
origines pratiques de la notion, d’abord identifiées par la jurisprudence. Il est toutefois
bien conscient des limites qui doivent en cerner l’étendue. Cependant, le bien-fondé
même du PMSI ne lui pose aucun doute. Cela semble aller de soit.
L’analyse économique du droit viendra par la suite avancer ses vues sur le sujet. On tenta
d’expliquer le PMSI en ce que la priorité conférée au créancier de premier rang est
susceptible de présenter un coût de transaction néfaste pour les créanciers subséquents 804.
Partant, cela nuirait au débiteur dans ses chances, ultérieures au premier financement,
802
803
804
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre IX. Financement
d’acquisitions ».
Loi type de la BERD, supra note 51, art. 9.
Rappelons qu’en droit américain, il est loisible au débiteur de conférer une sûreté dont l’assiette
soit l’universalité de ses biens, présents et à venir, qui servira à garantir l’universalité de ses
obligations présentes et futures. Ces craintes d’un créancier de premier rang omnipotent seraient
sans doute moins élevées et moins fondées, si le Titre 9 du UCC en limitait la portée aux seules
obligations présentes et futures identifiées. L’adoption du caractère de l’accessoire, du principe de
l’indivisibilité et de la notion de la spécialité de la sûreté prennent une nouvelle dimension dans ce
contexte. Voir notre discussion à ce sujet,
supra, Partie I, sous-section III. A. 2.2.

Page 315
289
d’obtenir éventuellement crédit d’une autre source pour de nouveaux besoins, dans
l’hypothèse où le premier créancier refuse de l’accommoder à ce chapitre. En effet, le
créancier de second rang demandera un taux d’intérêt plus élevé et ses coûts de
surveillance et de contrôle du comportement du débiteur seront plus élevés, en raison
d’une possibilité de collusion entre le débiteur et le créancier de premier rang, dont il
pourrait faire les frais. De même, chaque créancier peut présenter des compétences
particulières dans le contrôle qu’il est en mesure d’effectuer du comportement du
débiteur, les compétences de chacun pouvant s’avérer cumulatives et non pas exclusives
ou antagonistes 805.
On a aussi prétendu que le créancier titulaire d’un PMSI jouirait d’un avantage
informationnel comparativement au créancier de premier rang, en regard des besoins
économiques du débiteur 806. D’autre part, ces créanciers subséquents jouiraient d’un tel
avantage lorsque la priorité qui leur est conférée est limitée à un projet particulier ainsi
qu’à des biens spécifiques 807.
Ainsi, la mécanique du crédit, aux termes du Titre 9 du UCC, reposerait sur une
« réification » des sûretés consenties aux divers créanciers d’un débiteur, qui ferait en
sorte que les créanciers disposent de sûretés grevant des biens distincts et identifiables les
805
806
807
R.E. SCOTT, loc. cit., supra note 31, p. 1797.
H. KANDA et S. LEVMORE, loc. cit., supra note 139, p. 2118 : « We have described early
lenders as concerned with risk alteration and later lenders as enjoying informational advantages
about the debtor’s likely inclination toward risk and sometimes about the debtor’s prospective
investments. These factors alone suggest that the ideal priority system must balance first-in-time
and late-in-time priorities
». Contra : T.H. JACKSON et A.T. KRONMAN, loc. cit., supra note
32, p. 1176-1178, en ce qui a trait aux présumés avantages informationnels dont jouiraient les
créanciers titulaires de PMSI.
H. KANDA et S. LEVMORE, loc. cit., supra note 139, p. 2116 : « In short, late lenders are likely
to be better decision makers if given priority (only) with respect to the project or asset they decide
to finance late in time
».

Page 316
290
uns des autres 808. Chaque créancier serait théoriquement responsable de la surveillance
et du contrôle du comportement du débiteur relativement à des catégories identifiées et
mutuellement exclusives de biens 809. Pour cela, la création d’un PMSI est souhaitable,
en ce que les créanciers qui financent l’acquisition de certains biens, dont l’équipement,
sont spécialisés.
Enfin, la nécessité de limiter la création d’un PMSI à certaines catégories de biens et
d’exiger que ces biens soient identifiables pour conférer une validité à cette sûreté
reposerait sur un motif d’ordre économique : c’est le système même des priorités
temporelles qui serait remis en cause par l’absence d’une telle exigence et, partant, tout
l’édifice du crédit garanti qui s’écroulerait, le titulaire d’une sûreté de premier rang ne
voyant plus d’avantage à se faire conférer une sûreté, son premier rang devenant
purement hypothétique 810.
De plus, le PMSI, lorsque limité aux biens d’inventaires et aux équipements, ne porterait
pas préjudice aux intérêts du créancier initial, cette sûreté étant dès lors bien délimitée.
En raison de la nature des biens grevés, la valeur du prêt faisant l’objet du PMSI sera
808
809
810
Le système du Titre 9 du UCC est un système « réifié », bien qu’il soit possible de créer une sûreté
grevant l’ensemble des biens présents et futurs du débiteur, visant à garantir toute dette future, à
partir d’une seule et unique inscription au système de publicité approprié. Voir : H. KANDA et
S. LEVMORE,
loc. cit., supra note 139, p. 2124-2125 : « Article 9 itself can be understood as
leaning toward a debtor-based regime for the first-in-time lender and an asset-based regime for
late-in-time (non-risk altering) favorites. An early lender can create a security interest in virtually
all of the debtor’s assets by specifying and filing appropriately for all categories of collateral.
This security interest can cover future advances and extend to after-acquired property. This
arrangement, although nominally asset based, comes close to the fractional debtor-based scheme
favorised by Alan Schwartz, namely, automatic priority (that is, with no notice requirement) for
the first substantial financer
». Voir aussi R.E. SCOTT, loc. cit., supra note 31, p. 1796.
Cette idée a beaucoup à voir, croyons-nous, avec la conception éclatée du droit des biens, qui
règne tant en Common law traditionnelle qu’en vertu des classifications de biens en plusieurs
catégories aux termes du Titre 9 du UCC. Voir notre discussion à ce sujet,
supra, Partie I, sous-
section III. A. 2.1.2.
T.H. JACKSON et A.T. KRONMAN, loc. cit., supra note 32, p. 1176-1178.

Page 317
291
rarement inférieure à celle desdits biens. Au demeurant, le PMSI ne servirait pas à
financer des projets présentant des risques élevés, que le créancier initial risquerait de ne
pas approuver. Ce n’est généralement que la continuation d’une entreprise déjà
commencée. La valeur des biens faisant l’objet d’un PMSI représenterait généralement
une portion infime de la valeur de l’ensemble des biens du débiteur et de sa dette
totale 811. Pareille limitation viserait par ailleurs à décourager le surendettement du
débiteur 812.
Suivant ces préceptes, on a critiqué, lors de la réforme, certaines modifications proposées
au Titre 9 du UCC en regard de l’élargissement de la portée du concept du PMSI (mais
qui ne furent pas adoptées). Plus on en élargit les limites, moins il s’avère possible de
justifier cette exception au principe de l’ordre du temps. Il risque en effet de se créer un
système parallèle privé de divulgation, en raison de la perte de crédibilité associé au
système public de publicité des droits. Cet élargissement du PMSI serait largement
tributaire du lobbying exercé par les associations de créanciers intéressées à se prévaloir
de ce mécanisme 813.
Pour ces raisons, on a proposé sans détour l’abrogation du PMSI 814. Il semble toutefois
improbable que cette sûreté disparaisse dans un avenir prochain, notamment en raison
d’un attachement désormais historique à son endroit 815 et des pressions politiques
811
812
813
814
815
A. SCHWARTZ, loc. cit., supra note 30, p. 222, 242-243, 253.
H. KANDA et S. LEVMORE, loc. cit., supra note 139, p. 2116.
R.E. SCOTT, loc. cit., supra note 31, p. 1832.
J.J. WHITE, loc. cit., supra note 34, p. 545-548, 560-563.
A. SCHWARTZ, loc. cit., supra note 30, p. 241.

Page 318
292
exercées par les lobbyistes. Pour d’autres, le PMSI ne pose pas une menace aussi criante
au crédit garanti et il ne faudrait pas en faire tout un plat 816.
Nous allons maintenant brosser un tableau comparatif des mécanismes existant en droit
civil québécois, qui poursuivent des objectifs similaires.
1.2.5
comparaisons entre le PMSI et les mécanismes
mis en place par le
Code civil du Québec visant
l’atteinte d’objectifs analogues
Civil law countries generally do not offer special priority for
purchase-money lenders. There is a limited vendor’s lien, but
this priority may be better appreciated as part of a contractual
regime that uses specific performance (and hence repossession
rather than a suit for damages after a buyer’s breach) as its
centerpiece.
817
The easiest way to do this is to recognize arrangements that call
for the retention of title by the lender. It is therefore arguable
that civil law countries are in fact more sympathetic to private
agreements to give priority to later lenders.
818
Hideki KANDA et Saul LEVMORE
Le concept du PMSI n’existe pas nommément en droit civil. Nous étudierons les
principaux mécanismes édictés par le législateur visant l’atteinte d’objectifs analogues.
Nous verrons, dans un premier temps, qu’une sûreté légale est établie en faveur du
vendeur impayé d’un bien meuble à une « personne physique qui n’exploite pas une
entreprise » [a]. En second lieu, le vendeur d’un bien meuble peut jouir, à certaines
conditions, d’une hypothèque visant à garantir le paiement du prix de vente, laquelle
bénéficie d’une antériorité de rang du seul fait de son inscription [b]. Nous verrons que le
mécanisme de l’inscription « globale » de réserves de propriété (et d’autres sûretés-
816
817
818
L.M. LoPUCKI et E. WARREN, op. cit., supra note 78, p. 470-471.
H. KANDA et S. LEVMORE, loc. cit., supra note 139, p. 2140 (note 88).
Ibid., note 89.

Page 319
293
propriété) faisant l’objet d’une entente cadre remplit une fonction de sûreté analogue à
celle du PMSI [c]. Enfin, nous envisagerons une solution alternative à celle adoptée par
le législateur québécois [d].
a)
priorité du vendeur impayé
L’article 2651 C.c.Q., 2e alinéa, confère une priorité au vendeur impayé pour le prix du
meuble vendu à un particulier. Cette priorité est une sûreté occulte, en ce qu’aucune
formalité de publicité ne lui est associée 819. Puisque aucune priorité ne peut être
invoquée par le vendeur d’un bien meuble à une personne morale ou à une personne
physique exploitant une entreprise 820, cette notion est nécessairement plus limitée que
celle du PMSI. Le vendeur peut toutefois bénéficier d’une hypothèque garantissant le
paiement du prix de vente, jouissant d’une antériorité de rang du seul fait de son
inscription.
b)
hypothèque du vendeur en garantie du
prix de vente
L’article 2954 C.c.Q. confère à l’hypothèque du vendeur d’un bien meuble une antériorité
de rang sur toute hypothèque antérieurement publiée et grevant les biens meubles
présents et à venir du débiteur, à condition que cette hypothèque soit créée dans l’acte de
vente et publiée dans les quinze jours de la vente. Les Commentaires du ministre de la
Justice figurant sous cette disposition nous indiquent qu’une fois ce délai expiré,
« l’hypothèque du vendeur prend rang suivant les règles applicables à toute autre
819
820
P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, no 2.14, p. 81.
Ibid., no 2.21, p. 89.

Page 320
294
hypothèque » 821, c’est-à-dire selon l’ordre du temps. L. Payette suggère que cette règle
s’inspire de la notion de PMSI, bien que techniquement, elle se montre plus restrictive.
En outre, « il semble bien que l’article ne laisse pas place à la création d’une hypothèque
sur biens présents et futurs à être acquis dans le cadre d’une entente cadre entre un
vendeur et un acquéreur » 822. Les Commentaires du ministre de la Justice, de leur côté,
ne font aucune référence à un tel emprunt législatif à la notion de PMSI par le législateur
québécois, en ce qui a trait à l’édiction de l’article 2954 C.c.Q. On y indique plutôt qu’il
s’agit d’une transposition d’une règle applicable aux hypothèques immobilières (art. 2948
C.c.Q.). Qu’importe l’origine de la source, l’on peut aisément conclure que cette
disposition est beaucoup plus limitée, techniquement, que ne l’est le PMSI, dont elle ne
serait qu’un pâle reflet, étant donné l’impossibilité de publier effectivement une entente
cadre. L’inscription globale de réserves de propriété viendrait remédier à ce problème.
c)
inscription globale de
propriété et d’autres sûretés-propriété
réserves de
On pourrait donc croire, en se fiant aux seules dispositions traitant de la priorité et de
l’hypothèque du vendeur, que le législateur québécois est plus scrupuleux que les
législateurs des provinces canadiennes-anglaises ou des différents États américains, dans
le respect qu’il porte à la règle de l’ordre du temps. Or, il n’en est rien.
L’article 2961.1 C.c.Q. permet l’« inscription globale » de réserves de propriété, de
facultés de rachat, de crédits-baux et de baux à long terme (c’est-à-dire de plus d’un an),
821
822
QUÉBEC, MINISTRE DE LA JUSTICE, Commentaires du ministre de la justice, t. 2, Québec,
Publications du Québec, 1993, p. 1858.
L. PAYETTE, op. cit., supra note 123, no 623, p. 199. Voir aussi : Aline GRENON, « Major
Differences Between PPSA Legislation and Security over Movables in Quebec under the New
Civil Code », (1996) 26
Can. Bus. L.J. 391, 400-402.

Page 321
295
ainsi que leur cession, portant sur une universalité de biens meubles de même nature,
prévue dans une entente cadre intervenue à cet effet entre deux parties. Il peut donc
s’agir de plusieurs transactions successives portant sur des biens de même nature. On
notera qu’une seule inscription suffit, même s’il y a conclusion de plusieurs transactions à
répétition.
Les parallèles entre cette disposition et la notion de PMSI sont évidents et furent déjà
relevés par la doctrine 823. On a suggéré que cette version civiliste du PMSI possède des
contours beaucoup plus vagues et imprécis que le PMSI proprement dit, laissant une large
place à l’interprétation et, partant, à l’incertitude. Dans le cadre du présent texte, nous
limiterons notre analyse au cas de la vente à tempérament, en indiquant les parallèles à
établir avec le crédit-bail et le bail à long terme, car le Code civil lui-même distingue ces
mécanismes à plusieurs égards, la principale distinction assujettissant l’exercice des
recours du vendeur à tempérament aux droits hypothécaires, alors que ceux du crédit-
bailleur et du locateur ne le sont pas 824.
823
824
Sterling H. DIETZE, « Recents Developments in Secured Financing by Way of Instalment Sale,
Leasing and Lease », (1999) 59
R. du B. 1, 30-32.
Le législateur n’a pas eu la main heureuse, par ailleurs, dans le choix des termes décrivant les
droits du vendeur, du crédit-bailleur ou du locateur, surtout en matière de publicité. Ainsi, pour la
vente à tempérament, c’est la « réserve de propriété » qui doit être publiée pour être opposable aux
tiers (C.c.Q., art. 1745) ; dans le cas du crédit-bail, ce sont les « droits de propriété » du crédit-
bailleur (C.c.Q., art. 1847) ; enfin, dans le cas du locateur, ce sont les « droits résultants du bail »
(C.c.Q., art. 1852). De plus, les conséquences de la non publication à l’intérieur du délai de grâce
de quinze jours ne sont pas précisées de la même manière pour chacun de ces régimes, quand ils le
sont. Une controverse jurisprudentielle fit rage, dans un contexte de faillite, pour déterminer l’effet
de la non publication ou d’une publication tardive, eu égard aux tiers et au syndic de faillite.
Initialement considéré comme un délai de rigueur et de déchéance de droit par la jurisprudence
majoritaire, la Cour suprême mit fin au débat, en statuant que le droit de propriété est reconnu aux
termes du Code civil ; partant, c’est ce droit qui est opposable aux tiers et au syndic de faillite qui,
dans ce cas, n’est pas un tiers, mais succède au failli. Le registre des droits personnels et réels
mobiliers n’est pas un registre de titres, alors cette notification n’est pas prépondérante. Notons
toutefois que, pour la vente à tempérament, depuis la modification à la définition du terme
« créancier garanti » de la
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, en 2001, le vendeur est traité comme

Page 322
296
La doctrine n’a pas manqué de souligner que ce mécanisme présente toutes les
caractéristiques d’une sûreté réelle mobilière. Sa « seule raison d’être [est] d’assurer le
paiement du prix » 825. Paradoxalement, la vente à tempérament deviendrait, ipso facto,
aux termes des articles 1745 et 2961.1 C.c.Q., un droit réel accessoire 826, puisque la
réserve de propriété s’éteint après parfait paiement du prix de la vente.
Il n’y a pas de formalisme de constitution. Aucun écrit n’est exigé 827. Dans le cas de la
vente à tempérament, à l’inverse de l’hypothèque mobilière sans dépossession, toute
personne peut en devenir partie à titre de vendeur ou d’acheteur 828, même une personne
physique qui n’exploite pas une entreprise, dans les limites permises quant aux catégories
de biens pouvant être grevées, ce qui suscita l’étonnement, compte tenu des restrictions
initialement posées par l’article 2683 C.c.Q. relativement à la constitution par un
particulier d’une hypothèque mobilière sans dépossession 829. D’autre part, les articles
1745 et 2961.1 C.c.Q. se limitent initialement aux seuls vendeurs de biens. Les autres
prêteurs, des institutions financières par exemple, ne pourront s’en prévaloir qu’à titre de
un créancier hypothécaire (ou garanti) et non pas comme un propriétaire. Voir notre discussion,
supra, Partie I, sous-section II. B. 2.2, concernant l’approche du Code civil du Québec aux
priorités, hypothèques et sûretés-propriété. Voir, pour un historique du débat : François BROCHU,
« La crise d’adolescence du RDPRM », (2002) 104
R. du N. 323; Pierre DUCHAINE, « Le
locateur à long terme d’un bien meuble doit-il publier le bail afin que son titre de propriété soit
opposable aux tiers ? », (2002) 104
R. du N. 529; Louis PAYETTE, « La location à long terme de
matériels d’équipement et de véhicules routiers », (2002) 62
R. du B. 1. Voir enfin les décisions
citées,
supra, note 258.
L. PAYETTE, op. cit., supra note 386, no 2032, p. 885.
Ibid., no 2035, p. 887.
Ibid., no 2041 (note 2761), p. 891.
C.c.Q., art. 1745. Dans le cas du crédit-bail, il ne peut être consenti qu’à des fins d’entreprise, mais
cela n’exclut pas la personne physique qui en exploite une. C.c.Q., art. 1842. Enfin, le bail à long
terme (i.e. de plus d’un an) portant sur un véhicule routier ou pour le service ou l’exploitation
d’une entreprise est soumis à la publication, mais la personne physique n’en est pas exclue non
plus. C.c.Q., art. 1852.
825
826
827
828
829
L. PAYETTE, op. cit., supra note 386, no 2048, p. 894-895.

Page 323
297
cessionnaires de droits du vendeur et toute telle cession devra être publiée aux termes du
2e alinéa de l’article 1745 C.c.Q. Cet obstacle est facilement contourné. Ainsi, le
vendeur ou tout financier ayant prêté les fonds nécessaires à l’acquisition du bien,
pourront bénéficier de cette sûreté. Il n’est pas nécessaire, par ailleurs, de mentionner au
Registre des droits personnels et réels mobiliers, le montant affecté aux biens grevés aux
termes de ladite vente, contrairement au principe de la spécialité de l’hypothèque énoncé
en partie à l’article 2689 C.c.Q. Il en est de même pour les crédits-baux et baux à long
terme.
En vertu de l’article 1745 C.c.Q., il n’y a pas de limite quant aux biens pouvant en faire
l’objet. Outre les véhicules routiers et les autres biens meubles déterminés par règlement,
on retrouve à cette disposition la présence d’une catégorie de biens résiduaire, à savoir les
biens meubles « acquis pour le service ou l’exploitation d’une entreprise ». Cela peut
s’avérer très large 830. L’article 2961.1 C.c.Q. permet de créer une sûreté grevant ce que
l’on peut tenter d’assimiler à une universalité de biens présents et futurs, dont le vendeur
se réserve la propriété aux termes d’un seul contrat cadre couvrant l’ensemble des ventes
à tempérament qui interviendront successivement entre deux parties 831. La même
logique s’applique mutatis mutandis aux crédits-baux et baux à long terme. On note
cependant une incertitude quant à la possibilité de grever effectivement l’universalité des
biens futurs se transigeant à l’intérieur des paramètres d’un contrat cadre constitutif 832.
La réserve de propriété ainsi publiée n’est pas opposable aux tiers qui acquièrent l’un des
830
831
832
S.H. DIETZE, loc. cit., supra note 823, p. 29. Il existe en effet un débat, en droit québécois,
consistant à savoir si le concept des biens vendus dans le cours des activités de l’entreprise couvre
non seulement les inventaires, mais également les équipements.
L. PAYETTE, op. cit., supra note 386, nos 2029, 2036-2044, p. 882, 888-893.
Ibid., no 2047, p. 894.

Page 324
298
biens qui en fait l’objet dans le cours des activités de l’entreprise de son « vendeur » 833.
Troncature naturelle portée au droit de suite que connaît l’hypothèque, qui ne
transposerait cependant pas la notion de « report » de la réserve de propriété sur le
produit de la vente 834. Enfin, en cas de défaut de l’acheteur, le vendeur, aux termes
d’une vente à tempérament, doit exercer ses recours de la manière prévue en matière
hypothécaire, ce qui n’est pas sans poser certaines difficultés pratiques et
conceptuelles 835. Le crédit-bailleur et le locateur ne sont pas tenus de suivre les
prescriptions du régime hypothécaire dans l’exercice de leurs droits et recours.
Il n’y a pas de mécanisme de notification préalable à la constitution de cette sûreté,
servant à aviser les créanciers de rangs antérieurs, contrairement à ce qui prévaut dans le
cas du PMSI pour les biens d’inventaire, en droit américain 836. À l’inverse du Titre 9 du
UCC, le Code civil ne formule aucune exigence à l’effet que le débiteur (dans notre cas,
l’acheteur, le crédit-preneur ou le locataire) doive entrer en possession des biens, pour les
biens autres que ceux d’inventaire, à l’intérieur d’un certain délai après la publication de
la réserve de propriété, des droits de propriété du crédit-bailleur ou des droits résultant du
bail à long terme. Les articles 1745, 1847 et 1852 C.c.Q. réfèrent seulement à un délai de
publication « dans les quinze jours » de la vente, du crédit-bail ou du bail. Enfin, pour
compléter le tableau, la vente à tempérament ne couvrirait pas tout le champ des réserves
de propriété. On soutient qu’il serait par conséquent possible de créer certaines réserves
de propriété à des fins de sûretés qui ne seraient pas soumises aux exigences de publicité
833
834
835
836
Ibid., nos 2084, 2116-2117, p. 914-915, 930-931.
Ibid., no 2116, p. 930.
Ibid., nos 2101-2112, p. 923-927.
S.H. DIETZE, loc. cit., supra note 823, p. 31.

Page 325
299
du régime des ventes à tempérament 837. Notons cependant qu’en pratique, ces craintes
ne se sont pas avérées.
On constate donc que ces dispositions législatives permettant l’inscription globale de
réserves de propriété ne pèchent pas par excès de cohérence. Nous allons procéder à leur
analyse critique.
d)
critique des solutions mises en place par
le
législateur québécois et solution
alternative
On aura tôt fait de remarquer que l’effet combiné des articles 1745 et 2961.1 C.c.Q. est
de conférer une super-priorité au créancier vendeur, au mépris du principe de l’ordre du
temps 838. On peut critiquer l’apparition de ce mécanisme de l’inscription globale de
réserves de propriété sous deux angles principaux. D’abord, sous l’angle économique [i];
ensuite, du point de vue technique et conceptuel [ii]. Cette dernière analyse nous
amènera à identifier une solution alternative [iii].
i)
critique économique
On peut s’interroger sur les effets de ce mécanisme du droit civil québécois qu’est
l’inscription globale des réserves de propriété.
La crainte affichée d’un créancier de premier rang tout-puissant, bloquant l’accès du
débiteur à de nouvelles sources de financement, existe aussi en droit civil. La règle de la
spécialité de l’hypothèque y apporterait cependant un léger tempérament. On pourrait
soutenir que l’adoption rigide du principe de l’ordre du temps, ne souffrant pas
837
838
Ibid., p. 9-10 et 20. On se demande, dans ce cas, quelle serait l’utilité de l’article 1801 C.c.Q., si
cette interprétation était la bonne.
Ibid., p. 30.

Page 326
300
d’exception, soit la meilleure solution 839. Cependant, s’il faut accorder une priorité de
rang à des créanciers subséquents, en raison d’un mode particulier de financement et des
exigences qui y sont rattachées, autant le faire à l’intérieur de balises bien fixées. La
réglementation posée par le Code civil du Québec n’est pas aussi claire que celle du droit
américain. Dans cette optique, on pourrait délimiter les catégories de biens pouvant en
faire l’objet. D’autre part, il faudrait prévoir un mécanisme de notification aux créanciers
de rang antérieur détenant des sûretés de premier rang sur les biens que l’on se propose
de grever. On sait que l’objectif d’une telle notification est de permettre au créancier de
premier rang d’être informé avant la constitution effective d’une telle super-priorité, donc
avant qu’elle ne lui soit opposable. Cela lui permet, le cas échéant, d’exercer ses recours
contre le débiteur ou de cesser d’en assurer le financement, dans la mesure où cela
contreviendrait à une clause restrictive aux termes de la convention de prêt hypothécaire
de premier rang. Cela peut contribuer à éviter le surendettement du débiteur et à
préserver le gage commun des créanciers, dont le gage particulier du créancier de premier
rang.
D’un point de vue technique et conceptuel, l’inscription globale de réserves de propriété
soulève plusieurs difficultés.
ii)
critique technique et conceptuelle
Au strict point de vue technique, nous avons vu les problématiques que soulève le
mécanisme de l’inscription globale de réserves de propriété successives, aux termes
d’une convention cadre. Problématique de droit de suite, de report de la sûreté sur le
produit de la vente du bien grevé aliéné dans le cours des activités de l’entreprise du
839
Voir, en ce sens, J.J. WHITE, loc. cit., supra note 34.

Page 327
301
« vendeur ». Absence de formalités de constitution, absence de règle de spécialité.
Grande permissivité quant à la possibilité pour une personne physique de consentir une
telle sûreté, contrairement au régime hypothécaire qui se montre, en principe, plus rigide
à son endroit 840. Absence d’uniformité et d’exhaustivité des règles en matière de
publicité. Difficile arrimage avec les recours hypothécaires auxquels les réserves de
propriété sont désormais assujetties, contrairement aux crédits-baux et baux.
D’un point de vue conceptuel, l’étude de ce cas de figure dépasse la seule question de
l’ordonnancement des priorités entre les créanciers. C’est toute la problématique que
pose la manipulation du droit de propriété utilisé à des fins de sûretés et de sa
réglementation qui est ainsi soulevée, dans un contexte de droit civil 841.
En effet, on peut certes se réjouir de la nécessité de publier les droits résultants des
sûretés-propriété. Cependant, la conséquence directe et immédiate de la réglementation
partielle du droit de propriété à des fins de sûretés est l’apparition de plusieurs régimes de
sûretés fonctionnant en parallèle au régime hypothécaire. On a craint que l’on puisse
remettre en cause l’utilité de l’institution même de l’hypothèque, dont les formalités
étaient, jusqu’à récemment, plus contraignantes 842. On a en effet soutenu que les
créanciers, pouvant alors se prévaloir de propriété-sûretés réglementées, seraient
840
841
842
Ce qui n’est pratiquement plus le cas aujourd’hui, suite à l’adoption de l’article 2684.1 C.c.Q.
On a résumé les diverses techniques existant pour assurer la réglementation, en droit civil, des
mécanismes de propriété à des fins de sûreté, dans M.G. BRIDGE
et al., loc. cit., supra note 24,
p. 654-656.
P. Ciotola a en effet signalé ce danger, notamment quant à l’utilisation de l’aliénation fiduciaire à
des fins de sûreté. Voir : P. CIOTOLA,
op. cit., supra note 124, no 3.69, p. 279. M. Deschamps
illustre fort éloquemment cette proposition, lorsqu’il compare le mécanisme de la fiducie à celui
de l’hypothèque. Voir : M. DESCHAMPS,
loc. cit., supra note 386, p. 139-144.

Page 328
302
certainement tentés d’utiliser davantage ces mécanismes au détriment de l’hypothèque.
Observons toutefois qu’en pratique, ce ne fut pas le cas, du moins pour les entreprises.
Kanda et Levmore ont cependant raison de soutenir que les pays de tradition civiliste sont
plus sympathiques à l’établissement d’une super-priorité en faveur de prêteurs
subséquents par la voie des propriété-sûretés 843. Quoi qu’il en soit, dans le contexte du
droit civil québécois, il est possible d’envisager une solution alternative, qui permettrait
de conférer une priorité au vendeur de biens d’inventaire ou d’équipements, analogue au
concept de PMSI.
iii)
solution alternative
On pourrait envisager de conférer une priorité spéciale aux créanciers qui financent
l’acquisition des biens d’inventaire ou de l’équipement destinés à l’exploitation d’une
entreprise. Pour ce faire, le mécanisme de l’hypothèque serait parfaitement adapté. Une
disposition spéciale eu égard au rang de l’hypothèque couvrant de tels biens, pourrait
régler la question. L’exemple de la priorité de rang conférée à l’hypothèque légale de la
construction trace la voie (art. 2952 C.c.Q.). D’autre part, il y aurait uniformisation des
règles de constitution et des mécanismes de recours. Le caractère spécial de la sûreté
serait préservé. Les notions de droit de suite et de report sont parfaitement articulées
dans ce contexte, en raison du régime hypothécaire qui le sous-tendrait. Enfin, les
recours hypothécaires ne soulèveraient pas de problématique d’ordre conceptuel ou
pratique. Le droit de propriété, associé aux réserves de propriété utilisées à des fins de
843
C’est également le cas en droit français. Voir : Y. PICOD, op. cit., supra note 8, p. 239, 449-477.
Ainsi, en raison de la prolifération des sûretés réelles et de l’effet des procédures collectives sur le
droit de préférence normalement associé à la sûreté, les créanciers désirent échapper à la loi du
concours : les garanties favorisant l’exclusivité sont privilégiées face à celles ne conférant qu’une
simple
préférence.

Page 329
303
sûretés, ne deviendrait pas ipso facto un droit réel accessoire, contrairement à toute
logique. Cette solution est possible : la Loi type de la BERD l’entérine 844. Mais cette
solution n’est certainement pas à l’ordre du jour, maintenant que la jurisprudence a
précisé les contours des propriété-sûretés en droit civil québécois 845.
Le PMSI et ses variantes civilistes ne constituent pas les seules exceptions au principe de
l’ordre du temps. Le créancier gagiste bénéficie souvent, lui aussi, d’un traitement de
faveur.
1.3
d’une seconde exception : le gage
Le gage, sûreté avec dépossession, bénéficie habituellement d’une priorité, afin d’assurer
la fonction privative de la dépossession.
À la fois mécanisme de constitution et de publicité du gage, la dépossession opère une
fonction qualifiée de traditionnelle chez les uns846 et de modèle chez les autres847. Dans
le gage traditionnel ou modèle, la dépossession rencontre deux objectifs qui sont décrits
systématiquement par la doctrine française.
En premier lieu, la dépossession est une mesure de constitution, qui est parfaite par la
remise du bien au créancier gagiste. C’est un déplacement de la détention du bien du
constituant au créancier gagiste et, parfois, à un tiers convenu dans le cadre de
l’entiercement. Traditionnellement, cette dépossession au profit du créancier gagiste lui
assure la possibilité d’exercer le droit de rétention du bien nanti, non seulement à
844
845
846
847
Loi type de la BERD, supra note 51, art. 9 et 17.3.
Voir les décisions citées, supra, note 258.
M. CABRILLAC et C. MOULY, op. cit., supra note 124, no 664, p. 531.
Dominique LEGEAIS, Sûretés et garanties du crédit, 3e éd., Paris, L.G.D.J., 2002, no 374, p. 298.

Page 330
304
l’encontre du constituant, mais aussi des créanciers de ce constituant. Elle permet donc
au créancier gagiste de faire obstacle aux recours que peuvent exercer les autres
créanciers, chirographaires ou privilégiés, en leur opposant le droit de retenir le bien sous
réserve d’être désintéressé.
En second lieu, puisqu’elle a pour effet de priver le constituant de la détention du bien
grevé, la dépossession est une mesure de publicité : elle informe les tiers de l’existence
du contrat de gage 848. La doctrine française lui attribue principalement un « rôle de
publicité matérielle » 849. Cette fonction privative confère habituellement au créancier
gagiste un privilège opposable aux tiers, permettant ainsi son plein accomplissement.
C’est une mesure de protection contre la fraude et le détournement du bien mis en gage,
qui « protège le créancier gagiste contre un risque de détournement du gage par le
constituant » 850, qui « évite les gages généraux, grevant un ensemble de biens
indifférenciés »851, qui contraint le constituant à la prudence lors du dessaisissement,
l’invitant ainsi à une meilleure compréhension de la gravité du geste posé et de ses
conséquences. La dépossession devient donc l’acte fondateur du gage ainsi qu’une
formalité de protection du constituant 852.
848
849
850
851
852
Ibid., no 382, p. 301.
M. CABRILLAC et C. MOULY, op. cit. supra note 124, no 665, p.532.
Philippe MALAURIE et Laurent AYNÈS, Cours de droit civil, Les sûretés, La publicité foncière,
Paris, Éditions Cujas, 8
e éd., 1996, no 506, p. 188.
Ibid.
P. SIMLER et P. DELEBECQUE, op. cit., supra note 344, no 602, p. 501-502. Voir, en droit
américain : L.M. LoPUCKI et E. WARREN, op. cit., supra note 78, p. 327-333, 341; J.J. WHITE
et R.S. SUMMERS,
op. cit., supra note 472, p. 769-778.

Page 331
305
Le droit américain ne confère pas de priorité au simple créancier gagiste, qui détient des
biens autres qu’un compte bancaire 853, des valeurs mobilières ou titres intermédiés 854, le
droit au produit d’une lettre de crédit 855, un chattel paper ou titre négociable 856. En
revanche, pour les sûretés constituées sur ces biens par la maîtrise ou le « contrôle »,
priorité de rang est conférée au créancier. Le créancier qui acquiert le « contrôle » en
devenant titulaire du droit primera tous les autres; celui qui détient le « contrôle », sans
être titulaire du droit, primera ceux qui ne le détiennent pas; le créancier en possession
d’une valeur représentée par certificat primera un créancier dont la sûreté est inscrite au
registre, même s’il n’en détient pas le « contrôle ». En résumé, la titularité du droit prime
toute autre forme de contrôle; le « contrôle », par convention, prime la simple détention et
l’inscription; la simple détention prime l’inscription.
Le régime québécois, depuis l’adoption de la Loi sur le transfert de valeurs mobilières,
est au même effet 857. Le gage portant sur des biens autres que des valeurs mobilières et
des titres intermédiés, régi par le régime général des articles 2702 et suivants du Code
civil, ne jouit cependant d’aucun privilège ou priorité, pas plus qu’un droit de rétention ne
lui est conféré, contrairement au gage de l’ancien Code 858. Notons toutefois que dans ce
dernier cas, la fonction privative est accomplie par la remise matérielle d’une chose
corporelle ou d’un titre négociable.
853
854
855
856
857
858
U.C.C. § 9-327 (2010).
U.C.C. § 9-328 (2010).
U.C.C. § 9-329 (2010).
U.C.C. § 9-330 (2010).
C.c.Q., art. 2714.2 et 2714.4. L’hypothèque mobilière avec dépossession consentie en faveur d’un
courtier en valeurs mobilières sur un compte de titre prime toutes les autres hypothèques. C.c.Q.,
art. 2714.3. Sur ces questions, voir : M. DESCHAMPS,
loc. cit., supra note 83, p. 560-565.
P. CIOTOLA et A. LEDUC, loc. cit., supra note 92, p. 33, 40-51.

Page 332
306
La Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières, qui ne prévoit pas de régime
spécial relativement aux valeurs mobilières et titres intermédiés, confère toutefois priorité
de rang au titulaire d’une sûreté avec dépossession sur le produit de disposition d’une
lettre de crédit 859. La Loi type de la BERD confère priorité de rang, sans égard à l’ordre
du temps, au créancier en possession de titres négociables 860. Enfin, le Guide législatif
sur les opérations garanties recommande l’adoption de principes similaires à ceux du
droit américain, aux termes de la Convention de Genève sur les titres, pour les valeurs
mobilières et titres intermédiés. Il ne traite pas de ce genre de biens. Cependant, il
prévoit des règles particulières en matière de priorité pour les sûretés grevant des titres
négociables, un compte bancaire, des espèces, le droit au produit d’une lettre de crédit.
Ces règles sont inspirées du droit américain 861.
À l’exception du gage au principe de l’ordre du temps, s’ajoute celle de plusieurs sûretés
légales.
1.4
d’une troisième exception : les sûretés légales
Nous n’allons pas discuter des questions entourant les sûretés légales. Bien que certaines
d’entre elles suivent l’ordre du temps et doivent être inscrites à un registre pour être
opposables, plusieurs sont occultes et font fi de l’ordre du temps. Nous avons déjà
commenté cette situation 862.
859
860
861
862
LTIRSM, supra note 10, art. 52.
Loi type de la BERD, supra note 51, art. 17.4.
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre V. Priorité d’une sûreté
réelle mobilière », p. 52-54 (Recommandations 101 à 109).
Voir notre discussion, supra, Partie I, sous-section III. A. 1.1.

Page 333
307
1.5
d’une quatrième exception : les droits et priorités des
autorités fiscales
Les droits et priorités des autorités fiscales sont des formes particulières de sûretés
légales. Le même commentaire que celui formulé à l’égard de ces sûretés s’applique ici.
1.6
d’une cinquième exception : les droits et priorités découlant
des procédures collectives des créanciers
Enfin, sans reprendre la discussion à ce sujet, on ne peut passer sous silence l’impact des
procédures collectives sur le rang des sûretés conventionnelles. D’une part, ces
procédures diminuent l’efficacité des sûretés, en suspendant les recours des créanciers
garantis; d’autre part, la valeur des sûretés conventionnelles peut s’en trouver affectée.
De plus, la modification de l’ordre de priorité prévu dans le régime de sûreté, par l’octroi
de privilèges ou de priorités en faveur d’autres catégories de créanciers, présente un
impact majeur quant à l’effectivité des sûretés mobilières conventionnelles 863.
* * *
Cet exposé permet de réaliser que, si tous s’entendent pour ériger en principe l’ordre de
collocation des créanciers en fonction de la date et de l’heure de la publication de la
sûreté, force est de constater qu’un sentiment d’impuissance ou de résignation règne à ce
sujet. En effet, les justifications apportées aux exceptions ne reposent sur aucune
démonstration scientifique probante 864. On privilégie différents créanciers; on ne tient
pas compte de la cohérence intrinsèque du régime; on reproduit, à grande échelle, les
principes du droit américain. Le principe de l’ordre du temps bat de l’aile. Par
863
864
Voir notre discussion, supra, Partie I, sous-section II. A. 2.3.
J.J. WHITE, loc. cit., supra note 34.

Page 334
308
conséquent, il n’est pas exagéré de parler du « leurre de la collocation chronologique
selon la date de l’inscription au registre » 865. Nous sommes loin des propositions faites
par les réformateurs de tout acabit afin de réduire les exceptions au strict nécessaire.
Cette complexité des règles de priorités entre les créanciers se reflète en matière de
publicité des droits, dont nous allons maintenant étudier les principes fondamentaux.
2.
Les principes fondamentaux en matière de publicité des sûretés
mobilières conventionnelles
Notre discussion des principes directeurs en matière de publicité des sûretés mobilières
conventionnelles ne se veut pas la reprise de ce que nous avons exploré précédemment
lors de notre examen des mécanismes de publicité 866. Nous allons cependant compléter
cet exposé en traitant des règles de conflit de lois, qui ont leur importance tant en ce qui
concerne la constitution que la publicité d’une sûreté [2.1]. L’harmonisation de ces
règles constitue d’ailleurs l’une des clefs de l’harmonisation du droit des sûretés. Nous
retiendrons par la suite les principaux éléments du fonctionnement d’un système de
publicité moderne, fondé sur le principe de l’inscription à un registre mobilier unitaire et
centralisé [2.2]. Nous verrons, en dernier lieu, que le système de publicité moderne tend
néanmoins à régresser et à souffrir de la renaissance de la publicité par dépossession,
principalement fictive [2.3].
2.1
des règles de conflits de lois
Les règles de conflits de lois permettent de déterminer la loi qui régira la constitution
d’une sûreté et sa publicité. Si de telles règles ne sont pas nécessaires dans le cas d’une
865
866
P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, p. 345.
Voir notre discussion, supra, Partie I, sous-section III. A. 1.3.2.

Page 335
309
sûreté sur un immeuble, parce que la loi du situs s’y appliquera, il en ira autrement pour
les biens meubles qui, par définition, sont mobiles, et peuvent ainsi passer d’une
juridiction à l’autre.
Lorsqu’une entreprise et ses biens sont localisés dans une seule juridiction et que
l’entreprise ne fait des affaires que dans cette juridiction, la loi de cette juridiction devrait
normalement s’appliquer à la constitution et à la publicité de sûretés sur ses biens.
Cependant, lorsqu’une entreprise a des biens et fait affaires dans plusieurs juridictions,
comment déterminer la loi applicable à la constitution et à la publicité de sûretés ? Les
réponses vont varier selon le type de biens grevés et la nature de la sûreté, qu’elle soit
avec ou sans dépossession. Les réponses seront fonction, aussi, du facteur de
rattachement utilisé 867.
Une sûreté avec dépossession sur un bien corporel ou un titre négociable ne posera pas de
difficulté. Sa constitution et sa publicité obéiront à la loi du situs du bien grevé 868.
867
Nous ne traiterons pas, ici, des règles entourant les biens en déplacement ou en transit, et les
questions relatives au changement de nom ou de statut du constituant, qui présentent un impact sur
la loi régissant les sûretés. Notons toutefois que les systèmes nord-américains comportent des
règles similaires en la matière. Pour un énoncé des règles générales de conlits de lois en matière
de sûretés mobilières au Québec et dans une perspective comparatiste nord-américaine, voir :
Jeffrey A. TALPIS et Constantine TROULIS, « Conflict of Laws Rules under the Civil Code of
Quebec Relating to Security », dans B
ARREAU DU QUÉBEC, SERVICE DE LA FORMATION
PERMANENTE
, Développements récents sur l’hypothèque (1997), vol. 89, Cowansville (Qc.),
Éditions Yvon Blais, 1997, 187; Jeffrey A. TALPIS, « La reconnaissance et l’exécution des
sûretés mobilières étrangères en droit international privé québécois : où en sommes-nous ? », dans
Mélanges Roger Comtois, Montréal, Les Éditions Thémis, 2007, 485; Gérald GOLDSTEIN et
Ethel GROFFIER,
Droit international privé, t. II, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 2003,
p. 353-371, 724-728; Michel DESCHAMPS, « Les conflits de lois en droit des sûretés au Canada
et aux États-Unis – Comparaison entre le Code civil du Québec, les PPSAs et le UCC », dans
BARREAU DU QUÉBEC, SERVICE DE LA FORMATION PERMANENTE, Développements récents en droit
bancaire (2003)
, EYB2003DEV548.
868
U.C.C. § 9-301(2) et § 9-305(a)(1) (2010) ; C.c.Q., art. 3102 ; LTIRSM, supra note 10, art. 69;
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « ChapitreX. Conflits de lois », p. 7 et

Page 336
310
Une sûreté avec dépossession sur des valeurs mobilières ou des titres intermédiés, avant
l’avènement de la réforme proposée aux termes des Titres 8 et 9 du UCC et des autres
outils d’harmonisation qui ont suivi dans leur sillage, soulevait plus d’incertitudes 869. En
effet, les diverses lois ne permettaient pas de constituer et de publier aisément une sûreté
avec dépossession sur un compte de titres. Quelle est la nature d’un tel bien ? Quel en est
le situs ? Est-ce l’endroit où est situé l’intermédiaire en valeurs mobilières ? Est-ce
l’endroit où sont véritablement détenus les titres, à savoir le lieu où est située la chambre
de compensation ? Le Titre 9 du UCC a proposé les changements que l’on sait, d’abord
en ce qui a trait à l’identification des valeurs ou titres intermédiés et des droits en
découlant, ensuite quant à la façon de constituer une sûreté sur ce type de biens. La
maîtrise ou le contrôle feront office de modalités de constitution et de publicité. Ainsi,
pour une valeur représentée par certificat, la loi du situs s’appliquera; pour une valeur
non représentée par certificat mais détenue directement, ce sera la loi de l’État de
constitution de l’émetteur; enfin, pour un titre intermédié, ce sera la loi désignée par les
parties à la convention de compte ou, à défaut, la loi de la situation de l’intermédiaire en
valeurs mobilières. Ces règles sont désormais pratiquement identiques en Amérique du
Nord, tant en vertu du Uniform Commercial Code que des Securities Transfer Acts des
provinces canadiennes de common-law ou du Code civil du Québec 870. Cependant, le
23 (Recommandation 203). Curieusement, la Loi type de la BERD, supra note 51, ne contient
aucune disposition régissant les conflits de lois.
869
870
P. CIOTOLA et A. LEDUC, loc. cit., supra note 92, p. 36-40.
U.C.C. § 9-305 (2010) ; C.c.Q., art. 3108.8. Voir aussi : M. DESCHAMPS, loc. cit., supra note
83, p. 567-571.

Page 337
311
Uniform Commercial Code comporte des règles relatives aux comptes bancaires et aux
lettres de crédit, qui ne se retrouvent pas dans les juridictions avoisinantes 871.
Par ailleurs, une sûreté sans dépossession grevant des biens meubles corporels utilisés
dans plus d’un État et celle grevant un meuble incorporel sera régie soit selon la loi de
l’État du domicile du constituant, au Québec 872, soit selon la loi de l’État
d’incorporation, aux États-Unis 873. Le facteur de rattachement américain, plus neutre
que celui du domicile permet, dans les États américains, de centraliser les informations
relatives à une entreprise figurant tant au registre des entreprises qu’au registre des
sûretés. La logique derrière ce critère est de permettre à toute personne intéressée
d’effectuer une recherche sur une compagnie en se fiant exclusivement aux informations
publiques figurant aux registres 874. De plus, dans le cas où la loi d’incorporation d’un
débiteur ne comporte pas de système de publicité comparable au système américain, le
Uniform Commercial Code indique alors que la sûreté doit être publiée dans le district de
Columbia, aux États-Unis 875. L’idée, derrière ces principes, est de conférer au système
de publicité par inscription toute son importance, mais le système de publicité américain
n’entend pas, ce faisant, se conférer une juridiction extraterritoriale qui éliminerait les
règles de publicité dans les autres pays 876.
871
872
873
874
875
876
U.C.C. § 9-304 et § 9-306 (2010). Le Guide législatif sur les opérations garanties en comporte
également. Voir :
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « ChapitreX.
Conflits de lois », p. 24-25.
C.c.Q., art. 3105.
U.C.C. § 9-301 (1) et (3), § 9-307 (2010). Les organisations qui ne sont pas « enregistrées », telles
les fiducies ou sociétés, obéissent au critère du lieu de résidence.
L.M. LoPUCKI et E. WARREN, op. cit., supra note 78, p.404-414, en particulier à la p. 406.
U.C.C. § 9-307 (c) (2010).
L.M. LoPUCKI et E. WARREN, op. cit., supra note 78, p.412-413.

Page 338
312
Ce facteur de rattachement américain, plus neutre, ne suscite pas l’adhésion de tous.
Ainsi, dans le cadre des travaux de rédaction de la Convention des Nations Unies sur la
Cession de créances, on opta plutôt pour le critère du lieu de la situation du cédant (ou
constituant), qui est celui de son principal établissement, car le critère de la loi
d’incorporation ne satisfait pas aux expectatives raisonnables des parties 877. Cela étant,
les facteurs de rattachement du Québec et des provinces de common-law ne sont pas les
mêmes pour une sûreté grevant des créances. Alors que le Québec opte pour la loi du
domicile du constituant, soit celle de son siège, les autres provinces optent pour la loi du
lieu de son principal établissement (chief executive office), qui ne correspond pas
nécessairement au lieu du siège 878. Ainsi, un créancier pourra être tenu de satisfaire aux
lois de deux provinces, selon ces règles disparates, qui peuvent provoquer également des
conflits en ce qui a trait à l’établissement d’une priorité. La Convention des Nations
Unies sur la Cession de créances apporte une solution à ces problèmes, en assujettissant
la validité, l’opposabilité et la priorité d’une cession de créance, qu’elle soit faite à titre
de sûreté ou à titre de cession véritable, à la loi de la situation du constituant. Elle adopte,
ce faisant, le critère des PPSAs des provinces canadiennes, qui était anciennement celui
utilisé en vertu du Titre 9 du UCC mais qui fut abandonné au profit d’un critère plus
neutre de la loi constitutive du constituant 879. Pour cela, sans doute, la Convention des
877
878
879
Convention des Nations Unies sur la Cession de créances, supra note 79, art. 22. Voir aussi :
M. DESCHAMPS,
loc. cit., supra note 82, p. 395. Le même critère est suivi par la Loi
interaméricaine relative aux sûretés mobilières
et par le Guide législatif sur les opérations
garanties
pour les sûretés sans dépossession sur des biens mobiles et sur des biens incorporels.
Voir : LTIRSM,
supra note 10, art. 70-72; Guide législatif sur les opérations garanties, supra note
45, « ChapitreX. Conflits de lois », p. 24, 27.
OPPSA, art. 7. Ce résultat fut critiqué par : Martin BOODMAN, « Quelques problèmes de
publicité à propos de l’hypothèque mobilière », (1995) 1
C.P. du N. 435.
L.M. LoPUCKI et E. WARREN, op. cit., supra note 78, p. 407-410.

Page 339
313
Nations Unies sur la Cession de créances n’a pas reçu encore un large assentiment, du
moins celui des américains qui lui donnerait certainement l’impulsion dont elle a besoin.
À côté des valeurs mobilières, titres intermédiés et créances qui, chacun, vont soulever
des difficultés quant au choix de la loi applicable pour régir une sûreté les grevant,
s’ajoutent les biens mobiles que sont les aéronefs, le matériel ferroviaire roulant et les
satellites. La Convention du Cap (2001) propose l’établissement d’un régime
international pour ce type de biens, avec registre international centralisé à Dublin.
L’inscription des droits au registre sera essentielle pour des parties contractantes situées
dans des États ayant ratifié cette convention. Cependant, la Convention du Cap (2001)
n’a pas pour effet de supprimer les sûretés légales pouvant grever de tels biens telles
qu’édictées dans les États contractants 880.
Ainsi, la question de la publicité des droits est fortement influencée par la nature des
biens et le mode de constitution de la sûreté qui, à leur tour, sont influencés par
l’internationalisation des pratiques commerciales. Sa résolution est simple dans le cas de
biens immeubles, meubles corporels ou titres négociables; elle l’est moins dans le cas de
valeurs mobilières et titres intermédiés, de créances et de biens mobiles de grande valeur.
On envisage alors soit la création de régimes spéciaux à l’interne, soit la conclusion de
conventions internationales, soit les deux.
L’établissement de règles de conflits de lois qui soient claires et uniformes encouragera
l’essor du crédit garanti, d’une part en rendant la tâche plus facile aux créanciers et
emprunteurs pour la constitution et la publication des sûretés, d’autre part pour les tiers et
880
Supra, notes 78 et 469.

Page 340
314
les créanciers, afin de savoir où effectuer des recherches pour vérifier l’état
d’endettement d’un débiteur, le nombre et la nature des sûretés qui affectent ses biens.
Bien sûr, ce dernier avantage ne se mesure qu’en fonction d’un régime de publicité fondé
sur l’inscription des droits à un registre, dont nous allons maintenant voir qu’il constitue,
à l’origine, la prémisse à l’élaboration d’un régime de sûretés moderne.
2.2
de la publicité par inscription à un registre : fondement
d’un régime de sûretés moderne
Nous allons commenter les principaux éléments du fonctionnement du système de
publicité moderne, c’est-à-dire la manière dont sont inscrites les sûretés au registre
mobilier, et la fonction dudit registre [2.2.1]. En second lieu, nous exprimerons quelques
considérations au sujet de la possibilité d’inscrire une sûreté au registre avant sa
constitution [2.2.2].
2.2.1
fonction du registre de publicité et inscription
des droits
Au Québec autant qu’aux États-Unis, la réforme du droit des sûretés impliqua une
réforme majeure des règles de publicité qui prévalaient sous l’ancien droit 881. D’une
multiplicité de registres étalés partout sur le territoire québécois ou américain et
s’appliquant à diverses formes de sûretés mobilières sans dépossession aux règles tout
aussi diverses, la création d’un registre étatique unique, centralisé et informatisé,
permettrait enfin la simplification et l’uniformisation tant souhaitée des règles de
constitution et de publicité des sûretés mobilières sans dépossession, ainsi que
881
Voir, notamment : Lise CADORET, « RDPRM : de plus en plus connu », dans BARREAU DU
QUÉBEC, SERVICE DE LA FORMATION PERMANENTE, Développements récents en droit civil (2001),
v. 161, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 2001, 55, p. 59-62; Lise CADORET et
Nicole PAGÉ, « RDPRM, facile comme 2 + 2 = 4 ! », (2001) 1 C.P. du N. 93 ; L.M. LoPUCKI et
E. WARREN,
op. cit., supra note 78, p. 411-413.

Page 341
315
l’édification d’un ordre de priorité cohérent entre les créanciers, idéal autrefois
pratiquement impossible avant l’apparition des nouvelles avancées technologiques et
progrès informatiques 882.
L’efficacité et l’effectivité de tout régime de sûretés repose sur le système de publicité
qui le sous-tend. Longtemps, les sûretés mobilières furent limitées aux seuls biens
meubles corporels. Les progrès informatiques ont changé la donne. Ce qui était autrefois
impensable est devenu réalité. D’un régime de sûretés mobilières fondé sur la tradition
matérielle de la chose par le débiteur en faveur du créancier, l’on est passé à un régime
permettant au débiteur de conserver la détention de biens meubles tout en les affectant de
sûretés au profit de créanciers. Les sûretés mobilières sans dépossession, bien que
présentant toujours plus d’incertitudes que les sûretés immobilières, sont néanmoins biens
desservies par l’établissement d’un registre nominatif informatisé, unique, centralisé,
pour une région géographique donnée. Pour cette raison, les instruments internationaux
d’harmonisation du droit le recommandent 883. Dans cette même veine, on envisage la
création de registres internationaux 884.
882
883
884
Grant Gilmore souhaitait l’avènement d’un registre étatique uniforme dans chaque État, ce qui ne
fut pas fait immédiatement ; des registres pour le UCC furent d’abord établis dans les différents
«
counties », où des bureaux d’enregistrement existent pour les droits immobiliers. Longtemps
après, on a regroupé, dans chaque État, les registres qui se trouvaient autrefois dans tous ces
«
counties », qui servent toujours, aujourd’hui, aux fins immobilières. Aujourd’hui, certains
voudraient qu’un seul registre uniforme existe pour l’ensemble des États-Unis, mais les résistances
auxquelles Gilmore se buta, dans chaque État dans les années 1940, demeurent au niveau national.
Il s’agirait d’une question de chasses gardées. Voir : L.M. LoPUCKI et E. WARREN,
op. cit.,
supra note 78, p. 411.
LTIRSM, supra note 10, art. 1 ; Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45,
« Chapitre IV. Le système de registre », p. 1-3. La
Loi type de la BERD, supra note 51, ne va pas
aussi loin que de recommander la création d’un registre centralisé et uniforme, mais elle propose
néanmoins des règles générales d’inscription, art. 34.
C’est le cas du Registre international pour les garanties internationales portant sur des biens
aéronautiques aux termes de la
Convention du cap (2001) et du Protocole aéronautique (2001).

Page 342
316
On admet généralement qu’un registre de publicité, en matière mobilière, soit un registre
informatif (i.e. notice filing system) et non pas un registre de titres ou de dépôt des actes.
Un tel registre informatif suppose un minimum d’exigences pour la publication d’un avis.
L’objectif de mettre sur pied un tel registre est de permettre une publicité effective des
droits grevant des biens meubles de toute nature. Puisqu’il n’est pas nécessaire de publier
l’acte constitutif de la sûreté, on évite ainsi une lourdeur au système. On permet
également la préservation d’une certaine confidentialité des transactions financières. Au
Québec, certains ont critiqué cette approche comme ne présentant pas les garanties de
fiabilité et d’intégrité auxquelles on serait en droit de s’attendre, contrairement au registre
foncier 885. L’Angleterre, l’Écosse et le Mexique formulent aussi des réserves et les pays
885
Voir : supra, note 68. Voir aussi les visées de l’OÉA de constituer un registre « hémisphérique »
pour les deux Amériques,
supra, note 55.
Voir : Pierre DUCHAINE et Denys-Claude LAMONTAGNE, « Rdprm : Duplicité ou Publicité du
Registre Mobilier ? », (2003) 105
R. du N. 795. En effet, le registre foncier procède encore par
l’enregistrement et le dépôt des actes. Des attestations sont requises pour s’assurer de l’idendité
des parties et l’expression des volontés consignées. L’officier de la publicité des droits a pour
fonction de vérifier que les conditions de forme et de validité des actes sont respectées.
L’inscription des actes se fait désormais autant en ligne que par le dépôt de l’original et les
internautes peuvent consulter tous les actes inscrits au registre. Cependant, le registre foncier du
Québec n’est pas à l’abri de critiques, car d’un régime d’inscription des droits, initialement prévu
lors de la réforme du Code civil, l’on est retourné à un régime d’enregistrement et de dépôt des
actes. Si le registre foncier est désormais dans la modernité informatique, on déplore le fait qu’il
maintienne une forme archaïque de publicité des droits et que les titres publiés ne soient pas
garantis par l’État québécois au bout d’un certain temps. Voir : François BROCHU, « Critique
d’une réforme cosmétique en matière de publicité foncière », (2003) 105 R. du N. 761. La
question se pose de savoir si une fusion des deux registres et de leurs principes respectifs ne serait
pas souhaitable. En tout cas, c’est en quelque sorte la voie choisie par le législateur mexicain, qui
permet la création de sûretés mobilières sans dépossession, mais les assujettit au respect la forme
notariée et à la publication par le dépôt et l’enregistrement des actes. Des mécanismes de
certification et d’attestation sont mis en place afin d’assurer l’intégrité et le caractère complet des
informations publiées au registre des compagnies, qui fonctionne lui aussi de manière
électronique. Pour l’heure, seulement deux types de sûretés mobilières sans dépossession sont
assujetties au régime de la publicité par enregistrement (le gage sans dépossession et la fiducie), le
législateur mexicain n’ayant pas adopté l’approche unitaire ou fonctionnelle. Un auteur américain
signale que, ce faisant, le Mexique est sur la bonne voie pour une adoption éventuelle d’un
système de publicité informationel mais qu’au fond, son régime actuel est peut-être le meilleur de
deux mondes : «
As noted above, it would take no more than the stroke of the legislature’s pen to
extend the special regime surrounding the prenda sin transmisión de posesión to all security
devices when processed through registration at the [Public Registry of Commerce]. If it were to
happen, Mexico would have a straightforward filing system with an extra benefit : its database

Page 343
317
d’amérique latine sont plus enclins à adopter un régime formaliste, assujetissant la
constitution de la sûreté au respect de la forme notariée et sa publicité à un système
d’enregistrement et de dépôt des actes 886.
La façon de publiciser une sûreté sans dépossession à un registre informatif consiste en
l’inscription d’un avis qui véhiculera aux tiers l’information relative à la sûreté créée.
L’information qui sera publicisée variera. La publicité se fait habituellement par
l’indication du nom des parties (constituant et titulaire de la sûreté) et l’avis doit
comporter une description suffisante du bien grevé, sauf dans le cas de biens
spécifiquement immatriculés. On pourra prévoir que le montant de la sûreté et sa période
de validité soient précisées et, facultativement, l’obligation garantie. Au Québec, le Code
civil va plus loin, en exigeant que soit indiquée la qualification du droit soumis à
l’inscription, son étendue 887, une référence à l’acte constitutif du droit inscrit et la date
886
887
would also include the full texts of actual documents that created the security interests ». Voir:
D. BECK FURNISH,
loc. cit., supra note 422, p. 22.
Les critiques du droit québécois trouvent écho en droit écossais, en droit anglais, en droit mexicain
et dans les pays d’amérique latine qui, pour l’instant, n’ont pas adopté le «
notice filing
approach
», mais qui procèdent plutôt par système d’enregistrement et de dépôt des actes. Voir, en
droit anglais: H. BEALE
et al., The Law of Personal Property Security, supra note 28, p. 13; en
droit écossais: G. GRETTON,
loc. cit., supra note 360, p. 281; en droit mexicain et dans les pays
d’amérique latine: D. BECK FURNISH,
loc. cit., supra note 637. Cette approche plus
« formaliste » des pays civilistes se traduirait également dans les mesures visant à préserver
l’accès aux registres électroniques et, partant, leur intégrité, comprenant des clefs de signatures
électroniques spéciales, alors que les pays de
common law ne l’exigeraient pas ou moins, ce qui
suscite des critiques et, en certains cas, des commentaires soulignant la soi-disant infériorité
économique des systèmes de droit civil. Voir, à ce sujet : Jane K. WINN et Mariana
C. SILVEIRA, « Secured Transactions and Electronic Commerce Law : Diverging Perspectives in
North and South America », (2007) 16
Michigan State Journal of International Law 239.
Dans le cas de l’hypothèque, on doit indiquer la somme pour laquelle elle est consentie. Comme
nous l’avons déjà souligné, cette exigence est absente en ce qui a trait à la publication des réserves
de propriété et des autres droits de même nature. On consultera, à ce sujet : Q
UÉBEC, REGISTRE
DES DROITS PERSONNELS ET RÉELS MOBILIERS
, Manuel de l’inscription et de la consultation des
droits
ligne :
https://www.rdprm.gouv.qc.ca/rdprmweb/publications/fr/Manuel%20complet%202009.pdf
(consulté le 22 février 2010), en particulier les détails relatifs au formulaire RH (i.e. la réquisition
d’inscription d’une hypothèque mobilière) et au formulaire RD (i.e. la réquisition d’inscription
d’une réserve de propriété, des droits résultant d’un bail ou de certains autres droits).
personnels
mobiliers,
janvier
2009,
réels
28
en
et

Page 344
318
extrême d’effet de l’inscription 888. Ainsi, tout « tiers qui consulte le registre doit se fier
uniquement aux mentions faite dans l’inscription pour évaluer la nature du droit, son
assiette et son étendue, car l’acte constitutif signé par les parties n’est pas produit et
n’est pas opposable aux tiers » 889.
En revanche, le Uniform Commercial Code ne se préoccupe aucunement de la
qualification des droits. Cela tient, d’une part, à l’approche fonctionnelle choisie et,
d’autre part, à la nature du security interest, notion de sûreté désincarnée des origines du
droit des biens de la common law, le caractère « réifié » du droit des sûretés étant ce qui
ressort de l’information disponible sur consultation du registre mis en place aux termes
du UCC, car tout ce qu’un tiers pourra découvrir, après consultation du registre, c’est le
type de bien qui est grevé d’un security interest. Aucune information quant à la source de
l’obligation garantie, ni quant à l’étendue de la sûreté, ne lui sera fournie.
Le Code civil du Québec instaure donc un régime de publicité différent du régime prévu
sous l’empire du Uniform Commercial Code, bien qu’il s’en inspire grandement. C’est
un régime d’inscription et de publicité des « droits », réels et personnels, qui peuvent
affecter les biens meubles d’une personne. On peut connaître, en consultant le registre,
l’étendue des sûretés ou des droits qui grèvent les biens d’un débiteur, bien que les
précisions soient moins nombreuses en ce qui concerne les sûretés-propriétés que les
888
889
Pour le contenu de la fiche nominative aux termes du Code civil du Québec, voir le Règlement sur
le registre des droits personnels et réels mobiliers
, CCQ r. 5, art. 25; pour le contenu du financing
statement
aux termes du Titre 9 du UCC, voir : U.C.C. § 9-502, § 9-503 et § 9-504 (2010); pour le
contenu du
registration form, voir : LTIRSM, supra note 10, art. 38 ; pour le contenu du
registration statement, voir : Loi type de la BERD, supra note 51, art. 8.4. Enfin, voir le Guide
législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre IV. Le système de registre », p.
35 (Recommandation 57, « Teneur exigée de l’avis »).
L. CADORET et N. PAGÉ, loc. cit., supra note 881, p. 101. Voir aussi : J. PINEAU, loc. cit.,
supra note 458, p. 441-442.

Page 345
319
hypothèques. Ainsi, plus les informations publiées sont détaillées, plus elles donnent un
sens aux caractéristiques fondamentales de l’accessoire et de la spécialité de la sûreté, qui
permettent l’édification d’un ordre de priorité cohérent.
En droit civil, la publicité n’a pas seulement pour fonction d’informer les tiers et les
autres créanciers relativement aux droits qui grèvent les biens d’une personne; elle
consiste à leur rendre ces droits opposables et, partant, à établir un ordre de priorité 890.
En regard de ce rôle conféré à la publicité, le Uniform Commercial Code ne conçoit pas
l’édification de l’ordre de priorité entre les créanciers de la même manière que l’entend le
droit civil. Ainsi, le titulaire d’une sûreté non-publiée se verra-t-il conférer une priorité
face à tout créancier chirographaire, qui tombe toutefois en cas de faillite 891. En vertu du
principe de l’égalité des créanciers, seule la publicité devrait conférer une priorité au
titulaire d’une sûreté. C’est par ailleurs la solution retenue aux termes de la Convention
du Cap (2001) 892.
Les cessions de droits, ou cessions de priorités de rang, doivent être inscrites en la
manière prescrite. La radiation de l’inscription se fera automatiquement au bout d’une
période déterminée, soit de cinq ans aux termes du Uniform Commercial Code, soit de
dix ans aux termes du Code civil du Québec. Les parties sont évidemment libres de
convenir d’une période inférieure.
890
891
892
P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, no 3.30, p. 232.
U.C.C. § 9-201 (1995) et U.C.C. § 9-201 (2010). En droit américain, cette priorité ne survivrait
pas en matière de faillite. Voir : E.E. SMITH, loc. cit., supra note 319, p. 33.
S. POTVIN PLAMONDON, loc. cit., supra note 68, p. 22-23; Ronald C.C. CUMING,
« Considerations in the design of an International Registry for interests in mobile equipment »,
(1999)
Rev. dr. unif. 275, 276.

Page 346
320
L’attitude américaine plus permissive nous amène à nous pencher sur la problématique
soulevée par la possibilité d’inscrire une sûreté au registre avant sa constitution.
2.2.2
inscription d’une sûreté au registre avant sa
constitution (les sûretés prospectives)
Le régime du Titre 9 du UCC 893 et ceux qui s’en inspirent, de même que la Convention
du Cap (2001) 894, permettent la publication de la sûreté mobilière avant sa constitution.
On pourrait référer à cette technique en parlant de « pré-inscription ». À l’inverse, le
Code civil du Québec ne permet pas une telle pré-inscription de l’hypothèque, bien qu’un
mécanisme de pré-inscription d’une demande en justice concernant un droit réel mobilier
y soit prévu (art. 2966 C.c.Q.) 895.
On a identifié un certain nombre d’avantages découlant de la possibilité de pré-inscrire
une sûreté. D’abord, cela peut constituer un moyen de contourner les délais inhérents à
l’inscription même de la sûreté, lorsque la fiche d’inscription doit faire l’objet de
vérifications préalables par l’Officier de la publicité 896. Ce mécanisme préserve la
priorité du créancier et permet de débourser les fonds lors de la séance de clôture du
prêt 897.
Toutefois, cette méthode n’est pas sans présenter d’inconvénients. D’une part, elle peut
être préjudiciable au débiteur, dans la mesure où la transaction en cours de négociations,
893
894
895
896
897
U.C.C. § 9-502 (d) (2010).
Convention du Cap (2001), supra note 64, art. 16 (1) (a), 18 (3), 19 (4) et 20 (1). Voir aussi :
Ronald C.C. CUMING, « The registry system of the (draft) convention on international interests in
mobile equipment and the (draft) aircraft equipment protocol », (2001) 103
R. du N. 33, 47.
L. PAYETTE, op. cit., supra note 386, nos 394-398, p. 157-159.
J.M. WILSON, loc. cit., supra note 37, p. 93-94.
L. PAYETTE, op. cit., supra note 386, no 394, p. 158.

Page 347
321
qui fait l’objet de la pré-inscription, n’est pas conclue. On suggère que le débiteur devrait
pouvoir faire radier cette inscription en tout temps s’il est prouvé que la convention de
sûreté n’est jamais née 898. On voit tout de suite la boîte de Pandore que cela peut ouvrir.
Si le créancier est de mauvaise foi, il peut causer tracasseries au débiteur et provoquer un
litige 899. Même si, aux termes du Titre 9 du UCC 900 et de la Convention du Cap
(2001)901, la pré-inscription ne peut se faire qu’avec l’assentiment du débiteur, il peut
s’agir là d’une mesure dangereuse.
D’autre part, elle est source d’incertitude pour les tiers qui consultent le registre. On
soutiendra que le registre ne vise pas à informer de l’existence d’une sûreté, mais de son
existence « potentielle » 902. Cette vision de la fonction d’un registre nous apparaît
incompatible avec sa mission de publicité, qui est de procurer aux transactions leur
caractère d’opposabilité et, par voie de conséquence, de permettre l’édification d’un ordre
de priorité simple et cohérent. On pourrait soutenir que la sécurité du crédit exige qu’un
registre de publicité donne une information complète et ne soit pas source de litiges
inutiles 903.
898
899
900
901
902
903
J.-F. RIFFARD, op. cit., supra note 21, no 784, p. 284.
Notons que cette perspective de litige inutile ne semble pas en effrayer certains. Voir
R.C.C. CUMING,
loc. cit., supra note 892, p. 287.
C’est ce que soutient E.E. SMITH, loc. cit., supra note 319, p. 28, en vertu des sections
U.C.C. § 9-502(d) et § 9-509 (2010).
Convention du Cap (2001), supra note 64, art. 20.
R.C.C. CUMING, loc. cit., supra note 892, p. 277.
Cette approche ne fait pas l’unanimité. Elle fut rejetée en droit anglais et écossais pour des raisons
similaires. Voir : H. BEALE et al., The Law of Personal Property Security, supra note 28, p. 770-
771; G. GRETTON,
loc. cit., supra note 360, p. 280-281.

Page 348
322
Ce bref survol des principes fondamentaux de la publicité par inscription et de
l’importance d’un registre uniforme et centralisé nous amène à constater que
l’entendement de la notion de publicité n’est pas la même en droit civil et en common law
anglo-américaine. Il y a bien sûr des recoupements et une direction commune, mais le
système américain est tout de même plus permissif que ne l’est le système de droit civil,
et même ceux de l’Angleterre et de l’Écosse. Ce qui n’en fait pas pour autant des
systèmes moins efficaces.
Cela étant, l’idée même de la publicité par inscription à un registre est malmenée, et ce,
peu importe le système étudié, car la renaissance de la publicité par dépossession,
principalement fictive, est à l’œuvre partout.
2.3
de la renaissance de la publicité par dépossession
En raison de l’avènement du système de publicité par inscription, plusieurs ont suggéré
d’abolir le gage comme mécanisme de publicité ou de le circonscrire aux seuls biens
meubles corporels et titres négociables 904. Dans une certaine mesure, c’est ce que le
droit américain et le droit québécois font, sauf que la création d’un régime spécial sur les
valeurs mobilières et les titres intermédiés, puis, aux États-Unis, sur les comptes
bancaires et les lettres de crédit 905, ont pour effet de diminuer grandement l’efficacité du
régime de l’inscription et d’aller à contre-courant de la mission de la publicité, où
l’occultisme ne doit pas être encouragé.
904
905
P. CIOTOLA et A. LEDUC, loc. cit., supra note 92, p. 60-74; J.J. WHITE, loc. cit., supra note 34,
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 27.
Voir notre discussion, supra, Partie I, sous-section III. A. 1.3.2.

Page 349
323
Ainsi, on peut déplorer la renaissance de ce mécanisme de dépossession fictive, à une
époque de progrès informatiques majeurs et soutenir que la véritable réforme du droit des
sûretés mobilières est indissociable des mécanismes de publicités qui en sous-tendent
l’édifice. Cependant, cette renaissance se constate à l’échelle internationale et il sera
désormais très difficile, voire impossible, de l’arrêter.
Nous allons terminer notre survol sur les considérations de mise en œuvre des sûretés
mobilières en énonçant les principes directeurs en matière de réalisation et d’exécution.
3.
Les principes directeurs en matière de réalisation et d’exécution
des sûretés mobilières conventionnelles
Nous ne discuterons pas, dans les menus détails, de chacun des recours mis à la
disposition des créanciers en cas de défaut du débiteur, aux termes des différents textes
comparés. Une telle analyse dépasse le cadre de la présente étude. Nous allons toutefois
identifier les principes directeurs en la matière, qui concilieront tant les intérêts du
créancier que ceux du débiteur. Cette analyse recèle toute son importance, car la réforme
du droit des sûretés en droit interne et son harmonisation à l’échelle internationale visent
l’uniformisation des modes de constitution, de publicité et de recours. Au final, c’est de la
simplicité du régime dont il s’agit. L’approche fonctionnelle, on l’a vu, permet
conceptuellement cette uniformisation. L’approche formaliste permet une plus grande
variété de recours, selon la forme de la transaction, qui ne vont pas nécessairement de
pair avec l’idée de simplification, dont tant les créanciers que les débiteurs bénéficieront.
Exécution rapide de la sûreté pour les uns, droit de contestation et mécanismes de
protection pour les autres, voilà autant d’intérêts qui nécessitent un arbitrage.
Page 350
324
Ainsi, l’uniformisation des recours engendrera leur limitation et permettra l’instauration
de modalités similaires et connues de tous, allant dans le sens du principe de l’égalité des
créanciers. Les mécanismes d’exécution doivent être souples et efficaces. Ainsi, on doit
permettre au créancier de reprendre possession du bien grevé et d’en disposer à la
satisfaction de sa créance, à l’intérieur d’un court délai. Le créancier pourra donc,
alternativement, prendre possession du bien grevé (s’il ne le détient pas déjà), le vendre
ou le faire vendre, ou le reprendre à la satisfaction de sa créance. Dans le cas de sûretés
grevant des créances tels des comptes à recevoir, le créancier pourra en percevoir lui-
même le produit auprès des débiteurs cédés. Idéalement, ce processus de réalisation
pourra être extrajudiciaire, sauf en cas de contestation. Dans cette hypothèse, afin
d’éviter les abus, un mécanisme de notification sera établi, pour permettre au débiteur de
s’objecter. Le débiteur doit ainsi être informé du défaut qu’on lui reproche. On doit lui
accorder un délai suffisant pour qu’il puisse y remédier. Les autres créanciers détenant
des sûretés dûment inscrites grevant le même bien doivent également être avisés du
recours que l’on se propose d’exercer, afin qu’ils puissent faire valoir leurs droits, le cas
échéant. Ce processus doit donc être encadré et publicisé dans son ensemble. Il pourra
se réaliser de manière extrajudiciaire, sauf en cas d’opposition légitime de la part du
débiteur ou d’un autre créancier 906. À la lumière de ces principes 907, nous pouvons
dégager quelques différences dignes de mention entre les régimes.
906
Pour un résumé des droits hypothécaires mis à la disposition des créanciers en droit québécois, on
lira P. CIOTOLA, op. cit., supra note 124, p. 367-371, 375-381. Pour un résumé des mesures
d’exécution en droit américain, consulter : E.E. SMITH,
loc. cit., supra note 319, p. 53-58. Enfin,
pour un résumé des mécanismes de réalisation aux termes de la Loi type interaméricaine relative
aux sûretés mobilières
, voir : B. KOZOLCHYK et J.M. WILSON, loc. cit., supra note 10, 88-93.

Page 351
325
Le Code civil du Québec a uniformisé les recours hypothécaires et les procédures
préalables à leur exercice, qui sont obligatoires dans chaque cas 908. Le créancier
hypothécaire bénéficie des droits hypothécaires suivants (en plus de son action
personnelle et des mesures provisionnelles prévues au Code de procédure civile) : la prise
de possession à des fins d’administration; la prise en paiement; la vente par le créancier;
la vente sous contrôle de justice 909. Le créancier hypothécaire doit signifier au débiteur
un préavis d’exercice du recours hypothécaire qu’il entend exercer dans un délai
préalable de vingt jours 910, lequel doit être publié et inscrit au registre mobilier 911. Par la
suite, le débiteur délaissera le bien grevé, soit volontairement, soit de manière forcée. Ce
délai de vingt jours sera abrégé en cas d’urgence, suite à l’obtention d’une ordonnance
émise à cet effet par le tribunal. Après délaissement du bien, le créancier peut exercer les
divers recours qui sont mis à sa disposition par le Code civil; si le délaissement est forcé,
il peut s’obtenir dans des délais beaucoup plus longs que ceux prévus au Code civil 912.
Sauf dans le cas de la vente sous contrôle de justice, qui nécessite l’obtention d’une
907
908
909
910
911
912
Pour un résumé de ces principes, lire : Principes de la Banque Mondiale – 2001, supra note 40, p.
29-30, principes 5 (Exécution des sûretés);
Principes de la Banque Mondiale – 2005, supra note
40, p. 14, principe A-5.
J. PINEAU, loc. cit., supra note 458, p. 441. J. Pineau précise que ce faisant, le législateur
québécois a voulu atteindre l’équilibre entre les droits des créanciers et ceux des débiteurs et des
tiers.
C.c.Q., art. 2748.
C.c.Q., art. 2757 et 2758.
C.c.Q., art. 2757.
La requête en délaissement forcé et pour exercice du recours de prise en paiement ou de vente sous
contrôle de justice sera assujettie aux règles du
Code de procédure civile, prévues notamment aux
art. 110, 111-112, 151.4, 796-799 C.p.c., ce qui signifie que des délais s’ajouteront à ceux du
préavis d’exercice, faisant en sorte que le processus de liquidation et de recouvrement, en cas de
contestation, peut s’étirer jusqu’à 180 jours et même au-delà, si ce délai est prolongé avec
l’autorisation de la Cour, à moins que le créancier n’invoque des motifs d’urgence, tel que le
permettent les art. 2767 C.c.Q., 113, 151.4, 796, 798-799 C.p.c. Toutefois, le débiteur peut
délaisser volontairement et consentir à la prise en paiement par le créancier au moyen d’un écrit
(art. 2764 et 2781 C.c.Q.).

Page 352
326
ordonnance du tribunal, et sauf en cas d’opposition du débiteur ou d’un autre créancier,
les autres recours s’exerceront de manière extrajudiciaire. Ces mesures préalables à
l’exercice de droits hypothécaires assurent donc une uniformité des règles du
délaissement, des exceptions, des mesures de notification et de publicité aux tiers. Le
processus de réalisation est ainsi bien délimité et encadré, conciliant les intérêts du
créancier et ceux du débiteur et des autres tiers ou créanciers. Il s’applique tant aux
sûretés avec que sans dépossession, mobilières qu’immobilières mais, dans ce dernier
cas, le préavis pour délaisser est de soixante jours et il s’inscrit au registre foncier. Enfin,
ce processus s’applique aux hypothèques légales; les titulaires de priorités ne peuvent
exercer directement quelque recours, la priorité existant à l’état latent et ne prenant vie
que lors de la collocation. En matière hypothécaire, donc, le législateur québécois a
voulu créer un « effet de système » propre à la codification civiliste.
Cependant, en ce qui concerne les sûretés-propriétés, seuls le vendeur à tempérament, le
vendeur à réméré et le fiduciaire d’une fiducie-sûreté sont assujettis à ces modalités, qui
ne sont pas sans poser certains problèmes d’ordre conceptuel au niveau des recours
proprement dits 913; le crédit-bailleur et le locateur en sont exemptés, leur liberté
contractuelle n’étant pas affectée 914. De plus, le titulaire d’une hypothèque sur des
valeurs mobilières ou des titres intermédiés en est également dispensé 915, contrairement à
ce qui prévalait antérieurement aux modifications apportées par la Loi sur le transfert de
913
914
915
C.c.Q., art. 1263, 1749 et 1756.
C.c.Q., art. 1842-1850 ; art. 1851-1891.
C.c.Q., art. 2759, tel que remplacé aux termes de la Loi sur le transfert de valeurs mobilières,
supra note 100, art. 138.

Page 353
327
valeurs mobilières 916. Ce régime spécial fait fi des mesures de protection dont les
débiteurs bénéficient dans le régime général en raison, d’une part, de la nature du bien
grevé et de la dépréciation rapide dont il peut faire l’objet, mais en raison, surtout et
d’autre part, de l’arrimage de ce régime avec les diktats de l’harmonisation internationale
alignée sur le droit américain. Mentionnons, enfin, que l’exercice des droits aux termes
d’une hypothèque sur des créances est assujetti à certaines formalités additionnelles de
notification au débiteur cédé 917. L’uniformisation des recours et des mesures préalables
à leur exercice n’est donc pas complète, mais cela traduit bien le choix de politique
législative faite par le législateur québécois, qui n’a pas retenu l’approche fonctionnelle,
mais plutôt un mi-chemin entre les approches formaliste et fonctionnelle. Cette
conciliation entre les intérêts des débiteurs et des créanciers est mise à mal par les
régimes d’exception, ainsi que le principe de publicité de l’exercice des recours en ce qui
concerne les crédits-baux et les baux.
Le droit américain, même s’il a retenu l’approche fonctionnelle dans le Titre 9 du UCC,
n’a pas tout à fait réussi une parfaite uniformisation des recours, lui non plus, et sa
méthode est finalement plus disparate que celle préconisée par le Code civil. D’une part,
en raison de son champ d’application, il ne vise pas les sûretés légales et les sûretés
immobilières. Dans ce domaine, les règles sont aussi diverses qu’il y a d’États
américains 918. Pour les sûretés mobilières conventionnelles, le Titre 9 du UCC établit
916
917
918
La mécanique du délaissement était très lourde, surtout dans le cas de valeurs mobilières cotées et
négociées à une bourse reconnue, car elles peuvent exiger que l’on procède à une vente rapide des
titres afin d’éviter la chute des cours. Sur l’état du droit antérieur, voir : P. CIOTOLA et
A. LEDUC,
loc. cit., supra note 92, p. 51-57.
C.c.Q., art. 2710, 2745.
L.M. LoPUCKI et E. WARREN, op. cit., supra note 78, p. 31-34.

Page 354
328
que le créancier peut disposer du bien grevé en le vendant, en le louant, en conférant des
droits de licences; il peut aussi en disposer de toute autre manière 919. Aux termes du
Titre 9 du UCC, le créancier n’a pas d’obligation formelle d’aviser le débiteur avant de
prendre possession du bien grevé afin d’en disposer, ni de publier un tel avis. Cependant,
cette prise de possession ne peut s’effectuer que du consentement du débiteur, c’est-à-dire
qu’elle ne doit pas troubler l’ordre public, ce qui n’est pas toujours le cas : on recense des
cas où créanciers et débiteurs en viennent aux coups, quand ce n’est pas carrément à
l’usage d’armes à feux, les agences de recouvrement n’utilisant pas toujours les méthodes
les plus courtoises pour recupérer un bien grevé 920. En cas d’opposition du débiteur, le
créancier doit s’adresser au tribunal afin d’obtenir le délaissement forcé du bien 921. Pour
reprendre possession du bien grevé, le créancier garanti doit exercer une action en vertu
de la common law (i.e. action for replevin). Dans plusieurs États, le créancier devra
aviser le débiteur au préalable (occasionnant un délai oscillant entre dix et vingt jours)
alors que dans d’autres États, cette mesure s’obtiendra ex parte, sans préavis 922. À
défaut de prendre possession du bien avant d’en disposer, le créancier pourra le rendre
inutilisable par le débiteur tout en le laissant en possession du bien 923. Le créancier peut
dès lors disposer du bien grevé, ce qui peut prendre de deux à trois semaines. Le
créancier a cependant l’obligation d’aviser le débiteur et les autres créanciers avant de
disposer du bien en réalisation de sa créance 924. Sauf en matière de biens de
919
920
921
922
923
924
U.C.C. § 9-610 (2010). Voir : L.M. LoPUCKI et E. WARREN, op. cit., supra note 78, p. 35.
L.M. LoPUCKI et E. WARREN, op. cit., supra note 78, p. 44.
U.C.C. § 9-609 (2010).
L.M. LoPUCKI et E. WARREN, op. cit., supra note 78, p. 38-49.
U.C.C. § 9-609(a)(2) (2010).
U.C.C. § 9-611 (2010).

Page 355
329
consommation, le créancier n’est pas astreint à un délai à l’intérieur duquel il devrait
compléter la vente. Il peut dès lors utiliser le bien et, éventuellement, le garder en
paiement de sa créance 925. Ces mesures ne font pas l’objet d’une publicité.
Si le régime de réalisation du Titre 9 du UCC est d’abord conçu pour s’appliquer de
manière extrajudiciaire, les créanciers lui préfèrent souvent, en pratique, l’obtention d’un
jugement, ce que le UCC permet. Ce régime s’applique en réalisation de biens tangibles.
Il ne fait pas de distinction entre les sûretés-propriété et les sûretés conventionnelles 926.
Cependant, des régimes spécifiques sont prévus pour les comptes bancaires, les sûretés
avec dépossession et celles faisant l’objet du contrôle du créancier 927. Aussi, les sûretés
sur créances sont assujetties à des formalités additionnelles de notification aux débiteurs
cédés 928. De plus, le UCC laisse une grande place à l’autonomie de la volonté des parties
en matière d’exercice des recours. Ce faisant, le régime du Uniform Commercial Code
n’est pas si uniforme qu’on le prétend.
La Loi type interaméricaine sur les sûretés réelles mobilières se situe à mi-chemin entre
les régimes québécois et américain. D’une part, elle se montre plus rationnelle et
systématique, à l’image du droit québécois, quant aux recours et à leurs modalités
d’exercice; d’autre part, les délais consentis aux débiteurs et les motifs de contestation
sont circonscrits de telle façon que le processus se veut plus expéditif, à l’américaine. Au
chapitre des recours, le créancier peut vendre lui-même les biens grevés ou le vendre aux
925
926
927
928
U.C.C. § 9-620 (2010). Voir aussi, de façon générale : L.M. LoPUCKI et E. WARREN, op. cit.,
supra note 78, p. 78-92.
Pour l’énoncé des règles générales, voir : U.C.C. § 9-601 (2010).
U.C.C. § 9-601(b) et § 9-207 (2010).
U.C.C. § 9-607 (2010).

Page 356
330
enchères publiques 929. Il ne peut le faire avant d’avoir publié et transmis un préavis au
débiteur, lequel préavis doit être notarié ou attesté par un juge 930. Sur réception du
préavis, le débiteur dispose alors d’un délai de trois jours pour remédier au défaut et la
seule façon pour lui de le faire consiste à rembourser la dette au complet, en capital et
intérêts 931. À l’expiration de ce délai, le créancier peut obtenir jugement, la seule
contestation possible portant sur le paiement de la dette et le jugement étant exécutoire
nonobstant appel 932. Toute autre défense ne peut donner lieu qu’à une action en
dommages contre le créancier selon les procédures en vigueur dans l’État et le débiteur
peut invoquer l’abus de droit 933. Un ordre de collocation est prévu et tout créancier
postérieur peut être subrogé dans les droits d’un créancier antérieur en le désintéressant
de sa créance 934. La vente purge les droits réels, sauf ceux qui sont antérieurs à ceux du
créancier qui exerce ses droits 935. Enfin, suite à l’envoi du préavis d’exercice, le débiteur
ne peut plus continuer à vendre lui-même les biens grevés dans le cours normal de ses
affaires 936; le débiteur et le créancier peuvent toutefois convenir entre eux, avant ou après
l’envoi du préavis, d’autres mécanismes de règlement de la dette 937. La loi type
n’indique cependant pas si le créancier peut éteindre la dette en devenant propriétaire du
bien. Un régime additionnel de notification aux débiteurs de créances cédées ou
929
930
931
932
933
934
935
936
937
LTIRSM, supra note 10, par. 59 (IV).
Ibid., art. 54-55.
Ibid., art. 56.
Ibid., art. 57 et 61.
Ibid., art 57 et 63.
Ibid., art. 60 et 64.
Ibid., art. 67.
Ibid., art. 65.
Ibid., art. 62.

Page 357
331
hypothéquées est prévu 938. Ainsi, la Loi type interaméricaine sur les sûretés réelles
mobilières encadre judiciairement le processus de réalisation et en balise les délais. Les
droits du débiteur sont limités mais il peut poursuivre en dommages pour abus de droit.
L’objectif de la réalisation rapide au profit du créancier l’emporte donc sur la protection
des droits du débiteur. L’assujettissement des procédures de recouvrement au processus
judiciaire, aux termes de la Loi type interaméricaine sur les sûretés réelles mobilières,
découle très certainement du fait que, dans plusieurs pays d’Amérique latine, le
recouvrement volontaire par les créanciers est prohibé par la Constitution, comme c’est
notamment le cas au Mexique 939.
En revanche, la Loi type de la BERD opte résolument en faveur de la protection des droits
du débiteur. Un créancier ne peut exercer ses droits que suite à l’envoi et à la publication
d’un préavis de soixante jours. À terme, le créancier peut vendre le bien. Le débiteur et
les autres créanciers ont la possibilité de contester le préavis et de remédier au défaut et
les causes de contestations ne sont pas limitées 940.
Le Guide législatif sur les opérations garanties reprend ces éléments mais s’inspire
essentiellement du régime américain. Les droits du créancier consistent à obtenir la
possession du bien meuble, puis le vendre, le louer ou le mettre sous licence ou l’acquérir
en paiement de la créance garantie; le créancier peut aussi exercer tous les autres droits
prévus à la convention de sûreté; des régimes spéciaux sont prévus pour les créances,
938
939
940
Ibid., par. 59 (II).
Voir : Michael L. OWEN, « Reforms of the Law of Secured Transactions in Mexico and the
United States », (2002) 10
U.S. – Mexico Law Journal 99, 104. Voir aussi: A.M. GARRO, loc.
cit., supra note 405, p. 206.
Loi type de la BERD, supra note 51, art. 22-32.

Page 358
332
comptes bancaires, titres négociables, droit au paiement de lettres de crédit 941. Un
préavis doit être transmis au débiteur avant l’exercice de recours, sauf s’il s’agit d’un bien
périssable ou d’un type qui soit vendu sur un marché reconnu 942. La prise de possession
et la disposition extrajudiciaire est permise avec le consentement du débiteur, autrement
la réalisation sera judiciaire 943.
En résumé, le régime québécois, de droit civil, est très certainement le plus uniforme et
intégré, malgré ses quelques exceptions. Le suit de près celui proposé aux termes de la
Loi type interaméricaine sur les sûretés réelles mobilières qui, tout en ménageant les
droits du débiteur, n’en reconnaît pas moins la primauté des droits du créancier garanti.
Le législateur québécois tirerait d’ailleurs avantage à s’en inspirer. Le régime de la Loi
type de la BERD s’inscrit dans la même veine mais se montre beaucoup plus restrictif
quant à l’exercice des droits des créanciers. Enfin, le régime américain est plus confus et
difficile d’approche. Il est, conceptuellement, celui qui est le moins uniforme, malgré ce
que son titre suggère. Dégager des principes généraux est chose très difficile en la
matière. Cela tient probablement à la nature du régime, qui repose plutôt sur des
catégories de biens et de créanciers, que sur des concepts généraux abstraits applicables
selon la nature de la situation. Le Guide législatif sur les opérations garanties constitue,
en fait, la reproduction de ce régime.
941
942
943
Guide législatif sur les opérations garanties, supra note 45, « Chapitre VIII. Réalisation d’une
sûreté réelle mobilière », p. 39-40, 45-46 (Recommandations 141, 167-177).
Ibid., p. 41-42 (Recommandations 149-151).
Ibid., p. 38, 40, 41 (Recommandations 138, 142, 147-148).

Page 359
333
Notons cependant que ces régimes sont très souvent contournés par les créanciers qui leur
préfèrent les mesures plus expéditives du régime d’insolvabilité 944, venant ainsi jeter en
pâture l’équilibre visé par le régime hypothécaire (ou de sûretés mobilières) usuel entre
les intérêts des créanciers et ceux des débiteurs.
Cet exposé complète notre survol des fondements, des valeurs et des concepts qui sous-
tendent les principaux régimes de sûretés mobilières en Occident. Nous pouvons
maintenant aborder la quatrième partie de notre étude portant sur la réforme et
l’harmonisation du droit des sûretés mobilières au plan systémique en Occident, qui
consiste à entrevoir la manière qui puisse assurer la mise en œuvre de ces valeurs et de
ces
concepts,
dans
un
contexte
d’harmonisation
du
droit.
944
Voir notre discussion, supra, Partie I, sous-section II. 2.3. En droit canadien de l’insolvabilité,
l’exercice des droits hypothécaires est progressivement délaissé, en matières commerciales, au
profit des dispositions de la
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, permettant la prise de contrôle
rapide par un créancier garanti des biens de l’entreprise et leur vente éventuelle. Avant la réforme
de septembre 2009, on y procédait par l’entremise s’un séquestre intérimaire de l’article 47 LFI
(appelé le « super-séquestre »); désormais, c’est par l’entremise du séquestre dit « national » de
l’article 243 LFI. Ces ordonnances de vente qui purgent les droits réels, appelées «
vesting
orders », sont beaucoup plus expéditives et s’obtiennent pratiquement sans préavis. Voir, sur ces
questions, P.H. BÉLANGER et S. RIGAUD,
op. cit., supra note 232, p. 95 et suiv.

Page 360
IV- DE LHARMONISATION DU DROIT DES SÛRETÉS MOBILIÈRES : DES VALEURS ET
DES CONCEPTS À LEUR MISE-EN-ŒUVRE
La longue analyse de droit comparé à laquelle nous nous sommes livrés, dans les
chapitres précédents de cette étude, nous permet d’aborder, dans ce quatrième chapitre et
de manière plus spécifique, la question des enjeux de l’harmonisation du droit des sûretés
mobilières. Pour ce faire, il importe, en premier lieu, d’esquisser à grands traits les
principales caractéristiques des traditions juridiques en présence et des techniques
législatives qui leur sont propres [A]. Cet examen initial nous amènera, dans une
deuxième étape, à pleinement considérer l’harmonisation du droit des sûretés mobilières
[B] pour, en dernier lieu, répondre à l’une des questions de notre thèse, consistant à
savoir si nous progressons vers l’uniformisation du droit des sûretés mobilières en
Occident [C].
A.
Des traditions juridiques et des techniques législatives
Il est de bon ton, en ce début de XXIe siècle, de considérer l’étude des traditions
juridiques plutôt que celle des systèmes, la notion de « tradition » pouvant s’avérer plus
large et, de ce fait, moins restrictive, que ne le serait l’idée même de « système
juridique » 945. On a cru que cette perspective, davantage axée sur la notion de
« tradition », pouvait s’avérer, à plus long terme, porteuse d’une intéressante piste de
réflexion, notamment du point de vue de la philosophie et de la théorie générale du
droit 946. Cette opposition entre « traditions » et « systèmes » juridiques nous apparaît
cependant factice. On pourrait en effet considérer qu’elle ne fait que participer, au fond,
945
946
Supra, note 17.
Voir, en ce sens : Martin BOODMAN, « The Myth of Harmonization of Laws », dans
Contemporary Law / Droit contemporain, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 1992, 126,
130.


Page 361
335
à cette tendance lourde et généralisée du relativisme culturel, qui s’érige en rempart
contre une véritable analyse du droit dans son expression la plus organisée et achevée de
« système juridique », qui découle nécessairement d’une tradition juridique 947. Notre
objectif, à ce stade-ci, consiste plutôt à entrevoir les voies possibles, d’une manière
concrète, de l’harmonisation du droit dans une sphère juridique bien précise. Ainsi, dans
une perspective de droit comparé « appliqué », il nous apparaît nécessaire, avec les
risques et les failles que cela comporte inévitablement, de nous limiter ici à une analyse
dite plus « systémique ».
Comme nous l’avons déjà souligné, il est néanmoins possible de concevoir que
« traditions » et « systèmes » ne soient pas deux idées nécessairement opposées, mais
qu’elles soient, en fait, la succession logique d’un même continuum. De cette manière,
nous nous proposons de distinguer, dans un premier temps, les caractéristiques propres au
système de droit civil québécois, en comparaison à celles de la Common Law anglo-
américaine [1]. Nous pourrons dès lors mieux envisager les divers contextes et les
diverses formes que peut prendre l’harmonisation du droit [2].
947
À cette aune, l’harmonisation du droit passe par la formulation d’un droit comparé approximatif,
dégagé de ses contingences systémiques, appelant à la création d’un
jus commune transnational
qui échapperait aux législateurs et à leur cadre juridique trop étroit, remettant le véritable pouvoir
de dire le droit, dans les faits, aux juges. Sur ces idées subversives et non démocratiques, voir
notamment : H. Patrick GLENN, « La Disposition préliminaire du
Code civil du Québec, le droit
commun et les principes généraux du droit », (2005) 46
Les Cahiers de Droit 339 [« Disposition
préliminaire
»] ; H. Patrick GLENN, « Harmonization of Private Law Rules Between Civil and
Common Law Jurisdictions », dans ACADÉMIE
/
INTERNATIONAL ACADEMY OF COMPARATIVE LAW, Rapports généraux, XIII e congrès
international, Montréal 1990, XIIIth International Congress General Reports
, Cowansville (Qc.),
Éditions Yvon Blais, 1992, 79 [« Harmonization »]; L. Le BEL et P.-L. Le SAUNIER, loc. cit.,
supra note 101.
INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ


Page 362
336
1.
En droit civil québécois et en Common Law anglo-américaine
Le droit civil québécois appartiendrait à la famille dite « romano-germanique », tandis
que le droit américain appartiendrait à la famille de la common law. En cela, il existe une
proximité entre ces deux familles, qui incite à parler de l’existence d’une famille de droit
« occidentale », puisque leurs solutions respectives relèvent essentiellement d’une même
conception du droit et de la justice 948. Cela est d’autant plus vrai que le droit québécois,
pris dans son ensemble, est un droit « mixte », car son droit privé est d’origine civiliste et
son droit public, d’origine britannique 949. Notre attention portera surtout sur la notion de
« codification » en droit civil [1.1], pour ensuite comparer cette idée et voir de quelle
manière elle peut se traduire en droit anglo-américain, un droit certes inspiré du judge
made law, où le droit légiféré occupe néanmoins une place sans cesse grandissante [1.2].
1.1
la codification du droit : but, objet et technique de rédaction
législative
Portalis, soucieux avant tout de faire œuvre pratique, tentait de
concilier les opinions adverses. Il cherchait la leçon des
traditions du Nord et de celles du Midi, invoquant l’Histoire,
cette « physique expérimentale des lois ».
Jean GAUDEMET, Les naissances du droit, 2e éd., Paris,
Montchrestien, 1999, p. 206-207.
L’Histoire, physique expérimentale des lois. Portalis était bien inspiré de conférer une
telle portée à l’étude de l’Histoire du droit dans un contexte de réforme. S’il cherchait la
leçon des traditions du Nord et de celles du Midi 950, nous cherchons, dans le cas qui nous
948
949
950
R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, op. cit., supra note 358, nos 16-19, p. 16-19.
Sur le caractère de droit mixte du droit québécois, lire : John E.C. BRIERLEY, « La notion de
droit commun dans un système de droit mixte : le cas de la province de Québec », dans
La
formation du droit national dans les pays de droit mixte, Presses Universitaires d’Aix-Marseille,
1989, 103.
L’importance du Code civil ne s’est jamais démentie en France. Avec le temps, plusieurs juristes
et sociologues français estiment que le Code civil est, à tout le moins sociologiquement, la



Page 363
337
occupe, la leçon des traditions de droit civil et de celles du droit américain. Nous
tenterons de cerner, dans un premier temps et de façon générale, le but et l’objet de la
codification [1.1.1], pour nous attarder, en second lieu, aux aspects qui sont les propres de
cette technique de rédaction législative [1.1.2].
1.1.1
but et objet de la codification
Parler de « la codification », de façon imprécise, s’avère beaucoup trop large. On sait en
effet qu’à lui seul, le terme « codification » réfère, en droit contemporain, à un
phénomène « complexe et multiforme » 951. A.-F. Bisson a bien dégagé « l’inventaire
[qui] peut être fait des considérations d’ordre juridique, social ou technique qui sont à la
base des codifications : unifier ou harmoniser le droit; le rendre plus certain, plus simple
ou plus accessible; consolider l’ordre social ou en imposer le renouveau total ou partiel;
rehausser le prestige de l’État ou en assurer son indépendance » 952. Ces considérations
ne seraient pas, du reste, mutuellement exclusives, ce qui dès lors empêche de réduire
l’entendement de la notion à la simple expression d’un dénominateur commun à toutes
formes de codification 953. Pour fins de compréhension et de circonspection de la
matière, A.-F. Bisson distingue les codifications dites « organisatrices » des codifications
dites « palliatives », les premières répondant aux objectifs classiques de la codification
réelle, les secondes participant davantage de la compilation :
véritable Constitution de France, à titre de symbole d’unification. Voir : Rémy CABRILLAC,
« Le
Code civil est-il la véritable constitution de la France ? », (2005) 39 R.J.T. 245. En ce sens,
l’adoption d’un Code civil Européen aurait une fonction symbolique et unificatrice aussi puissante
qu’une monnaie ou une Constitution communes.
Voir : Alain-François BISSON, « Aspects contemporains de la codification », dans Ordres
juridiques et espaces marchands / The Legal Order and the Realm of Commerce
, Collection
Bleue, Montréal, Wilson & Lafleur, 1998, 135, 139.
Ibid.
Ibid.
951
952
953

Page 364
338
Entre ces deux types [de codifications], des compénétrations sont sans doute
toujours possibles et effectivement parfois présentes. Il ne paraît toutefois pas
illégitime de les opposer, si l’on considère que la façon dont sont vécues les
codifications organisatrices est un révélateur tenace de certaines différences
essentielles entre les traditions de droit civil et de common law, tandis que, malgré
la diversité des réponses techniques, les codifications palliatives ont tendance à faire
passer au second plan les spécificités des traditions, soudain réunies face au même
mal existentiel.
954
Ce mal existentiel, c’est la prolifération de lois particulières et de textes réglementaires.
Cette inflation législative serait inévitable, même lorsque l’on procède à une codification
organisatrice du droit. Nous traiterons de cet aspect, ainsi que des codifications
palliatives, en deuxième partie de chapitre. Pour l’instant, concentrons-nous sur l’aspect
« organisateur » de la codification, tel qu’il s’entend dans la tradition de droit civil.
En droit québécois, le Code civil du Québec établit le « droit commun », nous indique sa
Disposition préliminaire 955. On a vu, dans le texte de cette Disposition, unique en son
genre parmi les pays de la tradition civiliste, une intention non équivoque de
954
955
Ibid., p. 140.
Voir le texte de la Disposition préliminaire du Code civil du Québec, qu’il apparaît utile de
reproduire, afin d’en bien montrer le sens et la portée :
DISPOSITION PRÉLIMINAIRE
PRELIMINARY PROVISION
Le Code civil du Québec régit, en harmonie
avec la Charte des droits et libertés de la
personne et les principes généraux du droit, les
personnes, les rapports entre les personnes, ainsi
que les biens.
Le Code est ainsi constitué d’un ensemble de
règles qui, en toutes matières auxquelles se
rapportent la lettre, l’esprit ou l’objet de ses
dispositions, établit, en termes exprès ou de
façon implicite, le droit commun. En ces
matières, il constitue le fondement des autres
lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou
y déroger.
The Civil Code of Québec, in harmony with the
Charter of human rights and freedoms and the
general principles of law, governs persons,
relations between persons, and property.
The Civil Code comprises a body of rules
which, in all matters within the letter, spirit or
object of its provisions, lays down the
jus
commune
, expressly or by implication. In these
matters, the Code is the foundation of all other
laws, although other laws may complement the
Code or make exceptions to it.






Page 365
339
concrétisation de l’effet de codification, voir même d’un effet de « système » 956. Cet
effet de système conférerait, au Code civil du Québec, « la plus grande extension possible
[à son] champ opérationnel, tant conceptuel que normatif » 957. Il devient ainsi la source
première du droit, constituant de ce fait un « réservoir de concepts » 958 et, partant, la
toile de fond de l’ensemble du système juridique. Ce faisant, la Disposition préliminaire
joue une fonction organisatrice du système et s’érige en rempart contre toute
interprétation « statutaire » que l’on pourrait être tenté d’en faire, qui lui conférerait alors
le statut d’une loi parmi tant d’autres 959. Enfin, la Disposition préliminaire reconnaîtrait
l’« incomplétude » du Code civil de deux manières, soit en référant aux principes
généraux du droit, soit en référant aux lois particulières ou spéciales, qui viennent y
ajouter ou y déroger 960.
956
957
958
959
960
Voir l’exposé magistral d’Alain-François BISSON, « La Disposition préliminaire du Code civil du
Québec », (1999) 44
R.D. McGill 539, 546.
Ibid., p. 552.
Voir: Alain-François BISSON, « A Comparison Between Statutory Law and a Civil Code », dans
Raymond A. LANDRY et Ernest CAPARROS, dir.,
Essays on the Civil codes of Québec and St.
Lucia
, Ottawa, University of Ottawa Press, 1984, 225, 232-233.
A.-F. BISSON, loc. cit., supra note 682, p. 44 et suiv. La Cour suprême du Canada a reconnu que
le
Code civil du Québec, de par sa Disposition préliminaire, constitue le droit commun du Québec.
Voir :
Doré c. Verdun (Ville de), [1997] 2 R.C.S. 862, nos 15-16, en particulier au no 15 : « Cette
disposition édicte en termes explicites que le Code civil constitue le droit commun du Québec.
Ainsi, contrairement au droit d’origine législative des ressorts de common law, le
Code civil n’est
pas un droit d’exception et son interprétation doit refléter cette réalité. Il doit recevoir une
interprétation large qui favorise l’esprit sur la lettre et qui permette aux dispositions d’atteindre
leur objet
». Cette disctinction de la common law entre le droit « statutaire » et la common law
non-écrite tendrait à s’amenuiser de nos jours, même si le
statute law conserve sa nature
d’exception. Voir : L. Le BEL et P.-L. Le SAUNIER,
loc. cit., supra note 101, p. 230-231. Ce qui
amène à une plus grande convergence entre les deux traditions, car les divergences d’interprétation
s’estompent et la common law se « civilise », en quelque sorte.
A.-F. BISSON, loc. cit., supra note 682, p. 46-47. Certains voient dans cette référence aux
« principes généraux du droit » une ouverture du Code civil à la
common law et aux autres
traditions juridiques, et ce, afin d’éviter toute interprétation « hermétique et étroite ». Voir :
L. Le BEL et P.-L. Le SAUNIER,
loc. cit., supra note 101, p. 203-206. Voir aussi : H.P. GLENN,
Disposition préliminaire, supra note 947. Avec déférence, nous croyons que les tenants de cette
opinion font fausse route. En effet, dans les sources du droit civil même, l’on identifie les
« principes généraux du droit » qui réfèrent à ces principes tels qu’entendus dans la tradition

Page 366
340
L’œuvre de codification organisatrice en est une de rationalisation du droit, c’est-à-dire
de « recomposition d’ensemble sur une branche du droit, obéissant à un ordonnancement
raisonné et construit de la matière » 961. Son modèle le plus répandu est celui du Code
civil des Français de 1804 dit, un temps, « Code Napoléon ». L’apparition du Code
Napoléon ne fut pas spontanée. Cet œuvre fut le résultat d’une lente évolution du droit
s’échelonnant sur plusieurs siècles. Il avait été précédé, entre autres, de la consignation
par écrit de nombreuses coutumes du royaume. De grands auteurs procédèrent ensuite à
la synthèse de ce droit coutumier, que l’on identifiera par la suite comme étant le « droit
commun coutumier », et dont
l’œuvre de Pothier en sera
incontestablement
l’aboutissement, qui précédera la codification. Objectifs de certitude, d’accessibilité et
d’unification du droit; objectif d’unification politique et commerciale de la nouvelle
République; continuation de l’ancien droit sur certains aspects mais rupture sur d’autres
civiliste. Il ne faudrait donc pas conclure à une ouverture tous azimuts qui permettrait de dénaturer
le Code civil par des emprunts trop fréquents ou non justifiés, banalisant ainsi l’originalité et la
cohérence intrinsèque de l’œuvre de codification. Sur ces questions, voir : Paul-André CRÉPEAU,
La réforme du droit civil canadien. Une certaine conception de la recodification (1965-1977),
Montréal, Les Éditions Thémis, 2003 [«
Une certaine conception »], p. 14-29. De même, la
lecture du message législatif ne commande pas toujours son interprétation et, lorsqu’elle s’avère
nécessaire, l’interprétation, en droit civil, consiste en la recherche de l’intention du législateur, car
c’est ce dernier qui établit le droit, non pas le magistrat. Voir, à ce sujet : Paul-André CRÉPEAU,
« Essai de lecture du message législatif », dans
Mélanges Jean Beetz, Montréal, Les Éditions
Thémis, 1995, 199 [«
Essai de lecture »]. Enfin, le juge Beetz ne rappelait-il pas, avec beaucoup
d’à-propos, que « [l]
e droit civil, qui est un ensemble de règles de droit privé, se compose en
grande partie, mais non pas exclusivement, du droit énoncé dans le
Code civil du Bas-Canada et
le
Code civil du Québec » ? Voir : Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville de), [1989] 1. R.C.S.
705, 715.
961
Voir : Dominique GAURIER, « La rédaction des normes juridiques, source de la métamorphose
du droit ? Quelques repères historiques pour une réflexion contemporaine », (2001) 31 R.G.D. 1,
65.

Page 367
341
pour laisser place aux nouvelles idées révolutionnaires, voilà ce que l’on chercha à
accomplir 962.
L’entreprise de codification Bas Canadienne reposerait essentiellement sur des motifs
d’ordre technique, bien que l’on puisse inférer, du contexte de l’époque, des facteurs
socio-politiques qui aient pu jouer un rôle 963. L’adoption, en 1866, du Code civil du Bas
Canada, était le fruit d’une certaine évolution juridique ayant pris cours sur plusieurs
années 964. Elle visait à assurer la certitude et l’accès au droit, tant en langue française
qu’anglaise.
On sait maintenant, en ce début de millénaire, qu’un code civil, tout parfait qu’il puisse
être lors de son adoption, n’atteint jamais un degré absolu et immuable de perfection, ni
qu’il ne présente un caractère exhaustif et complet, contrairement à ce que l’on a pu
croire et véhiculer à ce sujet au XIXième siècle. Les détracteurs de la codification de style
français s’attaquèrent à ces idées reçues 965. Désormais, on s’entend généralement pour
962
963
964
965
Pour des synthèses autorisées et éclairantes du processus ayant mené à la codification
napoléonienne et des objectifs que l’on poursuivait, lire J. GAUDEMET,
op. cit., supra note 1,
p. 178-221; D. GAURIER,
loc. cit., supra note 961.
Voir : John E.C. BRIERLEY, « Quebec Civil Law Codification Viewed and Reviewed », (1968)
14
McGill L.J. 521.
Voir : Sylvio NORMAND, « La codification de 1866 : contexte et
H. Patrick GLENN, dir.,
Droit québécois et droit
concordance
, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 1993, 43.
impact », dans
français : communauté, autonomie,
C’est, entre autres, cette conception de la codification civiliste que retient Grant Gilmore. Voir
G. GILMORE, op. cit., supra note 317, p. vii-viii. Cependant, ces idées firent l’objet de débats et
de contestations vigoureuses en France, notamment par Raymond Saleilles et François Gény. Voir,
à ce sujet : Marie-Claire BELLEAU, « Les juristes inquiets : classicisme juridique et critique du
droit au début du XXe siècle en France », (1999) 40
Les Cahiers de droit 507.

Page 368
342
concevoir le Code civil comme étant « le reflet des réalités sociales, morales et
économiques d’une société », à un moment donné de son histoire 966.
Enfin, l’entreprise de codification en est une de réflexion, de volonté politique et de
démocratisation du droit. La récente réforme du droit civil québécois, qui culminera par
l’adoption, en 1991, du Code civil du Québec, et par son entrée en vigueur le 1er janvier
1994, se sera étendue sur une longue période de trente-six ans, qui aura permis une
profonde réflexion de société 967. Ce qui a fait dire à certains commentateurs avisés que
son adoption « aura supposé, quoi qu’on en ait dit, des volontés politiques non
négligeables en fin de compte » 968.
Cela paraîtra banal de le dire : la codification ou la recodification, vaste entreprise de
réforme du droit, suppose toujours volonté politique et investissement des ressources
intellectuelles et pécuniaires nécessaires à sa concrétisation. Rappelons seulement le rôle
966
967
Paul-André CRÉPEAU, « Les enjeux de la révision du Code civil », dans André POUPART, dir.,
Les enjeux de la révision du Code civil, Montréal, Faculté de l’éducation permanente, Université
de Montréal, 1979, 11 [«
Les enjeux »], 13. Voir aussi : P.-A. CRÉPEAU, Une certaine
conception
, supra note 960, p. 3-6, 20-21.
P.-A. CRÉPEAU, Une certaine conception, supra note 960, p. 15-16 :
« Le Code civil est une œuvre doublement démocratique sur le plan formel des
sources. D’une part, en effet, selon la conception la plus classique, le Code
civil est œuvre démocratique du fait qu’elle émane directement du pouvoir
législatif. C’est dire que les politiques, les techniques et le language juridiques
qui sont privilégiés reçoivent la sanction des organes politiques représentatifs
de la société. En un mot, « faire la loi », dans ce contexte, constitue une
fonction législative et non une fonction judiciaire. C’est ainsi, notamment, que
se distingue le droit civil codifié de la common law, où les normes sont, de
principe, l’œuvre des tribunaux.
Dans une société démocratique, en pleine évolution sur le plan des valeurs
sociales, morales et économiques, il nous paraît, non seulement éminemment
souhaitable, mais, en vérité, essentiel que les grands choix fondamentaux en
vue d’accorder le droit aux réalités contemporaines, concernant le statut des
personnes, l’organisation de la famille et des successions, le régime des biens,
la réglementation des contrats et de la responsabilité civile, soient fixés par la
voie délibérative des représentants de la société. » [référence omise]
968
A.-F. BISSON, loc. cit., supra note 951, p. 142.



Page 369
343
indispensable de Napoléon lui-même à l’adoption du Code de 1804 969. Ces éléments
doivent se retrouver également dans un projet de réforme et d’harmonisation du droit, tel
que celui étudié dans le cadre du présent travail. Nous y reviendrons en conclusion.
Retenons, en terminant ce bref exposé des buts et des objectifs visés par la codification
organisatrice dans la tradition de droit civil, qu’il s’agit de produire un effet de système et
de créer le droit commun. Cette codification présentera également des caractéristiques
qui lui seront propres dans l’articulation de ses règles et dans leur ordonnancement. Nous
considérerons maintenant ses aspects relevant davantage de la technique de rédaction
législative.
1.1.2
technique de rédaction législative propre à la
codification organisatrice de la tradition civiliste
Les thèmes que nous abordons dans cette partie de notre étude sont bien connus. Il
importe néanmoins de les exposer succinctement et d’en faire la synthèse, afin d’en tirer
profit dans le cadre de notre projet d’harmonisation du droit des sûretés.
La problématique de la technique de rédaction législative utilisée pour achever l’œuvre
de codification sous-entend les objectifs de forme et de présentation de la matière que
969
Voir, en ce sens : Xavier MARTIN, « Fondements politiques du Code Napoléon », (2003) Rev.
trim. dr. civ.
247, 256. Cet auteur expose également les véritables fondements politiques du Code
Napoléon. Au-delà de l’unification des droits du Nord et du Sud, il s’agissait de rétablir la paix
sociale dans la République après la Terreur de la Révolution, qui avait plongé l’Homme dans l’état
de nature, dans un individualisme exacerbé. Et cet état, ce n’était pas celui du « bon sauvage »,
mais bien du cannibale, de l’anthropophage, du mauvais sauvage. Il s’agissait de rétablir les liens
sociaux, le tissu social, qui passait par la prédominance du père, son pouvoir de librement tester,
d’administrer un patrimoine, et d’être propriétaire foncier, car l’équilibre de l’Empire repose
essentiellement sur le « gouvernement des familles ». Sur ces questions et le rôle fondamental de
Bonaparte, voir aussi : J. LECLAIR,
loc. cit., supra note 697.

Page 370
344
l’on se propose d’atteindre 970. Les qualités formelles présentant pour nous le plus grand
intérêt, on nous autorisera à reproduire ce qu’écrivait P.-A. Crépeau à ce sujet :
Un Code civil ne saurait être un livre secret, accessible aux seul spécialistes du
droit. Un Code civil est d’abord et avant tout destiné au citoyen; il doit pour cela,
en évitant autant qu’il est possible le jargon professionnel, parler avec simplicité et
netteté, concision et clarté.
Il convient également de souligner l’intérêt que comportait la rédaction du Projet
[de Code civil]
en langues française et anglaise, les deux langues législatives du
Québec. L’on a voulu que les deux versions fussent rédigées de telle façon que
l’une ne soit pas une simple traduction de l’autre, mais bien que chacune s’exprime
selon le génie propre de la langue utilisée. Et combien de fois, dans la confrontation
des textes, n’a-t-on pas pu constater qu’il fallait remettre sur le métier un texte,
tantôt français, tantôt anglais, car l’on se rendait compte que l’idée des rédacteurs
avait été mieux exprimée dans une langue plutôt que dans l’autre.
On a donc consacré beaucoup de temps à la forme des textes, non pas certes pour
procurer des satisfactions littéraires à quelque Stendhal du vingtième siècle, mais
pour atteindre à cet idéal qu’incarnait le Code civil de 1804.
971
[Nos soulignements]
Atteindre à cet idéal qu’incarnait le Code civil de 1804, code conçu par des praticiens,
pour des praticiens et pour le public non-spécialiste, en opposition au modèle et au style
de codification allemands du BGB de 1896, un code de spécialistes, un code de
professeurs, un Professorenrecht 972. Le droit civil cherche donc à faire œuvre
simplificatrice, et non œuvre simpliste. La nuance est importante. Au demeurant, on a
souligné que si l’achèvement législatif moderne de la tradition du droit civil est la
codification, cette codification n’est pas de l’essence du droit civil 973. Au delà de la
cohérence que cherche à accomplir toute codification, dans quelque tradition juridique, il
970
971
972
973
P.-A. CRÉPEAU, Les enjeux, supra note 966, p. 31.
Ibid., p. 31. Voir aussi : Louise LANGEVIN et Denise PRATTE, « Du Code civil du Bas-Canada
au nouveau Code civil du Québec :
la codification française », dans
H.Patrick GLENN, dir.,
Droit québécois et droit français : communauté, autonomie, concordance,
Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 1993, 63.
l’influence de
D. GAURIER, loc. cit., supra note 961, p. 81.
A.-F. BISSON, loc. cit., supra note 682, p. 43. Par exemple, le droit civil écossais n’est pas
codifié.




Page 371
345
existerait une « cohérence propre à la pensée civiliste », c’est-à-dire un « goût particulier
de la synthèse normative », qui se traduira par une « [p]ensée liante, plutôt que
juxtaposante, la pensée civiliste procèd[ant] plus volontiers que d’autres par vues
d’ensemble et par catégories, auxquelles on s’efforcera, dans la recherche des solutions
pratiques, de ramener toute situation imprévue ». On a ainsi parlé d’une façon
« centripète de penser par éléments recomposables » 974.
Ce style de rédaction législative sera plus ou moins bien reçu selon la tradition juridique
en place dans une juridiction donnée, dont le rôle conféré au droit légiféré pourra en
favoriser une interprétation restrictive 975. C’est ce que nous allons maintenant étudier en
retraçant les particularismes propres au droit américain dans le domaine.
974
975
Ibid., p. 43-44. En ce sens, il fut jugé que le Code civil du Québec, du moins en ce qui concerne sa
plus récente réforme des sûretés réelles regroupées sous le seul concept unificateur de
l’hypothèque, est demeuré fidèle au style civiliste, bien qu’opérant une rupture face à l’ancien
droit et au droit français, car «
innover n’est pas trahir ». Voir : Jacques AUGER, « Le style
civiliste et le droit des sûretés réelles », dans Nicholas KASIRER, dir.,
Le droit civil, avant tout un
style ?
, Montréal, Les Éditions Thémis, 2003, 47. Par ailleurs, le ministère de la Justice du Canada
a récemment procédé à une analyse des particularismes propres aux « styles législatifs » des deux
traditions que sont le droit civil et la
common law. Force est cependant de constater que cette
analyse ne mène pas à une conclusion particulière quant à l’arrimage de ces styles différents au
niveau de la rédaction de la législation fédérale. Voir : M.-C. GERVAIS et M.-F. SÉGUIN, « Le
bijuridisme au Canada et dans le monde : quelques considérations » dans L’harmonisation de la
législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien
,
deuxième publication, fascicule 2, Ottawa, ministère de la Justice du Canada, 2001, 1, p. 4-6, en
ligne : http://canada.justice.gc.ca/fr/min/pub/hfl/fascicule2.pdf, (consulté le 20 août 2001).
Il est important de noter que la technique de rédaction législative relevant de cette pensée civiliste
ne serait présente qu’à divers degrés, en droit québécois, selon qu’il s’agisse du Code civil ou des
lois particulières. Un auteur a bien retracé l’évolution des techniques de rédaction législative en
droit québécois, largement tributaires de ses origines juridiques mixtes. On lira avec intérêt, à ce
sujet, ce qu’écrivit Pierre ISSALYS, « La rédaction législative et la réception de la technique
française », dans H.Patrick GLENN, dir.,
Droit québécois et droit français : communauté,
autonomie, concordance, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 1993, 119. Voir également
Marie-Josée LONGTIN, « Les incidences de la réforme du Code civil sur la législation », dans
B
ARREAU DU QUÉBEC, SERVICE DE LA FORMATION PERMANENTE, La réforme du Code civil, cinq
ans plus tard, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 1998, 1, concernant l’évolution plus
récente de la technique de rédaction législative en droit légiféré québécois.


Page 372
346
1.2
du judge made law au droit légiféré
Le droit américain, tout en affichant d’indéniables racines et appartenances à la famille de
la common law, n’en constitue pas moins un droit original. De ce fait, on ne peut pas en
fournir les mêmes explications qu’en regard du droit anglais 976.
À l’instar du droit anglais, le droit américain est un droit jurisprudentiel. Ce droit
jurisprudentiel, dont les fondements sont anglais, puise ses racines dans une conception
initialement procédurière de la justice. Justice royale qui s’implantera à travers tout le
royaume, suite à la Conquête normande de 1066, par l’établissement de Cours royales de
justices. La common law constituera, de ce fait, le droit commun à toute l’Angleterre, par
opposition aux coutumes locales, qui disparaîtront graduellement par le seul effet du
temps. En outre, la common law constitue toujours le droit commun de l’Angleterre et,
généralement, des autres pays du Commonwealth. C’est aussi le droit commun des États-
Unis d’Amérique, dans sa fonction de réservoir de concepts, de toile de fond à l’ensemble
du système juridique.
Il ne nous appartient pas, ici, de refaire l’Histoire de la common law. Pour paraphraser
A.-F. Bisson, elle a déjà été faite, et bien faite, par nombre d’auteurs. Ce qu’il nous
importe de retenir tient en deux idées, de formulation simple. La première, c’est que le
juge de common law ressent toujours une certaine forme de malaise face aux lois
particulières. On a dit que la loi, dans un pays de common law, ne deviendra source de
droit qu’après avoir été, en quelque sorte, « sanctionnée » par le juge, qui dira ce qu’elle
veut dire. Ce malaise se traduirait habituellement par une interprétation restrictive du
texte. On verra toutefois qu’une nouvelle forme d’interprétation et de conception de la
976
R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, op. cit., supra note 358, no 366, p. 328.

Page 373
347
loi comme source normative du droit se frayerait tranquillement un chemin, du moins en
droit américain. La seconde tient à la technique de rédaction législative. Généralité et
abstraction, propres à cette « pensée civiliste » à laquelle nous référions plus tôt, ne
seraient toujours pas l’apanage des législateurs issus de la tradition de common law, qui
voient cette technique avec « suspicion » 977.
Le droit américain connaît l’idée de codification organisatrice du droit. L’exemple le
plus éloquent est celle opérée par le Uniform Commercial Code. La section U.C.C. § 1-
103 (2010) indique les objectifs visés par cette vaste législation. Il s’agirait de simplifier,
clarifier et moderniser le droit régissant les relations commerciales, de permettre le
développement continuel des pratiques commerciales à travers les coutumes, les usages et
la liberté contractuelle des parties et, enfin, d’uniformiser le droit commercial à l’échelle
des États-Unis d’Amérique.
Le Uniform Commercial Code, sans être devenu le droit commun, serait devenu un texte
de loi fondamental : il va au-delà du simple statute et présente l’effet d’une codification
organisatrice 978. Issu des visées du « legal realism » américain et de la pensée de Karl
Llewellyn, la loi fut dès lors perçue dans sa fonction directrice, organisatrice et créatrice
de normes sociales et juridiques. La loi devra graduellement occuper le rôle de moteur de
changement de l’ordre social et juridique. Ainsi, le Uniform Commercial Code serait à la
fois un « statute » et une source de droit. Dans cet ordre d’idée, on constaterait une
évolution de l’interprétation de ce texte législatif par les magistrats, qui auraient tendance
977
978
Ibid., no 353, p. 316-317.
Voir, à ce sujet : Sarah HOWARD JENKINS, « Preemption & Supplementation Under Revised 1-
103 : The Role of Common Law & Equity in the New U.C.C. », (2001) 54
SMU Law Review 495;
Robin L. MEADOWS, « Code Arrogance and Displacement of Common Law and Equity : A
Defense of Section 1-103 of the Uniform Commercial Code », (2001) 54
SMU Law Review 535.

Page 374
348
à déduire des normes juridiques de l’interprétation téléologique ou historique du texte
même, tout en continuant d’avoir recours aux précédents 979. La valeur conférée aux
précédents serait toutefois atténuée, dans ce contexte, pour se rapprocher de celle que les
civilistes lui confèrent traditionnellement, c’est-à-dire, pour employer la désormais
célèbre maxime énoncée par Adjutor Rivard, que « les précédents ne valent que ce que
valent leurs motifs » 980.
Ainsi y observe-t-on un certain effet de codification, qu’il serait imprudent de conclure à
la présence d’un effet de système, résultant de ce texte. La disposition de la section
U.C.C. § 1-103 (2010) nous rappelle en effet que
Unless displaced by the particular provisions of this Act, the principles of law and
equity, including the law merchant and the law relative to capacity to contract,
principal and agent, estoppel, fraud, misrepresentation, duress, coercion, mistake,
bankruptcy, or other validating or invalidating cause shall supplement its provisions.
La common law et ses institutions constituent donc toujours le droit commun applicable
sous l’empire de cette loi et est considérée comme telle aux États-Unis, de façon plus
générale. Il s’agit là d’une différence notoire entre cette codification organisatrice et
celle observée dans la tradition de droit civil 981.
979
980
981
Pour une formulation plus détaillée de ces idées, lire: Shael HERMAN, « Llewellyn the Civilian :
Speculations on the Contribution of Continental Experience to the Uniform Commercial Code »,
(1982) 56
Tul. L. Rev. 1125. Voir aussi, en ce qui a trait aux influences germaniques ayant inspiré
la rédaction du
Uniform Commercial Code, James WHITMAN, « Commercial Law and the
American
Volk : A Note on Llewellyn’s German Sources for the Uniform Commercial Code »,
(1987) 97
Yale L. J. 156.
Voir : Adjutor RIVARD, Manuel de la Cour d’Appel, Montréal, Éditions Variétés, 1941, p. 55.
A.-F. Bisson a déjà bien noté ces divergences. Voir : A.-F. BISSON, loc. cit., supra note 951,
p. 144-145. Sur l’histoire de la codification du droit privé dans son ensemble aux États-Unis et son
impossible avènement, voir : David GRUNING, « Vive la différence ? Why No Codification of
Private Law in the United States ? », (2005) 39
R.J.T. 153.

Page 375
349
Enfin, il nous sera permis de dire un mot au sujet du style de rédaction du Uniform
Commercial Code. Un auteur aura relevé que « [n]o feature of the Uniform Commercial
Code disturbs a civilian ear more than its verbosity » 982. Cette prolixité propre au
Uniform Commercial Code et au droit « statutaire » anglo-américain, pris de façon plus
générale, tient à plusieurs facteurs. Deux de ces facteurs retiennent notre attention de
façon plus spécifique. D’abord, une aversion, affichée par Llewellyn lui-même, à l’égard
de principes généraux et abstraits, ce dernier leur préférant une conception qui décrirait la
succession pratique des événements qui s’observent dans les transactions commerciales,
allant des négociations à leur extinction. En deuxième lieu, compte tenu d’une forte
tradition les incitant à la prolixité, on aurait présumément voulu que les juristes de
common law se retrouvent en paysage familier 983.
En terminant ce bref survol de l’entendement de la codification organisatrice en droit
civil québécois et en droit américain, on constate un rapprochement et une convergence
de vues qui tend à s’accroître, au fil du temps, entre ces deux traditions, notamment en ce
qui a trait à l’établissement de normes juridiques et aux moyens utilisés pour ce faire.
H.P. Glenn y aurait vu une certaine « civilisation de la common law » 984. Les différences
systémiques demeurent, ce dont il faudra inévitablement prendre en compte lors de la
rédaction et de l’élaboration d’outils juridiques internationaux d’harmonisation du droit.
982
983
984
S. HERMAN, loc. cit., supra note 979, p. 1166.
Ibid., p. 1163-1167.
Voir : H.Patrick GLENN, « La civilisation de la common law », dans Mélanges Germain Brière,
Collection Bleue, Montréal, Wilson et Lafleur, 1993, 595. Un auteur américain semble d’accord
quant à l’adaptation culturelle et à l’importance du changement que suscita l’adoption du
Uniform
Commercial Code dans les années 1950 aux États-Unis. Voir : D. BECK FURNISH, loc. cit.,
supra note 422, p. 6-7.

Page 376
350
À cet égard, nous verrons maintenant qu’il existe divers contextes et diverses formes de
l’harmonisation du droit.
2.
Les divers contextes et formes de l’harmonisation du droit
L’harmonisation du droit prend, en ce début de millénaire, de multiples visages. Dans
notre perspective, il importe de considérer les tenants et les aboutissants du bijuridisme
canadien [2.1], pour ensuite étudier les aspects généraux de l’harmonisation du droit à
l’échelle internationale [2.2].
2.1
pays de droit mixte : le bijuridisme canadien
On observe, au Canada, la coexistence de deux systèmes juridiques, à savoir le droit civil
d’inspiration française, au Québec, et la common law d’inspiration anglaise, dans les
autres provinces et territoires. Cette réalité s’observe également au niveau du législateur
fédéral 985.
Comme on le sait, le Canada est une fédération. Il y existe deux principaux paliers de
législateurs, à savoir ceux des provinces et celui du gouvernement fédéral. Leurs
compétences législatives leur sont attribuées aux termes de la Loi constitutionnelle de
1867 986. En raison de ce partage de compétences législatives, on remarque qu’il y
985
Une analyse éclairante de ce phénomène fut rédigée par John E.C. BRIERLEY, « Bijuralism in
Canada », dans
Contemporary Law / Droit contemporain, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais,
1992, 22. J. Brierley fournit une définition générale de la notion (à la p. 22) : «
Bijuralism
(
bijuridisme) in Canada signifies the coexistence of the English Common law and the French Civil
law traditions within a country organized along federal lines
». Le mérite et l’originalité du texte
de J. Brierley est de décrire et de précéder la venue d’un bijuridisme systématique tel qu’il semble
être en train de se forger au Canada. Voir aussi, en ce sens, Michel BASTARACHE, « Le
bijuridisme au Canada », dans
L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la
province de Québec et le bijuridisme canadien : fascicule 1, Bijuridisme et harmonisation :
ligne :
17,
Justice
la
Genèse, Ottawa, ministère
http://Canada.justice.gc.ca/fr/min/pub/hfl/fascicule1.pdf (consulté le 19 août 2001).
du Canada,
2001,
en
de
986
Supra, note 74.

Page 377
351
existerait trois (3) niveaux de bijuridisme 987. En premier lieu, la province de Québec
vivrait elle-même une certaine forme de bijuridisme ou de mixité juridique, par son droit
privé, d’inspiration civiliste, et son droit public, d’inspiration britannique. Suite à
l’adoption du Code civil du Québec, on note d’ailleurs certains efforts du côté du
législateur québécois, visant l’« harmonisation » terminologique et conceptuelle du
corpus des lois dites « publiques » avec le Code civil 988. En second lieu, dans les autres
provinces et territoires canadiens, c’est la common law d’inspiration anglaise qui régit
tant le droit privé que les institutions publiques. Enfin, au niveau du gouvernement
fédéral canadien, on note l’adoption du modèle du parlementarisme britannique, où la
common law d’inspiration anglaise constitua longtemps le fondement de son organisation.
Si cela est toujours vrai aujourd’hui, on observe néanmoins une certaine volonté
d’intégration des préceptes civilistes à la législation fédérale. On peut expliquer les
raisons de ce phénomène par un certain nombre de facteurs. D’une part, par le
bilinguisme institutionnel et législatif;
d’autre part, en raison de l’impulsion
d’harmonisation du droit fédéral avec le droit civil québécois, dans la foulée de
l’adoption et de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec. Ce faisant, la législation
fédérale « harmonisée » et « bijuridique » a pour effet d’exposer, de façon incidente, les
provinces de common law à la tradition du droit civil, telle qu’elle s’entend et se construit
au Québec.
Le Canada, au niveau fédéral, est un pays officiellement bilingue. Le français et l’anglais
sont les deux langues officielles de ce pays. Ce qui signifie, concrètement et pour ce qui
987
988
J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., supra note 985, p. 24-25.
Voir, à ce sujet, de façon générale, M.-J. LONGTIN, loc. cit., supra note 975.

Page 378
352
nous intéresse au premier plan, que les lois fédérales sont édictées dans ses deux langues
officielles. Au niveau provincial, cette réalité s’observe à divers degrés. Le Nouveau-
Brunswick procède du même niveau de bilinguisme que le gouvernement fédéral. Le
Québec est tenu d’édicter ses lois et règlements tant en anglais qu’en français. Ainsi, le
Code civil du Québec est-il rédigé dans ces deux langues, comme nous avons voulu le
souligner tout au long du présent texte. Les jugements y sont cependant rendus et
publiés, le cas échéant, dans la langue du juge, et ne sont pas traduits, bien que le procès
ait pu se dérouler tant en français qu’en anglais. Le Manitoba est tenu au bilinguisme
législatif, ce qui fut confirmé par la Cour suprême du Canada. L’Ontario édicte aussi, de
façon volontaire, ses lois et règlements en français et en anglais 989. Ce « bilinguisme
législatif » n’est qu’une caractéristique « transversale » du bijuridisme canadien, pour
reprendre le mot de J.E.C. Brierley, suggérant qu’aucune langue ne saurait plus être
propre et exclusive à traduire les préceptes d’une tradition juridique en particulier.
Ainsi, le bijuridisme « canadien » se refléterait par les efforts du législateur fédéral
consistant à harmoniser ses lois avec le droit civil québécois. C’est cette dernière forme
de bijuridisme qui retiendra davantage notre attention, et qui présente le plus d’intérêt
dans le cadre de l’étude de projets d’harmonisation du droit des sûretés mobilières à
l’internationale. Pour plus de clarté, il importe de préciser ce dont il s’agit, lorsqu’il est
question d’harmoniser la législation fédérale avec le droit civil québécois. Nous
parlerons, ici, du bijuridisme canadien « législatif », que d’autres identifient comme étant
989
J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., supra note 985, p. 26-27. Voir aussi : André BRAËN, « L’obligation
constitutionnelle au bilinguisme législatif », dans Mélanges Germain Brière, Collection Bleue,
Montréal, Wilson et Lafleur, 1993, 807.

Page 379
353
le bijuridisme canadien « institutionnel », par opposition à un vague bijuridisme canadien
« culturel », dont on souhaite l’avènement mais sans trop y croire 990.
On conviendrait généralement qu’il n’existe pas de droit commun « fédéral » ou national
en matière de droit privé 991. Partant, il en résulterait donc une « complémentarité » entre
le droit fédéral et le droit commun de la province d’application de l’un des textes
fédéraux présentant une certaine « dépendance » eu égard aux concepts du droit privé
(c’est-à-dire ceux touchant la « propriété et les droits civils »). Ce droit commun
applicable en droit fédéral sera, au Québec, le droit civil; dans les autres provinces et
territoires, ce sera la common law, à moins, dans chacun de ces cas, que le gouvernement
fédéral choisisse de s’en dissocier, de façon partielle ou complète, par l’adoption de
règles sui generis édictées par lui de façon précise, qui écartent d’emblée le recours à ces
droits communs à titre « supplétif » 992, ce qui n’est pas sans soulever, bien sûr, la
question de la constitutionnalité d’un tel droit privé fédéral « dissocié » ou « supplétif ».
Une telle question, cependant, ne semble plus émouvoir grand monde 993; certains rêvent
même d’une rencontre des traditions juridiques, de common law, de droit civil, voire
autochtone ou autre, dans l’élaboration de ce droit fédéral privé « dissocié »,
990
991
992
993
Voir : Jean-François GAUDREAULT-DESBIENS, Les solitudes du bijuridisme au Canada.
Essai sur les rapports de pouvoir entre les traditions juridiques et la résilience des atavismes
identitaires
, Montréal, Les Éditions Thémis, 2007, p. 7 et suiv.
J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., supra note 985, p. 35.
Loi d’interprétation, L.R.C., 1985, c. I-21, art. 8.1 et 8.2. Voir, de façon générale au sujet de ces
notions, M.-C. GERVAIS et M.-F. SÉGUIN, loc. cit., supra note 974, p. 7-12.
Voir notre discussion, supra, Partie I, sous-section II. A. 2.3.4. b), relative au financement
postérieur à l’ouverture d’une procédure collective au Canada, qui aborde la récente réforme du
droit de l’insolvabilité au Canada.

Page 380
354
« multijuridique »
(et non pas seulement bijuridique), que
l’on souhaiterait
« métissé » 994.
Cette interprétation du droit fédéral découle de multiples facteurs, ayant pour vecteur
commun la reconnaissance progressive de l’autonomie du droit civil comme système, tant
au niveau judiciaire 995 que politique 996. Concrètement, cela signifie que l’harmonisation
de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec
[…] vise à assurer que les notions, concepts et institutions propres au droit civil de
[cette] province […] soient adéquatement reflétées dans le corpus législatif fédéral.
Le Programme a aussi pour but d’assurer que les modifications apportées à la
législation fédérale tiennent compte de la terminologie française de common
law.
997
Il s’agit donc de faire en sorte que la législation fédérale soit en mesure de bien refléter
cette « cohabitation » 998 des systèmes de common law et de droit civil afin de rejoindre
les « quatre auditoires » résultant de cet entendement du bijuridisme canadien, à savoir
les civilistes de langues française et anglaise, et les common lawyers de langues française
et anglaise. Ce faisant, il s’agirait « d’harmoniser la législation fédérale, sans modifier la
994
995
996
997
998
J.-F. GAUDREAULT-DESBIENS, loc. cit., supra note 990, p. 9, 20-21.
La Cour suprême du Canada aurait graduellement reconnu cet état de faits. Voir, notamment,
John E.C. BRIERLEY,
loc. cit., supra note 985, 39-40. De plus, cette Cour a reconnu que le Code
civil du Québec, de par sa Disposition préliminaire, constitue le droit commun du Québec. Voir :
Doré c. Verdun (Ville de), [1997] 2 R.C.S. 862, nos 15-16.
Pour un résumé des mouvements plus politiques ayant conduit à l’adoption d’une politique du
bijuridisme canadien, lire, entre autres, L.A. LEVERT, « La cohabitation du bilinguisme et du
bijuridisme dans la législation fédérale canadienne : mythe ou réalité ? » dans
L’harmonisation de
la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien
,
deuxième publication, fascicule 1,
Bijuridisme et harmonisation : Genèse, Ottawa, ministère de la
Justice du Canada, 2001, 5; M.-C. GERVAIS, « Harmonisation des lois fédérales avec le droit
civil du Québec et le postulat de la complémentarité », dans
L’harmonisation de la législation
fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien
, deuxième
publication, fascicule 1,
Bijuridisme et harmonisation : Genèse, Ottawa, ministère de la Justice du
Canada, 2001, 10; L. MAGUIRE WELLINGTON,
loc. cit., supra note 12, p. 1-3.
L. MAGUIRE WELLINGTON, loc. cit., supra note 12, p. 3.
M.-C. GERVAIS et M.-F. SÉGUIN, loc. cit., supra note 974, p. 18 (note 58).

Page 381
355
common law, de façon à ce que les juristes civilistes y reconnaissent les concepts de leur
droit privé et appliquent plus adéquatement les textes normatifs fédéraux au
Québec » 999. Ne pas modifier la common law : qu’est-ce à dire ? Cette question est
fondamentale dans un contexte de bijuridisme. À l’heure actuelle, le bijuridisme
canadien s’articule surtout autour de l’intégration de la terminologie et des concepts
civilistes à la législation fédérale, suite aux bouleversements suscités par l’adoption du
nouveau Code civil du Québec. Cependant, dans une perspective où l’on considère cette
common law comme référant au droit commun applicable dans une province donnée, de
façon complémentaire dans le cadre de la mise en œuvre dans une juridiction provinciale
donnée d’une loi fédérale référant à des concepts de droit privé, on peut s’interroger sur
l’étendue même et sur le sens de cette notion de common law. Est-ce que cela inclut le
droit provincial légiféré (ou « statutaire ») en matière de propriété et de droits civils par
une législature provinciale de common law ? Nous ne pouvons malheureusement pas
débattre, de manière satisfaisante à l’intérieur de ces pages, de cette importante et
incontournable question. Qu’il nous suffise de mentionner que la logique inspirant le
bijuridisme canadien législatif devrait ultimement atteindre ce résultat, c’est-à-dire celui
d’harmoniser le droit fédéral avec toutes les législations provinciales en matière de droit
privé, puisque la common law des provinces canadiennes-anglaises comporte aussi bon
nombre de textes légiférés. En cela, nous pensons notamment à l’intégration plus
marquée des concepts émanant des législations de type PPSA au sein de la Loi sur la
faillite et l’insolvabilité ou de la Loi sur les arrangements.
999
Mario DION, « Bijuridisme canadien et harmonisation du droit », dans L’harmonisation de la
législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien
,
deuxième publication, fascicule 1, Bijuridisme et harmonisation : Genèse, Ottawa, Ministère de la
Justice du Canada, 2001, 38, p. 42.

Page 382
356
Ce qu’il importe de retenir, à ce stade-ci, c’est que résulte de cette philosophie propre au
bijuridisme canadien législatif, dans son entendement actuel, une juxtaposition et un
parallélisme des deux systèmes de droit privé du Canada au sein de la législation du droit
fédéral. Cependant, ce parallélisme n’aurait de résonance qu’au Québec, suscitant
l’indifférence généralisée de l’auditoire de common law, en raison de plusieurs barrières :
linguistiques, culturelles 1000.
Nous allons maintenant considérer la notion de l’harmonisation du droit dans une
perspective plus globale, c’est-à-dire dans un contexte international. Nous pourrons alors
être en mesure d’entrevoir quelle peut être l’utilité de la méthode propre au bijuridisme
canadien législatif dans cette nouvelle dimension, lorsque nous aborderons, en deuxième
section de chapitre, la problématique que soulève l’harmonisation du droit des sûretés
mobilières.
2.2
perspective internationale
À l’instar de la codification, la notion de l’harmonisation du droit couvre des réalités
complexes et multiformes. Il s’avère commode d’opérer une distinction entre
l’harmonisation « formelle »
et
l’harmonisation « informelle » du droit 1001.
L’harmonisation formelle du droit procède d’institutions politiques organisées et de leur
pouvoir créateur de normes. Il peut s’agir soit d’atteindre l’unification des normes d’un
champ juridique donné. On parle alors d’uniformisation ou d’unification juridique. Il
peut autrement s’agir de viser l’atteinte de l’uniformité des résultats, en procédant par
l’unification des objectifs, et ce, sans nécessairement procéder par l’unification des
1000
1001
J.-F. GAUDREAULT-DESBIENS, loc. cit., supra note 990.
H.P. GLENN, Harmonization, supra note 947, p. 80.

Page 383
357
normes ou de leurs sources systémiques 1002. Cette intégration juridique est certes la plus
radicale et vise, de façon générale, à réduire les différences d’un système à l’autre. Les
instruments propres à la réalisation de cette forme d’harmonisation sont les conventions
ou traités et, dans une certaine mesure, les lois types 1003. On comprendra que cette forme
d’intégration juridique se bute à de nombreux obstacles, dont les différences systémiques
et la souveraineté des États, lorsque l’on vise l’élimination de la diversité à l’intérieur des
divers droits internes nationaux 1004.
À l’inverse, l’harmonisation du droit peut emprunter une voie plus ou moins informelle.
Dans ce cas, il s’agit de préserver la diversité des traditions juridiques en présence et de
susciter un dialogue créateur entre celles-ci. On conçoit alors la diversité juridique
comme un trait culturel, d’une part; on entrevoit par ailleurs la possibilité de générer des
solutions novatrices à des problèmes communs, résultant de ce choc des cultures et des
idées 1005.
Il appert donc que la notion de l’harmonisation juridique n’est pas certaine, tant dans sa
nature que dans son objet 1006.
Quant à
l’objet des projets d’harmonisation
internationaux, on note qu’on tend désormais à préciser les règles applicables dans des
situations juridiques « authentiquement internationales », c’est-à-dire touchant des
1002
1003
1004
1005
Ibid., p. 81-88.
Voir, entre autres : Herbert KRONKE, « International uniform commercial law Conventions :
advantages, disadvantages, criteria for choice », (2000) 5
Unif. L. Rev. 13 (n.s.).
M. BOODMAN, loc. cit., supra note 946, p. 134.
H.P. GLENN, Harmonization, supra note 947, p. 88-95. Pour une discussion de ces diverses
formes d’intégration juridique dans le contexte du droit africain, voir : Joseph ISSA-SAYEGH,
« Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des actes uniformes de
l’OHADA », (1999) 4 Rev. dr. unif. 5.
1006
M. BOODMAN, loc. cit., supra note 946, p. 131, 133-135.

Page 384
358
transactions commerciales transfrontalières. Quant à la nature même de ces projets
internationaux, en ce qui a trait à la notion même de l’harmonisation, il ne s’agit plus de
présenter et de retenir les solutions propres à un système juridique en particulier, mais
bien d’établir un corpus de principes aussi neutres que possible, systémiquement, qui
refléteront un choix de valeurs conscient eu égard aux solutions à préconiser. En tout cas,
c’est ce que l’on remarque de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente
internationale de marchandises 1007, des Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du
commerce international 1008 et de la Convention du Cap (2001) 1009. Lorsque ces projets
présentent objectivement, d’un point de vue juridique, une grande valeur, leur influence
peut se disséminer à l’intérieur des divers droits nationaux, à l’occasion de réformes
locales 1010.
Mais les tenants de l’harmonisation du droit vont désormais plus loin. C’est
l’harmonisation plus formelle qui est recherchée, entre autres par l’adoption de règles
similaires dans le domaine du transfert de valeurs mobilières et de titres intermédiés.
L’unification des droits internes, en ce domaine, tant en Amérique du Nord qu’en Europe
ou en Australie, et leur alignement sur les solutions préconisées par le droit américian, est
remarquable. Encouragés par Unidroit, la Conférence de La Haye de droit international
1007
1008
1009
1010
Supra, note 58. Ainsi, ce texte, mieux connu sous le nom de « Convention de Vienne », « […] ne
réglemente pas les questions concernant la validité du contrat, d’une de ses clauses ou de ses
usages. […] Cette exclusion s’explique principalement par les différences importantes qui existent
entre les pays de droit civil et de common law sur ces questions
». Voir : G. LEFEBVRE et
E. SIBIDI DARANKOUM,
loc. cit., supra note 58, p. 402-403.
Voir, notamment : P.-A. CRÉPEAU, loc. cit., supra note 52.
Supra, note 64.
Voir, entre autres : Julio CÉSAR RIVERA, « Le droit comparé et le droit uniforme dans
l’élaboration du projet de Code civil argentin (1998) », (1999) 4 Rev. dr. unif. 863; Pierre-
Gabriel JOBIN, « Le droit comparé dans la réforme du Code civil du Québec et sa première
interprétation », dans H.Patrick GLENN, dir., Droit québécois et droit français : communauté,
autonomie, concordance
, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 1993, 69.

Page 385
359
privé, la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, la
Conférence canadienne pour l’harmonisation des lois, ce mouvement a produit, en très
peu de temps, des bouleversements législatifs importants à travers l’Occident. C’est ainsi
que la science du droit comparé fait œuvre d’« unification », si l’on peut dire, en ce début
de millénaire.
Avec ces données en tête, nous sommes maintenant prêts à considérer la question de
l’harmonisation du droit des sûretés mobilières.
B.
L’harmonisation du droit des sûretés mobilières
Nous traiterons des diverses problématiques que soulève l’harmonisation du droit des
sûretés mobilières, d’abord dans une perspective panaméricaine et internationale [1],
puis, enfin, dans une perspective pancanadienne [2].
1.
À l’échelle panaméricaine et internationale
Dans une première étape, nous reviendrons sur l’exposé des chapitres deuxième et
troisième de la présente partie de cette étude, afin de brièvement dégager les points de
convergences et de divergences quant aux valeurs et aux concepts, qui découlent de cette
analyse comparative des systèmes américains, québécois et de ceux proposés aux termes
de la Loi type interaméricaine sur les sûretés réelles mobilières, de la Loi type de la
BERD, des Principes de la Banque mondiale, de l’Énoncé de principes du FMI et, enfin,
du Guide législatif sur les opérations garanties [1.1]. Cela nous permettra, dans une
seconde étape, de formuler certaines conclusions quant à la technique législative à
préconiser et quant à l’objet de l’harmonisation du droit à ce niveau [1.2].

Page 386
360
1.1
points de convergences et de divergences
Dans cette analyse des points de convergences et de divergences entre les systèmes de
droit étudiés, il apparaît utile de préciser nos remarques et de les organiser autour de deux
thèmes, à savoir celui des valeurs [1.1.1] et, en second lieu, celui des concepts [1.1.2].
1.1.1
valeurs
Nous avons pu constater, d’entrée de jeu, que s’il existe certaines différences notables eu
égard aux valeurs que préconisent les divers systèmes de sûretés en Occident, il en ressort
néanmoins une certaine communion de pensée quant aux principes fondateurs d’un tel
système. Partant, ces valeurs reflètent des choix de sociétés, qui peuvent habituellement
se justifier aisément selon les contextes, peu importe le point de vue que l’on préconise.
Ce n’est donc pas tant à ce niveau qu’à celui des concepts et de leur articulation, de la
structure qui les sous-tend, que l’on observe des difficultés d’harmonisation parfois
inextricables. Il importe néanmoins de souligner les lignes de forces au chapitre des
valeurs, en ce qui a trait aux modalités de constitution de la sûreté [a], à ses mécanismes
de publicité [b], à son objet et à sa cause [c] et, enfin, aux priorités entre les créanciers,
aux mesures d’exécution et de publicité de la sûreté [d]. Un dernier mot sera dit quant au
choix de l’approche globale de ces systèmes et de la cohérence intrinsèque qui en ressort
[e].
a)
constitution de la sûreté
On permet, de façon générale, à toute personne de constituer une sûreté mobilière, avec
ou sans dépossession. Les restrictions du droit de la consommation sont évoquées, soit
par des restrictions sur les biens de consommation, aux États-Unis, soit par des mesures
particulières dans la législation, dans les autres textes. Le droit québécois a imposé, un
Page 387
361
temps, certaines restrictions quant à la possibilité de constituer une sûreté sans
dépossession pour les personnes physiques « qui n’exploitent pas une entreprise », qui
sont pratiquement disparues depuis le 1er janvier 2009. Le constituant doit être
propriétaire du bien qu’il se propose d’affecter, aux termes du droit québécois et de la Loi
type de la BERD; le Titre 9 du UCC et la Loi type interaméricaine sur les sûretés réelles
mobilières ne tiennent pas compte de cette exigence. Seule la Loi type de la BERD
propose que l’écrit soit obligatoire à tout type de sûreté mobilière (le Guide législatif sur
les opérations garanties le recommande cependant), à l’inverse du droit américain, du
droit québécois et de la Loi type interaméricaine sur les sûretés réelles mobilières qui ne
formulent pas cette exigence pour ce qui est des sûretés avec dépossession (sauf pour
l’entiercement). Cependant, en droit québécois et américain, certaines sûretés constituées
par le mécanisme du « control » (ou « maîtrise ») doivent être constatées par écrit. Les
biens visés par ce mécanisme sont plus nombreux en droit américain, qui couvrent non
seulement les titres intermédiés et les valeurs mobilières, mais aussi les comptes
bancaires et les droits résultant des lettres de crédit. Ce mécanisme n’est pas prévu dans
les autres textes, qui considèrent néanmoins qu’un régime spécial pour les titres
intermédiés et les valeurs mobilières doive être établi. Enfin, le Guide législatif sur les
opérations garanties s’aligne sur le droit américain et prévoit des régimes spécifiques aux
comptes bancaires et les droits résultant des lettres de crédit, la Loi type interaméricaine
sur les sûretés réelles mobilières prévoyant elle aussi un régime pour les lettres de crédit.
Ainsi, au-delà de certains particularismes, les régimes sont de même nature en ce qui a
trait aux modes de constitution.
Page 388
362
b)
mécanismes de publicité de la sûreté
Au chapitre des mécanismes de publicité, la dépossession du bien grevé perdure dans
tous ces systèmes, malgré la possibilité de constituer effectivement une sûreté sans
dépossession, grâce à l’existence de registres informatisés. Nous avons soulevé les
difficultés du mécanisme de la dépossession, surtout fictive, notamment en ce qui a trait à
l’éradication de l’occultisme et à la création d’un ordre de priorité qui soit cohérent.
Tous les régimes limitent le gage à des biens corporels et titres négociables. On suggère
même que seule la publicité par voie de dépossession dans le cas de titres créances
négociables par endossement ou délivrance ou « au porteur » soit effective. Le concept
de maîtrise ou de « contrôle » règne désormais sans partage pour les sûretés grevant des
valeurs mobilières ou des titres intermédiés. Le Uniform Commercial Code, le Guide
législatif sur les opérations garanties et, dans une moindre mesure, la Loi type
interaméricaine sur les sûretés mobilières, en prônent l’élargissement aux compte
bancaires et aux lettres de crédit. En raison de la dématérialisation des valeurs, ces
questions méritent d’être sérieusement étudiées et considérées par tous les réformateurs
du droit des sûretés, à quelque niveau que ce soit 1011.
c)
objet et cause de la sûreté
Tous les textes législatifs étudiés tendent à permettre au constituant d’une sûreté de
grever le plus de biens possibles. Se pose toutefois la délicate question de la sûreté
affectant le bien d’autrui. Les solutions seront variables, selon le système de droit des
biens utilisé et l’étendue conférée au droit de propriété. On tend également à permettre
1011
Voir, à ce sujet, CNUDCI NU, Travaux futurs possibles dans le domaine des sûretés, 34e sess.,
Doc. NU A/CN.9/496 (2001) [Miméo.], p. 13-22, n
os 62-122, en ligne : http://www.uncitral.org/fr-
index.htm sous la rubrique « Sessions de la Commission » (consulté le 21 août 2001) [«
CNUDCI
-
Travaux futurs possibles dans le domaine des sûretés 2001 »].

Page 389
363
l’affectation de biens à venir. Les mécanismes du droit de suite ou du report de la sûreté
sont présents dans tous les textes, mais sont davantage articulés en droit civil québécois.
Notons cependant une différence majeure entre le droit québécois et le droit américain.
Le droit des biens ne s’articule pas de la même manière et les différences entre les deux
systèmes sont marquées. De plus, le Uniform Commercial Code tend à décrire toutes les
catégories de biens possibles et imaginables dans leurs moindres détails, alors que le
Code civil du Québec y va plutôt par l’énonciation de principes généraux. Les deux lois
types suivent plutôt l’exemple du Code civil, mais le Guide législatif sur les opérations
garanties reproduit l’approche américaine par types de biens.
La problématique soulevée par la notion de cause de la sûreté est tout aussi complexe.
On remarque en effet une tendance très nette à confondre les obligations ou dettes futures
avec la notion de biens à venir 1012. On conçoit que la sûreté soit l’accessoire d’une
créance. Ce principe est clairement établi en droit civil québécois par une disposition
législative. Il l’est également dans les autres textes, mais ses conséquences logiques sont
moins bien articulées, sauf pour la Loi type de la BERD. Le principe de l’accessoire
confère à la sûreté un caractère spécial, qui se traduira par une restriction plus ou moins
grande de la possibilité de consentir effectivement une sûreté visant à garantir des
avances futures. Le droit américain permet la constitution de telles sûretés pratiquement
sans restriction. Le droit québécois, la Loi type interaméricaine sur les sûretés
mobilières, la Loi type de la BERD et le Guide législatif sur les opérations garanties
formulent clairement une règle de la spécialité de la sûreté quant à son montant, qui doit
faire l’objet d’une publicité. Certains textes indiquent qu’il faut préciser à l’acte
1012
Ibid., p. 8, no 35.

Page 390
364
constitutif de sûreté sa cause, c’est-à-dire l’origine de l’obligation garantie, mais ce n’est
pas uniforme. La sûreté idéale devrait permettre de grever effectivement des biens futurs
en garantie de dettes futures déterminées (ou déterminables), posant comme principe
fondamental celui de la spécialité dans l’édification d’une publicité complète et d’un
ordre de priorité cohérent. Si les systèmes se rejoignent tous, on note qu’ils tendent à se
distinguer du droit américain quant à ces dernières balises.
d)
priorités entre les créanciers, mesures
d’exécution et de publicité de la sûreté
Le régime de sûretés idéal consacre la prépondérance du principe de l’ordre temporel de
collocation entre les créanciers. C’est ce que les divers systèmes admettent d’emblée.
Cependant, ce principe ne fait pas l’objet d’un scrupuleux respect, dans tous les cas, et les
exceptions sont nombreuses. La façon de traiter un créancier qui finance l’acquisition
d’un bien variera, soit par la technique du PMSI, soit par l’aménagement de sûretés-
propriété, mais le résultat sera le même et priorité de rang lui sera de facto conférée par
l’exclusion du concours. Le gage jouit d’une priorité, a fortiori lorsqu’il est constitué par
la fiction de la maîtrise. Les sûretés légales, les priorités du fisc et celles découlant du
droit de l’insolvabilité, font obstacle à l’édification de cet ordre de priorité fondé sur le
temps. Mais ces dérogations sont essentiellement les mêmes, d’un régime à l’autre.
En ce qui a trait aux mesures de publicité de la sûreté, les textes étudiés préconisent tous
l’établissement d’un registre unitaire et uniforme, qui soit informatif, plutôt qu’un registre
de titres. C’est là le point central de toute réforme en droit des sûretés. Des registres
spécialisés sont toujours envisagés, certains par nécessité, comme le registre international
aux termes de la Convention du Cap (2001), d’autres en fonction des particularismes
Page 391
365
propres à chaque État, qui font tiquer. Cependant, dans tous les régimes, les exceptions
sont nombreuses, et la dépossession fictive est revenue en force pour y rester. En matière
de règles de conflits de lois, la règle du situs ne pose pas de problème pour les biens
meubles corporels ou les titres négociables. Cependant, pour les biens incorporels et
ceux qui se déplacent d’un État à un autre, le facteur de rattachement n’est pas le même :
certains préconisent le domicile, d’autres la loi constitutive, d’autres la principale place
d’affaire du constituant. Les règles vont vraisemblablement continuer de varier en la
matière et nécessiteront que les créanciers se conforment à plusieurs droits différents pour
la constitution et la publication de leurs sûretés, mais c’est pourtant à ce niveau que
l’uniformisation serait la plus facile à réaliser et produirait ses effets les plus significatifs
dans un contexte de mondialisation des échanges.
Notons aussi que le droit américain permet la publicité de sûretés prospectives, à la
différence du droit québécois. C’est toute la question de la fonction du registre de la
publicité qui est ainsi posée quant à l’opposabilité qu’elle procure aux titulaires de sûretés
publiées. Nous avons déjà indiqué notre préférence pour la solution québécoise.
Enfin, la réforme du droit des sûretés suppose une simplification des modes de
constitution, de publicité et d’exercice des recours. À ce chapitre, l’approche
fonctionnelle permettrait, en théorie du moins, une parfaite adéquation de tous ces
éléments. Or, nous avons vu que son application américaine est loin du résultat escompté
et qu’en fin de compte, le droit américain est loin d’être uniforme. Le droit québécois, en
revanche, ne suit pas cette approche, mais propose très certainement le droit le plus
cohérent et le plus intégré à tous les niveaux. Les régimes de la Loi type interaméricaine
sur les sûretés mobilières et celui de la Loi type de la BERD s’inscrivent dans cette
Page 392
366
dernière tendance, alors que le Guide législatif sur les opérations garanties nous ressert
les préceptes du droit américain.
Alors, y a-t-il une approche législative à privilégier plutôt qu’une autre ?
e)
approches
intrinsèque
retenues
et
cohérence
L’approche fonctionnelle et son contraire, la situation « formaliste », présentent l’une et
l’autre leurs forces et leurs faiblesses. Nous les avons évoquées tout au long de notre
analyse. Force est de constater, cependant, quelque soit l’approche choisie, que la
cohérence intrinsèque dépendra de plusieurs facteurs. D’abord, le nombre d’exceptions
permises aux principes établis affectera nécessairement cette cohérence; d’autre part, la
façon de l’exprimer et la toile de fond à la mise en œuvre du régime seront tout aussi
déterminantes. En cela, comme nous venons de le voir, le régime québécois constitue
une solution originale et novatrice, qui repose sur d’intenses travaux de réflexions
s’échelonnant sur plusieurs années. Il n’est pas parfait mais il recèle, malgré tout, une
cohérence intrinsèque qui lui permet de soutenir avantageusement toute comparaison.
Les résultats de ces différentes approches, cependant, aboutissent en pratique à des
résultats similaires.
Ainsi, il règne une relative harmonie quant aux valeurs qui doivent être mises de l’avant
par l’établissement d’un régime de sûretés. La dissonance, en ce qui a trait aux concepts,
est cependant bien réelle et plus marquée.
Page 393
367
1.1.2
concepts
Évoquer la notion de concepts, c’est référer directement aux différents systèmes
juridiques, à leurs structures, à leurs manières de dire le droit et de l’interpréter. Ainsi,
l’asymétrie la plus évidente entre le droit civil et la common law se retrouve dans une
articulation profondément différente du droit des biens et du droit de propriété. On
constate par ailleurs la présence de styles et de philosophies de la rédaction législative
fortement opposés.
La différence résultant des différents systèmes de droit des biens et des manières qu’ils
ont de concevoir le droit de propriété ne permet pas de poser des solutions identiques à
des problèmes communs et partagés par les deux systèmes, du moins en ce qui concerne
la technique juridique permettant d’articuler une solution donnée. À ce titre, la nécessité
de créer un régime unique et uniforme de sûretés mobilières passera, en pays de common
law, par l’approche fonctionnelle et unitaire du security interest telle que développée aux
termes du Titre 9 du UCC. En droit civil, on pourrait idéalement constituer un régime de
sûretés unique qui soit d’ordre public, fondé sur l’hypothèque, proscrivant ainsi le recours
aux mécanismes de sûretés-propriété, tel que le concevait l’OFFICE DE RÉVISION DU CODE
CIVIL et telle que la Loi type de la BERD l’envisage. La solution mitoyenne adoptée par
le législateur québécois parvient néanmoins à un résultat comparable, bien que les
sûretés-propriété y soient permises, provoquant du coup l’exclusion du concours des
créanciers qui s’en prévalent. De même, les différentes classifications des biens adoptées
aux termes des différents systèmes soulève un autre problème relativement à
l’intelligibilité du droit. Il est certes moins infranchissable que ne l’est la différence de
conception du droit de propriété entre les deux systèmes, la classification des biens du
Page 394
368
Titre 9 du UCC étant une conception artificielle des rédacteurs de ce texte. Certains
civilistes soutiennent en effet que rien ne s’objecte à l’articulation de nouvelles catégories
de biens, à l’intérieur des grandes divisions que le droit civil reconnaît déjà 1013. À
preuve, les notions nouvelles de « titres intermédiés » et d’« actif financier » de la Loi sur
le transfert de valeurs mobilières. Cependant, les multiplier est contraire à l’économie du
droit civil, qui s’exprime par l’énonciation de principes généraux, féconds de
conséquences.
De ces constatations, nous devons tirer certaines conclusions quant à la technique
législative à préconiser et l’objet de l’harmonisation du droit des sûretés mobilières à ce
niveau.
1.2
technique à préconiser et objet de l’harmonisation à ce
niveau : traité, convention, loi type, principes généraux ou
guide législatif
D’un point de vue formel, il y a plusieurs techniques permettant l’harmonisation du droit,
auxquelles on peut y voir un effet d’ensemble ou d’entraînement.
En ce qui a trait aux techniques, elles sont bien connues : des plus rigides aux plus
souples, on dénombre les conventions ou traités, les lois types, les principes généraux et,
maintenant, les guides législatifs. Dans le domaine des sûretés et de l’insolvabilité, nous
les avons toutes utilisées. Les conventions ou traités sont plus rigides, car les pays
signataires doivent les incorporer dans leur droit interne sans y apporter de modifications.
Les lois types présentent un cadre déjà établi, prêt à être édicté, mais le législateur qui y
1013
M. CANTIN CUMYN et M. CUMYN, loc. cit., supra note 102, p. 150 : « Enfin, de nouvelles
formes de richesses sont difficiles à classer parmi les catégories existantes de biens que sont les
droits réels, les droits personnels et les droits intellectuels, mais rien en droit n’empêche
d’admettre de nouvelles catégories de biens, pour autant que leur spécificité le justifie
».

Page 395
369
adhère peut y déroger ou simplement s’en inspirer pour édicter une nouvelle loi. Enfin,
les principes généraux ou guides législatifs ne se veulent pas contraignants. Ils énoncent
les grands principes applicables à un domaine du droit, dont tout législateur peut choisir
de s’inspirer ou non. On compte sur la force persuasive de ces derniers instruments pour
que leurs principes essaiment à grande échelle.
À défaut de parler de stratégie d’ensemble dans ces domaines, on peut toutefois constater
l’effet d’ensemble ou d’entraînement de ce nouveau corpus d’instruments de
l’harmonisation du droit. Depuis la fin des années 1980, chaque organisation
internationale y est d’abord allée à tâtons et il n’existait pas de stratégie concertée. D’une
multiplicité d’organismes, cependant, force est de constater qu’ils ont à peu près tous
abordé ces domaines, si bien que lors du 75e anniversaire d’Unidroit, on s’interrogeait sur
la cohérence possible de tous ces travaux et des instruments qui en découlaient 1014. La
Banque mondiale, le FMI, UNIDROIT, la CNUDCI, la BERD, la Conférence de La Haye
de droit international privé, l’OÉA, l’OHADA 1014a, la Banque Asiatique pour le
1014
De façon générale sur cette problématique, voir : Jürgen BASEDOW, « Worldwide Harmonisation
of Private Law and Regional Economic Integration – General Report », (2003)
Rev. dr. unif. 31;
de manière plus particulière, relativement aux sûretés, lire : Roy GOODE, « Harmonised
Modernisation of
the Law Governing Secured Transactions : General-Sectorial, Global-
Regional », (2003)
Rev. dr. unif. 341, cet auteur signalant qu’il n’y a pas nécessairement conflit à
avoir plusieurs organisations travaillant sur les mêmes sujets, mais il faut tenter d’éviter qu’elles
ne se contredisent; en fait, sur ce dernier point, les contradictions entre des instruments
internationaux qui n’ont pas force contraignante est moins dommageable que ne le seraient celles
entre des instruments internationaux qui ont force obligatoire et, dans ce dernier cas, il faut les
éviter à tout prix : U. DROBNIG,
loc. cit., supra note 187, p. 354-355. Voir enfin :
Carlos Manuel VÁSQUEZ, « Regionalism versus Globalism : a View from the Americas »,
(2003)
Rev. dr. unif. 63.
1014a
Il s’agit de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, mieux connue
sous l’acronyme « OHADA », qui compte 16 pays membres : la RDC est en voie d’y accéder. Un
Acte uniforme portant organisation des sûretés, adopté le 17 avril 1997, propose d’harmoniser ce
droit entre pays membres en s’inspirant essentiellement du droit civil français. Compte tenu de ce
fait, nous n’avons pas cru bon d’analyser de manière spécifique cet Acte et les projets qui s’en
inspirent. Voir cependant, à ce sujet : OHADA,
Acte uniforme portant organisation des sûretés,

Page 396
370
développement, ont tous produits des instruments d’harmonisation du droit des sûretés ou
de l’insolvabilité à plus d’un titre. Plusieurs conventions ont vu le jour et elles sont
appelées à instaurer des régimes spécifiques qui seront mis en œuvre en parallèle aux
divers droits nationaux ou à régler certaines questions particulières. Des lois types aussi,
notamment dans le domaine des valeurs mobilières et titres intermédiés, ont la même
fonction. Ces instruments tendent à la neutralité systémique car ils visent une réception
la plus large qui soit.
En ce qui a trait à l’harmonisation du droit des sûretés en droit interne, les instruments
proposés tendent davantage vers la souplesse. Les lois types, principes et guides
législatifs sont en vogue. Toute tentative d’harmonisation du droit des sûretés mobilières
devra aussi, si elle veut obtenir un quelconque succès, faire abstraction d’assises
systémiques trop fortes ou trop marquées. Par conséquent, c’est la neutralité qu’il semble
falloir viser. On pourrait croire que l’articulation de principes généraux du droit des
sûretés mobilières, un peu à l’images des Principes relatifs aux contrats du commerce
international d’UNIDROIT, soit la meilleure solution. C’est en tout cas sur cette prémisse
que la CNUDCI annonça les travaux relatifs à l’élaboration de ses guides législatifs :
165. […] S’agissant de la forme que ces travaux [sur l’harmonisation du droit des
sûretés mobilières] pourraient revêtir, une loi type serait certes préférable pour des
raisons d’exhaustivité et d’uniformité, mais dans la mesure où elle devrait
incorporer certains principes directeurs fondamentaux qui ne seraient pas communs
à tous les systèmes juridiques, elle représenterait un changement radical par rapport
au droit en vigueur dans de nombreux pays et risquerait, de ce fait, de ne pas être
suffisamment accepté. À sa trente-troisième session, la Commission a estimé qu’il
était souhaitable de privilégier la souplesse, en définissant un ensemble d’objectifs
et de principes fondamentaux pour la mise en place d’un régime juridique efficace
en matière de crédit assorti d’une sûreté, et en élaborant un guide législatif
(proposant des solutions souples pour la réalisation de ces objectifs et l’application
de ces principes et analysant d’autres solutions possibles ainsi que leurs avantages et
17 avril 1997, en ligne : http://www.ohada.com/textes.php?categorie=458 (consulté le 14 mars
2011).

Page 397
371
leurs inconvénients). Si des travaux devaient être entrepris en vue d’élaborer un
ensemble de principes assortis d’un guide législatif sur les sûretés, celui-ci pourrait
également comporter, si possible, des dispositions législatives types. Les sujets
susceptibles d’être abordés dans ce guide seraient notamment les suivants :
l’éventail des biens pouvant servir de sûreté, la perfection [sic] de la sûreté, les
formalités à accomplir, les types de dettes pouvant faire l’objet d’une sûreté, les
limitations éventuelles concernant les créanciers bénéficiaires de la sûreté, les effets
de la faillite sur la réalisation de la sûreté, ainsi que la sécurité et la prévisibilité
quant à la priorité du créancier sur des droits concurrents.
1015
[Référence omise; nos soulignements]
La CNUDCI, contrairement à son intention annoncée, n’a pas procédé à la rédaction
d’objectifs et de principes fondamentaux. Elle s’est plutôt concentrée sur la rédaction de
guides législatifs en droit des sûretés et en droit de l’insolvabilité. Le Guide législatif sur
les opérations garanties propose de « transcender les différences entre régimes
juridiques pour proposer des solutions pragmatiques et éprouvées qui peuvent être
acceptées et appliquées dans des États ayant des traditions juridiques divergentes (droit
civil, common law et traditions juridiques chinoise, islamique et autres) ainsi que dans
des États ayant des économies en développement ou développées »; qu’il nous soit permis
d’en douter. Les solutions qui y sont mises de l’avant sont, à quelques exceptions près,
toutes inspirées du droit américain, tel que nous l’avons démontré tout au long de ce
texte. Si ce guide législatif constitue une somme, voire un traité, il ne correspond pas à
un énoncé de principes dans le sens des Principes relatifs aux contrats du commerce
international d’UNIDROIT. La terminologie est neutre, certes, mais les exactions ou les
erreurs sont nombreuses, notamment dans les affirmations qui sont faites au sujet du droit
québécois ou dans les omissions de certaines solutions possibles, comme par exemple
1015
Voir CNUDCI - Travaux futurs possibles dans le domaine des sûretés 2001, supra note 1011, p.
30, n
o 165.

Page 398
372
l’intégration des régimes de sûretés mobilières et immobilières 1016. Si ce guide peut
trouver un auditoire dans les pays civilistes ou de common law, nous doutons qu’il en
aille de même dans les traditions islamique, chinoise ou dans les pays en voie de
développement 1017. De même, l’équilibre entre les traditions ou la recherche de la
meilleure solution ne saute pas aux yeux du lecteur de ce guide. Enfin, le guide a le
mérite, à tout le moins, de s’aligner avec cohérence sur les autres solutions proposées aux
termes d’instruments de l’harmonisation du droit par la CNUDCI, UNIDROIT ou la
Conférence de La Haye de droit international privé. Notons que le guide ne propose pas
de dispositions législatives types, contrairement aux intentions initiales de la CNUDCI.
C’est donc un instrument souple de l’harmonisation du droit mais proposant une vision
essentiellement américaine. En cela, il manque à ses objectifs de transparence et de
neutralité : il ne propose pas un consensus sur les meilleurs principes qui transcenderaient
les systèmes. Un ensemble de principes en droit des sûretés, à la façon des Principes
relatifs aux contrats du commerce international d’UNIDROIT, reste encore à être écrit,
bien que les Principes de la Banque Mondiale s’en approchent davantage.
La Loi type interaméricaine sur les sûretés mobilières, bien qu’étant un instrument de
facture moins souple, propose néanmoins un compromis intéressant. Contrairement à son
projet de texte antérieur, qui s’inspirait largement, dans sa formulation, du droit américain
et du Titre 9 du UCC 1018, le texte final a le mérite d’être somme toute relativement neutre
1016
1017
1018
Voir, supra note 433 (sur le fait que le Québec aurait adopté l’approche fonctionnelle); supra note
483 (concernant le souhait de la BERD de suggérer dans le Guide législatif une avenue possible
pour l’intégration des sûretés mobilières et immoblières).
C’est ce que la deuxième partie de cette thèse démontrera.
Voir le texte du Projet préliminaire OÉA, supra note 410, et notre analyse détaillée de ce texte
dans Antoine LEDUC,
L’harmonisation du droit des sûretés à l’échelle des Amériques : une

Page 399
373
et de bien refléter l’esprit civiliste de l’auditoire auquel il est destiné, tout en adoptant
l’approche fonctionnelle à l’américaine. Les nombreux commentaires de la délégation
canadienne dans la confection de ce texte y sont très certainement pour quelque
chose 1019. Même s’il apparaît évident que ce projet d’harmonisation ne saurait procéder
à l’unification par l’uniformisation du droit des sûretés mobilières à l’échelle des
Amériques, il pourrait néanmoins susciter des modifications corrélatives au sein des
législations américaines et canadiennes, car nombre de solutions qu’il avance sont dignes
d’intérêt. On est encore très loin de l’unification du droit, tant de façon générale que de
façon particulière, sous
l’égide de
l’Organisation des États Américains, dont
l’organisation politique ne se rapproche aucunement de celle de l’Union Européenne
d’aujourd’hui pour l’établissement de normes supra-nationales 1020. Ainsi, c’est très
lentement que la Loi type interaméricaine sur les sûretés mobilières commence à se
frayer un chemin en Amérique latine 1021. Reste à voir comment elle s’intégrera dans les
1019
1020
1021
analyse de droit comparé sous l’angle du droit civil québécois et du bijuridisme canadien,
mémoire de maîtrise, Faculté de droit, Université de Montréal, 2001.
Sur l’influence de la délégation canadienne et son empreinte dans le changement de style de la Loi
type interaméricaine sur les sûretés mobilières
, voir : A.M. GARRO, loc. cit., supra note 405, p.
204 ; B. KOZOLCHYK et D. BECK FURNISH,
loc. cit., supra note 417, p. 128-130, 141-144.
Voir, à ce sujet, notre discussion, dans A. LEDUC, loc. cit., supra note 414, p. 52-59, 75-78. Voir
aussi, en droit européen, François COLLART DUTILLEUL, « De la diversité des traditions
juridiques et des cultures à la constitution d’espaces politiques et marchands (Europe et
Amériques) », dans
Ordres juridiques et espaces marchands / The legal Order and the Realm of
Comemerce
, Collection Bleue, Montréal, Wilson & Lafleur, 1998, 3; Gérard SOULIER, « Vers un
droit uniforme ou vers un droit commun en Europe ? », dans
Ordres juridiques et espaces
marchands / The legal Order and the Realm of Comemerce
, Collection Bleue, Montréal, Wilson &
Lafleur, 1998, 17.
Notons qu’il est difficile d’obtenir de l’information à ce sujet, le site Web de l’OÉA ne comportant
pas, sauf erreur, de section faisant état des ratifications ou adoptions de la
Loi type interaméricaine
sur les sûretés mobilières
. Cependant, on glane chez les auteurs latinos-américains ou s’intéressant
à l’Amérique latine certaines données. Ainsi, le Pérou, le Guatémala et le Honduras auraient
adopté des lois relatives aux sûretés mobilières inspirées de la
Loi type interaméricaine sur les
sûretés mobilières
, alors que le Salvador, le Costa Rica et le Chili envisageraient cette possibilité.
Voir, sur ces questions : A.M. GARRO, loc. cit., supra note 405, p. 206-207 ; B. KOZOLCHYK
et D. BECK FURNISH,
loc. cit., supra note 417, p. 106-107 ; Boris KOZOLCHYK et al., « Panel

Page 400
374
pays qui sont régis par un code civil 1022.
Les rédacteurs d’instruments de
l’harmonisation du droit ont malheureusement tendance à négliger ce facteur; ainsi, la Loi
type interaméricaine sur les sûretés mobilières est plutôt conçue comme une loi
particulière, à l’image d’un PPSA, alors que dans un pays civiliste de droit codifié, le
droit des sûretés fait partie intégrante du Code civil.
La Loi type de la BERD propose elle aussi un instrument de bonne facture. Il s’avère
encore plus neutre que ne l’est la Loi type interaméricaine sur les sûretés mobilières.
Son influence s’avère grandissante dans les pays d’Europe de l’est; son intégration au
droit civil codifié suscite les mêmes interrogations, mais on note plusieurs projets qui
vont plutôt vers l’adoption de modifications à des codes civils existants, et non la simple
adoption d’une loi spéciale 1023.
Cela nous amène à considérer le style de rédaction, la langue, voire aussi le langage, que
l’on devra utiliser dans la rédaction d’un instrument d’harmonisation du droit des sûretés
mobilières. On a maintes fois souligné que l’une des raisons pouvant expliquer le succès
des Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international tient de la
1022
1023
#3 : Local and International Credit and Secured Lending Transactions for Business Entities »,
(2008) 25
Arizona Journal of International and Comparative Law 329, 340-347.
Voir, à ce sujet, les commentaires de Louis Payette lors des séances de travail du comité de
rédaction de cette loi type, dans B. KOZOLCHYK,
et al., loc. cit., supra note 186, p. 454 : « It
seems clear to me that the Model Act could not coexist in any given country where the common
law – a civil code – would create in parallel a distinct regime of priority or preference in favour of
secured creditors
». Il semblerait que ce genre de subtilité échappe à plusieurs juristes.
in
Law
dans EBRD,
Voir, entre autres: John SIMPSON et Joachim MENZE, « Ten years of secured transactions
reforms »,
ligne:
http://www.ebrd.com/pubs/legal/lit002b.pdf#page=2 (consulté le 17 mai 2010); Craig AVERCH,
Hsianmin CHEN, Frederique DAHAN, Paul MOFFATT et Alexei ZVEREV, « The EBRD’s legal
reform work : Contributing to transition », dans EBRD,
Law in transition. Ten years of legal
transition
, Autumn 2002, 37, 43-45, en ligne: http://www.ebrd.com/pubs/legal/lit022.pdf#page=39
(consulté le 17 mai 2010). Voir enfin les commentaires de : H.L. BUXBAUM, loc. cit., supra
note 187, p. 332-333.
Transition, Autumn
2000,
20,
en

Page 401
375
neutralité juridique du langage choisi pour les exprimer 1024. À titre d’exemple,
mentionnons qu’il n’est pas question de la notion de common law de la « consideration »
d’un contrat, pas plus, d’ailleurs, que de la notion civiliste de la « cause » du contrat 1025.
On pourrait dès lors parler d’un droit « méta-linguistique ». D’autre part, lesdits
principes sont diffusés en plusieurs langues. Certains ont salué ce fait comme étant
l’avènement d’un droit permettant l’élaboration d’un véritable lexique du droit privé
international qui ne soit pas seulement qu’anglais 1026. Cette diffusion en plusieurs
langues favorise donc leur acceptation à une plus grande échelle 1027.
Partant de cette conclusion, on pourra se demander quelle utilité peut bien présenter le
bijuridisme canadien législatif dans ce contexte de neutralité « systémique » du langage
législatif. En effet, la méthode de rédaction propre à l’articulation de ce bijuridisme
canadien n’a pas pour effet d’éliminer les systèmes et de tendre vers cette neutralité du
langage juridique, bien au contraire. Nous avons vu précédemment que l’objectif des
juristes du Groupe du bijuridisme du ministère de la Justice du Canada consiste à
harmoniser, lorsque possible et nécessaire, la législation fédérale avec le droit civil de la
province de Québec, sans par ailleurs modifier la common law. Ainsi, cette technique
1024
1025
1026
Voir, notamment : Michael J. BONELL, « The Unidroit Principles of International Commercial
Contracts : Towards a New
Lex Mercatoria », (1997) Revue de droit des affaires internationales
385, 392.
Voir l’article 3.2 des Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international 2004,
Rome,
ligne :
http://www.unidroit.org/french/principles/contracts/principles2004/integralversionprinciples2004-
f.pdf (consulté le 17 mai 2010).
2004,
en
p.
9,
Voir, notamment, Nicholas KASIRER, « Lex-icographie mercatoria », (1999) 47 Am. J. Comp. L.
653; E. Allan FARNSWORTH, « The U
NIDROIT Principles : A new lingua franca for the drafting
of international commercial contracts ? » dans The Unidroit Principles : A Common Law of
Contracts for the Americas ? / Los Principos de Unidroit : Un derecho comun de los contractos
para las Américas ?, Rome, Unidroit, 1998, 193.
1027 W. TETLEY, loc. cit., supra note 3, p. 890.

Page 402
376
particulière et unique de rédaction législative juxtapose, dans une seule et même
disposition législative, les concepts propres au droit civil et à la common law, dans le
français ou l’anglais propre à chacune de ces traditions juridiques, traduisant cette
cohabitation des systèmes 1028.
Ainsi, la méthode du bijuridisme canadien ne présentera pas de résonance particulière
dans la rédaction de principes généraux portant sur le droit des sûretés mobilières, dans
un contexte international. Elle pourrait toutefois se révéler être d’une certaine utilité, si
l’on envisage la rédaction de dispositions législatives types, telle que le suggéra la
CNUDCI. On ne pourra ni ne voudra la transposer intégralement dans pareil contexte.
En effet, tout souhaitable et nécessaire qu’elle puisse être en droit fédéral canadien (si
tant est que ce soit le cas), elle comporte des limites, même dans le contexte du droit
interne canadien 1029. Dans un contexte international, on imagine mal que les dispositions
législatives types accompagnant et s’inspirant d’un guide législatif ou d’un corpus de
principes généraux du droit des sûretés mobilières systémiquement neutres, deviennent
subitement bijuridiques ou bi-systémiques, selon l’entendement proprement canadien de
ces termes.
On voit tout de suite poindre d’autres difficultés. Illustrons notre propos d’un exemple.
Imaginons que cette méthode puisse s’appliquer à la Loi type interaméricaine sur les
sûretés mobilières. Si tel était le cas, et en admettant que le droit civil et la common law
puissent respectivement constituer, alternativement, les droits communs des divers États
1028
1029
Voir, de façon générale, L. MAGUIRE WELLINGTON, loc. cit., supra note 12.
On a souligné qu’elle pouvait en effet présenter des coûts prohibitifs compte tenu du nombre de
lois visées à être harmonisées. Voir : M.-C. GERVAIS et M.-F. SÉGUIN, loc. cit., supra note 974,
p. 20 (note 62).

Page 403
377
membres de l’OÉA, on aurait du mal à en fixer le contenu et le sens, ces traditions ayant
pris des couleurs et des visages différents selon le pays concerné. Les pays de droit civil
des Amériques s’inspirent soit de la tradition civiliste française, soit de la tradition
civiliste allemande, ce qui déjà soulève certains problèmes stylistiques et conceptuels, au-
delà de leurs ressemblances 1030. La common law anglo-américaine, bien qu’étant parente
avec la common law anglo-canadienne, possède de nombreux particularismes, et vice-
versa. De même, on voit également une difficulté à traduire des réalités juridiques
propres à deux familles (par opposition aux systèmes, qui relèvent de droits étatiques
nationaux), en quatre (4) langues, donc pour huit (8) auditoires, à l’intérieur d’une seule
et même disposition législative, en tenant pour acquis que les langues des pays membres
de l’OÉA sont l’espagnol, le portuguais, l’anglais et le français.
Il faudrait donc aller au-delà de la méthode bijuridique canadienne et, ce faisant, adopter
un bijuridisme « culturel » 1031, en suggérant, dans les dispositions législatives types, des
alternatives pour les pays issus des familles de common law ou de droit civil, les
dispositions ainsi proposées ne s’entendant alors uniquement qu’en fonction de l’une ou
de l’autre de ces familles et possédant leur existence autonome. Ainsi, on pourrait
favoriser l’adoption d’une disposition consacrant l’approche fonctionnelle pour les pays
de common law, et celle consacrant un régime de sûreté d’ordre public utilisant
l’énumération limitative des sûretés, pour les pays de la famille civiliste, qui procéderait
de cette logique 1032. En fin de compte, l’objectif poursuivi est le même, mais à des
degrés divers : il s’agit, dans chaque cas, de respecter les traditions culturelles et
1030
1031
1032
Voir, entre autres, J. GAUDEMET, op. cit., supra note 1, p. 220.
Ainsi que le propose J.-F. GAUDREAULT-DESBIENS, op. cit., supra note 990.
Voir notre discussion à ce sujet, supra, Partie I, sous-section II. B. 1.4.

Page 404
378
juridiques propres à chaque famille. Notons, à cet égard, que tout en adoptant de façon
univoque l’approche fonctionnelle, le Guide législatif sur les opérations garanties ne
propose pas moins une alternative concernant l’aménagement des sûretés pour le
créancier qui finance l’acquisition de biens : pour les pays choisissant l’approche unitaire,
ce sera le PMSI; pour les autres, on maintiendra les sûretés-propriétés 1033.
Mais l’harmonisation du droit et le bijuridisme doivent aussi tenir compte des différences
de styles de rédaction législative. La rédaction d’un instrument de l’harmonisation du
droit des sûretés, quel qu’il soit, devrait recourir à un style simple, clair et précis, faisant
preuve de généralité et d’abstraction. Malheureusement, il est illusoire d’espérer
l’atteinte d’un pareil résultat découlant de la méthode du bijuridisme canadien législatif,
car ce travail consiste à prendre les lois fédérales telles qu’elles existent (ou celles qui
sont en devenir) et à y intégrer les concepts et la terminologie du droit civil québécois.
Le style de ces lois est celui du droit légiféré de la tradition de common law, qui vise à
tout dire et à tout prévoir dans les moindres détails, et qui ne procède pas par généralité et
abstraction. En cela, la méthode de rédaction du bijuridisme canadien, qui consisterait
harmoniser le droit et non pas à le changer, s’adapte à ce style 1034. Afin de pleinement
tirer profit de la richesse de cette vaste expérience législative, il serait souhaitable qu’elle
débouche sur l’évolution de ce style, tant dans l’arène fédérale que provinciale, y compris
chez le législateur québécois, pour la rédaction de ses lois publiques 1035. Mais ne nous
1033
1034
1035
Supra, note 802.
Voir, de façon générale, L. MAGUIRE WELLINGTON, loc. cit., supra note 12.
Voir, en ce sens, J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., supra note 985, p. 43. Pour cela, il nous semble que
l’on devrait graduellement tenter l’expérience de la simplification du droit dans son style de
rédaction, lorsque cela s’avère possible.

Page 405
379
leurrons pas : les atavismes sont tenaces et les juristes de common law, déjà indifférents à
l’expérience actuelle du bijuridisme, ne s’aventureront pas de si tôt de ce côté 1036.
Pour l’instant, il serait tout de même faux de prétendre que la méthode du bijuridisme
canadien ne se limite qu’à une simple intégration de la terminologie et des concepts
civilistes à la législation fédérale. Elle ratisse beaucoup plus large. On remarque que, par
le choix des termes et concepts civilistes que le législateur fédéral décide d’intégrer à
certains de ses textes, il en interprète et en fixe nécessairement les sens. Il se fait l’écho
du législateur québécois et procure une nouvelle source servant à fixer les balises du droit
civil québécois. En cela, l’exemple le plus frappant est celui donné par la nouvelle
définition de l’expression « créancier garanti » aux termes de l’article 2 de Loi sur la
faillite et l’insolvabilité, telle que modifiée par l’article 25 de la Loi d’harmonisation
no 1 1037. Comme nous en avons déjà discuté, par l’effet de cette modification législative,
les titulaires de réserves de propriétés (soit les vendeurs à tempérament et les vendeurs à
reméré) et les fiduciaires administrateurs de fiducies-sûretés sont désormais considérés
comme des créanciers garantis 1038. Ce choix s’expliquerait par un désir de bien marquer
le caractère de sûreté de ces propriété-sûretés, tel que l’ont suggéré certains auteurs 1039.
1036
1037
1038
1039
J.-F. GAUDREAULT-DESBIENS, loc. cit., supra note 990.
Supra, note 389.
Voir notre discussion, supra, Partie I, sous-section II. B. 2.2.
formulée en ce
A. VAUCLAIR et M.-F. PARENT, loc. cit., supra note 392, p. 7-10. Ces auteurs s’appuient sur la
recommandation
Jacques AUGER, Albert BOHÉMIER et
Roderick A. MACDONALD, « Le traitement des créanciers dans la
Loi sur la faillite et
l’insolvabilité
et les mécanismes de garantie du droit civil du Québec », dans L’harmonisation de
la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien, Ottawa, ministère
de la justice, 1997, 911, p. 956.
sens par

Page 406
380
Remarquons que cette modification législative produit deux effets dignes de mention.
D’abord, elle cristallise et fige la nature de ces propriété-sûretés. Elle va plus loin que ce
que le législateur québécois lui-même édicte dans son Code civil, laissant à la doctrine et
aux tribunaux, par la manière qu’il a de s’exprimer, le soin de fixer le sens des
dispositions en traitant. Ainsi, le législateur fédéral colle au Code civil une interprétation
rigide. D’autre part, on voit poindre un risque de balkanisation du droit canadien de la
faillite (ce que le législateur fédéral et les tribunaux s’évertuent pourtant à éviter). Les
vendeurs à tempéraments du Québec disposeront de recours différents de ceux dont
bénéficient les vendeurs à tempéraments des autres provinces, qui eux continueront de
produire leurs preuves de réclamation de biens aux termes de l’article 81 LFI 1040, bien
que, curieusement, la définition du terme « créancier garanti » de la Loi sur la faillite et
l’insolvabilité ne réfère qu’aux institutions traditionnelles de la common law en matière
de sûretés et non pas à la notion de « security interest » découlant de l’approche
fonctionnelle adoptée par les PPSA (ce qui, on en conviendra, est des plus paradoxal).
Cet exemple démontre que le bijuridisme canadien est un processus à sens unique,
harmonisant le droit fédéral avec le droit civil mais laissant sur la touche le droit
« statutaire » des provinces de common law. Ainsi, toute la question du style de rédaction
est très importante. Si la nouvelle définition de l’expression « créancier garanti » s’était
exprimée de manière plus générale et abstraite plutôt que de procéder par énumération, en
se contentant par exemple de référer aux titulaires de sûretés reconnues comme telles aux
termes du droit provincial privé et du droit fédéral, le cas échéant, elle aurait permis une
plus grande souplesse et une plus grande faculté d’adaptation à ce texte législatif. On
1040
Voir, en ce sens : L.W. HOULDEN, G.B. MORAWETZ et J.P. SARRA, op. cit., supra note 218,
p. 488-490 (F§69).

Page 407
381
soutiendra qu’une telle définition abstraite eût été l’équivalent de « changer le droit ».
Avec déférence, cet argument n’est pas concluant, puisque l’on constate bien qu’en
utilisant la méthode et le style bijuridique actuels, on change nécessairement le droit 1041.
Le bijuridisme canadien législatif n’échappe donc pas à sa dimension culturelle et
s’inspirer du style civiliste en matière de rédaction devrait en faire partie. Il tente de
l’occulter, soit, mais pour lui donner pleinement effet et susciter ce dialogue entre les
traditions que certains souhaitent, il lui faudrait aller plus loin. Point n’est besoin de
restreindre l’idée aux cas douteux de dissociation du droit fédéral avec le droit
provincial 1042.
Comme on peut le constater, la méthode du bijuridisme canadien législatif est
d’application somme toute assez limitée et ne saurait se transposer à plus large échelle.
Elle pose déjà son lot de problèmes en droit interne canadien sans qu’il ne soit nécessaire
d’en affliger les autres États. En revanche, la réflexion comparatiste qui la sous-tend
s’avère, elle, fondamentale dans la poursuite de cette harmonisation.
Enfin, nous avons déjà émis certains commentaires quant à la nécessité de réfléchir à la
possibilité, à défaut d’uniformiser le domaine des sûretés légales, d’enrayer leur caractère
occulte. Le domaine des sûretés légales constitue un problème commun à toutes les
juridictions. Bien sûr, tant que l’unité politique n’est pas réalisé pour un ensemble
économique donné, comme l’Organisation des États Américains, par exemple, on ne peut
1041
Ce que des juristes du Groupe du bijuridisme du Ministère de la justice fédérale ont semblé
reconnaître subséquemment. Voir, entre autres : G
ROUPE DU BIJURIDISME ET DES SERVICES DAPPUI
À LA RÉDACTION, DIRECTION DES SERVICES LÉGISLATIFS, MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA et
D
IRECTION DES POLITIQUES DU DROIT CORPORATIF ET DE LINSOLVABILITÉ, INDUSTRIE CANADA,
« Quelques questions de politique législative », (2003) 37 R.J.T. 147.
1042
Ainsi que le suggère J.-F. GAUDREAULT DESBIENS, op. cit., supra note 990.

Page 408
382
envisager la conclusion d’un traité par lequel les pays signataires limiteraient leur pouvoir
de constituer des sûretés légales. Cette prérogative appartient en propre au législateur
souverain. On peut cependant envisager l’organisation de leurs modalités de manière
plus logique, qui permette une publicité plus effective 1043. C’est ce que nous allons
maintenant considérer en examinant les pistes de l’harmonisation du droit des sûretés à
l’échelle pancanadienne.
2.
À l’échelle pancanadienne
Il est possible de considérer l’harmonisation du droit des sûretés mobilières, à l’échelle
pan-canadienne, sous deux angles principaux. D’abord, au niveau inter-provincial [2.1];
ensuite, à l’échelon du législateur fédéral [2.2].
2.1
harmonisation inter-provinciale
Certains auteurs ont longtemps envisagé l’harmonisation du droit des sûretés mobilières,
au niveau inter-provincial, dans sa forme la plus radicale, à savoir l’unification du droit
par l’uniformisation des normes, le modèle retenu étant alors nécessairement celui du
Titre 9 du UCC et des législations de type PPSA, pour chaque province, y compris le
Québec 1044. Or, on aurait pu croire que la volonté d’affirmation du bijuridisme canadien
législatif, à l’échelon fédéral, s’inscrivant dans une mouvance internationale de
l’harmonisation soft, si l’on nous permet l’anglicisme, sonnerait le glas d’une telle
1043
1044
Voir notamment, en ce sens, CNUDCI - Travaux futurs possibles dans le domaine des sûretés
2001, supra note 1011, p. 7, 12-13, nos 28, 57-59; J. ISSA-SAYEGH, loc. cit., supra note 519, p.
14, n
o 25; R. GOODE, loc. cit., supra note 67, p. 73 et 75.
Pour un résumé critique de ces positions et attitudes, lire M. BOODMAN, loc. cit., supra note 946,
p. 137 et s.

Page 409
383
unification du droit des sûretés mobilières à l’échelle inter-provinciale 1045. En cela, on
pourrait dire que le bijuridisme canadien consiste en l’exaltation des différences
systémiques plutôt qu’en leur disparition, en plus d’encourager une certaine incohérence.
Notons toutefois que, si les techniques législatives diffèrent toujours entre les diverses
législations de type PPSA des provinces anglo-canadiennes et le Code civil du Québec,
en matière de sûretés mobilières, s’observe néanmoins une convergence des valeurs de
ces deux systèmes. De plus, l’apparition de régimes spéciaux harmonisés (chose
impensable dans un passé récent), notamment en matière de valeurs mobilières et de titres
intermédiés, puis d’aéronefs, vient grandement nuancer cette apparente immuabilité.
L’effet des sûretés découlant du droit de l’insolvabilité également. Ces facteurs
permettent d’entrevoir une consolidation, voire une codification, du droit des sûretés dites
« fédérales », qui pourrait s’effectuer dans une certaine harmonie systémique, grâce à
l’approche du bijuridisme canadien.
2.2
sûretés fédérales
Lorsque nous évoquons la notion de « sûretés fédérales », nous faisons nécessairement
référence à celles qui sont créées par le législateur fédéral à l’intérieur de ses sphères de
compétences législatives. L’état actuel de ces sûretés constitue une problématique
majeure, connue et reconnue, en droit canadien. Problème d’accès et d’intelligibilité de
la norme, en raison d’une disparité des sources; problème de cohérence, de façon
générale et particulière, notamment en ce qui a trait aux interactions et possibles
1045
J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., supra note 985, p. 30 : « Uniformity of law within Canada in matters
assigned to the legislative competence of the provinces has been in contemplation as a desirable
goal since the founding of the country. Bijuralism as between Quebec and the rest of Canada has,
however, been a major obstacle to its full achievement and a pan-Canadian uniformity is not now
likely to be accomplished except in limited respects
».

Page 410
384
dédoublements entre les sûretés fédérales et les sûretés provinciales. En particulier, les
sûretés légales sont nombreuses, pratiquement toujours occultes, et confèrent des « super-
priorités » à la Couronne, notamment en matière de faillite, ce qui fragilise la position des
créanciers garantis 1046.
La défunte Commission du droit du Canada
(la
« Commission ») a bien compris ces enjeux et en fit l’un de ses champs d’investigation
privilégié. Une vaste étude faisant l’inventaire de toutes les sûretés fédérales existantes et
proposant des pistes de réflexion en ce domaine fut réalisée, à la demande de la
Commission, par un cabinet d’avocats canadien 1047. Ce rapport fait notamment état de
divers scénarios qui permettraient de remédier aux divers problèmes soulevés par le droit
des sûretés fédérales 1048. Parmi ceux-ci, on jongle avec l’idée de regrouper tous les
mécanismes de sûretés du droit fédéral dans une « loi unifiée sur les sûretés mobilières
fédérales ». On émet des doutes quant à la possibilité d’opérer une codification
organisatrice du droit des sûretés fédérales, en ce qu’il n’existerait pas d’objectif unique
sous-jacent à tous les régimes dont on proposerait l’unification. Quoi qu’il en soit, l’idée
mérite d’être explorée et approfondie sérieusement. Qui sait, pourrons-nous un jour
disposer d’un « Code des sûretés fédérales » rédigé à la civiliste, en ayant toutefois
recours à la méthode bijuridique, lorsque nécessaire, pour l’inclusion de la terminologie
1046
1047
Voir, notamment, P.H. BÉLANGER, loc. cit., supra note 154; Martin-François PARENT, « La
création des mécanismes de sûreté par le législateur fédéral dans la
Loi sur la faillite et
l’insolvabilité
» dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province
de Québec et le bijuridisme canadien
, fascicule 8b, Ottawa, ministère de la Justice du Canada,
2001, en ligne : http://Canada.justice.gc.ca/fr/min/pub/hfl/fascicule8b.pdf (consulté le 19 août
2001). Notons qu’en matière de sûretés légales, la même situation s’observe au niveau provincial,
du moins en droit québécois.
Voir : CANADA, COMMISSION DU DROIT DU CANADA, Les sûretés fédérales, par FRASER MILNER
CASGRAIN, Ottawa, Commission
ligne :
http://www.cc.gc.ca/fr/themes/pr/cpra/fraser/fsi.pdf
(consulté le 18 juillet 2001) [« Les sûretés
fédérales »].
du Canada,
2000,
droit
en
de
1048
Ibid., p. 79-81.

Page 411
385
et des concepts propres au droit civil québécois et à la common law des provinces et
territoires. Un tel projet, qui permettrait une meilleure accessibilité et intelligibilité de la
norme, suppose des travaux importants qui s’échelonneraient sur plusieurs années. Il
suppose volonté politique, concertation des autorités fédérale et provinciales, esprit
d’ouverture et de collaboration avec le milieu juridique et avec celui des affaires. À plus
court terme, il serait sans doute plus réaliste de songer à une codification palliative du
droit des sûretés fédérales, qui permettrait d’avoir accès à tous les régimes de sûretés
fédérales en un seul et même recueil, facilitant ainsi la tâche des praticiens du droit et de
leurs clients. Ces travaux, d’une importance capitale, permettraient une intégration
davantage accrue du droit des sûretés, à la verticale comme à l’horizontale, en droit
canadien. En effet, ce dialogue entre les systèmes serait assurément générateur de
solutions novatrices, et favoriserait sans doute l’expansion des pratiques du commerce à
l’échelle nationale.
Ces réformes, qui tardent à venir en droit fédéral canadien, posent toutefois la question
cruciale que nous annoncions en introduction de cette thèse : allons-nous vers
l’uniformisation du droit des sûretés mobilières en Occident ?
C.
Vers l’uniformisation du droit des sûretés mobilières en Occident ?
Si nous avons noté une convergence des valeurs, il n’en demeure pas moins que des
divergences conceptuelles importantes subsistent entre les systèmes étudiés. Néanmoins,
on peut affirmer que l’uniformisation du droit des sûretés mobilières est en marche dans
les pays industrialisés de l’Occident et qu’elle passe d’abord par l’harmonisation plus
souple. Ce mouvement s’observe à plusieurs niveaux.
Page 412
386
D’une part, il est vrai que des régimes spéciaux s’établissent relativement à certains types
de biens spécifiques. Le cas des valeurs mobilières, titres intermédiés et autres actifs
financiers est très éloquent. En Amérique du Nord, en Europe et en Australie, le régime
inspiré du Titre 8 du UCC est en voie de s’implanter 1049. Même si ce régime tient son
inspiration du Titre 8 du UCC et que certaines conventions internationales viennent en
régir des pans importants 1050, il est révélateur de noter que l’uniformisation à ce niveau
ne procède pas tant de la ratification de conventions internationales mais plutôt de
l’incorporation de ces principes dans les divers droits nationaux. L’influence de toutes
ces sources du droit transnational y est très certainement pour quelque chose 1051. Puis,
de manière aussi significative, pour les biens mobiles de grande valeur que sont les
aéronefs et le matériel ferroviaire roulant, la Convention du Cap (2001), signée par
plusieurs États, est en voie d’être ratifiée dans plusieurs pays, dont le Canada.
D’autre part, l’harmonisation des régimes de droit des sûretés mobilières à l’interne
s’avère plus complexe. Le modèle du Titre 9 du UCC a fait son nid dans les États anglo-
saxon d’Amérique du Nord et s’est transporté jusqu’en Nouvelle-Zélande 1052 et en
1049
1050
1051
1052
M. DESCHAMPS, loc. cit., supra note 83, p. 547-548. En droit belge, voir : Christine BIQUET-
MATHIEU et Frédéric GEORGES, « Les espaces de liberté dans le domaine des sûretés et
garanties de paiement », dans
Les espaces de liberté en droit des affaires, Bruxelles, Bruylant,
2007, 61, 83, 85-98.
Pour les règles de conflits de loi, voir : Convention de La Haye, supra note 94 ; pour les règles de
droit substantif, voir :
Convention de Genève, supra note 95.
Le même phénomène s’observe, de façon plus générale, dans l’harmonisation du droit
international privé. Voir : Sylvette GUILLEMARD et Alain PRUJINER, « La codification
internationale du droit international privé : un échec ? », (2005) 46
Les Cahiers de Droit 175.
Mike GEDYE, « A distant export : The New Zealand Experience with a North American Style
Personal Property Security Regime », (2006) 43
Can. Bus. L.J. 208.

Page 413
387
Australie 1053. Toutefois, les résistances à ce modèle sont nombreuses et ne proviennent
pas seulement de pays civilistes, l’Angleterre n’y ayant toujours pas, à ce jour,
adhéré 1054. Ces résistances s’expliquent, pour les pays de droit civil, par des différences
conceptuelles importantes en droit des biens 1055, mais aussi par l’inconfort que suscite
une législation qui a la réputation d’être trop favorable aux créanciers 1056; pour les pays
de common law qui ne suivent pas l’exemple américain, c’est peut-être davantage le
poids des traditions qui est en cause, bien que des divergences conceptuelles puissent
exister.
Le Québec propose un modèle original et unique, probablement le plus avancé des pays
civilistes, si bien que plusieurs auteurs (et la CNUDCI) le classent parmi les régimes
découlant du Titre 9 du UCC, en tout cas au niveau de l’atteinte des résultats 1057. Il est
très certainement la preuve que l’on puisse demeurer fidèle à l’originalité de sa tradition
sans pour autant se priver d’innover.
Au final, la réforme du droit des sûretés devrait favoriser la reconnaissance d’une sûreté
globale en droit interne et des règles de conflits de lois similaires d’un État à l’autre, afin
que la validité des sûretés consenties dans un État soit préservée à l’échelle
internationale. Malgré les différences conceptuelles d’un système à l’autre, donc d’un
État à l’autre, cette uniformité est non seulement possible mais souhaitable. Ainsi, à
1053
1054
1055
1056
1057
Simon FISHER, « Personal property security law reform in Australia: history, influence and the
future », dans John DE LACY, dir.,
The Reform of UK Personal Property Security Law.
Comparative Perspectives
, Londres, Routledge Cavendish, 2010, 366.
Voir les autorités citées, supra, note 28.
G.L. GRETTON, loc. cit., supra note 332.
A.M. GARRO, loc. cit., supra note 405.
R.A. MACDONALD, loc. cit., supra note 332.

Page 414
388
défaut de parler d’unification des régimes, idée qui se bute à la souveraineté des États, il
est possible d’envisager l’uniformisation du droit des sûretés à ce niveau. Même si la
France et l’Angleterre se refusent toutes deux à suivre les exemples de leurs cousins
nord-américains, il n’en demeure pas moins que leurs régimes permettent la prise de
garantie sur une universalité de biens. Des efforts de cohérence internes seraient
nécessaires, mais cela n’empêche pas leurs systèmes de fonctionner. Mentionnons, aussi,
l’influence considérable du droit des procédures collectives des créanciers dans la
création d’un droit des sûretés transnational.
En conclusion de cette première partie, soulignons à nouveau l’importance des efforts que
les organisations internationales ont fait ces dernières années dans le domaine de
l’harmonisation du droit des sûretés mobilières. Si certains instruments proposés par ces
organisations se distinguent du droit américain relativement à l’approche fonctionnelle
(on pense à la Convention du Cap (2001) et, dans une moindre mesure, à la Loi type de la
BERD), le Guide législatif sur les opérations garanties et la Loi type interaméricaine
relative aux sûretés mobilières ont délibérément fait le choix de s’inscrire dans la
mouvance américaine. Il en ressort que le modèle américain est présenté comme étant le
plus moderne et efficient. Malgré ses qualités indéniables, nous avons aussi relevé ses
nombreuses lacunes et ses incompatibilités conceptuelles avec la tradition civiliste. Cela
traduit bien les limites du processus d’harmonisation qui a présentement cours dans les
conférences internationales, ces réunions d’experts et de délégués gouvernementaux dont
les travaux sont assujettis à l’approbation finale d’une conférence diplomatique. On a
soutenu que ce processus favorise l’émergence d’un droit des sûretés transnational fondé
sur le droit américain. De plus, noyauté qu’il est par des acteurs politiques et privés
Page 415
389
(barreaux, professeurs, représentants de l’industrie) qui n’ont de comptes à rendre qu’à
eux-mêmes, on déplore l’absence d’imputabilité dans l’élaboration de ce droit
transnational au service de l’économie capitaliste 1058.
Il est vrai que, de ce droit transnational des sûretés, émerge une conception
essentiellement américaine. On peut le déplorer. On peut surtout déplorer le fait que
l’exercice de droit comparé et de recherche des meilleurs valeurs ou principes devant être
mis de l’avant soit soumis à ce jeu politique. En cela, il s’agit d’une différence notable
avec le processus ayant présidé à la rédaction des PRINCIPES D’UNIDROIT RELATIFS AUX
CONTRATS DU COMMERCE INTERNATIONAL 1059.
Enfin, nous avons tenté de démontrer, tout au long de cette première partie, que l’analyse
systémique conserve toute sa pertinence. Elle permet de dégager les valeurs et les
concepts qu’expriment une règle de droit. L’harmonisation des valeurs ne signifie pas
que les concepts les véhiculant soient identiques. Au contraire, c’est là que la diversité
doit continuer de pouvoir s’exprimer car, ainsi que l’affirmait Montesquieu, la grandeur
1058
1059
Edward S. COHEN, « The Diffusion of Legal Models for Financial Governance : The Case of
Secured Finance », 3
rd Conference of the European Consortium for Political Research, Budapest,
ligne: http://regulation.upf.edu/ecpr-05-papers/ecohen.pdf
Hongrie, 8 septembre 2005, en
(consulté le 2 avril 2010).
Voir, à ce sujet : Frédérique SABOURIN, « Les Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du
commerce international », dans
Contemporary Law 1998 Droit contemporain, Cowansville (Qc.),
Éditions Yvon Blais, 1998, 279, 282-283, 285 : «
Ce n’est qu’en 1980 qu’un Groupe de travail
spécial a été créé pour rédiger les Principes. Des experts représentant les principaux systèmes
dans le monde ont composé ce groupe. Ainsi, le professeur Paul-André Crépeau de l’Université
McGill a été membre du Groupe de travail et le professeur Claude Samson de l’Université Laval a
participé au projet. Cependant, les gouvernements n’ont pas été invités à participer aux travaux
du Groupe.
[…] Les auteurs ont tenté d’élaborer des solutions communes aux divers systèmes
juridiques étudiés. À défaut de telles règles communes, les auteurs ont retenu les solutions qu’ils
ont perçues comme étant les meilleures, même si elles ne sont pas adoptées de façon générale.
[…]
L’auteur souligne en outre que si Unidroit avait effectivement voulu établir une loi modèle, il
aurait dû se conformer strictement aux dispositions de son statut organique qui exige en ce cas
que les projets approuvés par le Conseil de direction soient examinés par une conférence
diplomatique
».

Page 416
390
du génie ne consisterait-elle pas mieux à savoir dans quel cas il faut l’uniformité, et dans
quel cas il faut des différences ? Certains voudraient plutôt que l’on envisage l’idée d’un
seul grand système « ouvert », qui consiste à promouvoir l’avènement de l’harmonisation
par l’entremise de l’enseignement, de la pratique et de la jurisprudence, dans un cadre
systémique précis où le système deviendrait « ouvert » (par opposition à fermé, bien
entendu), devenant de ce fait plus perméable aux influences diverses et étrangères 1060. Si
l’idée est séduisante, elle recèle en elle-même plusieurs objections, car à quoi bon établir
un système avec ses règles propres et sa cohérence intrinsèque si c’est pour le dénaturer
par la suite ? Si l’on peut admettre une certaine perméabilité des systèmes pour faire jour
aux influences externes, il est possible de soutenir que l’idée aille à l’encontre du principe
de l’État de droit, sur lequel nous allons maintenant nous pencher. Principe fragile et
précieux, s’il en est un, qui constitue la toile de fond permettant à tout système de droit
des sûretés d’exister.
1060
H.P. GLENN, Harmonization, supra note 947, p. 84. Voir aussi, dans le même sens, L. Le BEL et
P.-L. Le SAUNIER,
loc. cit., supra note 101.

Page 417
DEUXIÈME PARTIE – DE LA RÉFORME ET DE L’HARMONISATION DU
DROIT DES
SÛRETÉS DANS LES PAYS
ÉMERGENTS : CONSIDÉRATIONS JURIDIQUES,
SOCIOPOLITIQUES ET CULTURELLES
Contre
l’empêcher de monter.
Certains ont conclu qu’il fallait lutter contre la
mondialisation. Mais être contre la mondialisation,
c’est comme être contre la marée, ce n’est pas ce qui
va
la marée,
cependant, on peut construire des digues, des quais,
des canaux. On ne peut pas être contre mais on peut
chercher à en aménager les effets. Encore faut-il que
quelqu’un soit responsable de construire ces digues et
ces quais. De la même façon, il faut que quelqu’un
organise l’éducation, la formation professionnelle, la
recherche,
la protection des plus
fragiles, empêche les abus, réglemente les entreprises.
Il n’y a que l’État pour faire cela. À travers l’histoire,
on n’a jamais trouvé autre chose pour protéger le
citoyen. Autrefois, l’État était le seigneur, puis le roi,
puis le Parlement, mais le rôle, lui, est resté. La
première responsabilité de l’État, c’est toujours de
protéger le citoyen. Entre l’individu devant son
ordinateur et un monde vaste, immense, souvent
excitant, parfois menaçant, il n’y a que l’État sur qui
le premier peut s’appuyer au besoin.

l’innovation,
[…]
C’est, en somme, la leçon que l’Europe va servir au
monde à la fin du XX
e siècle : il n’y a pas de pays trop
petit pour se développer, à la condition d’être partie
d’un grand marché commercial. Et son degré de
prospérité, dans ce grand marché, dépendra du soin
qu’il apportera à accroître
la productivité et
l’innovation des ses entreprises. […] On n’est pas
L’intégration
trop petit pour être prospère.
économique ne réduit pas le nombre des pays
indépendants, elle contribue à l’augmenter. Dans ce
sens, un peuple qui aujourd’hui veut devenir un pays
n’est ni attardé ni ringuard. Il se situe dans le sens de
l’histoire.
Jacques PARIZEAU, La souveraineté du Québec – Hier,
aujourd’hui et demain
, Montréal, Les éditions Michel
Brûlé, 2009, p. 19, 47, 48-49.

Page 418
392
Du commerce
Les matières qui suivent demanderaient d’être traitées
avec plus d’étendue; mais la nature de cet ouvrage ne
le permet pas. Je voudrais couler sur une rivière
tranquille; je suis entraîné par un torrent.
Le commerce guérit des préjugés destructeurs : et
c’est presque une règle générale que, partout où il y a
des mœurs douces, il y a du commerce; et que partout
où il y a du commerce, il y a des mœurs douces.
Qu’on ne s’étonne donc point si nos mœurs sont moins
féroces qu’elles ne l’étaient autrefois. Le commerce a
fait que la connaissance des mœurs de toutes les
nations a pénétré partout : on les a comparées entre
elles, et il en a résulté de grands biens.
On peut dire que les lois du commerce perfectionnent
les mœurs, par la même raison que ces mêmes lois
perdent les mœurs. Le commerce corrompt les mœurs
pures : c’était le sujet de Platon; il polit et adoucit les
mœurs barbares, comme nous le voyons tous les jours
.
MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois, t. II, Livre XX,
Chapitre premier, Paris, Gallimard, 1995, p. 609-610.
Dans la première partie de notre exposé, nous avons vu que le mouvement de réforme et
d’harmonisation du droit des sûretés s’est d’abord articulé autour des fondements propres
aux différents régimes de droit interne. Cet intense effort de réflexion a permis une
discussion parmi les experts issus tant de la famille civiliste que de la famille de common
law. Cette réflexion a aussi permis à de nombreux pays, de quelque famille juridique
qu’ils soient, de reformuler au fil des années leurs règles en la matière et de les rendre
plus efficientes. Bien que ces règles ne soient pas encore complètement uniformes d’une
juridiction à l’autre, l’on note un désir qui transcende la technique juridique et qui
permette d’affirmer que, sur l’essentiel, les valeurs qui sous-tendent les régimes de
sûretés des pays industrialisés occidentaux visent l’atteinte d’objectifs similaires. On en
Page 419
393
veut pour preuve la finalisation récente du Guide législatif sur les opérations garanties,
qui propose une certaine synthèse intellectuelle des principes en la matière, bien qu’il
fasse largement la promotion du modèle américain.
Ce Guide législatif illustre bien que ce mouvement de réforme, d’abord orienté vers
l’amélioration des régimes juridiques internes, s’est déplacé vers une harmonisation,
voire une unification, des règles qui régissent la prise de garanties, soit dans un contexte
transfrontalier, soit sur des biens mobiles, incorporels ou dématérialisés, couvrant ainsi,
pour reprendre
le mot de Roy M. Goode, des situations « authentiquement
internationales ». L’apparition de traités, de conventions et de projets d’harmonisation à
ce niveau qui transcende les frontières a vu s’articuler un autre champ de réformes dans le
domaine des sûretés et, avec lui, l’apparition de normes supranationales qui, parfois, se
superposent aux droits internes, parfois influencent ceux-ci et les modifient en
conséquence. Le droit des sûretés est ainsi analysé d’abord en fonction du droit interne,
puis, subséquemment, en fonction de l’apparition de normes internationales, permettant
d’entrevoir l’émergence d’un système du droit des sûretés transnational, édifié afin
d’accommoder les besoins du commerce international. De là à conclure à un certain
universalisme des valeurs préconisées par ces efforts d’harmonisation et d’uniformisation
du droit des sûretés, il n’y a qu’un pas que plusieurs acteurs de cette mouvance
franchissent sans trop d’hésitation.
Toutefois, l’apparition de ce système du droit des sûretés transnational, qui se constate
surtout par un examen de la situation qui prévaut à ce chapitre dans les économies
libérales, n’est pas encore achevée. De larges segments du globe sont en effet bien loin
de ces progrès, pour différentes raisons, qu’elles soient sociopolitiques, économiques ou
Page 420
394
culturelles, bien que les institutions financières internationales en fassent l’un des piliers
de leur stratégie de développement. Ce qui nous amène à considérer le deuxième aspect
de la réforme et de l’harmonisation du droit des sûretés dans ce contexte de
mondialisation de l’économie : qu’en est-il de l’évolution de ce domaine dans les pays
émergents ? Est-il possible de transplanter des solutions juridiques structurantes,
généralement admises dans les économies libérales et dans les pays industrialisés, à des
pays émergents issus de traditions et cultures, juridiques, sociétales ou même religieuses,
profondément différentes ?
Pour tenter d’apporter certaines pistes de réponses à ces questions, il nous faut d’abord
considérer ce qui est à la base même des ordres juridiques occidentaux, à savoir le
principe de l’État de droit [I]. En effet, il est généralement admis que ce principe est le
socle sur lequel reposent la démocratie et la préservation des droits fondamentaux de
l’individu. Parmi ces droits fondamentaux, on retrouve le droit de propriété 1061, élément
1061
Le droit de propriété fut élevé au rang de liberté fondamentale par de nombreux instruments
juridiques au fil de l’histoire. Cette consécration remonte aussi lointainement, en Angleterre, qu’à
la
Magna Carta Libertatum de 1215, (1297) 25 Edw 1 c. 9 (confirmée et publiée sous Édouard I),
et au
Bill of Rights de 1689, (1689) 1 W. & M. c. 2; les États-Unis d’Amérique et la France ont
constitutionnalisé ce droit (U.S. CONST. Amend. XIV, 1; Assemblée nationale,
Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen
(26 août 1789), art. 2 et 17, publiée à la Gazette nationale ou
moniteur universel, no 25 (25 au 27 août 1789), en ligne (sur le site Web du Conseil
constitutionnel) : www.conseil-constitutionnel.fr/textes/d1789.htm (consulté le 18 juillet 2008); la
société internationale le fit également en 1948 dans la
Déclaration universelle des droits de
l’homme
, A.G. rés. 217 A (III), U.N. Doc. A/810 (1948), art. 17. Qu’en est-il au Canada et au
Québec ? Ces États se distinguent sur cette question d’une manière qui leur est bien particulière.
Des instruments quasi-constitutionnels confèrent certes une protection à toute personne, non pas
d’un droit de propriété quelconque, mais plutôt de la jouissance paisible et de la libre disposition
de ses « biens » (sauf dans la mesure prévue par la loi, s’empresse-t-on d’ajouter). L’alinéa 1 (a)
de la
Déclaration canadienne des droits, L.C. 1960, c. 44, et les articles 6 et 8 de la Charte des
droits et libertés de la personne
, L.R.Q., c. C-12, sont à cet effet. Mais le droit de propriété n’est
pas protégé en vertu de la
Charte canadienne des droits et libertés, annexe B de la Loi de 1982 sur
le Canada, c. 11 (R.-U.). Une foule d’arguments variés et complexes explique cet état de fait,
notamment la crainte des provinces de voir le législateur fédéral s’approprier un champ de
compétence qui leur est réservé aux termes du paragraphe 92 (13) de la
Loi constitutionnelle de
1867, supra note 74, leur attribuant compétence en matière de « propriété et [d]es droits civils
dans la province »; la difficulté de procéder à une modification constitutionnelle lorsqu’elle vise

Page 421
395
essentiel à la mise en place d’un régime de sûretés. Il existerait aussi une adéquation
entre le principe de la primauté du droit et le développement économique, l’un et l’autre
étant indissociables. Cette vision occidentale de l’État de droit s’est imposée à l’échelle
internationale pour des raisons historiques et politiques. Elle serait là pour rester et son
rights
January
in Charter, Media Release,
un tel domaine de compétence (paragraphes 38(2) et 39(2) de la Loi constitutionnelle de 1982);
l’inutilité d’enchâsser ce droit dans la Charte canadienne en raison des instruments quasi-
consitutionnels existants; la crainte que de nombreuses lois (fiscales, environnementales, agricole,
en matière familiale ou autres) affectant directement la notion de « bien » puissent faire l’objet de
contestations judiciaires. Sur ces questions, lire : Alexander ALVARO, « Why Property Rights
Were Excluded from the Canadian Charter of Rights and Freedoms », (1991) 24
Revue
canadienne de science politique
309; Jean McBEAN, « The Implications of Entrenching Property
Rights in Section 7 of the Charter of Rights », (1987) 26
Alta. L. Rev. 548; David JOHANSEN,
« Le droit à la propriété et la constitution », Division du droit et du gouvernement du Canada,
Ottawa, Octobre 1991, en ligne : http://dsp-psd.tpsgc.gc.ca/Collection-R/LoPBdP/BP/bp268-f.htm
(consulté le 11 juillet 2008); Peter W. HOGG,
Constitutional Law of Canada, 5e éd., Toronto,
Carswell, 2007 (feuilles mobiles), p. 47-10, 47-11, 47-17 à 47-19. Au plan politique, le Parti
conservateur du Canada, dans son programme électoral de 2006, proposait l’enchâssement du droit
de propriété dans la Constitution canadienne. Voir : P
ARTI CONSERVATEUR DU CANADA,
Changeons pour vrai, Programme électoral du Parti conservateur du Canada 2006, p. 43, en ligne :
http://www.conservative.ca/media/20060113-Platform-f.pdf (consulté le 11 juillet 2008), ce qui
fut décrié par
The Council of Canadians comme favorisant la grande entreprise au détriment du
bien commun, car constituant une menace pour le respect des lois environnementales ou la santé
publique. Voir : T
HE COUNCIL OF CANADIANS, Council denounces Harper’s desire to include
property
ligne :
http://www.canadians.org/media/other/2006/10-Jan-06.html (consulté le 11 juillet 2008). Au-delà
de ces considérations politiques, la Cour suprême du Canada, dans le désormais célèbre arrêt
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, 2004 CSC 47, privilégia, sur division, la
liberté de religion au détriment du droit à la libre jouissance des biens. Dans cette affaire, un
copropriétaire d’obédience juive s’opposait à la déclaration de copropriété de son immeuble (qu’il
avait pourtant signée mais qu’il prétendit ne pas avoir lue, contrairement aux principes des art.
1062 et 2943 C.c.Q. en consacrant l’opposabilité), interdisant de décorer, de modifier ou d’ériger
des constructions sur les balcons, car il ne voulait installer que pendant quelques semaines à
chaque année une souccah pour la fête de Souccoth. Avec déférence, cette décision est erronée à
plusieurs égards. Bien que nous soyons d’accords avec la dissidence des juges Bastarache, LeBel
et Deschamps, c’est à notre avis celle du juge Binnie qui est la plus pertinente. En effet, il faut
accorder l’importance qu’il convient au contrat privé volontairement conclu et les mesures
d’accommodement proposées par le syndicat, et non pas en faire une question d’application de la
Charte québécoise. Il en va de l’économie générale des contrats et du principe de la stabilité
contractuelle. Voir, en ce sens : Christine GAGNON et Serge ALLARD, « La décision de la Cour
suprême du Canada dans l’affaire
Syndicat Northcrest c. Amselem et le droit québécois de la
copropriété divise: un point de vue notarial », [2005] 1
C.P. du N. 317; Paul BEAUDRY,
« L'affaire
Amselem: le droit de pratiquer sa religion vs. la liberté de contracter » (15 octobre
2005)
Le Québécois libre no 159, en ligne : http://www.quebecoislibre.org/05/051015-6.htm
(consulté le 18 juillet 2008).
Contra : Christian BRUNELLE, « La sécurité et l'égalité en conflit:
la structure de la Charte québécoise comme contrainte excessive? », dans B
ARREAU DU QUÉBEC ET
TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE, La Charte des droits et libertés de la personne: pour qui
et jusqu'où?
, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 2005, 343, pour qui l’opinion majoritaire de
la Cour suprême est bien fondée. Tous ces débats canadiens et québécois illustrent la complexité
des questions entourant le respect du droit de propriété et sa consécration constitutionnelle. Nous
en traiterons tout au long du présent exposé.
2006,
10,
en

Page 422
396
hégémonie ne saurait plus, désormais, être remise en cause. Peut-on prétendre à
l’universalisme de cette conception proprement occidentale de la notion ? Est-il possible
d’envisager une diversité de conceptions et d’approches permettant de satisfaire aux
exigences et pré-requis de l’État de droit ? L’harmonisation du droit commercial qui
s’observe à l’échelle planétaire parviendra-t-elle, dans son sillage, à instaurer démocratie,
État de droit, règle de droit et libertés individuelles à cette même échelle ?
L’examen plus général de ces questions nous permettra, dans un deuxième temps, de
nous attarder plus spécifiquement à leur étude dans le contexte bien particulier de la
réforme du crédit foncier en Égypte [II]. Cette étude de cas nous permettra de considérer,
d’abord, quelles sont les différences profondes de l’État et de la conception de la
primauté du droit dans une société largement influencée par la tradition islamique, en
comparaison de ce qui prévaut à ce chapitre en Occident. Puis, nous pourrons alors
envisager, de façon plus technique, la question de la réforme du droit des sûretés dans un
tel contexte. Puisque les pré-requis habituels à l’implantation d’un tel régime tel que
nous le connaissons, à l’occidentale, n’y sont pas tous présents, et que la situation
politique, économique et culturelle commande certains impératifs qui nous en éloignent,
est-il possible d’envisager des solutions, au niveau de la réforme du droit, qui se
rapprochent des conceptions propres à l’Occident, tout en respectant les particularismes
de la société égyptienne ? La conception occidentale doit-elle nécessairement demeurer
le point de référence et de comparaison ? Dans l’affirmative, pour quelle raison ? Sans
doute pour favoriser, à titre d’hypothèse, cette harmonisation, si inexorablement
souhaitée et encouragée par cette mondialisation de l’économie et l’interdépendance
accrue qui en découle à tous les niveaux. En bref, est-il possible d’envisager un
Page 423
397
dénominateur commun entre ces traditions, qui permettrait la réception d’un régime de
sûretés modernisé et faciliterait l’accès au crédit des égyptiens, non seulement des
individus mais aussi des entreprises ?
En plus du cas égyptien de la réforme du crédit foncier, nous aurons par la suite
l’occasion d’aborder la même problématique à travers l’étude du cas de la réforme de
l’urbanisme, de l’habitat et du crédit foncier en République Démocratique du Congo [III].
Ce cas fournit une autre illustration des vicissitudes entourant la mise en œuvre du
principe de l’État de droit, dans une société traditionnelle, opposant pouvoirs coutumiers
et pouvoir étatique, sans compter l’instabilité chronique de cette société, découlant de
conflits inter-ethniques. Cette situation de fait démontre la difficulté d’admettre le
principe de l’État de droit, reposant sur la primauté de l’individu et la propriété
individuelle, dans une société plurielle, à qui le concept d’État est étranger, et où
l’individu s’efface derrière la famille, le clan, la tribu, gérant une propriété foncière
collective. La réforme du droit, telle qu’on l’entend en Occident, peut-elle s’y dérouler à
l’aune des mêmes critères ? Quelles perspectives pour l’instauration d’un régime de
crédit foncier moderne et, éventuellement, de sûretés mobilières, harmonisés à la faveur
des efforts internationaux ?
En conclusion, après avoir étudié les fondements du principe de l’État de droit et les cas
particuliers égyptien et congolais, nous tenterons d’entrevoir si l’harmonisation du droit
des sûretés, à l’échelle internationale, voire même l’uniformisation des règles en ce
domaine, est chose possible à une échelle plus universelle, où si elle n’est pas limitée,
voire confinée aux pays appartenant à la tradition juridique occidentale, les pays issus
d’autres mouvances étant assujettis à d’autres contraintes faisant en sorte que seule une
Page 424
398
harmonisation partielle soit possible [IV]. Inversement, et dans cette même foulée, une
réflexion s’ouvrira sur l’État de droit, comme fondement de la société occidentale dans
son achèvement d’aujourd’hui. Est-il possible de tirer des conclusions de ces
observations, et de quelle manière peut-on préserver cette valeur cardinale, à une époque
où le discours du pluralisme et du relativisme culturel se fait de plus en plus présent dans
le débat public, ici comme ailleurs ? L’État de droit, garant des libertés individuelles,
sait-il s’accommoder de ce discours, voire même le favoriser, où n’en est-il pas menacé
par lui ? Voilà la réflexion à laquelle nous nous lançons dans cette deuxième partie.
Page 425
I-
LE PRINCIPE DE L’ÉTAT DE DROIT : FONDEMENT DE LÉCONOMIE MONDIALISÉE
ET DU DÉVELOPPEMENT
?
La question est lancée : le principe de l’État de droit est-il le fondement de l’économie
mondialisée et du développement ? Plusieurs propagent désormais cette idée et elle fait
son chemin. Mais il importe d’abord, dans un premier temps, d’en cerner brièvement
l’historique et l’évolution pour bien comprendre de ce dont il s’agit : essentiellement,
d’une notion issue du droit public visant la préservation des libertés individuelles face au
pouvoir politique dans un État organisé [A]. Par la suite, il sera plus aisé de saisir le
pourquoi et l’ampleur des multiples projets de réformes promulgués par les institutions
financières internationales afin d’instaurer un tel principe dans les pays en voie de
développement [B]. En dernier lieu, et pour nos fins, nous verrons que cette notion,
d’abord l’apanage des juristes, est désormais étudiée tous azimuts dans nombre de
domaines, à commencer bien sûr par celui de l’économie [C]. Le besoin d’institutions
fortes visant à assurer la cohésion sociale est vivement ressenti pour ce qui est de
l’établissement d’un libre marché; le droit des sûretés figure au premier maillon de cette
chaîne.
A.
L’État de droit : généralités, historique et évolution
Il s’avère opportun, dans une première étape, de définir le concept dans son acception la
plus répandue et de voir aussi quelles en sont les variantes [1]. Puis, dans une seconde
étape, nous serons en mesure de constater que l’État de droit, principe du droit
constitutionnel classique, est tranquillement en voie d’émerger à titre de principe du droit
international public [2].

Page 426
400
1.
Quelques définitions utiles et acceptions de l’idée
De quoi s’agit-il ? Rule of law, prééminence (ou primauté) du droit, Rechsstaat, Estado
de derecho, gospodstvo prava, Fa Zhi ou Siyadat-ul-Qanoun, toutes ces expressions,
provenant de droits internes de pays (ou traditions) différents, se rejoignent mais recèlent
chacune un sens particulier, qui appartient à une tradition, une histoire, une évolution 1062.
Afin de bien poser le sujet, il importe d’en donner une définition qui soit la plus large
possible [1.1], d’en retracer les évolutions historiques [1.2], pour enfin en apprécier les
différentes composantes, dans ses institutions du droit public mais aussi dans l’édification
des normes, au plan de la technique législative, de leur rédaction, et de la réception des
lois par l’objet même et le fondement de cette pyramide, à savoir l’individu, le citoyen,
titulaire de droits subjectifs [1.3].
1.1
une définition générale
Il peut être hasardeux de choisir une définition plutôt qu’une autre, étant donné la variété
des acceptions du concept, qui aurait atteint, d’après Jacques Chevallier, le statut de
« mythe » :
La dimension mythique du thème de l’État de droit ressort des conditions de son
utilisation. L’État de droit est posé comme une valeur en soi, dont le bien-fondé ne
saurait être mis en doute et sur laquelle aucun compromis n’est possible. Recouvrant
des significations multiples et passablement contradictoires, il se présente désormais
comme une notion floue et à géométrie variable ; et ses implications concrètes
tendent à s’effacer derrière sa puissance évocatrice propre. Ainsi, le mythe de l’État
de droit sous-tend-il désormais à dépasser et à transcender les doctrines dont il s’est
nourri. Né dans la pénombre du champ juridique, l’État de droit s’est trouvé investi,
au fil de sa diffusion dans le champ social et politique d’une portée symbolique,
d’une puissance évocatrice, voire d’une force émotionnelle, nouvelles, qui sont
1062
Voir : Jacques-Yvan MORIN, L’État de droit : émergence d’un principe du droit international,
Académie de droit international, tiré à part du Recueil des cours, t. 254, La Haye, Martinus Nijhoff
Publishers, 1995, en particulier aux p. 27-28.

Page 427
1063
venues sur-déterminer le contenu conceptuel dont les juristes l’avaient à l’origine
lesté.
1063
401
Voir : Jacques CHEVALLIER, dir., L’État de droit, La documentation française, 2005, p. 13.
Cette dimension mythique de l’État de droit ou du
Rule of Law s’exprime notamment à travers le
discours des personnages politiques. Sans nier la pertinence de leurs propos (bien au contraire),
lorsque l’on évoque ainsi l’importance du droit, on touche à la valeur d’idéal qui vise à rendre le
monde meilleur pour tous. Voir notamment, à cet égard, Hillary Rodham CLINTON, « Remarks
of United States Senator Hillary Rodham Clinton, November 10, 2005 », (2007) 25
Berkeley J.
Int’l Law
92, en particulier aux p. 98-99 : « […] it also demonstrates that at this moment of our
own history we are looking for examples. We are searching for ways that peacefully, we could use
the law to make changes here at home and around the world that will benefit ourselves and our
children. The rule of law is a powerful force. It has the potential not only to harness, but unleash
human potential beyond our understanding, rooted in the drive for justice. […] That’s what sends
people like Shirin Ebadi into Iran’s courtrooms and Malalai Joya onto Afghanistan’s campaign
trail. That is what’s driving women and men all over the world to change their societies for the
better. And at this point, in American history and international history, it is more important than
ever that they be joined by lawyers and judges across the world who are committed to furthering
the rule of law and making it possible for every boy and girl to believe that they have the right to
grow up and live up their own God-given potential
». Voir aussi: Condoleezza RICE, « Remarks
of United States Secretary of State Condoleezza Rice, November 9, 2005 », (2007) 25
Berkeley J.
Int’l Law
63 : « […] President Bush and I share your committment [of the American Bar
Association] to the rule of law. And let me just say that I personnally have always viewed issues
of law as fundamental because I remember in my own life in my own time that as a black girl
growing up in the segregated South, the rule of law did not always serve me. And so I think I have
a particular appreciation for how important it is that the state respect the rule of law
»;
Brian MULRONEY, « Une place à part: grâce à leur indépendance, les juges demeurent les
meilleurs garants de nos libertés »,
La Presse [de Montréal], mardi le 5 juin 2007 (A19) : « Que
veut-on dire au juste par la primauté du droit ? Que la loi s’applique à tout le monde, et que
personne n’est au-dessus d’elle, sans exception ni préséance : ni le premier ministre, ni le
gouverneur général, ni même la souveraine au nom de laquelle la loi est posée en principe
fondamental de notre société libre. […] [L]es juges, par leur indépendance, sont les meilleurs
garants de nos libertés. Dans certains cas, ils sont le dernier, sinon le seul, rempart contre les
atteintes aux droits et libertés des citoyens canadiens, lorsque leur gouvernement se livre à des
abus de pouvoirs, ou la police à des chasses aux sorcières. Lorsque l’État, avec tous les moyens
légaux et financiers à sa disposition, s’acharne de toutes ses forces sur un simple citoyen, cela
peut-être à la fois effrayant et dangereux. En pareille circonstance, à qui le citoyen peut-il s’en
remettre pour se défendre, sinon à un avocat assez brave pour affronter l’État ? Et qui peut
arrêter l’État quand il persécute et poursuit à tort un citoyen canadien ? L’opposition peut bien
crier à l’injustice et les médias faire tout le tapage possible, seul un juge peut y mettre fin. […]
Un jugement n’est qu’un bout de papier. Mais des mots sur du papier, signés par le juge qui les a
écrits, ont un pouvoir sans pareil dans notre société. Un simple bout de papier d’un juge
indépendant et voilà le gouvernement et la police plantés là sur les marches du palais de justice,
l’air ridicule et humiliés
». Déclaration qui, dans ce dernier cas, n’est pas sans évoquer le tumulte
entourant l’affaire AirBus. Voir notamment, à cet égard :
Le Très Honorable Brian Mulroney c.
Canada (Procureur général du) et al., dossier de la Cour supérieure du district judiciaire de
Montréal n
o 500-05-012098-958 ; « Règlement hors cour concernant l’affaire Brian Mulroney c. le
procureur général du Canada et al. » (6 janvier 1997), Sessional Paper n
o 8530-361-7, annexe à
Débats de la Chambre des communes (36e législature, 1re session), 32 (18 novembre 1997), en
ligne :
http://www2.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Docid=2332736&File=2&Language=
F (consulté le 18 juillet 2008) ; G
OUVERNEMENT DU CANADA, BUREAU DU CONSEIL PRIVÉ,
Rapport du conseiller indépendant concernant les allégations au sujet des transactions financières
entre M. Karlheinz Schreiber et le très honorable Brian Mulroney
(12 juin 2008), en ligne :

Page 428
402
Restons, pour l’instant, dans le champ juridique, et voyons ce que ce concept peut
vouloir dire à partir de ce point de vue. Le publiciste français Raymond Carré de
Malberg distingue l’État de police de l’État de droit de la manière suivante :
L’État de police est celui dans lequel l’autorité administrative peut, d’une façon
discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins complète, appliquer
aux citoyens toutes les mesures dont elle juge utile de prendre par elle-même
l’initiative, en vue de faire face aux circonstances et d’atteindre à chaque
moment les fins qu’elle se propose : ce régime de police est fondé sur l’idée que
la fin suffit à justifier les moyens. À l’État de police s’oppose l’État de droit, le
« Rechtsstaat » des Allemands. Par État de droit il faut entendre un État qui,
dans ses rapports avec ses sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se
soumet lui-même à un régime de droit, et cela en tant qu’il enchaîne son action
sur eux par des règles, dont les unes déterminent les droits réservés aux citoyens,
dont les autres fixent par avance les voies et moyens qui pourront être employés
en vue de réaliser les buts étatiques : deux sortes de règles qui ont pour effet
commun de limiter la puissance de l’État, en la subordonnant à l’ordre juridique
qu’elles consacrent. […] Ainsi, le régime de l’État de droit est conçu dans
l’intérêt des citoyens et a pour but spécial des les prémunir et de les défendre
contre l’arbitraire des autorités étatiques.
1064
C’est là, sans doute, l’une des définitions les plus classiques que l’on puisse formuler du
principe de l’État de droit. Les concepts d’État, de droit, d’individus ou citoyens, d’ordre
juridique, de garanties fondamentales, de voies et moyens, y sont énoncés. On a donc la
mosaïque des diverses composantes de ce principe de la primauté du droit, fruit de
multiples évolutions historiques, voire de conquêtes difficiles au fil des siècles.
1.2
l’évolution historique de l’idée
Jacques-Yvan Morin, dans son ouvrage qui fait date et autorité sur le sujet, retrace les
origines historiques et l’évolution de la notion de l’État de droit ou du rule of law 1065.
http://www.pco-
bcp.gc.ca/index.asp?lang=fra&page=information&sub=commissions&doc=karl_f.htm (consulté le
7 juillet 2008).
1064
1065
Voir : Raymond CARRÉ de MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, t. 1, Paris,
Sirey, 1920, Réed. CNRS, 1962, p. 488-493, dans J. CHEVALLIER, op. cit., supra note 1063, p.
23.
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 46-120. Nous nous en inspirons largement pour cette
partie de notre étude, bien que nous ayons évidemment glané les vues d’autres commentateurs sur

Page 429
403
Ses origines seraient occidentales, ayant évolué au gré des différents pouvoirs qui se sont
succédés au fil du temps en Europe, de l’Église aux monarchies, jusqu’aux révolutions et
à l’avènement de républiques, américaine et française, la révolution américaine
demeurant pour Jacques-Yvan Morin, comme nous le verrons (et cela a son importance
pour la suite des choses), « la synthèse de la tradition et des Lumières » 1066.
Cette idée de limiter et de contrôler le pouvoir politique s’est développée depuis le
Moyen Âge, non sans difficultés et sans violences. Première manifestation en Angleterre
dès 1215 avec la Magna Carta, dont les idées maîtresses consistaient à interdire « aux
agents du Roi d’accuser quiconque sans produire des témoins dignes de foi, de se
substituer au juge compétent ou de réquisitionner des terres ou des biens sans le
consentement du propriétaire » 1067. Puis, cette Magna Carta évoque pour la première
fois sans doute l’idée de « droits fondamentaux », car le Roi Jean sans Terre souscrit
alors, sous la contrainte de ses sujets, à des engagements « de ne pas vendre ou retarder
[la justice], mais de la rendre « pleinement », de respecter les coutumes et libertés du
royaume, de n’imposer que des amendes proportionnelles à la gravité des infractions, de
choisir pour juges et fonctionnaires de la justice des personnes versées dans le droit du
pays et disposées à l’appliquer fidèlement, de réparer les dénis de justice passés; enfin,
de rendre la justice de manière qu’aucun homme libre ne soit arrêté ou emprisonné,
privé de ses droits ou biens, mis hors la loi ou exilé, ni privé de quelque façon de son
rang, si ce n’est par le jugement licite des ses pairs et selon le droit du pays ». Un droit
le sujet : la synthèse proposée par J.-Y. Morin demeure, à notre avis, l’une des plus documentées à
ce jour.
1066
1067
Ibid., p. 81.
Ibid., p. 46.

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404
de rébellion est réservé aux signataires de cette charte, si tant est que le Roi ne respecte
pas ses engagements aux termes d’icelle. 1068
Puis, c’est l’Église, en son sein et dans l’exercice de son pouvoir de surveillance des
affaires du temps qui s’étendait sur toute l’Europe, alors décrite comme civitas
christiana, qui en développa les balises au niveau continental. Qualifiée par J.-Y. Morin
de premier « État moderne », l’Église articula donc le contrôle du pouvoir en son sein et
aussi, de façon plus étendue, à l’extérieur, afin de protéger les personae miserabiles
contre les abus des pouvoirs séculiers 1069. Ce pouvoir glissera éventuellement vers les
monarques, à la fin du Moyen Âge, non sans d’abord créer certaines tensions entre
l’Église, aux visées universelles, et les souverains ou les différents États naissants, qui
chercheront justement à protéger cette souveraineté contre les intrusions de l’Église 1070.
« Peut-on s’étonner », affirme J.-Y. Morin, « que les États européens, nés de la
contestation de tout pouvoir supérieur au leur, n’aient pas été d’emblée des États de
droit ? Il faudra plusieurs siècles de luttes politique, de révolutions sanglantes et de
1068
1069
Ibid., p. 46-47.
Ibid., p. 49 : « Se trouve ainsi esquissée une sorte d’État de droit chrétien et européen, composé de
communautés politiques, autonomes certes, mais placées sous l’autorité suprême de l’Église,
communauté dont l’universalité lui dicte invinciblement de se mêler des affaires du temps. Dans
cette perspective, les « deux glaives » que la doctrine plus ancienne avait évité de réunir dans la
même main, appartiennent de droit à l’Église et, pour tout dire, la fonction du prince consiste
avant tout à punir le crime, rôle qui n’est pas sans rappeler celui du bourreau : au reste, estime
[Jean] Salisbury, si une autorité séculière devient tyrannique, toute personne a le devoir, en
dernier recours, de rétablir le droit en tuant le tyran car le crime le plus grave, dont tout homme
peut se faire le justicier, est celui de la subversion des lois, qui doivent gouverner même les
empereurs
». On pourrait parler, avec Guy Rocher, d’une forme de pluralisme juridique, qui
pourra nous inspirer dans la compréhension du nouvel ordre juridique mondial qui se dessine
actuellement. Voir, à ce sujet, Guy ROCHER, « Pour une sociologie des ordres juridiques »,
Chap. 7, dans Guy ROCHER,
Études de sociologie du droit et de l’éthique, Montréal, Éditions
Thémis, 123, p. 139-140, en particulier à la p. 140 : «
Cet ordre juridique ecclésiastique [de
l’Église catholique] a été si bien pensé par les juristes canonistes de l’Église catholique des XIIe
et XIIIe siècles qu’il a servi par la suite de modèle au développement et à la formalisation de
l’ordre juridique des États occidentaux à partir du XIVe siècle ».
1070
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 49-50.

Page 431
405
guerres civiles ou étrangères pour que les monarques acceptent de voir limiter et
contrôler le pouvoir qu’ils exercent sur leurs sujets » 1071.
L’on serait donc en présence d’un « processus historique » au rythme variable, le principe
de la primauté du droit s’étant d’abord manifesté « à l’occident du continent, aux Pays-
Bas et en Angleterre, dont l’évolution est marquée par l’ouverture précoce aux échanges
économiques avec l’étranger et la montée des classes moyennes, puis dans les colonies
britanniques de l’Amérique pour gagner graduellement les États dont la plupart forment
aujourd’hui le Conseil de l’Europe » 1072. Ajoutons que cet État de droit s’est d’abord
manifesté dans des contrées protestantes, qui désiraient fonder le droit sur la raison et non
pas sur quelque autre fondement irrationnel ou théocratique, victimes qu’elles étaient
dans plusieurs pays de la civitas christiana dominée par le catholicisme, afin de
permettre, justement, cette liberté de culte à tous 1073.
Le Rule of Law s’est donc développé en Angleterre, dont la première apparition dans les
textes de lois remonterait à 1610, lors de l’adoption par la Chambre des communes de la
Petition of Grievances : on veut limiter les agissements du Roi et être gouvernés by the
1071
1072
1073
Ibid., p. 51.
Ibid.
Ibid., p. 74. Voir aussi, à cet égard, les commentaires de Rumu SARKAR, Development Law and
International Finance
, 2e éd., La Haye, Kluwer Law International, 2002, en particulier à la p. 26,
où cette dernière retrace les fondements juridiques du droit au développement, dont Max Weber en
serait l’un des principaux théoriciens, avec son éthique du protestantisme et du capitalisme.
Expliquant la supériorité du protestantisme et, aussi, du système juridique occidental sur les autres,
Weber affirme que l’éthique protestante a su créer une véritable obligation morale de travail chez
les individus en vue de maximiser la richesse. Quant au système juridique occidental, il est
supérieur aux autres en ce qu’il favorise le respect des engagements (i.e. le contrat et l’autonomie
de la volonté), favorise l’uniformité de l’application de la règle de droit et encourage
l’établissement d’une profession juridique autonome et indépendante. Cela étant, un tel support
juridique est indispensable au déploiement d’une économie capitaliste reposant sur la prévisibilité
des normes.

Page 432
406
certain rule of law 1074. Elle fit par la suite progressivement son apparition, non sans
débats et difficultés, à la suite de guerres civiles. Dans son achèvement et jusqu’à nos
jours, la rule of law n’équivaut pas tout à fait au principe de l’État de droit. Le pouvoir
politique est certes contrôlé, le principe de la séparation des pouvoirs est consacré entre le
législatif, l’exécutif et le judiciaire, la magistrature est indépendante, les décisions des
tribunaux ou organes administratifs sont assujetties à la révision des tribunaux de droit
commun, mais un principe demeure : celui de la souveraineté du Parlement. Il n’y a donc
pas, en Angleterre, de constitution ou de charte qui consacre les droits fondamentaux de
l’individu contre les abus potentiels du Parlement 1075, et dont des tribunaux indépendants
se feraient les arbitres ultimes.
Il faut se tourner vers les États-Unis d’Amérique pour voir l’aboutissement « de la
tradition et des Lumières », et pour assister à la naissance de ce que J.-Y. Morin appelle
le « constitutionnalisme », qui marquera alors profondément l’Europe continentale et, à
sa suite, le monde entier. Cette innovation américaine consiste en l’institution d’une
1074
1075
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 56-57.
Des exemples du Québec illustrent certains abus des parlementaires à l’endroit de citoyens. Plus
lointainement, voir l’arrêt
Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121. Pour un historique
jurisprudentiel de la notion de primauté du droit au Canada, voir : Gérald-A. BAUDOUIN, La
Constitution du Canada
, Montréal, Wilson & Lafleur, 1991, p. 28-32. Plus près de nous, en dépit
de l’existence de Chartes canadienne et québécoise, le citoyen Yves Michaud, dans un geste
unique et inusité dans les annales de l’Assemblée Nationale du Québec, fit l’objet d’une motion de
blâme votée à l’unanimité par ses députés, dénonçant certains propos que monsieur Michaud
aurait tenu concernant la langue française et l’intégration des immigrants au Québec. Jamais
pourtant monsieur Michaud ne fut-il invité à venir s’expliquer devant cette chambre et l’on
n’aurait pas rapporté fidèlement ses propos avant la tenue dudit vote, le principe élémentaire de
l’
audi alteram partem n’ayant pas été respecté dans ce cas. La Cour d’appel du Québec a
cependant refusé de s’immiscer dans le débat, jugeant que l’immunité parlementaire s’appliquait à
cette affaire. Voir :
Michaud c. Bissonnette, 2006 QCCA 775, [2006] R.J.Q. 1552 (C.A.). Pour un
excellent exposé entourant cette triste affaire, lire : Gaston DESCHÊNES, L’affaire Michaud.
Chronique d’une exécution parlementaire
, Québec, Les éditions du Septentrion, 2010. Voir
aussi : Yves MICHAUD, « Mon exécution parlementaire », dans
Le Devoir [de Montréal],
mercredi le 27 octobre 2010 (A9); Michel DAVID, « Honteux anniversaire », dans Le Devoir [de
Montréal]
, jeudi le 28 octobre 2010 (A3).

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407
Constitution et d’une Charte, dans laquelle se trouvent énoncés les droits fondamentaux
propres à tout individu, des droits « naturels », dont la liberté de conscience, de culte, de
la presse, le droit à la vie, à la liberté, le droit de chercher et obtenir le bonheur et la
sûreté, le droit de propriété 1076. La façon de protéger ces droits et principes
fondamentaux repose sur la démocratie et le rule of law. Ces idées sont admirablement
synthétisées dans l’extrait suivant de l’ouvrage de J.-Y. Morin 1077:
La Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776 constitue une sorte de synthèse de la
tradition et des Lumières – contrat social et droit de rébellion y voisinent avec les
droits naturels de l’individu :
« Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes :
tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de
certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la
liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis
parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane
du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de
gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la
changer ou de l’abolir, et d’établir un nouveau gouvernement ». »
1078
1076
1077
1078
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 83.
Ibid., p. 81.
Traduction de Th. Jefferson, dans S. Rials, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
Paris, Hachette, 1988, p. 492. On insiste donc particulièrement sur le rôle et l’exemple que les
Etats-Unis d’Amérique doivent donner en matière du respect de la primauté du droit à l’intérieur
de leurs propres frontières, si tant est qu’ils souhaitent avoir une influence à ce chapitre au niveau
international. Voir : H. R. CLINTON,
loc. cit., supra note 1063. En cela, les décisions récentes
de la Cour suprême des États-Unis relativement aux droits des détenus à la prison de Guantánamo,
en sont une illustration éloquente. Voir :
Boumediene et al. c. Bush, President of the United
States, et al., 553 U.S. 557 (2008) (le principe de l’habeas corpus est réitéré, même en faveur de
prisonniers de guerre ennemis en territoire étranger);
Hamdan v. Rumsfeld, Secretary of Defense,
et al.
, 548 U.S. ---- (2006) (le droit de connaître les moyens de preuve présentés contre un inculpé
est fondamental). Voir, à l’égard de la décision
Boumediene, le commentaire d’Yves BOISVERT,
« Des juges non élus - heureusement»,
La Presse [de Montréal], le vendredi 13 juin 2008, en
ligne : www.cyberpresse.ca/article/20080613/CPOPINIONS05/806130807/6749/CPOPINIONS05
(consulté le 4 juillet 2008) : « […] [La décision]
redit ceci de fondamental, en plus du malaise que
provoque Guantánamo après six ans : ce pays [les États-Unis] a été fondé sur la méfiance du
pouvoir. C’est pourquoi on a divisé ce pouvoir en trois branches. En période de grande tension
et d’inquiétude, heureusement, un pouvoir « non élu » comme la Cour suprême, capable de
résister à l’opinion, devient indispensable pour lutter contre l’arbitraire et l’abus de pouvoir,
quand le vent de la peur paraît emporter les principes. C’est à mon sens ce qui vient de se passer
hier, dans un de ces moments qui font la grandeur de ce pays
». Par ailleurs, au nom du droit de
rébellion, de la protection du droit de propriété et de la méfiance de l’individu à l’endroit de l’État,
on constitutionnalise le droit au port d’armes, principe que vient tout juste de reconfirmer, le 26
juin 2008, la Cour suprême des États-Unis. Voir :
District of Columbia v. Heller, 554 U.S. 1

Page 434
408
Tous les principes d’une société moderne y sont donc établis, ce qui constitue, aux yeux
de J.-Y. Morin, « une insigne innovation » 1079. La vie, la liberté et la « recherche du
bonheur » : ne sont-ce pas là les éléments qui caractérisent la condition humaine et qui
déterminent les gestes posés par l’individu, seul et collectivement, dans nos sociétés
libérales ? Nous relevons ces éléments au passage car, comme nous le verrons sous peu,
cette philosophie jeffersonienne est au cœur de la politique de développement qui
s’observe à l’échelle internationale et dont les institutions du domaine, financières ou
politiques, font ardemment la promotion.
Ce constitutionnalisme et ce chartisme, pourrait-on ajouter, se sont par la suite déployés
en France, en Allemagne et dans de nombreux autres pays, pour culminer avec l’adoption
de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 1080.
Retenons, de ce bref survol de l’évolution du principe de la primauté du droit, les idées
forces qui y sont étroitement liées : l’État souverain; le contrat social qui intervient entre
le gouvernement de l’État en question et ses citoyens (rendant de ce fait légitime
l’exercice de
son pouvoir);
l’existence de droits
individuels
fondamentaux
constitutionnalisés et inscrits dans une Charte; leur protection ultimement assurée par un
système judiciaire indépendant (garant du principe de la primauté du droit, universel,
(2008). Pour un commentaire approbateur, voir : NATIONAL RIFLE ASSOCIATION INSTITUTE FOR
LEGISLATIVE ACTION, Heller Decision Ramps Up Media’s Anti-Gun Hysteria, en ligne :
www.nraila.org/Legislation/Federal/Read.aspx?id=4067 (consulté le 8 juillet 2008). Voir l’énoncé
de principes de la National Rifle Association : N
ATIONAL RIFLE ASSOCIATION, About Us, en
ligne : http://www.nra.org/aboutus.aspx (consulté le 8 juillet 2008), celui de la National Rifle
Association – Institute for Legislative Action : N
ATIONAL RIFLE ASSOCIATION INSTITUTE FOR
LEGISLATIVE ACTION, About Us, en ligne : http://www.nraila.org/About (consulté le 8 juillet
2008).
1079
1080
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 82.
A.G. rés. 217 A (III), U.N. Doc. A/810 (1948).

Page 435
409
s’appliquant à tous indistinctement). Ce qui n’est pas sans soulever l’épineux problème
du « gouvernement des juges » et qui fait encore, de nos jours, l’objet de débats : est-il en
effet possible de réconcilier le pouvoir des juges et la souveraineté du peuple ? Pour J.-
Y. Morin, c’est le pari qu’il nous faut faire :
La primauté du droit peut-elle être fondée durablement sur la volonté de quelques
hommes, tout perspicaces et intègres qu’ils soient ? Elle le peut, selon nous, si elle
s’appuie sur la constitution, laquelle, ne l’oublions pas, est fondée en principe sur la
volonté du peuple, tout comme la loi, mais à un degré supérieur, pour peu qu’elle ait
été voulue et instaurée par un acte démocratique – référendum ou démarche
constituante – qui lui confère son caractère hors de pair et sa légitimité.
[…] dès lors, aucune institution ne peut « garder les gardiens » de la constitution, si
ce n’est cette magistrature elle-même, sous le regard de l’opinion publique. Cela
suppose de la part des juges le respect de l’esprit de la constitution, une certaine
retenue et une profonde connaissance de la société dont ils font partie.
[…] Pour que cet équilibre ne soit pas constamment menacé – et avec lui les libertés
–, les juges ne sont pas les seuls à devoir se montrer modérés : l’assemblée
populaire, la majorité démocratique et les gouvernants doivent également faire
preuve de retenue. Cette culture politique peut paraître fragile, mais à travers les
péripéties de l’histoire des pays occidentaux, aucun fondement plus solide n’a pu
être découvert.
1081
[Nos soulignements]
Ces péripéties de l’histoire des pays occidentaux, c’est évidemment le temps qu’il a fallu
pour que ces principes que nous venons d’évoquer s’établissent et atteignent
éventuellement cette valeur symbolique et « mythique » dont Jacques Chevallier nous
prévient. Le temps, la patience et, surtout, les difficultés qui ont conduit à cette « culture
politique fragile » : c’est probablement, plus que tout autre, le désir de vivre en paix qui
fera éventuellement son œuvre. En effet, c’est là l’une des conditions « externes » du
développement de la règle de droit :
1081
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 117-119. Quant à la légitimité de la Constitution
canadienne et à la nécessité de doter le Québec de sa propre Constitution, voir : Jacques-
Yvan MORIN, « Une Constitution nouvelle pour le Québec : Retour sur l’histoire et perspectives
d’avenir »,
Le Devoir [de Montréal], le lundi, 14 juillet 2008 (A7); Jacques-Yvan MORIN, « Une
Constitution nouvelle pour le Québec : Le miroir d’une nation »,
Le Devoir [de Montréal], le
mardi, 15 juillet 2008 (A7); Jacques-Yvan MORIN, « Pour une nouvelle Constitution du
Québec », (1985) 30
R.D. McGill 171.

Page 436
410
[…] Or, ce phénomène de l’extension de la sphère du droit a été décisive en Europe.
Le droit a remplacé la puissance dans la gestion des litiges, entre et à l’intérieur des
nations. Et pour ne prendre que cet exemple, la justice, qui a longtemps connu une
modalité belliqueuse (
Bellum est justicia), est devenue judiciaire et juridique (Pax est
justicia
). L’apparition de l’État de droit, c’est-à-dire de la substitution du règlement
des litiges par la règle de droit, à leur seul règlement par la force (la diplomatie
dépend de la diplomatique). La condition externe du développement de la règle de
droit est d’abord et avant tout la pacification ; dès lors la condition interne n’est plus
tout à fait pour nous ce qu’elle était pour Hans Kelsen. L’État de droit est une forme
d’État apparue en Angleterre, en France et en Prusse, il se définit par une opposition
à l’Empire romain et au Saint-Empire romain germanique puisqu’il substitue à un
lien civil fondé sur la guerre, où l’
imperator en tant que chef militaire avait le droit
de vie ou de mort sur chacun des citoyens soldats, une société civile fondée sur la
paix où les litiges sont arbitrés par la collation juridique. Comme le sociologue
Norbert Elias l’a montré, cette construction historique, propre à la dynamique de
l’Occident, est inséparable d’un long processus de pacification qui obligeait chaque
individu à maîtriser ses pulsions agressives. […]
1082
[Nos soulignements]
L’individu, donc, créancier de droits et libertés, mais également débiteur d’une
responsabilité envers la collectivité, si tant est qu’il désire en bénéficier, collectivité qu’il
ne faudrait pas ignorer dans cette équation, comme nous le rappelle Michel Seymour 1083,
qui se révèle elle-même fragile 1084.
Il existe ainsi diverses conceptions du principe de la primauté du droit, oscillant entre
l’État de droit et le Rule of Law, différences qui résideraient principalement à la
conception du droit public et au constitutionnalisme de l’une, absent de l’autre. Sur le
1082
1083
1084
Blandine KRIEGEL, Propos sur la démocratie. Essais sur un idéal politique, Paris, Descartes et
Cie, 1992, p. 40-43 (extrait), dans J. CHEVALLIER, dir., op. cit., supra note 1063, p. 30-31. Voir
également : J.-Y. MORIN,
op. cit., supra note 1062, p. 66 : « Ce débat fondamental ne s’est pas
étendu au même moment à tous les pays européens : pour des raisons qui tiennent à l’évolution
économique et sociale des sociétés, quelques États se dressent très tôt contre la « tyrannie »,
comme les Pays-Bas calvinistes dès 1851 et l’Angleterre puritaine en 1640, tandis que la France
et les États de l’Europe continentale attendront la fin du XVIII
e siècle ou les révolutions libérales
du XIX
e et du XXe pour que l’État de droit et la démocratie viennent fonder la légitimité du
pouvoir. Tôt ou tard, tous les pays occidentaux seront aux prises avec ce débat qui tend
aujourd’hui à se propager à la terre entière
».
Voir : Michel SEYMOUR, De la tolérance à la reconnaissance, Montréal, Boréal, 2008. Voir
aussi la recension de Geneviève NOOTENS, « Nations sans État : que faire ? »,
Le Devoir [de
Montréal], samedi le 8 juin 2008 (F8).
Sur l’évolution de la valeur de l’individu et de la place centrale qu’il occupe dans les idées
libérales et l’État de droit, voir l’exposé magistral de J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p.
72-79.

Page 437
411
fond, cependant, ces notions se rejoignent de plus en plus, avec l’internationalisation sans
cesse grandissante du principe 1085.
Ce tableau de l’évolution de l’État de droit brossé, nous pouvons maintenant en
distinguer les différentes composantes institutionnelles et normatives.
1.3
ses composantes institutionnelles et normatives
On distinguerait au mois trois versions de l’État de droit, à savoir l’instrumentale, la
formelle et la substantielle :
Derrière l’objectif commun d’encadrement juridique de la puissance de l’État, se
profilent en fait des visions assez différentes des rapports entre l’État et le droit :
l’État de droit c’est tantôt l’État qui agit au moyen du droit, tantôt l’État qui est
assujetti au droit, tantôt encore l’État dont le droit comporte certains attributs
intrinsèques; ces trois versions (instrumentale, formelle, substantielle) dessinent
d’emblée plusieurs figures possibles, plusieurs types de configurations de l’État de
droit, qui ne sont pas exemptes d’implications politiques.
1086
Sont donc visés l’État dans ses organes administratifs et dans son pouvoir exécutif, l’État
qui est assujetti à des normes supérieures qui lui sont également applicables et, enfin, le
droit dans sa substance, dans ses règles, dans la clarté et la prévisibilité qu’elles doivent
receler pour que les justiciables puissent moduler leur comportement en conséquence, ce
qui amène à parler d’un État de droit « substantiel ».
1085
1086
Voir : Daniel MOCKLE, « L’État de droit et la théorie de la rule of law », (1994) 35 Les Cahiers
de Droit
830.
J. CHEVALLIER, dir., op. cit., supra note 1063, p. 6-7. Dans la littérature anglo-saxonne, on
distingue plutôt entre les définitions formelles, substantives ou fonctionnelles (téléologiques), les
définitions formelles correspondant à l’instrumentale, les substantives et fonctionnelles ayant
plutôt à voir avec des idées philosophiques de ce que doit être le droit, fondées principalement sur
les idées de Dworkin et Fuller. Voir notamment, en ce sens, Matthew STEPHENSON, « Rule of
Law as a Goal of Development Policy », en ligne : http://go.worldbank.org/AQ875YH880
(consulté le 30 juin 2008).

Page 438
412
Les composantes essentielles de l’État de droit doivent faire en sorte qu’il y « […] règne
non seulement la juridicité des droits et libertés, mais leur justiciabilité » 1087, ce qui
signifie :
[…] qu’existent des recours concrets, des tribunaux accessibles, aptes à juger
indépendamment et équitablement de la conformité des actes gouvernementaux et de
ceux des personnes, morales ou physiques, avec les droits fondamentaux et les lois
qui leurs sont conformes. Cela signifie également que les règles applicables sont
suffisamment claires pour permettre à chacun de régler sa conduite et au juge
d’arbitrer correctement les litiges. Dans le domaine pénal, cela signifie encore que
toute personne soupçonnée, arrêtée ou inculpée se voit reconnaître certaines
protections contre l’arbitraire, depuis l’interdiction des moyens de pression jusqu’à
l’aide juridique en passant par l’
habeas corpus; une fois le procès engagé, doivent
être garantis les droits de la défense, notamment la présomption d’innocence et la
non-rétroactivité des crimes et des peines. Cela signifie enfin le droit de toute
victime d’une violation des droits et libertés à la réparation du préjudice subi.
Dans sa forme la plus achevée, fort répandue depuis la décolonisation, les droits, les
libertés et l’État de droit ont pris place dans les lois fondamentales de nombreux
pays : le constitutionnalisme est venu de la sorte parachever l’État de droit en
assujettissant à ses exigences l’ensemble de l’ordre juridique étatique, du haut en bas
de la hiérarchie des normes.
1088
[Notre soulignement]
Nous reviendrons sur les institutions étatiques qui s’avèrent nécessaires à l’implantation
de l’État de droit et au fonctionnement ordonné d’une société, assurant le respect de ces
éléments, lors de notre discussion sur la philosophie des institutions financières
internationales dans leur aide au développement des pays émergents.
Insistons quelque peu, à ce stade-ci, sur l’élément « substantiel » de l’État de droit, que
d’autres appellent plutôt « règle de droit », qui désigne « une norme juridique obligatoire
provenant d’une source habilitante et énoncée par voie d’une loi ou d’un contrat », dont
1087
Voir : Jacques-Yvan MORIN, « La mondialisation, l’éthique et le droit », dans Daniel MOCKLE,
dir.,
Mondialisation et État de droit, Bruxelles, Bruyant, 2002, p. 121-122, dans
Jacques CHEVALLIER, dir., op. cit., supra note 1063, p. 76-77.
1088
Ibid.

Page 439
413
la visée ultime est « l’ordre, la stabilité et la sécurité » 1089. Nemo censetur ignorare
legem, nul n’est censé ignorer la loi, dit-on ; cet adage contient, à lui seul, tout le défi
posé à la règle de droit, œuvre de prévisibilité, qui suppose également, en corollaire,
qu’elle soit intelligible, non seulement au justiciable, qui modulera sa conduite en
fonction d’icelle, mais pour le magistrat, qui aura pour rôle de l’interpréter et d’en assurer
la sanction 1090.
Cet objectif de fiabilité du juridique se mesurera aussi à l’aune de la cohérence des
normes édictées par le législateur entre elles, à celle de leur permanence et, enfin, à celle
de leur expression d’une manière que ne soit pas inflationniste 1091, c’est-à-dire qui soit
l’antithèse d’une multiplicité croissante de textes à la complexité toujours accrue et,
aussi, une tentative d’éviter ce que l’on a qualifié de « bougisme » juridique 1092, qui se
traduit par des modifications rapides aux textes législatifs sitôt adoptés. Dès lors, se pose
1089
1090
1091
1092
F. MORIN, op. cit., supra note 165, p. 9, note 3, ainsi qu’à la p. 103.
Sur l’intelligibilité de la règle, voir : Sylvia CALMES, Du principe de protection de la confiance
légitime en droits allemand, communautaire et français
, Paris, Dalloz, coll. « Nouvelle
Bibliothèque des thèses », 2001, p. 155-160 (extraits), telle que citée dans J. CHEVALLIER, dir.,
op. cit., supra note 1063, p. 35-37. Sur la nécessaire cohérence d’un code civil et de la règle de
droit, voir notamment : P.-A. CRÉPEAU,
Essai de lecture, supra note 960, en particulier aux p.
246 et suiv.
Voir les commentaires du Conseil d’État de France, « De la sécurité juridique », Rapport 1991,
Études et documents, Paris, La Documentation française, no 43, 1992 (extraits), tels que reproduits
dans J. CHEVALLIER, dir.,
op. cit., supra note 1063, p. 37-39, en particulier à la p. 38 : « Qui dit
inflation dit dévalorisation : quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille
distraite. […] Enfin, rien n’est plus contraire au principe d’égalité entre les citoyens que de
laisser proliférer un droit si complexe qu’il n’est accessible qu’à une poignée de spécialistes
».
Cependant, l’on assiste à une inévitable complexification du droit dès qu’«
une amplification
effarante et géométrique des besoins de l’être humain
» survient. Voir : P.-A. CRÉPEAU, loc.
cit.
, supra note 438, no 4, p. 735.
Voir les commentaires de la Commission supérieure de codification de France, Treizième rapport
annuel : 2002, Paris, Direction des journaux officiels, 2003 (extrait), tels que reproduits dans
J. CHEVALLIER, dir.,
op. cit., supra note 1063, p.41-43, en particulier à la p. 43 : « Nous sommes
dans une période de « bougisme juridique ». Sitôt adoptée, une loi (ou un règlement) est
immédiatement modifiée. […] L’instabilité de la norme affecte, de par son importance,
l’accessibilité et l’intelligibilité de la norme
».

Page 440
414
le délicat problème de l’équilibre entre la stabilité et l’adaptabilité de la norme.
Comment, en effet, s’assurer de la prévisibilité d’une norme et lui permettre, du même
coup, de suivre l’évolution des mœurs d’une société donnée ? 1093
Ainsi, on assisterait de nos jours à un élargissement du champ de la juridicité, et avec
elle, forcément, de la judiciarisation, ce qui ne serait pas sans conséquence sur le principe
de l’État de droit :
Ce double mouvement de juridicisation et de judiciarisation comporte cependant un
certain nombre d’effets pervers. Plus l’État de droit se développe et se perfectionne,
et plus il révèle ses limites et ses propres carences : la représentation, sous-jacente à
l’État de droit, d’une société entièrement encadrée et régie par le droit est
évidemment illusoire ; aussi le constat de juridicisation croissante peut-il être
paradoxalement assorti de l’idée d’un «
déclin du droit ». Tandis que la prolifération
des textes, l’instabilité des règles et la dégradation de la qualité de la norme
compromettraient la sécurité juridique, le droit tend à perdre certains de ses attributs
traditionnels : provenant de sources multiples, il se caractérise de plus en plus par le
pragmatisme et la flexibilité, qui suppose une adaptation permanente au réel ; ces
transformations de la technique juridique ont pour effet de vider l’État de droit d’une
part au moins de sa substance, en rendant plus floues les frontières du droit et en
subvertissant le principe de hiérarchie des normes. Aussi, et alors même que l’appel
au droit se fait plus pressant, on assiste paradoxalement à un reflux des croyances
dont il était entouré. Tout se passe en fait comme si, investi de trop d’attentes, le
droit suscitait des réactions contradictoires : demande de règles, mais aussi
condamnation de la pléthore des textes ; appel au juge, mais aussi dénonciation de la
lenteur et de l’inefficacité de la justice. [Notre soulignement]
1094
1093
Pour Fernand Morin, « [u]n droit trop versatile produirait des effets opposés à sa finalité première
qui, source de sa légitimité originelle, consiste à donner à tous des garanties de justice, de
stabilité, de sécurité, de cohérence, de prévisibilité, etc., et à s’assurer que chacun bénéficie des
deux fondements essentiels à la survie d’une société démocratique : l’égalité et la liberté. […]
C’est la raison pour laquelle un droit évanescent ou en constante métamorphose serait en
contradiction dans les termes : il ne mesurerait plus rien. Parce que le droit est l’œuvre de
l’homme dans une société changeante, son premier dilemme consiste à être la fois stable et
capable d’une évolution opportune et adéquate
». Voir : F. MORIN, op. cit., supra note 165, p.
14-15. Les commentaires de P.-A. Crépeau permettent d’apporter certaines pistes de solutions à
cette problématique : «
Dans un système de droit privé légiféré, comme l’est la matière des
obligations depuis 1866, une règle de droit traduit, selon les procédés de la technique juridique,
un énoncé de politique législative dans une formule qui doit à la fois refléter aussi fidèlement que
possible la pensée du législateur, et répondre aux caractères de la règle de droit : généralité et
abstraction. Une règle juridique se veut générale dans sa formulation – lui permettant ainsi de
s’appliquer à l’ensemble des cas visés par la norme privilégiée – et abstraite dans sa portée – lui
assurant du coup un domaine d’application dégagé des contingences particulières
» [références
omises]. P.-A. CRÉPEAU, loc. cit., supra note 438, no 53, p. 770.
1094
J. CHEVALLIER, dir., op. cit., supra note 1063, p. 10.

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415
Ce qui autorise le sociologue Pierre Noreau à conclure que
le droit n’exerce pas de véritable monopole sur la définition des normes qui régissent
chaque société à un moment précis de son développement. Il doit composer avec les
normes venant d’autres sources normatives. C’est ce que l’on appelle le pluralisme
juridique. […] Dans la foulée des rapports sociaux, la cohabitation de ces ancrages
normatifs différents ne se fait pas sans mal et trouve souvent une issue dans
l’élaboration de bricolages normatifs singuliers. On parle alors d’internormativité.
La définition la plus fluide que l’on peut donner de ce processus propose de voir
dans chaque individu le siège d’un ordre normatif particulier.
[Notre soulignement] 1095
C’est donc, ici, le point de vue du justiciable qui est mis à contribution, afin de mesurer la
légitimité des normes, et qui devient lui-même un « ordre normatif », paroxysme de
l’individualisme, qui met on ne peut mieux l’individu au centre même de la société, voire
de la « souveraineté » en lieu et place de l’État 1096. Cette conception extrême découle
cependant du pluralisme juridique qui s’opposerait, en quelque sorte, au monisme
juridique, « qui ne reconnaît comme seul droit que celui qui est relié à l’État. L’État
moderne a progressivement éliminé, absorbé ou monopolisé tous les pouvoirs politiques,
1095
1096
Voir : Pierre NOREAU, « La scolarité, la socialisation et la conception du droit : un point de vue
sociologique », (1997) 38
C. de D. 741, 743-744. Dans son étude, Pierre Noreau a poursuivi
l’objectif de vérifier la perception qu’ont du droit les citoyens québécois eux-mêmes. L’hypothèse
de sa recherche tend à remettre en cause une définition unifiée de la légitimité du droit. De
l’analyse des résultats, P. Noreau constate que le rapport entretenu face au droit variera en fonction
de la socialisation juridique des individus. Le principal facteur de « socialisation juridique »
retenu pour les fins de cette étude fut celui de la formation scolaire des individus consultés. Des
conclusions qu’il tire de cette étude sociologique réalisée à partir d’un sondage, l’on serait placé
devant «
deux approches du droit, deux modes de légitimation de la norme juridique » : les
répondants les plus scolarisés entretiennent une relation plus souple face au droit, dont ils ont
moins d’attentes, tandis que les gens les moins scolarisés auraient des attentes plus grandes du
droit et tendraient à se montrer plus critique à son égard. Système de contrainte plutôt que
référence normative pour les uns, principe organisateur et référence morale pour les autres. Ces
deux approches, pour P. Noreau, seraient également constitutives de normativité juridique.
Voir : Monique CHEMILLIER-GENDREAU, « Le désordre mondial, crise institutionnelle ou
fondements défectueux ? », dans Jules DUCHASTEL et Raphaël CANET,
Crise de l’État,
revanche des sociétés
, Montréal, Athéna éditions, 2006, 65, p. 77 : « Faut-il que l’individu, et lui
seul, récupère cet attribut ? Les droits de l’homme souverain en somme contre toutes les
structures qui voudraient altérer cette propriété de l’homme-roi ? L’idée est séduisante, mais peu
opératoire. Les droits de chacun sont nécessairement limités pour permettre l’exercice des droits
d’autrui. On ne peut donc les déclarer souverains. Et c’est bien l’aménagement des droits de tous
qui est l’enjeu du politique
».

Page 442
416
imposant du même coup l’hégémonie et finalement l’exclusivité de son droit sur
l’ensemble du territoire qu’il occupe et sur toutes les institutions qui s’y trouvent » 1097.
Ce monisme juridique, associé au droit positif, ne rendrait plus compte de la réalité
juridique actuelle, en tout cas du point de vue sociologique, et il faudrait concevoir à
nouveau l’approche du pluralisme juridique, telle qu’elle le fut autrefois par les juristes
eux-mêmes, qui, en Europe des XIIeet XIIIe siècles (connaissant alors un pouvoir
politique éclaté), « […] et pendant très longtemps, jusqu’au XIXe siècle peut-on dire,
[avaient présente à l’esprit] la problématique du pluralisme juridique; à preuve, les
débats doctrinaux relatifs au « droit public de l’Église », à la personnalité juridique des
corporations municipales et des ordres professionnels et leur relation à l’État, au droit
disciplinaire des groupes privés » 1098.
Ce pluralisme juridique s’exprime, à notre avis et selon ce qui s’observe actuellement non
seulement dans les sociétés occidentales mais aussi sur la scène internationale, de
multiples façons. Il ne s’agit pas, toutefois, à ce stade-ci et pour nos fins, de faire
s’opposer positivisme et sociologie juridiques, monisme et pluralisme juridiques, même
si à proprement parler il existe une certaine tension entre ces concepts et que les nuances
sont importantes 1099. Cela nous apparaît comme étant une approche trop réductrice de ce
1097
1098
1099
G. ROCHER, loc. cit., supra note 1069, p. 126.
Ibid., p. 126.
En effet, le positivisme juridique est le droit tel qu’envisagé par les juristes à partir de ses sources
étatiques officielles, alors que la sociologie juridique s’intéresse au phénomène du droit dans sa
totalité, dont le droit étatique ne constitue que l’une des manifestations. Ainsi, l’on distinguerait
les ordres juridiques étatiques et non étatiques, l’ordre juridique étatique étant, au demeurant,
l’archétype de ce qu’est un ordre juridique, dont on essaie de voir les modulations à travers les
ordres non étatiques. Pour qu’un ordre soit juridique, il doit émaner d’un pouvoir ayant une
autorité, capable d’élaborer des règles et doté d’une assise légitime au sein d’un groupe, à la
différence d’un ordre normatif, qui est plus large que le juridique et qui n’en comporte pas
nécessairement les attributs. Une analyse sociologique du pluralisme juridique, qui comporte

Page 443
417
que le droit, en tant que phénomène et discipline, peut apporter, et de ce qu’il implique et
signifie (ainsi que du rôle des juristes eux-mêmes) 1100. L’État de droit, en effet, repose
nombre d’ordres juridiques, permet notamment d’entrevoir les rapports entre ces ordres juridiques,
et le moment à partir duquel un ordre non étatique est intégré, pour diverses raisons, à l’ordre
étatique. La problématique du pluralisme juridique peut cependant faire l’objet de regards
distincts, selon qu’on l’envisage dans une perspective juridique ou sociologique :
« Le pluralisme d’inspiration exclusivement juridique consiste à reconnaître
d’autres formes de régulation extérieures à l’État et susceptibles d’influencer le
droit de l’État, mais seulement comme des
faits sociaux extérieurs au droit et
n’ayant rien à voir avec la nature de l’institution juridique. Ainsi, le juriste peut
s’interroger sur l’opportunité d’accorder ou non un certain statut à une régulation
« privée », ou de la consacrer officiellement juridique en lui reconnaissant le
caractère de « règle de droit ». La perspective sociologique, pour sa part, étend
la notion du juridique à des formes de régulation qui n’entrent pas dans le champ
juridique du juriste, à la fois pour mieux analyser des phénomènes sociaux dans
cette perspective et pour mieux mettre en lumière les rapports d’interaction entre
les faits sociaux et le droit étatique. La notion juridique, entendue dans ce sens,
forme le pivot central de cette perception étendue du phénomène juridique ».
Voir : G. ROCHER, loc. cit., supra note 1069, p. 150.
1100
En ce sens, voir le commentaire de P.-A. CRÉPEAU, loc. cit., supra note 438, no36, p. 757-758 :
« 36. Ces deux éléments – politique juridique et technique juridique – sont
inséparables, car ils sont intimement imbriqués dans l’élaboration d’une règle
juridique. Ils méritent tous deux un examen approfondi si l’on veut, en bons
disciples de Domat, de Montesquieu ou de Portalis, se pénétrer de l’esprit des
lois et comprendre véritablement un système juridique, en déceler les principes,
en retracer les origines, en apprécier l’environnement culturel et sociologique, en
pressentir l’évolution.
L’on doit, à cet égard, regretter que jusqu’à tout récemment et, semble-t-il, dans
une certaine mesure encore aujourd’hui, l’enseignement du droit privé ait été
réduit à l’examen des aspects techniques d’un système juridique, sous prétexte
que les aspects « politiques » ne relèveraient pas du droit, mais des sciences
humaines connexes : philosophie, morale, sociologie, science politique. Le
juriste ne serait ainsi qu’un bon technicien, chargé de mettre en forme,
d’habiller, selon le jargon du jour, les valeurs privilégiées par d’autres. Une telle
attitude, à notre avis, réduit indûment le domaine du droit. Certes, le juriste n’est
pas le seul à choisir, à préférer telle ou telle valeur dans l’élaboration d’une règle
de droit : dans une société démocratique, c’est essentiellement l’affaire du
citoyen. Mais une fois une valeur choisie et privilégiée, le droit se l’approprie, le
juriste s’en saisit pour en examiner le fondement, le sens, la portée, les limites et
les rapports avec d’autres valeurs. Il sera alors en mesure d’en établir la
formulation aussi précise que possible et la justification au sein de l’ordre
juridique. Il pourra ensuite en fournir l’interprétation selon l’intention du
législateur et les fins par lui voulues. Enfin, il lui sera loisible d’en faire une
exacte application dans les circonstances particulières d’une espèce [nous
soulignons; références omises] ».
Bien sûr, ce commentaire s’inscrit dans une perspective positiviste, qui relève en quelque sorte du
monisme juridique, où l’État est la source et le fondement du droit, le catalyseur de toutes les
valeurs d’une société donnée, car, pour reprendre les termes de P.-A. Crépeau, au paragraphe 2 du
même article précité, « [t]
oute société, à défaut d’un régime fondé sur le très exigeant précepte


Page 444
418
d’abord et avant tout sur une conception du droit qui se fonde sur l’État 1101, l’expression
l’indique bien, Hans Kelsen trouvant qu’elle relève même du pléonasme 1102; de plus, J.-
Y. Morin nous indique que ce concept d’État, voire d’État-nation, tout imparfait soit-il,
n’est pas là pour disparaître, au contraire 1103; certes, connaît-il aujourd’hui des
évangélique d’Amour, suppose l’existence d’un corps de règles destiné à assurer la coexistence
pacifique de ses membres et, dans une conception individualiste et pluraliste de la vie sociale,
selon une vision diffuse et mouvante du Bien commun, l’épanouissement de l’être humain.
Ubi
societas, ibi jus. [références omises] ». P.-A. Crépeau fait néanmoins ressortir le fait que, du point
de vue même du juriste, il doit y avoir une perméabilité aux phénomènes externes au droit dont le
juriste doit tenir compte et se faire l’un des acteurs à travers le système juridique même,
participant ainsi au phénomène. Guy Rocher, qui ne conteste pas cette affirmation, souligne
d’ailleurs, dans son article, qu’« [i]
l est normal – il est même nécessaire – que le juriste continue à
ne considérer comme juridique, de son point de vue, que ce qui est reconnu tel par les appareils
de l’État (législateur, tribunaux). Il est essentiel de distinguer l’ordre juridique étatique des
ordres juridiques non étatiques
». D’autre part, G. Rocher précise l’apport de la sociologie dans
un tel contexte : « [i]
l est certain que la sociologie juridique s’emploie à analyser et à expliquer le
droit positif en le situant dans le contexte social où il prend forme. […] Mais une sociologie des
ordres juridiques apporte une dimension analytique supplémentaire importante : elle permet de
suivre l’élaboration et la mise en œuvre des différents types de normes juridiques d’une manière
plus rigoureuse, en identifiant les mécanismes et les processus lointains de production de ces
normes
». Voir : G. ROCHER, loc. cit., supra note 1069, p. 142-143, 150.
Les crises que traverse l’État depuis quelques décennies furent justement considérées et analysées
dans une étude de premier ordre réalisée par la Banque mondiale. Voir, à cet égard, WORLD
BANK,
World Development Report 1997 – The State in a Changing World, World Bank, Oxford
University Press, 1997, en ligne : www.worldbank.org/html/extpb/wdr97/english/wdr97con.htm
(consulté le 18 juillet 2008). Ce rapport brosse d’abord un survol historique du concept d’État et
relève son importance, du point de vue historique, comme étant le meilleur instrument pour
favoriser la croissance et améliorer le bien-être général. Il faut cependant repenser son rôle afin de
le rendre plus efficace et, ainsi, renforcer les institutions publiques.
Voir : Hans KELSEN, Théorie pure du droit, 1934 (1ère édition), Paris, Dalloz, 1962, pp. 376-419
(extraits), tels que reproduits dans J. CHEVALLIER,
op. cit., supra note 1063, p. 81-83, en
particulier à la p. 82 : « Dès lors que l’on reconnaît que l’État est un ordre juridique, tout État est
un État de droit, et ce terme d’État de droit représente un pléonasme. En fait cependant, on
l’emploie pour désigner un type d’État particulier, qui répond aux postulats de la démocratie et de
la sécurité juridique
».
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 21, 447, 460, en particulier à la p. 21 : « À l’Aube du
XXIe siècle, les sociétés humaines sont gouvernées selon une forme de pouvoir politique apparue
en Europe avec les Temps modernes et devenue depuis lors quasi universelle : l’État souverain.
[…] Voici donc un singulier dilemme : en dépit de la menace qu’il représente et des théories qui le
dénoncent ou rêvent de son abolition, peu de sociétés peuvent aujourd’hui se passer de l’État. S’il
est fort, disait Valéry, « il nous écrase. S’il est faible, nous périssons ». Il le qualifiait d’ « être
énorme, terrible, débile » et voyait dans ce Cyclope auquel on ne saurait échapper l’ « enfant
monstrueux de la Force et du Droit » [références omises] ». Cela est également admis par des
auteurs qui, tout en faisant le constat de la fragilisation même de l’État-nation dans la société
transnationale, n’en admettent pas moins l’importance toujours actuelle. Voir, entre autres,
Josepha LAROCHE, « Un système
transnational entre hégémonie et anomie », dans
Jules DUCHASTEL et Raphaël CANET,
Crise de l’État, revanche des sociétés, Montréal, Athéna
1101
1102
1103

Page 445
419
modulations qui diminuent progressivement l’amplitude de sa souveraineté, on a qu’à
penser à l’avènement de l’Union Européenne où chacun des États y renonce en partie, de
même qu’aux pays du Moyen-Orient qui n’ont pas nécessairement cette même
conception de l’organisation de la vie en société que les démocraties libérales 1104;
toutefois,
la
légitimité de ces divers pouvoirs nationaux, supranationaux ou
internationaux, repose toujours, en dernière analyse, sur un ou des États souverains, ce
qu’Habermas voit comme l’ultime rempart de la démocratie 1105; le pluralisme juridique,
dans une perspective internationale, voire transnationale, se situe donc à un autre niveau :
celui de l’avènement de ce « gouvernement mondial » 1106 ou, à défaut, de structures qui
1104
1105
1106
éditions, 2006, 35, en particulier à la p. 61 : « Le passage d’un monde interétatique à un monde
transnational ne signifie pas pour autant que les États ont cessé de jouer un rôle déterminant dans
la politique mondiale, loin s’en faut. En revanche, il est certain que retranchés derrière un
principe de souveraineté chaque jour plus obsolète, ils ne détiennent plus le monopole de l’action
publique et se trouvent désormais contraints de composer avec d’autres intervenants afin de
pouvoir réajuster leurs prérogatives de plus en plus souvent entravées
».
Voir, notamment, Éric DESROSIERS, « Appel de Kissinger à l’unité des Américains », Le Devoir
[de Montréal]
, jeudi le 12 juin 2008 (A1), qui relate les propos de l’ancien diplomate américain
lors d’une conférence donnée à Montréal, où ce dernier souligne l’affaiblissement de l’État-nation,
dans des contextes aussi variés que ceux de l’Union européenne (où des États-nations renoncent en
partie à leur souveraineté), des pays du Moyen-Orient (où «
cette structure politique n’a jamais
vraiment fonctionnée dans la région et donne aujourd’hui de nombreux signes d’effritement
», ce
qui aura notamment «
pour conséquence que le conflit irakien ne pourra vraisemblablement pas se
régler par l’établissement d’un État-nation au terme d’une entente avec le gouvernement
national
») à l’Asie (où l’on observerait cependant le phénomène contraire, des États comme la
Chine et l’Inde demeurant très forts).
Voir : Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, Entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997, pp.
152-154 (extrait), tel que reproduit dans J. CHEVALLIER,
op. cit., supra note 1063, p. 100-101,
en particulier à la p. 100 : «
L’État est nécessaire en tant que pouvoir qui sanctionne, organise et
exécute, à la fois parce qu’il faut faire respecter des droits, parce que la communauté juridique a
besoin d’une force qui stabilise son identité et d’une justice organisée, et parce que la formation
de la volonté politique débouche sur des programmes qu’il faut implémenter
[sic] ».
Voir : M. CHEMILLIER-GENDREAU, loc. cit., supra note 1096. Analysant le contexte des
institutions du droit international public et principalement de l’Organisation des Nations Unies et
dans sa foulée, cette auteure explique qu’elles sont fondées sur le « mythe » de l’État souverain,
puisque ce concept de souveraineté n’est pas assuré de manière égale à toutes les nations, citant à
l’appui certains exemples, dont la composition du Conseil de sécurité de l’ONU (réservé à
exclusivement certains pays) et, en corollaire, le droit de faire la guerre, attribut de la souveraineté
qui est désormais tronqué et assujetti audit Conseil de sécurité, mais dont certains États se
prévaudraient toujours nonobstant cette contrainte. Pour M. Chemillier-Gendreau, il faut repenser
l’organisation de ces institutions et les assujettir toutes également à un pouvoir juridique suprême

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420
s’imbriquent les unes aux autres et qui assurent une certaine imputabilité et un dialogue
entre la société civile 1107 et les États-nations, amenant désormais à considérer le
phénomène de la mondialisation sous l’angle de la « gouvernance » 1108 plutôt que du
et indépendant, afin de favoriser l’avènement d’une « communauté politique mondiale solidaire »,
faisant ainsi en sorte que les États-nations renonceraient à une partie de leur souveraineté pour y
donner vie de manière effective. Enfin, l’émergence d’un système normatif mondial ne pourra
advenir qu’en se fondant sur la raison, car la raison est universelle et les croyances ne le sont pas.
Voir aussi : Joseph E. STIGLITZ,
La grande désillusion, Paris, Fayard, 2002, p. 55, 407.
1107
On opposerait ainsi, désormais, le concept de « société civile » à celui de communauté politique
ou d’État-nation, la société civile étant aujourd’hui conçue « comme un univers social articulé
autour d’un ensemble de valeurs opposées à l’État », qui représenterait la « sphère non politique de
la vie sociale », ce qui amènerait à parler de « l’émergence d’une société civile mondiale »,
composée de deux éléments :
« Elle recouvre, d’une part, un ensemble de gens ordinaires inscrits dans la
quotidienneté de leurs rapports et activités, ce qui nous rapproche de la dimension
non politique de la collectivité [politique] précédemment évoquée. Mais la
société civile rassemble aussi, d’autre part, une pluralité d’acteurs mobilisés qui
s’érigent en force d’action et qui entendent investir les multiples lieux de pouvoir,
que ce soit au niveau local, national ou global. « Se façonne ainsi un modèle qui
fait de la société civile la force de contestation de l’État, le lieu de la dynamique
sociale et du changement tandis que l’État fait office de régulateur et de garant de
choses héritées du passé » » [référence omise].
Voir : Raphaël CANET, « Solidarité nationale, luttes sociales et recomposition identitaire :
communauté politique et société civile à l’ère globalisée », dans Jules DUCHASTEL et
Raphaël CANET,
Crise de l’État, revanche des sociétés, Montréal, Athéna éditions, 2006, 7, en
particulier aux p. 19, 23-27. R. Canet explique par ailleurs, dans ce texte, le sens d’un glissement
de la communauté politique à la société civile. Ainsi, l’idéal des Lumières, émanant des
théoriciens du droit naturel, «
envisageaient la société telle une union rationnelle conclue entre
des individus libres, reposant essentiellement sur la volonté, le consentement et le contrat. En
réalité, la conception des philosophes français des Lumières répondait à un impératif d’ordre
politique. Elle s’est construite en totale opposition avec un ordre social reposant sur les relations
communautaires, la féodalité
». Ce faisant, cette conception de l’État-nation centralisé, jouissant
d’une souveraineté territoriale, ne prit pas suffisamment en compte ce pluralisme dans les relations
sociales et l’organisation du pouvoir tel qu’il existait au Moyen Age. On assisterait donc,
aujourd’hui, à ce retour du pluralisme, s’expliquant par une crise de la représentation, de
légitimation et de régulation de l’État-nation, amenant par ailleurs à parler d’une «
sociologie des
relations transnationales
».
Les relations internationales ne peuvent plus être envisagées comme autrefois, puisqu’il faudrait le
faire sous l’angle de la constitution d’un système transnational. Une multiplicité hétérogène
d’acteurs non étatiques (firmes, marchés, organisations interétatiques, Organisations non
gouvernementales, organisations mafieuses ou terroristes), une transnationalisation de flux de tous
les ordres (migratoires, commerciaux, communicationnels, criminels, etc.), une intrication de
l’économique et du politique ainsi que l’érosion de la frontière séparant la sphère publique de la
sphère privée, une reconfiguration ou un déclassement du rôle des États qui ont cessé d’être les
acteurs exclusifs et centraux de la scène internationale tels qu’ils le furent au cours des derniers
siècles, voilà autant de facteurs qui incitent à parler d’un « paradigme transnationaliste », la
gouvernance renvoyant « […] précisément à cette multitude d’acteurs qui ont contribué ces
dernières années à l’émergence d’un système transnational. Bien que ce concept soit resté
1108


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421
gouvernement; monisme et pluralisme juridique ne pouvant donc pas s’ignorer, dans ce
contexte, car formant un tout.
La règle de droit, technique juridique, s’appuie évidemment sur des principes politiques,
dont le juriste ne saurait être que le servile exécutant. Cette règle de droit, dans sa source
et dans son expression, donc dans sa technicité et dans son interprétation, recèle toute son
importance pour la mise en œuvre d’un État de droit, qui se veut juste et qui favorise une
vie en société pacifique et organisée, permettant à chacun de jouir de ses libertés dans la
limite de celle des autres. C’est ainsi que l’ensemble des règles de droit constitue le
système juridique qui sera applicable à une société donnée et à une époque donnée : le
droit n’est pas immuable et variera en fonction du temps et des civilisations 1109. Nous
serons donc très attentifs, dans le cadre de cette étude, à ces manifestations de l’État de
droit « substantiel », dont malheureusement on tend parfois à minimiser l’importance,
puisque c’est à ce niveau que notre travail pourra apporter une contribution utile à ces
grandes questions. Qui plus est, comme le rappelle Jacques-Yvan Morin, « [l]a primauté
de l’individu appelle la prééminence du droit : sans les techniques de l’État de droit, le
difficile à cerner, la gouvernance peut être définie comme un mode de résolution des problèmes
d’action collective, comme « la capacité de coordonner des activités indépendantes et/ou de
réaliser le changement sans l’autorité légale de l’ordonner »
[référence omise] ». Voir, à ce sujet,
J. LAROCHE,
loc. cit., supra note 1103, p. 35-36, 49-50, 56-58. De plus, « [l]a mondialisation de
l’économie de marché a d’ores et déjà profondément modifié les ordres juridiques.
[…] De
nouvelles règles de droit, codes de bonne conduite, avancées procédurales, compromis et
arbitrages politiques, visant à réguler la globalisation financière et surtout à assurer la
gouvernance des crises, participent à l’émergence d’un droit global, véritable droit de la
mondialisation. Certes, ce droit témoigne d’une modification des sources de production, d’une
multiplication des types de normativité et enfin d’une diversification des moyens de contrôle, il est
par conséquent « diversifié dans ses acteurs, ses objets, ses normes et ses mécanismes de contrôle
[…] et semble s’autonomiser par rapport à l’ordre politique » » [référence omise].
1109
Voir, notamment, F. MORIN, loc. cit., supra note 165, p. 18.

Page 448
422
droit naturel et les droits de l’homme ne relèvent-ils pas de la seule théorie
morale ? » 1110
Cela étant, voyons en quoi la présence de ces diverses institutions du droit public
international permet d’envisager l’avènement éventuel d’un principe de l’État de droit en
droit international public ou, plutôt, d’évoquer sa possible mondialisation.
2.
De l’émergence de ce principe en droit international public
Ainsi, l’État de droit est un élément essentiel à la préservation des libertés individuelles
face au pouvoir politique. Il est l’un des fondements de la démocratie et permet
l’épanouissement d’une économie de marché. Objet d’une lente évolution, d’abord en
Occident, il s’est par la suite progressivement internationalisé, à la faveur de la
colonisation mais, surtout, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le
constitutionnalisme, qui permet le contrôle du pouvoir étatique par les juges, est apparu
suite aux révolutions américaine et française, mais n’a pas encore rejoint le berceau de la
Rule of law, l’Angleterre. Ce mouvement, initialement d’origine judéo-chrétienne, s’est
éventuellement laïcisé et sécularisé, suivant le mouvement du droit naturel. L’illustration
la plus éloquente en est l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme
par l’Organisation des Nations Unies en 1948 1111.
1110
1111
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 75.
Ibid., p. 25-26, et en particulier à la p. 74 : « Tout pouvoir repose sur la nature sociale de
l’homme, la volonté commune d’établir l’ordre et un contrat politique (
pactum societatis) conclu
entre le corps social et le prince en vue de la préservation des libertés et droits innés de chaque
individu. Ainsi sont nés, de ce droit naturel « laïcisé », les droits dits subjectifs, c’est-à-dire
reposant sur l’homme en tant que tel et sur son accord, et non sur quelque ordre objectif supérieur
aux collectivités et à leurs membres, comme le voulait la philosophie médiévale. Aux yeux du
fondateur du droit international moderne [Grotius], la raison peut déduire ces droits de la nature
de l’homme comme s’il s’agissait d’un théorème de géométrie. [référence omise] ». Sur
l’évolution de la règle de droit dans la pensée occidentale, voir : Melissa THOMAS, « Rule of

Page 449
423
L’État de droit existe-t-il à titre de principe du droit international, à tout le moins dans le
droit coutumier, le droit des gens ? Peut-il prétendre à l’universalisme ?
Malgré les incertitudes à cet égard, Jacques-Yvan Morin affirme que l’on voit poindre un
tel principe qui, avec le temps, pourra s’affirmer de plus en plus. Il est, en tout cas, à
l’ordre du jour de la « société internationale » 1112.
La démarche de Jacques-Yvan Morin s’avère intéressante pour notre propos. Dans une
première étape, il recense d’abord les textes constitutionnels de la plupart des régions du
globe pour les évaluer à l’aide d’une grille d’analyse permettant de mesurer le degré
d’adhésion au principe de l’État du droit dans les droits internes de ces divers pays 1113.
De cet exercice, il ressort que les pays de l’Occident sont beaucoup plus avancés à ce
chapitre que la plupart des pays des autres régions du globe, bien qu’il y ait des variances
Law in Western Thought », disponible sur le site Web de la Banque mondiale, en ligne :
http://go.worldbank.org/EB3RDGI5L0

aussi :
Sabine SCHLEMMER-SCHULTE, « The World Bank’s Role in the Promotion of the Rule of Law
in Developing Courtries », dans Sabine SCHLEMMER-SCHULTE et Ko-Yung TUNG, dir.,
Liber
Amicorum Ibrahim F.I. Shihata : International Finance and Development Law
, The Hague,
Kluwer Law International, 2001, 677, p. 677-685.
(consulté
2008);
voir
juin
30
le
1112
1113
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 462.
Jacques-Yvan Morin déclame sa grille d’analyse comme suit : « Voici les points de repères que
nous retiendrons [dans la comparaison des divers textes constitutionnels étudiés] :
a) les principes
de la justiciabilité des droits fondamentaux et le recours de
l’habeas corpus ; b) en ce qui
concerne le principe du procès équitable, ce seront l’indépendance et l’impartialité des juges
; c)
pour ce qui est du principe des droits de la défense, nous mentionnerons l’interdiction de la
détention arbitraire et la présomption d’innocence ; d) le principe de la réparation des violations
des droits fondamentaux
; e) le principe de l’État de droit, qui les résume tous. Nous traiterons
ensuite de la suspension des droits constitutionnels, qui peut miner tous les principes que nous
venons de mentionner lorsque survient une situation d’exception ». J.-Y. MORIN, loc. cit., supra
note 1062, p. 125.

Page 450
424
d’un pays à l’autre. Cette lecture ne permet pas, à elle seule, d’affirmer que l’État de
droit émerge comme un principe du droit international 1114.
Dans une seconde étape de sa démarche, J.-Y. Morin procède à l’envers : il scrute les
textes et normes émanant d’organisations régionales ou internationales, de même que les
institutions chargées de les appliquer 1115, afin de savoir si, par ce processus, on assiste à
la naissance d’un principe de l’État de droit en droit international, lequel pourrait s’avérer
contraignant et insuffler une dynamique de changement au sein des États et de leurs
droits internes, de même que signaler l’apparition d’un « droit des gens », droit
coutumier, à l’échelle internationale. Encore là, la réponse n’est pas complète, en plus de
varier selon les régions, mais elle permet davantage d’entrevoir un effet structurant que
l’analyse inverse 1116. Il s’avère, des textes et institutions régionales ou internationales,
que l’on soit désormais en mesure de voir graduellement poindre un principe de l’État de
droit qui produira son influence sur les droits internes ou, à tout le moins, de créer des
communautés de droit régionales.
Ce principe ne peut évidemment pas naître et s’appliquer à la même vitesse, selon les
régions du globe, les traditions et les cultures, de même qu’en fonction de la situation
sociopolitique et, parfois, d’extrême pauvreté et de violence dans laquelle sont engoncés
1114
1115
À cet égard, J.-Y. Morin affirme : « À l’exception de l’indépendance des juges, principe dont il est
cependant difficile d’évaluer l’effectivité dans de nombreux pays, l’État de droit émerge à peine
des constitutions. Les États eux-mêmes en ont constaté les conséquences à la Conférence
mondiale sur les droits de l’homme, en 1993. […] Et la Conférence de s’inquiéter de l’impunité
dont jouissent les auteurs de ces violations. La constitutionnalisation ne suffit donc pas, par elle-
même, à instaurer la prééminence du droit, surtout s’il n’existe aucun moyen de contrôle extérieur
sur certains comportements des États
. ». J.-Y. MORIN, loc. cit., supra note 1062, p. 183.
Pour son analyse, J.-Y. Morin scrute le système européen, le système interaméricain, les situations
africaines et asiatiques avant de procéder à l’examen de la situation universelle et du système
onusien.
1116
J.-Y. MORIN, loc. cit., supra note 1062, p. 460.

Page 451
425
nombre de pays 1117. Les cas les plus problématiques sont ceux des pays islamiques 1118
et de l’Afrique subsaharienne 1119.
En somme, cette question de l’universalisme des droits de l’homme et de l’État de droit
est plus que jamais d’actualité, surtout depuis l’adoption par les Nations Unies de la
Déclaration et Programme d’action de Vienne de 1993 1120, « qui appelle les États à
1117
1118
1119
1120
Ibid., p. 439 : « L’extension des exigences concrètes de l’État de droit interpelle les pays qui en
ont acquis l’habitude, généralement développés au plan économique, tout autant que ceux qui sont
aux prises avec les transformations sociales, politiques et juridiques qu’entraîne la participation à
l’économie de marché. Ceux-ci, en effet, s’ils entendent entrer ou demeurer dans la mouvance du
libre marché, sont pour ainsi dire contraints de parcourir en quelques années le chemin que les
pays industrialisés ont mis quelques siècles à baliser
».
Sur la question du constitutionnalisme, « [dans les] pays arabes d’Afrique, le principe de l’État de
droit n’y est pas constitutionnalisé
». De plus, « [p]armi les États arabes d’Afrique et de la Corne
du continent, six appartiennent à la catégorie qui ne pose pas de limite constitutionnelle aux droits
et libertés qui peuvent être suspendus lorsque l’état d’exception est décrété. L’Algérie appartient
à ce groupe (art. 87), de même que l’Égypte, où le président de la République doit cependant
procéder à un référendum sur les mesures qu’il aura prises, dans un délai de soixante jours (art.
74)
». Dans les pays officiellement islamiques du Moyen-Orient, dont l’Iran et l’Afghanistan, le
principe fondamental de l’État de droit n’apparaît dans aucune des douze constitutions recensées :
il s’agit d’« États de droit islamique » et la norme fondamentale est la
charî’a. Les textes reposent
sur la
Déclaration islamique universelle des droits de l’homme, adoptée en 1981 par le Conseil
islamique, une organisation non gouvernementale. Ce faisant, « [l]
’État laïcisé de l’Occident est-
il compatible avec le fondement religieux des institutions islamiques ?
» L’Islam et l’État sont-ils
deux entités distinctes ou ne font-ils qu’une seule et même institution ? Dans le second cas,
l’élaboration d’un État de droit est improbable, nous dit J.-Y. Morin. Analysant la
Déclaration
islamique universelle des droits de l’homme
, J.-Y. Morin précise qu’elle « […] ne dissocie pas le
religieux du profane et se veut « universelle », en ce sens qu’elle fait appel à la fraternité de
l’Islam et invite toute l’humanité à partager le message du Prophète
». La charî’a peut-elle
néanmoins ne demeurer qu’une source lorsqu’elle ne prend pas officiellement toute la place à titre
de religion d’État ? Semble-t-il que oui, à la lumière de l’expérience de Mauritanie. Voir : J.-
Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, pp. 164, 166, 169, 320-324.
Ibid., p. 41, 317-320.
en
A/CONF.157/24, 25 juin 1993, dans Nations Unies, Les Nations Unies et les droits de l’homme
1945-1995
, New York, 1995, tel que citée par J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 29, note
21, disponible en ligne sur le site Web du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de
l’homme,
ligne : www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/(Symbol)/A.CONF.157.23.Fr
(consulté le 18 juillet 2008). Le suivi principal de cette Déclaration est sa mise en œuvre, c'est-à-
dire l'instauration d'un Haut-Commissariat aux droits de l'homme, le 20 décembre 1993. Les
changements les plus récents sont la démission de Louise Arbour et la démission du représentant
américain de la Commission des droits de l'homme après l'élection d'un membre soudanais en
2006. Lors de l’évaluation quinquennale de 1998, divers gouvernements ont soumis des rapports
quant à leurs efforts de mise en place du plan d’action de Vienne. Il ressort de ces rapports qu’au
niveau national, le travail se fait dans le sens de la facilitation d’un dialogue axé sur les droits de
l’homme entre les pouvoirs publics et la société civile. Au plan international, il faut adopter une
démarche intégrée et globale afin de guider la promotion des droits de la personne. Les droits de

Page 452
426
renforcer « les institutions nationales et infrastructures qui maintiennent l’État de
droit », en vue de créer « les conditions permettant à chacun de jouir des droits
universels et des libertés fondamentales » 1121, qui explique en partie ce regain d’intérêt
pour ces notions à de multiples niveaux.
Ayant posé les jalons du principe de l’État de droit, voyons maintenant de quelle manière
il se trouve au cœur des projets de réformes promulgués par les institutions financières
internationales, dans un contexte de développement économique.
B.
L’État de droit au cœur des projets de réformes promulgués par les
institutions financières internationales
Il s’avère nécessaire, dans cette partie de notre étude, d’aborder les questions liées à
l’État de droit et relevant du développement économique des pays émergents, en premier
lieu sous l’angle du « droit du développement » et, de plus, sous celui du « droit au
développement » [1]. En effet, entre le champ d’étude du « droit du développement »
proprement dit et les droits qui sont conférés aux États membres de l’ONU, mais aussi et
surtout aux individus, notamment en vertu de la Déclaration universelle des droits de
l’homme comprendraient le droit au développement et le droit à la non-discrimination. La
démocratie et les droits de la personne peuvent être soutenus par la coopération internationale et la
participation multiforme de la société civile. Deux mesures de protection ciblées: la protection des
femmes et celle des enfants. L’éducation est également un bon moyen de favoriser la
compréhension d’autrui et la tolérance. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a été créé à
l’issue de la conférence de Vienne avec pour mission la rationalisation et l’amélioration de
l’efficacité et de la productivité de l’ONU en matière de droits de la personne. Il veille notamment
à renforcer le cadre juridique ou normatif des droits de l’homme en rappelant aux chefs d’État les
différents traités qu’ils n’ont pas ratifiés (
Convention sur la torture, Protocole facultatif sur le
droit de la femme
, etc.). Voir : ORGANISATION DES TRAVAUX DE LA SESSION, SUIVI
DE LA CONFERENCE MONDIALE SUR LES DROITS DE L'HOMME,
Évaluation
quinquennale de la mise en oeuvre de la Déclaration et du Programme d'action de Vienne,
Rapport intérimaire du Haut Commissaire des Nations Unies,
Doc. off. CÉS NU, 54e session,
Doc.
ligne :
(20
http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/(Symbol)/E.CN.4.1998.104*.Fr
(consulté le 10 août
2008).
E/CN.4/1998/104
février
1998),
NU
en
1121
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 29, 35 et 39-40.

Page 453
427
l’homme de 1948, peut-on désormais prétendre qu’il existe un « droit au
développement », qui ferait en sorte que nous soyons tous solidaires du développement
économique et social de toutes les régions du globe, et qu’en corollaire de ce droit,
incombe à la société internationale, en particulier aux pays les plus riches, un devoir
d’assurer le développement économique des pays les plus pauvres ? Dans cette veine,
nous considérerons, en second
lieu,
la philosophie des
institutions financières
internationales, en particulier de la Banque mondiale, dans l’aide qu’elle accorde aux
pays en voie de développement [2].
1.
La distinction entre le « droit du développement » et le « droit au
développement »
Cette analyse présente au moins trois facettes que nous étudierons successivement. Il
convient d’abord de cerner ce que l’on entend par développement et tout le mouvement
auquel on réfère [1.1], pour ensuite traiter du champ du « droit du développement » [1.2],
avant de conclure sur la question du « droit au développement » [1.3].
1.1
la notion de « développement »
Il est malaisé de tenter de poser une définition de ce qu’est le développement. On peut en
effet considérer qu’il s’agisse du développement économique, mais aussi que cette notion
englobe d’autres réalités, dont le développement social, politique, juridique et même
culturel des pays émergents d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine, des Caraïbes, de
l’Europe Centrale et de l’Est, incluant l’Asie Centrale (i.e. les ex-pays du défunt bloc
communiste) et le Moyen-Orient. Toutefois, de manière plus large, l’on pourrait parler
du développement à partir de ses objectifs fondamentaux, qui consistent en l’élimination
Page 454
428
de la pauvreté et l’amélioration de la condition humaine 1122. Ces objectifs s’atteignent
par
l’entremise d’un processus favorisant
l’accroissement des
libertés, d’abord
individuelles, mais aussi collectives. « Development requires the removal of major
sources of unfreedom : poverty as well as tyranny, poor economic opportunities as well
as intolerance or overactivity of repressive states… » 1123 C’est donc là le véritable
programme du développement tel qu’envisagé à l’échelle internationale.
Alors qu’autrefois l’on utilisait l’expression « Tiers monde » pour identifier les pays aux
prises avec des problèmes de développement, l’on parlerait plutôt aujourd’hui du monde
en « voie de développement ». Il en serait ainsi depuis l’effondrement du Bloc
communiste qui constituait, dans cette logique, le « Second monde » face aux pays
occidentaux de l’économie capitaliste (représentants bien sûr le premier échelon). Ce
monde se diviserait lui-même en trois catégories où, dans le premier tiers, on retrouve les
pays émergents de l’ex-bloc communiste, de même que ceux d’Asie et d’Amérique
latine, qui constituent des économies en transition attirant de l’investissement direct
étranger et s’approchant de l’autonomie. Dans le second tiers, l’état de l’économie des
pays est moins avancé et ils ont plus de difficulté à attirer de l’investissement direct
étranger ou d’autres sources de financement. Ces pays se tournent donc vers les
organismes financiers internationaux (FMI et Banque mondiale), qui leur octroient des
1122
1123
R. SARKAR, op. cit., supra note 1073, p. xi.
Amartya SEN, Development as Freedom, Alfred A. Knopf, 1999, p. 3, tel que cité par
R. SARKAR,
op. cit., supra note 1073, p. xi. D’un point de vue économique, l’objectif central du
développement est d’améliorer l’efficacité du partage des ressources et d’augmenter le capital
disponible, cependant que « […] [l]e développement n’est pas seulement une question de
ressources et de capital mais une transformation de la société. Il est clair que les institutions
financières internationales ne sauraient assumer la responsabilité de cette mutation. Mais elles
peuvent y jouer un rôle important et, au strict minimum, elles ne doivent pas entraver son
succès
». Voir : J. E. STIGLITZ, op. cit., supra note 1106, p. 379.

Page 455
429
prêts à des conditions précises. Enfin, dans le dernier tiers, ce sont des pays qui vivent
des situations de crises et de chaos (i.e. insurrections, guerres civiles, famines, etc.), dont
le « […] full membership […] in the global economy is problematic, either because it is
curtailed by the imposition of international sanctions or because they simply do not have
the requisite apparatus of the nation-state necessary to operate effectively as functional
state actors » 1124. Dans cette dernière catégorie, on utilise aussi parfois l’expression
d’« État voyou » (i.e. Rogue State) pour désigner un pays mis au ban de la communauté
internationale, dont par exemple l’Afghanistan du régime Taliban, la Lybie des années
1980, la Sierra Leone, l’Irak 1125.
Les problématiques qui entourent le développement de ces trois catégories de pays sont
complexes, mais peuvent se résumer comme suit : À quoi mesure-t-on le succès d’une
stratégie de développement pour les pays appartenant au premier tiers ? Est-ce que
l’accès à la démocratie et à une société capitaliste sont les seules voies permettant de le
mesurer ? Dans le cas des pays appartenant au 2e groupe, comment endiguer la pauvreté
chronique dans laquelle ils sont enlisés ? Lever une taxe internationale sur les flux de
devises et de capitaux et créer une réserve du FMI pour effacer et/ou réduire leurs dettes ?
Doit-on isoler les pays appartenant au dernier groupe face au reste du monde développé ?
Ont-ils le droit de participer à et de bénéficier de cette économie mondialisée ? 1126
Autant de questions auxquelles les solutions ne sont pas évidentes ni uniformes.
Cependant, le phénomène de la mondialisation transporte avec lui son lot de
1124
1125
1126
Nous soulignons. Voir : R. SARKAR, op. cit., supra note 1073, p. 2-5, en particulier à la p. 5.
Voir : J. LAROCHE, op. cit., supra note 1103, p. 44-45; M. CHEMILLIER-GENDREAU, loc.
cit., supra note 1096, p. 76.
R. SARKAR, op. cit., supra note 1073, p. 6.

Page 456
430
transformations qui touchent l’ensemble des sociétés, et dont l’effet principal est de
recentrer l’individu au cœur du processus. En effet, les ressources du monde développé
sont maintenant à la disposition des pays en voie de développement comme jamais elles
ne l’avaient été auparavant, dont l’Internet qui, avec sa configuration principalement de
langue anglaise, est en voie de créer une véritable lingua franca, charriant avec elle une
certaine uniformisation des cultures 1127. Le phénomène de l’investissement fait partie du
nombre. D’une certaine manière, ce qui caractérise le plus la mondialisation serait
[a] globalized economy [that] has the potential to give a new sovereignty to the will of
the individual
. In other words, the individual may have a new, untrammelled freedom
to exercise his or her freedom of choice. The realm of choice may vary from culture
to culture but, essentially, consumerism gives individuals the exclusive right to make
independent decisions on how to appease their senses. […] The universe of choices
is practically unlimited since international trade, travel, and global satellite
communications make the appeasement of the senses obtainable, affordable, and
practically instantaneous. Thus, Jeffersonian ideal of an individual’s “pursuit of
happiness” can now truly occur on a global scale.
1128
L’individualisme et ses libertés, protégé par l’État de droit, favoriserait-il la recherche du
bonheur par l’avènement de sociétés consuméristes ayant pour objectif l’accumulation de
biens ? Est-ce que cela n’entre pas en conflit avec les valeurs de plusieurs sociétés en
voie de développement, souvent plus traditionalistes, où le sens de la collectivité est
ressenti de manière fort différente de ce qui prévaut en Occident ? Vu sous cet angle, le
« choc des civilisations », dont on nous prévient depuis la fin des idéologies et le
1127
Pourtant, au nom de la diversité culturelle et du développement durable, certains insistent sur
l’intérêt que l’espéranto peut revêtir dans un contexte de mondialisation, comme pendant à la
langue anglaise et plus acceptable parce que non chargée politiquement des symboles du
colonialisme et de l’oppression auxquels les langues européennes sont habituellement identifiées.
Voir : Lisa-Marie GERVAIS, « L’espéranto se veut un pont culturel »,
Le Devoir [de Montréal],
lundi le 14 juillet 2008 (A3). Un pont entre les cultures, certes, mais un éloge de la diversité
culturelle ? S’il est une idée qui participe de ce mouvement d’unification et de suppression des
différences, c’est bien cette langue, que d’aucuns ne considèrent comme une utopie. Tout dépend,
dans ce cas, du prisme à travers lequel on observe une situation, l’oppression servant ici de
justification à ce regain d’intérêt pour cette idée utopique, notamment au sein des populations
autochtones d’Amérique latine, semble-t-il.
1128
Notre soulignement. Voir : R. SARKAR, op. cit., supra note 1073, p. 9.

Page 457
431
triomphe du capitalisme, ne se caractériserait pas seulement par ce phénomène
consumériste, mais bien par une opposition marquée entre le monde développé et celui
qui aspire au développement quant au type de société dans lequel on souhaite vivre et
s’épanouir. Ce qui nous ramène à la question de l’universalisme des valeurs sécularisées
de l’Occident face à celles, plus traditionnelles ou religieuses, de ce monde émergent 1129.
La fin des idéologies aurait ramené à l’avant-scène les conflits de nature religieuse. On
peut donc se demander si le XXIe siècle n’est pas menacé par cette résurgence du
religieux 1130.
Toutefois, dans ce contexte où le défi transnational appelle à
l’« interculturalisme », ce ne serait pas tant l’idéal classique occidental que l’on
chercherait à exporter à tout prix mais plutôt la méthode de l’occident pour assurer le
fonctionnement d’une société :
The ideal of the pursuit of happiness through material acquisition may, indeed, be a
universal ideal. This ideal may articulate the most fundamental and deepest human
desire. The reductionist force and logic of the pursuit of happiness through material
acquisition is irresistible where success and happiness are measured by the single
indicator of material wealth. The terrifying aspect of this “classical” ideal lies
precisely in its unifying force. But perhaps the real difference between the Western
classical ideal and the non-Werstern view of it lies in the method of achieving this
ideal. From a Western perspective, this ideal is grounded in individual liberties and
the protection of an individual’s right to private property by the state. In contrast,
non-Western societies, by and large, failed to form similar institutions that would
protect an individual’s freedom and property. […]
What is revolutionizing our world today is not the adoption of a Western ideal by
the developing world but the adoption of the Western
methodology for achieving the
ideal of the pursuit of happiness. This ideal is achieved in the West by means of
private property, democratic governance, and the Rule of Law. The rest is up to
individual: a very serious challenge, indeed. Non-Western societies are increasingly
1129
1130
Ibid., p. 18-22.
On a bien relevé que « [d]eux phénomènes du Moyen Âge se réinstallent sur la scène
internationale, d’une part la symbiose de l’État et la religion – l’État devient, donc, théocratique –
et, par conséquent, la guerre des religions revient. […] Le problème est que la religion et l’État ne
doivent pas être un. S’ils ne sont pas séparés, il n’y a pas de garantie pour la pratique religieuse.
Voilà que l’un des héritages de la modernité, un État qui n’impose pas ses vues en matière de
religion à ses citoyens, cède sa place aux conceptions globales et uniformes du Moyen Âge.
L’uniformisation des décisions anéantit le libre choix, les décisions personnelles, l’adoption d’un
plan de vie
». Voir : Mónica PINTO, « Légitimer la diversité », (2008) 1 Aspects 13, 19.

Page 458
432
experimenting with, and relying on, this methodology in order to accomplish the
same end. It is this fundamental shift in the underlying paradigm that is truly setting
the course in the new millennium. Now that we have entered into a post-modern,
post-Cold War, post-ideological era, we are ushering in a new era of global
interdependence. This interdependence is being expressed in economic and legal, as
well as cultural, spheres. [Nous soulignons]
1131
Le droit de propriété, la démocratie, l’État de droit, et l’individu au centre de ce
processus, participeraient donc cette « méthodologie ». Cela semble quelque peu
contradictoire et tautologique, car voilà précisément l’énoncé des valeurs occidentales…
Voilà cependant ce qui oriente le débat en matière de droit du développement, dont nous
allons maintenant faire l’examen.
1.2
le « droit du développement »
Une nouvelle discipline émergerait, soit le « droit du développement », depuis les années
1990. Encore une fois, puisque le phénomène est relativement nouveau et le fruit d’une
évolution somme toute assez récente, la définition de ses contours est un processus qui a
cours actuellement et dont tous les tenants et aboutissants ne sont pas encore connus.
Cela étant, on affirme que le droit du développement « […] is designed to address
complex issues of human endeavour and change and, even more broadly speaking, of
creating the context for global change. In particular, development law is concerned with
analyzing, implementing, and evaluating global legal change. » 1132
Il est à ne pas confondre avec le mouvement du « law and development » qui eut cours
des années 1960 jusqu’au début des années 1980 et dont la mort fut proclamée à partir de
1131
1132
R. SARKAR, op. cit., supra note 1073, p. 21-22.
Ibid., p. xi [notre soulignement].

Page 459
433
ce moment par ses propres protagonistes 1133. Ce mouvement américain découlait d’une
approche dite « moderne » s’étant développée suite à la Seconde Guerre mondiale, qui
consistait à implanter le plus rapidement possible les institutions juridiques de l’Occident
(lire des États-Unis) dans les pays en voie de développement, sans nécessairement tenir
compte des particularismes propres à chaque région. Compte tenu que l’on souhaitait
procéder à une implantation rapide de ces réformes puisque, de toute façon, les pays en
voie de développement devraient tôt ou tard parvenir au même stade d’évolution que les
pays occidentaux, notamment en ce qui a trait à leur conception de la vie en société et de
la mise en place de démocraties libérales favorisant l’épanouissement du libre-marché,
1133
la
de
(site
Web
Banque
Pour un résumé de l’historique de ce mouvement, voir : « Law and Development Movement », en
ligne
mondiale) :
http://siteresources.worldbank.org/INTLAWJUSTINST/Resources/LawandDevelopmentMoveme
nt.pdf (consulté le 30 juin 2008). La Banque mondiale (ainsi que les autres organismes
subventionnaires du développement international) est-elle appelée a reproduire les erreurs de ces
réformistes américains, des professeurs de droits de Harvard, Yale, Stanford, Wisconsin, qui
bénéficiaient de financement provenant de USAID, de la Ford Foundation et d’autres donateurs
privés américains, afin d’implanter des réformes juridiques institutionnelles dans les pays en voie
de développement ? Même si l’on a appris certaines leçons des expériences passées, en essayant
notamment de recentrer les réformes sur l’État en tant que garant des transactions, de la loi et de
l’ordre, plutôt que d’envisager l’État comme étant le moteur et l’initiateur de toutes telles
réformes, il n’en demeure pas moins que l’on souhaiterait des changements rapides alors qu’en ce
domaine, cela n’est pas la norme, au contraire. « […] [E]
ven if some of the lessons of the old law
and development programs have been learned, pressures to produce results quickly will work
against the gradual and incremental approach to law reform warranted by our current state of
knowledge about the relationship between law and development
». Voir, en ce sens,
Richard E. MESSICK, « Judicial Reform and Economic Development : A Survey of the Issues »,
(1999)
ligne :
Research
http://siteresources.worldbank.org/INTLAWJUSTINST/Resources/ResearchObserverPaper.pdf
(consulté le 28 juin 2008). De plus, on ne peut généraliser le type de réforme à prioriser et seule
une étude approfondie de l’histoire, de la culture et des besoins du pays destinataire de la réforme
envisagée permet d’éviter les écueils du passé. Comme nous le verrons plus loin, certains estiment
cependant que les fondements conceptuels, théoriques et pratiques de l’aide financière
internationale consacrée principalement à l’essor de l’économie de marché et de la démocratie via
la règle de droit ne sont pas si certains et, malgré l’expérience cumulée du « law and development
movement » et du mouvement plus récent entourant la promotion de l’État de droit, qui s’étend
maintenant sur une période d’au moins trente ans, l’on disposerait finalement de relativement peu
de données fiables à ce chapitre permettant d’en vérifier la pertinence et la justesse. Voir :
Thomas CAROTHERS,
Promoting the Rule of Law Abroad : The Problem of Knowledge,
Carnegie Endowment for International Peace, Rule of Law Series, Democracy and Rule of Law
Project, Janvier 2003, numéro 34, en ligne : http://www.carnegieendowment.org/files/wp34.pdf
(consulté le 28 juin 2008).
The World
Observer
117-136,
Bank
14
en

Page 460
434
certains tenants de la « modernisation » ont parfois cru qu’il était justifié de soutenir des
régimes autoritaires pour imposer ces réformes, quitte à « temporairement » suspendre les
droits et libertés fondamentales des citoyens 1134, le temps nécessaire à la transition et à
donner pleinement effet auxdites réformes. Cette approche « moderne » culmina avec
l’adoption du principe du nouvel ordre économique international en 1974 par l’ONU, qui
fut définitivement rejetée au début des années 1990 1135.
L’approche « moderne » et sa phalange du mouvement « law and development » firent
bien sûr l’objet de vives critiques, se réclamant essentiellement de la gauche, relevant du
marxisme et du mouvement américain des critical legal studies 1136. On reprochait aux
« modernistes » de ne pas
faire preuve de souplesse, d’être euro-centristes,
ethnocentristes, et de faire la promotion d’une conception naïve et non-adaptée de l’État
de droit aux pays destinataires. De plus, on remettait en cause la finalité même de cette
1134
1135
1136
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 339-343.
R. SARKAR, loc. cit., supra note 1073, p. 32-33, 78, 86-87, 266-276, 279 et 297. Ce principe
découle de l’adoption de la
Déclaration sur le nouvel ordre économique international et d’un
programme d’action visant à en assurer la mise en œuvre, qui culminera ensuite par l’adoption
d’une résolution de l’assemblée générale de l’ONU intitulée «
Charter of Economic Rights and
duties of the States
». À la faveur de la décolonisation qui prévalait alors, les nouveaux pays n’en
éprouvaient pas moins de sérieuses difficultés économiques auxquelles on voulut remédier. Ainsi,
on s’efforça de faire reconnaître les principes suivants : l’égalité entre les États souverains, le droit
inaliénable des États souverains sur leurs ressources naturelles, le traitement préférentiel devant
être accordé aux pays en voie de développement, l’augmentation de l’aide internationale en faveur
de ces pays, les transferts de technologies et leur développement et, enfin, l’établissement d’une
coopération accrue avec ces dits pays, au niveau économique, financier et technique d’une manière
privilégiée. Ces résolutions n’ont pas été adoptées à l’unanimité, avec la dissension notable des
États-Unis d’Amérique. Voir aussi : J.-Y. MORIN,
loc. cit., supra note 1062, p. 341.
Le mouvement des « critical legal studies », amorcé aux États-Unis au tournant des années
soixante, est un « [m]
ouvement intellectuel américain contemporain, qui cherche à comprendre et
critiquer les phénomènes juridiques en faisant appel, d’une manière éclectique, entre autres
perspectives théoriques, aux façons de voir du réalisme juridique, du marxisme, du féminisme et
du structuralisme ». Voir : « Critique 2 : Critical Legal Studies », dans A.-J. ARNAUD et al.
Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 1993, p. 133-
139. Ce mouvement militant de gauche critiqua essentiellement le libéralisme économique
ambiant aux États-Unis, et son objectif consista à modifier les structures du système juridique afin
de transformer la société dans son ensemble.

Page 461
435
approche, qui considérait comme une fin en soi l’établissement de démocraties libérales
capitalistes 1137.
Néanmoins, depuis la chute du mur de Berlin, cette opposition entre les « modernistes »
et leurs opposants n’a plus cours. La globalisation de l’économie et, avec elle,
l’harmonisation croissante des
lois commerciales serait
le premier
jalon de
l’établissement du principe de la primauté du droit à l’échelle universelle :
We are currently witnessing an unprecedented globalization of commercial laws.
As the world economy becomes more integrated, commercial laws are becoming
harmonized on a global scale so that business may be conducted more smoothly and
efficiently without having to accommodate the “unnecessary” complications of
different legal cultures. […]
If the globalization of the world economy also gives rise to the globalization of
laws, this begs the question of whether globalization of culture is inevitable in the
process. Although modernists tend to view law as an abstraction, law is an
expression of culture in much the same way as are art, music, or dance. Law is the
organic expression of the underlying mores and legal norms that a people or society
live by. While law may be an objective ideal, it has its genesis in the particularities
of the culture that gave rise to it. Thus, if laws are being harmonized on a global
scale, is the underlying element of culture being harmonized as well ? If so, then
the globalization of commercial laws may be one of the first dominoes to fall in a
globalization of cultural norms of mind-boggling proportions.
1138
Si l’on peut estimer que de cette harmonisation des lois résultera une harmonisation des
cultures (ce qui ne se fera pas sans heurts, le cas échéant) 1139, il ne faudrait pas conclure
1137
1138
1139
R. SARKAR, loc. cit., supra note 1073, p. 31-37.
Ibid., p. 34-36. Et cette mondialisation de la culture oscille entre l’internationalisation de certains
médiums (les films, les jeux vidéos, l’Internet) et, en parallèle, le renforcement national d’autres
formes d’expression (la musique, l’édition, la publicité, l’information), ayant pour toile de fond,
cependant, le modèle américain. Voir, à ce sujet, Frédéric MARTEL,
Mainstream, Flammarion,
2010. Voir aussi : Stéphane BAILLARGEON, « La guerre culturelle à l’échelle du monde », dans
Le Devoir [de Montréal], samedi le 8 mai 2010 (E1).
Des voix s’élèvent dans le contexte de mondialisation actuel pour souligner l’apport de la diversité
culturelle au patrimoine commun de l’humanité. À preuve, la
Déclaration de l’UNESCO sur la
diversité culturelle
, C.G. rés. 31 25-6, UNESCO Doc. 31C (25 novembre 2001), en ligne :
http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001271/127160m.pdf (consulté le 12 juillet 2008) [la
«
Déclaration de l’UNESCO sur la diversité culturelle »], mise en œuvre par la suite aux termes
de la
Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (20
octobre 2005), UNESCO Doc. CLT-2005 (entrée en vigueur: 18 mars 2007), [2006] ILM 26, en
ligne : www.unesco.org/culture/fr/diversity/convention

[la
juillet 2008)
(consulté
le 12

Page 462
436
« Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle »]. Si la Déclaration ne se veut pas
contraignante mais souhaite s’ériger au rang de principe universel à l’instar de la
Déclaration
universelle des droits de l’homme
de 1948, la Convention, son miroir, consiste en un traité liant les
pays signataires. La défense du principe de la diversité culturelle constitue un impératif éthique,
inséparable du respect de la dignité de la personne humaine (
Déclaration, art. 4). Ainsi, chaque
individu doit reconnaître non seulement l’altérité sous toutes ses formes, mais aussi la pluralité de
son identité, au sein de sociétés elles-mêmes plurielles. C’est ainsi seulement que peut être
préservée la diversité culturelle comme processus évolutif et capacité d’expression, de création et
d’innovation et de justice, de liberté et de paix, y soutient-on. La diversité culturelle appelle le
pluralisme culturel (ou l’interculturalité) comme solution politique visant à en assurer le respect au
sein des États démocratiques (
Déclaration, art. 2). La Convention rappelle le droit souverain des
États de dicter des politiques en ce sens, tout en signalant que l’on ne saurait, au nom de cette
diversité, porter atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales (art. 2). Elle
encourage également la diversité des expressions culturelles, la diversité linguistique et compte
favoriser sa protection et sa diffusion, obligeant les États signataires à mettre en œuvre les mesures
qui s’imposent pour ne pas laisser aux seules forces du marché le soin de s’en acquitter (art. 3, 6 à
11). Enfin, considérant que la diversité culturelle est un facteur de développement, ces
instruments entendent « intégrer la culture en tant qu’élément stratégique dans les politiques
nationales et internationales de développement, ainsi que dans la coopération internationale pour le
développement » (
Déclaration, art. 3, 10, 11; Convention, Préambule, art. 1 (f), (i), 12-17). La
Convention prévoit la création d’un Fonds international de la diversité culturelle (art. 18), ainsi
qu’un mécanisme de résolution des différents entre les pays signataires. Étant donné que ces
instruments prônent « l’égale dignité et le respect de toutes les cultures » (
Convention, art. 2), on
peut se demander quel sera son effet sur les efforts d’harmonisation et d’uniformisation des
normes juridiques. Qui plus est, on peut s’inquiéter de leur impact sur l’idée de l’universalisme de
certaines valeurs, dont l’État de droit et la démocratie, bien qu’elles y soient posées comme
incontournables (
Convention, Préambule (4e paragraphe), art. 2(1), art. 20). La promotion de la
diversité culturelle telle qu’ainsi entendue équivaut-elle au relativisme culturel ? L’universalisme
de l’État de droit, des droits de l’homme et de la démocratie, d’une part, et la diversité culturelle,
d’autre part, sont-elles des valeurs conciliables ? Pour Mónica Pinto, c’est mal poser le problème.
Les droits de l’homme, découlant certes d’une conception occidentale, seraient devenus
universels. Le non-respect de la diversité culturelle ferait obstacle à leur universalité : «
Il faut
absolument trouver une légitimation culturelle aux droits de l’homme dans les critères et
paradigmes des cultures autres que les cultures occidentales. Cette recherche et son produit vont
nous conduire à légitimer culturellement l’universalité des droits de l’homme au lieu de la léser.
Certains parlent d’une reconstruction de la notion. […] Redonner un sens dans chaque culture
aux droits de l’homme sera la tâche de l’avenir, à défaut de laquelle l’avenir sera du passé !
».
Lire : M. PINTO,
loc. cit., supra note 1130, p. 14, 23-24. On prévoit, en tout cas, des différends
entre la
Convention et les normes découlant de l’OMC au niveau du commerce international. Voir
en ce sens : Peter LEUPRECHT, « The difficult acceptance of diversity », (2005-2006) 30 Vt. L.
R
. 551, 563. Si ces instruments ne traitent pas spécifiquement de la diversité juridique et du droit
comme phénomène culturel, il est possible de conclure qu’elle le vise néanmoins, car dans le
préambule de la
Déclaration, on réaffirme que « la culture doit être considérée comme l’ensemble
des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou
un groupe social et qu’elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vies, les façons de
vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances
», le droit tombant très
certainement sous le coup des modes de vies, façons de vivre ensemble, systèmes de valeurs et
traditions. Cela dit, l’Organisation internationale de la francophonie, prennant la balle de
l’UNESCO au bond, entend élargir le débat et faire place à la « diversité juridique », tout en
prônant l’intégration juridique dans un contexte d’harmonisation du droit et de mondialisation de
l’économie. Voir : O
RGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE, Déclaration de Paris,
14 février 2008, IVe Conférence des ministres francophones de la Justice, en ligne :
http://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_1_declarationfinale.pdf

juillet 2008).
Objectifs contradictoires, syncrétisme débridé ? Pas s’il faut en croire les propos de la Ministre de
la Justice de France, Rachida Dati, selon qui « [l]
a mondialisation ne doit pas se solder par
(consulté
le 13

Page 463
437
sans nuance à la victoire de l’approche moderniste. Au contraire, toute tentative de
réformes structurelles, incluant les réformes juridiques, qui ne tiendrait pas compte de
considérants propres à la culture d’accueil, serait vouée à l’échec 1140. C’est non
seulement ce que l’anthropologie juridique nous enseigne 1141, c’est aussi ce que l’on
retient de l’expérience pratique des efforts de réformes soutenus par les diverses
organisations internationales 1142.
Ce faisant, le droit du développement suppose désormais l’avènement d’un nouveau
paradigme, d’une nouvelle façon d’envisager les diverses disciplines, juridiques ou
autres, dans un contexte de mondialisation de l’économie et d’interdépendance entre ses
divers acteurs. Il s’agirait aussi d’une méthode permettant de faire face aux nouveaux
défis que posent les situations souvent inédites auxquelles nous sommes confrontés. On
distinguerait alors deux niveaux du droit du développement : d’abord celui des réformes
l’avènement d’un système universel de droit s’imposant et se substituant progressivement à tous
les autres. Ce sont, au contraire, les interactions entre des systèmes juridiques d’inspirations
différentes, sources de création de droit, qui permettront de trouver les réponses les mieux
adaptées aux nouveaux défis posés par la mondialisation. L’émulation entre divers systèmes de
droit ne peut être, à cet égard, que bénéfique
». Voir : ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA
FRANCOPHONIE
, Diversité juridique, État de droit et développement, IVe Conférence des ministres
ligne :
francophones
http://www.francophonie.org/doc/dernieres/Francophonie_JUSTICE_mfi_Complet.pdf
(consulté
le 13 juillet 2008). Nous aurons l’occasion de revenir sur ces thèmes en conclusion de notre
analyse.
Justice,
février
2008,
14
13
de
en
p.
6,
et
la
1140
1141
1142
Ainsi, « [l]a réaction à l’exportation du modèle occidental à taille unique est davantage de
fondamentalisme ou, simplement, l’installation de fondamentalisme là où auparavant le laïcisme
occupait toutes les places; voyez l’éclosion orthodoxe en Irak après 2003 ou la solidarité de
certains secteurs turcs avec la cause « musulmane ». […] Quels sont les obstacles qui se dressent
sur la route d’une convention internationale sur la liberté religieuse sinon la non-acceptation de
la diversité culturelle ?
». Voir : M. PINTO, loc. cit., supra note 1130, p. 19.
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 317-319.
Voir, de façon générale, Karol BOUDREAUX et Paul DRAGOS ALIGICA, Paths to Property :
Approaches to Institutional Change in International Development, Londres, The Institute of
Economic Affairs, 2007.

Page 464
438
menées au plan interne dans les pays en voie de développement, ensuite celui des normes
et institutions transnationales qui constituent le filet de la mondialisation 1143.
Ainsi, dans ce contexte, le droit du développement, envisagé sous l’angle de la réforme
juridique interne, comporterait trois étapes préalables à l’établissement du principe de la
primauté du droit : i) la création d’une société civile ; ii) la mise en place d’une réforme
juridique structurelle ; iii) l’amélioration de l’administration de la justice. En somme, il
s’agirait de concilier l’universalisme occidental et le relativisme culturel des pays
émergents afin de compléter les réformes juridiques nécessaires, toujours dans une
perspective de diversité culturelle et juridique 1144. Cette approche pragmatique consiste
1143
1144
Ce qui n’est pas sans évoquer la démarche de Jacques-Yvan Morin que nous avons présentée plus
tôt, qui consistait à juxtaposer les droits internes et les instruments du droit public international
pour vérifier si l’on peut conclure l’émergence d’un principe de l’État de droit à l’échelle
internationale. Notre démarche se veut analogue quant à l’unification du droit des sûretés dans ce
contexte de mondialisation. Droit systémique, droit du développement; instruments internationaux
déployés dans les pays industrialisés et comparaison avec la réforme de ce domaine du droit dans
les pays émergents, avec les cas égyptien et congolais dont nous discutons plus loin.
À ce sujet, l’Organisation Internationale de la Francophonie, dans la Déclaration de Paris de ses
ministres de la Justice du 14 février 2008, s’exprime comme suit, dans le préambule : «
Décidés à
appuyer la promotion de la diversité des systèmes et des cultures juridiques, dans le contexte de la
mondialisation, ainsi qu’à valoriser les acquis du patrimoine juridique commun francophone dans
tous les aspects de l’application du droit
». Voir : ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA
FRANCOPHONIE
, Déclaration de Paris, 14 février 2008, IVe Conférence des ministres francophones
de la Justice, en ligne : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_1_declarationfinale.pdf (consulté le
13 juillet 2008). En outre, cette déclaration s’inscrit en porte-à-faux face aux « […]
critiques des
champions de la libéralisation économique et du droit anglo-saxon comme certains experts de la
Banque mondiale
[…] », découlant des fameux rapports Doing Business publiés annuellement par
la Société financière internationale, relevant de la Banque mondiale. «
Destinées à mesurer
l’attractivité économique des modèles de droit, les conclusions de ce rapport ont mis en cause le
modèle juridique romano-germanique et sévèrement critiqué le droit français, présenté comme
moins favorable aux investissements
». On recense différentes initiatives visant à contrer ces
rapports, dont la création d’une Fondation pour le droit continental soutenue par le ministère de
l’Économie et des Finances de France, afin de démontrer que le droit romano-germanique est «
un
Voir : ORGANISATION
vecteur du développement et de
INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE, Diversité juridique, État de droit et développement, IVe
Conférence des ministres francophones de la Justice, 13 et 14 février 2008, p. 14, 19-20, en ligne :
http://www.francophonie.org/doc/dernieres/Francophonie_JUSTICE_mfi_Complet.pdf
(consulté
le 13 juillet 2008). Voir aussi la réaction épidermique de l’A
SSOCIATION HENRI CAPITANT DES
AMIS DE LA CULTURE JURIDIQUE FRANÇAISE
, Les droits civilistes en question : À propos des
Rapports Doing Business de la Banque mondiale, Paris, Société de législation comparée, 2006, en
ligne : http://www.chairejlb.ca/pdf/tradition_civiliste.pdf (consulté le 13 juillet 2008). Nous
la prospérité économique ».

Page 465
439
également à permettre à un pays en voie de développement de s’approprier le processus
de réforme en fonction de son histoire et de sa situation socio-politique. Une liste
d’éléments serait à prendre en considération dans ce cadre : (i) l’histoire du droit d’un
pays donné ; (ii) les objectifs de réformes du pays en voie de développement ; (iii) le
moment choisi pour mettre de l’avant tout processus de réforme en fonction de la volonté
politique d’y donner effet ; (iv) les segments de la société pour lesquels toute réforme
s’avère nécessaire et qui en ressentent le besoin ; (v) les attentes de la communauté
internationale à cet égard. Seul un savant dosage de ces divers éléments assurera le
succès d’une réforme 1145.
Qu’est-ce qui relève du droit du développement et qu’est-ce qui n’en relève pas ?
Autrement dit, quelle est la distinction entre des questions de droit international public ou
de droit international privé, d’une part, et des questions de droit du développement,
d’autre part ? Dans la mesure où une question de droit interne d’un pays en voie de
discuterons plus loin de l’approche de la Banque mondiale dans l’aide au développement, qui
s’avère beaucoup plus nuancée que ce que les économistes, auteurs des Rapports
Doing Business,
peuvent affirmer. Ces vives réactions nous apparaissent, sinon puériles, à tout le moins exagérées,
de part et d’autre, car comme le rappelle l’un des grands civilistes de notre temps, Paul-André
Crépeau, « […]
les politiques juridiques qui sous-tendent une règle de droit ne sont pas
intimement liées à une tradition juridique particulière : elles ne sont ni de droit civil ni de common
law, ni de toute autre tradition juridique; elles n’expriment que la conception que se font, sur un
mode de comportement et à un moment donné, les membres d’une société civile
». Voir : P.-
A. CRÉPEAU,
loc. cit., supra note 438, no 37, p. 758-759. Voir aussi, pour un bémol concernant
l’apport au débat entre les mérites respectifs de la common law et du droit civil : Ian B. LEE, « Le
marché du droit : Observations néoclassiques sur les rapports
Doing Business et la rivalité
common law – droit civil », dans
Convergence, concurrence et harmonisation des systèmes
juridiques – Les journées Maximilien-Caron 2008
, Montréal, Les Éditions Thémis, 77. Droit civil
et
common law ne sont pas des religions : ils sont des traditions, des façons de concevoir l’ordre
juridique. C’est à l’aune des valeurs qui les sous-tendent qu’il faut plutôt chercher les similitudes
et les divergences, afin de trouver la meilleure solution à un problème donné, dans une perspective
d’harmonisation
souple du droit qui respecte la diversité des expressions juridiques au niveau de la
règle de droit. Voir enfin, en ce sens, Katharina PISTOR, « The Standardization of Law and Its
Effect on Developing Economies », (2002) 50
Am. J. Comp. L. 97, en particulier aux p. 101 et
128.
1145
R. SARKAR, op. cit., supra note 1073, p. 37-53.

Page 466
440
développement se pose et que cela peut avoir une incidence sur son développement, alors
il s’agit d’une question relevant du droit du développement, comme par exemple créer
l’infrastructure nécessaire à l’investissement direct étranger dans un contexte de co-
entreprise entre des nationaux et des étrangers pour la construction d’un aéroport dans le
pays en voie de développement. Cet exemple illustre que l’échange de capitaux, de
matières premières, de services et de technologies constituent les trois piliers du droit
transnational des affaires, autour desquels
les projets de réformes s’articulent
habituellement 1146. La réforme du droit des sûretés et de l’insolvabilité s’inscrit donc
dans ce contexte.
D’une façon plus générale, le droit du développement s’intéresse aux normes et
institutions transnationales de l’économie mondialisée. Considérant une pléiade d’acteurs
qui en constituent le socle, des individus aux États en passant par des acteurs
« multilatéraux » (à savoir dans ce dernier cas les organisations financières et
internationales qui contribuent au développement telles les ONG, la Banque mondiale et
le FMI), le droit du développement doit s’articuler autour d’un nouveau contrat social
entre ceux-ci afin de mieux définir et encadrer les paramètres du développement
international. L’avènement d’un nouveau paradigme, contrairement à celui qui
prévaudrait toujours et opposant les riches aux pauvres, les classes possédantes aux
classes exploitées, mettrait plutôt en relief le haut degré d’interdépendance entre tous les
acteurs et se situant dans un même continuum. Le droit du développement s’affaire donc
à proposer une nouvelle réflexion structurante sur ces thèmes, dont les principes devraient
s’articuler autour du caractère mutuel, du devoir de coopération, de la participation
1146
Ibid., p. 60-61.

Page 467
441
équitable et de la transparence du processus de développement. C’est à l’aune de ces
critères que l’on sera en mesure d’évaluer la situation actuelle et les efforts de réforme de
la gouvernance mondiale du développement, ainsi que de proposer de nouvelles pistes de
solutions 1147.
Pour ce qui est du caractère mutuel du droit du développement, il doit s’observer entre
les acteurs, principalement souverains mais aussi à travers toutes les phalanges des
organisations internationales. En reconnaissant les mêmes droits aux pays développés
qu’aux pays en voie de développement, on contribue ainsi à établir un « level playing
field ». Par conséquent, il s’avère nécessaire de créer de nouvelles normes juridiques qui
s’appliqueront dans ce contexte international 1148.
En ce qui a trait au devoir de coopération et à la participation équitable qui doivent se
concrétiser entre les différents acteurs du développement, ces notions découlent du
1147
1148
Ibid., p. 60-106.
En raison d’un certain atavisme découlant du mouvement « law and development » des années
1970, on voit encore la création de normes à deux vitesses, les unes s’appliquant aux pays
industrialisés,
les autres, habituellement moins contraignantes, aux pays en voie de
développement. Est évoqué, à titre d’illustration de ce paradigme, le Protocole de Kyoto sur les
changements climatiques, contre-productif à maints égards. Il faudrait viser l’établissement, d’une
part, de normes identiques sur le fond mais susceptibles d’application contextuelle selon la
situation d’un pays donné; d’autre part, il faudrait viser la création de normes obligatoires ou
absolues, surtout en matière de droits humains, ne pouvant pas faire l’objet de cette
contextualisation. À titre d’exemples de la première catégorie, sont cités : les lois modèles de la
CNUDCI (i.e.
procurement), les travaux d’UNIDROIT et de la CNUDCI, l’exportabilité du UCC
(mais de son adaptation aux divers contextes). Voir : R. SARKAR,
op. cit., supra note 1073, p.
77-78, 86-94. Voir aussi, à cet égard, un résumé de l’approche asymétrique qui existe dans le
domaine du commerce international, visant à favoriser un certain protectionnisme dans les
premiers stades du développement d’un pays émergent, qui ne dispose pas des mêmes outils, dont
les filets de sécurité sociale, que les pays industrialisés : Michael TREBILCOCK, « Searching for
Hope : The Countries that Globalization has left behind », (2008) 46
Can. Bus. L. J. 184. Voir,
enfin, la
Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle, supra note 1139, art. 16, intitulé
« Traitement préférentiel pour les pays en développement » : « Les pays développés facilitent les
échanges culturels avec les pays en développement en accordant, au moyen de cadres
institutionnels et juridiques appropriés, un traitement préférentiel à leurs artistes et autres
professionnels et praticiens de la culture, ainsi qu’à leurs biens et services culturels ». On ne sait
pas exactement comment cela va se traduire en pratique.

Page 468
442
caractère mutuel et supposent que les gestes de tous doivent tendre dans la même
direction sans verser dans l’unilatéralisme, favorisant les uns au détriment des autres,
l’objectif ultime et partagé par tous étant le développement de toutes les nations 1149.
Enfin, la transparence vise à faire en sorte que les pays en voie de développement soient
partie prenante aux divers projets de réformes qui sont mis de l’avant et, aussi, à ce que
les institutions internationales soient davantage imputables de leurs actes 1150.
En résumé, le principe de la primauté du droit s’avère essentiel à tous les niveaux et
constitue le fondement du droit du développement. D’abord, au niveau interne, dans tous
les pays, afin de construire une société civile et des institutions capables de supporter leur
développement économique. Ensuite, au niveau international, dans cette économie
mondialisée, afin d’appliquer ces mêmes principes aux acteurs du développement
1149
1150
R. SARKAR, op. cit., supra note 1073, p. 78-84.
Ibid., p. 84-86. En fait, des institutions découlant des accords de Bretton-Woods suite à la
Seconde Guerre mondiale, seule l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dispose d’un
mécanisme de résolution de conflits qui présente une certaine imputabilité et permet d’entrevoir
l’émergence de normes internationales dans ce domaine. Les autres institutions, dont la Banque
mondiale et le FMI, ne sont pas redevables de leurs actes à quelque assemblée constituante ou aux
pays qui bénéficient de leur aide, bien que dans le cas de la Banque mondiale, certains
mécanismes aient été mis en place pour donner une voix aux populations qui bénéficient de son
aide financière. R. Sarkar propose, dans son ouvrage, un mécanisme visant à rendre la BM
davantage imputable. Voir aussi les critiques à cet égard de l’ancien économiste en chef de la
Banque mondiale et prix Nobel d’économie, J. E. STIGLITZ,
op. cit., supra note 1106, en
particulier aux p. 40-41, 50-51, 55, 98, 341-407, ce dernier affirmant, à la p. 51 : «
Alors que la
quasi-totalité des activités du FMI et de la Banque mondiale (et certainement l’ensemble de leurs
prêts) s’exercent aujourd’hui dans le monde en développement, ces institutions ont à leur tête des
représentants du monde industrialisé (par coutume ou accord tacite, le FMI est toujours dirigé
par un Européen, la Banque mondiale par un Américain). Les dirigeants sont choisis à huis clos,
et l’on a jamais jugé nécessaire de leur demander la moindre expérience préalable du monde en
développement. Les institutions internationales ne sont donc pas représentatives des nations
qu’elles servent
». Voir enfin, J. LAROCHE, loc. cit., supra note 1103, p. 74-75. La Banque
mondiale vient cependant d’annoncer des mesures qui auront pour effet d’augmenter le pouvoir de
vote des pays en voie de développement lors de ses assemblées annuelles. Voir, en ce sens : « La
Banque mondiale réforme le pouvoir de vote, obtient une injection de 86 milliards de dollars »,
Communiqué de presse no 2010/363/EXT, en ligne : http://go.worldbank.org/BOFB2I4860
(consulté le 29 mai 2010).

Page 469
443
international et, ainsi, assurer la transparence et l’imputabilité de ses institutions, au
premier chef la Banque mondiale et le Fond Monétaire International.
Dans le présent contexte, c’est plutôt le premier niveau qui nous intéresse, le second
faisant l’objet d’un autre niveau d’analyse qu’il ne nous appartient pas de mener.
Cependant, retenons que le processus d’harmonisation des lois commerciales de nature
privé est probablement le premier maillon qui nous mènera à cette unification planétaire,
à défaut de parler, pour l’instant, d’un droit inhérent au développement, dont le
fondement ultime reposerait sur la primauté de l’individu et la préservation de sa dignité.
1.3
le « droit au développement »
Existe-t-il un « droit au développement », contraignant, qui soit davantage qu’un simple
vœu, voire une obligation morale ? La réponse serait négative, bien que la question fasse
l’objet d’une reconnaissance accrue au sein de la société internationale. Elle découlerait
d’une lecture de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et des trois
« générations » de droits qui s’en suivirent, de l’adoption de déclarations et de résolutions
subséquentes de l’ONU : les droits « civils et politiques » constituant la première
génération, les droits économiques, sociaux et culturels la seconde et, enfin, un droit de
« solidarité », incluant notamment les droits à la paix, à la qualité du cadre de vie et au
développement, formeraient la troisième. On distingue donc les droits-libertés (première
génération) des droits-créances (deuxième et troisième générations), les premiers « se
dressant devant le pouvoir politique », les seconds faisant appel à son intervention, les
premiers étant davantage associés à l’État de droit alors que les seconds le sont davantage
au développement, économique ou social. On voit bien les contradictions qui peuvent en
Page 470
444
résulter si l’on place tous ces droits sur le même pied quant à leur force obligatoire 1151.
Bien qu’il existe une Déclaration sur le droit au développement 1152 adoptée par l’ONU
en 1986, elle n’aurait pas atteint la consécration et ne serait pas considérée à titre
contraignant en droit international public 1153. Cependant, d’une approche pluraliste qui
tend à ne plus mettre en opposition les diverses générations de droits, le droit au
développement se fraye tranquillement un chemin, dans certains textes constitutionnels
de pays africains, par exemple 1154. De plus, étant donnée la prise de position de l’ONU
sur l’État de droit et la nécessité d’en favoriser l’édification, les institutions financières
internationales ont emboîté le pas dans cette direction depuis un moment déjà 1155, malgré
les critiques qui ne manquent pas d’invoquer, notamment, une « […] situation inédite, où
1151
1152
1153
1154
1155
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 339-343.
AG/Rés. 41/128, 4 décembre 1986, annexe, Documents officiels de l’Assemblée générale,
quarante et unième session, supplément n
o 53, p. 196, tel que cité par J.-Y. MORIN, op. cit., supra
note 1062, p. 33, note 27.
R. SARKAR, op. cit., supra note 1073, p. 278-279, les États-Unis d’Amérique ayant voté contre :
«
Perhaps not in a technical legal sense, but nevertheless, the possibility of its universal
recognition, and implementation, seems dim. The prospect of fully accepting and implementing a
right to development seems remote
».
L’exemple de l’« African Charter on Human and Peoples’ Rights », adoptée par l’ « Organization
of African Unity » est donné à cet égard, par R. SARKAR,
op. cit., supra note 1073, p. 284-298.
Voir : S. SCHLEMMER-SCHULTE, loc. cit., supra note 1111, p. 692-693, cette auteure référant
explicitement à la Déclaration sur le droit au développement de 1986 et à la Déclaration et
Programme d’action de Vienne
de 1993 de l’ONU, précitées, à titre de fondements des actions de
la Banque mondiale, dans des domaines aussi variés que la reconstruction des infrastructures
lourdes et industrielles, l’éducation, la santé, la condition des femmes, la sécurité sociale,
l’environnement, la réforme structurelle et institutionnelle, sociopolitique, la bonne gouvernance et
la promotion de l’État de droit. Elle précise cependant : «
It should, however, be emphasized that
the Bank’s promotion of economic, social and cultural human rights, unlike the activities of other
international agencies, does not take place from the point of view of general standard setter and
enforcer of human rights, but from the point of view of a development finance institution. Thus, if
the Bank effectively promotes the right of development and various economic and social rights, it
does so because this is what, in its view, needs to be done to fulfill its broad economic and social
development mandate. […] It is part of its agenda on social development but there exists no
obligation on it to realize these rights for the benefit of the rightholders
». Sur la « globalisation »
des droits de la personne et son empiétement sur la souveraineté des États au nom du droit au
développement, voir : Karim BENYEKHLEF, Une possible histoire de la norme.
Les
normativités émergentes de la mondialisation
, Montréal, Les Éditions Thémis, 2008, p. 216-251.

Page 471
445
une société mondiale existe par la mise en relations de tous avec tous et où elle manque à
l’évidence d’un projet collectif, ne fût-ce que le projet élémentaire de la survie commune,
[…] ce projet [étant] entravé par l’absence d’un droit commun, clef de la régulation de la
violence, donc de la définition de l’action ». 1156
Ce contexte préside à la philosophie des institutions financières internationales dans
l’octroi de leur aide aux pays en voie de développement.
2.
La philosophie des institutions financières internationales et l’aide
accordée aux pays en voie de développement
Nous allons, dans un premier temps, brièvement identifier les principales institutions
financières internationales et en retracer l’historique [2.1], pour ensuite discuter du rôle
de la Banque mondiale, de l’aide financière qu’elle accorde aux pays en voie de
développement et des réformes qu’elle soutient [2.2]. Nous conclurons cette section en
exposant la philosophie de la Banque mondiale quant à la réforme du droit, à son impact
sur l’économie et le développement [2.3].
2.1
les principales institutions financières internationales
Le XXe siècle a été le théâtre, suite aux deux conflits mondiaux, de mouvements
politiques favorisant un rapprochement interétatique et l’avènement d’une société
internationale, d’abord au chapitre des relations diplomatiques, que l’on pense à la
création de l’Organisation des Nations-Unies sur les cendres de la Société des Nations,
après la Seconde Guerre Mondiale, ensuite, au chapitre économique, à la création du
1156
M. CHEMILLIER-GENDREAU, loc. cit., supra note 1096, p. 65. Ce commentaire est
évidemment formulé au niveau le plus élevé de la gouvernance mondiale et critique l’absence d’un
« gouvernement mondial » ou de règles plus contraignantes de gouvernance mondiale applicables
à tous.

Page 472
446
Fonds Monétaire International, de la Banque Mondiale et du GATT de 1947, suite aux
accords de Bretton-Woods 1157.
Cette marche ordonnée vers la mondialisation de l’économie, qui devait normalement
aboutir à la création de l’International Trade Organisation, fut cependant ralentie, des
années cinquante à la chute du mur de Berlin, en 1989, en raison, d’une part, du
renforcement d’une attitude protectionniste chez les américains et, d’autre part, de la
guerre froide qui sévissait alors entre les pays membres du bloc de l’Est et ceux du bloc
de l’Ouest 1158. Malgré cela, les négociations tarifaires dans le cadre du GATT de 1947
se poursuivirent à l’occasion de huit (8) cycles de négociations qui culminèrent, en 1995,
par la création de l’Organisation Mondiale du Commerce OMC »). Le dernier cycle
de négociations, intitulé « Programme de Doha pour le développement » était, comme
son titre l’indique, consacré au développement. Il connut l’échec retentissant que l’on
sait, ce que les principaux dirigeants se refusent encore aujourd’hui d’admettre 1159.
Depuis l’avènement de l’OMC, on peut parler, jusqu’à un certain point, d’une certaine
forme de mondialisation « juridique », dont
l’OMC serait
l’expression
la plus
sophistiquée. Mais ce qui explique encore davantage cette mondialisation de l’économie
réside dans la croissance spectaculaire de l’investissement direct étranger, dont la
1157
1158
1159
Voir : John H. JACKSON, William J. DAVEY et Alan O. SYKES, Legal problems of
International Economic Relations
, 3e éd., St. Paul, Minnessota, 1995, p. 278. Voir aussi :
John M. CURTIS, « The Essence of Globalization : An Economist’s Perspective », (2008) 46
Can.
Bus. L. J.
180.
J.H. JACKSON, W.J. DAVEY et A.O. SYKES, op. cit., supra note 1157, p. 281.
Voir
Programme,
http://www.wto.org/french/tratop_f/dda_f/dda_f.htm
(consulté le 28 mai 2010).
consacrée
Web
page
ce
la
à
en
ligne :

Page 473
447
progression fut de 400 % entre 1985 et 1995 1160. De plus, un certain nombre d’autres
facteurs sont à prendre en considération. Ainsi, l’émergence d’espaces politiques ou
économiques régionaux, dont l’Union Européenne et celui résultant de l’Accord de libre-
échange nord-américain (« ALÉNA ») en sont les plus brillants exemples, confirme cette
tendance, alors qu’entre 1987 et 1994, la création de plus de 108 accords économiques
régionaux fut signifiée au secrétariat du GATT.
Cette
tendance a favorisé
l’accroissement du volume du commerce des marchandises à tel point que, comme on le
sait, ce commerce a cru plus vite que le niveau de production 1161.
La signature de l’Accord de libre-échange Canado-américain, en 1988, la fin de la guerre
froide, en 1989 avec la chute du Mur de Berlin, l’accession du Canada à l’OÉA en 1990,
la conclusion de l’ALÉNA en 1994, la signature des accords de Marrakech nous ayant
donné le système GATT-OMC de 1994, tous ces mouvements convergent vers des
relations économiques mondiales profondément modifiées 1162.
Ce qui nous intéresse davantage, à ce stade-ci, ce sont les institutions financières
internationales, à savoir le FMI et la Banque mondiale 1163, dont les rôles diffèrent mais
1160
1161
1162
1163
Voir : « Le commerce mondial en 1994 et les perspectives pour 1995 et 1996 », dans OMC, Le
commerce international, tendances et statistiques, 1995
, à la p. 23 : « Les flux d’investissement
étranger direct (IED) ont dépassé 220 milliards de dollars en 1994, contre une moyenne de 57
milliards par an pendant la période 1981-1985
».
Ibid., p. 1.
Voir, entre autres, Raymond LANDRY, « L’élargissement des marchés et l’harmonisation du
droit », dans
Ordres juridiques et espaces marchands / The Legal Order and The Realm of
Commerce,
Collection Bleue, Montréal, Wilson & Lafleur, 1998, 123.
Bien qu’il existe une pléiade d’autres institutions financières internationales, régionales et
nationales, dont le Programme des Nations Unies pour le développement international (PNUD), la
Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), la Banque
Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), la Banque Interaméricaine de
Développement, assurant le financement du développement en Amérique latine et dans les
Caraïbes, l’Asian Development Bank, faisant de même en Asie, la Banque Africaine de
limiter notre discussions aux deux principales institutions
Développement, nous allons

Page 474
448
demeurent néanmoins complémentaires, telles les faces opposées d’une même médaille.
Nous ne traiterons pas spécifiquement de l’OMC, car « […] [elle] se différencie
nettement des deux autres institutions. Elle ne fixe pas de règles : elle offre un forum au
sein duquel les négociations commerciales se poursuivent, et elle veille au respect des
accords conclus ». 1164
Le FMI a pour mission d’assurer la stabilité économique du monde. Il fut d’abord chargé
d’empêcher une nouvelle dépression à l’échelle mondiale, suite à la Grande Dépression
des années 1930, sur la foi de préceptes économiques élaborés par l’économiste
britannique John Maynard Keynes :
[…] il exercerait une pression internationale sur les pays qui, en laissant stagner leur
économie, n’assuraient pas leur juste part de l’effort de maintien de la demande
globale. Si nécessaire, il fournirait aussi des liquidités, sous forme de prêts, aux pays
qui, confrontés à des difficultés économiques, n’étaient pas en mesure de stimuler la
demande globale par leurs propres moyens.
Dans sa conception initiale, donc, le FMI était fondé sur une constatation première :
on avait compris que les marchés, souvent, ne fonctionnent pas bien – qu’ils peuvent
aboutir au chômage massif et se révéler incapables de procurer aux pays les fonds
nécessaires pour les aider à redresser leur économie. On a créé le FMI parce qu’on
estimait nécessaire une
action collective au niveau mondial pour la stabilité
économique, exactement comme on a créé les Nations Unies parce qu’on jugeait
indispensable une action collective au niveau mondial pour la stabilité politique. Le
FMI est une institution
publique, qui fonctionne avec l’argent que versent les
contribuables du monde entier. Il faut s’en souvenir, parce qu’il ne rend de comptes
directement ni aux citoyens qui le financent, ni à ceux dont il change la vie. Il
adresse ses rapports aux ministères des Finances et aux banques centrales des États
du monde. Ceux-ci exercent leur contrôle dans un système de vote fort complexe,
qui reflète essentiellement la puissance économique des divers pays à la fin de la
Seconde Guerre mondiale. Il y a bien eu, depuis, quelques ajustements mineurs,
mais les grands pays développés mènent le bal, et un seul, les États-Unis, a un droit
de veto effectif. (Ce qui n’est pas sans rappeler le fonctionnement de l’ONU, où un
susnommées qui, d’une manière ou d’une autre, les chapeautent toutes. Nous discuterons
éventuellement, dans le contexte du cas égyptien que nous étudierons en seconde partie de ce
chapitre, de la U.S. Agency for International Development (USAID) et de l’Agence canadienne de
développement international (ACDI) et, dans le cas congolais, du PNUD. Voir, au sujet de la
similitude des rôles de ces diverses institutions, fondées sur le développement économique et
calquées sur le modèle d’intervention de la Banque mondiale, S. SCHLEMMER-SCHULTE,
loc.
cit., supra note 1111, p. 688-690.
1164
J. E. STIGLITZ, op. cit., supra note 1106, p. 46.

Page 475
449
anachronisme historique détermine qui détient le droit de veto : les puissances
victorieuses de la Seconde Guerre mondiale. Mais à l’ONU, au moins, ce droit est
partagé entre cinq pays).
1165
La Banque mondiale, dont le nom complet est « Banque mondiale pour la reconstruction
et le développement », a pour devise « œuvrer pour un monde sans pauvreté ». Sa
mission se résume de la manière suivante :
La Banque mondiale est une source essentielle d'appui financier et technique pour
l'ensemble des pays en développement. Ce n'est pas une banque au sens ordinaire
du terme. Notre organisation se compose de deux organismes de développement
distincts, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement
(BIRD) et l'Association internationale de développement (IDA), et est sous le
contrôle de ses 185 pays membres. La BIRD et l'IDA contribuent chacune d'une
manière différente mais complémentaire à notre mission, qui est de réduire la
pauvreté et d'améliorer le niveau de vie des populations à travers le monde. La
BIRD s'occupe des pays à revenu intermédiaire et des pays pauvres solvables, alors
que l'IDA se consacre aux pays les plus pauvres de la planète. Par leur
intermédiaire, nous accordons aux pays en développement des prêts à faible intérêt,
des crédits ne portant pas intérêt et des dons dans des domaines très divers —
éducation, santé, infrastructure, communications et autres.
1166
Voilà donc deux institutions, le FMI et la Banque mondiale, aux missions opposées, l’une
vouée au maintien de la stabilité mondiale, l’autre à l’éradication de la pauvreté, l’une
s’occupant des questions macroéconomiques (déficit budgétaire, politique monétaire,
inflation, déficit commercial, dette extérieure), l’autre des questions microéconomiques
(financement de projets, de routes ou de barrages). Seule la Banque mondiale s’occupe
de l’élimination de la pauvreté et donc, dans une certaine mesure, du développement
économique. Certains ont vivement critiqué les actions du FMI et de la Banque
mondiale, soulignant que les deux institutions se sont éloignées, au fil des ans, de leurs
missions premières. Le « consensus de Washington » des années 1980, qui préconisait
1165
1166
Ibid., p. 41-42.
le
site
Voir
ligne :
la
http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/EXTABTUSFRENCH/0,,cont
entMDK:20146544~pagePK:64093409~piPK:64093441~theSitePK:328614,00.html, (consulté le
26 juin 2008).
mondiale,
Banque
Web
en
de

Page 476
450
essentiellement la libéralisation immédiate des marchés, sans transition et sans nuance
comme unique recette du développement, aurait plutôt contribué à l’accroissement de la
pauvreté dans nombre de pays du monde 1167. Cette libéralisation des marchés consiste
notamment en une diminution du rôle de l’État, en la privatisation des services qu’il
assure habituellement et, dans sa forme la plus extrême, au laisser-faire 1168. L’idéal
1167
1168
Il faudrait cependant nuancer cette affirmation. Alors que, selon la Banque mondiale, « [l]a
pauvreté est souvent définie comme un niveau de vie inférieur à un seuil de revenu minimum : par
exemple, 1 dollar par jour et par personne, […] être pauvre, c’est aussi ne pas pouvoir se
nourrir, se loger, se soigner et s’instruire comme il faut, ou peser sur les décisions qui influencent
l’existence. Sur les 6 milliards d’habitants que compte notre planète, 3 milliards vivent dans des
pays en développement, dans des conditions correspondant à ces définitions de la pauvreté. [Il y
a néanmoins des raisons d’espérer, car] le nombre de personnes ayant moins de 1 dollar par jour
pour vivre a baissé, alors même que la population mondiale augmentait de 1,6 milliard au cours
des 20 dernières années. Durant la dernière décennie, les pays en développement ont connu une
croissance économique supérieure à celle des pays développés
». Voir : « Quelques chiffres sur la
pauvreté », en ligne :
http://go.worldbank.org/72WS0O27Y0 (consulté le 28 juin 2008). Voir
aussi, au sujet de la croissance économique supérieure des pays en voie de développement, les
commentaires d’une économiste à l’Institut économique de Montréal et ancienne vice-présidente
et économiste en chef de la Banque Nationale du Canada (1996-2002), Dominique VACHON,
« Le temps presse »,
La Presse [de Montréal], mardi 17 juin 2008 (A24) : « Contrairement à ces
pays [émergents, le Québec] a fait bien peu ces dernières années pour améliorer sa compétitivité.
La contribution des pays avancés à la croissance (54% du PIB mondial) est en perte de vitesse
derrière celle des pays émergents et en développement (déjà 46 % du PIB mondial). Selon le FMI,
la croissance économique des pays avancés sera d’au plus 1 % au cours des deux prochaines
années, tandis que celle des pays émergents avoisinera les 7 %. Plusieurs pays avancés, dont
nous faisons partie, sont devenus sclérosés à force de vouloir préserver de supposés acquis.
Pendant ce temps, la dynamique de la majorité des pays émergents et en développement va bien
au-delà du simple rattrapage économique. Il repose en grande partie sur l’implantation de
réformes structurelles majeures, et ce, en moins d’une décennie. Citons notamment une
libéralisation commerciale et financière quasi complète, une baisse considérable des emprunts
publics et une vague de privatisations réussie, lorsqu’accompagnée d’un renforcement vigoureux
du cadre institutionnel et réglementaire. Ces réformes, sans prétendre qu’elles soient homogènes
et parfaites pour l’ensemble de ces pays, ont permis un apport massif d’investissements directs
étrangers, la réalisation de gains de productivité importants et dorénavant, un secteur des
exportations à haute valeur ajoutée et ultracompétitif
». Ce qui ne signifie pas nécessairement que
le niveau de vie des populations de ces pays émergents ait augmenté, d’où la critique virulente qui
reproche à une certaine minorité, provenant des pays riches, de s’enrichir aux dépens des autres.
Voir : J. E. STIGLITZ,
op. cit., supra note 1106.
Avec les crises récentes, dont la dernière en titre étant celle des papiers commerciaux adossés à
des actifs, on semble redécouvrir les vertus de la réglementation étatique, visant dans ce cas à faire
en sorte que les organismes de cotation de crédit ne soient plus laissés à l’autoréglementation mais
fassent bien l’objet d’un contrôle public plus sévère. Retour du balancier ? Voir, à ce sujet :
Claire GATINOIS et Anne MICHEL, « Crise financière : l’Europe redécouvre les vertus de la
réglementation »,
Le Devoir [de Montréal], le lundi 14 juillet 2008 (A5) (extrait du journal Le
Monde
); LE MONDE et AGENCE FRANCE-PRESSE, « Le Royaume-Uni est menacé par
l’effondrement de l’immobilier commercial », Le Devoir [de Montréal], le lundi 14 juillet 2008
(A5); au sujet des soubresauts dont souffrent actuellement, aux États-Unis, deux grands

Page 477
451
initial de l’économiste Keynes allait plutôt en direction opposée, dit-on, Keynes
proposant au contraire une stratégie expansionniste visant à stimuler l’économie dans les
pays aux prises avec des difficultés socio-économiques, les prêts du FMI à de tels États
devant servir à cette fin, soit par une augmentation des dépenses publiques, soit par des
réductions d’impôts aux particuliers, soit par des baisses de taux d’intérêt. Or, l’attitude
découlant du « consensus de Washington » aurait plutôt fait en sorte que le FMI favorise
des stratégies défensives impliquant réduction des déficits, hausse des impôts ou hausse
des taux d’intérêts. Les prêts du FMI sont donc assortis de conditions favorisant de telles
mesures qui doivent être rencontrées par les pays débiteurs. Les champs d’intervention
du FMI et de la Banque se sont progressivement élargis, la Banque mondiale ne se
limitant plus, à partir des années 1980, au seul financement de projets, mais octroyant un
soutien financier général sous forme de prêts à l’ajustement structurel, visant à régler des
problèmes de cette nature, dont les dépenses de l’État, les institutions, financières ou
autres, le marché du travail, les politiques commerciales 1169. Ces prêts sont assujettis à
1169
organismes de refinancement hypothécaire, le Federal National Mortgage Association (Fannie
May) et le
Federal Home Loan Mortgage Corporation (Freddie Mac), voir : Éric DESROSIERS,
« Fannie et Freddie »,
Le Devoir [de Montréal], le lundi 14 juillet 2008 (A5); David FRUM,
« The demise of Fannie and Freddie »,
National Post [de Toronto], le samedi 12 juillet 2008
(A14). Sur les tenants et aboutissants des récents scandales financiers au Québec, lire :
A. LEDUC,
op. cit., supra note 560.
en
On explique l’historique et l’évolution de la mission de la Banque mondiale sur le site Web de
ligne :
l’organisme,
http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/EXTABTUSFRENCH/0,,cont
entMDK:20862984~menuPK:2448946~pagePK:64094163~piPK:64094165~theSitePK:328614,0
0.html (consulté le 27 juin 2008) : «
La Banque mondiale était une seule et même institution à sa
création, en 1944. Aujourd'hui, c'est un groupe composé de cinq organismes de développement
étroitement liés entre eux. Notre mission a elle aussi évolué : initialement chargée de soutenir le
processus de reconstruction et de développement d'après-guerre (d'où son nom), la Banque
internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a désormais pour mandat de
réduire la pauvreté dans le monde au côté de son institution affiliée, l'Association internationale
de développement. Notre personnel était autrefois homogène, composé surtout d'ingénieurs et
d'analystes financiers basés uniquement à Washington. Aujourd'hui, nous avons un personnel
pluridisciplinaire et diversifié, qui comprend aussi bien des économistes que des spécialistes des
politiques publiques, ou encore des experts dans des domaines donnés tels que les sciences

Page 478
452
l’approbation du FMI 1170 qui, de son côté, se sent investie de tous les pouvoirs, puisque
tout est de nature à présenter un impact sur l’économie.
Nous ne nous attarderons pas davantage sur les rôles respectifs de ces deux institutions, ni
sur les ratés ou succès qu’elles ont pu connaître, renvoyant aux analystes qui se sont
penchés sur ces questions 1171. Ce qui nous intéresse, dans ce contexte, c’est le rôle de la
Banque mondiale dans les réformes structurelles qu’elle pilote dans les pays en voie de
développement, particulièrement la réforme du droit.
2.2
le rôle de la Banque mondiale et les réformes pilotées dans
les pays en voie de développement
Le rôle de la Banque mondiale, constituée dans l’après-guerre afin d’aider à la
reconstruction des pays dévastés d’Europe ou d’ailleurs, fut conçu de plus large manière
sociales, et qui est basé pour 30 % dans nos représentations à l'étranger. La reconstruction reste
un axe important de notre action, étant donné les besoins qui se posent dans les pays en
développement et en transition qui cherchent à se rétablir à la suite de catastrophes naturelles ou
de conflits. Mais notre portefeuille de projets s'est élargi pour inclure des aspects tels que l'octroi
de prêts dans les secteurs sociaux, la lutte contre la pauvreté, l'allégement de la dette ou la bonne
gouvernance. Aujourd'hui, la réduction de la pauvreté est devenue ce sur quoi nous concentrons
nos efforts et l'objectif qui domine l'ensemble de notre action.
[Notre soulignement] ». Comme
nous le verrons, c’est sous l’angle de la « bonne gouvernance » que la Banque mondiale conçoit
son mandat lui permettant d’intervenir dans le domaine de la réforme des institutions et
infrastructures permettant de renforcer l’État de droit. Voir : J. CHEVALLIER,
op. cit., supra
note 1063, p. 12.
R. SARKAR, op. cit., supra note 1073, p. 72.
Voir, de façon générale, J. E. STIGLITZ, op. cit., supra note 1106, en particulier aux p. 39-45,47-
56, 57-60, 84-94, 314-315. Contra : Kenneth ROGOFF, An Open Letter to Joseph Stiglitz (2
juillet 2002),
international :
www.imf.org/external/np/vc/2002/070202.htm (consulté le 18 juillet 2008); Kaushik BASU,
« Globalization and Politics of International Finance: The Stiglitz Verdict », (2003) 41:2 J. of
Econ. Lit.
885.
site Web du Fonds monétaire
ligne
sur
en
le
1170
1171

Page 479
au fil du temps. Ses objectifs principaux sont énoncés à l’Article I de ses statuts
453
constitutifs 1172:
ARTICLE I
Objectifs
La Banque a pour objectifs:
(i) D'aider à la reconstruction et au développement des territoires des États
membres, en facilitant l'investissement de capitaux consacrés à des fins productives,
- y compris la restauration des économies détruites ou disloquées par la guerre, la
réadaptation des moyens de production aux besoins du temps de paix et
l'encouragement au développement des ressources et moyens de production des pays
les moins avancés.
(ii) De promouvoir les investissements privés à l'étranger au moyen de garanties ou
de participations aux prêts et autres investissements effectués par les fournisseurs
privés de capitaux; et, à défaut de capitaux privés disponibles à des conditions
raisonnables, de compléter l'investissement privé sous des modalités appropriées et
en fournissant à des fins productives des moyens financiers tirés de son propre
capital, des fonds qu'elle s'est procurés et de ses autres ressources.
(iii) De promouvoir l'harmonieuse expansion, sur une longue période, des échanges
internationaux et l'équilibre des balances des payements, en encourageant les
investissements
internationaux consacrés au développement des ressources
productives des États membres, contribuant par là à relever, sur leurs territoires, la
productivité, le niveau d'existence et la situation des travailleurs.
(iv) De combiner les prêts accordés ou garantis par elle avec les prêts internationaux
d'autre provenance, en donnant la priorité aux projets les plus utiles et les plus
urgents, quelle qu'en soit l'envergure.
(v) De conduire ses opérations en tenant dûment compte des répercussions
économiques des investissements internationaux dans les territoires des États
membres et de faciliter, pendant les premières années de l'après-guerre, une
transition sans heurts de l'économie de guerre à l'économie de paix.
Dans toutes ses décisions, la Banque s'inspirera des objectifs énoncés ci-dessus.
De ces objectifs, la Banque mondiale a certes un vaste éventail de domaines
d’interventions, mais il n’est pas sans limite. Il s’agit pour elle d’aider à la reconstruction
et au développement de ses pays membres en octroyant des financements à des fins
1172
Voir : Statuts de la BIRD, Article 1, en ligne : http://go.worldbank.org/61OZ45BOS0 (consulté le
28
ligne :
Les Statuts dans
http://go.worldbank.org/JIWS9BA2W0
(consulté le 28 juin 2008).
sont disponibles en
leur ensemble
juin 2008).

Page 480
454
productives. Elle peut donc, dans l’atteinte de cet objectif principal, financer des projets
de réformes spécifiques. Ainsi, considérant que la « bonne gouvernance » est cardinale à
la promotion du développement équitable et qu’il s’agit d’un complément essentiel à
l’implantation de politiques économiques viables, la Banque mondiale considère
officiellement, depuis 1990, que l’infrastructure juridique relève de cette bonne
gouvernance. Bien que, de l’avis juridique de l’ancien vice-président senior et chef du
contentieux de la Banque mondiale, Ibrahim F.I. Shihata 1173, le mandat de la Banque
mondiale puisse être interprété en ce sens, c’est-à-dire comme autorisant le soutien de la
Banque aux projets de réformes de l’administration publique, du régime juridique et du
système judiciaire des pays emprunteurs, cela doit néanmoins se faire à l’intérieur de
balises précises 1174 qui ne permettraient pas à la Banque de s’ingérer dans les affaires
1173
La contribution de ce juriste d’origine égyptienne au droit du développement et de la finance
internationale a été soulignée et reconnue, notamment, dans S. SCHLEMMER-SCHULTE et
K.Y. TUNG,
op. cit., supra note 1111. Il fut vice-président senior et chef du contentieux de la
Banque mondiale de 1983 à 2000. Il est donc considéré comme étant celui qui fit prendre à la
Banque mondiale ce virage vers le soutien et l’assistance à la réforme du droit et des institutions
juridiques dans le cadre de l’aide déployée aux pays en voie de développement. «
He had major
impact on the institutions he served, and many saw him as personifying the “rule of law” in the
world of international finance and development institutions
», nous indique Sabine Schlemer-
Schulte dans le « Post-Script » de cet ouvrage, p. xxi. De même, dans la préface qu’il signe à cet
hommage collectif, le Président d’alors de la Banque mondiale, James D. Wolfensohn, s’exprime
comme suit, p. xi : «
During his tenure as General Counsel of the Bank, he was actively involved
in Bank policy discussion and formulation. He issued a series of detailed legal opinions. Based
on these opinions, the Bank was able to respond to a host of development needs not envisaged in
the Bank’s Articles of Agreement but, as times changed, put on the Bank’s agenda by my
predecessors and myself. All his opinions were endorsed by the Bank’s Board of Executive
Directors, which has the authority to interpret the Bank’s Articles. It was Ibrahim Shihata’s
integrity and objectivity that made his advice successful and convincing to the decision-makers in
our institution
».
1174
Voir : Ibrahim F.I. SHIHATA, Complementary reform : Essays on Legal, Judicial and Other
Institutional Reforms Supported by the World Bank
, The Hague, Kluwer Law International, 1997,
p. 13-15, 75-76, 84, l’avis juridique ayant été donné en 1990, ce qui explique que ce champ
d’intervention élargi de la Banque mondiale soit relativement récent.

Page 481
politiques d’un pays ni d’en être tributaire 1175. Ibrahim F.I. Shihata s’exprime comme
suit à ce sujet :
455
Supporting legal and judicial reforms is not mentioned as such in the Bank’s charter.
But, as already mentioned, experience has shown that such reform cannot be
ignored in the processes of economic adjustment and development. The Bank’s
experience has confirmed that successful implementation of fundamental policy
changes in the business environment and in the financial sector would normally
require fundamental changes in the overall legal and institutional framework. The
Bank’s borrowers have thus been encouraged to address deficiencies in their legal
systems which hamper the development process, such as the inappropriateness of
laws (in terms of their failure to support the required policy changes and to
introduce realistic incentives and remedies), ignorance of their content, uncertainty
in their application, weak enforcement, arbitrariness in the exercise of discretionary
power, inefficient court administration and slow and complex procedures.
1176
Cette conception de la bonne gouvernance et du droit est éminemment pratique et se
rapproche de la conception plus substantielle de la règle de droit. L’évolution du mandat
de la Banque mondiale découle de l’histoire récente et, aussi, de son expérience pratique
acquise sur le terrain au fil des années, notamment lors de la transition des pays
communistes à l’économie de marché à la fin des années 1980. Depuis lors, la Banque
mondiale est convaincue de la nécessité de l’État de droit et d’institutions administratives
et judiciaires de bonne tenue comme fondements au développement économique. En
découleront l’éradication de la corruption et du crime organisé, l’instauration d’un climat
1175
Voir la Section 10 de l’Article IV, « Opérations – Interdiction de toute activité politique », des
Statuts de la BIRD, en ligne : http://go.worldbank.org/TZUDLBGGC0 (consulté le 28 juin 2008) :
« La Banque et ses dirigeants n'interviendront pas dans les affaires politiques
d'un État membre quelconque, ni ne se laisseront influencer dans leurs décisions
par l'orientation politique de l'État membre (ou les États membres) en cause.
Leurs décisions seront
fondées exclusivement sur des considérations
économiques, et ces considérations seront impartialement pesées afin d'atteindre
les objectifs énoncés à l'article I. »
Voir aussi : R. SARKAR, op. cit., supra note 1073, p. 47-48. Cette contrainte est toutefois
difficile d’application, car la réforme du droit n’est-elle pas, au niveau des valeurs qui la sous-
tendent, essentiellement politique ? C’est ce que reconnaît Stephen J. TOOPE, « Legal and
Judicial Reform through Development Assistance : Some Lessons », (2003) 48 R.D. McGill 357,
366 : «
Because of justice reform’s potential but mainly unspecified downstream effects, one
cannot treat legal and judicial reform initiatives as politically or socially neutral ».
1176
I. F.I. SHIHATA, op. cit., supra note 1174, p.15.


Page 482
456
favorable à l’investissement direct étranger et, enfin, une meilleure protection de
l’environnement 1177.
Inspirées de la notion de « bonne gouvernance » 1178, les réformes qui sont soutenues par
la Banque mondiale visent quatre grands axes 1179: la consolidation des institutions et du
service publics 1180, la mise en place des infrastructures juridiques et judiciaires propres à
1177
1178
1179
1180
Ibid., p. 4-6. Voir aussi: S. SCHLEMMER-SCHULTE, loc. cit., supra note 1111, p. 690-695. Le
thème de la « bonne gouvernance » fut identifié par la Banque mondiale aux termes d’études
diverses afin d’affiner sa stratégie d’aide aux pays en voie de développement à la fin des années
1980. La plus importante étude réalisée à ce chapitre en serait une traitant de la situation en
Afrique sub-saharienne où, à l’instar de nombreuses autres régions du globe, les situations
socioéconomique et politique n’ont cessé de se détériorer malgré les nombreux efforts déployés
depuis les années soixante jusque dans la décennie des années quatre-vingt. Peu importent les
mesures d’aides proposées, la situation ne risque guère de s’améliorer, soutient-on, si la
gouvernance de ces pays n’est pas profondément transformée et améliorée. Cette gouvernance
implique une fonction publique efficace, un système judiciaire fiable et une administration
publique imputable, toutes ces sphères étant, bien sûr, soutenues par la règle de droit. S’il faut en
croire l’un des anciens économistes de la Banque mondiale, la situation ne s’est pas vraiment
améliorée depuis en Afrique. Voir : Robert CALDERISI,
L’Afrique peut-elle s’en sortir ?
Pourquoi l’aide publique ne marche pas
, Montréal, Éditions Fides, 2006.
Voir, au sujet de cette notion, I. F.I. SHIHATA, op. cit., supra note 1174, p. 6: « The sum of these
experiences has in recent years increased the focus of leading development institutions on the role
of law in economic development. It is now commonly recognized that rapid growth requires a
number of conditions that are not always of a strict economic or financial character. Relevant
factors include redefining the role of the state and the nature and limits of its intervention,
achieving “good governance”, improving the performance of the public sector, supporting civil
society, developing an appropriate environment for the growth of the private sector as well as
emphasizing shared values and influencing individual and group behaviors in a manner
conductive to economic and social development. These factors can hardly be defined, let alone
implemented and sustained, in a society regulated by an inadequate or obsolete legal system or
deprived of well-functioning institutions for the administration of applicable rules and the
settlement of disputes arising in their application ».
Au sujet des priorités de la Banque mondiale en matière de gouvernance, voir le rapport d’activités
consacré à ce sujet pour les premières initiatives du début des années 1990. BANQUE
ligne:
MONDIALE,
Governance, Washington DC, Banque mondiale, 1994,
http://go.worldbank.org/SJ20NA1VR0 (consulté le 18 juillet 2008).
en
Nous ne discuterons pas ici dans les détails de cette question cruciale pour le développement
économique d’un pays, mais l’aborderons néanmoins de manière ancillaire dans nos études de cas
égyptien et congolais. Notons toutefois, à ce stade-ci, que la problématique de la fonction
publique, complexe, se résume comme suit : réglementation excessive, surnombre des
fonctionnaires, dépassements de coûts et très bas salaires. Nombre de pays en voie de
développement sont ainsi dotés de fonctions publiques très imposantes et inefficaces, la fonction
publique étant perçue comme l’employeur de dernier ressort, chargée d’accueillir toutes les
cohortes de nouveaux diplômés formés dans les universités du pays, dans des régions aux prises
avec des taux de chômage importants. S’ajoutent à cela une culture bureaucratique et la
favorisation du principe de l’ancienneté plutôt que la méritocratie et, enfin, des infrastructures

Page 483
457
encourager les affaires, à protéger les droits individuels et de propriété, à assurer le
respect des contrats, le développement des systèmes financiers et, enfin, la lutte contre la
corruption 1181.
Les réformes visent donc à établir un climat qui soit sain et propice au développement des
- Plus de références et documents sur Legaly Docsaffaires, susceptible d’attirer les investissements, de développer le secteur privé et
d’engendrer la prospérité. Ces réformes doivent, en autant que possible, être imbriquées
les unes aux autres, car le succès de l’une dépend de celui des autres et vice-versa 1182.
1181
1182
inadéquates (vieux édifices, supports techniques déficients, etc.). La réforme de l’administration
publique s’inscrit dans la redéfinition, plus vaste, du rôle de l’État, et vise à la rendre plus efficace,
moins lourde, mieux apte à assurer les fonctions du gouvernement et à déployer l’environnement
nécessaire au bon fonctionnement de la société civile et de l’économie. Voir, à ce sujet,
I. F.I. SHIHATA,
op. cit., supra note 1174, pp. 119-138, dont le cinquième chapitre s’intitule
« Some Aspects of Civil Service Reforms ».
C’est ainsi que ces axes sont énoncés sur le site Web de la Banque mondiale, en ligne :
http://go.worldbank.org/DUGF6QZYF0
(consulté le 28 juin 2008). Voir également, en ce qui a
trait au financement des infrastructures, au développement des services financiers et, enfin, à la
lutte contre la corruption, I. F.I. SHIHATA,
op. cit., supra note 1174, p. 139-165, 167-202 et 203-
238, constituant les chapitres 6, 7 et 8 de cet ouvrage, respectivement intitulés « Institutional
Aspects of the Financing of Infrastructure », « Some Recent Trends In Banking Law » et
« Corruption – A General Review With an Emphasis on the World Bank ». Nous ne traiterons pas
spécifiquement de ces aspects de la réforme dans le cadre de la présente étude.
I. F.I. SHIHATA, op. cit., supra note 1174, p. 23 et 90: « Obviously, such a comprehensive
approach does not mean that all reform measures have to be introduced simultaneously. It is
more practical to identify the areas of reform and put in place a schedule of implementation where
the sequencing depends on the order of priority among legal reform measures and the pace of the
reforms being introduced in other fields. Generally, reform of the rules and processes may
precede that of the institutions in charge of their application provided the reform of these
institutions does not lag behind for a long period. Among the different rules, gradualism in
introducing reforms must also be based on rational choices. Examples of countries in Eastern
Europe issuing a bankruptcy law prior to enacting a company law or issuing regulations for a
certain sector before the enabling legislation was in place have not been uncommon. This
emphasizes the importance of including legal reform in the broad sense in the country’s
development strategy. […] In this context, judicial reform is seen as a critical element of the
implementation of any comprehensive reform in a given country and an essential factor in
strengthening the rule of law and the role of the state as its guarantor. In this sense, judicial
reform is an integral part of institutional development. It should, for this reason, go hand in hand
with legal, regulatory and administrative reforms. Each of these types of reforms depends for its
success or failure on the other
[références omises] ».

Page 484
458
Divers types d’aides, financières ou autres, directes ou indirectes, sont de la sorte mis à la
disposition des pays en voie de développement. Mentionnons les prêts à l’ajustement
(i.e. adjustment loans), les prêts à l’investissement (i.e. investment loans), les fonds
investis ou prêtés par la Banque afin de favoriser le développement institutionnel (i.e.
institutional development grants ou institution or capacity building loans) et les études de
terrain préparatoires (i.e. diagnostic studies ou in-depth field studies) à tout travail de
réformes visant à en évaluer la nécessité et l’ampleur 1183. On parle aussi de « Learning
and Innovation Loans » et aussi d’« Adaptable Program Loans », ces prêts visant à faire
preuve de souplesse et de flexibilité dans leur administration afin de considérer les
réformes envisagées comme évolutives et modulables au gré de l’avancement des
travaux. 1184
En ce qui a trait aux prêts à l’ajustement, il s’agirait de la source de financement la plus
répandue qui serve à la réforme juridique, judiciaire ou institutionnelle. Elle est soit
structurelle, soit sectorielle; elle sert soit à financer directement les réformes projetées,
soit à financer plutôt la balance des payements du pays emprunteur, le prêt étant dans ce
cas assujetti au respect de conditions quant à l’implantation des réformes anticipées.
Enfin, il s’agit habituellement d’une aide visant des projets à plus court terme : dans le
cas de la réforme judiciaire, ils peuvent financer la préparation d’études concernant le
fonctionnement du système judiciaire, indiquant les réformes et les étapes à considérer,
1183
1184
Ibid., p. 91.
Cela, bien sûr, visant à s’assurer de l’appropriation de la réforme et de son échéancier par le pays
destinataire et, partant, d’en améliorer les chances de succès. Voir: S. SCHLEMMER-SCHULTE,
loc. cit., supra note 1111, p. 699, note 54.

Page 485
459
voire les réformes elles-mêmes, passant de la rédaction de nouvelles lois à l’organisation
ou à l’établissement de nouveaux tribunaux. 1185
Lorsque la réforme est envisagée à plus long terme, on a plutôt recours aux prêts à
l’investissement. Ces prêts ont par exemple servi à financer des projets visant
l’amélioration et la création d’un régime de crédit foncier, comprenant la révision du
cadastre, l’établissement d’un système de publicité des droits et la création d’un régime
hypothécaire; d’autres projets incluent, notamment, la révision de la législation et de
l’infrastructure en matière de transports, la révision de la législation en matière de droit
des affaires et des technologies, etc. 1186
L’aide au développement institutionnel comprend des projets de publication et de
diffusion du droit et de la jurisprudence, des programme de formation des juges et des
avocats, la rédaction de lois commerciales, le développement des infrastructures légales
et réglementaires dans le domaine de la santé, dans celui des valeurs mobilières, dans le
secteur financier ou dans celui de l’octroi des contrats gouvernementaux à des firmes
privées pour l’acquisition de biens ou de services (i.e. procurement), etc. 1187
Les études de terrain s’avèrent de première importance afin de poser un diagnostic de la
situation d’un système juridique et de ses institutions, qu’il s’agisse du système pris dans
son ensemble ou en partie, selon des domaines plus précis du droit. Elles sont souvent
1185
1186
1187
I. F.I. SHIHATA, op. cit., supra note 1174, p. 19, 91.
Ibid., p. 18-19, 91-92.
Ibid., p.16-18, 91-92.

Page 486
460
financées directement par la Banque mondiale sans que le pays bénéficiaire n’ait à en
faire les frais. 1188
Dans ce contexte, la Banque mondiale joue souvent un rôle de coordination entre tous les
donateurs ou prêteurs qui apportent de l’aide financière au pays en voie de
développement, de manière directe ou indirecte. L’exemple d’autres institutions
financières internationales ou régionales, ou encore celui d’agences gouvernementales de
pays donateurs, comme USAID ou l’ACDI, est cité 1189. En effet, la multiplicité des
sources de financement peut s’avérer problématique :
The multitude of funding sources has not always been a blessing. It has resulted in
some instances in bizarre situations in which laws drafted with the assistance of
different donors for the same country contain inconsistent legal concepts and terms.
A country may receive different pieces of legislation, such as a civil code, or a
commercial code, based on very different foreign legal systems depending on the
source of funding of the outside experts who prepared them. While, separately,
each piece of legislation may be valuable, together they may lack coherence and
logic. They may overlap and they may fail to address key issues. The need for
coordination among donors in this field is therefore particularly important. While
such coordination may best be accomplished by the recipient country, this is not
always possible. The presence of a multilateral source of assistance [such as the
World Bank] can fill the vacuum.
1190
Par ce rôle de coordination, on tente d’éviter les duplications en plus d’assurer cohérence
et continuité aux projets de réformes entrepris, sans toutefois y parvenir dans tous les cas,
comme nous le verrons avec l’exemple congolais.
Ainsi, les sphères d’intervention de la Banque mondiale dans le contexte de la réforme du
droit et de ses institutions sont multiples. Elles comportent la dissémination et la
diffusion des lois, règlements et décisions judiciaires au sein de la communauté juridique
1188
1189
1190
Ibid., p. 15-16, 92.
Ibid., p. 19, 26 et 92 (note 10).
Ibid., p. 28-29.

Page 487
461
et de la population, l’amélioration des mécanismes de recouvrement pour les créanciers,
la réforme judiciaire proprement dite (c’est-à-dire l’administration de la justice dans
toutes ses ramifications), la création de lois favorables à l’investissement direct étranger
et, enfin, la coordination de ces divers champs d’action. 1191
Enfin, la clef du succès de ces réformes dépend largement de leur appropriation par les
pays destinataires, de ses gouvernants, juristes, légistes, gens d’affaire, citoyens, ONG et
autres représentants de la société civile 1192. La Banque mondiale est consciente que l’on
ne puisse bêtement transplanter des solutions juridiques provenant d’autres pays, voire
d’autres systèmes ou traditions, sans tenir compte des particularismes propres à la culture
du pays d’accueil. Pour cela, ses usages, coutumes, traditions, doivent être pris en
considération, et la médiation entre le droit formel et les usages et coutumes locales
doivent bien s’intégrer. Des études préparatoires à tous les niveaux, incluant des études
sociologiques, s’avèrent indispensables. De même, les diverses lois modèles émanant
d’organisations internationales de la réforme du droit, d’UNIDROIT ou de la CNUDCI,
peuvent par exemple être prises comme points de départs, mais doivent être adaptées en
fonction des réalités sociopolitiques du pays destinataire. On aura présents à l’esprit tous
ces critères lors du choix des consultants ou experts étrangers à qui l’on confiera le soin
1191
1192
Ibid., p. 20-22.
Ce qui semble de plus en plus reconnu. Voir : S. SCHLEMMER-SCHULTE, loc. cit., supra note
1111, p. 708. Déjà, en 1998, les ONG étaient impliquées dans plus de la moitié des projets
financés par la Banque mondiale. Voir, par ailleurs, Gary GOODPASTER, « Law Reform in
Developing Countries », (2003) 13
Transnat’l L. & Contemp. Probs. 659, 662, 679-682, 690;
Katharina PISTOR, « Launching a Global Rule of Law Movement : Next Steps », (2007) 25
Berkeley J. Int’l Law 100, 103-104; Daniel BERKOVITZ, Katharina PISTOR et Jean-
François RICHARD, « The Transplant Effect », (2003) 51
Am. J. Comp. L. 163.

Page 488
462
de piloter les réformes, d’y impliquer des experts locaux lorsque cela s’avère possible,
quand elles ne sont pas effectuées directement par le pays destinataire de l’aide 1193.
Cet examen du mandat de la Banque mondiale dans le contexte des projets visant la
« bonne gouvernance » 1194 des pays en voie de développement étant complété, attardons-
nous maintenant à sa philosophie quant à la réforme du droit.
2.3
la philosophie de la Banque mondiale quant à la réforme du
droit
De ce qui précède, on peut être tenté d’affirmer que la conception de l’État de droit, par la
Banque mondiale, s’inscrit on ne peut plus dans l’approche traditionnelle occidentale de
la notion. C’est en effet, à première vue, cette approche qu’elle tente d’implanter dans les
pays qui sollicitent son aide. Bien qu’elle affirme tenir compte des éléments propres à
chaque culture d’accueil, c’est néanmoins le paradigme universaliste du droit, le monisme
juridique, l’État dans ses rouages et la protection des droits fondamentaux et des intérêts
individuels contre celui-ci, qui est promulgué et diffusé à l’échelle planétaire. C’est
désormais, depuis bientôt une vingtaine d’années, l’un des piliers de sa stratégie de
développement et, bien sûr, comme elle exerce un leadership certain en ce domaine, il est
suivi et imité par nombre d’autres acteurs du développement international. Comment
pourrait-il en être autrement, alors que la Banque mondiale, de par ses origines et ses
statuts constitutifs, est au service de ses pays membres, incidemment des États, et qu’elle
déploie son activité dans cette société interétatique, qui en constitue le fondement, main
dans la main avec le FMI et l’ONU ?
1193
1194
I. F.I. SHIHATA, op. cit., supra note 1174, p. 24-26.
Pour d’autres exemples de projets financés par la Banque mondiale, voir : S. SCHLEMMER-
SCHULTE,
loc. cit., supra note 1111, p. 700-704.

Page 489
463
Ainsi, Ibrahim F.I. Shihata n’affirme-t-il pas que « [t]here is ample evidence that the
establishment of the rule of law attracts private investment, to the extent that it creates a
climate of stability and predictability, where business risks may be rationally assessed,
property rights protected and contractual obligations honored » 1195. De même, le
principe de l’État de droit, pour les fins des programmes de gouvernance de la Banque
mondiale, est-il envisagé de la manière suivante :
[…] In my book The World Bank in a Changing World, Vol. 1, 85 (1991), Chapter 2
(The World Bank and “Governance” Issues in Its Borrowing Members), I defined the
rule of law, for the purposes of the World Bank’s work on governance issues, as “a
system [which] assumes that: a) there is a set of rules which are known in advance,
b) such rules are actually in force, c) mechanisms exist to ensure the proper
application of the rules and to allow for departure from them as needed according to
established procedures, d) conflicts in the application of rules can be resolved
through binding decisions of an independent judicial or arbitral body, and e) there
are known procedures for amending the rules when they no longer serve their
purpose”. The “rule of law” is considered to be a precondition for establishing a
market economy, a point which has been highlighted for the countries in transition
from command to market economies in particular. Its implementation should,
however, be seen as an ongoing rather than a completed process, very much
dependent on historical and cultural differences.
1196
Cette conception éminemment pratique et au caractère « neutre », soutient-on 1197,
annonce toute la philosophie qui inspire l’action de la Banque mondiale en matière de
réforme du droit, qui est articulée autour de deux axes : la révision des normes
législatives et juridiques, d’une part, leur caractère exécutoire, d’autre part. Le système
juridique, quant à lui, comprend dans cette perspective trois éléments essentiels : des
règles juridiques contraignantes bien formulées, un processus législatif et judiciaire en
1195
1196
1197
I. F.I. SHIHATA, op. cit., supra note 1174, p. 5 [référence omise].
Ibid., p. 5, note 1. Pour un survol des différentes visions de la primauté du droit au sein des
diverses organisations internationales, voir: S. J. TOOPE,
loc. cit., supra note 1175, p. 368-370.
S. SCHLEMMER-SCHULTE, loc. cit., supra note 1111, p. 696: « As will be explained below, the
governance related rule of law aspect in the Bank’s development assistance has been defined for
Bank purposes
in a fairly value neutral way. Where values are embedded in the Bank’s rule of law
notion, they are broad, leaving ample choices for countries without being at risk to lose Bank
support
» [nos non-italiques].

Page 490
464
permettant l’énonciation et l’interprétation et, enfin, des institutions publiques constituées
de gens compétents, capables d’y donner vie. Considéré de la sorte, le droit a pour
fonction d’assurer non seulement la cohésion sociale et la préservation des valeurs d’une
société donnée, mais il peut au surplus se faire le moteur du changement social et du
développement durable. C’est donc l’institution juridique dans sa conception positiviste
classique qui est ainsi au cœur des programmes de la Banque mondiale, qui lui confère
une fonction organisatrice et structurante. 1198
Enfin, la Banque mondiale, tout en se montrant sensible à l’importance d’adapter tout
projet de réforme à la culture du pays destinataire, ne s’inscrit pas moins dans une
tendance unificatrice et universaliste du droit, le développement des pays émergents n’y
échappant pas :
The [legislative and regulatory] reform, which is a precondition for private sector
development, would greatly benefit from comparative experience in other countries
and should keep abreast of developments in legal science and the constant attempts
towards harmonization and unification of law, on the regional and universal levels.
[…]
The Bank’s experience confirms that the family of legal systems to which a country
belongs does not necessarily suggest a specific methodology to be followed in
identifying problems in the administration of justice or in developing solutions to
these problems. Whether the country follows Roman Civil Law traditions,
Common Law, Islamic Shari’a or another legal system, the steps to be followed do
not have to be different.
1199
[Notre soulignement]
Non seulement faut-il tenir compte, en autant que cela soit possible, des efforts
d’harmonisation et d’unification du droit dans le cadre des projets de développement,
1198
1199
I. F.I. SHIHATA, op. cit., supra note 1174, p. 6-7, 9-11, 31-33, 55-59; S. SCHLEMMER-
SCHULTE,
loc. cit., supra note 1111, p. 695-704.
I. F.I. SHIHATA, op. cit., supra note 1174, p. 60 et 94. Cela rejoint la conclusion de
R. SARKAR,
op. cit., supra note 1073, p. 21-22, dont nous avons déjà discuté, supra, note 1131.

Page 491
465
mais en plus la méthode pour y procéder demeure essentiellement la même d’une culture
à l’autre, parce qu’ultimement, la fonction du droit sera identique, quel que soit le
réservoir de concepts sur lequel il repose 1200.
Quoi qu’il en soit, l’approche de la Banque mondiale concernant l’État de droit est plus
complexe et évolutive qu’il n’y paraît à première vue. Assurément pragmatique, elle est
d’abord et avant tout destinée à faire progresser la situation économique du pays
destinataire. Cette conception n’a pas pour objet de directement promouvoir le respect
des droits fondamentaux de l’homme, la Banque ne pourrait être contrainte de ce faire.
Cependant, bien qu’elle soit tenue de respecter certaines décisions du Conseil de sécurité
de l’ONU, la Banque s’est dotée de lignes directrices dans la gestion de son aide
financière, de telle sorte que le respect et la promotion des droits humains puissent à tout
le moins indirectement en bénéficier. Des initiatives visant à endiguer la dette publique
des pays les plus pauvres, d’autres ayant trait à l’éducation, la santé, la nutrition et aux
populations, à la protection de l’environnement, au rôle des femmes dans le
développement, à la situation des peuples autochtones déplacés par certains projets
d’infrastructures financés par la Banque, au travail des enfants, à la libéralisation des
investissements et du commerce, à la réduction des coûts d’ajustement, à la culture et à la
préservation du patrimoine, à la diffusion de l’information et du savoir, à la bonne
gouvernance, sont autant de domaines où la Banque contribue, en rehaussant les
1200
Pour une illustration du rôle de la Banque mondiale et de son influence dans le contexte de
l’harmonisation des lois et de l’émergence de nouvelles normes transnationales, lire Andres RIGO,
« Law Harmonization Resulting from the Policies of International Financial Institutions : The Case
of the World Bank », dans Louis PERRET, Alain-François BISSON et Nicola MARIANI, dir.,
Évolution des systèmes juridiques, bijuridisme et commerce international / The Evolution of Legal
Systems, Bijuralism and International Trade
, Montréal, Wilson & Lafleur, 2002, 337.

Page 492
466
standards dans les pays en voie de développement par les conditions auxquelles son aide
est assujettie, à une meilleure protection des droits fondamentaux 1201.
Mais au-delà de ces initiatives, c’est la méthode de la Banque mondiale qui a
profondément évolué au cours des années 1990 et jusqu’à nos jours dans la gestion de ses
programme d’aides. En cela, dans le cadre d’une politique dialogique avec ses pays
emprunteurs (i.e. policy dialogue with its borrowers), la Banque mondiale a mis sur pied
deux outils, que sont les Country Assistance Strategy (CAS) et Comprehensive
Development Framework (CDF). Ces deux outils servent à établir « sur mesure », de
concert avec les pays emprunteurs, la stratégie de développement qui sera déployée,
l’identification des réformes, l’établissement d’un ordre de priorités et d’un échéancier et,
enfin, la continuelle réévaluation des objectifs au cours de l’évolution des travaux. On
parle donc ici, particulièrement dans le cas des CDF, d’une approche « holistique » au
développement, car les divers secteurs de réformes doivent être envisagés comme un
tout 1202. En somme, cette approche particulière au développement et ses voies d’avenir
se résument comme suit :
The Bank’s concept may, in a nutshell, be referred to as including formal (or
content/value-neutral) aspects (i.e. the formal parts of the trio of consistent and
unambiguous rules, similar processes for rule-making, rule-application, and rule-
enforcement, and strong
institutions ensuring rule applications, and rule-
enforcement), and material (or substantive or content/value loaded) aspects (i.e. the
focus on market-friendly, socially considerate, justice oriented, environmentally
sustainable and culturally sensitive rules both in legal, institutional governance
focused reform, and as components of other project-and-non-project lending).
[…] The Bank’s rule of law notion pays special respect to the law as a cultural
phenomenon. It recognizes that law is value-oriented and that values may differ
from country to country and over time […].
1201
1202
S. SCHLEMMER-SCHULTE, loc. cit., supra note 1111, p. 704-716.
Ibid., p. 716-721.

Page 493
467
The Bank promotes the rule of law in its own way. Its notion of the rule of law is
constantly evolving. There is certainly much room for further expansion, be it in the
human rights area or the rules and institution building area. […]
It may be noted that, both from a formal and substantive point of view, the future
evolution of the Bank’s
rule of law notion may actually mean a narrowing down of
concepts as a result of experience with medicines for development so that one may
see a trend of convergence, similar (but not the same) to the one the world could
witness with the modern Western
rule of law models, outlining more systems as
incompatible with it and being more specific in what features and systems it favors,
while maturing as developmental concept.
1203
[Notre soulignement]
L’État de droit, porteur de valeurs, fondement de l’organisation en société. Expérience
évolutive et dont la maturation pourra nous indiquer quelles en sont les limites et si, dans
certains cas, des systèmes s’avèrent tout simplement incompatibles avec les préceptes que
l’on tente d’implanter. Dans cette foulée, notons l’évolution de la Banque mondiale
concernant la conception de la primauté du droit telle que préconisée par le successeur
d’Ibrahim Shihata, Ko-Yung Tung, d’une conception légaliste ou technique pour passer à
une vision fondée sur les valeurs s’articulant autour de quatre idées: (i) le gouvernement
lui-même est lié par le droit; (ii) chacun est égal devant la loi; (iii) la justice est accessible
à tous; (iv) la dignité de chacun est reconnue et protégée par le droit. Pourquoi cette
évolution ? Parce que les règles et les lois ne sont pas neutres, elles ont leur bagage
culturel et il faut y intégrer la reconnaissance de la dignité humaine. 1204
Après avoir exposé les fondements de l’État de droit et les critiques dont il fait l’objet,
après avoir énoncé les balises du droit du développement et les actions concrètes qui sont
entreprises par les institutions financières internationales à cet égard, principalement sous
1203
1204
Ibid., p. 722-725 (références omises, sauf le texte de la note 120).
Ko-Yung TUNG, « Shaping Globalisation: The Role of Human Rights – Comment on the Grotius
Lecture by Mary Robinson » (2003-2004) 19 Am. U. Int’l L. Rev. 27. Voir aussi: BANQUE
MONDIALE, Vice-présidence juridique,
Initiatives de réforme juridique et judiciaire, document
de travail no LEG-25082 (11 novembre 2004), en ligne: http://go.worldbank.org/6F02998Y02
(consulté le 8 juillet 2008).

Page 494
468
l’égide de la Banque mondiale, tournons maintenant notre regard vers les économistes
afin de conclure cette première partie de chapitre et d’entrevoir les explications à l’État
de droit comme fondement de l’économie de marché, le droit des sûretés en étant l’un des
maillons importants.
C.
L’État de droit, l’économie et le droit des sûretés « à l’occidentale »
Est-il vraiment établi, désormais, que l’État de droit s’avère être le fondement de
l’économie de marché ? [1] C’est la question à laquelle plusieurs chercheurs tentent de
répondre depuis un moment déjà, du moins dans le contexte des projets de réformes
promulgués en droit du développement. Si tant est que ce soit le cas, l’une des
institutions s’inscrivant dans cette foulée, du point de vue commercial, est sans aucun
doute celle du droit des sûretés [2].
1.
L’État de droit, fondement de l’économie ?
Alors qu’il y a une vingtaine d’années à peine, les questions entourant l’État de droit ou
le Rule of Law n’étaient d’intérêt pratiquement que pour les constitutionnalistes, elles
passionnent désormais une communauté beaucoup plus large, dont les économistes et les
politologues 1205, à tel point que l’on n’hésite plus à parler de l’avènement d’un
mouvement international en sa faveur (i.e. international rule of law movement) 1206.
1205
1206
Lire, à ce sujet, l’excellent dossier présenté dans le magazine The Economist, intitulé « Economics
and the rule of law : Order in the jungle »,
The Economist, 13 mars 2008, en ligne :
http://www.economist.com/finance/PrinterFriendly.cfm?story_id=10849115 (consulté le 5 juillet
2008).
Voir : H. R. CLINTON, loc. cit., supra note 1063, p. 93. C’est d’ailleurs le constat qui est formulé
au début de la plupart des analyses contemporaines traitant de ce sujet. Participe de ce mouvement
l’
American Bar Association, qui a mis sur pied la Rule of Law Initiative (« ROLI »). Voir :
A
MERICAN BAR ASSOCIATION, ABA Rule of Law Initiative, en ligne: http://www.abanet.org/rol/
(consulté le 10 août 2008). Principalement financée par USAID, le département d'État et le
ministère de la Justice américains, la ROLI de l'ABA, un projet lancé dans les années 90, mène des

Page 495
469
Cela étant, ce regain d’intérêt suscite son lot d’énigmes, dont la plus importante se
poserait comme suit : « […] l’État de droit est-il une condition ou un résultat du
développement ? » 1207 Considérée un cran plus loin, on pourrait se demander s’il s’agit
d’un préalable à la création de richesse ou s’il faut, au contraire, qu’une société ait atteint
un certain niveau de développement économique pour envisager sérieusement
l’implantation d’un régime de droit solide et cohérent.
L’histoire et l’économie classique démontrent qu’à long terme, la présence d’institutions
fortes au sein d’une société est génératrice de richesse 1208. Qu’en est-il dans une
projets de réforme juridique dans plus de quarante pays. Ses sujets d'expertise technique sont les
suivants: «
anti-corruption, Criminal Law Reform and Human Trafficking, Gender Issues, Human
Rights and Conflict Mitigation, Judicial Reform, Legal Education Reform, Legal Profession
Reform
». Pour la ROLI, la promotion de la primauté du droit est, à long terme, l'outil le plus
efficace contre les problèmes de la communauté mondiale que sont la pauvreté, les conflits ou la
stagnation économique. Les États qui ne sont pas de droit ne parviennent pas à subvenir aux
besoins les plus fondamentaux de leur population. Dans cette pauvreté, comment développer une
sécurité physique, de la justice et des occasions économiques? La ROLI a cinq principes de base:
(1) une approche consultative à l'aide technique fournie selon les besoins des partenaires locaux;
(2) une approche comparative, le système américain n'étant que l'un des modèles sur lesquels on
puisse se fonder; (3) l'assistance technique est neutre et apolitique; (4) la construction de la
capacité locale par les institutions, gouvernementales et non gouvernementales; (5) offrir un
« leadership de l'esprit » grâce à 17 ans d'expérience et au savoir-faire de ses 413 000 membres. Le
travail de terrain effectué par le ROLI est analysé par leur «
Research and Program Development
Office
» qui a mis au point une série d'index qui permettent d'évaluer les besoins législatifs et les
résultats. À ce jour, les outils développés sont: «
Judicial Reform Index, Legal Profession Reform
Index, Prosecutorial Reform Index, Legal Education Reform Index, Human Trafficking Assessment
Tool, International Covenant on Civil & Political Rights Legal Index, Convention on the
Elimination of All Forms of Discrimination Against Women Assessment Tool ».
J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 341. Il ajoute, à la p. 342 : « […] il faut reconnaître
qu’il existe une corrélation certaine entre l’état économique, social et culturel d’un pays et l’État
de droit
». Voir aussi : Daniel M. KLERMAN, « Legal Infrastructure, Judicial Independance, and
Economic Development », (2006)
Pac. McGeo. Glob. Bus. & Dev. L. J. 437.
C’est ce que nous avons tenté de relever en insistant, au début de ce chapitre, sur l’évolution
historique de la notion d’État de droit, que démontre avec brio l’ouvrage de J.-Y. MORIN,
op. cit.,
supra note 1062. C’est aussi ce que soutiennent de nombreux auteurs : S. SCHLEMMER-
SCHULTE,
loc. cit., supra note 1111, p. 677-690; Richard E. MESSICK, « Judicial Reform of
Economic Development : A Survey of the Issues », (1999) 14 The
World Bank Research Observer
117,
ligne :
en
http://sitesources.worldbank.org/INTLAWJUSTINST/Resources/ResearchObserverPaper.pdf

(consulté le 28 juin 2008). Dans le domaine de l’économie classique, voir: Adam SMITH,
The
Wealth of Nations, Everyman’s Library, 1991; J. E. STIGLITZ, op. cit., supra note 1106, en
particulier aux p. 108-109, 121,130-131, 209, 227-231, 254, 259, 263-265, 293-297, 304, 307,
1207
1208

Page 496
470
perspective de réformes à plus court terme ? Comment mesurer l’impact des initiatives
mises de l’avant par les gouvernements, ONG et institutions financières internationales ?
De quelle façon s’assurer d’en tirer les leçons qui s’imposent afin de toujours raffiner les
modes d’interventions et en faire une meilleure promotion ?
Il s’est trouvé des objecteurs de conscience à ce chapitre même chez les défenseurs de
l’État de droit. À l’inverse des « institutionnalistes » 1209 pour qui l’équation du
développement et de l’État de droit ne fait pas de doute, certains ont suggéré qu’en vérité,
dans les faits, les institutions financières internationales ne pouvaient prétendre savoir ce
qu’elles faisaient, car ne disposant pas d’étalons de mesures permettant de vérifier
345-351, 392-393, où cet économiste explique quelles sont les conditions nécessaires à la mise en
place d’une économie de marché. Ainsi, la « main invisible » d’Adam Smith ne fonctionnerait-
elle pas parfaitement, notamment au niveau de la dissémination de l’information entre les
différents agents du marché, sans la présence et le soutien des institutions et infrastructures
nécessaires à son déploiement, avec au premier chef celle de l’État, de lois favorisant le respect
des contrats, du droit de propriété, et d’un système judiciaire efficace. Les études économiques
démontreraient ainsi à quelles conditions les théories d’Adam Smith fonctionneraient en pratique,
de même que celles de Ronald Coase et de son fameux théorème à l’effet que des droits de
propriété clairement définis sont essentiels pour l’efficacité d’une économie, les moins compétents
devant les céder à ceux qui le sont davantage qui, eux, peuvent les gérer à moindres coûts pour le
bénéfice de tous (argument qui aurait par ailleurs été utilisé pour favoriser une privatisation à tout
crin dans plusieurs pays en voie de développement et désengager totalement l’État de ce champ,
sans que les mécanismes nécessaire au respect de ces droits privés soient en place, dont l’État de
droit au premier chef). L’on ne saurait alors parler de « laisser-faire ». Enfin, toute réforme ou
évolution de l’économie prend du temps et il faudrait en tenir compte : historiquement, c’est avec
l’apparition des classes moyennes que les réformes furent exigées des citoyens eux-mêmes et que
l’État de droit put se développer. Sur le théorème de Coase, voir : Ronald H. COASE, « The
problem of social cost », (1960) 3 Journal of Law and Economics 1; voir aussi l’analyse et les
commentaires de Ejan MACKAY et Stéphane ROUSSEAU,
Analyse économique du droit, 2e éd.,
Paris, Dalloz/Thémis, 2008, p. 182-205; quant à la propriété et aux droits réels, voir les p. 206-
263 du même ouvrage. La propriété consiste à gérer un phénomène de rareté qui évolue avec le
temps. L’individualisation de ce droit, sur la tête d’une ou de plusieurs personnes (ou le fait que
certaines choses demeurent hors commerce parce que
res communes ou res publica), permet de
maximiser les bénéfices que la société dans son ensemble en retirera et de favoriser, dans le
meilleur des scénarii, la dignité humaine. Que la propriété apparaisse par la coutume et soit
éventuellement consacrée et protégée par l’État, voilà ce qui est décrit comme l’évolution ultime
permettant à l’économie de marché de se développer et de se fortifier.
1209
Voir : Douglass NORTH, Institutions, Institutional Change and Economic Performance,
Cambridge, Cambridge University Press, 1990; voir aussi: E. MACKAY et S. ROUSSEAU, op.
cit.
, supra note 1062, no 764, p. 208; K. BOUDREAUX et P. DRAGOS ALIGICA, op. cit., supra
note 1142, p. 27-51, concernant l’institution du droit de propriété et son impact sur le
développement économique et social.

Page 497
l’impact des réformes entreprises. Citant au soutient de cette incertitude les exemples de
la Chine 1210 et de la Russie 1211 à titre de démonstrations de croissance sans la présence
471
1210
1211
en
press,
(2004)
Berkeley
Electronic
Stock Markets »,
Voir : Katharina PISTOR et Chenggang XU, « Addressing Deterrence and Regulatory Failure in
Emerging
ligne :
http://law.bepress.com/alea/14th/art77 (consulté le 9 juillet 2008). Les auteurs s'appuient sur
plusieurs études pour conclure que les difficultés d'exécution des jugements et les faiblesses des
autorités réglementaires sont généralement des indicateurs des faiblesses d'un marché donné, voire
de son effondrement. Pour généralement vérifiée qu'elle soit, cette théorie se heurte cependant au
fait chinois, car la performance économique de la Chine est bien meilleure que celle que lui
auraient prédit les indices habituels: en effet, les systèmes juridique et judiciaires chinois du début
des années 90 étaient très faibles. Pour les auteurs, ces résultats s'expliquent par ce que la Chine a
mis en place des mécanismes de gouvernance « administrative » qui servent d'équivalents
fonctionnels aux mécanismes d'exécution des lois « occidentaux ». Il existe une espèce de
système de quota où les entreprises enregistrées se font compétition pour avoir accès aux
ressources de l'État. D'ailleurs, le marché chinois a d'abord été créé pour financer les activités des
entreprises de l'État, avant de s'ouvrir aux compagnies « privées », mais il n'en demeure pas moins
que 80% des compagnies cotées à la bourse de Shanghaï sont contrôlées par l'État. Certains
économistes ont utilisé le cas de la Chine comme contre-pied à la thèse voulant que les institutions
juridiques formelles aient un impact important sur la croissance économiques, mais les auteurs ne
sont pas de cet avis. D'abord, ce raisonnement ne tient aucunement compte du faible PIB chinois,
le PIB étant un fort indicateur du développement des marchés financiers. Par ailleurs, si la
structure de gouvernance administrative qui prévaut en Chine peut être efficace (et force est
d'admettre qu'elle l'est) pour démarrer une économie (car elle aplanit certaines des difficultés
traditionnelles et crée l'équivalent de mesures réglementaires de base), elle n'est pas viable à long
terme. Choisir les compagnies qui sont sur le marché peut être une façon de mettre en place des
conditions gagnantes (ou, à tout le moins, un système de vérification
ex ante), mais l'absence de
surveillance de ces compagnies une fois qu'elles sont implantées sur le marché est le gage d'une
crise.
Voir, notamment, David R. ANDREWS, « International Rule of Law Symposium : Introductory
Essay », (2007) 25
Berkeley J. of Int’l Law 1, 3; Kathryn HENDLEY, « Rewriting the Rules of
the Game in Russia: The Neglected Issue of the Demand for Law », (1999) 8
E. Eur. Const. Rev.
89, en particulier aux p. 91, 93 et 94. D’après cette auteure, les réformes juridiques entreprises en
Russie l'ont été sur l'idée qu'offrir des lois « de qualité » suffirait à les faire adopter par les acteurs.
Cette conception était erronée et une dizaine d'année après l'amorce de ces réformes aux standards
élevés sur papier, il appert qu'elles sont généralement ignorées. Il est vrai que certains acteurs
utilisent le nouveau système, mais l'imposition de ce système par l'État sans égard aux besoins des
acteurs n'a aucunement écarté la méfiance généralisée laissée par l'héritage soviétique.
K. Hendley attribue la première erreur de la réforme à une ignorance de l'histoire, les conseillers,
généralement occidentaux, ayant présidé aux travaux d'élaboration des nouvelles lois étant
davantage intéressés par l'atteinte d'une perfection technique que par l'implantation d'un système
plus transitionnel. Mais ce n'est pas le seul facteur en jeu. Les échecs de la réforme ont également
leur rôle à jouer dans la perception du nouveau système. En effet, il demeure très difficile de faire
exécuter les jugements obtenus, non pas tant à cause d'une absence de ressources, mais plutôt en
raison de la piètre condition économique des compagnies russes, souvent insolvables. Si l'État ne
paie pas ses taxes, pourquoi les compagnies le feraient-elles? Le peu de légitimité de l'État russe
est un autre facteur: manipulation des lois et exemptions de faveurs minent la confiance dans le
système. Quoi qu'il en soit, K. Hendley croit qu'une amélioration du système russe passe d'abord
par la compréhension des besoins de ses acteurs, autrement dit, de la demande. Elle identifie
l'exécution des lois comme le premier besoin. Voir aussi : Katharina PISTOR, « Supply and
Demand for Law in Russia », (1999) 8 E. Eur. Const. Rev. 105. Ainsi, la juxtaposition des cas
chinois et russe, où la croissance de la Chine s’avère bien supérieure à celle de la Russie qui a

Page 498
472
d’un véritable État de droit, on ajoutait du même souffle que ce problème de
connaissance avait plusieurs sources. On dénombre ainsi la complexité théorique et
pratique du concept de la primauté du droit, la variété des systèmes juridiques rendant
plus difficile la compréhension des réformes qui s’avèrent nécessaires, le caractère
évolutif et tourné vers l’avenir des agents de développement international qui ne sont pas
préoccupés par l’accumulation de données permettant d’évaluer les efforts de réformes,
un intérêt encore peu affirmé des facultés de droit et de science politique pour le sujet et,
enfin, le manque de temps et d’intérêt des juristes oeuvrant en développement
international pour la recherche empirique. 1212
D’autres ont suggéré que, devant ce problème de connaissance et l’immensité de la tâche
à accomplir, mieux valait se concentrer sur des réformes institutionnelles ciblées,
privilégiant la stabilité contractuelle et la propriété par l’établissement de règles
efficientes (donc exécutoires) à ce chapitre. 1213
1212
1213
pourtant adopté des lois modèles, demeure une énigme. Cela s’expliquerait dans la mesure où les
investisseurs se sentent mieux protégés en Chine, car les investisseurs cherchent le profit et non le
respect des droits de l’homme. L’absence de primauté du droit n’empêchera pas nécessairement
l’investissement, mais elle lui donnera une autre forme. Voir : Katharina PISTOR, « Advancing
the Rule of Law: Report on the International Rule of Law Symposium Convened by the American
Bar Association November 9-10, 2005 », (2007) 25 Berkeley J. of Int’l L. 100.
T. CAROTHERS, op. cit., supra note 1133. Voir aussi, dans une perspective plus canadienne
concernant l’ACDI, le texte de S. J. TOOPE,
op. cit., supra note 1175.
Voir : Richard A. POSNER, « Creating a Legal Framework for Economic Development », (1998)
13
The World Bank Research Observer 1, en particulier à la p. 3: « Unfortunately, there may be a
chicken and egg problem: a poor country may not be able to afford a good legal system, but
without a good legal system it may never become rich enough to afford such a system. […]
Economic reform is thus important both on the demand and supply side: to stimulate the former
and to generate the resources necessary for the latter. But this problem must not be exaggerated.
[…] [E]conomic progress is possible without much – perhaps without any – law. As a country
becomes more prosperous, it will have additional resources for improving its legal system. Given
the risk that too heavy an initial investment in legal reform could deprive the productive economy
of necessary resources and thus stifle legal and economic reforms, the prudent choice is to defer
legal projects that are costly and ambitious and instead begin modestly. » La façon de procéder
serait alors de privilégier plusieurs mesures visant l’amélioration à court terme des institutions déjà

Page 499
473
Ces questionnements forcèrent les divers acteurs du domaine à se pencher sérieusement
sur l’évaluation des projets de réformes afin de pouvoir en tirer les leçons qui s’imposent
et, partant, améliorer les modes d’actions et d’interventions 1214. Désormais, la Banque
mondiale a mis sur pied le « Worldwide Governance Indicators project » que l’on décrit
comme suit :
Now, the Worldwide Governance Indicators Project – “one of the best kept secrets at
the World Bank”, believes Gordon Johnson, a grand old man of aid-giving – is the
state of the art. It gathers data on more than 60 indicators (the extent of crime, the
quality of police, judicial independence and so on) to create rule-of-law and
governance measures for virtually every country in the world. Aggregating like this
(and being honest about the margin of error), says Mr. [Daniel] Kaufmann, is far
from perfect, but is a decent approximation.
These measures confirm what is clear anyway: some countries have been able to
improve their legal framework even in a short time. In 2000 Mikhail Saakashvili,
then Georgia’s minister of justice, sacked for two-thirds of his country’s judges for
failing to pass an exam. Four years later as president, he fired all the country’s
traffic police. Georgia’s World Bank rule-of law score rose from nine out of 100 in
2002 (in the bottom 10 %) to 33 at the end of 2006 – low, but better. Central
European and Baltic countries are doing better still: the radical legal changes
required by membership of [European Union] improved their economies as well as
1214
en place. Il faut donc créer des règles efficientes pour des institutions qui ne le sont pas et,
éventuellement, transformer de l’intérieur ces institutions. Favoriser la réception de lois modèles
étrangères, tout en tenant compte de la culture d’accueil, peut être une voie à envisager. Enfin,
tout en indiquant que la réforme du droit est un pas important à franchir pour les pays en voie de
développement, Posner conclut son article en affirmant, à la p. 9 : « […]
the focus of such reform
should be on creating substantive and procedurally efficient rules of contract and property rather
than on creating a first-class judiciary or an extensive system of civil liberties
». Comme nous le
verrons dans la seconde partie de ce chapitre dans notre étude des cas égyptien et congolais, cette
prescription doit être suivie si l’on veut aboutir à quelque chose qui produise certains résultats.
Encore que cela ne se vérifie pas toujours. Voir enfin : G. GOODPASTER, loc. cit., supra note
1192, p. 684-693.
Voir, notamment : Katharina PISTOR, « Law Enforcement: Suggestions for Future Research »,
texte d’une allocution présentée à la troisième conférence annuelle sur le développement
(décembre 2001, Rio de Janeiro), en ligne : www.eudnet.net/download/pistor_Rio-GDN.PDF
(consulté le 9 juillet 2008). Pour cette auteure, il s’agit de vérifier le degré d’applicabilité de la loi
pour mesurer le succès des projets de réformes. Les travaux de recherche sur l’applicabilité du
droit ont abordé la question sous deux angles, qui ne sont pas nécessairement toujours faciles à
dissocier. D’abord: les institutions sont-elles capables –et ont-elles la volonté– de régler des
différends entre des parties privées à l’aide du droit ? Ensuite, l’État est-il gouverné par la
primauté du droit ? Autrement dit, est-ce le droit qui balise les institutions étatiques ? Dans un cas
comme dans l’autre, il y a de la place pour l’amélioration des indicateurs et des outils. K. Pistor
suggère quatre pistes de recherche qui pourraient devenir autant d’indicateurs de l’applicabilité des
lois dans un État donné, à savoir : la comptabilité et la responsabilité de l’État par rapport à son
budget, les impôts, l’indépendance judiciaire, et la protection des droits de propriété.

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474
their judicial systems. In general, the measures suggest, bold reforms work better
than gradual ones.
1215
En ce qui a trait à l’État de droit, on tente de mesurer le degré de confiance des divers
agents de la société et leur acceptation des règles de droit, qui se vérifie par la perception
de l’incidence des crimes violents et non-violents, l’efficacité et la prévisibilité du
système judiciaire et, enfin, le caractère exécutoire des contrats. Quant à l’ensemble des
critères permettant de mesurer l’état de la gouvernance dans un pays donné, le
développement serait considéré à l’aune des trois suivants : le PNB per capita, le taux de
mortalité infantile et le taux d’analphabétisme chez les adultes. Des études récentes
concluraient qu’une amélioration des institutions contribue à augmenter la richesse, à
diminuer les taux de mortalité infantile et d’analphabétisme 1216. Cependant, cette
perspective « institutionnaliste » du développement ne doit pas être perçue comme étant
une panacée. Bien que l’on dispose maintenant de données plus précises au sujet des
expériences de développement, de nombreuses questions demeurent toujours sans
réponse. En effet, de quelles institutions parle-t-on, et quelles sont celles qui se révèlent
les plus importantes dans une perspective de développement ? Doit-on intégrer les
aspects coutumiers aux institutions plus officielles ? Quel est le rôle véritable des
1215
1216
The Economist, « Economics and the rule of law : Order in the jungle », supra note 1205.
Dani RODRIK, Arving SUBRAMANIAN et Francesco TREBBI, « Institutions Rule: The
Primacy of Institutions Over Geography and Integration in Economic Development », (novembre
2002), document de travail du FMI no02/189, en ligne : http://ssrn.com/abstract=880291 (consulté
le 9 juillet 2008), également publiée sous la référence suivante : (2004) 9
J. Econ. Growth 141.
Voir aussi : Daniel BERKOWITZ, Johannes MOENIUS et Katharina PISTOR, « Legal
Institutions and International Trade Flows », (2004-2005) 26
Mich. J. Int’l L. 163. Sur le rôle des
ligne :
institutions,
http://ksghome.harvard.edu/~drodrik/ifo-institutions%20article%20_April%202004_.pdf (consulté
le 9 juillet 2008).
lire Dani RODRIK, « Getting Institutions Right » (avril 2004), en

Page 501
475
institutions
juridiques dans
le développement ? 1217
Comment procéder à
la
transformation de ces institutions ? La situation actuelle commanderait le constat
suivant :
But as a generalisation, the efforts of the past few years have thrown up mixed
messages. They suggest the rule of law can be improved sharply; the rule-of-law
reform is at root a political not a technical undertaking; and that it is linked to
growth, if weakly in the short term. But they do not really bear out the assertion that
the rule of law is an underlying prerequisite for growth. Rather, the more economists
find out about the rule of law, the more desirable it seems – and the more
problematic as a universal economic guide.
1218
Ce qui est néanmoins généralement admis, comme nous l’avons vu plus tôt, c’est
l’équation entre le développement et la présence d’institutions fortes à plus long terme, à
défaut d’avoir un consensus quant au lien entre des réformes institutionnelles et le
développement à plus court terme 1219. Quoi qu’il en soit, il est des vues qui jugent que
l’État de droit et la réforme menant à son implantation est désirable en elle-même, et ce,
au-delà de la question de savoir si c’est économiquement bon ou non 1220.
1217
1218
1219
1220
Voir, à ce sujet, M. TREBILCOCK, loc. cit., supra note 1148, p. 194-198. Voir également:
Michael J. TREBILCOCK and Ronald J. DANIELS,
Rule of Law Reform and Development:
Charting the Fragile Path of Progress
, Londres, Edward Elgar, 2008.
THE ECONOMIST, loc. cit., supra note 1205.
Voir de plus, à cet égard, S. J. TOOPE, loc. cit., supra note 1175, p. 381 : « Because successful
engagement in legal and judicial reform requires time, one should only consider major projects
after experience is gained working on modest initiatives in the sector
».
en
Voir : Amartya SEN, « What is the role of legal and judicial reform in the development
ligne :
process ? »,
http://siteresources.worldbank.org/INTLAWJUSTINST/Resources/legalandjudicial.pdf
(consulté
le 9 juillet 2008) (texte également publié sous la référence suivante : (2006) 2
The World Bank
Legal Review
33. Nous sommes d’accords avec cette vision, qui affirme : « […] [E]ven if
development were not to contribute one iota to economic development (I am not saying that is the
case, but even if this were, counterfactually, true), even the legal and judicial reform would be a
critical part of the development process. The notion of development cannot be conceptually
delinked from legal and judicial arrangements. […] The basic claim is this. Legal development –
to stick to that example first – is not just about what the law is and what the judicial system
formally accepts and asserts. Legal development must, constitutively, take note of the
enhancement of people’s capability – their freedom – to exercise the rights and entitlements that
we associate with legal progress. Given this need for conceptual integrity (in this case, the need
to see legal development not just in terms of legislation and laws but in terms of effective freedom

Page 502
476
L’État de droit, dans ce contexte où l’on privilégie la stabilité contractuelle et le droit de
propriété, émergerait des réformes entourant le droit commercial, en considérant de façon
toute particulière la réforme du droit des sûretés.
2.
De l’émergence de l’État de droit par la réforme du droit
commercial, en particulier du droit des sûretés
Le droit commercial implique de nombreuses ramifications mais ne serait rien sans
l’articulation d’un droit de propriété clair et respecté. Nous sommes maintenant en
mesure de considérer un aspect plus spécifique de la réforme du droit menant à l’État de
droit ou y participant. Il s’agit de l’institution du droit de propriété et de l’un de ses
dérivés, le droit des sûretés. Plusieurs études tendent à démontrer que le droit de
propriété, lorsqu’accessible et sécurisé (ou reconnu) en faveur du plus grand nombre,
favorise la réduction de la pauvreté et stimule la croissance économique 1221. Au-delà de
ces éléments, le droit de propriété est considéré comme un droit humain fondamental 1222.
Il serait même, historiquement, un préalable à l’essor de l’ensemble des autres droits
fondamentaux, qui vont de pair avec son évolution, ainsi qu’à celui d’un développement
and capabilities), all the instruments that causally influence these freedoms must be taken into
account in assessing what progress is being made in enhancing the development of a successful
legal and judicial system
».
1221
cit.,
et P. DRAGOS ALIGICA, op.
K. BOUDREAUX
supra note 1148, p. 31;
Klaus DEININGER,
Land Policies for Growth and Poverty Reduction, Oxford University Press et
Banque mondiale, 2003, en ligne : http://go.worldbank.org/T9WPA67D50 (consulté le 10 août
2008) ;
WORLD BANK, Finance for All – Policies and Pitfalls in Expanding Access,
Washington DC, Banque mondiale, 2008, en ligne : www.worldbank.org/financeforall (consulté le
10 août 2008) [«
Finance for All »]. Voir enfin, au plan de la logique économique de l’institution
du droit de propriété et d’une définition téléologique, E. MACKAY et S. ROUSSEAU,
op. cit.,
supra note 1208, nos 760-761, p. 207 : « La propriété consiste essentiellement à attribuer à une
seule personne ou à un groupe de personnes le pouvoir de décision sur la façon d’utiliser une
ressource, ainsi que les gains ou pertes qui en résultent. La ressource sujette à une forme de
propriété est alors retirée de la libre accessibilité; elle est réservée au(x) propriétaire(s) et ne peut
plus être utilisée par tout un chacun comme bon lui semble. Il est paradoxal que le fait de retirer
une ressource de la libre accessibilité finisse par la rendre davantage disponible pour l’ensemble
de la communauté […] ».
1222
Voir notre note discussion, supra, note 1061.

Page 503
477
durable 1223, de même qu’un rempart contre la tyrannie d’un État tout puissant qui serait
propriétaire de la majorité des terres et des biens d’une société donnée. En effet, la
fragmentation de la propriété entre plusieurs individus, seuls ou regroupés autour d’une
organisation communautaire ou commerciale, permet d’atteindre un équilibre entre tous
les intérêts divergents et de favoriser le respect des libertés individuelles 1224.
Cela étant, une proportion significative des habitants de plusieurs pays en voie de
développement n’a pas accès à la propriété. Ce serait un facteur contribuant à la pauvreté
systémique et endémique que l’on y retrouve 1225. Cela est très souvent, aussi, générateur
de tensions sociales importantes, quand il ne s’agit pas carrément de violences 1226. Au
surplus, on ne reconnaîtrait pas à des segments traditionnellement plus vulnérables de ces
populations le droit à la propriété. Mentionnons, au premier chef, les femmes, les
peuples autochtones et les populations migratoires 1227. Or, plus ces groupes vulnérables,
1223
1224
1225
1226
Voir : Ashraf GHANI, dir., « Empowering
the Poor Through Property Rights », dans
UN Commission on Legal Empowerment of the Poor, Madeleine ALBRIGHT et Hernando
de SOTO, dir.,
Making
ligne :
www.undp.org/legalempowerment/reports/concept2action.html (consulté le 9 juillet 2008), p. 64.
for Everyone, vol. 2,
the Law Work
juin 2008, en
K. BOUDREAUX
supra note 1142, p. 52;
Friedrich August HAYEK,
The Road to Serfdom, Chicago, University of Chicago Press, 1944, p.
103-104.
et P. DRAGOS ALIGICA, op.
cit.,
A. GHANI, loc. cit., supra note 1223, p. 64, 76-80.
On pense aux populations des régions rurales de plusieurs pays en voie de développement, souvent
appelées « gens-sans-terre », qui ne détiennent même pas le titre de propriété des terres qu’ils
cultivent néanmoins dans une agriculture de subsistance. Ces populations sont intimidées
physiquement par les véritables propriétaires (ou ceux qui allèguent l’être), allant jusqu’à parler,
dans ces cas, de véritables mouvements de guérillas; dans certains cas, les terres dans ces régions
n’appartiennent à personne. Les exemples de l’Inde et du Brésil viennent à l’esprit. Voir :
A. GHANI,
op. cit., supra note 1223, p. 73; sur le phénomène des « sans terre » au Brésil et leur
importance dans l’avènement de Luis Inácio Lula da Silva au pouvoir, lire Candido MENDES,
Lula et l’autre Brésil, Aubervilliers (Fr.), Éditions IHEAL (La Documentation française), 2003, p.
36-38.
1227
Sur la situation des migrants qui se déplacent, s’installent sur des terres ne leur appartenant pas,
vivant dans une réalité en marge du droit, au potentiel d’innovation néanmoins important du point
de vue économique lorsque celui-ci fait éventuellement l’objet d’une reconnaissance législative,
voir : E. MACKAY et S. ROUSSEAU,
op. cit., supra note 1208, nos 847-849, p. 229-230.

Page 504
478
à commencer par les femmes, ont accès à la propriété, plus le développement et l’égalité
sont favorisés 1228.
Dans ce contexte, la réforme des institutions, formelles et informelles, favorisant le droit
de propriété, fait l’objet d’une attention toujours accrue dans le domaine de l’aide au
développement international. En corollaire, le droit des sûretés, d’abord immobilières
mais aussi mobilières 1229, suscite un intérêt croissant dans ce contexte, reflétant une
réalité fort simple : valeur d’usage et valeur d’échange, tels sont les deux côtés d’une
même médaille, dont le droit de propriété et le droit des sûretés en sont des
illustrations 1230.
Cette réforme des institutions comporte au moins quatre volets : (i) l’adoption de mesures
favorisant l’accès des pauvres à la propriété, individuellement ou en groupe; (ii)
l’amélioration de la gouvernance entourant le régime de propriété, passant par la réforme
législative et celle de l’administration dudit régime in concreto dans toutes ses
ramifications, étatiques ou autres, formelles ou informelles; (iii) l’adoption de mesures
favorisant l’intégration des pauvres à l’économie de marché en attribuant une valeur aux
1228
1229
1230
A. GHANI, loc. cit., supra note 1223, p. 64-65, 78-80.
Ibid., p. 86-109.
Voir : R.A. MACDONALD et J.-F. MÉNARD, loc. cit., supra note 20, p. 338-339 : « Dans
l’actuel circuit économique des biens, la valeur d’échange est fondamentale. Alors que dans les
sociétés que l’on qualifie de précapitalistes on vise surtout le déploiement optimal des biens dans
leur matérialité, de nos jours l’économie et la finance font abstraction de la matérialité des biens
ou de l’usage que l’on peut en faire personnellement pour s’intéresser principalement à la
maximisation de leur utilité en tant que valeurs d’échange. […] Or, la manière actuelle de
représenter les utilités que nous pouvons tirer des biens (que leur objet soit corporel ou non) est
plus sophistiquée et certaines institutions juridiques, telle l’hypothèque, nous permettent
maintenant de considérer la valeur d’échange comme une prérogative du droit de propriété au
même titre que les droits réels de jouissance. En d’autres termes, de la même manière que les
modalités et les démembrements du droit de propriété établissent une répartition des différentes
utilités de jouissance d’un bien, l’hypothèque permet d’ajouter la valeur d’échange d’un bien « en
tant que telle » à cette répartition.
[…] ».

Page 505
479
activités qui sont susceptibles d’en permettre l’atteinte; et enfin, (iv) établir une politique
sociale entourant le régime de propriété, encourageant la circulation de l’information, le
logement social et l’amélioration des capacités individuelles et collectives eu égard à la
connaissance des droits dans ce domaine. 1231
De ce qui précède, toute la gamme des interventions possibles est énoncée. Vaste
programme s’il en est un, alors que certains aspects touchent des mesures d’interventions
visant l’appropriation et la compréhension du régime de propriété même par les citoyens,
tandis que les autres relèvent davantage du régime proprement dit. Est-ce réaliste de
véritablement parvenir à des résultats concrets qui amélioreront la qualité de vie des
gens ?
Force est cependant de constater, en conclusion de ce premier chapitre, que l’État de
droit, le droit du développement, la réforme du régime de propriété et, enfin, celle des
sûretés, sont promulgués en fonction de leur conception occidentale, reposant sur la
primauté de l’individu, le respect des droits fondamentaux, du droit de propriété et leur
protection par 1232 et contre l’État 1233. C’est ainsi le paradigme universaliste dans toute
sa splendeur qui éclate au grand jour. Peut-il en être autrement dans ce contexte de
1231
1232
1233
A. GHANI, loc. cit., supra note 1223, p. 86.
Sur les avantages organisationnels et économiques liés à la protection du droit de propriété par
l’État et, partant, à la publicisation de ce droit, voir : E. MACKAY et S. ROUSSEAU,
op. cit.,
supra note 1208, nos 822-824, p. 222-223.
Dans ce contexte, le droit privé, opposé naturel du droit public mais en découlant néanmoins,
s’inscrit tout à fait dans cette conception libérale, car « [e]
n comptant sur les autres et en
favorisant les situations où ils peuvent compter sur nous, nous définissons la nature et les
frontières d’une communauté ou d’une société normative. Le droit privé promeut, au moyen
d’institutions créatrices d’obligations, la stabilité des communautés que nous façonnons. Nos
promesses, explicites ou implicites, sont à la fois les plans de notre futur et les souvenirs de notre
passé », tel que l’affirment R.A. MacDONALD et J.-F. MÉNARD, loc.. cit., supra note 20, p.
313.

Page 506
480
mondialisation et d’interdépendance croissante ? Dans un contexte, également, où la
tendance est à l’harmonisation, voire à l’uniformisation ? S’agit-il d’une utopie ? Que
retenir des leçons de l’histoire et de la lente évolution de ces institutions et de l’État de
droit avant qu’ils ne se concrétisent véritablement en Occident, lorsqu’on les transpose
aux situations qui prévalent dans les pays en voie de développement ?
Nous allons maintenant considérer ces questions en analysant la situation en Égypte et
l’exemple
de
la
réforme
de
son
régime
de
crédit
foncier.
Page 507
II-
L’ÉTAT DE DROIT « SUBSTANTIEL » : LE CAS DE LA RÉFORME DU RÉGIME DE
CRÉDIT FONCIER EN
ÉGYPTE
Cette étude de cas de la réforme du régime de crédit foncier égyptien nous permettra
d’approfondir l’exploration de la notion d’État de droit dans un contexte de
développement, en exposant brièvement, auparavant et dans un premier temps, la
situation de l’Égypte quant aux conceptions instrumentales et formelles de la notion [A],
pour ensuite, dans un deuxième temps, véritablement aborder de front l’étude de cas,
référant ainsi à la conception plus substantielle de la règle de droit [B]. La problématique
du crédit foncier en Égypte est tributaire d’une situation socioéconomique et politique
fort particulière, dont l’étude nous amènera à constater que la gouvernance et la règle de
droit y connaissent un historique tumultueux. En effet, les sources égyptiennes du droit
sont multiples, oscillant d’une part entre les traditions islamique et civiliste, bousculées
au passage par des influences anglo-américaines et voguant, d’autre part, entre le droit
formel et le droit informel [C]. En matière de droit de propriété et d’accès à l’habitation,
les efforts du gouvernement égyptien ont culminé par l’adoption, en 2001, d’une loi
particulière, intitulée, dans sa traduction anglaise, Real Estate Finance Law, qui tenterait
de répondre aux impératifs du droit musulman et dont l’objectif est justement de créer un
cadre juridique [D], institutionnel et réglementaire [E] de nature à favoriser l’accès à la
propriété au plus grand nombre de citoyens, en facilitant l’obtention de financement à de
faibles coûts. Toutefois, le chemin pour y parvenir est semé d’embûches. Dans ce pays,
la réforme du droit s’avère un processus difficile, tant en ce qui a trait à la réforme du
crédit foncier qu’en ce qui concerne la réforme plus générale du droit et de ses
institutions [F].


Page 508
482
A.
L’État de droit « instrumental » et « formel » en Égypte
Il ne nous appartient pas ici de faire un long développement au sujet de l’État de droit
« instrumental » et « formel » en Égypte. Il nous s’agit plutôt, cependant, de brosser un
tableau général de la situation à ce chapitre, car il présentera nécessairement une
incidence sur la règle de droit dans sa conception plus substantielle ou technique 1233a.
Les spécialistes de ces questions conviennent habituellement que les pays arabes, dont
l’Égypte, relèvent de l’État de droit dans leur organisation. En effet, l’Égypte est
organisée autour d’une Constitution 1234, des tribunaux sont établis et il existe un
parlement sous régime présidentiel. Toutefois, le pouvoir judiciaire dans ces contrées ne
parvient pas à lier, à contraindre ou à assujettir le pouvoir exécutif par ses décisions 1235.
1233a Nous ne tenons pas compte, dans les pages qui suivent, des événements qui sont survenus depuis
la fin du mois de janvier 2011, qui mena à la chute du président Hosni Moubarak, à la prise de
pouvoir « temporaire » par l’armée égyptienne et à la suspension des lois en attendant une révision
de la
Constitution d’Égypte, infra, note 1234. Notre analyse conserve cependant toute sa
pertinence, car le régime de droit égyptien n’a pas encore changé et nous doutons qu’il change de
manière significative dans un avenir rapproché, le survol historique que nous faisons en ces pages
étant des plus révélateur. Dans la même perspective, lire les très intéressants commentaires de
Christian RIOUX, « L’Égypte aux mains de l’armée », dans
Le Devoir [de Montréal], vendredi le
4 février 2011 (A3). Voir aussi : Agnès GRUDA, « L’Égypte, année zéro », dans
La Presse [de
Montréal]
, lundi le 14 février 2011 (A20).
1234
1235
The Constitution of Egypt, September 11, 1971, as amended by the result of the Constitution
Amendment Referendum, which took place on May 22, 1980, dans sa traduction anglaise non-
officielle publiée par The Middle East Library for Economic Services, September 2001, Meles
Bulletin, Code 354/C [la «
Constitution d’Égypte »], dont on peut commander les lois
égyptiennes, en arabe ou en anglais, en ligne à l’adresse Internet suivante : www.egyptlaws.com
(consulté le 29 mai 2010). La Constitution d’Égypte fut amendée le 26 mai 2005 des suites d’un
autre référendum. Voir :
Amendment of the Constitution of the Arab Republic of Egypt, The
Middle East Library for Economic Services, Meles Bulletin, Code 35 e/1.
Bernard BOTIVEAU, Loi islamique et droit dans les sociétés arabes, Paris, Karthala, 1993, p. 21-
22; Nathan BROWN,
The Rule of Law in the Arab World, Cambridge University Press, 1997, p.
236-247; J.-Y. MORIN,
op. cit., supra note 1062, p. 166 : « Parmi les États arabes d’Afrique et
de la Corne du continent, six appartiennent à la catégorie qui ne pose pas de limite
constitutionnelle aux droits et libertés qui peuvent être suspendus lorsque l’état d’exception est
décrété. L’Algérie appartient à ce groupe (art. 87), de même que l’Égypte, où le président de la
République doit cependant procéder à un référendum sur les mesures qu’il aura prises, dans un
délai de soixante jours (art. 74)
».

Page 509
En ce qui concerne l’Égypte, d’aucuns n’hésitent à parler pour l’instant d’un « État
policier » :
483
La loi sur l’état d’urgence (no 162 de 1958) prévaut sur la Constitution en donnant
au gouvernement le droit d’arrêter et de détenir arbitrairement des personnes pour
une période indéfinie. Grèves et manifestations sont interdites. Théoriquement, la
loi d’urgence prévoit que les autorités sont tenues de signifier immédiatement les
motifs d’une arrestation, de laisser prévenir la famille et un avocat. Au bout de
trente jours, le détenu doit pouvoir faire appel de sa détention, sauf s’il a été déféré
devant la Haute Cour de sûreté de l’État. En aucun cas la torture n’est permise.
Mais ces engagements ne sont guère respectés. En outre, l’amendement de l’article
179 de la Constitution (mars 2007) autorise […] de nouvelles dispositions
liberticides qui seront intégrées dans la loi antiterroriste vouée à prendre le relais de
l’état d’urgence si celui-ci finit par être levé. Cet aménagement juridique revient en
fait à l’institutionnaliser. Amnesty International ne s’y est pas trompée, qui a
dénoncé les amendements constitutionnels du printemps 2007 comme « la plus
sérieuse atteinte aux droits de la population depuis vingt-six ans ».
Dans son rapport d’avril 2007 consacré à l’Égypte, l’organisation humanitaire a
dénoncé une fois de plus des atteintes systématiques aux droits de l’homme :
arrestations arbitraires, détentions prolongées sans jugement, actes de torture et
mauvais traitements, notamment par les services de sécurité de l’État. L’Égypte
figure parmi les destinations principales utilisées par les États-Unis pour transférer
secrètement des prisonniers suspectés de terrorisme afin qu’ils soient interrogés
dans des conditions qui incluent l’usage systématique de la torture.
Les pratiques les plus couramment mentionnées sont les décharges électriques, les
coups, les sévices sexuels, la suspension par les poignets ou les chevilles, les
menaces de mort… Plusieurs détenus sont décédés en détention dans des conditions
suspectes. On fait également pression sur des personnes recherchées en arrêtant des
membres de leur famille, souvent des femmes – mères, sœurs, épouses, filles – et en
portant sciemment atteinte à leur honneur. Ces pratiques ne sont pas réservées à des
affaires à caractère politique ou sécuritaire : elles sont également avérées pour des
délits bénins, par exemple pour contraindre un débiteur à s’acquitter de sa dette.
1236
[Notre soulignement]
Le régime actuel, essentiellement à parti unique, contient les forces d’opposition grâce au
soutien de l’armée. La liberté d’expression n’est pas tolérée, en tout cas pour contredire
1236
Sophie POMMIER, Égypte : L’envers du décor, Paris, Éditions La Découverte, 2008, p. 110-111.

Page 510
484
le régime, et la censure de plus en plus présente, sous couvert d’un islamisme
conservateur et radical 1237.
On mentionne bien, dans le Code civil égyptien 1238, que le droit de propriété y est
reconnu et qu’il ne serait pas possible d’exproprier sans compensation une personne de
son bien (art. 805 CCE). Dans les faits cependant, le régime de propriété ne fonctionne
pas et est largement tributaire de l’État.
Sur cette toile de fond, nous allons examiner l’une des facettes de l’État de droit
« substantiel » par l’étude de la réforme du crédit foncier en Égypte.
B.
L’État de droit « substantiel » en Égypte : la réforme du régime de
crédit foncier
Avant d’entrer dans le vif du sujet et d’étudier les tenants et aboutissants de la réforme du
crédit foncier égyptien, il importe de bien situer le contexte dans lequel notre recherche
s’inscrit. En effet, nous avons participé, en tant que chercheur et corédacteur, à la
réalisation d’une étude de terrain financée par l’ACDI, dans le cadre d’une initiative de la
Banque mondiale, visant à évaluer la situation qui prévaut en Égypte à ce chapitre [1].
Nous allons brièvement rendre compte de la nature de ce mandat et, aussi, des principaux
projets qui ont actuellement cours en Égypte relativement à la réforme du crédit foncier,
1237
1238
Ibid., p. 102-116. Le magazine The Economist prévoit qu’une période d’instabilité politique du
régime actuel découlera des élections de novembre 2010 et de 2011, car il n’est pas certain que le
président, Hosni Moubarak, briguera un nouveau mandat et sa succession n’est pas encore arrêtée,
même si son fils Gamal tentera probablement de faire le saut. Les Frères musulmans demeurent
une force politique importante qui n’est pas près de décroître, dont l’existence à titre de parti
politique est interdite. On ne peut encore y parler de démocratie. De plus, la pauvreté importante
ainsi que l’écart entre les riches et les pauvres ne s’estomperont pas de si tôt. Voir, à ce sujet :
T
HE ECONOMIST, Country Report : Egypt, Economist Intelligence Unit, Londres, Mai 2010.
Civil Code of Egypt, as promulgated by the Law No. 131 of the year 1948, Egyptian
Wakayeh/Government Bulletin – Issue No. 108-bis (A), dated July 29, 1948 [le «
Code civil
égyptien » ou « CCE »], dans sa traduction anglaise non-officielle publiée par The Middle East
Library For Economic Services, Meles Bullein, Août 2004.

Page 511
485
ainsi qu’à celles du droit en général et du secteur financier. Nous nous inspirerons bien
sûr des travaux que nous y avons menés et de l’expertise de terrain ainsi acquise.
Cependant, la recherche ici étayée est le fruit de notre réflexion personnelle et ne saurait
lier l’ACDI ou nos collègues ayant participé avec nous à l’étude de terrain en question.
Il importe également de brosser un tableau des facteurs économiques, sociaux,
démographiques et institutionnels permettant d’expliquer la crise du logement qui
perdure dans ce pays depuis plusieurs années [2]. Ces facteurs s’expliquent, dans une
large mesure, par les déficiences marquées du cadre législatif et réglementaire,
particulièrement en matière de crédit foncier [3].
1.
D’une étude de terrain effectuée à la demande de l’ACDI, dans le
cadre d’une initiative de la Banque mondiale
En septembre 2005, le Ministre de la Coopération internationale du gouvernement
canadien, au nom de l’ACDI, s’engagea à contribuer financièrement à la réalisation d’une
étude de terrain visant à évaluer la législation égyptienne en matière de crédit foncier et à
faire des recommandations afin de l’améliorer. Cet engagement du gouvernement
canadien s’inscrit dans le cadre d’une initiative du secteur de la finance et du
développement privé de la Banque mondiale pour les pays du Moyen-Orient et de
l’Afrique du Nord. La réforme du crédit foncier fut ainsi identifiée comme un champ
d’action prioritaire pour le gouvernement égyptien 1239.
1239
Ce n’est pas une nouveauté, c’est une priorité qui est mentionnée dans plusieurs sources
différentes. Voir, notamment : Ahmed GALAL, « Priorities for rapid and shared economic growth
in Egypt », dans Sabine SCHLEMMER-SCHULTE et Ko-Yung TUNG, dir.,
Liber Amicorum
Ibrahim F.I. Shihata : International Finance and Development Law, The Hague, Kluwer Law
International, 2001, 343.

Page 512
486
L’étude de terrain 1240 consista essentiellement en l’analyse de la nouvelle loi égyptienne
sur le crédit foncier qui fut promulguée en 2001, dont la traduction anglaise du titre est
Real Estate Finance Law 1241. Cette loi n’eut virtuellement aucun impact alors qu’elle fut
conçue pour stimuler la construction et le développement résidentiels, ainsi que l’accès à
la propriété, principalement pour la classe moyenne et les plus démunis de la société
égyptienne. Nous avions donc pour mission de comprendre et d’expliquer les raisons de
cet échec, en plus de formuler des suggestions pour pallier à ses déficiences, qui
permettraient l’atteinte de ses objectifs. Objectifs hautement politiques, car cette loi doit
contribuer à concrétiser un legs que le Président Hosni Moubarak veut faire à ses
concitoyens, visant la construction de 100 000 nouvelles habitations par année sur une
période de six ans.
1240
1241
Voir : CIDA Project No. K062240, Field study and report made possible through the financial
contribution of the Government of Canada, represented by the Minister for International
Cooperation, acting through the Canadian International Development Agency
, « Real Estate
Finance Law in Egypt : Securing Access to Affordable Housing, Report and Recommendations
(Deliverables 1 and 2) », Revised June 28, 2006, and « Housing and Construction Finance Law in
Egypt : Securing Access to Affordable Housing: Executive Summary and Recommandations »,
May 2007, Heenan Blaikie LLP [l’«
Étude de terrain ACDI »]. Les avocats ayant contribué à la
réalisation de cette étude sont, outre l’auteur de la présente thèse, Jacques Bouchard Jr., Keith D.
Wilson, Élizabeth Camiré et Yasser Bouhid.
Real Estate Finance Law, as promulgated by the Law No. 148 of the Year 2001, Official Journal –
Issue No. 25-bis – Dated June 24, 2001, as amended by Law No. 143 of the Year 2004 [ci-après
«
Real Estate Finance Law » ou « REFL »], dans sa traduction anglaise non-officielle publiée par
The Middle East Library For Economic Services, Meles Bulletin, Code 43, Décembre 2003, en
ligne :
www.mf.gov.eg/NR/rdonlyres/6595367F-94F0-4464-A2D9-
C159FF2E52F2/369/Law1482002.pdf (consulté le 29 mai 2010).

Page 513
487
Les États-Unis, très présents en Égypte 1242, mirent en place, à compter de décembre
2004, un programme d’aide quinquennal visant à améliorer l’infrastructure du système
foncier. Par l’entremise de la United States Agency for International Development
(USAID), plus de 32 millions de dollars furent investis en assistance technique, afin de
moderniser le système de publicité des droits immobiliers dans les centres urbains,
d’établir un bureau d’information de crédit et, enfin, de développer une gamme plus
étendue d’outils financiers pour les marchés de capitaux 1243.
1242
1243
Cela s’explique pour des raisons historiques. Sur les liens complexes qui unissent les États-Unis
d’Amérique à l’Égypte, lire S. POMMIER,
op. cit., supra note 1236, p. 136-138. Suite à la paix
avec Israël en 1979, l’Égypte s’est clairement inscrite dans le camp américain. Elle appuya de
plus la coallition de 1991 contre l’Irak de Sadam Hussein. En contrepartie, l’aide financière
américaine se montre très généreuse. Ainsi, l’administration américaine effaça la totalité de la
dette militaire de l’Égypte, contractée du temps de Sadate, qui s’élevait à 7 milliards de dollars.
Avec environ 1,76 milliards de dollars par an, l’Égypte est le deuxième bénéficiaire de l’aide
américaine après Israël (2,6 milliards de dollards d’aide directe). Ainsi, en 2007, USAID a investi
1,76G$US en Égypte, dont 455M$ en aide économique et 1,3G$ en aide militaire. Des 455M$ à
l'aide économique, 50M$ à la gouvernance (justice et démocratie), dont 17,25M $ à la primauté du
droit et aux droits de la personne, 11,25M $ à la bonne gouvernance, 21,5M $ à la société civile ;
60,57M $ à la santé ; 136,25M $ à l'éducation ; 208,18M $ à la croissance économique, dont
41,19M $ pour la macroéconomie, 23,15M $ pour le commerce et les investissements, 113,65M $
pour le secteur financier, 6,5M $ pour l'agriculture, 23,694M $ pour la compétitivité du secteur
privé. Voir : USAID,
Congressionnal Budget Justification for Foreign Operations – Fiscal Year
2009,
en ligne : http://www.usaid.gov/policy/budget/cbj2009/101368.pdf (consulté le 11 août
2008), p. i, xv, -xviii, 501-505, 703, 710, 718, 722, 726, 756, 810, 819 et 828. Le descriptif qui est
fait au début du chapitre concernant l’Égypte, p. 501, est éloquent : «
Egypt is an important and
strategic U.S. partner in the pursuit of the Middle East peace and broader stabilization efforts
throughout the region. U.S. assistance to the Government of Egypt (GOE) helps cement peace
between Israel and Egypt, curbing tensions in a historically volatile region and serving as a model
for other Arab states. U.S. assistance continues to play a central role in Egypt’s economic, social
and military transformation. U.S. priorities in Egypt include remaining closely engaged with the
GOE on political and economic reforms, while nurturing Egypt’s strong support for U.S. regional
policies and cooperation in the war on terrorism
».
Ce programme est désigné sous le titre « USAID Egypt Financial Services Project (EFS) » et
dispose d’un site Web à l’adresse Internet suivante : http://www.usaideconomic.org.eg/EFS/
(consulté le 12 août 2008). Voir : U
NITED STATES AGENCY FOR INTERNATIONAL DEVELOPMENT,
« Home Ownership Becoming Reality – USAid to Assist the Government of Egypt in making the
Dream of Home Ownership Come True for Thousands of Egyptian Families », communiqué de
presse du 3 novembre 2005, en ligne : http://egypt.usaid.gov/Default.aspx?PageID=369 (consulté
le 11 août 2008). Pour un rapport détaillé des activités financées par USAID en Égypte
relativement à la réforme du secteur financier et du crédit foncier, voir : USAID / EGYPT,
Quarterly Progress and Year 5 Annual Report. July – September 2009 (last quarter of Year 5).
October 2008- September 2009
ligne :
(Annual Report),
http://www.usaideconomic.org.eg/EFS/publication_details_results.asp?publicationId=2196
January 20, 2010, en

Page 514
488
De plus, la Banque mondiale vient tout juste de consentir trois prêts importants à l’Égypte
pour l’amélioration du secteur de la construction et du développement résidentiels et du
régime de crédit foncier. Le premier, consenti en 2006 et d’un montant de
37,100,000 $ US, vise à réformer
le système pour permettre à des prêteurs,
institutionnels ou autres, d’offrir des prêts hypothécaires à long terme pour ce
marché 1244. Le second, approuvé en mai 2008 et de l’ordre de 500,000,000 $ US, est
en
History »,
DEVELOPMENT,
« USAID-Egypt
(consulté le 29 mai 2010) [le « Rapport quinquennal USAID 2004-2009 »]. Concernant
l’historique de l’aide américaine depuis les années 1970, voir: U
NITED STATES AGENCY FOR
ligne :
I
NTERNATIONAL
http://egypt.usaid.gov/PrintDefault.aspx?PageID=6&VersionNumber=36 (consulté le 11 août
2008) ; Entre 1976 et 2006, USAID a investi plus de 15 milliards de dollars afin de renforcer
l’économie égyptienne, et plus d’un milliard de dollars afin d’améliorer la gouvernenance et la
règle de droit. Voir : U
NITED STATES AGENCY FOR INTERNATIONAL DEVELOPMENT, « Program
Overview/
ligne :
http://egypt.usaid.gov/PrintDefault.aspx?PageID=367&VersionNumber=19 (consulté le 11 août
2008). Le rôle de USAID est périodiquement remis en question aux États-Unis. Voir :
Roger BATE, « The trouble with USAID », (2006) 1:4
The American Interest 113; Raj KUMER,
« USAID revisited », (2006) 7
Geo. J. Intl Aff. 51; ÉTATS-UNIS, GENERAL ACCOUNTING OFFICE,
« US Rule of Law Assistance Has Had Limited Impact and Sustainability », déposition de Jess T.
Ford (17 mai 2001), document no GAO-01-740T, en ligne: www.gao.gov/new.items/d01740t.pdf
(consulté le 15 juillet 2008); Kenneth BOLLEN, Pamela PAXTON et Rumi MORISHIMA,
« Assessing International Evaluations – An Example from USAID’s Democracy and Governance
Program », (2005) 26:1
Am. J. of Eval. 189.
Strategy »,
en
1244 WORLD BANK, WB Project P093470 : Egypt – Mortgage Finance [ci-après le « WB Egypt
ligne :
Project »],
Finance
en
Mortgage
http://web.worldbank.org/external/projects/main?pagePK=64283627&piPK=73230&theSitePK=4
0941&menuPK=228424&Projectid=P093470 (consulté le 11 août 2008): «
The Egypt Mortgage
Finance Project enables banks and non-bank lenders in the primary market to begin offering long-
term market-based mortgage loans for residential housing. The Egyptian Company for Mortgage
Refinancing (ECMR), legally incorporated as a joint stock company during project preparation
with the assistance of the World Bank, will receive the proceeds of a World Bank local currency
loan as a line of credit. The line of credit will support the initial, start-up phase of the ECMR's
operations as a second-tier, wholesale, market-based liquidity facility focused on refinancing
longer-term residential mortgage loans originated by lenders in the primary market. As it matures,
the ECMR is expected to begin issuing bonds or other securities in the capital market to help fund
its operations on a market sustainable basis
». Ce prêt a pour objet de règlementer et d’aider à
démarrer le marché du crédit foncier, en se fondant sur l’infrastructure mise en place par le
gouvernement égyptien aux termes de la
Real Estate Finance Law. Il se veut complémentaire à
l’initiative de USAID en matière de réforme du cadastre et du système de publicité des droits.
Approuvé le 6 juillet 2006, il s’étend sur un terme de 5 ans, se terminant le 31 juillet 2011.
L’emprunteur est le Gouvernement égyptien, alors que ses représentants chargés de la mise en
œuvre du prêt sont le ministère de l’investissement et le ministère de la Justice. Au 17 août 2009,
le prêt avait été déboursé aux trois-quarts (26,52 millions sur 37,10 millions de dollars). Voir :
WORLD BANK,
Status of Projects in Execution – FY09 SOPE Middle East and North Africa
Region, Country: Egypt, Arab Republic of, Operations Policy and Country Services, October 2,
http://siteresources.worldbank.org/EXTSOPE/Resources/5929620-
2009,
ligne :
en

Page 515
489
destiné à l’édification d’un secteur financier davantage concurrentiel, comportant un
système bancaire et une industrie de l’assurance adaptés aux besoins d’une économie
moderne 1245. Enfin, le troisième, d’un montant de 300 millions USD, fut consenti par la
Banque mondiale à l’Égypte le 24 août 2009. Ce dernier prêt a pour objet de continuer
les réformes mises en place par les deux autres prêts, en créant une véritable agence de
garantie hypothécaire visant à permettre aux couples de la classe moyenne de contracter
un emprunt hypothécaire et d’avoir accès au logement et à la propriété. Contrairement à
l’approche préconisée jusqu’alors en Égypte pour nombre d’autres projets similaires qui
favorisaient l’étalement urbain, en subventionnant l’établissement de nouveaux quartiers
1254491038321/6460830-1254494744778/Egypt.pdf (consulté le 29 mai 2010) [le « Status of
Projects in Execution 2009
»]. Le WB Egypt Mortgage Finance Project y est évalué comme étant
un franc succès. La lecture du rapport interne de la Banque mondiale relatif à l’évaluation de ce
projet est fort instructive. Voir : WORLD BANK,
Project Appraisal Document on a Proposed
Loan in the amount of 214.2 million egyptian pounds (US$ 37.1 million equivalent) to the Arab
Republic of Egypt for a Mortgage Finance Project
, Report No: 36379-EG, Finance, Private Sector
and Infrastructure Department, Middle East and North Africa Region, June 5, 2006, en ligne:
http://go.worldbank.org/13FXGBO6W0 (consulté le 11 août 2008) [le «
WB Project Appraisal
Document
»].
1245 WORLD BANK, WB Project P094551 (Financial Sector Development Policy Loan II), en ligne :
http://web.worldbank.org/external/projects/main?pagePK=64283627&piPK=73230&theSitePK=4
0941&menuPK=228424&Projectid=P094551 (consulté le 11 août 2008): «
The objective of the
Second Financial Sector Development Policy Loan is to build a more competitive financial system,
with sound banking and non-banking financial institutions, led by the private sector, and able in
the medium-term to provide efficient financial services. This second operation will assist Egypt to
strengthen the enabling environment for financial intermediation, resource mobilization and risk
management, and increase private participation in the provision of financial services. Specifically,
the operation will support policy reforms in the following areas: (i) reduction of state ownership
in the banking system; (ii) continuing the financial and operational restructuring of state-owned
commercial banks and specialized banks; (iii) strengthening the regulatory and supervisory
framework for the banking sector; (iv) restructuring the state-owned insurance companies; (v)
strengthening further the regulatory and supervisory framework for insurance and pensions; (vi)
improving the efficiency of capital markets; and (vii) strengthening financial sector institutional
infrastructure, including the credit information system, the payments system, judicial procedures,
and microfinance
». Ce prêt fut approuvé le 29 mai 2008. Ce projet ne semble pas avoir
débouché sur quelque chose de concret, car on ne rapporte rien à son sujet. Voir : WORLD
BANK,
Status of Projects in Execution 2009, supra note 1244. Cependant, les sources
d’information disponibles s’avèrent parfois contradictoires ou incomplètes. En effet, un autre
document de la Banque mondiale indique que ce projet fut complété à sa grande satisfaction.
Voir : THE WORLD BANK,
Egypt : Weathering the Financial Crisis with a Sound Financial
ligne:
System,
http://siteresources.worldbank.org/NEWS/Resources/Egypt_financial-system_4-13-10.pdf
(consulté le 29 mai 2010) [«
Sound Financial System »].
March
2010,
en

Page 516
490
plus éloignés des centres urbains, on tente plutôt d’instaurer une véritable politique basée
uniquement sur les revenus propres à chaque emprunteur, de telle sorte que les prêts
hypothécaires garantis viseront aussi l’acquisition d’une propriété dans les quartiers déjà
établis 1246.
Les statistiques disponibles, provenant de USAID, de la Banque mondiale et du
Gouvernement égyptien, parfois contradictoires, révèlent que le marché du crédit
hypothécaire aurait pris son essor entre 2005 et 2009, pour passer de 338 transactions en
2005 à plus de 11 774 en novembre 2009. En valeur, cela représenterait une progression
importante de 208 millions de livres égyptiennes en 2005, à plus de 3 milliards de livres
égyptiennes en 2008 (l’équivalent de 500 millions USD), pour diminuer à nouveau en
2009 autour de 1,5 milliards de livres égyptiennes. Or, de ces transactions, seulement
168 furent publiées au registre foncier en 2007 et 127 en 2008. Les statistiques ne sont
pas disponibles pour les autres années. Ce marché hypothécaire, embryonnaire, est le
résultat de la création de plusieurs institutions financières qui s’y consacrent
exclusivement. On aurait ainsi créé un bureau de crédit et un tribunal commercial
spécialisé pour traiter des affaires d’insolvabilité et hypothécaires. Ce tribunal aurait déjà
entendu quelques causes. Enfin, les nouveaux développements immobiliers feraient
l’objet d’une opération cadastrale systématique et un projet pilote de bureau
1246
Voir : WORLD BANK, Affordable Mortgage Finance DPL, 24 septembre 2009, en ligne:
http://web.worldbank.org/external/projects/main?pagePK=64283627&piPK=73230&theSitePK=2
56307&menuPK=287188&Projectid=P112346 (consulté le 29 mais 2010). Voir aussi les
documents liés au projet : WORLD BANK,
Project Information Document PID, Concept Stage,
Report No. AB4511
, vol. 1, 2 février 2009, en ligne : http://go.worldbank.org/FDQAHJOX11
(consulté le 29 mai 2010) [le «
Program Information Document 1 »] ; WORLD BANK, Project
Information Document PID, Appraisal Stage, Report No. AB4512, vol. 1, 2 février 2009, en ligne :
http://go.worldbank.org/HYZNUE9GU0
(consulté le 29 mai 2010) ; WORLD BANK, Program
ligne :
Document
http://go.worldbank.org/2SUWKY1XD0 (consulté le 29 mai 2010) [le « Program Document –
Affordable Mortgage Finance
»].
(PGD), vol. 1, Report No. 48305 – EG, 24 août 2009, en

Page 517
491
d’enregistrement est parrainné par USAID au centre du Caire 1247. Ces statistiques
dénotent un certain progrès par rapport aux bases de nos observations, colligées entre
2005 et 2007, lors de l’Étude de terrain ACDI. Mais ces progrès, une fois le ton
triomphal passé 1248, sont qualifiés de « timides » par la Banque mondiale elle-même 1249.
Une explication possible de ce phénomène pourrait se trouver dans le fait que les aides
financières de USAID et de la Banque mondiale ne touchent pas nommément à la
législation sur le crédit foncier, bien que le succès de ces initiatives en dépende à maints
égards. Ainsi, aucune analyse du cadre juridique et réglementaire du crédit foncier
n’avait été complétée suite à l’adoption de la Real Estate Finance Law, lorsque l’ACDI
s’engagea en 2005 à subventionner une étude de terrain pour ce faire, celle-ci s’avérant
alors d’autant plus nécessaire et pertinente 1250. Notons que notre analyse, étayée de
manière plus substantielle dans ces pages, n’a pas trouvé son auditoire à ce jour et nous
tenterons de comprendre pourquoi.
1247
1248
Pour ces statistiques, voir : USAID / EGYPT, Rapport quinquennal USAID, supra note 1243, p.
22-24 ; WORLD BANK,
Program Document – Affordable Mortgage Finance, supra note 1246, p.
11-13. Voir enfin le site Web du ministère de l’Investissement du gouvernement égyptien, en
ligne : http://www.investment.gov.eg/en/NBFS/Mortage/Pages/default.aspx (consulté le 29 mai
2010).
La Banque mondiale a même classé l’Égypte dans son « Top 10 » des réformateurs en 2010, dans
son
ligne :
http://www.doingbusiness.org/features/Reformers2010.aspx (consulté le 29 mai 2010), mais
notons que ce n’est pas pour la facilité d’enregistrer un titre de propriété.
Business
rapport
Doing
2010,
en
1249 WORLD BANK, Program Information Document 1, supra note 1246, p. 1.
1250
Notons cependant que, curieusement, la Banque mondiale vient à la conclusion que le droit
égyptien est suffisamment clair en ce domaine, s’appuyant sur des études qu’elle a réalisé ou sur
d’autres de USAID. Nous n’avons pas retracé de telles études. Voir, à ce sujet : WORLD BANK,
WB Project Appraisal Document, supra note 1244 à l’annexe 4.3. La compréhension du droit
égyptien par la Banque mondiale nous semble très sommaire et parfois erronnée. Nous y
reviendrons lors de notre analyse de la
Real Estate Finance Law.

Page 518
492
Cette mise en contexte ne serait pas complète sans que les éléments principaux d’une
crise du logement, qui perdure depuis des années en Égypte, ne soient retracés.
2.
De la crise du logement en Égypte : facteurs économiques,
sociaux, démographiques et institutionnels
Une image vaut mille mots, dit l’adage, qui se vérifie une fois de plus lorsque vient le
temps de décrire la situation qui prévaut actuellement en Égypte. En effet, une simple
promenade au Caire permet de constater, de visu, nombre de problèmes qui affligent cette
grande cité, où plus de 19 millions d’habitants vivent sur les rives du Nil 1251.
C’est un lieu commun : à l’instar de la majorité des grandes villes du monde en
développement, les mouvements migratoires des zones rurales vers les centres urbains
font en sorte que plusieurs milliers de personnes s’y entassent, qui en périphérie ou au
cœur de la ville, qui dans des immeubles, abandonnés ou non, qui dans des espaces
vacants, là où la place le permet 1252. Mais ce qui frappe encore davantage l’esprit est
l’état avancé de décrépitude des édifices et des infrastructures, se constatant avec
ahurissement, pour le visiteur étranger, autant dans les édifices patrimoniaux et autour
des joyaux culturels (les bidonvilles cernant les célèbres pyramides de Gizeh en étant un
exemple parmi d’autres), que dans les édifices commerciaux ou résidentiels. Certains
sont vides, d’autres sont surpeuplés. Quantité de projets immobiliers, habituellement à
vocation résidentielle, demeurent inachevés et sont à l’abandon. Pourtant, la restauration
1251
1252
S. POMMIER, op. cit., supra note 1236, p. 183. D’autres sources parlent de 18 millions
d’habitants. Voir : WENDEL COX CONSULTANCY,
Cairo Urban Area: Central City &
Suburban Population & Density, en
site Web de Demographia :
ligne
http://www.demographia.com/db-cairo.htm
(consulté le 18 juillet 2008).
sur
le
Pour une illustration plus littéraire du phénomène, lire Alaa EL ASWANY, L’Immeuble
Yacoubian
, Arles (Fr.), Actes Sud, 2006.

Page 519
493
et l’entretien appropriés de ce parc immobilier ferait l’envie des autres grandes cités du
monde.
En dépit de ce constat alarmant, les besoins en matière de logement sont criants, car se
profile, en toile de fond, une population jeune, en proie au chômage chronique ou, pis
encore, au non-emploi, condamnée à la pauvreté mais jouissant d’un certain niveau
d’éducation 1253.
Ces problèmes ne sont pas nouveaux. Le gouvernement égyptien tente, depuis la fin des
années soixante-dix, de juguler la surpopulation des grands centres urbains que sont Le
Caire et Alexandrie, en créant de nouvelles communautés urbaines le long du Nil, alors
qu’auparavant l’essor démographique des deux plus grandes villes du pays était
encouragé 1254. Quelques statistiques permettent de mieux saisir l’ampleur de la situation.
Entre 1970 et 1980, le nombre d’espaces résidentiels augmenta de 25 %. On estime
qu’environ 300 000 logements furent construits durant cette période. Toutefois, au même
1253
1254
Egypt
Human
CIA, World Factbook – Egypt (15 juin 2008), en ligne sur le site Web de la CIA :
https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/eg.html (consulté le 18 juillet
2008) donne un taux d’alphabétisme (c'est-à-dire «
age 15 and over can read and write ») de
71,4% en 2005. Le chiffre est porté à 83% chez les hommes et réduit à 59,4% chez les femmes.
ligne :
PNUD,
www.undp.org.eg/Portals/0/2008%20Egypt%20Human%20Development%20Report%20Complet
e.pdf (consulté le 18 juillet 2008) donne un taux de chômage des étudiants universitaires de
26,80% pour l’Égypte entière et de 43,35% pour Le Caire, en 2005. On souligne cependant que
plus de 30 % de la population égyptienne demeure analphabète. Aussi, le système d’éducation
connaît ses ratés, avec des méthodes désuètes, des enseignants sous-payés et un cours non adapté
aux exigences de la modernité, les milieux religieux prenant le relais. Voir : S. POMMIER,
op.
cit.
, supra note 1236, p. 214-217.
Development
Report
2008,
en
Azza A. SIRRY, « The Need for a Different Approach to Housing Provision; Can the New Real
Estate Finance Law Help? », dans HOUSING AND BUILDING RESEARCH CENTER
(EGYPT),
International Conference: Future Vision and Challenges for Urban Development.
Proceedings of a Conference Held December 20-22, 2004, Le Caire [« Different Approach »].
Cette approche serait en voie de changer, s’il faut en croire les intentions de la Banque mondiale et
du gouvernement égyptien dans le cadre du plus récent prêt octroyé en matière d’urbanisme et
d’habitat. Voir : WORLD BANK, Program Document – Affordable Mortgage Finance, supra
note 1246, p. 22, 28.

Page 520
494
moment, la population urbaine augmentait de 40 %. Ainsi, pour chaque nouveau
logement s’ajoutaient 13 personnes à cette population 1255. Au début des années 1990, la
demande pour la construction résidentielle n’avait pas chuté. En dépit d’un intense effort,
l’offre ne réussit jamais à satisfaire la demande.
L’Égypte compte 78 millions d’habitants, ce qui en fait l’un des États les plus populeux
du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord. Concentrée sur les rives du Nil, on estime la
densité de cette population supérieure à 1 100 personnes au kilomètre carré, l’une des
plus élevée au monde 1256. Avec un taux de natalité de l’ordre de 24,94 % et un taux de
mortalité de 5,23 %, l’accroissement naturel est évalué à 1,75 %. 1257 Quant au taux de
chômage, il oscille autour de 12 %. Enfin, le segment de la population âgé entre 20 et 30
ans s’est accru de 30 % entre 1990 et 2000. On estime qu’il augmentera d’un 20 %
additionnel entre 2000 et 2010 1258. Une jeune population égyptienne croît donc, en ce
moment, très rapidement.
Cela étant, il n’est pas étonnant que l’industrie de la construction ne fût pas en mesure de
s’acquitter de la demande. Entre 1995 et 2000, l’activité de ce secteur s’accrut de 10 %
1255
1256
1257
1258
« Egypt », Encyclopædia Britannica (2006), de Encyclopædia Britannica Premium Service, en
ligne: http://www.britannica.com/eb/article-43497 (consulté le 29 mai 2006).
Ibid. D’autres statistiques parlent même d’une densité de 1700 habitants au kilomètre carré. Voir :
S. POMMIER,
op. cit., supra note 1236, p. 177.
« Egypt », World Fact Book, en ligne: < http://www.cia.gov/cia/publications/factbook/ (consulté le
29 mai 2006).
Stephen EVERHART et Debra ERB et al, Egypt: Overview of the Housing Sector, Issues Paper 1:
2005, Overseas Private Investment Corporation (OPIC), Office of Economic Development, July
en
2005,
ligne:http://www.opic.gov/sites/default/files/docs/Issues_EgyptHousingOverview_July05.pdf
(consulté le 29 mai 2010) [«
Egypt Overview »].
p.
5,

Page 521
495
en moyenne, augmentant sa part du PNB de 5,2 % à 5,6 % 1259. Paradoxalement
toutefois, la hausse de la construction ne bénéficia qu’aux mieux nantis, laissant les
classes moyennes et inférieures sur le carreau, alors que les besoins s’y trouvent. En
effet, nombre de résidences luxueuses furent érigées durant cette période au détriment
d’habitations plus modiques.
Aussi est-il surprenant de constater que le taux d’inoccupation des propriétés au Caire se
situe à 14,5 % 1260. Les habitations qui sont occupées par leurs propriétaires ne
représentent que 32 %, ce qui est faible comparativement à d’autres pays de cette région,
alors qu’en Tunisie (67 %) et en Jordanie (75 %), ces taux sont beaucoup plus élevés
(voir le Tableau 1 ci-dessous).
Tableau 1 : « Housing Indicators Comparison, MENA and select
countries »
1261
1259
S. Nuri ERBAS et Frank E. NOTHAFT, The Role of Affordable Mortgages in Improving Living
Standards and Stimulating Growth: A Survey of Selected MENA Countries.
IMF Working Paper
02/17, Janvier 2002, p. 18, en ligne :
http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2002/wp0217.pdf (consulté le 29 mai 2010) [« Affordable
Mortgages
»].
1260 WORLD BANK, The Macroeconomic and Sectoral Performance of Housing Supply Policies in
Selected MENA Countries: A Comparative Analysis, Avril 2005, p. 16, en-ligne:
http://go.worldbank.org/75R70ZZGN0
(consulté le 29 mai 2010) [« Comparative Analysis »].
1261
S.N. ERBAS et F.E. NOTHAFT, Affordable Mortgages, supra note 1259, p. 14 et 17;
S. EVERHART et D. ERB
et al, Egypt Overview, supra note 1258, p. 10.


Page 522
496
Le difficile accès au financement contribue à cet état de fait pour les ménages issus des
classes moyennes et inférieures. D’autres statistiques indiquent que, pour satisfaire à la
demande, il faudrait construire annuellement au moins 750 000 logements, dont 480 000
pour les nouveaux mariés, 220 000 afin de remplacer des zones marginalisées et, enfin,
50 000 pour remplacer des édifices sur le point de s’écrouler. Le marché immobilier ne
peut malheureusement s’acquitter que de 35 % de cette demande et construire
annuellement 260 000 logements 1262.
Le gouvernement égyptien consacra près de 50 % des ressources investies aux différents
projets de l’État dans ce domaine afin de répondre à cette demande 1263. Près de 63 000
logements à prix modiques furent ainsi construits en 1998, ce qui représentait près de la
1262
1263
S. EVERHART et D. ERB et al, Egypt Overview, supra note 1258, p. 5-6. S. POMMIER, op. cit.,
supra note 1236, p. 212-214.
S. EVERHART et D. ERB et al, Egypt Overview, supra note 1258, p. 6.


Page 523
497
moitié des habitations construites sur le marché cette année-là 1264. Ajoutons que 29 %
des habitations dans ce secteur sont la propriété de l’État, comparativement à des taux de
beaucoup inférieurs en Tunisie (15 %), au Maroc (12 %) et en Jordanie (12 %) (voir le
Tableau 1 ci-dessus). Enfin, en comparaison de l’Algérie, de la Jordanie, du Maroc et de
la Tunisie, l’Égypte détient le plus bas taux d’habitations occupées par leurs propriétaires,
le plus élevé de citoyens habitant dans des logements étatiques à prix modiques et, enfin,
le taux le plus élevé de personnes habitant dans le secteur « informel » de l’habitation
(voir le tableau 1 ci-dessus). À toutes ces données correspondent autant d’empêchements
au bon fonctionnement d’un marché immobilier qui doivent être corrigés.
Ainsi, en parallèle à ce marché immobilier que l’on pourrait qualifier d’« officiel » s’est
développé une économie informelle, signifiant que des segments importants de la
population se logent sinon dans des habitations de fortune, vivent en squatters. Les coûts
importants associés aux divers permis de construction, combinés à la non-disponibilité du
crédit, incitent des pans entiers de la population égyptienne à s’établir en marge des
infrastructures publiques, dans des conditions insalubres, dangereuses et incontrôlées 1265.
Sachant qu’une proportion de 45 % de la population vit actuellement en zone urbaine et
que cette proportion est appelée à franchir le seuil de 62 % au cours des vingt prochaines
années 1266, sachant aussi que plus de 20 % de la population égyptienne vit sous le seuil
de la pauvreté (et principalement en milieu urbain) 1267, d’aucuns ne pensent que la
1264
1265
1266
1267
Ibid., p. 6.
S.N. ERBAS et F.E. NOTHAFT, Affordable Mortgages, supra note 1259, p. 13.
Ibid., p. 5.
« Egypt », World Fact Book, en ligne: http://www.cia.gov/cia/publications/factbook/ (consulté le
29 mai 2006).

Page 524
498
pauvreté ne cessera d’augmenter à moins de radicalement transformer les conditions
d’accès à la propriété et accroître le nombre d’habitations disponibles.
Pour cela, on soutien qu’un cadre législatif et règlementaire efficace en matière de crédit
foncier doive être mis en place, et dont l’absence se fait cruellement sentir en Égypte
depuis longtemps déjà.
3.
Du cadre législatif et réglementaire égyptien en matière de crédit
foncier
La crise du logement perdure et s’accentue en Égypte depuis maintenant plusieurs
décennies 1268. Tel que nous l’avons évoqué, plusieurs millions d’égyptiens vivent soit
dans des maisons impropres à l’habitation, soit à plusieurs dans des appartements trop
petits et bondés, quand ils n’ont tout simplement pas accès à une demeure quelconque.
Paradoxalement, des millions de pieds carrés d’appartements luxueux demeurent
inoccupés, voire invendus, et ce, dans toute l’Égypte, mais principalement dans les
régions du Caire, d’Alexandrie et des nouvelles communautés urbaines 1269.
Les raisons s’en trouvent, entre autres, dans les politiques à saveur socialiste mises en
place par les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir depuis la révolution de
1952. Ces politiques visaient à favoriser l’accès au logement, à l’éducation, ainsi que le
plein-emploi. Ces politiques, relevant de l’État-providence, eurent cours jusqu’à la fin
1268
1269
S. POMMIER, op. cit., supra note 1236, p. 212-213.
A.A. SIRRY, Different Approach, supra note 1254; Daliah MERZABAN, « Results from
Mortgage Law Eagerly Awaited », dans
American Chamber of Commerce in Egypt, Janvier 2003,
en
ligne:
http://newsite.amcham.org.eg/resources_publications/publications/business_monthly/ifrmissue.asp
?sec=17&subsec=Results%20from%20mortgage%20law%20eagerly%20awaited%20&im=1&iy=
2003 (consulté le 29 mai 2010); Peter SHAW-SMITH, « Mortgage Law Before Parliament », dans
American Chamber of Commerce in Egypt, Juin 2000, en ligne: http://www.amcham.org.eg/
(consulté le 29 mai 2006).

Page 525
499
des années 1980. Le développement industriel s’organisa alors autour des grands centres
que sont Le Caire et Alexandrie, y causant la migration des habitants des régions rurales,
non sans créer une pression certaine quant à la capacité d’accueil de ces villes. Bien que
le gouvernement et les municipalités s’efforcèrent de construire des habitations à loyers
modiques, ils ne parvinrent jamais à satisfaire à la demande. Conséquemment, les
services et les infrastructures publiques accusèrent un retard croissant, n’arrivant pas,
éventuellement, à répondre aux nombreux besoins additionnels ainsi créés.
Afin de résoudre cette impasse, le Président Sadat introduisit, dans les années 1970, une
planification urbaine consistant à établir de nouvelles cités dans le désert, loin des grands
centres, afin d’y attirer une bonne partie de leur surpopulation. Une agence des nouvelles
communautés urbaines (i.e. Authority of New Urban Communities) fut ainsi créée, afin de
veiller à l’établissement et à l’implantation de ces nouvelles cités, confiant par ailleurs au
secteur privé des terres afin d’y construire des logements, le gouvernement demeurant
responsable des infrastructures et services publics. Plus de 580 000 logements furent
ainsi construits sur une période d’environ vingt ans, dont la plupart demeurent inoccupés
ou invendus. Nombre d’études démontrent qu’il en est ainsi en raison de la non-
disponibilité du crédit pour la grande majorité des égyptiens 1270.
Il existe, au-delà de ces problèmes de planification urbaine, des difficultés résultant de
politiques en matière de contrôle des prix de loyers, de l’inefficacité des mesures de
recouvrement à la disposition des créanciers et, enfin, de la non-disponibilité du crédit.
1270
A.A. SIRRY, Different Approach, supra note 1254.

Page 526
500
Les mesures visant le contrôle des loyers eurent un impact déterminant dans la crise du
logement 1271. Introduites lors de la Seconde Guerre mondiale à titre temporaire, elles
furent consolidées et reconduites de façon permanente après coup. D’application
générale à tout type de logement, elles eurent pour effet de réduire le prix des loyers et
des propriétés, le prix des loyers étant fonction de la valeur de propriétés. Au surplus,
cette législation socialiste conférait au contrat de louage un caractère transmissible par
succession, aux héritiers légaux du locataire (i.e. ses ascendants et descendants), non
limité ou défini dans le temps. Récemment abrogée, cette législation a refait place à la
liberté contractuelle, qui a repris ses droits 1272. Elle continue cependant de s’appliquer
aux situations antérieures à son abrogation (pour des raisons que l’on ignore), laissant
perdurer un contrôle des loyers pour de nombreuses habitations, qui ne reflète
évidemment pas le prix du marché d’aujourd’hui 1273. On comprendra aisément que ces
mesures présentèrent un effet dissuasif considérable pour l’industrie de la construction.
En effet, il n’y a aucun incitatif à devenir propriétaire d’une habitation, pour des fins
personnelles ou à des fins de relocation, car ce n’est pas profitable, en plus d’imposer des
obligations d’entretien aux propriétaires de logements, dont ils n’ont plus intérêt à
s’acquitter, ce qui explique, au reste, la détérioration progressive et constante du parc
immobilier égyptien.
1271
1272
1273
Ibid. Voir aussi: Pierre LOZA, « The Not-So-Real Estate Market », Al-Ahram Weekly, 4 mars
2004, en ligne: http://weekly.ahram.org.eg/2004/680/ec2.htm (consulté le 29 mai 2010)
.
Cette législation fut abrogée en 1996. Voir : I.F.I. SHIHATA, op. cit., supra note 1174, p. 111.
Tout dépend des sources consultées. Ce système hérité de l’ère nassérienne, datant de 1943,
s’appelle le
khaliou et serait toujours en vigueur d’après S. POMMIER, op. cit., supra note 1236,
p. 214.
P. SHAW-SMITH, loc. cit., supra note 1269. Le gouvernement égyptien et la Banque mondiale
en sont bien conscients, mais acceptent cet état de faits avec fatalisme, ne semblant pas croire
Voir :
qu’une mesure législative pourrait mettre fin à cette sorte de droits acquis.
WORLD BANK, Program Document – Affordable Mortgage Finance, supra note 1246, p. 23, où
l’on souhaite tout de même accélérer le processus de la fin de ce régime.

Page 527
501
D’autre part, les mesures de recouvrement sont déficientes et ne sont habituellement pas
favorables aux créanciers. De façon pratique, il y aurait impossibilité d’évincer un
locataire pour non paiement du loyer ou pour tout autre défaut 1274. La reprise de
possession d’un bien ne serait pas davantage reconnue, que ce soit aux termes d’un bail
ou d’une hypothèque. Les procédures judiciaires en ce domaine s’avèrent longues et
complexes, durant minimalement entre 3 et 5 ans, et pouvant s’étirer sur une période de
15 ans. Plusieurs sources indiquent que l’article 1052 du Code civil égyptien interdirait
l’éviction des occupants d’un logement même en cas de défaut 1275, alors que la lecture de
cet article ne permet pas, à première vue, de parvenir à pareille conclusion 1276. Enfin,
d’un point de vue culturel, la mesure d’éviction ne serait pas comprise ou admise, car il
est inconcevable qu’une famille puisse se retrouver au pavé en cas de défaut. Cela
découlerait, entre autres, des préceptes du droit musulman. Néanmoins, s’il faut en croire
les observations de la Banque mondiale, de USAID et du gouvernement égyptien, cette
situation serait en voie de changer. En effet, la création d’un tribunal spécialisé pour
entendre les causes en matière hypothécaire et la formation d’agents de réalisation
permettraient de contrer le phénomène antérieur. On ne recense qu’une dizaine de
1274
1275
1276
P. SHAW-SMITH, loc. cit., supra note 1269; A. A. SIRRY, Different Approach, supra note 1254.
A. A. SIRRY, Different Approach, supra note 1254; D. MERZABAN, loc. cit., supra note 1269;
P. SHAW-SMITH,
loc. cit., supra note 1269.
En effet, l’article 1052 CCE se lit comme suit : « 1. All agreement that gives the right to creditor
in case the debt is not settled at its maturity date, to appropriate the mortgaged realty in return for
a defined amount whatsoever, or sell it without regard to the procedures imposed by the law, even
if that agreement might have been concluded after the mortgage. 2. However, after the debt or an
instalment thereof falls due, agreement may be reaches that the debtor shall cede to his creditor
the mortgaged realty in settlement of his debt
». Notre compréhension de cette disposition est
peut-être liée à un problème de traduction du texte original en langue arabe du Code civil égyptien.
Nous n’avons pas non plus accès à la jurisprudence l’ayant interprétée.

Page 528
502
causes, entendues en 2007 et 2008, dont on ignore les détails. On rapporte toutefois que
le tout s’est déroulé rapidement, à la satisfaction du marché hypothécaire naissant 1277.
Tous ces facteurs expliqueraient pourquoi, malgré la libéralisation du marché de la
construction dans les années 1990, la crise en ce domaine ne s’est pas résorbée 1278.
L’industrie de la construction a préféré cibler les classes possédantes et construisit
nombre de villas luxueuses. En raison des contraintes entourant l’exécution des
jugements et l’éviction des locataires, les plus fortunés représentent un risque moins élevé
à ce chapitre 1279. Qui plus est, l’acquisition d’une propriété, dans ce contexte, n’est
accessible qu’aux riches. Le mécanisme le plus courant consiste en une vente à
tempérament sur une courte période de trois à cinq ans, comprenant un paiement initial
important et à fort taux d’intérêt, pouvant aller jusqu’à vingt pourcent (20 %) 1280.
Ajoutons à tout ce qui précède les empêchements à obtenir du financement pour la
majorité des égyptiens. Ceux-ci doivent d’abord produire à l’institution financière leur
1277
1278
1279
1280
Voir : USAID / EGYPT, Rapport quinquennal USAID 2004-2009, supra note 1243, p. 22 (sous
« Foreclosure court cases pending resolution »). Voir aussi: WORLD BANK,
Program Document
– Affordable Mortgage Finance
, supra note 1246, p. 10, 21.
Voir : I. F.I. SHIHATA, op. cit., supra note 1174, p. 110-111: « All the previous elements
considered in this paper are of little use if, at the end of the legal process, the decision of the court
does not produce a significant effect for the litigants or the society. Many times lawyers, jurists,
judges and legal reformers fall into the intellectual temptation of forgetting the real purpose of
dispute resolution which is to serve the needs of the society and provide a remedy to aggrieved
parties. Unfortunately, in too many countries the judicial process is often too complex and too
costly an exercise which, at the end of the day, leaves the litigants in a situation no better than the
one they were in at the beginning of their dispute. […] In Egypt, even though a new legislation
was issued in early 1996 to free unoccupied and new buildings from rent control, an estimated one
million apartments or more remain vacant, owned mostly by Egyptians working abroad, as their
owners fear they would be unable to cause the tenants to leave them when the owners need them
for their own use or for use by their children when they grow up. The problems in this area
deserve the utmost attention. Without the ability to enforce a judicial judgment properly, the
whole exercise can become a purely academic pursuit
».
A. A. SIRRY, Different Approach, supra note 1254; D. MERZABAN, loc. cit., supra note 1269;
P. LOZA, loc. cit., supra note 1271.
A. A. SIRRY, Different Approach, supra note 1254.

Page 529
503
bilan financier personnel, comprenant une déclaration de revenus, ce qui s’avère difficile,
voire impossible, car les salaires sont très bas et les emplois, précaires et instables. Le
marché de l’immobilier souffre par ailleurs de restrictions imposées au chapitre des prêts
en ce domaine par la Banque centrale d’Égypte, qui, en 1998, imposa aux institutions
financières égyptiennes un plafond de 5 % du crédit accordé aux prêts immobiliers 1281.
De plus, il est virtuellement impossible d’utiliser une propriété immobilière à des fins de
sûretés. En effet, le cadastre et le système de publicité des droits s’avèrent archaïque,
sinon inexistant et, jusqu’à récemment, les coûts d’enregistrement étaient exorbitants 1282.
Retracer une chaîne de titres est par conséquent impossible dans ce cas. D’après
l’économiste Hernando De Soto, 92 % des immeubles et des terrains en zone urbaine, et
87 % en zone rurale, appartiennent au marché dit « informel » en Égypte, ce qui
représenterait la modique somme de 290 milliards de dollars américains. Selon De Soto,
les droits de propriété deviennent « formels » et partie intégrante du système lorsqu’ils
font l’objet d’une publicité adéquate, qu’ils sont régis par un ensemble de règles
exécutoires et qu’ils sont liés au reste de l’activité économique organisée. Aussi, affirme-
t-il : « [b]ecause ownership cannot be readily traced and validated, and exchanges
cannot be governed by a legally recognized set of rules, their assets cannot be used in
1281
1282
Ibid. Mais les réformes bancaires entreprises depuis 2004 visent justement à régler ce problème.
Les frais d’enregistrement étaient de l’ordre de 12 % de la valeur de la transaction immobilière.
Ce pourcentage fut réduit à 6 %, puis à 3,5 %, pour finalement être aboli. Désormais, une
tarification à taux fixes fut établie, avec un plafond maximal de 2000 livres égyptiennes, n’ayant
aucun lien avec la valeur de la transaction immobilière. Voir : WORLD BANK,
Program
Document – Affordable Mortgage Finance, supra note 1245, no 39, p. 12. Voir aussi les
références,
infra, note 1368. Cette mesure facilitera certainement l’implantation d’un régime de
publicité des droits en Égypte, car les pays en voie de développement ont souvent tendance à
empêcher son déploiement par
le processus
l’imposition de
d’enregistrement, en exigeant un pourcentage de la valeur de la transaction pour y procéder.
taxes déguisées minant

Page 530
504
efficient and legally secured market transactions. […] It is useless as collateral » 1283.
Par conséquent, l’unique source de financement demeure l’épargne personnelle 1284, ce
qui rend la situation particulièrement difficile aux jeunes époux, la tradition exigeant
qu’ils fassent l’acquisition d’une propriété avant le mariage 1285.
Ainsi, le cadre législatif et réglementaire, de même que le système financier, sont
profondément inappropriés en Égypte pour les besoins du crédit foncier 1286. Au surplus,
le prêt à intérêt, l’hypothèque ou toute forme de sûreté sans dépossession, ainsi que toute
mesure d’éviction, seraient contraire à une certaine conception de la tradition islamique.
Toutefois, le gouvernement égyptien a réussi, dans un contexte difficile, à faire adopter
par le parlement la Real Estate Finance Law, dont l’objectif premier est de donner accès
au crédit « formel » par l’entremise de contrats de financement (i.e. « finance
agreements ») et de faciliter les procédures de réalisation des créanciers en réduisant les
délais à 90 jours. Cette loi a également pour objectif de développer le marché des prêts
hypothécaires par la création d’un fond au bénéfice des classes moyennes et des
nécessiteux. L’adoption de la Real Estate Finance Law se fit suite à des années de débats
houleux. En 1998, une version antérieure de ce texte fut retirée du parlement en raison
1283
1284
1285
1286
Hernando DE SOTO, Dead Capital and the Poor in Egypt, Le Caire, The Egyptian Center for
Economic Studies, 1997.
A. A. SIRRY, Different Approach, supra note 1254.
D. MERZABAN, loc. cit., supra note 1269.
Voir cependant l’avis de la Banque mondiale, dans WORLD BANK, WB Project Appraisal
Document
, supra note 1244, où l’on affirme, à l’annexe 4.3: « Egypt has a comprehensive set of
laws governing real estate, real estate transactions, real estate finance, and registration of real
estate rights, as well as a generally comprehensive and adequate laws regulating agency,
easements and real covenants, urban planning, building codes, landlord-tenant relations, adverse
possession (not against state land) and real estate taxation. […] Real estate can be bought, sold,
leased, inherited and given as security for a debt. The owner has the exclusive right to possess,
use and dispose of it within the limits of the law
». Il est étonnant que la Banque mondiale formule
de pareilles conclusions, qui sont reprises dans WORLD BANK, Program Document – Affordable
Mortgage Finance
, supra note 1246, no 36, p. 11.

Page 531
505
des déclarations d’un leader musulman à l’effet que les hypothèques sont proscrites en
droit musulman parce que fondées sur l’intérêt. Ce même leader a par la suite adouci sa
position, en précisant que les prêts bancaires ne devraient être octroyés que pour les
« nécessités de la vie ». Quoi qu’il en soit, la Real Estate Finance Law fut soumise aux
institutions de l’islam officiel d’Égypte 1287, qui l’approuvèrent, après avoir suggéré
certains changements terminologiques. Par exemple, les termes « interest payments »
devinrent « cost of finance ». 1288
En somme, la Real Estate Finance Law fut décrite comme suit :
The law set the General procedures for lending, indicating that lending under this
law is a three sided agreement that includes lender, owner and buyer. The law
defines that the reasons for getting loans include purchasing, building and
remodeling and upgrading buildings. The principle of valuation of property to be
bought by credit is set and regulated, the title is given to the buyer when the deal is
completed.
1289
Tel que nous le verrons dans les prochaines sections, la Real Estate Finance Law
s’éloigne du régime hypothécaire pourtant édicté aux termes du Code civil égyptien pour
opérer, semble-t-il, un retour aux sources du droit islamique, selon la conception qui en
est véhiculée en Égypte d’aujourd’hui. Cette loi sera-t-elle propice à la création d’un
véritable régime de crédit foncier ? Quelle en sera la portée véritable ? Bénéficie-t-elle
1287
1288
1289
S. POMMIER, op. cit., supra note 1269, p. 117-129, en particulier à la p. 118 : « L’islam officiel
s’articule aujourd’hui autour de trois institutions : le ministère des Waqfs, le mufti de la
République et surtout la grande mosquée d’Al-Azhar (« la Plus Fleurie »), grand pôle de
référence et centre de formation de l’islam sunnite.
» S. Pommier n’hésite pas à parler d’une
instrumentalisation du religieux par l’État égyptien, car il s’est approprié la nomination de leurs
têtes dirigeantes, dont celles du mufti de la République et du Recteur d’Al-Azhar, également une
université musulmane. Ces autorités sont appelées, dans leur fonctions, à juger de la conformité
des lois égyptiennes à la
charî’a, afin d’assurer leur légitimité auprès du peuple. Cette
instrumentalisation est cependant décriée par les figures radicales du mouvement islamiste, car
comme on sait, l’islam ne connaît pas d’institution ou d’autorité hiérarchique.
A. A. SIRRY, Different Approach, supra note 1254; D. MERZABAN, loc. cit., supra note 1269;
P. SHAW-SMITH, loc. cit., supra note 1269.
A. A. SIRRY, Different Approach, supra note 1254.

Page 532
506
de l’infrastructure nécessaire à son déploiement ? S’est-on assuré de sa cohérence
interne, d’une part, et de sa cohérence plus large s’inscrivant dans le système de droit
égyptien, d’autre part ? Par exemple, quelle sera son interaction avec le Code civil
égyptien, avec les lois de procédure civile et d’insolvabilité ? Autant de questions que
nous allons analyser dans ce travail, qui sont d’autant plus pertinentes sachant que, cinq
ans après son adoption, seulement seize (16) contrats de financement immobilier furent
contractés sous son égide. De là à parler d’un échec, il n’y a qu’un pas qu’il est très facile
de franchir 1290. Par la suite, le marché immobilier a connu un certain essor, mais qui fut
néanmoins qualifié de « timide » par la Banque mondiale 1291.
Ainsi, l’adoption de ce texte législatif constitue une reconnaissance du problème
entourant le crédit foncier par le gouvernement égyptien, mais qui ne peut actuellement
prétendre s’élever au rang de solution. Pourtant, d’aucuns ne remettraient en question
aujourd’hui l’importance pour l’économie d’un régime de crédit foncier qui fonctionne.
Un tel régime encourage l’investissement et libère des sommes qui sont disponibles chez
les épargnants à d’autres fins que le logement, contribue à l’amélioration du niveau de
vie, à la réduction de la pauvreté, au développement d’un secteur financier, à la création
d’emplois, etc. 1292 Qui plus est, même s’il existe plusieurs façons de concevoir un
régime de crédit foncier, ceux qui fonctionnent partagent habituellement tous néanmoins,
à des degrés divers, les éléments suivants :
One of these features is the availability of long-term loans, of 20 years or more from
a number of competing institutions, provided requirements are met. Another feature
1290
1291
1292
S. EVERHART et D. ERB, dir., Egypt Overview, supra note 1258.
Supra, note 1249.
S.N. ERBAS et F.E. NOTHAFT, Affordable Mortgages, supra note 1259, p. 18.

Page 533
507
is that the market has to be an active one, where loans could be used to purchase new
property and secondhand ones. Moreover, the rate charged to market loans should
be at market price, which is sufficient to cover the cost of raising funds,
administration costs, risk, and profit. Another common feature is that the procedures
for purchasing and selling a house are smooth and efficient
. 1293
Concrètement, cela suppose des méthodes d’évaluation généralement acceptées et
reconnues par tous, un régime de titre et de publicité efficace 1294, un libre cours à
l’autonomie de la volonté des parties, des taux d’intérêts qui tiennent compte de la
situation du marché et de l’inflation, des mesures de réalisations simples et peu
coûteuses 1295. Enfin, il faut éviter de confondre les mesures de justice distributive visant
à redistribuer des avantages salariaux ou autres avec les législations de crédit foncier, car
« it will deter the development of the mortgage market as people will be discouraged from
entering into long-term commitments, […] the financial system is a very inefficient and
inequitable tool for delivering subsidies » 1296, ce à quoi s’évertue pourtant la Real Estate
Finance Law.
1293
1294
1295
1296
Ziad Bahaa ELDIN, Mahmoud MOHIELDIN et Sahar NASR, Prospects of Mortgage Markets in
MENA Countries: An Analysis of Financial, Legal and Institutional Aspects with Emphasis on the
Egyptian Case Study
. ERF 11th Annual Conference, septembre 2004, p. 3, en ligne:
http://www.erf.org.eg/cms.php?id=publication_details&publication_id=559 (consulté le 30 mai
2010).
Dans le système actuel, force est de constater que ce n’est pas le cas : « acquiring formally a piece
of land to build a dwelling unit and then register the property following legally established
procedures, will require the individual to carry out 77 bureaucratic procedures in 31 different
public and private offices, all of which could take 6-14 years
». Voir : Ayman Ibrahim KAMEL
EL-HEFNAWI,
« Protecting » agricultural land from urbanization or « Managing » the conflict
between informal urban growth while meeting the demands of the communities (Lessons learnt
from the Egyptian policy reforms)
, thèse de doctorat, Université du Caire, Faculté d’ingénirie,
2001 [non publiée], p. 9. Nous avons pu consulter sur place cette thèse lors d’une rencontre avec
son auteur survenue le 12 novembre 2005 au Caire. De plus, Ayman Ibrahim Kamel El-Hefnawi
était alors «
Environmental Management Expert, at the Housing & Building Research Center,
Urban Training & Studies Institute, Ministry of Housing, Utilities & Urban Communities,
Government of Egypt
».
H. DE SOTO, op. cit., supra note 1283.
Z.B. ELDIN, M. MOHIELDIN et S. NASR, loc. cit., supra note 1293, p. 11.

Page 534
508
Comment expliquer le fait que l’Égypte fasse moins bien, en termes de crédit foncier, que
d’autres pays en voie de développement d’Amérique latine, d’Asie ou d’Europe de
l’Est ? 1297 Le mécanisme traditionnel de la vente à tempérament, qui demeure à ce jour
le véhicule privilégié en Égypte, n’assure le transfert du titre de propriété à l’acheteur que
lors du dernier versement, limitant ainsi ses droits et créant une période d’amortissement
plus courte à laquelle correspond des versements plus élevés. De plus, la Real Estate
Finance Law n’autorise que des prêts à taux fixes, qui ne permet donc pas de s’adapter
aux conditions changeantes du marché et de modifier conséquemment les modalités de
remboursement pour en tenir compte.
Afin de bien comprendre les tenants et aboutissants de cette législation et d’apporter des
pistes de réponses aux nombreuses questions qu’elle suscite, il faut d’abord analyser de
quelle façon la gouvernance et la règle de droit sont envisagés en Égypte. Nous verrons
que l’historique des sources égyptiennes du droit s’avère un parcours tumultueux.
C.
La gouvernance et la règle de droit : un historique tumultueux des
sources égyptiennes du droit
Avant d’aborder notre analyse des sources égyptiennes du droit qui nous mènera à celle
de la Real Estate Finance Law, il nous faut dire quelques mots au sujet de la
méthodologie suivie et des sources disponibles à nos fins. En effet, l’étude du droit
égyptien est une entreprise périlleuse pour plusieurs raisons, dont certaines furent
évoquées comme suit :
[…] Egyptian law is certainly the result of continuous contacts between generations
of jurists, and it is probably therein that its wealth is to be found. It is also, of
course, the product of history and the changes in the Egyptian society. But Egyptian
1297
S.N. ERBAS et F.E. NOTHAFT, Affordable Mortgages, supra note 1259, p. 14, 22 et 23.

Page 535
509
law – legislation and case-law together – is nevertheless in its different branches a
law for itself, original and distinct from its sources of inspiration. Whence, the
interest in becoming acquainted with it. However, it is difficult to approach because
of the absence of works treating of it in a manner which is both detailed and
embracing. It is no longer written in French; Western research deals only sparingly
with it, and Arab legal literature, however abundant it may be, nevertheless remains
dispersed and difficult of access.
1298
Mentionnons toutefois que la législation est parfois disponible en langue anglaise, mais
qu’elle ne l’est pas en français. Nous référons donc, dans les pages qui suivent, aux
traductions anglaises que nous avons réussi à obtenir, lors de voyages en Égypte, de
textes qui nous sont apparus pertinents dans le contexte de la présente recherche.
Cependant, nous ne pouvons présumer de leur complétude ou exactitude, ni qu’ils n’aient
été modifiés, abrogés ou remplacés par d’autres. De surcroît, ces traductions ne sont pas
nécessairement de lectures aisées pour le juriste occidental, puisque référant, plus souvent
qu’autrement, à des idées ou concepts étrangers à notre tradition. Nous croyons
également que ces traductions peuvent avoir souffert de cette non réciprocité culturelle.
Il est important de souligner que nous n’avons pas eu d’accès direct à la jurisprudence, à
laquelle nous référons parfois, mais de sources secondaires. Nous n’avons donc pas pu
nous faire une idée précise (et personnelle) de l’interprétation des lois par les tribunaux
égyptiens que seule une étude de la jurisprudence aurait permis d’achever.
En ce qui a trait à la doctrine juridique, le traité le plus récent à notre connaissance est
l’œuvre de deux juristes français maintenant émigrés et professant dans des universités du
Caire. Dans ce livre de Baudouin Dupret et Nathalie Bernard-Maugiron, paru en 2002,
figurent des contributions d’« Egyptian jurists, […] those who, because they have been
1298
dans
Voir: Baudouin DUPRET
Baudouin DUPRET et Nathalie BERNARD-MAUGIRON, dir., Egypt and Its Laws, Londres,
Kluwer Law International, 2002, p. xxii.
et Nathalie BERNARD-MAUGIRON,
« Preface »,

Page 536
510
educated in this law and practice it while contributing to its construction and
transformation, have an intimate knowledge of it » 1299. Il est néanmoins significatif de
relever qu’aucune ne traite de la Real Estate Finance Law ni n’en fait mention, de près ou
de loin, loi qui fut pourtant adoptée en 2001 par le gouvernement égyptien aux termes
d’un long processus, donc avant la parution du livre. De nos visites en Égypte dans le
cadre de l’Étude de terrain ACDI, nous avons été à même de constater qu’hormis
quelques juristes égyptiens du ministère de la Justice de ce pays, les principaux
commentateurs de la Real Estate Finance Law sont principalement des économistes ou
des urbanistes, sans connaissance véritable du droit et de ses sources. Nous avons
rencontré le professeur Bernard-Maugiron ainsi que le doyen de la Faculté de droit de
l’Université du Caire, qui nous ont affirmé qu’à leur connaissance, la communauté
juridique égyptienne n’avait pas été impliquée dans ce processus, ce qui constitue un
élément additionnel qui permettrait d’expliquer l’insuccès de l’implantation de cette loi.
Nous nous sommes dès lors tournés vers les sources disponibles. Certains textes nous
furent remis par des fonctionnaires œuvrant au sein des différents ministères du
gouvernement égyptien, d’autres émanent de sources internationales ou universitaires, de
comparatistes réputés, glanés de par le vaste monde. Notons enfin que la littérature
provenant des sciences politiques et économiques, ainsi que de la sociologie, nous est
apparue plus abondante que la littérature juridique. Nous y avons donc puisé lorsque
nécessaire.
1299
Ibid., p. xxii.

Page 537
511
Ainsi, nous nous reposons sur les rencontres effectuées auprès de membres du
gouvernement égyptien lors de l’Étude de terrain ACDI, mais encore davantage sur les
sources documentaires secondaires que nous avons pu recueillir ici ou en Égypte.
Considérant la difficulté d’accès de ces sources, notre recherche, sans prétendre à
l’exhaustivité, demeure néanmoins le fidèle reflet de cette expérience.
Nous allons donc procéder en deux temps, où nous aborderons successivement
l’historique et l’évolution de la tradition islamique en Égypte [1], pour ensuite y cerner
l’évolution du droit patrimonial, balancier oscillant entre droit islamique et droit civil [2],
avant de considérer, dans la prochaine section, le texte même de la Real Estate Finance
Law dans ce contexte bien particulier.
1.
De l’historique et de l’évolution de la tradition islamique du droit
en Égypte
Il est de toute première importance de bien saisir que l’Égypte a toujours été partie
intégrante, depuis son origine au VIIe siècle de notre ère, de ce que l’on appelle la
tradition juridique islamique 1300. L’étude des origines de cette tradition, puis de son
évolution jusqu’au XIXe siècle [1.1], est le passage obligé qui, seul, mènera à une
compréhension véritable de la société égyptienne et de sa culture d’aujourd’hui. Sans
cela, toute tentative d’explication de la situation juridique égyptienne actuelle serait
vouée à l’échec, car cette tradition juridique l’a non seulement façonnée dans son droit
mais aussi dans toutes ses dimensions, les sphères privé et publique de cette religion étant
indissociables.
1300
Voir, de manière générale, la synthèse proposée par H. Patrick GLENN, Legal Traditions of the
World
, 2e éd., Gosport, Oxford University Press, 2004, p. 170 et suiv.

Page 538
512
Si l’on voulut d’abord occidentaliser le droit égyptien à l’occasion d’une première
période de réformes qui eut cours entre 1840 et 1930 [1.2], l’on tenta plutôt d’opérer un
compromis entre la tradition musulmane et le droit occidental lors de la période
subséquente, qui culminera avec la codification de 1948 [1.3]. Cet esprit de compromis
s’est par la suite évanoui, car l’on assiste, depuis 1952 jusqu’à nos jours, à ce que
plusieurs observateurs ont identifié comme étant la réislamisation progressive de la
société et du droit égyptien [1.4].
1.1
les origines et l’évolution, du VIIe siècle au XIXe siècle
Remonter aux sources du droit musulman, en exposer brièvement le panorama, s’inscrit
dans une tentative d’en cerner la philosophie générale. Pour ce faire, on peut identifier
les sources formelles de ce droit et les différentes écoles d’interprétation, afin d’être
mieux pénétrés des caractéristiques qui lui sont propres. S’agit-il d’un droit immuable ou
est-il capable de s’adapter aux inévitables changements qui forgent les sociétés au fil du
temps ? Voilà l’objet de notre réflexion, qui n’a aucune prétention d’exhaustivité, mais
qui consiste essentiellement à fournir un éclairage sur les exigences posées dans un
contexte de réforme du droit par une société de tradition musulmane.
Certains auteurs affirment que le fondement du droit musulman serait à n’en point douter
le Coran même, le Livre sacré de la révélation d’Allah à son dernier prophète,
Mahommet 1301. D’autres, au contraire, ne lui accordent qu’une importance relative :
[r]eading the Koran is a major undertaking, however, and particularly if you are
most interested in its law. There is not really much law in it, most say, involving
some 500 of the 6,000 – odd verses, and they are just scattered around, in no
particular, evident order. […] So the Koran has some law, but not much, and it’s
1301
R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, op. cit., supra note 5, p. 353.

Page 539
513
hard to find. It was, however, an inspiration, a source, of further law, and once
completed the working-out of all its implications could begin.
1302
L’élaboration du droit musulman s’étend sur quelques siècles après cette révélation, qui
donna naissance à la « Sunna », deuxième source du droit musulman, consistant en les
enseignements attribués au Prophète, devant servir de guide à tous les musulmans,
autrement appelée « tradition ». Cette Sunna se retrouve dans les « hadiths », décrits
comme étant des « statements which have been passed on in a continuous and reliable
chain of communication,
from
the Prophet himself,
to present adherents ».
L’établissement de la fiabilité et de la validité des hadiths serait une tâche demeurant
controversée, même de nos jours, parmi les interprètes autorisés. La troisième source du
droit musulman serait la « Ijma », équivalent à une conviction religieuse partagée parmi
les interprètes autorisés, objet de consensus. Une fois atteint, ce consensus ne peut être
remis en question, consensus qui s’observe par ailleurs de diverses manières selon les
écoles d’interprétation du droit musulman.
La dernière source du droit musulman serait la « qiya », décrite comme un raisonnement
analogique utilisé par les juristes islamiques, afin de faire coïncider une situation factuelle
donnée à un principe déjà établi en vertu du Coran, de la Sunna, des hadiths et de l’Ijma.
Ce faisant, il ne s’agirait pas de changer le corpus des sources du droit tel qu’il fut établi
1302
H.P. GLENN, op. cit., supra note 1300, p. 172. Voir aussi: Yvon LINANT DE BELLEFONDS,
Traité de droit musulman comparé, vol. 1, Paris, Mouton & Co, 1965, nos 33-34, p. 31-33, pour
qui le Coran et la Sunna ne sont pas des sources « formelles » du droit musulman, car « […]
celui
qui doit enseigner le Fiqh ou l’appliquer ne peut s’en tenir exclusivement ni au Coran ni aux
hadiths s’il lui faut connaître d’une façon précise la règle positive
. […] Toujours est-il, et quelle
que soit l’explication fournie, même dans les matières auxquelles le Coran apporte un important
fondement révélé, le système établi finalement par les légistes, en d’autres termes, le droit positif,
est loin de constituer un simple développement des textes coraniques. Celui qui s’aviserait de
vouloir retrouver tout le droit musulman dans le Coran, serait aussi désemparé que s’il espérait
apprendre le droit canonique de l’Église catholique, en s’aidant uniquement des Écritures
. […]
Ainsi, abstraction faite de quelques usages locaux dont les auteurs ont eu soin, du reste, de fixer et
la portée et le domaine d’application, la doctrine demeure la seule source formelle du droit
musulman
».

Page 540
514
au Xe siècle de notre ère, bien au contraire. Toutefois, notons, dans ce contexte, que le
droit musulman ne reconnaît pas le principe de l’autorité du précédent ou du stare decisis.
Le juge musulman adopte une approche au cas-par-cas. La coutume et la jurisprudence
ne sont pas considérées à titre de sources du droit, bien que le fiqh, c’est-à-dire
l’interprétation de la charî’a par les différentes écoles, leur fait une certaine place. En
somme, la charî’a, qui signifie la voie à suivre, est constituée du Coran, de la Sunna, de
la Ijma et des Qiyas, représentant l’ensemble du droit musulman. La charî’a ne fut pas
conçue de manière systémique et n’est régie par aucune autorité législative. Elle peut
donc vouloir dire plusieurs choses différentes, selon l’école d’interprétation à laquelle
l’on réfère, bien qu’il soit généralement admis que ces écoles partagent nombre de
principes communs. 1303
On considère cependant que ces sources que nous venons d’identifier, bien que présentant
un intérêt certain du point de vue historique, ne constitueraient pas pour autant des
« sources formelles » du droit musulman :
14. Pour nous, qui n’avons pas voulu nous placer dans une optique historique, et qui
ne considérons le droit musulman qu’à partir du moment où son élaboration est
achevée, il importe seulement de rechercher, non point les éléments à l’aide
desquels il a pu se constituer dans le passé (les sources historiques), mais les
documents, au sens large du mot, où il se trouve consigné, où l’on peut en trouver
l’expression autorisée. De là, le titre de « sources formelles », préférable à celui,
beaucoup trop ambigu, de « sources actuelles », qui pourrait laisser croire qu’il
existe de nos jours des autorités (jurisprudence, coutume, pouvoir législatif)
susceptibles de concourir à une formation actuelle de ce droit.
15. Où donc se trouve formulé le droit musulman ? La réponse est à la fois plus
simple et plus compliquée que lorsqu’il s’agit des autres systèmes juridiques. Elle
est plus simple, en ce sens qu’il n’existe en droit musulman qu’une seule source où
il soit permis de puiser la règle légale : la Doctrine. Il n’y a pas dans l’Islam
d’autorité – homme ou assemblée – investie du pouvoir de créer la norme juridique,
voire, de simplement modifier la règle en vigueur depuis dix siècles. La notion de
1303
R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, op. cit., supra note 5, p. 351-372 ; H.P. GLENN, op. cit.,
supra note 1300, p. 170-221.

Page 541
515
loi, dans son acception occidentale, y est inconnue. La jurisprudence, dont le rôle a
été considérable durant la période de formation de ce droit, n’a plus eu, depuis
l’établissement des écoles juridiques entre lesquelles se répartissent tous les
musulmans, de fonction créatrice. Même remarque en ce qui concerne la Coutume
qui a été historiquement une des sources du Fiqh, mais qui ne garde plus, du point
de vue orthodoxe, de valeur légale que sous la forme de l’usage local dont il arrive
parfois qu’il soit tenu compte, dans certaines matières d’importance secondaire.
Mais cette apparente simplicité ne laisse pas de poser des problèmes délicats, à telle
enseigne qu’un spécialiste du droit musulman a pu écrire : « On ne sait au juste où
est la loi ».
Cela tient au fait que ce n’est pas, le plus souvent, à l’œuvre du fondateur de l’école,
voire de ses disciples immédiats, qu’il y a lieu de se référer pour connaître la loi. Si
surprenant que cela puisse paraître, dans chaque école, une ou plusieurs œuvres
« parfois de basse époque » se sont imposées comme l’expression de la doctrine
officielle de cette école. Seuls, ces ouvrages sont consultés dans la pratique, ils font,
en quelque sorte, office de codes, et on ne recourt aux ouvrages fondamentaux, ceux
du fondateur de l’école ou de ses disciples immédiats, que dans des cas
exceptionnels, soit que l’on fasse, soi-même, œuvre scientifique, soit que l’on
veuille s’assurer de la parfaite orthodoxie du texte utilisé.
1304
Ces différentes écoles d’interprétation divisent la tradition islamique en deux, avec d’un
côté la tradition orthodoxe sunnite, et de l’autre, l’hétérodoxe (incluant les chiites et les
kharejit). De la tradition orthodoxe, on dénombre quatre écoles : hanafite, malékite,
chaféite et hanbalite. Quant à l’hétérodoxe, on retrouve les écoles zeydiste et
djafartiste 1305. Il n’est pas de notre ressort de procéder à l’analyse des doctrines
proposées par chacune de ces écoles, bien que là réside le droit musulman. Nous nous
contenterons d’en évoquer certaines solutions dans le cadre de notre analyse du droit
égyptien actuel lorsqu’approprié, en référant aux spécialistes de ces questions.
Nous pouvons néanmoins dégager, à ce stade-ci, les principales caractéristiques de ce
droit, créé entre les VIIe et Xe siècles de notre ère, cristallisé depuis lors. Certains auteurs
ont tenté de procéder à son organisation réfléchie 1306, mais il n’est pas à proprement parlé
1304
1305
1306
Y. LINANT DE BELLEFONDS, op. cit., supra note 1302, p. 20-21.
R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, op. cit., supra note 5, p. 351-352.
C’est notamment le sens de la contribution de Yvon Linant de Bellefonds, qui, dans son traité de
droit musulman comparé, ne fait pas œuvre de droit comparé au sens classique du terme ou

Page 542
516
« systématisé », comme on l’entend en Occident 1307. De plus, la frontière entre droit et
religion n’existerait pas dans l’Islam, s’agissant d’un droit révélé, immuable 1308. Pour
cela, il ne saurait être considéré à titre supplétif à d’autres systèmes juridiques, à l’inverse
du droit canon catholique, car le concept occidental de l’État-nation serait étranger à
l’Islam, le gouvernement des hommes ne pouvant être « souverain » et étant plutôt
subordonné à l’application de la loi divine. Enfin, l’Islam se distinguerait des autres
religions monothéistes par une absence remarquable de hiérarchie institutionnelle, ne
connaissant pas d’équivalent au Grand Sanhédrin juif, à la papauté catholique, pas plus
qu’aux autres hiérarchies connues des églises chrétiennes 1309.
L’Islam et son droit sont-ils capables d’évoluer au gré des situations nouvelles que le
temps ne manque pas d’apporter avec lui ? Son caractère immuable fut relevé à de
nombreuses reprises : « the door of endeavour has been closed », « la porte de la
connaissance est fermée ». Peut-on de nouveau ouvrir cette porte ? Singulier débat,
désormais maintes fois séculaire. Ce caractère immutable n’est pas sans présenter un
effet délétère quant à toute velléité de dissocier État et religion, ainsi qu’à l’égard de tout
effort de modernisation de la législation pour l’adapter aux besoins de l’époque actuelle,
l’exemple égyptien étant révélateur :
En somme, depuis le septième siècle de l’Hégire (XIIIe siècle), la Loi musulmane est
immuable et intangible ; de sorte qu’aucun gouvernement, aucune assemblée
législative, aucun parlement ne pourrait apporter la moindre modification aux règles
seraient comparés le droit musulman et un autre droit, mais procédant plutôt à la comparaison des
différentes
Voir :
orthodoxes
Y. LINANT DE BELLEFONDS,
op. cit., supra note 1302, p. 7-18.
droit musulman.
doctrines
écoles
du
de
1307
1308
1309
Ibid., nos 59-64, p. 54-58.
R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, op. cit., supra note 5, p. 358.
H.P. GLENN, op. cit., supra note 1300, p. 179, 208-213.

Page 543
517
juridiques telles qu’elles ont été fixées aux troisième et quatrième siècles, dans les
ouvrages des fondateurs d’écoles et de leurs disciples immédiats.
[…] Aujourd’hui, cette discipline [i.e. “taqlid”, cette doctrine de l’immutabilité],
s’impose avec la même rigueur qu’il y a dix siècles et la doctrine orthodoxe ne
reconnaît même pas à toute la communauté musulmane unanime le droit de s’y
soustraire. Le respect de ce principe explique, comme nous le disions, la politique
législative si embarassée qui a été celle de l’Égypte, durant le demi-siècle passé,
quand les autorités se sont avisées d’apporter quelques changements aux règles de
droit hanafite encore appliquées dans le pays. Pour y arriver on a dû avoir recours à
des procédés compliqués, à de véritables expédients juridiques qui n’ont permis que
des réformes assez modestes qui contrastent par leur timidité avec l’ampleur de
l’œuvre législative accomplie dans les autres domaines.
[…] Nulle part, cependant [dans le monde arabo-musulman] la substitution de ce
droit positif [i.e. établi par le législateur] aux règles du droit musulman, ne fut totale.
De même que dans l’Empire romain ont coexisté pendant longtemps jus civile et
droit prétorien, de même, dans tout l’Islam, va s’établir une répartition de
compétence entre ces deux systèmes qui vont chacun avoir un domaine exclusif
d’application. […]
1310
[Notre soulignement]
Les domaines du droit des personnes, de la famille, des successions, des libéralités, du
waqf, furent jadis considérés davantage immuables que celui du droit commercial. Ce ne
serait toutefois plus le cas aujourd’hui, tous les champs du droit, dans l’esprit musulman,
devant se conformer aux préceptes de la charî’a, incluant le crédit foncier 1311. En dépit
1310
1311
Voir : Yvon LINANT DE BELLEFONDS, « Immutabilité du droit musulman et réformes
législatives en Égypte », (1955)
Rev. Int. dr. comp. 5, 8, 10 et 11.
Ce qui n’est pas sans présenter de difficultés, même dans le domaine de la finance islamique.
Voir, à ce sujet : Mohamed EL FATIH HAMID, « Development Financing in conformity with the
Shari’ah : Instruments and Limitations », dans Sabine SCHLEMMER-SCHULTE et Ko-
Yung TUNG, dir., Liber Amicorum Ibrahim F.I. Shihata : International Finance and Development
Law
, The Hague, Kluwer Law International, 2001, 387. Notons toutefois que nombre d’auteurs,
juristes ou non, répandent encore l’idée, à tort selon nous, que l’Égypte est un pays de droit civil,
sauf quant aux matières relevant du statut personnel. C’est ce que soutient laconiquement
S. POMMIER,
op. cit., supra note 1236, p. 79-80 : « La source principale de la loi est censée être
la charia, mais cette référence prévaut surtout sur les questions de statut personnel. Pour le reste,
le corpus mêle des innovations récentes, le legs des législations européennes adoptées au XIX
e
siècle, notamment le Code Napoléon [sic], et des survivances du droit ottoman
». Voir aussi :
U
NIVERSITÉ DOTTAWA, FACULTÉ DE DROIT, « Les systèmes juridiques dans le monde –
Répartition géographique », en
ligne : www.droitcivil.uottawa.ca/world-legal-systems/fra-
monde.php (consulté le 6 août 2008). Cette classification considère l’Égypte comme un pays
civiliste avec des point(e)s de droit musulman. Voir de même : UNIVERSITÉ DOTTAWA, FACULTÉ
DE DROIT
, « Les systèmes juridiques dans le monde – Répartition géographique », en ligne :
http://www.droitcivil.uottawa.ca/world-legal-systems/fra-afrique.php
(consulté le 6 août 2008). En
réalité, la question s’avère beaucoup plus complexe, comme nous allons le démontrer dans les
pages qui suivent.

Page 544
518
de son immutabilité, le droit musulman tente de s’adapter aux circonstances changeantes
de la société. Pour ce faire, principalement deux techniques sont utilisées. La première
consiste à justifier de nouvelles règles en puisant à d’autres écoles d’interprétation que
l’hanafite. Lorsqu’infructueuse, cette méthode cède le pas à des modifications
législatives de nature procédurale (par opposition à des modifications d’ordre substantif).
De cette manière, le législateur Égyptien limita l’exercice de certains droits, ou encore, la
compétence des tribunaux en certaines matières. On a également recours aux fictions
juridiques afin d’atteindre un résultat sans contrevenir à l’esprit de la charî’a 1312.
L’expérience égyptienne en la matière fut commentée comme suit :
Les méthodes utilisées évoquent les procédés par lesquels les juges anglais ont pu
tourner parfois la règle de l’« authoritative precedent ». En effet, le
fiqh laisse un
jeu à la coutume, à la convention des parties, à la réglementation administrative
qu’il est possible, sans lui porter atteinte, de parvenir à des solutions qui permettent
de construire une société moderne.
1313
Comme nous le verrons, la Real Estate Finance Law et sa réglementation font largement
appel à de tels procédés. Quoi qu’il en soit de l’immutabilité du droit musulman, la
société égyptienne, au carrefour de plusieurs
influences,
traversa une période
d’occidentalisation généralisée de ses institutions, à commencer par son droit, dont il nous
importe de rendre compte.
1312
1313
Y. LINANT DE BELLEFONDS, loc. cit., supra note 1310, p. 15, 26. Voir également :
Y. LINANT DE BELLEFONDS,
op. cit., supra note 1302, p. 42-44.
Voir: R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, op. cit., supra note 5, p. 361. Voir également:
Richard Abraham DEBS,
The Law of Property in Egypt: Islamic Law and Civil Code, Thèse de
doctorat (Ph.D.), Princeton University, Modern History, 1963, University Microfilms Inc., Ann
Arbor, Michigan, p. 139.



Page 545
519
1.2
l’occidentalisation du droit égyptien : première période de
réforme (1840-1930)
Au XIXe siècle, l’Égypte était partie intégrante de l’empire Ottoman. Mohammed Ali,
alors pacha d’Égypte, en restaure l’autorité après quatre années d’une guerre civile qui se
terminera par la retraite de l’armée française de Napoléon Bonaparte 1314. Sous son règne
(qui se prolongera par sa lignée jusqu’en 1952), une vague de réformes d’envergures sera
appliquée au pays, qui fit largement place aux idées occidentales, l’expertise d’étrangers
étant sollicitée au passage pour quantité de sujets, et ce, dans le but avoué de combler le
décalage Orient-Occident alors existant 1315.
1314
1315
Il est fascinant de lire le récit de l’expédition égyptienne du futur empereur à l’époque du
Directoire, qui durera quelques années, de 1798 à 1801. Au-delà des motifs relevant de la
politique étrangère de la France d’alors et des ambitions personnelles de Napoléon, celui-ci tenta
lors de son arrivée en Égypte de s’ériger au rang de protecteur des musulmans contre la férule
mamelouke alors au pouvoir. De ses discours, l’Égypte ne sera pas dupe : c’était la mission
civilisatrice occidentale que Bonaparte poursuivait (et non la préservation de l’Islam). Voir, à ce
sujet, S. POMMIER,
op. cit., supra note 1236, p. 20-25. Notons tout de même qu’à cette époque,
la question identitaire musulmane éveillait les sensibilités.
Voir, au sujet du règne du pacha Mohammed Ali (1769-1849), la synthèse de S. POMMIER, op.
cit.
, supra note 1236, p. 25-33. Son règne dura près de cinquante ans (1805-1847), ses fils, petit-
fils et arrière-petit-fils lui succéderont. Cette politique des grandeurs, marquée par la réalisation
du Canal de Suez et l’urbanisation croissante du Caire et d’Alexandrie, présenta néanmoins un
coût important pour l’Égypte, qui deviendra débitrice à l’égard de pays européens créanciers dans
cette aventure, ayant donné lieu à l’imposition par les puissances étrangères, le 2 mai 1876, d’une
Caisse de la dette publique, organisme de supervision du budget égyptien regroupant quatre
commissaires, français, anglais, italien et autrichien, représentant ses principaux créanciers.
Même si cela équivaut à une certaine forme de mise en tutelle de ce pays au plan économique (qui
aura une influence sur la suite des choses et qui se répétera, contribuant a exacerber le
nationalisme égyptien), la situation a considérablement évoluée entre le début du règne de
Mohammed Ali en 1805 et la nomination forcée de son arrière petit-fils Tewik en 1879 : «
En
l’espace de cinquante ans, la situation a considérablement évolué, même si la plupart des
Égyptiens conservent les modes de vie traditionnels consignés par Edward W. Lane dans son
fameux ouvrage
Account of the Manners and Customs of the Modern Egyptians, publié en 1838.
Outre les progrès administratifs et technologiques, la sociologie communautaire n’est plus la
même. Plusieurs mesures visent à attitrer les populations étrangères : les taxes sur les non-
musulmans ont été abolies, une cour spécifique règle les litiges impliquant des non-Égyptiens, les
missionnaires chrétiens sont autorisés à se livrer au prosélytisme. L’extraordinaire mutation du
Caire attire une foule d’étrangers – chrétiens du Levant, Juifs fuyant les persécutions, Grecs,
Italiens, marchands et aventuriers – qui confèrent à la haute société son cosmopolitisme. L’accès
à la propriété terrienne, accordé en 1871 aux étrangers comme aux locaux, fait émerger une
aristocratie foncière qui comprend de grandes familles coptes
».

Page 546
520
Au plan des réformes juridiques, des tribunaux mixtes sont créés en 1875, pour connaître
des litiges impliquant une partie étrangère. En 1883, des tribunaux nationaux sont établis
pour entendre les affaires concernant les nationaux. Durant cette période, des tribunaux
islamiques continuent de régner sans partage pour les nationaux en ce qui a trait aux
questions relevant du statut personnel. En 1876, un Code civil est adopté, d’inspiration
française, devant être appliqué par les tribunaux mixtes. En 1883, un autre Code civil est
promulgué, cette fois pour utilisation par les tribunaux nationaux. On a décrit a
posteriori ces codes civils en termes peu élogieux :
[…] [the civil codes are] the result of hasty draftsmanship, evidencing little concern
with the problems inherent in transplanting legal institutions from one social system
to another. […] [T]he Egyptians Civil Codes appear to break with all legal tradition
in Egypt and to mark the adoption – or imposition – of a totally foreign legal system
in that country. Presumably, such was the intent of the parties concerned with the
drafting of the first Codes for the Mixed Courts. As a condition to their acceptance
of the judicial reform, the Capitulatory [i.e. Ottoman] powers desired a legal system
that would preserve and protect their rights, a familiar system that they could utilize
without great inconvenience. They achieved such a system in the Mixed Courts, a
system designed primarily for foreigners, not for Egyptians. Yet with the adoption
of the virtually identical Native Codes, Egyptians were made subject to Western-
derived law in all of their civil transactions, whether with foreigners or among
themselves. Nevertheless, at least with respect to land law, traditional Islamic law
as it existed in Egypt prior to the adoption of the new Civil Codes continued to play
a major role in the Egyptian legal system.
[…]
The survival of traditional [Islamic] law under the civil code system was due to the
fact that the French-derived Civil Codes made no effective provision for those
elements of the existing system of land tenure that were foreign to French law.
Superficial attempts to assimilate those traditional elements within the legal theory
of the new Codes were generally unsuccessful, and as a result, special laws were
required, most of which were based on traditional law. Furthermore, even in those
areas where the Civil Codes completely superseded traditional law, many of the
provisions of the new Codes themselves were based on traditional Islamic legal
institutions.
1316
1316
Voir: R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 90-92. B. Botiveau précise: « En Égypte,
l’adoption à partir des années 1870 de codes et tribunaux français, est le signe d’une
restructuration du droit imposée par un État sous tutelle étrangère, et répondant à des exigences
de rationalisation de la propriété foncière et de l’organisation des échanges économiques et
commerciaux. Elle est génératrice à la fois d’ordre et d’entropie des savoirs locaux confrontés à
la modernité
». Voir : B. BOTIVEAU, op. cit., supra note 1235, p. 18.

Page 547
521
[Notre soulignement]
La greffe du droit civil français en terre égyptienne ne fut pas des plus réussies, car en
dépit de l’adoption de ces codes civils, le droit musulman demeura une importante source
du droit égyptien. Des lois particulières furent requises afin de tenir compte de ce
décalage législatif, particulièrement en matière de droit des biens immobiliers. Devant
l’échec de cette tentative de codification des règles et la prolifération des lois et décrets
particuliers qui s’en suivit, une nouvelle réforme s’avérera nécessaire, qui mènera à
l’adoption du Code civil égyptien de 1948. Elle se fera à l’aune d’un nationalisme
égyptien tonifié par tant de vagues occidentalistes, ce nationalisme jetant alors les bases
du « […] development of a national Egyptian legal system and the abolition of foreign
privileges in Egypt ». 1317
Nous tournons maintenant notre attention au mouvement ayant inspiré cette codification
de 1948.
1.3
la modernisation du droit égyptien et le nationalisme
séculier : la codification de compromis entre le droit
islamique et le droit occidental (1930-1952)
Le premier objectif du mouvement réformiste, durant la première moitié du XXe siècle,
consista à créer un régime juridique unique, d’application universelle tant aux nationaux
qu’aux étrangers. On procéda donc à l’abolition des tribunaux mixtes et à la création
1317
R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 127.

Page 548
522
d’un seul niveau de tribunaux nationaux pour connaître indistinctement de tous les
différends 1318.
Dans ce contexte, les débats qui précédèrent l’adoption du Code civil égyptien de 1948 se
révèlent de première importance pour nos fins. Amorcés en 1937, les travaux
préparatoires à l’adoption de ce code furent confiés à plusieurs comités placés sous la
direction de deux éminents juristes, l’un Égyptien, ‘Abd-al-Razzaq Ahmad al-Sanhuri,
l’autre Français, le Doyen Édouard Lambert. Plusieurs projets de code furent proposés au
gouvernement égyptien avant la proclamation de 1948. Malheureusement pour le lecteur
ne maîtrisant pas la langue arabe, les travaux préparatoires et les commentaires portant
sur chacune des dispositions du Code civil égyptien ne furent publiés qu’en cette
langue 1319. L’idéologie qui présida à cette importante réforme fut décrite comme suit :
And as nationalism underscored the need for reform, so it defined its basic aim: the
new law of Egypt was to be Egyptian, serving the needs of the modern Egyptian
nation and reflecting its national character. The implementation of this aim,
however, was neither so clearly nor so unanimously defined. Beyond the basic
desire for a national law, there was no general agreement as to the nature or
character of such law, or as to the manner in which it was to be created. The
resolution of theses questions has thus far determined, and may continue to
determine, the course of legal development in modern Egypt.
In many respects, the discussion of these questions was part of the general debates
regarding the reform of the Shari’ah as part of the modern reform movement in
Islam. There were those who contended that the national law of Egypt, the civil law
as well as the laws of personal status, should be based on the Shari’ah – perhaps
modified and reorganized, but nonetheless the Shari’ah. […] In direct opposition to
this position were those who maintained that Egypt in the modern, Western, world
required a modern legal system, conforming to modern legal theories. […]
Between these two extremes of traditionalist and secularist positions were those who
maintained that while Egypt required a modern secular law in the Western sense, the
Shari’ah afforded a rich source of legal principles and rules that could be utilized in
the formulation of such law in Egypt. In their view, the law of Egypt could not be
1318
1319
Voir: B. DUPRET et N. BERNARD-MAUGIRON, loc. cit., supra note 1298, p. xxv-xxvi, xxviii-
xxxviii. Nous ne nous attarderons pas spécifiquement à l’étude de la structure de ces tribunaux
dans le présent ouvrage.
Voir: T. KHATTAB, « 1. Civil Law », dans B. DUPRET et N. BERNARD-MAUGIRON, op. cit.,
supra note 1298, p. 1-2.

Page 549
523
limited to the Shari’ah; yet in light of its history as the traditional law of the
country, they thought that Shari’ah rules should be adopted wherever they were not
inconsistent with the requirements of a modern state and that Shari’ah principles
should be employed as criteria in the selection of rules of law from other legal
systems. In general, it may be said that this latter compromise viewpoint prevailed
in the formulation of the basic theory for the new Civil Code.
1320
[Notre soulignement]
La charî’a serait donc une source d’influence du Code civil égyptien, opérant une
codification de compromis entre les préceptes de la charî’a et ceux découlant des
systèmes juridiques étrangers. Dans cet esprit, la charî’a est une source officielle
d’interprétation du Code civil égyptien, ainsi que l’édicte son article premier :
Article 1
(1) The legislative provisions shall apply to all matters these provisions are dealing
with, in text or content.
(2) Where no legislative provision is applicable, the judge shall pass his ruling
according to usage and practice. In the absence of usage, his judgment shall be
pronounced according to Islamic Law principles. In case no such principles exist,
his judgment shall be passed according to the principles of natural law and the rules
of justice.
[Notre soulignement]
Cette solution mitoyenne fut saluée, en son temps, par des juristes égyptiens réputés, dont
Chafik Chehata 1321. Il semble toutefois que les traditionalistes ne partagèrent
évidemment pas le même point de vue, si bien que l’on assiste à un processus de
1320
1321
R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 145-146.
Chafik CHEHATA, « Les survivances musulmanes dans la codification du droit civil égyptien »
(1965)
Rev. Int. dr. comp. 839. Tous ne partagèrent pas ce point de vue. Ainsi, pour Yvon Linant
de Bellefonds, « […]
la construction musulmane [de la théorie de l’acte juridique], telle que l’ont
dégagé les auteurs contemporains, n’a guère eu d’influence sur l’élaboration des codes civils des
obligations et des contrats que ce sont donnés la plupart des pays musulmans ces dernières
années. Ces codes, qui ne comprennent jamais la matière du statut personnel, entendu au sens
large du mot (ce qui en exclut les successions testamentaires et
ab intestat), sont inspirés des
législations occidentales, quand ils n’en reproduisent pas servilement l’esprit, voire la lettre.
C’est à peine si parfois, quelques unes de leurs dispositions recèlent une pensée proprement
musulmane ». Voir : Y. LINANT DE BELLEFONDS, op. cit., supra note 1302, no 58, p. 54.


Page 550
524
« réislamisation » graduel de la société et du droit égyptiens depuis la Révolution
nassérienne de 1952. La Real Estate Finance Law s’inscrit donc dans cette mouvance.
1.4
vers une réislamisation de la société et du droit égyptiens
(de 1952 à nos jours)
Les réformes évoquées plus tôt furent perçues par les traditionalistes comme autant
d’efforts de marginalisation de la charî’a 1322.
C’est ainsi que deux amendements furent apportés à la Constitution égyptienne. En 1971,
l’article 2 y fut ajouté, édictant que « Islam is the religion of the State and Arabic is the
official language. Principles of Islamic Jurisprudence are a principal source of
legislation ». En 1980, cette même disposition fut modifiée à nouveau, par référendum,
faisant à ce moment des principes de droit musulman « la » source principale de la
législation (et non « une » source principale parmi d’autres) 1323. Quant à savoir à quel
droit musulman on réfère alors, soit le droit codifié (adapté il est vrai dans le Code civil
ou les autres lois) ou le fiqh (traditionnel ou réinterprété), la question est complexe et
reste entière 1324. Une politique d’islamisation de la législation fut mise sur pied. Des
comités furent créés, chargés de la rédaction de codes civil et criminel conformes à la
charî’a. De tels projets de codes furent déposés au parlement égyptien mais n’ont pas
1322
1323
1324
R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 186; Sami ZUBAIDA, Law and Power in the Islamic
World
, Londres, I.B. Tauris, 2003, p. 158.
Constitution of Egypt, supra note 1234, art. 2.
Voir, sur ces questions : B. BOTIVEAU, op. cit., supra note 1235, p. 25 et suiv.




Page 551
encore été adoptés à ce jour 1325. D’aucuns doutent qu’il ne s’agisse d’un débat intense et
vigoureux :
525
A majority of jurists favour the status quo: the maintenance of positive law, in which
they are professionnally trained, and its courts and institutions. They respond to
popular demand for Islamization by asserting that the present laws respect the
Muslim tradition and no longer depends on borrowings from Europe. A second view
favours a gradual Islamization of existing law codes, through new legislation and
amendments. They want to guard against rapid transformations that would bring
instability and incoherence to the system, but aim, nevertheless, at increasing the
Islamic input and content of the law. This approach characterizes the programme of
influential government and political circles in Egypt, and indeed can be seen in
operation in that country. This view is held more or less strongly by most of the
political currents in Egypt, including elements within the ruling National Democratic
Party, and the traditionally liberal neo-Wafd. For the different strands of the Islamic
current, the Islamization of law takes precedence over consideration of legal
continuity and coherence. The existing legal system, they argue, is based on foreign
imports, alien to Islam. Any true project of Islamization will have to break up and
reform existing laws and legal institutions. These are matters of ideological
advocacy and political contest. Yet the legal professionnals within this current are
uneasy at the prospect of a return to traditional legal institutions and practices which
would render them redundant. […]
1326
[Nous soulignons]
1325
Voir : R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, op. cit., supra note 5, p. 371-372. Voir en
particulier la synthèse faite par B. BOTIVEAU,
op. cit., supra note 1235, en particulier aux p.22-
23, 25, 31, 35, 281-299, 327-357. B. Botiveau affirme, aux p. 22 et 35 de son ouvrage : «
Les
constructions sociales du droit que l’on peut observer aujourd’hui intègrent la normativité de la
loi islamique. Cependant les références à la
charî’a n’y sont pas univoques, car elles sont issues
dans leur diversité d’une construction historique du mot qui témoigne du pluralisme des
représentations de l’islam. Pour les États confrontés à la contestation islamiste, il s’est agi
d’abord de confirmer leur attachement à l’islam, par des références symboliques dans les
Constitutions et les codes de la famille. Ensuite comme ce fut le cas en Égypte dans les années
1980, il a fallu imaginer des codifications de la
charî’a dont on ne peut exclure qu’elles soient à
terme appliquées. Quant aux mouvements islamistes, ils ont compris la charî’a comme un code
social global allant bien au-delà des contraintes que l’État cherche à imposer par le droit. Au
point que c’est l’identité sociale qui se reconstruit dans la recherche, toujours poursuivie, d’une
nouvelle sociabilité que l’on ne peut réduire à son caractère islamique
. […] [U]n observateur
[i.e. Michaël Gilsenan]
de la société égyptienne contemporaine estime que « une seule conception
totalisante de l’ordre social, un seul langage, conserva son authenticité d’antan auprès d’une
grande partie de la population : l’islam ». Que cette conception exprime l’ordre social dans sa
totalité n’est peut-être pas si sûr, mais il n’en reste pas moins vrai que les États des pays arabes
aujourd’hui ne peuvent l’ignorer lorsqu’ils se donnent les moyens juridiques de légitimer leur
existence aux yeux des populations qu’ils gouvernent. La référence à l’islam, quelle que soit sa
forme, est systématique dans les Constitutions de ces États : pour avoir négligé cet impératif en
omettant de préciser, en 1973, dans un projet de Constitution, que la religion du chef de l’État est
l’islam et le
fiqh est l’une des sources principales de la législation, un gouvernement syrien
baasiste a failli être renversé sous la pression de la rue » [références omises].
1326
S. ZUBAIDA, op. cit., supra note 1322, p. 161-162.

Page 552
526
Quelle que soit l’issue de ce débat (s’il doit en connaître une un jour), le processus de
réislamisation de la société égyptienne bat son plein. Il n’est pas nouveau : voilà plus
d’un siècle qu’il fait rage avec une intensité toujours croissante. Tout effort de réforme
législative ne peut donc en faire l’économie. Sous l’impulsion de Nasser, le
gouvernement égyptien assujettît au contrôle de l’État deux institutions musulmanes.
C’est ainsi que le cheik de Al-Azhar et le Grand Mufti d’Égypte sont, depuis 1961, des
nominations publiques, empreintes d’une direction politique. En effet, l’une des
principales fonctions du cheik Al-Azhar consiste à confirmer au gouvernement la
conformité de ses politiques à la charî’a. Ces voix désormais institutionnalisées de
l’islam égyptien, dont l’interaction avec le gouvernement et l’équilibre entre les
conservateurs et les progressistes ne sont pas toujours aisés, sont évidemment remises en
cause par les militants islamistes plus radicaux. De nos jours, le débat politique
n’opposerait plus sécularistes et
islamistes, mais plutôt
islamistes modérés et
radicaux 1327.
Ayant bien posé la situation de l’islam en Égypte, nous allons procéder à l’étude de
l’évolution du droit privé patrimonial en ce pays.
2.
Du droit privé patrimonial en Égypte (obligations, biens, sûretés) :
du droit islamique au droit civil
Un survol des principales notions et institutions du droit privé patrimonial développées en
droit musulman s’impose [2.1], avant de faire de même en droit civil égyptien, tel que
promulgué aux termes du Code civil de 1948 [2.2]. Nous conclurons cette partie par un
1327
Ibid., p. 162-163. Voir aussi: S. POMMIER, op. cit., supra note 1236, p. 117-134, 184-190, 247-
249.

Page 553
527
examen de la législation en matière de publicité des droits et de cadastre et, bien sûr, en
exposant l’état de la situation actuelle quant à leur mise en œuvre [2.3].
2.1
de ces principes en droit islamique
Nous allons successivement considérer les modes traditionnels de propriété foncière en
droit musulman, pour ensuite discuter des modes d’acquisition, de disposition, ainsi que
des limites posées au droit de propriété. Nous nous pencherons ensuite sur les principes
en matière de prêt et d’intérêt, de sûretés, de droit procédural et de mesures de réalisation.
Il a été affirmé qu’aucune théorie générale du droit des biens n’existerait en droit
musulman 1328. Toutefois, « […] scattered throughout its various parts, particularly the
parts dealing with contracts, acquisition of property and state revenue, are many rules
which, if taken together, constitute a fairly well-defined system of land tenure » 1329.
On dénombrerait ainsi trois formes de propriété immobilière : la pleine propriété (mulk),
les waqf (c’est-à-dire une libéralité analogue à la fondation du droit civil québécois, en
vertu de laquelle des terres sont attribuées à un bénéficiaire, déterminé ou non, et qui peut
être établi à perpétuité 1330), et enfin, des terres du domaine public appartenant à l’État
mais exploitées et détenues par des particuliers à certaines conditions 1331. Les waqfs
1328
1329
1330
1331
Voir : R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 8: « [t]here is no general theory of property law in
the Shari’ah
».
Voir: Farhat J. ZIADEH, Property Law in the Arab World: Real Rights in Egypt, Iraq, Jordan,
Lebanon, Libya, Syria, Saudi Arabia and the Gulf States
, Londres, Graham & Trotman Limited,
1979, p. 1.
Voir, notamment : Y. LINANT DE BELLEFONDS, op. cit., supra note 1302, p. 163-166, en
particulier les nos 190 et 192.
F. J. ZIADEH, op. cit., supra note 1329, p. 1.

Page 554
528
auraient été abolis par législation particulière en 1952 1332. Pour nos fins, nous nous
contenterons de relever les traits saillants du régime de pleine propriété (mulk).
Le titulaire d’un mulk sur un bien peut en disposer à titre onéreux ou gratuit. Il lui est
loisible de le louer, de le prêter ou de le nantir. Ses droits sont transmissibles par voie
successorale et il peut constituer un waqf sur ce bien 1333. Plusieurs autres modes
d’acquisition de la propriété existent : la possession (ressemblant à la prescription
acquisitive du droit civil) et des règles similaires à celles de l’accession du droit civil 1334.
La portée du concept de propriété connaît néanmoins certaines limites. Mentionnons, à
ce chapitre, le droit de préemption, qui constitue un autre mode d’acquisition. Il s’agit
d’un droit de premier refus existant au bénéfice des voisins d’un propriétaire lorsque
celui-ci souhaite en disposer, l’idée étant de protéger les voisins de troubles de voisinage
potentiels et de leur conférer un droit de regard sur les nouveaux arrivants 1335.
Mentionnons également les limites imposées au droit de propriété en vertu de l’intérêt
public général, analogue à la théorie de l’abus de droit civiliste, ainsi que les lois
particulières pouvant restreindre ce droit de plusieurs manières 1336.
Le contrat de prêt d’argent et son habituel corollaire, l’intérêt, ne relèvent pas à
proprement parler du droit des biens. Il s’agit cependant d’une technique contractuelle
utilisée afin de faciliter l’accès à la propriété. Une discussion des principes applicables à
1332
1333
1334
1335
1336
R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 184. Il existerait cependant toujours un ministère des
Waqfs. Voir : S. POMMIER,
op. cit., supra note 1236, p. 117-125.
R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 25-28.
Ibid., p. 29-31.
Ibid.
Ibid., p. 23-25, 153-154.

Page 555
529
ces égards en droit musulman s’avère donc pertinente à nos fins. Le prêt à intérêt serait
prohibé sous l’empire de ce droit 1337. Le fondement de cette règle s’appuie sur l’idée du
partage du risque entre créancier et débiteur, dont l’intérêt serait la négation, car
constituant soit une forme d’enrichissement sans cause au profit du créancier, soit
l’appropriation du bien d’autrui. Afin de contourner cette interdiction, certains
mécanismes furent imaginés, d’abord en assurant un partage réel des risques entre les
parties, d’autre part en remettant la possession de la chose au créancier. La première
technique implique la création d’une forme d’association entre débiteur et créancier :
Translated to banking, this means that banks (where Islamic banking has been
introduced, since its appearance in Egypt in 1963) cannot simply charge interest on
loans but must acquire goods or take equity in the financially-supported enterprise,
sharing the risk of loss and the possibility for profit. There are highly developed
commercial vehicles for doing so, and here the law of partnership (in the absence of
corporations) assumes crucial importance. Three forms of partnership (with banks)
are most frequent, all with names perilously close to one another. For financing of
sales, absent interest-bearing loans, there is murabaha, where the bank acquires the
property first and then sells to the eventual purchaser, at a markup. For general
partnership, with both partners pooling resources (e.g. a bank and an entrepreneur)
and management stipulated for both or all, there is musharaka, and even
‘diminishing musharaka’, where the bank’s share is reimbursed over time. Finally,
for pure investments; there is mudaraba, resembling a musharak, but in which only
one partner provides the funds and the other manages the investment (here the bank
may play either role). Can Islamic partnerships provide the benefit of corporations,
while avoiding their temptations ? Some say no, but the western corporation has
recently lost some of its gloss (lending itself to various forms of corruption) and
Islamic financing is increasingly present in the world. Islamic bonds (sukuks) are
now being issued in western countries; ‘Islamic mortgages’ are being developed by
western banks; and western law firms are developing appropriate expertise. There
is a Dow Jones Islamic Index, facilitating the Islamic form of ‘ethical investing’.
Islamic finance would thus be neither socialism (which eliminates markets) nor
capitalism (which liberates them). It is another way of thinking. The Economist
magazine, not known for its Islamic tendencies, has said that it ‘may be better’.
1338
[Notre soulignement; références omises]
La valeur « éthique » des normes islamiques fut cependant remise en question :
1337
1338
Y. LINANT DE BELLEFONDS, op. cit., supra note 1302, p. 217-223.
H.P. GLENN, op. cit., supra note 1300, p. 183-185.

Page 556
530
Les tentatives d’appliquer la charî’a dans le domaine économique, avec notamment
la prohibition du prêt à intérêt, ont été discréditées, comme ce fut le cas en Égypte,
par des scandales financiers retentissants (les sociétés islamiques d’investissement,
qui drainèrent l’épargne des classes moyennes égyptiennes laissèrent un passif de
plusieurs nullards de dollars et des millions d’épargnants furent ruinés).
1339
Tel que nous le verrons lors de notre analyse de la Real Estate Finance Law, la notion de
partage de risque et la technique de l’association dans cette entreprise est au cœur de la
philosophie qui la sous-tend. En ce qui a trait à la remise de possession de la chose au
créancier, il s’agirait de la seule façon de constituer une sûreté selon les préceptes du
droit musulman 1340. Ainsi, le gage, contrat réel fondé sur la tradition matérielle et
juridique de la chose, est la seule sûreté, mobilière ou immobilière, que le droit musulman
reconnaît, à l’exception de la vente a réméré :
Under such a contract, a property owner would sell his property for the purpose of
acquiring needed funds, but would retain an option to repurchase the property within
the stipulated time. Pursuant to such an arrangement, the purchaser could take
possession of the property, or could lease it back to the original owner. In either
case, however, the contract resulted in the transfer of full ownership rights to the
purchaser.
1341
Le Code civil égyptien interdit ce type de vente; la Real Estate Finance Law, cependant,
sans la réintroduire explicitement, en élabore une variante.
Terminons ce survol des préceptes du droit musulman en nous penchant sur les mesures
d’exécution forcée contre les biens qu’il propose. En fait, en dépit de l’obtention d’un
1339
1340
R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, op. cit., supra note 5, p. 371-372.
Y. LINANT DE BELLEFONDS, op. cit., supra note 1302, pp. 126, 185-209, en particulier les nos
144, 219-225, 230-231, 249-251. Ce qui, en plus de présenter des difficultés considérables en
matière immobilière, constitue un empêchement très certain à l’établissement d’un régime de
sûretés mobilières moderne tel qu’entendu en Occident. Il est d’ailleurs révélateur de rapporter
qu’une tentative d’établissement d’un registre pour les biens mobiliers et d’une loi sur les sûretés
mobilières a été envisagée par USAID, qui confia au juriste canadien Ronald C.C. Cuming le soin
d’élaborer un projet de loi et de réglementation en ce sens, «
taking into consideration the
Egyptian legal system ». Le projet serait toujours au stade de l’étude de faisabilité selon les
renseignements disponibles. Voir : USAID / EGYPT,
Rapport quinquennal USAID 2004-2009,
supra note 1243, p. 11.
1341
R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 27 et 124.

Page 557
jugement favorable à sa cause, un créancier pourra difficilement l’exécuter contre les
biens du débiteur :
531
There is even relatively little procedural law, so it has been said that ‘legal decision-
making … has emphasized compromise and the concrete facts of the particular case
over adherence to broad principle or application of universal abstract norms’. […]
Since it is the parties themselves who are under an obligation to bring about an
understanding of the case compatible with the knowledge of God, there is great
emphasis on oral testimony, and written proof is in principle excluded, though may
be admitted in exceptional cases or to support oral testimony. […] Where there has
been no relief from the initial judgment, execution is however possible, though a
judgment contrary to Islamic law (according to extra-judicial criteria) cannot change
the status of the parties in the eyes of God. You can win, but still lose, eventually.
If you adhere to the tradition, this is to be taken into account. It is something like
having to act ‘inside the law’.
1342
Le poids de cette tradition explique sans doute les difficultés inhérentes à l’exécution des
jugements en Égypte, dans la mesure où il exerce une influence sur la manière de juger
des tribunaux civils. Les principes édictés en ces matières de droit privé patrimonial, aux
termes du Code civil égyptien, s’en éloignent-ils considérablement, ou s’agit-il d’une
codification de compromis entre ce droit musulman et les besoins de la modernité ?
2.2
de ces principes en droit civil égyptien
Le Code civil égyptien 1343 constitue-t-il le droit commun de l’Égypte, son réservoir de
concepts, produisant un effet de système, ainsi qu’on l’entend dans les pays civilistes ?
Si l’on a pu prétendre que tel était initialement l’objectif de ses rédacteurs 1344, l’histoire
récente tend à démontrer qu’il n’y serait pas parvenu. En multipliant les lois, règlements
et décrets particuliers, dont la Real Estate Finance Law n’est qu’un exemple, le
1342
1343
1344
H.P. GLENN, op. cit., supra note 1300, p. 177-178.
Supra, note 1238.
Voir: R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 150: « […] Finally, [the Civil Code] is a uniform
law of general application in that it serves as the basic civil law governing all civil cases in Egypt,
applied by a unified system of Courts. It is all of these, representing a synthesis of various
elements selected and integrated in accordance with standards established by the modern reform
movement ». Voir cependant les critiques formulées par Y. LINANT DE BELLEFONDS, op. cit.,
supra note 1302, no 58, p. 54.

Page 558
532
législateur égyptien s’éloigne considérablement de cette fonction organisatrice
habituellement attribuée à la codification. Ce désaveu va de pair avec la réislamisation
du droit égyptien. Au demeurant, le Code civil égyptien même, à son article 2, ouvre la
porte à sa marginalisation, alors qu’il y est précisé que « [n]o legislative provision shall
be repealed except by virtue of a subsequent legislation explicitly providing for such
repeal, or comprising a provision contradicting the text of the old legislation, or
regulating, afresh, the subject for which this legislation has set the relevant rules ». Il
devient par conséquent hasardeux de savoir, à la simple lecture de ce Code, s’il
s’applique toujours à nombre de domaines qu’il prétend régir 1345.
La question entourant la portée du Code civil égyptien recèle toute son importance
lorsqu’il s’agit d’évaluer le fonctionnement du processus législatif égyptien. Elle est
d’autant plus cruciale dans un contexte de réforme du droit et d’évaluation d’un
instrument comme la Real Estate Finance Law. En effet, tous les juristes du ministère de
la Justice du gouvernement égyptien que nous avons rencontrés dans le cadre de l’Étude
de terrain ACDI nous affirmaient que les techniques de constitution de sûretés sur des
biens immobiliers n’existaient pas en droit égyptien avant l’adoption de la Real Estate
Finance Law, en 2001, représentant, dès lors, une insigne innovation en la matière.
Pourtant, une simple consultation du Code civil égyptien trouvera le lecteur civiliste
1345
La Banque mondiale soutient toutefois que le Code civil continuerait de s’appliquer, la Real Estate
Finance Law
ne venant que le compléter. Ainsi, l’on affirme que « [t]he Civil Code establishes a
general framework for real estate lending, which is addressed more specifically by the Real Estate
Finance Law (Law No. 148 of 2001) (viz., Mortgage Law) and its executive regulations, which
govern all loans made for the purpose of purchasing, building, repairing or improving houses and
other buildings
». Voir: WORLD BANK, WB Project Appraisal Document, supra note 1244,
annexe 4.3, p. 40. Avec déférence, cette perception nous semble erronnée. En effet, les
dispositions du Code civil égyptien et celles de
la
Real Estate Finance Law sont
fondamentalement contradictoires, comme nous allons le démontrer.

Page 559
533
étonné : ce paysage lui est familier, avec des institutions fort ressemblantes à celles de la
plupart des codes d’inspiration napoléonienne.
Ainsi, le Code civil égyptien annonce deux sections, l’une régissant les obligations et les
contrats nommés, l’autre les droit réels, principaux et accessoires, ainsi que les sûretés
réelles. Quelques articles liminaires traitent des conflits de lois (art. 6-28 CCE), des
personnes (physiques ou morales) (art. 29-53 CCE) et des biens (art. 81-88 CCE) 1346. Ce
code comporte en tout 1149 articles, dont plusieurs sont soit abrogés, soit remplacés ou
modifiés par d’autres lois, ou réfèrent simplement à la charî’a ou, encore, à des lois
particulières. Le droit des personnes, de la famille, des successions, ne sont pas régis par
le Code civil égyptien, sauf quant à des aspects très administratifs (par exemple, le nom et
le domicile d’une personne 1347, la liquidation de la succession 1348). Quant au droit des
biens, les dispositions du Code civil égyptien sont très sommaires 1349. L’impression qui
s’en dégage est l’image d’un fromage suisse…
1346
1347
1348
1349
Ce qui n’est pas sans rappeler l’organisation des dispositions préliminaires du Code civil du Bas
Canada
, et notamment de ses articles 6 à 8 C.c.B.C. en matière de conflits de lois.
CCE, supra note 1238, art. 38-43.
Au chapitre des droits réels, dans les modes d’acquisition de la propriété, figure la voie
successorale (art. 875 CCE). On y précise cependant : « Defining successors, determining their
shares in the legacy, and transferring the legacy property to them shall be subject to the
provisions of Islamic Law (Shari’a) and the laws promulgated in respect thereof
». Donc, c’est un
pan entier du Code civil qui repose sur la
charî’a. Toutefois, les règles entourant la nomination
d’un liquidateur et la liquidation proprement dite sont précisées aux articles 876-914 CCE. Trois
dispositions concernent le testament (art. 915-917 CCE), pour préciser, à l’article 915 CCE, ce qui
suit : «
Provisions of Islamic Law (Shari’a) and the laws promulgated in respect thereof shall
apply to the testament
». Les articles 916 et 917 CCE traitent des donations mortis causa et rentes
viagères.
Ce sont les articles 81 à 88 CCE qui en traitent. La distinction classique entre les meubles et les
immeubles est énoncée à l’article 82 CCE, la catégorie des immeubles par destination y figurant :
«
1. All thing that is settled and fixed in its place and cannot be moved therefrom without damage,
shall be a realty. All other things are movable. 2. However, a movable that is placed by its owner
in a realty he/she owns and is appropriated for the service or exploitation of the realty shall be
considered a realty by allotment
».

Page 560
534
Au chapitre des contrats nommés, le prêt à intérêt est permis aux termes des articles 542
et 544 CCE 1350. Un auteur rapporte une décision de 1985 de la Cour constitutionnelle
égyptienne en ayant confirmé la validité, mais pour les contrats antérieurs aux
modifications constitutionnelles faisant de la charî’a la source principale de la
législation 1351.
En matière de droits réels, c’est le droit de propriété à la civiliste classique qui y est
énoncé :
[t]he basic theory of real rights in the Civil Code is Western in its origin. There is
no indication that it was derived from Islamic law, although the official compilation
of the legislative history of the Code contains citations to the Shari’ah for many of
the rules relating to such rights. These references, which appear throughout the
compilation in connection with specific provisions of the Code, do not necessarily –
and do not usually – indicate direct derivation from the Shari’ah but rather refer to
1350
1351
Le contrat de prêt est régi par les articles 538-544 CCE. La définition de l’article 538 CCE est on
ne peut plus classique et emprunte au droit civil : «
A loan is a contract whereby the lender is
committed to transfer to the borrower the ownership of an amount of money or any similar thing,
providing the borrower shall return to him at the end of the loan an object similar to it in its
amount, type and quality
». L’article 542 CCE, quant à lui, prévoit : « The borrower shall pay the
interests agreed upon on their maturity dates. If no agreement exists on payment of interests, the
loan shall be considered for no rate
». Enfin, l’article 544 CCE énonce les restrictions imposées
par la loi relativement au paiement des intérêts. Cette disposition confère, en fait, une faculté de
dédit à l’emprunteur, limitée aux six mois suivant la conclusion du contrat de prêt. À l’intérieur de
ce délai, le remboursement du prêt peut se faire, à charge pour l’emprunteur de payer six mois
d’intérêt au prêteur (en plus de son obligation de remboursement du capital). Disposition somme
toute contradictoire, car l’on y ajoute que le débiteur ne peut renoncer à son droit de rembourser
par anticipation le prêt et qu’il ne peut être contraint au paiement d’une pénalité à cet égard. On
présume donc que la pénalité maximale est de six mois dans ce cas, en plus du paiement des
intérêts pour la durée du prêt si le remboursement anticipé survient après la période initiale de six
mois.
Comparer : art. 2312-2332 C.c.Q. Quant au commodat ou prêt à usage, ce sont les articles
635 CCE et suiv. qui s’appliquent à une telle situation. Pour une étude des règles entourant cette
libéralité en droit musulman, lire : Yvon LINANT DE BELLEFONDS,
Traité de droit musulman
comparé
, vol. 3, Paris, Mouton & Co, 1973, p. 413-455.
S. ZUBAIDA, op. cit., supra note 1322, p. 169. La Cour constitutionnelle d’Égypte, créée en
1979, eut à juger de la conformité de certaines lois égyptiennes en regard de la Constitution
égyptienne et, surtout, des amendements y apportés, faisant de la
charî’a la principale source du
droit dans ce pays. En 1985, invitée par Al-Azhar à infirmer une décision d’un tribunal inférieur
ayant conclu à la validité du prêt à intérêt et, ce faisant, contraint le débiteur au remboursement, la
Cour constitutionnelle maintint cette décision et rejeta l’argument d’Al-Azhar fondé sur son
inconstitutionnalité (car contraire à la
charî’a). Ces amendements constitutionnels ne sont pas
rétroactifs et ne peuvent s’appliquer à des situations antérieures. Qu’en est-il aujourd’hui,
cependant, des contrats postérieurs auxdits amendements ? On peut penser qu’ils ne sont plus
valides, s’ils stipulent le paiement d’un intérêt.

Page 561
535
Islamic rules of law which are consistent with the adopted provisions. They are
indicative, however, of the attitude of the legislators towards the Shari’ah and the
role which has been ascribed to it in the civil law. It is also interesting to note that
most of these Shari’ah references in the chapters on property law are either to the
nineteenth century civil law compilation of Muhammad Qadri or to the Majellah,
the nineteenth century Ottoman codification of the Islamic rules of civil law; they
are usually not references to the original Shari’ah sources, although such sources are
generally cited in connection with the rules on obligations and contracts.
1352
[Notre soulignement]
Nous ne savons pas si ces principes sont toujours suivis de nos jours, compte tenu du
processus de réislamisation du droit ayant cours. Cependant, sur la foi des remarques que
nous avons formulées quant à l’état actuel du régime de crédit foncier, on peut croire que
non. Nous nous y référerons néanmoins lors de notre analyse de la Real Estate Finance
Law lorsque pertinent.
Contentons-nous, pour l’instant, d’en énoncer les grandes lignes. L’article 802 CCE
édicte : « [t]he owner of an object shall alone, and within the limits of the law, have the
right of using, exploiting and disposing of it ». On y retrouve les trois éléments du droit
des biens romaniste, que sont l’usus, le fructus et l’abusus. L’étendue du droit de
propriété et de ses démembrements correspond également à cette méthode : l’usufruit, le
droit d’usage et d’habitation y sont décrits (art. 985-998 CCE), de même que
l’emphytéose (art. 999-1014 CCE) 1353 et, enfin, les servitudes réelles (art. 1015-1029
CCE). Hormis certains particularismes propres à cette codification en raison du contexte
1352
1353
R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 157-158.
Curieusement, toutefois, l’emphytéose du Code civil égyptien est d’une durée maximale de
soixante ans (aucune durée minimale n’étant prévue), selon l’article 999 CCE, et ne peut être
consentie que par nécessité ou intérêt, sur autorisation de la «
Sharei Court of First Instance », le
contrat devant être rédigé par le président de ce tribunal ou passé devant notaire, étant de plus
assujetti à l’inscription au registre foncier (art. 1000 CCE). Habituellement d’une durée minimale
de neuf ans et d’une durée maximale de quatre-vingt-dix-neuf ans dans la tradition civiliste (voir
l’art. 568 C.c.B.C.), le Code civil du Québec se payait une coquetterie à cet égard, fixant ces
périodes à dix et cent ans (art. 1197 C.c.Q.).

Page 562
536
local et des usages 1354, des règles détaillées entourant la copropriété, tant indivise que
divise, y sont formulées (art. 825-869 CCE) 1355; le droit de superficie y est prévu (art.
803 CCE in fine); la propriété s’acquière par contrat (art. 932-934 CCE), par préemption
(qui serait la codification d’une institution du droit musulman) (art. 935-948 CCE), par
possession (art. 949-984 CCE), par accession (art. 918-931 CCE) et par voie successorale
(art. 875-917 CCE).
L’une des limites au droit de propriété découle de la codification de la théorie de l’abus
de droit, provenant du droit musulman. Énoncée comme principe général au tout début
du Code civil égyptien (art. 4 et 5 CCE), elle est réitérée dans la section consacrée aux
droits réels (art. 806-807 CCE). Ces dispositions référent en outre aux lois spéciales,
décrets et règlements d’intérêt public qui peuvent porter atteinte au droit de propriété. La
nature en est précisée à l’art. 5 CCE : « using a right shall be illicit if it is only meant to
cause harm to a third party, if the interests it intends to realize are of such minor
significance that they are completely unproportionate to the harm caused thereby to third
parties, and finally, if the interests it aims to realize are illegitimate ». Nous n’avons
aucune idée de l’ampleur de ces lois particulières, décrets ou règlements et, par
conséquent, de leur impact sur le droit de propriété. Quoi qu’il en soit, la portée de ce
principe général du droit musulman semble assez considérable, en théorie du moins, et
1354
1355
Par exemple, des dispositions traitant de l’irrigation des terres, des droits et obligations des voisins
à cet égard, figurent aux articles 808-811 CCE.
Ce qui constitue une avancée, en matière de copropriété divise, que le Québec ne connaîtra qu’en
1969, soit vingt ans plus tard, avec l’adoption de la
Loi sur la copropriété par déclaration, L.Q.
1969, c. 76 (entrée en vigueur le 28 novembre 1969), qui introduisit dans le
Code civil du Bas
Canada les articles 441b à 442q, lesquels établirent alors les règles relatives à la copropriété
divise. Voir aussi : François FRENETTE, « L'influence de la pratique quotidienne du notariat sur
l'évolution de la législation québécoise », (2001) 103
R. du N. 213. En ce qui a trait à l’indivision
à cette époque, voir : Marie DESCHAMPS, « Vers une approche renouvelée de l'indivision », (1984)
29
R.D. McGill 215.

Page 563
537
nous ignorons l’incidence qu’il peut présenter sur la constitution de sûretés réelles
immobilières 1356.
En cette matière, le Code civil égyptien édicte d’abord le principe du gage commun des
créanciers, de la sujétion uniforme des biens du débiteur à la satisfaction de ses dettes et
de l’égalité des créanciers hormis les causes légitimes de préférences. Ainsi, l’article 234
CCE énonce : « [1] All funds and property of the debtor shall guarantee the settlement of
his debts. [2] All creditors shall be equal in this security with the exception of those
enjoying precedence right according to the law ». Édicté dans le livre I sur les
obligations, plus particulièrement dans la partie II traitant des effets des obligations, c’est
au chapitre troisième de cette partie que l’on y prévoit, de plus, tous les outils disponibles
aux créanciers sous ce régime, intitulé « Implementation and guarantee methods securing
the rights of creditors » (art. 234-264 CCE). Nous y retrouvons ainsi l’action oblique
(art. 235-236 CCE), l’action paulienne (art. 238-243 CCE), des règles entourant la
simulation (art. 244-245 CCE), le droit de rétention lié à l’exceptio non adimpleti
contractus (art. 246-248 CCE) et même, pour finir, un régime d’insolvabilité (art. 249-
264 CCE) 1357. Au-delà de ce régime général d’exécution des obligations sont codifiées
les causes légitimes de préférence usuelles que sont les privilèges et charges statutaires,
1356
F. J. ZIADEH, op. cit., supra note 1329, p. 27-73; R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 155-
181. Ce qui n’est pas sans soulever l’inquiétude de la Banque mondiale dans le cadre du
financement octroyé en 2006 à l’Égypte pour la réforme de son credit foncier. Voir :
WORLD BANK,
WB Project Appraisal Document, supra note 1244, annexe 4.3, p. 41:
«
Egyptian law, both the Civil Code and Sharia, give neighbors and occupants (lessees) very
strong pre-emptive rights (rights of first refusal) to purchase real estate before it can be sold to a
third party, though this right can be waived. The implications of this principle of law for
registration of property transactions will have to be further investigated and addressed in the
course of the project ». Soudainement, le droit égyptien lui semble moins clair.
1357
Notons cependant que les faillites commerciales seraient désormais régies par une autre loi, à
savoir : Law No. 17 of the Year 1999 promulgating the Trade Law. Nous n’en traiterons pas dans
le cadre de la présente analyse.

Page 564
538
d’une part, le gage et l’hypothèque, d’autre part, une interdiction planant sur la vente à
réméré comme mécanisme de sûreté.
Les privilèges ou charges statutaires sont établis par la loi, ainsi que leur rang (art. 1130-
1149 CCE). Ils sont généraux ou spécifiques, mobiliers ou immobiliers, dont plusieurs
dans le Code civil égyptien même. Les frais de justice ou autres dépenses faites dans
l’intérêt commun, les créances dues à l’État, le droit de rétention, les sommes payables
aux ouvriers ou aux architectes dans un contexte de construction sont du nombre.
Puisque le Code civil égyptien réfère explicitement aux lois particulières, nous n’avons
pas d’idée précise du nombre de privilèges existants ni de l’impact qu’ils peuvent
présenter sur le crédit foncier.
Le gage, dans ses appellations anglaises « Possessory Pledge » ou « Pawn », est une
sûreté grevant tant des biens meubles qu’immeubles 1358 (art. 1096-1098 CCE). Il est
constitué par la tradition matérielle de la chose du débiteur au créancier ou à un tiers
convenu. Le gage peut garantir tout type d’obligation, qu’elle soit conditionnelle, future
ou éventuelle (i.e. contingent debt), et peut en garantir plusieurs à la fois. Le gage peut
même servir à garantir une ouverture de crédit (i.e. « open credit » ou « line of
credit ») 1359. Contrat réel accessoire (art. 1098 et 1042 CCE), il doit néanmoins être
constaté par écrit et, dans le cas où il porte sur un immeuble, faire l’objet d’une
1358
1359
Dans le cas d’un gage sur un immeuble, on réfère bien à la notion d’antichrèse, aux articles 1114-
1116 CCE.
Quand on songe aux longs débats ayant entouré la spécialité du gage, des nantissements et de
l’hypothèque relativement à sa cause en droit civil québécois, sous l’empire du Code civil du Bas
Canada
, et à l’interdiction initiale de garantir des marges de crédit, le Code civil égyptien fait dès
lors figure très moderne en 1948. Voir : P. CIOTOLA,
op. cit., supra note 124, p. 212-213; voir
aussi notre discussion, supra, Partie I, sous-section III. A. 2.2, traitant de la cause de l’obligation
dont l’obligation est garantie aux termes de la sûreté conventionnelle.

Page 565
539
publication au registre foncier (art. 1114 et 1117 CCE). Le rang est établi en fonction de
la date de l’écrit, lorsqu’il porte sur un meuble, et en fonction de l’inscription au registre
foncier, dans le cas d’un immeuble (art. 1117 CCE). Des dispositions particulières
régissent les gages de créances ou de dettes de livres, possibles par la notification au
débiteur cédé ou son acceptation, ainsi que par la remise du document en attestant au
créancier gagiste (art. 1123-1129 CCE) 1360. Enfin, les recours mis à la disposition du
1360
À la lecture des dispositions pertinentes du Code civil égyptien à cet égard, il ne faudrait pas y
voir, cependant, une déviation au caractère réel de ce contrat ou l’articulation d’un mécanisme de
dépossession fictive très étendu. En effet, le gage ne semble pas possible pour une universalité de
créances, présentes et futures. À l’article 1098 CCE, par renvoi à l’article 1033 CCE du chapitre
traitant des hypothèques, on prévoit ce qui suit : «
A mortgage of future property shall be
invalid
». De plus, l’article 1096 CCE, lorsqu’il définit le contrat de gage, énonce que la remise
du bien confère au créancier «
a corporeal right empowering him to detain the object pending
satisfaction of the debt
». Du reste, le concept même d’universalité n’est pas évoqué dans la
terminologie du Code civil égyptien. Partant, les dispositions des articles 1123 et 1124 CCE
semblent ne viser qu’une créance unique, tout en excluant les gages portant sur des « nominal
bonds » et « promissory notes » :
1123. Pawning a debt shall not be valid vis-a-vis the debtor except by serving a
notice of this pawn on him, or by the debtor’s acceptance thereof pursuant to the
provisions of article 305 [concernant la cession de créance, i.e.
Transfer of Debt].
Debt pawning shall not be valid vis-a-vis third parties except if the pawner is
holder of the pawned debt document. The ranking of the debt shall be reckoned
from the certified date of the notice served on the debtor or the date of
acceptance.
1124. Nominal bonds and promissory notes shall be pawned in the manner
specifically prescribed by the law for transference of these bonds, providing the
transfer shall be mentioned as having taken place for pawn purposes, and the
pawn shall take place without need for serving a notice.
La cession de créance à titre de garantie est-elle permise aux termes du Code civil égyptien ? La
lecture des dispositions en traitant ne permet pas de l’affirmer, quoique l’interdiction de la vente à
réméré à titre de garantie, prévue à l’article 465 CCE, semble l’interdire. Notons que le régime de
cession de créance des articles 303-314 CCE est assez semblable à celui du
Code civil du Québec,
quoique plus sommaire et ne traitant pas d’universalité de créances. Ces dispositions figurent sous
la partie IV du livre I des obligations, intitulée «
transfer of obligations ». À l’inverse du C.c.B.C.,
qui traitait de ces questions dans le chapitre portant sur la vente (art. 1570-1578 C.c.B.C.), le Code
civil égyptien précède en cela le réaménagement conceptuel qui fut achevé lors de l’adoption du
Code civil du Québec, la cession de créance figurant désormais au Chapitre VII du Livre 5 sur les
obligations, s’intitulant « De la transmission et des mutations de l’obligation ». Dès lors, se pose
la question de savoir si, en droit civil égyptien, la titrisation de créances est possible. Compte tenu
de ce qui précède, la réponse est fort probablement négative, considérant au surplus que les
dispositions du contrat de vente sont muettes à ce sujet (art. 418 et ss. CCE) et de l’interdiction
apparente de l’article 1053 CCE. Voir cependant les articles 14 à 16 des Règlements REFL, tel
qu’amendés, qui permettent un tel régime. Elle est au cœur du projet de réforme du crédit foncier
financé par la Banque mondiale (i.e. le
WB Egypt Mortgage Finance Project, supra note 1244),


Page 566
540
créancier gagiste comportent la vente aux enchères et la prise en paiement (art. 1119-
1121 CCE).
L’hypothèque, traduite de l’arabe par les expressions anglaises « Formal Pledge » ou,
plus improprement, à titre de « Mortgage », est en fait l’hypothèque bien connue de la
tradition civiliste 1361. C’est un contrat accessoire aux termes duquel le créancier devient
titulaire de droits réels sur un immeuble 1362 afin de garantir le paiement d’une dette,
assorti d’un droit de préférence face aux autres créanciers et d’un droit de suite (art. 1030,
1042 CCE). Il doit être constaté par un écrit officiel (i.e. « official document ») 1363 (art.
1031 CCE) et peut être consenti par le débiteur principal de l’obligation ou par un tiers
afin de permettre aux institutions financières pratiquant le financement immobilier de se financer
elles-mêmes sur un marché obligataire qui fut créé aux termes de ce projet. Au sujet de la
titrisation de créances en droit civil québécois, voir : Sterling H. DIETZE, « Securitizations and
the Province of Quebec », (2002) 18
B.F.L.R. 1 ; Edward B. CLAXTON, « Securitizations,
Monetizations, Royalty Trusts and the Quebec Trust », dans
Conférences Meredith – Les sociétés,
les fiducies et les entités hybrides en droit commercial contemporain
, Montréal, Faculté de droit
de l’Université McGill, 1997, 359 ; Yaëll EMERICH,
La propriété des créances: approches
comparatives
, Cowansville (Qc.), Éditions Yvon-Blais, 2006, p. 271 à 297. De manière plus
générale, voir : Steven L. SCHWARCZ, « The Alchemy of Asset Securitization », (1994) 1
Stan.
J. of L., Bus. & Fin.
133; « Securitization contributes to increasing market's liquidity », Arabic
News

ligne :
www.arabicnews.com/ansub/Daily/Day/020730/2002073045.html (consulté le 6 août 2008);
Richard A. GRAFF, « Securitization Demystified », (2006) 12:3
J. of Real Estate Portfolio Man.
233. Sur les risques inhérents à ce procédé, voir : Jean-Pierre LANDAU, « Réflexion sur la
titrisation et les turbulences financières », allocution prononcée dans le cadre du Forum financier
www.banque-
de
france.fr/fr/instit/telechar/discours/disc20071113.pdf (consulté le 8 août 2008); « At the risky end
of
ligne :
avril
(21
www.cfo.com/article.cfm/9058967/c_2984351/?f=archives (consulté le 30 mai 2010).
Economist
finance »,
octobre
2007),
2007),
2002),
ligne :
juillet
York
p. 80
New
The
(22
(30
83,
en
en
en
à
1361
1362
R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 175. Mentionnons par ailleurs que d’autres sûretés sont
disponibles aux commerçants sous l’empire de la
Law No 11 For the Year 1940 Relating to Sale
And Mortgage of Trade Stores
et des art. 119-147 of the Law No. 17 of the Year 1999
promulgating the Trade Law
, en matière de nantissements commerciaux, que nous n’étudierons
pas ici.
La prohibition de l’hypothèque sur un bien meuble, telle qu’édictée autrefois sous l’article 2022
C.c.B.C., ne figure pas explicitement au Code civil égyptien. Cependant, dans son article
définitoire (art. 1030 CCE), il s’agit d’un « real right on estate »; l’expression « realty » est aussi
employée dans plusieurs autres articles de ce chapitre du Code civil égyptien, par exemples aux
articles 1033, 1035 et 1039 CCE.
1363
On ignore de quoi il peut s’agir. Est-ce un acte notarié ?

Page 567
541
(art. 1032 CCE), la caution réelle étant permise. Le constituant doit néanmoins être
propriétaire du bien grevé et l’hypothèque ne peut porter sur des biens à venir (art. 1033-
1034 CCE).
L’hypothèque peut garantir
tout
type d’obligation, qu’elle soit
conditionnelle, future ou éventuelle, et peut en garantir plusieurs à la fois; elle peut
garantir une ouverture de crédit ou un compte bancaire courant (i.e. current account) ;
elle est néanmoins spéciale quant à sont montant (art. 1040 CCE). Elle doit être publiée
au registre foncier pour être opposable aux tiers (art. 1053 CCE). Les sommes garanties
par hypothèque comprennent, en plus du capital, « the interest charged, if any, of the two
years prior to registering the expropriation warning notification, together with the
interest accruing from the date of adjudicating the auction » (art. 1058 CCE) 1364. Le
titulaire jouit de plusieurs droits et recours, dont l’« expropriation » du débiteur ou la
vente aux enchères du bien grevé (art. 1052, 1060, 1071-1072 CCE), qui auraient été
remplacés par d’autres procédures aux termes du Code de procédure civile de 1968, dont
il n’existe pas, à notre connaissance, de traduction anglaise ou française disponible. De
nouveau, mentionnons que les auteurs consultés ne traitent pas de ces questions. Nous
n’avons pas eu accès à quelque jurisprudence ayant interprété l’une ou l’autre de ces
dispositions, aucun recueil n’existant à cet égard 1365. Des sources citées auparavant, il
semblerait que, de toute façon, ces mesures ne fonctionnent pas.
Notons par ailleurs que, de ce survol, force est de constater qu’un régime hypothécaire
relativement moderne est édicté par le Code civil égyptien. Il aurait paru indiqué de
réviser les règles de ce régime dans le contexte de l’Étude de terrain ACDI et de formuler
1364
1365
Comparer : art. 2959 C.c.Q.
F. J. ZIADEH, op. cit., supra note 1329, p. 75-77; R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 175;
T. KHATTAB,
loc. cit., supra note 1319, p. 11-13.

Page 568
542
les recommandations appropriés qui auraient, le cas échéant, permis de l’améliorer.
Toutefois, là ne sont pas les intentions du gouvernement égyptien, pour qui ce régime
hypothécaire n’existe pas ni ne correspond à ses aspirations politiques et culturelles, la
Real Estate Finance Law en étant l’illustration la plus patente.
Qu’en est-il des sûretés-propriété en droit civil égyptien ? Le champ ne semble pas
réglementé a priori. Cependant, l’article 465 CCE édicte : « [i]f the seller reserves, at the
time of sale, the right to recover the sold item within a specified period of time, the sale
shall be invalid ». Il s’agirait d’une prohibition à l’encontre de la vente à réméré du droit
musulman, ce qui représenta, lors de son adoption, un changement majeur par rapport à la
situation qui prévalait jusqu’alors, s’expliquant ainsi :
In 1923, the [Old] Civil Codes had been amended to provide that such a sale was
invalid if it constituted, in fact, a pledge arrangement (Law 49 of 1923), but the
Civil Code of 1949 went further and abolished such sales regardless of their
purpose. This prohibition resulted from many abuses connected with these
arrangements, among which was the charging of usurious interest rates. Somewhat
similar abuses had existed in connection with the possessory pledge of real property,
and its prohibition was also considered in Parliament. However, in view of the fact
that it was the most popular security agreement in agricultural areas,
where
recorded mortgages were not looked upon with favor
, the possessory pledge was
retained in the new Code. […]
Yet although the sale with a right of redemption has been abolished, it appears that
the other traditional form of security arrangement, the possessory pledge, is still
very important in Egypt.
1366
[Nos soulignements et caractères gras]
Un autre auteur propose l’explication suivante :
The reason for the change seems to be the fact that this type of sale was often used as
a devious means to effect possessory mortgages of small landholdings belonging to
peasants or small landowners, and that the result, in most cases was to deprive the
owners of their properties for a small price.
1367
1366
1367
R.A. DEBS, op. cit., supra note 1313, p. 175-176.
F. J. ZIADEH, op. cit., supra note 1329, p. 19.

Page 569
543
Est-que la Real Estate Finance Law opère un retour, dans les faits, à cette institution ?
C’est ce que nous analyserons dans la prochaine section. Peut-il ici s’agir, d’autre part,
d’une interdiction plus générale visant les pactes commissoires ? Il n’est pas spécifié, à
l’article 465 CCE, que cette condition résolutoire est fonction de l’exécution d’une
obligation principale, à l’instar de ce qui prévaut en droit civil québécois sous l’article
1801 C.c.Q. On peut toutefois penser qu’elle était destinée à produire cet effet.
Mais avant, nous allons présenter la situation actuelle du système de publicité des droits
et du cadastre en Égypte.
2.3
du système de publicité des droits et du cadastre
Le droit de propriété, ses démembrements, ainsi que leur aliénation, doivent faire l’objet
d’une publicité au registre foncier. C’est ce qu’énonce l’article 934 CCE : « ownership
and other corporeal rights shall not be transferred, whether between the contracting
parties or vis-à-vis third parties, unless the provisions indicated in the Law concerning
the organization of the real estate publicity and registration provisions, are observed ».
La législation relative à la publicité des droits réels est disséminée dans plusieurs textes, à
savoir (nous les énumérons sous leurs titres anglais) :
-
-
Law No 114 of the Year 1946 Regulating Real Estate Registration, Official
Gazette no. 85, August 24, 1946 (as amended from time to time) (la «
Loi
sur la publicité foncière de 1946
»);
Executive Regulation Decree in respect of regulating the Real Estate
Publicity Department
, Official Gazette no. 85, August 24, 1946 (as
amended from time to time) (les «
Règlements de 1946 sur la publicité
foncière
»);


Page 570
544
-
-
Decree of the President of the United Arab Republic Enacting the Law No.
142 of 1964 on In Rem Registry
(as amended from time to time) (le
«
Décret présidentiel de 1964 sur le registre des droits réels »); et
Executive Regulations on Sigueal El-Ainee, Version Number 189 issued at
Saturday 9 Shaaban 1395 (Arabic month) – 16 August 1975, Ministry of
Justice decision no 825:1975, with the
Executive Regulation of Law No
142 for Sigueal El-Ainee System
(les « Règlements de 1975 », ci-après
cités, avec la
Loi sur la publicité foncière de 1946, les Règlements de 1946
sur la publicité foncière
, le Décret présidentiel de 1964 sur le registre des
droits réels
, à titre de « Législation égyptienne en matière de publicité
foncière
») 1368.
La Loi sur la publicité foncière de 1946 remplaçait une loi antérieure. Elle visait à
assurer le développement d’un nouveau cadastre et d’un système d’enregistrement des
titres, dans le contexte de l’adoption du Code civil égyptien.
La Législation égyptienne en matière de publicité foncière crée des bureaux
d’enregistrement, à être implantés dans les diverses provinces et gouvernorats. Ces
bureaux d’enregistrements relèvent du ministère de la Justice, alors que le cadastre
dépend de deux ministères, à savoir le ministère du logement social et des nouvelles
communautés urbaines (i.e. Ministry of Housing, Utilities & Urban Communities), ainsi
que le ministère des travaux publics et de la gestion des eaux (i.e. Ministry of Public
1368
La traduction anglaise de cette législation fut obtenue directement du ministère de la Justice du
gouvernement égyptien, suite à une rencontre avec monsieur Mamdouh Ragheb Abdel-Zaher,
Supreme Court vice-chairman and General Authority for Real Estate Finance Board Member,
tenue le 7 novembre 2005 au Caire. Il faut ajouter, à cette
Législation égyptienne en matière de
publicité foncière
, la Law No 83/2006 amending some provisions of the Decree issued by Law No
70/1964 on Notarization and Registration Fees
, telle que citée sur le site Web du Ministère de
l’investissement égyptien, en ligne :
http://www.investment.gov.eg/en/NBFS/Mortage/Pages/LawsAndLegistlations.aspx (consulté le
30 mai 2010), qui prévoit «
the reduction of the registration fees to a flat amount of a maximum of
LE 2000, in addition to the implementation of a fast-track property registration for mortgaged
properties located in the Urban Communities
» (voir, pour cette dernière précision, une autre page
du même site Web, en ligne:
http://www.investment.gov.eg/en/NBFS/Mortage/Pages/DataAndKeyFigures.aspx (consulté le 30
mai 2010)). Voir aussi les références, supra, note 1282. Le texte de cette modification législative
ne semble pas disponible et nous n’avons pas pu le consulter.




Page 571
545
Works and Water Ressources), ce dernier étant en charge de la Survey Authority,
organisme chargé de présider à la réforme, à l’implantation et à la mise à jour du cadastre
égyptien. Ce partage des responsabilités explique sans doute les difficultés entourant la
réforme concertée dans ce domaine 1369.
La Législation égyptienne en matière de publicité foncière assujettit certains droits réels à
la publicité. Figurent, parmi ceux-ci, les droits réels découlant d’un jugement, de baux,
ceux dévolus par succession, ainsi que tout transfert, à titre gratuit ou onéreux, d’un droit
réel sur un bien immobilier. Les procédures d’enregistrement, les frais y afférents, ainsi
que le domaine de compétence des bureaux d’enregistrement y sont par ailleurs établis.
Cette législation fit l’objet, en 1979, du commentaire suivant :
Registration is at present regulated in Egypt by Law No. 114 1946. This law
indicates the disposition, judgments and instruments which would be published and
lays down the legal effects attendant upon this publication. It should be pointed out,
though, that this publication is of a “personal” and not “real” nature in that it
registers obligations according to the names of the parties not according to the
specific plots of land based on a cadastral survey. A new law, Law No. 42, 1964,
creates a system of registration of real rights based upon the plots of lands, but its
enforcement depends upon a new cadastral survey which
to be
completed.
1370
is yet
[Références omises; notre souligment]
Quels sont les progrès enregistrés depuis lors ? Le cadastre égyptien est-il désormais
bien implanté et fonctionnel, près de trois décennies plus tard ? La réponse du Dr.
1369
1370
De l’aveu même de Monsieur Farouk Ahmed Awad, sous-ministre de la justice, gouvernement
d’Égypte, rencontré le 7 novembre 2005 à ses bureaux du Caire.
F. J. ZIADEH, op. cit., supra note 1329, p. 44.

Page 572
546
Azza A. Sirry 1371, du ministère du logement social et des nouvelles communautés
urbaines, est éloquente :
[p]roperty registration system in Egypt is under the Ministry of Justice. It is an old
practice in Egypt. Some properties are registered as far as the nineteenth century,
but the system has suffered many drawbacks since its initiation. The registration of
ownership rights in Egypt is a major problem. The majority of land and housing are
not registered and if registered transactions are not registered due to high costs (6%
tax), and lengthy procedures. Each registration has a valuation or estimate price.
Thus, while actual transactions and change of owners happen it is rarely registered,
only primary contracts are written, opening the door for many disputes on
ownership.
1372
[Notre soulignement]
La réforme, l’implantation et la mise à jour du cadastre égyptien, amorcée en 1964, sont
donc loin d’être complétées. L’on y procéderait de façon partielle et graduelle, de
manière ad hoc, lors de la réalisation de projets gouvernementaux de logements sociaux.
À cet égard, il est intéressant de rapporter un projet pilote mené par le ministère de la
Justice en 2004-2005 dans l’un des quartiers du Caire, appelé « Dokki ». L’expérience
consistait à vérifier les données disponibles pour ce secteur relativement aux titres de
propriété fonciers. Le bureau d’enregistrement de cette circonscription foncière ne fut
que d’un faible secours : les actuels possesseurs de plus de 50 % des immeubles s’y
trouvant ne sont pas les propriétaires inscrits. Les résultats de cette étude ne sont pas
encore disponibles 1373.
1371
1372
1373
Dr. Azza A. Sirry, Consultant Engineer, Urban Planning and Housing Specialist, Associate
Professor, at the Housing & Building Research Center, Urban Training & Studies Institute,
Ministry of Housing, Utilities & Urban Communities, Government of Egypt
. Nous avons
rencontré le Dr. Sirry le 13 novembre 2005 à ses bureaux du Caire.
A.A. SIRRY, Different Approach, supra note 1254.
Nous avons appris l’existence de cette étude lors de nos rencontres au ministère de la Justice
d’Égypte, avec messieurs Farouk Ahmed Awad et Mamdouh Ragheb Abdel-Zaher, le 7 novembre
2005. Un compte-rendu de ce projet est fait dans WORLD BANK,
WB Project Appraisal
Document, supra note 1244, annexe 2, p. 23. Baptisé « Dokki Systematic Inventory Project », ce
projet du gouvernement égyptien avait pour objet « […] [to]
assess the feasibility of systematic

Page 573
547
Plusieurs facteurs expliqueraient l’insuccès du système de publicité des droits réels
immobiliers égyptien. Au premier chef, les coûts afférents à l’enregistrement d’un acte
de vente, d’une hypothèque, ou de tout autre droit réel étaient, jusqu’en 2006, prohibitifs.
Représentant alors un pourcentage de la transaction publiée, ils étaient de l’ordre de
douze pourcent (12 %) jusqu’à récemment, et furent progressivement réduits à 3 % par
décrets gouvernementaux successifs. Depuis 2006, le gouvernement égyptien a réduit les
coûts d’enregistrement à une grille tarifaire fixe, pour des sommes nominales, sans égard
à la valeur des transactions 1374. De plus, on évalue que les titres de propriété de
seulement 20 % des immeubles de la grande région du Caire seraient enregistrés en
faveur des occupants et propriétaires actuels. L’enregistrement du titre peut prendre
d’une à deux années, alors qu’une demande sur six est acceptée. Dans les bureaux
d’enregistrement du Caire, on estime à environ cinq ou six
les demandes
d’enregistrement qui sont annuellement traitées par les registrateurs. Le système, de
façon générale, n’est pas informatisé. Cela étant, les gens se tournent vers des moyens
informels, quand ils ne se dirigent pas vers les tribunaux afin de faire établir leur titre.
Environ la moitié des causes pendantes devant les tribunaux égyptiens concerneraient de
telles demandes 1375.
conversion of the district from the deeds recordation system to the tile registration system by
assessing conditions on the ground and the capabilities of local ESA and REPD offices, and is the
first project of its kind in urban areas. The Dokki project was carried out as an experiment to
identify potential issues and problems that may be encountered when establishing the title
registration system in urban areas
. An important outcome of the Dokki project is greater
understanding within government of the importance of the physical cadastre and index mapping
activity as a foundation for the systematic registration process. The lessons learned are helping to
strengthen the foundations of the national property registration program » [notre soulignement].
1374
Supra, note 1368.
1375 WORLD BANK, WB Project Appraisal Document, supra note 1244, annexe 4.2, p. 38.

Page 574
548
Une autre raison est parfois évoquée en guise d’explication aux ratés du régime de
propriété foncier égyptien, ce que d’aucuns ne seront tentés d’attribuer à un manque de
volonté politique :
There are other, wider factors, which cannot be divorced from the above set of
causes, including issues of governance and finally, the lack of political will.
Inadequate governance is a principal constraint to effective land management. Most
developing countries, metropolitan and local governments lack the capacity to carry
out effective land management activities because the political commitment to
strengthen local institutions in general sufficient forms is always disappointing.
Political will is crucial to mobilize other actors and to support partnerships,
especially with the community, rather than excluding the community from playing
an effective role in decision-making.
1376
Notons toutefois que la Banque mondiale, dans le cadre du WB Egypt Mortgage Finance
Project, a chapeauté les différentes initiatives entourant la réforme du cadastre et du
système de publicité des droits : USAID œuvre à
l’établissement d’une
telle
infrastructure ; le gouvernement finlandais a contribué aux travaux du gouvernement
égyptien en participant à une étude du système cadastral en zones rurales, prodiguant
certaines recommandations qui ne seraient pas encore appliquées ; enfin,
le
gouvernement égyptien a mené le projet Dokki et tente de changer sa législation et ses
façons de faire. La Banque mondiale estimait, au début du WB Egypt Mortgage Finance
Project, que la réforme de l’infrastructure cadastrale et du système d’enregistrement des
droits, avec les mesures de réalisation, représentaient les obstacles les plus inquiétants,
qui pouvaient compromettre le succès éventuel de l’implantation d’un marché immobilier
en Égypte 1377. Quatre années plus tard, cependant, il semblerait que les travaux
concertés de la Banque mondiale et de USAID commencent à porter leurs fruits. Un
projet pilote d’informatisation des bureaux d’enregistrements a cours ; le cadastre est mis
1376
A.I. KAMEL EL-HEFNAWI, op. cit., supra note 1294, p. 77.
1377 WORLD BANK, WB Project Appraisal Document, supra note 1244, annexe 2, p. 22-23, et
annexe 4, p. 27.

Page 575
549
à jour progressivement dans certains quartiers ; les frais relatifs à l’enregistrement
correspondent à des tarifs fixes ; la procédure d’enregistrement aurait été simplifiée.
Néanmoins, tel que nous l’avons déjà noté, les stastitiques de USAID ne sont pas
concluantes : à peine une dizaine d’actes auraient été enregistrés en 2007-2008, et les
délais de publication sont toujours longs 1378.
La réforme de la Législation égyptienne en matière de publicité foncière, stricto sensu,
dépasse le cadre de la présente étude. Nous en tiendrons cependant compte dans notre
évaluation de la Real Estate Finance Law, car les règles de publicité foncière
présenteront une incidence certaine sur le régime de sûretés réelles immobilières qu’elle
propose.
Nous avons déjà maintes fois écrit que la Real Estate Finance Law opère un retour au
droit musulman quant à la conception même d’une sûreté réelle immobilière, ce vers quoi
nous tournons maintenant notre attention.
D.
La Real Estate Finance Law de l’an 2001 : structure, objet et cadre
juridique
L’historique entourant la conception et l’adoption de la Real Estate Finance Law fut
énoncé dans les pages qui précèdent. Cet exposé avait également pour but d’expliquer le
contexte en ayant favorisé l’avènement. Nous pouvons à présent en étudier la structure et
l’objet [1], pour ensuite cerner la nature des droits et obligations qu’elle confère [2].
1378
USAID / EGYPT, Rapport quinquennal 2004-2009, supra note 1243, nos 40 et 73, p. 12, 20 et 21.

Page 576
550
1.
De la structure et de l’objet de la Real Estate Finance Law
La Real Estate Finance Law 1379 doit se lire en conjonction avec ses règlements 1380 et,
aussi, avec le contrat type ou modèle de financement immobilier 1381 devant être entériné
par les trois parties au projet de construction ou de rénovation immobilière, qui est en fait
l’objet véritable de cette loi à l’heure actuelle. Avant d’en énoncer les divers éléments,
précisons sa portée. L’article 1 de la partie liminaire de la Real Estate Finance Law
édicte :
Subject to the provisions of the Decree-Law No. 15 of the year 1963 prohibiting
alien’s possession of agricultural land and other virtually similar holdings, and law
No. 230 of the year 1996 reorganizing the possession of built realties and vacant
lands by non-Egyptians, the provisions of the attached law on Real Estate Finance
shall apply and all provisions contradicting its provisions shall be superseded.
[Notre soulignement]
Le législateur égyptien confère donc une portée exclusive à cette loi pour les matières
qu’elle vise. L’on aura bien noté qu’aucune référence n’est faite ni au Code civil
égyptien, ni à aucune autre loi traitant de près ou de loin des droits des créanciers et des
1379
1380
Supra, note 1241.
2004,
Cabinet Decree No.1 of the year 2001 Issuing The Executives Statutes of the Real Estate Finance
Law
Executive Statutes REFL » ou « Règlements REFL »], dans sa traduction anglaise non-
officielle publiée par The Middle East Library For Economic Services, Meles Bulletin, Code 43B,
ligne :
Août
www.mf.gov.eg/EMF_Portal/en-
GB/Laws+and+Regulations/Executive+regulations/Prime+Minister+Decree+No+1+of+the+year+
2001.htm (consulté le 11 août 2008). Ces
Executive Statutes REFL furent amendés par : Prime
Minister’s Decree No. 465 Of The Year 2005 Amending Certain Provisions Of The Executive
Statutes Of The Real Estate Finance Law
, dans sa traduction anglaise non-officielle publiée par
The Middle East Library For Economic Services, Meles Bulletin, Code 43B/1, Serial No. 19/2005,
en ligne :
en
www.mf.gov.eg/EMF_Portal/en-
GB/Laws+and+Regulations/Executive+regulations/LawsRegulations2.htm (consulté le 11 août
2008).
1381
Ministerial Decree No. 102 Of The Year 2003 Concerning A Model Of Real Estate Agreement For
(Restoration / Improvement) Of A Building
[le « Finance Agreement » ou « contrat de
financement immobilier type »], dans sa traduction anglaise non-officielle publiée par The
Middle East Library For Economic Services, Meles Bulletin, Code 52, Serial No. 24/2003.


Page 577
551
débiteurs (sauf au Code de procédure civile égyptien) 1382. La Real Estate Finance Law
présente-t-elle le degré de cohérence intrinsèque voulu pour être autosuffisante ?
S’intègre-t-elle logiquement à l’ensemble de la législation et de l’économie égyptienne ?
Son étude nous permettra de soulever des doutes à ces égards. Précisons que cette
législation fournit surtout un cadre général permettant au législateur d’y ajouter (ou d’y
soustraire, le cas échéant) par voie de règlements, de décrets présidentiels ou
ministériels 1383. Il ne s’agit donc pas tant de droit substantif que d’un cadre
1382
1383
Dans le cadre de la partie IV de la REFL traitant des mesures de réalisation, l’article 27 REFL
réfère au Code de procédure civile et commerciale à titre supplétif à la REFL, en cas de silence de
cette loi sur une matière touchant aux mesures d’exécution forcée. Tel que déjà mentionné, nous
n’avons pu consulter ce Code.
Cette loi, comportant en tout 52 articles, délègue plus souvent qu’autrement sa compétence
législative aux règlements, décrets présidentiels, ministériels, ainsi qu’à des décisions ou registres
de l’autorité administrative (i.e.
administrative quarter), tel qu’en atteste la classification de ces
délégations de pouvoirs que nous avons établi ci-dessous sous chacune de ces rubriques.
Règlements : établissement de sûretés en faveur du financier (art. 1 REFL); réglementation du
financement immobilier, de l’évaluation foncière (art. 4 REFL); critères d’admissibilité aux
subventions gouvernementales pour les personnes à faible revenu relativement à l’accès à la
propriété (art. 5 REFL); établissement des règles et procédures pour le transfert d’un immeuble
financé aux termes de la REFL (art. 7 REFL); règles entourant le remboursement anticipé du prix
de la transaction (art. 9 REFL); données à être inscrites au registre foncier (art. 10 REFL); règles
fixant la nomination et la rémunération des agents de réalisation (art. 16 REFL); règles entourant
la fixation de la mise à prix avant une vente aux enchères en contexte de réalisation (art. 18
REFL); capitalisation minimale d’une institution financière autorisée à financer l’immobilier sous
la REFL (i.e.
Real Estate Finance Companies, ci-après « Institution financière autorisée ») (art.
28 et 32 REFL); licences, règles, procédures d’accréditation, règles de divulgation financière et de
fusion ou liquidation des Institutions financières autorisées (art. 29, 33 et 34 REFL); critères de
compétence de la haute direction des Institutions financières autorisées (art. 31 REFL);
réglementation d’un fond en personne morale d’intérêt public relevant d’un ministère (i.e. Real
Estate Finance Guarantees
) (art. 36 REFL); règles et conditions d’une assurance invalidité ou
décès de l’investisseur à l’égard du financier (art. 37 REFL); règles et procédures concernant les
personnes autorisées à agir à titre de « consultant hypothécaire », i.e. un médiateur entre
l’investisseur et le financier (art. 38 REFL); règles concernant l’ombudsman établi sous la
gouverne de l’Autorité administrative chargé d’entendre les plaintes en raison d’une violation à la
REFL (art. 41 REFL);
Décrets présidentiels : constitution d’une autorité sur le développement
immobilier (art. 2 REFL); constitution d’un fond en personne morale d’intérêt public relevant d’un
ministère (i.e.
Real Estate Finance Guarantee), destiné à subventionner le financement immobilier
pour les personnes à faible revenu (art. 35 REFL); obligation de divulgation mensuelle du
financier à l’investisseur (art. 40 REFL);
Décrets ministériels : modèles de contrats de
financement immobilier type (art. 6 REFL); nomination des officiers de l’Autorité administrative
par décret du ministère de la Justice (art. 44 REFL);
Autorité administrative : registre à être
établi pour inscrire les institutions autorisées à faire crédit dans le domaine foncier (art. 3 REFL);
registre établissant les personnes autorisées à procéder aux mesures d’exécution en faveur des
créanciers (agents de réalisation) (art. 16 REFL); registre des personnes autorisées à agir à titre de

Page 578
552
réglementaire général permettant à la branche exécutive d’élaborer les règles qu’elle
considère souhaitables, se fondant néanmoins sur ce cadre élaboré par la branche
législative.
La Real Estate Finance Law se structure autour de deux grands axes. Le premier pose les
jalons de l’opération de financement tripartite à intervenir entre un constructeur/vendeur,
un investisseur/acheteur et une institution financière pour les fins de la restauration ou de
l’amélioration d’un immeuble, ou encore sa vente. Les modalités de constitution, de
publication, ainsi que les droits des parties y sont précisés. Le second réglemente les
joueurs de l’industrie qui seront reconnus par le gouvernement égyptien à titre
d’institutions financières autorisées à agir dans le cadre prévu par la Real Estate Finance
Law, en plus de fournir un cadre pour la création d’un marché hypothécaire secondaire
par voie de titrisation, afin de capitaliser les institutions financières autorisées. Sont aussi
élaborées des règles entourant la constitution d’un fond public (ou de fonds privés mais
financièrement dotés par le gouvernement égyptien) destiné à subventionner les
personnes à faible revenu lors de l’acquisition d’une propriété. Nous étudierons ce
second volet dans la prochaine section 1384.
1384
« consultant hypothécaire » (art. 38 REFL); préparation d’un formulaire indiquant les conditions
minimales d’un financement immobilier à être utilisé par l’investisseur et le financier (art. 39
REFL); pouvoir conféré aux officiers de l’autorité administrative «
in establishing the crimes
committed in violation of the provisions of the present law and the decrees to be issued concerning
its enforcement
» (art. 44 REFL).
Ainsi, la Real Estate Finance Law se divise en huit parties, les quatre premières appartenant au
premier axe et les quatre dernières au second (sauf les dispositions générales qui concernent les
deux axes). Ces parties s’intitulent comme suit : « Part I – General Provisions, Part II – Finance
Agreement, Part III – Registration Of The Real Estate Security And Transference Of Rights
Resulting From The Finance Agreement, Part IV - Execution On The Realty, Part V – Real Estate
Finance Companies, Part VI – Real Estate Finance Guarantees, Part VII – Control, Part VIII –
Penalties ». Les
Executive Statutes REFL, qui complètent la REFL, se divisent quant à eux de la
manière suivante : « Part 1 – General Provisions, Part 2 – Disposal of, and Leasing a Security Real
Estate, And Accelaration of Settlement, Part 3 – Recording the Real Estate Guarantee and The

Page 579
553
Revenons, pour l’instant, à l’objet principal de la Real Estate Finance Law. L’article 1
de la première partie de cette loi précise :
The provisions of the present law shall apply to finance activities for investment in
the fields of purchasing, building, repairing, or improving the houses, administrative
units, service installations and buildings of stores appropriated for trade activities,
guaranteed by the lien right on the realty, officially mortgaging it, or by other
securities to be accepted by the financier according to the rules and procedure as
shall be determined by the executive statutes of the present law.
Les Règlements REFL répètent à nouveau l’objet de cette législation, indiquant à
l’article 1 :
Real estate finance, according to the provisions of the Law shall be for investment in
the purchase, building, repair, or improvement of houses, administrative units, service
installations and buildings of stores appropriated for commercial activity.
Voilà donc un régime spécial voué à l’essor des secteurs de l’immobilier et de la
construction, tant résidentiels que commerciaux. Il n’est pas destiné à être supplétif à un
régime plus général, contrairement à ce que l’on observe traditionnellement en droit civil
ou en common law, où des régimes généraux de droit des obligations, de droit des biens,
de droit de la vente et de droit des sûretés peuvent s’appliquer tout autant aux situations
particulières découlant des besoins entre divers secteurs de l’industrie (ou entre
particuliers), lorsque cela s’avère nécessaire.
Au plan technique, la Real Estate Finance Law procède en imposant aux trois parties
concernées la conclusion d’un Finance Agreement ou contrat de financement immobilier
type 1385. De quoi s’agit-il ? Lorsqu’il vise l’acquisition d’une propriété, d’un contrat de
Transference of Right Resulting from The Finance Agreement, Part 4 – Forced Sale of Security
Realty, Part 5 – Real Estate Finance Companies, Part 6 – Valuing Experts, Real Estate Agents and
Brokers, Part 7 – Real Estate Finance Guarantees ».
1385
Art. 6 REFL. Il peut théoriquement exister, selon cette disposition, plusieurs types de
« formulaires » pour chaque situation visée par cette loi, qui sont élaborés par décrets ministériels.

Page 580
554
vente à intervenir entre l’acquéreur, le vendeur et le financier. Les modalités de ce
contrat de vente sont les suivantes : (i) les conditions de la vente doivent être énoncées,
incluant le prix, dont le paiement doit se faire par versements, et le contrat doit
comprendre une description de l’état du bien; (ii) le montant de l’avance initiale faite par
l’acquéreur, le cas échéant, doit être indiqué; (iii) le contrat doit prévoir le solde du prix
de vente, le nombre de versements et les modalités de paiement, en autant qu’elles soient
déterminées jusqu’à parfait paiement; (iv) doit y figurer l’acceptation par le vendeur de
céder au financier son droit au paiement du solde du prix de vente, selon des modalités à
être convenues entre eux; (v) doit y figurer l’engagement du vendeur d’enregistrer
l’immeuble au nom de l’acheteur, libre et franc de tout droit réel; (vi) doit y figurer
l’engagement de l’acquéreur d’enregistrer une sûreté (i.e. lien) sur le solde de prix de
vente en faveur du financier (au registre foncier, présume-t-on); (vii) doit y figurer
l’engagement des parties de fixer un terme au contrat. Si le financement est plutôt
consenti à des fins d’investissement au propriétaire de l’immeuble, soit pour la rénovation
ou la construction, ou encore à toutes autres fins (i.e. « for other fields »), le contrat doit
alors intervenir entre le propriétaire de l’immeuble, appelé dans ce cas « investisseur »
(i.e. investor), le financier, et toute autre partie visée par l’entente (i.e. « and any other
party concerned with the agreement »), les autres modalités susmentionnées s’appliquant
dès lors mutatis mutandis à cette nouvelle situation.
Enfin, l’article 6 REFL in fine précise que « [t]he Minister shall issue a decree
concerning the ‘Forms’ to be used in the agreements referred to in the two previous
À ce jour, un seul formulaire fut à notre connaissance promulgué par le législateur égyptien.
Voir :
Supra, note 1381.

Page 581
555
clauses ». Le terme « Ministre » (i.e. Concerned Minister), à l’article 2 du préambule de
la REFL, réfèrerait au Ministre de l’économie et du commerce international (i.e. Minister
of Economy and Foreign Trade), qui aurait le pouvoir, par décret, de préciser quels sont
les formulaires prescrits, à être utilisées à titre de contrat par les parties désirant obtenir
un financement aux termes de cette loi, selon l’usage auquel on destine ce financement.
Curieusement, à notre connaissance, un seul contrat de financement immobilier type fut
promulgué par le législateur égyptien, à savoir le contrat de financement immobilier
type 1386. De surcroît, il fut établi par décret du ministère du logement social et des
nouvelles communautés urbaines (i.e. Ministry of Housing, Utilities & Urban
Communities) et non par le ministère de l’économie et du commerce international; enfin,
il ne viserait pas nommément le financement de l’acquisition d’un immeuble (donc une
vente), mais plutôt le financement de la restauration ou de l’amélioration d’un immeuble
déjà bâti et appartenant à l’« investisseur ». Ainsi, ce contrat type identifie trois parties :
le constructeur (i.e. contractor), l’investisseur et le financier. Il se décline, après
l’identification des parties, sous quinze articles et comporte un préambule.
Même si cela paraîtra une longue litanie, nous allons rendre compte de son contenu, car
l’essentiel des droits et obligations des parties s’y trouvent énoncés. Nous pourrons par la
suite en faire l’analyse. Dans le préambule, on procède à la description physique et
1386
Supra, note 1381. Le ministère de l’investissement égyptien indique cependant, dans un texte de
conférence donnée en mai 2007 pour Euromoney, qu’il existerait trois contrats tripartites, l’un
pour chacune des situations visées, et que des amendements sont nécessaires afin de simplifier la
documentation du revenu annuel de l’investisseur/acquéreur, d’une part, et faciliter le caractère
exécutoire dudit contrat. Le texte de conférence n’est pas plus explicite. Voir : E
GYPT, MINISTRY
OF INVESTMENT, Mortgage Finance Development in Egypt – Funding, Promoting and Regulating
Housing Finance in Egypt
(14 mai 2007), Euromoney Egypt Housing Finance Conference, p. 3, en
http://www.investment.gov.eg/NR/rdonlyres/6C7415EA-9A29-4125-8AEF-
ligne :
AA40805F3803/5404/EuromoneyHousingConferencetranslateden.pdf
juillet
2008).
(consulté
le 25

Page 582
556
géographique de l’immeuble. On y précise ensuite : (i) l’objet du contrat, qui consiste en
la restauration ou en l’amélioration d’un édifice appartenant à l’investisseur; (ii) le
pourcentage du prix de la valeur des travaux initialement payé au constructeur par
l’investisseur, la balance étant payable par versements fixes préétablis (i.e. fixed
installments), selon des modalités à être convenues dans ce contrat entre l’investisseur et
le constructeur; (iii) le constructeur doit céder son droit au paiement du solde du prix des
travaux au financier, contre paiement anticipé par le financier au constructeur dudit solde
(i.e. against an accelerated amount), selon des modalités à être convenues entre eux; (iv)
l’estimé de la valeur des travaux tel que fait par l’un des experts autorisés aux termes de
la loi, ledit estimé y étant accepté par les parties.
Dans les dispositions contractuelles qui suivent (où l’on ne fait essentiellement que
broder, de manière plus détaillée, sur ce qui est annoncé dans le préambule), les parties,
après avoir attesté et convenu de leur capacité respective à conclure le contrat,
conviennent : (i) après avoir réitéré le préambule, de l’objet du contrat, auquel sont
annexés les détails du projet de restauration (incluant les plans, dessins, liste des
matériaux requis, etc.) (art. 1 et 2); (ii) de la propriété de l’édifice, dont l’investisseur
garantit qu’il la détient libre et franche de tout droit réel, qu’il détient tous les permis
requis aux fins du projet et qu’il est en règle avec les lois et règlement applicables (art.
3) ; (iii) du prix des travaux, incluant le coût de financement (i.e. finance cost),
précisant le montant initialement versé et les versements subséquents (incluant en annexe
une liste des versements), établissant une « concession on the building, and land
mortgage in favor of the Contractor », le financier se voyant remettre des « commercial
documents against the value of the installments » et, enfin, le contrat de construction ou
Page 583
557
de rénovation doit être annexé et indiquer de quelle manière le financier paiera le solde
du prix des travaux au constructeur (art. 4) ; (iv) d’une inspection préalable aux
travaux de l’immeuble par le constructeur et d’une déclaration de satisfaction du plan
des travaux par l’investisseur (art. 5) ; (v) du transfert du droit au paiement de la
soulte par le constructeur au financier aux termes d’un « Rights Transference Document
to the Third Party (Financier) », en contrepartie du paiement de ce montant au
constructeur par le financier sous forme de versements à être faits « in conformity with
progress of works of execution of the restoration / improvement operations », mais « as
per conditions that they agreed upon in accordance with the Building Contract Appendix
referred to above in Article Four », la signature du contrat par l’investisseur et le
constructeur constituant la preuve de leur acceptation dudit transfert au financier (art. 6) ;
(vi) des obligations de l’investisseur, qui doit : enregistrer le transfert de droits du
constructeur au financier, convenir de soumettre une attestation provenant du ministère
du revenu à titre de preuve de son revenu annuel, payer les versements dus au financier,
payer toute somme due aux autorités gouvernementales (ou non-gouvernementales) à
titre de frais, taxes ou charges sur l’immeuble (à l’exonération des autres parties), obtenir
une assurance-vie et une assurance-dommages (contre les risques d’incendie), reconnaître
avoir reçu le document officiel de l’Autorité administrative expliquant les conditions de
financement sous la REFL des mains du « finance mediator » accrédité (art. 7) ; (vii) des
droits de l’investisseur : céder l’immeuble, par vente, donation ou autrement, ou
conférer des in kind rights sur l’immeuble, le louer ou conférer à des individus le droit de
l’habiter, et ce, sous réserve de l’approbation écrite du financier (qui ne peut être refusée
que pour motifs sérieux, i.e. « subjecting his interests and rights to danger »), sous
Page 584
558
réserve également de la subrogation de tout tel cessionnaire aux obligations de
l’investisseur à l’égard du financier, le financier ayant alors le droit d’exiger que
l’investisseur demeure solidairement responsable à son endroit avec le cessionnaire (art.
8) 1387; (viii) des obligations d’information du financier à l’endroit de l’investisseur eu
égard : au montant du financement et de ses coûts, du début du projet à la fin des
paiements ; de la valeur des sommes payées par le financier ; du solde dû par
l’investisseur sur les versements ; de son changement d’adresse ; du changement des
coûts du financement sujet à l’accord des deux parties ; de toute information qui, de
l’avis du financier, présente une détérioration de son risque aux termes du financement
(art. 9) ; (ix) des modalités d’enregistrement de la sûreté : tant l’investisseur que le
financier peuvent soumettre une demande (i.e. « application ») à cet égard, précisant les
noms des parties, la valeur de la soulte et des droits garantis, le terme de remboursement ;
copie du contrat de financement immobilier type doit être jointe à la demande
d’enregistrement (art. 10) 1388; (x) des obligations du constructeur : effectuer les
travaux selon les modalités prévues au contrat sans que celles-ci puissent changer (en
faisant un contrat à forfait et rejetant ainsi la théorie de l’imprévision) ; se porter garant
de la solidité de l’immeuble suite aux travaux pour un terme de dix ans (que sa
démolition éventuelle résulte des travaux ou d’un vice du sol ou des vices de l’édifice ne
1387
1388
Reprise de ce qui est prévu à l’article 7 REFL, lui-même repris aux articles 7 à 9 des Règlements
REFL.
Reprise de ce qui est prévu à l’article 10 REFL, lui-même repris (et légèrement complété) à
l’article 12 des Règlements REFL. Mentionnons de plus que l’article 13 des Règlements REFL
précise que le bureau d’enregistrement doit s’assurer de la validité des « limits and specifications
of the realty as indicated in the application for registration
». Le refus de la demande
d’enregistrement doit être notifié par écrit au demandeur. On imagine que la conséquence de ce
refus est l’invalidité du contrat de financement, quoique rien ne le précise dans les textes législatifs
étudiés.

Page 585
559
dépendant pas des travaux) 1389; à publiciser sur le site des travaux le fait que ceux-ci sont
effectués aux termes de la Real Estate Finance Law (art. 11) ; (xi) des droits et recours
du financier, soit en cas d’inexécution des obligations de l’investisseur (i.e. non
paiement des versements, cession de l’immeuble à quelque titre que ce soit sans l’accord
préalable écrit du financier), soit en cas de détérioration de la valeur de l’immeuble en
raison de la négligence de l’investisseur: sur envoi d’un préavis de minimalement
soixante jours permettant à l’investisseur soit de remédier au défaut, soit de fournir une
nouvelle sûreté (i.e. adequate security), l’investisseur est contraint de rembourser la
totalité des montants dus et le financier peut alors exercer le recours prévu au chapitre IV
de la REFL, qui consiste en une vente judiciaire forcée aux enchères publiques (art.
12) 1390; (xii) du remboursement anticipé du financement : sur préavis de trois mois,
1389
1390
Mesures qui semblent tout à fait exorbitantes lorsque les causes de l’écroulement ne dépendent pas
du constructeur, mais qui reprennent pour l’essentiel ce qui est édicté à l’article 651 CCE.
Comparer : art. 2119 C.c.Q.
tortueuses,
Les mesures prévues sont complexes,
Reprise de ce qui est prévu à l’article 12 REFL, lui-même repris (et légèrement complété) à
l’article 17 des Règlements REFL. Les modalités d’exercice de cette vente judiciaire sont ensuite
énoncées aux articles 13-27 REFL, repris et complétés par les articles 18-26 des Règlements
REFL.
impliquent une multiplicité
d’intervenants, entraînent des délais et ne permettent pas d’établir le rang des créanciers (bien que
la distribution du prix de vente doive s’effectuer selon leur rang; nous ignorons toutefois si le
Code de procédure civile égyptien permet de l’établir). Ainsi, à l’expiration du préavis initial de
soixante jours, s’il n’est pas remédié au défaut par l’investisseur, le financier peut : (i) demander
au «
justice execution » (i.e. le juge chargé d’entendre l’affaire) du district judiciaire où est situé
l’immeuble d’établir une « executive formula » et de prononcer une décision préliminaire quant à
la vente éventuelle du bien, sujet à l’envoi d’un préavis à l’investisseur pour entendre ses
représentations (sans que l’on y précise toutefois quels sont les délais pour ce faire) (art. 13
REFL); (ii) lorsque cette «
executive formula » est obtenue, le financier doit en aviser
l’investisseur, le bureau d’enregistrement, les autres créanciers inscrits au registre et les occupants
de l’immeuble (à défaut de quoi les mesures de réalisation leurs sont inopposables), laissant à
partir de ce moment un délai additionnel de trente jours à l’investisseur pour régler selon les
termes de l’«
executive formula » (qui n’est autre chose que le parfait paiement de la soulte) (art.
14-15 REFL; art. 18-20 des Règlements REFL); (iii) à défaut par l’investisseur d’obtempérer dans
ce délai additionnel de trente jours, le financier peut s’adresser au «
justice execution » pour faire
nommer un agent d’immeuble autorisé (l’«
Agent d’immeuble désigné »), afin de procéder à la
vente aux enchères publiques sous supervision judiciaire, le financier devant alors déposer auprès
de la Cour une somme suffisante pour couvrir les frais de justice (art. 16 REFL; art. 21 des
Règlements REFL); (iv) tout intéressé peut s’adresser à la Cour pour demander de remplacer
l’Agent d’immeuble désigné, ce qui ne doit pas engendrer de délai additionnel pour la vente
judiciaire forcée (et ne sera accordée que pour des motifs sérieux) (art. 16 REFL); (v) la mise à

Page 586
560
l’investisseur a la faculté de rembourser, en totalité ou en partie, la somme due (art.
13) 1391; (xiii) du transfert des droits résultant du Finance Agreement : sans nécessité
d’obtenir l’approbation préalable de l’investisseur, le financier peut céder ses droits dans
le Finance Agreement à toute société autorisée de titrisation (art. 14) 1392; (xiv) de
l’élection de domicile : les parties élisent domicile à l’adresse indiquée dans la
comparution du contrat (art. 15) ; (xv) de l’élection de for : les parties conviennent que
le tribunal du lieu où se trouve l’immeuble aura compétence pour entendre de tout litige
prix initiale est fixée par deux évaluateurs experts autorisés, l’Agent d’immeuble désigné
détermine ensuite les autres règles entourant la vente (date, heure, appel d’offres, vente par lots ou
en bloc (lorsque cela est possible), etc.) (art. 18 REFL; art. 23 des Règlements REFL); (vi)
l’Agent d’immeuble désigné doit aviser les créanciers inscrits au registre et publiciser dans les
journaux la vente, le tout au moins trente jours et au plus tard quarante-cinq jours avant sa tenue.
La première annonce dans les journaux est aux frais de l’investisseur; toute autre annonce est aux
frais de la personne qui en fait la demande (art. 19 REFL); (vii) les autres mesures entourent la
vente proprement dite et ses suites (art. 20 REFL; art. 24-26 des Règlements REFL). Si la mise à
prix initiale n’est pas rencontrée lors de la vente, l’Agent d’immeuble désigné peut reporter sa
tenue à l’intérieur des trente jours qui suivent (art. 20 REFL); le financier ne peut se porter
adjudicataire, sauf si aucune offre n’atteint la mise à prix initiale; s’il choisit alors de le faire, la
vente a pour effet d’éteindre les obligations de l’investisseur à son égard (
a contrario, on présume
que s’il ne le fait pas, les obligations de l’investisseur ne s’éteignent pas) (art. 20 REFL); avant la
conclusion du processus d’adjudication, l’investisseur peut payer la soulte au financier, à charge
de lui rembourser en plus les dépenses encourues pour la vente forcée (art. 21 REFL); lorsque la
vente est complétée, le juge émet un décret d’adjudication, qui doit être publié, ayant pour effet de
purger les droits réels «
in kind » inscrits au registre (art. 22-23 REFL); le produit de la vente est
déposé par l’Agent d’immeuble désigné à la Cour, pour être ensuite distribué par le juge entre les
créanciers inscrits selon leur rang, suite à l’expiration du délai d’appel de quinze jours (art. 26
REFL); le décret d’adjudication ou jugement en tenant lieu ne peut par ailleurs être frappé
d’appel, sauf au motif de vice de la procédure d’adjudication. On accorde de plus aux occupants
de l’immeuble (qui ne seraient pas autorisés à y habiter en vertu d’un bail ou d’un autre droit
consentis par l’investisseur avant la vente forcée et alors acceptés par le financier) le droit
d’appeler du jugement s’il comporte des mesures d’éviction à leur endroit (Art. 22 et 24 REFL); le
salaire de l’Agent d’immeuble désigné est établi à la fin du processus par le juge, selon le travail
effectué et le temps consacré, cette rémunération ne pouvant toutefois excéder trois pourcent (3 %)
du prix de vente obtenu (art. 26 des Règlements REFL). Bien comptés, les délais seront
minimalement de 180 jours, et non pas de 90 jours, contrairement à ce que la publicité entourant la
REFL suggère.
1391
1392
Reprise de ce qui est prévu à l’article 9 REFL, lui-même repris (et légèrement complété) à l’article
11 des Règlements REFL.
Reprise de ce qui est prévu à l’article 11 REFL, lui-même repris (et complété) aux articles 14-16
des Règlements REFL. L’on y réfère par ailleurs aux règles du chapitre 3, partie 3, de la Capital
Market Law as promulgated by Law No. 95 of the Year 1992
.

Page 587
561
découlant du contrat (art. 16) ; (xvi) du nombre de copies du contrat : au nombre de
trois, chaque partie disposant d’une copie (art. 17).
Ayant précédemment énoncé l’objet de la Real Estate Finance Law ainsi que la technique
mise de l’avant aux termes d’icelle pour procéder au financement immobilier, nous allons
maintenant, suite à l’énumération des droits et obligations des parties que nous venons de
faire, en analyser plus précisément la nature.
2.
De la nature des droits et obligations conférés en vertu de cette loi
Nous examinerons, successivement, la qualification du contrat [2.1], la nature, les
modalités de constitution et de publicité de la sûreté [2.2], l’assiette de la sûreté et les
obligations garanties [2.3], son rang [2.4], les mesures d’exécution forcée [2.5], pour
conclure sur l’incomplétude de la REFL et son incertaine et difficile interaction avec les
autres sources du droit égyptien [2.6].
2.1
de la qualification du contrat tripartite
Il est difficile d’établir une qualification juridique au contrat de financement immobilier
qui est proposé en vertu de l’article 6 REFL. Toutefois, peu importe l’objet du
financement immobilier (i.e. acquisition, construction ou rénovation), les mêmes
éléments reviendront. Il devra nécessairement intervenir entre trois parties, impliquant
dans tous les cas un financier, un investisseur/acquéreur, un vendeur/constructeur; une
mise de fond initiale sera faite par l’acquéreur/investisseur; le solde sera payé par
versements fixes (périodicité et montants préétablis) à l’intérieur d’un terme convenu; le
droit au paiement du solde sera cédé du vendeur/constructeur au financier; le titre de
propriété sera garanti par le vendeur ou l’investisseur, libre et franc de tout autre droit
Page 588
562
réel; une sûreté sera publiée en faveur du financier. Bref, cette structure tripartite sui
generis reflète l’élément central découlant du droit musulman : le partage mutuel des
risques dans une entreprise commune entre tous ses acteurs. Mais sa qualification, ou
plutôt ses qualifications, ne seront pas tout à fait les mêmes selon l’objet du financement,
ce qui, malgré une approche où le législateur égyptien tente de tout contrôler et de tout
prévoir, nous plonge néanmoins dans une incertitude plus grande. Les atavismes
séculaires de cette société y demeurent présents : le créancier est plutôt mal perçu et il
aura fort à faire pour minimiser son risque 1393. Au bout du compte, l’incertitude plane
sur tous et ne bénéficie à personne.
Il y a ainsi, dans ce contrat, trois éléments principaux à décortiquer, qui correspondent à
autant de relations contractuelles principales: la vente (ou le contrat de construction ou de
rénovation), la cession du droit au paiement du solde impayé et la sûreté afférente. Les
variations à tous ces niveaux découleront essentiellement de la nature du premier contrat,
selon qu’il s’agisse d’une vente ou d’un contrat de construction (ou de rénovation), car
l’on peut y voir trois contrats successifs.
Dans le cas du contrat de vente, son objet est le transfert du droit de propriété de
l’immeuble du vendeur à l’acquéreur. Leurs droits et obligations ne sont pas spécifiés
outre mesure. Il n’est donc pas possible de savoir quel régime général s’applique au-delà
1393
Ces atavismes découlent d’une relation complexe entre le socialisme nassérien, qui s’est prolongé
sous Sadat et, par la suite, sous Moubarak, en plus d’être fortement imprégnée d’un retour à la
tradition musulmane plus conservatrice. Mais la situation égyptienne est beaucoup plus complexe
que cela. Depuis Sadate et encore davantage sous Moubarak, le régime tente de se délester de cet
héritage socialiste nassérien. Il essaie progressivement de libéraliser son marché intérieur et de
l’ouvrir à l’international, la
Real Estate Finance Law participant pleinement de ce mouvement.
Les créanciers de l’Égypte, au premier chef la Banque mondiale et les États-Unis, l’incitent
fortement en ce sens. Voir, à ce sujet, l’éclairant exposé de S. POMMIER, op. cit., supra note
1236, p. 56-78, 102-116, 154-168.

Page 589
563
des obligations principales qui figurent à la loi. Est-ce celui du Code civil égyptien, ou
celui de la charî’a ? Peut-on, de part et d’autre, résoudre le contrat ? Pour quels motifs ?
Le vendeur est-il légalement tenu de garantir la qualité du bien vendu ? S’agissant d’un
immeuble d’habitation, l’acheteur peut-il se prévaloir d’une faculté de dédit ? La loi
précise cependant que l’acquéreur doit payer au vendeur le prix de vente, à l’aide d’une
mise de fond initiale et, par la suite, au moyen de versements fixes sur un terme préétabli.
En contrepartie, on présume que le vendeur doive livrer le bien vendu à l’acheteur. À
quel moment survient le transfert du titre de propriété ? Difficile à dire. Le vendeur se le
réserve-t-il jusqu’à parfait paiement du prix de vente ? Deux éléments sont ici à
mentionner. D’une part, l’alinéa 6 (E) REFL indique que le vendeur doit s’engager à
« […] register the realty in the name of the buyer, clear of any real right (in rem) on
third parties ». Certes, le vendeur enregistre-t-il l’immeuble au nom du vendeur, mais
libre et quitte de tout droit réel consenti à des tiers. Le vendeur est-il un tiers, dans ce
cas ? Nous serions portés à croire que non. D’autre part, le vendeur se trouve à être
entièrement payé par le financier, au profit de qui il doit alors céder sa créance à l’égard
du solde impayé. Il doit de plus « […] record the lien on the price the installments of
which are transferred to the financier, as security for their collection » (art. 6 (F) REFL).
Remarquons que cette charge (i.e. lien) porte sur la créance et non pas sur l’immeuble.
Quelle est la nature de ce lien ? Si tant est que l’on puisse en inférer, le Code civil
égyptien en distingue deux types : le premier sert à protéger les créances résultant d’un
jugement final exécutoire (art. 1085 CCE), alors que le second est de la nature d’un
privilège statutaire (art. 1130 CCE) 1394. Ainsi, de ce qui précède, on pourrait en déduire
1394
Cet article édicte : « Lien is a precedence/priority determined by the law for a specific right in
consideration of its quality. A right shall not have a lien except by virtue of a provision of law.
».

Page 590
564
que le titre de propriété est transféré au moment de la vente. Le vendeur est entièrement
payé 1395, il enregistre l’immeuble au nom du vendeur, il cède sa créance au financier
pour le solde impayé et celui-ci bénéficie d’un privilège statutaire sur le solde impayé,
mais qui s’exerce au final sur l’immeuble par la procédure de vente judiciaire forcée dont
il bénéficie. Si le vendeur demeurait propriétaire, il cèderait plutôt son droit de propriété
sur l’immeuble au financier, le paiement de la soulte en devenant alors l’accessoire, qui
lui serait, du coup, également cédée. La question demeure toutefois nébuleuse et aurait
intérêt à être clarifiée, d’autant plus que le vendeur d’un immeuble bénéficie, aux termes
de l’article 1147 CCE, d’un privilège spécial sur l’immeuble vendu en garantie du
paiement du prix de vente, lequel doit cependant être inscrit et qui prendra rang selon la
date et l’heure de l’inscription. Peut-il ici s’agir du transfert de ce privilège du vendeur
au financier ?
Lorsque le contrat initial de cette opération tripartite est plutôt celui visant la restauration
ou l’amélioration d’un édifice, la problématique n’est évidemment pas la même. Dans ce
cas, l’investisseur garantit qu’il en est propriétaire et qu’aucun droit réel autre que le sien
ne l’affecte. Les droits et obligations de l’investisseur et du constructeur sont énoncés de
manière aussi succincte que pour le contrat de vente, bien que l’existence du contrat type
1395
Pas de privilège sans texte, comme dit l’adage. Les articles suivants de ce chapitre du Code civil
égyptien reprennent l’exposé classique en matière de privilèges (art. 1130-1149 CCE). Leur rang
est établi par la loi; ils sont généraux ou spéciaux, mobiliers ou immobiliers; les privilèges
spéciaux doivent être enregistrés alors que les généraux en sont dispensés; les recours sont les
mêmes que ceux établis en vertu du régime hypothécaire, avec les adaptations nécessaires.
L’article 430 CCE traite de la vente à tempérament. Lorsque le prix n’est pas payé au complet au
moment de la vente, le vendeur a la faculté de différer le transfert du titre jusqu’à parfait paiement.
Si le paiement du prix se fait par versements, les parties peuvent convenir que le vendeur en
retienne une partie en cas de résiliation à titre de dommages-intérêts, sujet à la réduction de cette
pénalité par le juge si elle est abusive. Lorsque tous les versements sont effectués, le transfert du
titre opère rétroactivement à la date de conclusion de l’acte de vente. Cela étant, dans la mesure
où cette disposition s’applique au cas qui nous occupe sous la REFL, le titre serait dès lors
transféré à l’acquéreur sur paiement du solde par le financier.

Page 591
565
de financement de construction apporte certaines précisions à cet égard. De nouveau,
quel régime général s’appliquera au-delà des obligations principales qui figurent à la loi ?
Est-ce celui du contrat d’entreprise du Code civil égyptien (art. 646-667 CCE) ou celui
découlant de la charî’a ? Qu’en est-il du droit de résiliation des parties et des règles
entourant la livraison et la réception de l’ouvrage ? Quel est le régime de responsabilité
des architectes, ingénieurs, ouvriers, maître d’œuvre et sous-traitants ? La loi n’opère pas
de distinction et ne vise qu’un seul constructeur. Les seules obligations du constructeur
figurant au contrat type consistent à réaliser l’œuvre selon un contrat forfaitaire, en plus
de lui imposer une lourde responsabilité s’étendant sur dix ans pour démolition de
l’immeuble résultant de toute cause, qu’elle lui soit imputable ou non. Toutefois, le Code
civil égyptien lui ménage un privilège spécial à l’article 1148 CCE pour garantir le
paiement des travaux. Le financier peut-il s’en prémunir dans le contrat type de
financement de construction déjà prévu par décret ministériel ?
C’est là poser la question de la flexibilité de la loi. La situation modèle prévue à l’article
6 REFL vise l’acquisition d’une propriété, alors que la loi ratisse plus large : tombent
sous son objet l’acquisition, la construction, la réparation, la rénovation de maisons
d’habitation, d’unités administratives, de bâtiments commerciaux ou de services. Ces
situations sont toutes fort différentes. Il en ira ainsi des droits et obligations des parties
selon la situation envisagée. Probablement en reconnaissance de ce fait, l’article 6 REFL
précise que ces contrats peuvent faire l’objet d’autant de formulaires prescrits par décrets
ministériels. À ce jour, un seul formulaire existerait, soit celui concernant le financement
de la restauration ou de l’amélioration d’un immeuble déjà bâti. Par ce choix, l’on a sans
doute voulu privilégier la réfection du parc immobilier existant dont l’état est, comme on
Page 592
566
sait, fort inquiétant. L’objectif visant à favoriser l’accès à la propriété serait alors relégué
au second plan. Se pose la question, dans ce contexte, de la rigidité de la Real Estate
Finance Law : les parties doivent-elles obligatoirement utiliser les formulaires prescrits,
ou sont-elles libres de façonner leurs contrats selon les exigences propres à chaque
situation, tout en respectant les paramètres de la loi ? 1396 On peut déduire par la négative
pour cette dernière question. En effet, le contrat type de financement de construction est
à ce point le calque de la loi qu’il ne laisse aucune place à l’autonomie de la volonté des
parties, leur soufflant au passage les réponses quant à ce qui pourrait faire l’objet de
négociations. Par exemple, la cession de la soulte payable du constructeur au financier
peut faire l’objet de modalités convenues entre eux, mais on s’empresse d’ajouter que les
versements seront faits « in conformity with progress of works of execution of the
restoration / improvement operations ». Que reste-t-il à ajouter ? Le financier peut-il
alors se ménager des réserves, et refuser d’effectuer les versements si les travaux ne
progressent pas tel que convenu ? Ou si d’autres sûretés sont inscrites contre
l’immeuble ? Ou pour toute autre situation qui viendrait accroître son risque ? Quels
sont alors ses droits et recours à l’encontre du constructeur ? Autant d’interrogations
laissées en plan non seulement par le contrat de financement immobilier type, mais aussi
par la loi et ses règlements, provoquant l’incertitude. Au demeurant, à elle seule, cette
relation créée son faisceau de droits et d’obligations que l’exposé sommaire de ces textes
ne permet pas de cerner adéquatement.
1396
Dans la même foulée, les parties peuvent-elles convenir de modalités différentes ? Exiger par
exemples des représentations et garanties additionnelles ? Formuler des cas de défauts donnant
ouverture aux recours de l’une ou l’autre des parties ? Formuler certains droits et recours ?
Exiger des pénalités et des indemnités ?

Page 593
567
Il est intéressant de relever, d’un article récent, que les financiers égyptiens n’aiment pas
ce contrat type et qu’ils auraient même, de leur propre initiative, commencé à les moduler
à leur gré (avec l’aval de la Banque centrale d’Égypte qui les réglemente mais agissant
ainsi contrairement à la position du gouvernement égyptien), revenant parfois tout
simplement au contrat synallagmatique de prêt, abandonnant la structure tripartite
pourtant exigée aux termes de la loi 1397. Ces aménagements seront-ils considérés
valides ? Quels seront leurs impacts sur la validité et le caractère exécutoire de la sûreté ?
Revenons sur la nature, les modalités de constitution et de publicité de la sûreté.
2.2
de la nature et des modalités de constitution et de publicité
de la sûreté
Nous avons vu, à l’examen du contrat de vente, que la sûreté porte sur une créance, soit le
solde impayé du prix de vente (ou des travaux effectués, le cas échéant). Elle ne vise
l’immeuble qu’accidentellement, en raison de la publication du contrat de financement
immobilier type au registre foncier et du droit de vente judiciaire forcée qui lui est
conféré aux termes de la loi. En raison, aussi, des termes utilisés à l’article 1er REFL, où
l’on indique que le financement est garanti « by the lien right on the realty, officially
1397
en
2006),
Finance
Housing
International,
Voir : Raymond STRUYK et Melvin BROWN, « Update on Egyptian Mortgage Lending »
(décembre
ligne :
www.housingfinance.org/pdfstorage/hfi/0612_Egy.pdf (consulté le 18 juillet 2008) : «
But the 3-
party contract has draw-backs of its own that makes it unpopular with lenders. There is interest
among banks to amend this law and much of the necessary drafting has been prepared by EFS
project [USAID] and others. Political acceptance may be an issue. Currently the Mortgage
Finance Authority (MFA), the regulatory body for non depository mortgage lenders and the
organization charged with promoting the development of the mortgage market, is conservatively
interpreting and enforcing the provisions of the [REFL], including the mandated tri-partite loan
contract. The Central Bank of Egypt (CBE), on the other hand, despite its issuance of a circular
implementing the terms of the [REFL], has not attempted to enforce the exclusive use of the tri-
partite loan agreement for mortgage credits and has de-facto granted the banks more latitude in
their loan structuring. Several of the larger and more active commercial banks are employing a
variation of the tri-partite agreement or a more standard 2-party loan contract in their mortgage
loan transactions
».

Page 594
568
mortgaging it ». De quelle nature est cette sûreté ? Certainement pas d’un mortgage au
sens de la common law, non plus que d’une hypothèque du droit civil. Il s’agirait d’un
privilège statutaire portant uniquement sur l’immeuble faisant l’objet du financement.
La sûreté se constitue d’abord dans le contrat type de financement de construction, par un
engagement du constructeur de céder sa créance au financier, confirmé et accepté par
l’investisseur. Cet engagement se concrétisera par la suite dans le contrat de construction
et, aussi, dans un document spécifique à cet effet, où l’on prévoira les modalités de
remboursement du prix des travaux au constructeur par le financier au fur et à mesure de
leur exécution. L’investisseur a l’obligation d’enregistrer ce privilège mais le financier
peut également s’en acquitter. Quelle est l’assiette de cette sûreté et quelles en sont les
obligations garanties ?
2.3
de l’assiette de la sûreté et des obligations garanties
Poser cette question, c’est entrevoir la portée réelle de la Real Estate Finance Law.
Ainsi, avons-nous déjà observé, l’assiette de la sûreté porte sur la créance impayée et, par
l’effet de sa publication et du droit légal de vente judiciaire forcée dont elle est assortie,
sur l’immeuble. Il s’agit donc d’un privilège spécial à portée restreinte. Il serait par
conséquent douteux que cette loi, par ce moyen, permette la création d’une sûreté sur
d’autres biens. De plus, quels sont les immeubles qui peuvent ultimement en faire
l’objet ? Peut-on faire l’acquisition de terrains vacants sans nécessairement y ériger une
construction ? Peut-on faire l’acquisition de tels terrains pour fins de construction à une
date ultérieure ? La loi vise-t-elle les terres agricoles ou existe-t-il un régime spécial à cet
égard ?
Page 595
569
L’obligation garantie consiste au remboursement du solde impayé du prix de vente (ou
des travaux), objet du financement consenti par le financier. Le financement immobilier
pourrait-il être consenti à d’autres fins ? Encore une fois, le privilège spécial dont il est
assorti ne permet pas de l’envisager. L’article 1er de la REFL indique toutefois que le
financier pourrait bénéficier d’autres sûretés, conformément aux règles établies par cette
loi, actuellement muette à ce sujet 1398. Ainsi, il serait douteux qu’un investisseur puisse
donner en garantie un immeuble pour utiliser le financement à d’autres fins, dont
l’acquisition d’un autre immeuble, des travaux de rénovations sur un autre immeuble,
l’injection de fonds dans une entreprise, etc. D’autre part, un financement immobilier,
peu importe sa nature, est-il obligatoirement assujetti aux dispositions de la Real Estate
Finance Law ? Qu’en est-il d’un financement immobilier qui serait non garanti ? Les
dispositions préliminaires de la REFL sont non équivoques et nous portent à croire que
tout financement immobilier lui soit assujetti, restreignant considérablement les
possibilités d’emprunts dans sa forme actuelle.
Enfin, le financement doit-il obligatoirement être remboursé au moyen de versements
fixes, préétablis quant à leur montants et périodicité ? Peuvent-ils faire l’objet
d’ajustements périodiques pour tenir compte, à titre d’exemple, de coûts de financement
variables ? L’article 9, alinéa 6e, du contrat type de financement de construction, prévoit
1398
Sauf pour permettre au financier d’obtenir des sûretés sur des biens autres que l’immeuble, lorsque
le titre de propriété n’est pas encore enregistré en faveur du vendeur ou de l’investisseur (art. 2 des
Règlements REFL). Le financier peut ainsi se voir consentir une sûreté sur d’autres immeubles
appartenant à l’investisseur ou à un tiers, une caution personnelle d’un tiers, un engagement de
l’investisseur de payer les versements à même son salaire, ou toute autre sûreté que le financier
juge appropriée, pour la période qui sera convenue entre les parties. Lorsque des terres publiques
sont cédées à l’investisseur, elles peuvent plutôt l’être en faveur du financier jusqu’à parfait
paiement du prix, sur entente avec l’autorité publique concernée. Au-delà de cette énonciation,
aucune règle n’est formulée dans la REFL quant aux modalités de constitution et de publicité, au
rang et aux droits et recours découlant de ces autres sûretés disponibles.

Page 596
570
que « [t]he Financier shall undertake to inform the Investor periodically of the following
information : […] (6) Any change as to the cost of the finance under agreement of the two
parties ». Qu’est-ce à dire ? Le législateur égyptien ouvre-t-il la porte à ce que des
modifications soient apportées aux obligations garanties pour tenir compte des coûts de
financement ? Cette timide disposition, établissant les obligations d’information du
financier à l’endroit de l’investisseur, n’impose rien en ce sens et ne permet donc pas de
l’affirmer.
D’autres difficultés entourant l’assiette de la sûreté et les obligations garanties peuvent
être décelées lorsqu’on analyse le rang qui lui est conféré.
2.4
du rang de la sûreté
En principe, le privilège immobilier spécial conféré au financier devrait être de premier
rang. C’est ce que l’on présume, mais rien ne l’indique clairement dans la loi et le rang
d’un privilège est habituellement établi par la loi. On peut en inférer qu’il en soit ainsi,
car le vendeur ou l’investisseur doivent garantir aux autres parties détenir le titre de
propriété libre et franc de tout droit réel lors de la conclusion du contrat de financement.
Or, la loi permet-elle que le financement immobilier ne soit pas nécessairement garanti
par une sûreté de premier rang ? Qu’en est-il si des projets différents portant sur le même
immeuble sont financés par autant d’institutions financières ?
Prenons l’exemple d’une propriété qui serait acquise conformément à cette loi, avec
privilège spécial enregistré en faveur du financier pour le solde du prix de vente;
subséquemment, l’acquéreur contracte un nouveau financement, disons auprès d’un autre
financier, visant cette fois la restauration ou l’amélioration de l’immeuble. Quels sont les
Page 597
571
droits des créanciers respectifs ? Le second financement est-il possible, compte tenu que
l’investisseur doit garantir au financier détenir l’immeuble libre et quitte de tout droit
réel ? Une entente, équivalent à une cession de rang ou à une convention pari passu,
peut-elle intervenir entre les financiers ? 1399 Doit-elle être publiée ? L’objet du privilège,
rappelons-le, porte sur une créance. Accessoirement, porte-t-il sur tout l’immeuble ?
Est-il indivisible quant à son report ultime sur l’immeuble, après publication ?
Étudions une autre hypothèse. Qu’arrive-t-il en cas de destruction d’un immeuble
initialement financé par la Banque A, et reconstruit aux termes d’un nouveau financement
consenti par la Banque B ? Le privilège spécial de la Banque A grève-t-il la nouvelle
construction financée par la Banque B ? Lui est-il de rang supérieur ?
Dans le cas où l’immeuble est loué après l’octroi d’un financement garanti aux termes de
la REFL, le droit de percevoir les loyers est-il de facto et de jure conféré au
financier ? 1400
Voilà autant d’incertitudes qui découlent de la Real Estate Finance Law, que les mesures
d’exécution forcée ne permettent pas de dissiper.
2.5
des mesures d’exécution forcée de la sûreté
Donnent ouverture à l’exercice du recours mis à la disposition du financier aux termes de
son privilège spécial les défauts suivants : (i) le non paiement à leur échéance des
versements, sans qu’il n’y soit remédié dans les trente jours; (ii) la dépréciation de la
valeur de
l’immeuble, découlant des gestes ou de
la négligence de
1399
1400
L’article 1059 CCE prévoit cette possibilité, entre créanciers hypothécaires.
Ce droit est automatiquement conféré au titulaire d’un hypothèque immobilière en vertu de
l’article 1044 CCE.

Page 598
572
l’acquéreur/investisseur (ou de tout occupant de l’immeuble); (iii) la disposition non
autorisée de l’immeuble par l’acquéreur/investisseur 1401. Aux termes de la loi, des
règlements et du contrat type, ce sont là les seuls cas de défauts explicitement
mentionnés. Impossible donc de savoir si d’autres manquements donnent ouverture à la
vente judiciaire forcée, comme par exemple le défaut par l’acquéreur/investisseur de
souscrire aux assurances prescrites, le défaut de produire son attestation annuelle au
financier quant à ses revenus,
le défaut de payer
les
taxes ou autres frais
gouvernementaux afférents à l’immeuble, ou encore si les parties peuvent ajouter à cette
énumération à leur gré.
La procédure elle-même est complexe 1402. Le financier doit envoyer de multiples
préavis et les délais engendrés sont incertains. Strictement encadrée par le tribunal, il
s’agit d’une vente judiciaire aux enchères publiques, impliquant des évaluateurs autorisés
pour fixer la mise à prix, un agent d’immeuble autorisé, désigné pour publiciser et
organiser la vente à l’intérieur de délais prescrits. Le créancier ne peut se porter
adjudicataire, sauf si la mise à prix initiale n’est pas rencontrée lors de la tenue de
l’enchère : dans un tel cas, l’obligation de l’acquéreur/investisseur pour tout reliquat
demeurant impayé est éteinte. A contrario, si le financier ne se porte pas adjudicataire,
les obligations personnelles de l’acquéreur/investisseur survivent-elles à la vente de
l’immeuble, autorisant ainsi le financier à exercer d’autres recours contre ce débiteur et
l’ensemble des biens ? La loi ne le précise pas. Une fois la vente complétée et les délais
d’appel expirés, le produit de disposition est distribué aux créanciers inscrits au registre
1401
1402
Art. 8 et 12 REFL.
L’ensemble de cette procédure est décrite en détails, supra note 1390.

Page 599
573
foncier selon leur rang. Les problèmes précédemment décrits quant au rang du privilège
spécial du financier reviennent hanter ce processus et augmenter l’incertitude quant à la
valeur réelle de cette sûreté.
Le privilège spécial du financier lui confère-t-il un véritable droit réel ? La notion de
droit réel est utilisée dans la loi, mais on ne sait pas exactement à quoi elle réfère. Le
financier a-t-il le droit de suivre le bien en quelques mains qu’il se trouve ? Question
délicate que voilà,
la
loi étant muette à ce sujet.
Peut-il contraindre
l’acquéreur/investisseur à ne pas céder ses droits dans l’immeuble, engagement
contractuel de ne pas faire dont se prévalent habituellement les créanciers conventionnels,
a fortiori lorsqu’ils sont garantis ? La loi prévoit plutôt le contraire, faisant de cette
prérogative une exception limitée à des motifs sérieux. Bien que le défaut par
l’acquéreur/investisseur d’obtenir au préalable l’accord écrit du financier pour une
disposition, totale ou partielle, du droit de propriété, donne ouverture au recours de vente
forcée, le seul véritable motif permettant l’appel du jugement l’entérinant, outre le vice
procédural dont la vente serait entachée, est l’ordonnance d’éviction des occupants de
l’immeuble qu’un tel jugement peut contenir. Le législateur égyptien réitère donc, de
façon éclatante, cette mesure de protection des occupants d’immeubles d’habitation, qui
constitue pourtant, aux dires des experts égyptiens ayant écrit sur le sujet, l’un des
principaux problèmes du régime de crédit foncier égyptien, les créanciers n’étant pas
véritablement en mesure d’exercer leurs droits en vertu des sûretés qui leur sont
consenties, puisqu’incapables d’évincer les occupants et de récupérer le bien grevé.
Pourtant, il est admis que l’efficience d’une sûreté se vérifie à la possibilité pour les
créanciers d’exercer rapidement leurs droits et de disposer du bien grevé sans délai. La
Page 600
574
procédure de vente judiciaire forcée aux enchères publiques de la REFL s’avère lourde,
multiplie les intervenants, les délais et les possibilités de contestation. Par exemple, il
n’est édicté aucun droit qui permettrait au financier de vendre lui-même le bien, de gré à
gré, à un acheteur qu’il aurait trouvé, sans passer par le processus judiciaire. N’est
envisagée aucune mesure d’urgence qui permettrait de court-circuiter les délais en cas de
détérioration rapide de la valeur de l’immeuble afin d’accélérer le processus de vente.
Tous les commentaires que nous avons formulés démontrent l’incomplétude de la REFL
et soulèvent la problématique de son interaction avec les autres sources du droit égyptien.
2.6
de l’incomplétude de la REFL et de son interaction avec les
autres sources du droit égyptien
Cette incomplétude, malgré le désir apparent de tout prévoir, s’observe à tous les
niveaux. Un régime de sûreté repose non seulement sur des recours simples et efficaces,
mais aussi sur des droits clairs, des règles de constitution et de publicité également
simples. Force est de constater que la Real Estate Finance Law ne répond pas à ces
impératifs.
La qualification juridique de l’opération tripartite envisagée est malaisée, la nature,
l’assiette de la sûreté et les obligations garanties sont pour le moins équivoques, ainsi que
la question du rang, sans ajouter davantage à ce que nous venons de dire au sujet des
mesures d’exécution forcée. La Real Estate Finance Law ne présente donc pas le degré
de cohérence intrinsèque voulu pour être autosuffisante. Il faudra au législateur égyptien
préciser quels sont les régimes supplétifs à la REFL à l’intérieur du droit égyptien et,
aussi, préciser les droits et obligations des parties à l’intérieur du cadre actuel, si tant est
Page 601
575
qu’il souhaite faire de cet instrument législatif l’outil de changement tant espéré et dont
l’économie égyptienne a tant besoin.
Au lieu de mettre l’accent sur la création d’un marché « hypothécaire » secondaire par
l’adoption de règles entourant la titrisation de ces créances, il serait peut-être indiqué de
s’assurer du bon fonctionnement du marché primaire.
Avant de réfléchir aux pistes de solutions possibles dans le contexte de la réforme du
droit égyptien, nous allons terminer notre exposé sur la Real Estate Finance Law en
examinant le cadre institutionnel et règlementaire qu’elle met en place.
E.
Le cadre institutionnel et réglementaire promulgué aux termes de la
Real Estate Finance Law
Comme nous l’avons déjà annoncé, le deuxième axe de la Real Estate Finance Law
consiste à réglementer les joueurs de l’industrie qui seront reconnus par le gouvernement
égyptien à titre d’institutions financières autorisées à agir dans le cadre prévu par cette
loi. Des règles entourant la constitution d’un fond public destiné à subventionner les
personnes à faible revenu lors de l’acquisition d’une propriété y sont également mises de
l’avant. Enfin, elle fournit un cadre pour la création d’un marché hypothécaire
secondaire par voie de titrisation, afin de capitaliser les institutions financières autorisées
au financement immobilier.
Au sommet de la pyramide du régime de crédit foncier égyptien se trouvent deux
organismes réglementaires. Le premier, relevant du ministère de l’Investissement, est
Page 602
576
improprement désigné en anglais sous l’expression « Mortgage Finance Authority » 1403.
Créée par décret présidentiel en 2001, elle jouit de vastes pouvoirs afin de réglementer les
divers intervenants du marché et, aussi, de faire la promotion de son développement. En
2009, le gouvernement égyptien a procédé à la création d’une autorité des marchés
financiers qui regroupe, en son sein, le Mortgage Finance Authority, le Egyptian
Insurance Supervisory Authority et le Capital Market Authority, maintenant désignée
sous le nom de « Egypt Financial Supervisory Authority » 1404. Le second est la Banque
centrale d’Égypte 1405. Depuis sa fondation, en 1961, elle réglemente les activités
bancaires tant dans le secteur commercial que pour celui des particuliers. Ainsi, toute
banque désireuse d’œuvrer dans le secteur du financement immobilier est assujettie à son
contrôle.
En ce qui a trait aux institutions financières qui sont autorisées à offrir du financement
immobilier, la Real Estate Finance Law en distingue trois catégories. La première
comprend les banques commerciales déjà réglementées par la Banque centrale d’Égypte,
qui sont, de ce fait, exemptées de certaines dispositions applicables aux autres institutions
financières autorisées aux termes de la loi. On dénombrerait vingt-huit banques privées,
sept filiales de banques étrangères et, enfin, sept banques publiques enregistrées auprès
de la Banque centrale. On ne sait pas exactement quel est le degré d’implication de ces
banques dans le marché du crédit foncier. Toutefois, la Real Estate Finance Law impose
1403
1404
1405
Son site Web est à l’adresse Internet suivante : http://www.mf.gov.eg/EMF_Portal/en-GB
(consulté le 30 mai 2010).
EGYPT, Law 10 of 2009 Regulating Non-Banking Financial Markets and Instruments, en ligne:
http://www.mf.gov.eg/NR/rdonlyres/0DBE9219-1C66-42A6-9D6E-
05DF7C6E2A4B/827/Law10of2009.pdf (consulté le 30 mai 2010).
Son site Web est à l’adresse Internet suivante : http://www.cbe.org.eg/ (consulté le 30 mai 2010).

Page 603
577
un plafond de 5 % de l’ensemble de leurs prêts destinés à ce secteur, ce qui traduit une
intention de limiter leur participation dans ce domaine.
La deuxième catégorie comprend des compagnies ou sociétés spécialisées dans le
domaine du crédit foncier et accréditées aux termes de la Real Estate Finance Law. Des
critères spécifiques quant à la capitalisation de ces compagnies, à leur haut dirigeants et à
leur fonctionnement y sont édictées. À l’heure actuelle, on dénombre onze sociétés de ce
genre 1406, dont
les cinq premières
furent « The Egyptian Housing Finance
Company » 1407, « The Taamir Mortgage Company » 1408, « Amlak Finance » 1409, « Al
Tamweel » et « Al Tayseer » 1410.
La dernière catégorie comprend les fonds, constitués en personnes morales de droit public
ou de droit privé, mais avec une participation financière de l’État, dont l’objectif est de
« […] subsidize the real estate finance activity in the field of selling the dwellings to low-
income brackets through the Fund’s assumption of part of the installment amount, in a
way lowering the finance burden to limits commensurable with their incomes, providing
it does not exceed one fourth of the income » (art. 35 REFL). Pour l’instant, seul le
1406
1407
1408
1409
1410
Pour consulter la liste, voir le site Web du Ministère de l’investissement égyptien, en ligne :
http://www.investment.gov.eg/en/NBFS/Mortage/Pages/guides.aspx (consulté le 30 mai 2010).
Son site Web est à l’adresse Internet suivante : http://www.ehfc.com.eg/ (site en arabe seulement)
(consulté le 12 août 2008).
Son site Web est à l’adresse Internet suivante : http://www.taamirmortgage.com/ (consulté le 12
août 2008). Première compagnie autorisée aux termes de la REFL, ce site Web est le plus
convivial et facile à consulter, donnant maints détails quant aux financements disponibles.
Cependant, aucune statistique quant aux prêts effectivement consentis.
Son site Web est à l’adresse Internet suivante : http://www.amlakfinance.com/ (consulté le 12 août
2008), qui s’identifie comme la première société d’investissement islamique publique dans le
domaine du crédit foncier. Elle œuvre dans plusieurs pays arabo-musulmans.
Voir : Reem NAFIE, « Sector Services : Real Estate, Property Finance Develop A Direct
Relationship », The Daily News
ligne :
http://www.thedailynewsegypt.com/article.aspx?ArticleID=15109 (consulté le 12 août 2008).
(Egypt), [Le Caire], 16
juillet 2008, en

Page 604
578
« Guarantee and Subsidy Fund », créé par décret présidentiel en 2003, assume ce rôle.
Les paramètres de l’aide octroyée sont les suivants : le Fonds verse à l’acquéreur une
subvention représentant 15 % du prix d’acquisition de l’immeuble, jusqu’à concurrence
d’une somme maximale de LE 10,000; les mensualités payables par l’acquéreur sont ainsi
réduites au quart de son salaire mensuel; le Fonds garanti au financier le paiement de trois
mensualités par période de cinq ans en cas de défaut de paiement de l’acquéreur; sont
éligibles à cette subvention tout individu dont le revenu annuel est inférieur à LE 12,000
(majoré à LE 18,000 dans le cas d’une famille), à condition de n’avoir jamais reçu de
telle subvention auparavant 1411. Ces seuils d’admissibilité au programme de subventions
sont considérés trop bas, car les paiements mensuels requis pour l’achat d’une propriété
sont assez élevés, en raison du taux d’intérêt fixe et du contrat à terme qui s’échelonne
sur une longue période. La Banque mondiale a requis que lesdits seuils soient majorés
pour permettre une meilleure accessibilité au programme. Ainsi, tout ménage ayant un
revenu mensuel d’au plus 2 500 livres égyptiennes (donc de 30 000 livres égyptiennes par
1411
le
en
du
Finance
Mortgage
Authority,
site Web
Voir
ligne :
http://www.mf.gov.eg/EMF_Portal/en-GB/GSF/ (consulté le 12 août 2008). Subventionner l’accès
à la propriété n’est pas nécessairement la meilleure voie. Voir, entre autres : W
ORLD BANK,
Finance for All, supra note 1221, p. 113, 146, 152, 163 et 168 : « However, household credit is not
the only or main financial services poor needs: subsidies are sometimes better spent on savings
and payment systems as it is such services that make the economy go round
. […] A strategy for
inclusion must extend beyond credit for poor households. Encouraging competition, transparency
and openness is essential. Government intervention, especially with regard to limited prudential
intervention and enforcement of property rights, can be useful; however, it is not the panacea
some believe it to be and government intervention often has unintended consequences.
[…]
Governments should focus on building sound financial institutions, creating specific policies for
access
[…], encouraging competition (including
foreign entry), establishing prudential
regulations and making property rights stable. Any government policy should take the following
into account: clarity and logical coherence of the objective of intervention; governance structures
that inhibit the subversion of these objectives; control of agency costs; adequate administration
».

Page 605
579
année) aura droit au régime de subvention, suite à un décret présidentiel du 10 juillet
2008 1412.
Enfin, les intermédiaires de marché que sont les courtiers en financement, les évaluateurs
agréés et les agents de réalisation sont réglementés par la Real Estate Finance Law.
Est-ce que ce cadre contribuant à l’édification d’un marché immobilier primaire a donné
les résultats escomptés ? Pas encore, selon les données disponibles. Alors qu’en 2005,
seulement seize financements immobiliers avaient été consentis sous son égide, on note
une évolution depuis lors. À la fin de l’année 2006, on parlait plutôt de 2300
financements 1413 et, en mars 2007, de 1428. Ce nombre a augmenté en 2008 et 2009,
pour atteindre 11 774 transactions cette année-là 1414. Il s’agit bien sûr d’une progression,
mais somme toute assez modeste compte tenu des besoins. Les taux d’intérêts offerts par
les institutions financières sont élevés : ils oscillent entre 13 et 15 % l’an. De plus,
comme les financements sont à terme et à taux d’intérêt fixe, cela contribue à les rendre
exhorbitants. On estime que sur une période d’amortissement supérieure à 20 ans, les
investisseurs auront payé trois fois le prix de leur maison 1415. En 2005, le gouvernement
égyptien a permis la constitution de sûretés sur des biens autres que des immeubles dont
le titre est enregistré, compte tenu du faible taux d’enregistrement et des problèmes reliés
au cadastre, élargissant ainsi le marché 1416. Dans les nouvelles communautés urbaines,
1412
1413
1414
1415
1416
Voir : WORLD BANK, Program Document – Affordable Mortgage Finance, supra note 1246,
n
os 55 et 107, p. 16 et 29.
R. STRUYK et M. BROWN, loc. cit., supra note 1397.
Voir les statistiques précitées, supra note 1247.
« Mortgage reform inches forward », communiqué de presse, 17 mars 2005, en ligne :
http://www.usaideconomic.org.eg/efs/latest_press_clippings.asp (consulté le 12 août 2008).
R. STRUYK et M. BROWN, loc. cit., supra note 1397.

Page 606
580
lors de concessions de propriétés de l’État, il a permis le transfert direct du titre à
l’acquéreur, établissant une présomption de publicité pour ces nouveaux développements.
Les subventions n’ont pas encore atteint un large segment de la population 1417. Du reste,
le financement immobilier s’adresse davantage, pour l’instant, aux classes moyenne et
supérieure, représentant environ 25 % de la population 1418. Initialement, on rapporta
deux cas de recours aux termes de la REFL qui n’auraient duré que six mois 1419; on en
recenserait en tout neuf depuis lors, dont on ignore les délais 1420. Ainsi, malgré les
efforts déployés, les résultats se font toujours attendre. Le ministère de l’investissement a
annoncé de nouvelles mesures à l’été 2008. Le niveau de subventions sera haussé; la
REFL sera amendée pour permettre les activités de refinancement; l’industrie de
l’assurance fera l’objet d’un meilleur encadrement 1421.
En dépit des difficultés de décollage de ce marché primaire, le gouvernement égyptien,
appuyé par la Banque mondiale, va de l’avant en créant un marché secondaire, en
permettant la titrisation des créances immobilières financées aux termes de la REFL. La
Egyptian Mortgage Refinancing Company 1422 fut établie à cette fin. Composée de 24
actionnaires, dont vingt banques (incluant la Banque centrale d’Égypte), deux
1417
1418
1419
1420
1421
EGYPT, MINISTRY OF INVESTMENT, loc. cit., supra note 1386, p. 8-13.
R. NAFIE, loc. cit., supra note 1410.
USAID, « Task (1) : Establishing a Supporting Framework for the Real Estate Finance Industry »,
en
ligne : http://www.usaideconomic.org.eg/EFS/task_results_details.asp?tasks_id=287&no=1
(consulté le 12 août 2008).
USAID / EGYPT, Rapport quinquennal USAID 2004-2009, supra note 1243, p. 22.
EGYPT, MINISTRY OF INVESTMENT, MORTGAGE FINANCE AUTHORITY, « In the second mortgage
euromoney conference : New policy for subsidizing low-income earners’ units », 27 mai 2008, en
ligne : http://www.mf.gov.eg/EMF_Portal/en-GB/Information+Center/Press+Releases/Al-Ahram
27-5-2008 (consulté le 12 août 2008).
1422
Site Web: http://www.emrc-online.com/ (consulté le 12 août 2008).

Page 607
581
compagnies de financement immobilier, le Guarantee and Subsidy Fund et la
International Finance Corporation, elle fut dotée d’une capital initial de LE 200 000 000.
Son rôle consistera à : « act as the market maker, provide sources of long-term finance
for companies and banks, and handle securitization transactions » 1423. L’aide financière
de la Banque mondiale aux termes du WB Egypt Mortgage Finance Project était
précisément dévolue à l’établissement du Egyptian Mortgage Refinancing Company et
consistait, en fait, en un prêt de démarrage. Elle supposait l’existence d’une « strong
infrastructure supporting the registration, enforcement and eventual pledging and/or sale
of mortgage loans. Most of them (deposit-based portfolio lending being the main
exception) rely on the existence or development of a robust bond market, to the extent
they look to the selling of fixed-income securities ». 1424 Nous doutons que cette
infrastructure soit présente, celle entourant le marché primaire étant déficiente à plusieurs
égards. Voilà pourtant deux risques importants, à savoir le système d’enregistrement et
les modes de réalisation des sûretés, qui furent identifiés par la Banque mondiale dans le
contexte de son aide financière 1425.
Qu’il suffise, pour nos fins, de mentionner que cette structure règlementaire met en scène
deux ministères principaux, à savoir celui de l’investissement et celui du logement social
et des nouvelles communautés urbaines. Nulle part n’est-il fait mention du ministère de
la Justice, dont relèvent pourtant les bureaux d’enregistrements, ni du ministère des
travaux publics et de la gestion des eaux (i.e. Ministry of Public Works and Water
Ressources), responsable du cadastre avec, il est vrai, le ministère du logement social et
1423
EGYPT, MINISTRY OF INVESTMENT, loc. cit., supra note 1386, p. 16.
1424 WORLD BANK, WB Project Appraisal Document, supra note 1244, p. 29.
1425
Ibid., p. 27.

Page 608
582
des nouvelles communautés urbaines. Puisque la publicité des droits est un élément
central de la Real Estate Finance Law, son succès en sera largement tributaire. Mais cela
pose avec acuité la lancinante question de la réforme du droit en Égypte, vers laquelle
nous allons nous tourner pour conclure au sujet du cas égyptien.
F.
La réforme du droit en Égypte : un processus difficile
Comment améliorer le cadre juridique et institutionnel qui favoriserait l’implantation de
la Real Estate Finance Law [1] ? Certaines avenues, bien que restreintes, sont certes
envisageables et furent notamment proposées au législateur égyptien par l’Étude de
terrain ACDI, sans qu’il n’y soit nécessairement donné suite. En cela, les empêchements
à la réforme du droit dépendent d’un contexte plus général propre à la société égyptienne,
dont nous avons déjà émaillé nos réflexions et qui ne peut être négligé, expliquant, d’une
part, la portée des suggestions que l’on sera en mesure de formuler en pareilles
circonstances, et montrant, d’autre part, l’inertie dont elles peuvent faire les frais [2]. La
règle de droit substantielle, dans son expression technique, est très certainement cardinale
à l’établissement d’une bonne gouvernance, contribuant à l’éclosion des libertés
individuelles et à la création de richesse, non seulement au profit de quelques individus
pris isolément, mais pour la société dans son ensemble.
1.
De l’implantation de la Real Estate Finance Law : améliorations
possibles à son cadre juridique et institutionnel ?
Est-il possible de suggérer des améliorations au cadre juridique et institutionnel de la
Real Estate Finance Law qui en assurerait une meilleure réception ? La question est
d’autant plus délicate lorsqu’elle est posée à des juristes occidentaux dans le cadre d’une
étude comme celle à laquelle nous avons participé pour le compte de l’ACDI. En effet,
Page 609
583
c’est s’aventurer en terrain glissant que de se hasarder à relever le défi, surtout lorsque
restent présentes à l’esprit les mises en garde à l’encontre du colonialisme juridique 1426,
celles relatives au respect de la diversité culturelle, à l’impossibilité de transplanter
universellement des solutions qui fonctionnent pourtant dans un pays (voire dans une
tradition) mais qui ne seront pas nécessairement adaptées à une autre, et ainsi de suite.
Cela étant, il faut au juriste occidental, dans ce contexte de développement, comme
l’affirmait si éloquemment Jacques-Yvan Morin, faire preuve de modestie, car il n’existe
pas une seule et unique conception du droit 1427. Sans toutefois verser dans l’excès
relativiste inverse, on peut néanmoins formuler certaines observations puisque, selon de
nombreux avis, diverses conception du droit ne signifient pas pour autant qu’elles ne
partagent pas toute une méthode identique à leur mise en œuvre. Ainsi, il est admis que
les régimes de crédit foncier qui fonctionnent partagent tous certains traits communs.
Sans évoquer pour l’instant de manière spécifique les aspects relevant de l’infrastructure
organisationnelle et réglementaire sous-jacente à un tel régime, nous nous bornerons à
formuler des commentaires relativement aux mesures qui permettraient d’assurer une
plus grande légitimité, une meilleure accessibilité et une efficience accrue au financement
1426
1427
Voir notamment, sur cette question : Isabelle DUPLESSIS, « Le droit international a-t-il une
saveur coloniale ? L’héritage des institutions internationales multilatérales », (2008) 42
R.J.T. 311.
Voir : J.-Y. MORIN, op. cit., supra note 1062, p. 40 : « Qu’il s’agisse des droits de l’homme ou de
leur protection effective par l’État de droit, peut-on parler d’universalité sans verser dans
l’utopie ?
[…] Le juriste de formation occidentale doit ici faire preuve de modestie : si, d’une
part, il lui est difficile d’admettre que les droits humains ne soient pas aussi universels que
l’« homme » lui-même, il ne saurait, d’autre part, imposer sa propre conception de l’homme, de
ses droits et de ses rapports avec le pouvoir, au demeurant susceptible de nuances importantes
d’un État occidental à l’autre. Il ne peut non plus ignorer les difficultés d’ordre économique et
social auxquelles se heurtent de nombreux pays du tiers monde dans leur tentative d’accéder à la
« modernité » des libertés et de l’économie de marché, ni traiter à la légère les conceptions
différentes selon lesquelles sont organisés les rapports entre collectivité et individu dans les autres
civilisations et cultures
» [notre soulignement].

Page 610
584
immobilier, et ce, dans une perspective juridique, en tenant pour acquis que le cadre
proposé par la Real Estate Finance Law est là pour rester.
En effet, tel que nous l’avons déjà souligné, notre préférence personnelle irait vers une
abrogation pure et simple de cette loi, afin de permettre une revalorisation du Code civil
égyptien, qui nous semble un instrument juridique beaucoup mieux conçu que ne l’est la
Real Estate Finance Law 1428. Il faut toutefois prendre acte du fait que ce Code civil est
la figure emblématique, non seulement pour l’administration de ce pays mais aussi pour
certains spécialistes autorisés du droit musulman, de l’imposition de valeurs occidentales
en terre égyptienne au détriment de la tradition musulmane dont il ne tiendrait pas
suffisamment compte. En ce sens, la Real Estate Finance Law, qui fut jugée recevable
par les autorités islamiques officielles de l’Égypte car conforme à la charî’a, a valeur de
symbole : elle opère un retour aux sources et devrait permettre la réappropriation par le
peuple égyptien de son droit.
Législation de compromis entre diverses forces politiques, juridiques et religieuses en
présence, dont le pénible accouchement s’étala sur de longues années, la Real Estate
Finance Law a pour objectifs de promouvoir l’investissement et la croissance dans le
secteur de l’immobilier. Paradoxalement, en se conformant aux principes de droit
musulman qui banissent le prêt à intérêt et limitent le plein exercice du droit de propriété,
elle repousse très certainenement d’un cran l’atteinte de ces objectifs. De plus, malgré sa
1428
C’est, en tout cas, la posture que tout juriste appartenant à la tradition civiliste adopterait, prima
facie, à travers le prisme de sa formation première, à laquelle nous n’échappons pas, considérant
au surplus que le Code civil égyptien, tel que nous avons tenté de le relever, nous apparaît une
législation assez moderne et bien articulée. Il faut dire que sa rédaction fit l’objet d’une longue
réflexion et que deux juristes de premier plan, ‘Abd-al-Razzaq Ahmad al-Sanhuri et Édouard
Lambert, en assumèrent la responsabilité.

Page 611
585
conformité à la charî’a, elle ne semble pas actuellement jouir de la légitimité voulue au
sein de la population égyptienne au point de susciter l’adhésion. Enfin, cette législation
présente de nombreux inconvénients aux investisseurs étrangers, principalement aux
occidentaux que l’on désire attirer pour ce secteur névralgique, dont le manque de
cohérence et l’incertitude.
La réforme du droit procède par la révision des normes législatives en place, d’une part,
et par les mesures déployées pour en assurer le caractère exécutoire, d’autre part. Les
règles juridiques, pour être contraignantes, doivent être bien formulées, facilement
accessibles et d’interprétation uniforme. Dès lors, la sécurité juridique recherchée sera
atteinte et l’efficacité du système assurée. Partant, la légitimité des règles repose sur le
respect qu’elles inspirent, leur intégration aux mœurs d’une société donnée et le recours
qu’y feront ses destinataires. À l’aune de ces critères, plusieurs avenues peuvent être
explorées afin d’améliorer la Real Estate Finance Law. Nous envisagerons des mesures
de deux types. Les premières touchent la loi proprement dite, son accessibilité, sa
formulation, ses concepts et sa cohérence intrinsèque. Les secondes consistent à faciliter
l’appropriation de cette législation par les égyptiens.
Réglons d’abord la question de l’accessibilité des règles en matière de crédit foncier. Tel
que notre exposé l’a démontré, les sources du droit dans ce domaine sont nombreuses et
variées, à tel point qu’il s’avère difficile de connaître l’ensemble de la législation
applicable à ce secteur. À défaut de procéder à une véritable codification organisatrice du
droit, à l’instar des codifications civiliste ou américaine, une compilation de cette
législation viendrait résoudre ce problème. Devrait y figurer non seulement la Real
Estate Finance Law, les Règlements REFL et les contrats de financement immobilier
Page 612
586
types, mais aussi la Législation égyptienne en matière de publicité foncière, de zonage,
d’urbanisme, d’environnement et de construction, les règles entourant les contrats de
vente et d’entreprise, celles ayant trait à la capacité juridique des parties, les règles de
procédure civile applicables et, enfin, les règles d’insolvabilité pertinentes. Des
commentaires explicatifs sous chacune des principales dispositions de la législation ainsi
compilée devraient être préparés, de même que des annotations référant à la
jurisprudence, lorsqu’applicable. Une large diffusion de cette compilation au sein des
ministères, institutions financières, universités, magistrature, barreaux, chambres de
commerce, contribuerait à une interprétation plus uniforme de ce droit, en plus d’en
circonscrire plus effectivement l’étendue.
En effet, si le droit supplétif doit
nécessairement être le droit musulman, il ne sera pas aisé d’en établir les contours et,
partant, d’en assurer le caractère prévisible, nécessaire au crédit foncier. Il faudrait à tout
le moins tenter l’exercice de codifier la majorité des principes applicables en la matière
afin qu’ils se retrouvent dans cette compilation. Nous ignorons toutefois si le poids de la
tradition musulmane, qui ne connaît pas le principe de l’autorité du précédent, présentera
un frein à un tel outil, car tel que nous l’avons déjà indiqué, nous n’avons pas eu le
bénéfice de lire la jurisprudence égyptienne. Nous ne savons donc pas si ce principe y
existe ou non, ni n’avons d’idée précise quant à la prégnance de la tradition musulmane à
ce chapitre.
La terminologie de cette législation, du moins dans sa version anglaise, aurait intérêt à
être revue. L’influence anglo-américaine y transpire : souventes fois utilise-t-on les
expressions évoquant la common law. « Real Estate », « Mortgage », « lien » sont les
exemples les plus courants. Or, cette terminologie n’est pas neutre et prête à confusion.
Page 613
587
D’un côté, le lecteur égyptien sera tenté d’y voir un accroc à la charî’a; de l’autre,
l’investisseur étranger éprouvera un certain inconfort, car ces expressions ne représentent
pas les réalités qu’elles évoquent. En effet, le contrat de financement immobilier type est
tout sauf un « mortgage », et le droit des biens dans cette perspective ne peut être entendu
comme référant au « Real Estate ». L’adoption d’une terminologie référant à la charî’a
ou, encore, d’un vocabulaire plus neutre, devrait aider à susciter une meilleure adhésion à
la Real Estate Finance Law et, ce faisant, à en accroître la légitimité.
Dans la même veine, afin de lui assurer une plus grande cohérence et une meilleure
intelligibilité, des bulletins d’interprétation pourraient être émis par les divers organes
réglementaires et administratifs chargés de son application. Ces mesures éviteraient de
toucher aux textes législatifs et règlementaires mêmes, mais en permettraient l’évolution
sans ouvrir une boîte de Pandore. Ainsi, on pourra apporter des précisions à la
qualification juridique de l’opération tripartite, à la nature, l’assiette de la sûreté et aux
obligations garanties, à son rang, et aux mesures d’exécution forcée. Les problématiques
suivantes devraient ainsi être résolues : la possibilité de recourir à des taux d’intérêts
variables; la possibilité de faire l’acquisition de terrains vacants; la portée de la sûreté sur
des biens autres qu’immobiliers (par exemple, les loyers); le droit des parties de modifier
à leur gré les dispositions de tout contrat de financement immobilier type. Ces dernières
suggestions sont on ne peut plus à propos, sachant que la Banque centrale d’Égypte
n’impose pas aux institutions financières qu’elle réglemente le respect formel du contrat
type, avec l’incertitude qui en découle.
Dans un autre ordre d’idées, la légitimité de la Real Estate Finance Law ne pourra
advenir que si la population égyptienne se l’approprie. Au-delà des mesures techniques
Page 614
588
que nous venons d’énoncer favorisant son accessibilité, sa cohérence et son intelligibilité
intrinsèques, d’autres ayant trait à la recherche, à la formation, à la diffusion du savoir
auprès d’un auditoire spécialisé devraient être mises en œuvre. Le législateur égyptien
pourrait ainsi subventionner la recherche universitaire en ce domaine et même créer une
chaire s’y consacrant à l’Université du Caire. Des programmes de formation continue
s’adressant aux juges, avocats, conseillers en financement immobilier, évaluateurs et
agents de réalisation pourraient être mis sur pied. Enfin, des programmes d’information
du public en général pourraient être lancés, ainsi que des campagnes de sensibilisation
aux droits et avantages résultant de la Real Estate Finance Law, et ce, à tous les échelons
de la société civile, dans le système d’éducation dès le niveau secondaire, par l’entremise
d’un site Web, dans les journaux, etc. À ce sujet, mentionnons que le ministère de
l’investissement, de concert avec USAID, a institué certains programmes de formation et
d’information. Certains ont trait aux agents de réalisations, évaluateurs agréés,
magistrats; d’autres relèvent plus de la dissémination générale au public via certaines
publicités et la création d’un site Web par la Mortgage Finance Authority.
Ces propositions ont déjà été formulées, pour l’essentiel, dans le cadre de l’Étude de
terrain ACDI. À notre connaissance, sauf pour certaines d’entre elles dont nous avons
fait état, il n’y fut pas donné suite, particulièrement en ce qui concerne le droit substantif
même, socle de cet édifice. Nous allons donc tenter de comprendre, en terminant notre
étude de cas, quelles sont les principales raisons expliquant la difficulté à réformer le
droit en Égypte.

Page 615
589
2.
De la réforme du droit en général dans le contexte égyptien
Il faut prendre le droit au sérieux. Le droit, dans sa composante institutionnelle et
formelle de l’État de droit, qui assure la vie paisible en société et la création d’une
communauté d’intérêt général, sur laquelle il se fonde par l’établissement d’un véritable
contrat social, assise de sa légitimité. Le droit, également, dans sa dimension
substantielle de la règle de droit, qui permet de cimenter cette communauté à l’aide de
règles claires, accessibles et d’interprétation aisée, consacrant les principes de
l’autonomie de la volonté et du caractère exécutoire des conventions.
Force est de constater qu’en Égypte, l’État de droit et la règle de droit sont malmenés.
Pour l’État de droit, c’est l’État policier qui règne, avec un régime à parti unique et
dynastique. L’état d’urgence perdure depuis 1958, restreignant ainsi les libertés civiles à
l’arbitraire du pouvoir politique, qui agit de connivence avec l’armée. Le système
judiciaire ne peut s’acquitter de ses fonctions convenablement, les conditions matérielles
pour ce faire n’étant pas réunies, quand on ne s’en prend pas carrément à l’indépendance
de la magistrature. La fonction publique n’est pas efficace et les salaires sont très bas.
La corruption est généralisée. La presse n’est pas véritablement libre et les Coptes, qui
constituent la principale minorité en ce pays, sont ostracisés par la majorité musulmane,
la pratique de leur religion n’étant pas sans obstacles en ce pays 1429.
La religion musulmane et le panarabisme constituent des fondements identitaires majeurs
de la population égyptienne. Accablée par une pauvreté endémique, l’écart entre les
1429
Voir, entre autres : AGENCE FRANCE-PRESSE, « Attaque contre un monastère : l’Église copte
demande la protection de Moubarak », dans Le Devoir [de Montréal], lundi le 16 juin 2008 (B6) ;
Michael COREN, « A Church under siege – A $ 60-million bounty on a Coptic leader is just one
sign of the threats facing Egypt’s Christians », dans le National Post [de Toronto], jeudi le 23
octobre 2008 (A16).

Page 616
590
riches et les pauvres n’ayant cessé de croître depuis les cinquante dernières années, elle
trouve dans l’Islam refuge, réconfort, ainsi que la promesse d’un monde meilleur, auquel
le régime actuel semble plus un verrou qu’un facilitateur. Ce régime a toutefois bien
compris l’importance que cette tradition musulmane revêt, au point de l’avoir
instrumentalisée dans son discours, dans ses politiques et dans ses lois, afin d’asseoir sa
légitimité face à ses commettants, ainsi que l’a relevé la politologue Sophie Pommier,
faute de parler ici d’un véritable contrat social. Cette instrumentalisation sert aussi de
contrepoids à des orientations politiques et économiques générales qui, aux yeux de la
population, dévient sans cesse du panarabisme, en raison des accointances entretenues
avec les États-Unis d’Amérique et de la conciliation avec l’État d’Israël depuis la
signature de la paix en 1979.
Ces orientations politiques et économiques, à moins d’une révolution par les armes des
citoyens égyptiens, semblent là pour rester. D’une part, l’Égypte est bénéficiaire d’une
aide financière plus que généreuse de la part des américains, dont les intentions sont on
ne peut plus avouées; d’autre part, la Banque mondiale y est également très présente et
s’assure, par des prêts et subventions importants, que des changements structurels
profonds s’opèrent à tous les niveaux. Du point de vue économique, on s’oriente
progressivement vers une libéralisation complète du marché égyptien. Le « Financial
Sector Loan Policy II », le WB Egypt Mortgage Finance Project et le Affordable
Mortgage Finance DPL sont trois aides financières consenties par la Banque mondiale
allant dans cette direction. Le contraste avec le socialisme nassérien, qui s’opère ainsi
depuis la fin des années 1980, est saisissant. Réduction de la taille de l’État,
privatisations, établissement de partenariats public-privé pour les grands projets
Page 617
591
d’infrastructures, toute la gamme de mesures libérales y passe depuis lors, tranchant avec
le dogme de l’État-providence qui a fait si long feu en Égypte et dont certaines traces
demeurent toujours présentes. Mais l’implantation de ces mesures ne se fait pas si
rapidement, les forces du statu quo ante exerçant toujours une certaine prégnance en
Égypte. La Banque mondiale et le FMI, malgré les sommes astronomiques qu’elle y ont
investies, n’ont pas réellement été en mesure de contraindre le gouvernement égyptien
dans l’adoption d’une réforme structurelle d’ensemble cohérente, ce qui expliquerait les
échecs répétés. Pourquoi en est-il ainsi ? En raison de l’importance stratégique du pays
pour les États-Unis, soutien-t-on 1430. On affirme que cela serait en train de changer, mais
cela reste à être démontré de manière plus probante.
Le succès de cette entreprise dépend donc d’un régime juridique solide. Contrairement à
ce dont présume la Banque mondiale à ce chapitre, l’on ne pourrait soutenir que ce soit
actuellement le cas. L’exemple du régime de crédit foncier égyptien s’avère à la fois
instructif et éloquent. D’une part, l’infrastructure nécessaire à son déploiement fait
défaut ; d’autre part, la règle de droit, dans son expression, son accessibilité et sa
cohérence est sérieusement déficitaire. L’établissement d’un cadastre et d’un registre
foncier s’avèrent cruciaux au bon fonctionnement d’un tel régime ; le respect des
contrats et les mécanismes en favorisant l’exécution le sont tout autant. Dans notre
exemple égyptien, ils ne sont pas présents. La législation dans le domaine ne répond pas
aux critères d’intelligibilité, d’accessibilité et de cohérence. Ces difficultés ont plusieurs
sources. L’une d’elle relève très certainement des contraintes religieuses découlant de la
1430
Voir, pour ce point de vue : Alison Elizabeth CHASE, « The Politics of Lending and Reform: The
International Monetary Fund and the Nation of Egypt », (2006) 42
Stan. J. Int'l L. 193.

Page 618
592
charî’a. En Égypte, la pluralité des ordres juridiques est à son zénith : droit étatique et
droit religieux, droit formel et droit informel s’y côtoient en toute liberté. Les années à
venir nous diront si l’on peut y concilier ces différentes oppositions et faire en sorte que
les conditions préalables à l’établissement d’un véritable marché intérieur, qui
s’harmonise avec le marché mondial, puissent y fleurir. Mais l’expérience passée de ce
pays nous permet d’en douter. Sauf lorsqu’elle est imposée, et même dans ce cas,
l’atteinte de l’unité s’y est avérée pratiquement impossible depuis les deux derniers
siècles et, alors que l’on y arrivait presque, des mouvements sociaux, religieux, voire
révolutionnaires, sont constamment venus y brouiller les cartes. C’est d’ailleurs l’une des
craintes de la Banque mondiale, qui peine à la nommer, ne le faisant que du bout des
lèvres 1431.
Le cas égyptien est très certainement riche d’enseignement et nous allons maintenant
analyser les mêmes questions en lien avec notre problématique de recherche, mais avec
pour objet un autre pays en voie de développement, à savoir la République Démocratique
du
Congo.
1431 WORLD BANK, Program Document – Affordable Mortgage Finance, supra note 1246, no 132, p.
34: «
Lastly, there is a political risk associated with stakeholders’ opposition that would weaken
the government’s attempts to pursue the needed policy and structural reforms. The current
reform-oriented government has been a strong advocate of developing the mortgage market and is
commited to unifying the housing subsidy system. […] These risks would be mitigated through
ensuring the issuance of various decrees, and amending relevant laws. Public awareness and
consultations with the stakeholders (including political and popular opposition) would also help in
maintaining the reform momentum
».

Page 619
III- L’ÉTAT DE DROIT « SUBSTANTIEL » : LE CAS DE LA RÉFORME DE LURBANISME,
DE L
HABITAT ET DU CRÉDIT FONCIER EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU
CONGO
Nous présenterons, de manière plus succincte que nous l’avons fait pour le cas égyptien,
notre étude de cas congolais. Ce deuxième cas n’est pas moins intéressant, mais pour nos
fins, nous n’aurons besoin que de démontrer la difficulté d’implanter dans cette société
un État-nation démocratique, en raison de ses origines plurielles et de facteurs culturels
rédhibitoires à son avènement. Ce qui, on l’aura compris, n’est pas sans conséquence
pour l’élaboration d’un régime de droit commercial et de sûretés. Nous discuterons, dans
un premier temps, de l’État de droit « instrumental » et « formel » en RDC [A] pour
ensuite aborder, en second lieu, l’État de droit « substantiel » dans ce même pays, par
l’étude de la réforme de l’urbanisme, de l’habitat et du crédit foncier [B] 1432.
1432
Nos commentaires, pour cette partie de notre thèse, s’inspirent d’une étude de faisabilité que nous
avons réalisée en 2009 dans le cadre d’un mandat confié par l’ACDI. Nous avons dirigé une
équipe multidisciplinaire qui s’est rendue à deux reprises en République Démocratique du Congo
pour des séjours d’études, à Kinshasa, afin d’y rencontrer des membres du gouvernement
congolais et divers experts de la société civile. Nous avons rédigé les rapports relatifs à
l’évaluation du cadre légal et réglementaire et à sa mise à jour. Dans notre méthodologie, nous
avons consulté les sources documentaires disponibles qui nous furent remises par nos
interlocuteurs congolais, mais aussi consigné par écrit les entretiens menés sur le terrain, auxquels
nous référons comme source directe. Voir, à ce sujet : Antoine LEDUC,
Étude de faisabilité sur
les réformes de l’urbanisme et de l’habitat et République Démocratique du Congo (RDC)
,
présentée à l’ACDI dans le cadre du Projet de réforme de l’urbanisme / RDC-SP (Accord de
contribution E4936-K062682-001), Livrable numéro 3,
Étude du cadre légal et réglementaire,
Montréal, Heenan Blaikie s.e.n.c.r.l., srl, 31 mars 2009 [l’«
Étude du cadre
légal et
réglementaire
»]; Antoine LEDUC, Étude de faisabilité sur les réformes de l’urbanisme et de
l’habitat et République Démocratique du Congo (RDC)
, présentée à l’ACDI dans le cadre du
Projet de réforme de l’urbanisme / RDC-SP (Accord de contribution E4936-K062682-001),
Livrables numéros 5 et 8,
Mise à jour du cadre légal et réglementaire; Évaluation détaillée du
coût du projet; étude économique et financière, Montréal, Heenan Blaikie s.e.n.c.r.l., srl, 11
septembre 2009 [les «
Propositions de mises à jour du cadre légal et réglementaire »]. Nous ne
reprenons, pour les fins de la présentes thèse, que les traits saillants de nos constatations, qui ne
sauraient lier l’ACDI ou le cabinet Heenan Blaikie et qui constituent le fruit de notre réflexion
personnelle.




Page 620
594
A.
L’État de droit « instrumental » et « formel » en RDC
Nous allons d’abord présenter le contexte politique, social et économique qui prévaut en
RDC [1], pour ensuite voir si l’État de droit y est une réalité ou un vœu pieux [2].
1.
Le contexte politique, social et économique en RDC
Comprendre la République Démocratique du Congo d’aujourd’hui suppose quelques
éléments d’histoire. Pour nos fins, cette histoire commence avec l’avènement de l’État
Indépendant du Congo, créé en faveur du roi belge Léopold II à titre de possession
personnelle en 1885. Cet État Indépendant du Congo fut l’occasion pour le roi belge de
littéralement prendre possession des terres et d’essayer de s’alimenter des riches
ressources naturelles dont regorge le territoire du Congo. Cet État fut cédé en 1908 à la
Belgique, année où il deviendra le Congo Belge. Les politiques mises de l’avant par la
Belgique à cette époque tentèrent de créer une société la plus fonctionnelle possible mais
où l’idée de civilisation était étroitement associée au christianisme et au progrès social.
En 1960, le Congo fera l’acquisition son indépendance de la Belgique en date du 30 juin
de cette année-là. Le nouvel État Indépendant, nommé Zaïre, héritait d’un système
juridique et d’une organisation politique alors calquée sur celle de la Belgique. Les
infrastructures et les institutions que l’on retrouve encore de nos jours en RDC datent
pour la plupart de cette époque-là. Depuis, le pays a été soumis à une dictature. S’en
suivirent nombres de guerres civiles et de luttes fratricides. Les infrastructures sont
pratiquement réduites à néant et la population congolaise vit dans un état d’extrême
pauvreté. Bien qu’un nouveau régime soit en place depuis les élections de 2006 qui ont
confirmé le président Joseph Kabila dans ses fonctions, le magazine The Economist
classe encore la République Démocratique du Congo, en 2008, au 154e rang sur cent
Page 621
soixante-sept (167) pays dans son index démocratique. Cette revue considère donc la
RDC comme une dictature :
595
Democracy index (for methodology, see Appendix)
The Economist Intelligence Unit’s 2008 democracy index ranks the the Democratic
Republic of Congo 154th out of 167 countries worldwide. With an overall index
score of 2.28, it is classed as having an authoritarian regime, like 21 of the other 43
countries in Sub-Saharan Africa, and ranks among the lowest-scoring in that
category. The DRC’s poorest score is in the category government functioning. This
reflects the fact that there are few checks and balances on the exercise of
government authority; government accountability to the electorate is low; corruption
is pervasive at all levels; the quality of the civil service is low; and the government’s
authority does not extend over the whole country. The DRC’s best score is in the
political culture category : after decades of dictatorship, political turmoil and civil
war the Congolese people still retain some belief that a fully functioning democratic
system would be the best form of government for the DRC and this is reflected in
the proliferation of political parties.
1433
Malgré la fin de la guerre civile, certaines régions de la RDC sont toujours aux prises à de
violents conflits. En effet, la RDC se remet difficilement d’un conflit intense qui a
secoué le pays de 1997 à 2009. Ce conflit résulterait en fait d’un déplacement en RDC
du conflit génocidaire rwandais. En raison de la pression exercée par la communauté
internationale, le gouvernement rwandais et celui de la RDC se sont entendus, au début
de l’année 2009, pour s’unir et poursuivre ensemble les Hutus génocidaires des Forces
démocratiques de libération du Rwanda. On estime que, depuis le début du conflit, plus
de 10 millions de Congolais auraient été tués, ce que d’aucuns n’ont associé à
l’holocauste ou à un « génocide tranquille », vu l’indifférence de la communauté
internationale jusqu’à tout récemment. Sans compter, par ailleurs, les millions de
Congolais déplacés d’une région à l’autre en raison de ce conflit, où s’opposent non
seulement des intérêts ethniques variés mais, aussi, s’y opère un pillage des riches
1433
THE ECONOMIST, Economist Intelligence Unit, Democratic Republic of Congo : Country Profile
2008
, 2008, p. 8.

Page 622
596
ressources naturelles du Congo, au profit d’intérêts dits mafieux et même de pays
limitrophes 1434.
D’autre part, de nombreux cas de violences sexuelles ont été rapportés au cours des deux
dernières années. À titre d’exemple, un rapport de l’ONU révèle que, selon les
statistiques du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), plus de 3 000 cas
de viols ont été recensés au Katanga, et 70 % de ces cas auraient pour auteurs des
militaires 1435. Cependant, de plus en plus de civils se rendent coupables de viols, même
une fois les conflits terminés, l’impunité prévalant malgré les lois congolaises 1436. Des
femmes sont enlevées et retenues pour servir d’esclaves sexuelles. Dans bien des cas, les
viols et les agressions sexuelles ont une dimension ethnique et/ou visent à terroriser et à
démoraliser des communautés soupçonnées de soutenir des groupes rivaux 1437. Qui plus
est, étant donné le rôle de pivot de toute cellule familiale qui est joué par les femmes
congolaises, les viols perpétrés massivement, qui ne cessent pas après les conflits, ont
pour effet de désorganiser les familles et, partant, de déstructurer la société congolaise
1434
Voir à ce sujet : Jooneed KHAN, « Ce pays n’est pas pour les touristes », dans La Presse [de
Montréal]
, vendredi le 13 février 2009 (A16); Jooneed KHAN, « L’holocauste tranquille; Le
Nord-Kivu entre deux volcans; La guerre des autres », dans
La Presse [de Montréal], le samedi 14
février 2009 (A34-35); Jooneed KHAN, « Quand l’ONU se barricade; Le Rwanda, clé de la paix;
Des Congolaises combatives », dans
La Presse [de Montréal], le dimanche 15 février 2009 (A14-
15); Jooneed KHAN, « Les Congolais se tournent vers Barak Obama », dans La Presse [de
Montréal]
, mardi le 3 mars 2009 (A14); Collette BRAECKMAN, « Une alliance pour la paix? »,
dans
Alternatives, Le Journal [Montréal], vol. 15, no.7, avril 2009 (1); Delphine ABADIE,
Alain DENEAULT et William SACHER, « Pendant les poursuites, le pillage canadien de
l’Afrique se poursuit », dans
Alternatives, Le Journal [Montréal], vol. 15, no. 7, avril 2009 (5).
1435 NATIONS UNIES, Application de la résolution 60/251 de l’assemblée générale du 15 mars 2006,
intitulée « Conseil des droits de l’homme », Rapport de l’expert indépendant sur la situation des
droits de l’homme en République démocratique du Congo, Titinga Frédéric Pacéré (21 février
2007).
1436
1437
Claude LÉVESQUE, « Cris des femmes en RDC », dans Le Devoir [de Montréal], mardi, le 3
février 2009 (A1); Jooneed KHAN, « Des Congolaises combatives », dans La Presse [de
Montréal]
, le dimanche 15 février 2009 (A15).
Voir pour plus de détails : AMNESTY INTERNATIONAL, Une Guerre sans fin pour les femmes et les
enfants
, Londres, Amnesty International Publication, 2008.

Page 623
597
prise dans son ensemble. En juin 2006, le gouvernement a promulgué la Loi n° 06/013
du 12 juin 2006 autorisant l’adhésion de la République Démocratique du Congo au
protocole additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale afin de prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier
des femmes et des enfants.
La République Démocratique du Congo est peuplée de plus de 62 millions de personnes.
Elle est composée de plus de quatre cents groupes ethniques ou tribus. Elle dispose de
vastes ressources naturelles mais ses infrastructures ont été complètement négligées
depuis l’indépendance de 1960. Le système bancaire est pratiquement inexistant et la
plupart des gens, lorsqu’ils travaillent, participent à l’économie informelle. Il sévit à
l’heure actuelle une crise du logement très importante due à de grands flux migratoires
des campagnes vers les villes et à l’absence de plans d’aménagement et d’urbanisme
dignes de ce nom.
Il est donc difficile de parler d’un véritable État de droit pour l’instant en RDC.
2.
L’État de droit en RDC
L’État de droit se traduit d’abord dans le droit public et l’organisation des pouvoirs, dans
l’articulation des droits humains fondamentaux, dans l’administration de la justice et,
enfin, dans l’enseignement du droit.
En matière de droit public, la RDC a adopté en 2006 une nouvelle Constitution de la
République Démocratique du Congo 1438, laquelle détermine l’organisation administrative
1438
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO, Constitution de la République Démocratique du Congo,
Journal officiel de la République Démocratique du Congo, Cabinet du Président de la République,
47e année, Kinshasa, 18 février 2006 [la « Constitution de 2006 »].

Page 624
598
du Congo et divise les champs de compétence entre les provinces et le pouvoir central.
Au-delà de ces pouvoirs politiques, il existe une division des pouvoirs entre
l’exécutif 1439, le législatif 1440et le judiciaire 1441. Une Cour constitutionnelle chargée du
contrôle de la constitutionnalité des lois est instituée 1442. L’indépendance judiciaire est
un principe affirmé 1443. Les articles 11 à 49 de la Constitution de 2006 traitent des droits
humains fondamentaux. À ces droits d’ajoutent des droits collectifs (Art. 50-61) et des
devoirs du citoyen (Art. 62-67). L’article 61 établit qu’en aucun cas, même lorsque l’état
de siège ou l’état d’urgence est proclamé, il ne peut être dérogé aux droits et principes
fondamentaux suivants : le droit à la vie; l’interdiction de torture et des peines ou
traitement cruels, inhumains ou dégradants; l’interdiction de l’esclavage et de la
servitude; le principe de la légalité des peines, les droits de la défense et le droit des
recours; l’interdiction de l’emprisonnement pour dettes; la liberté de pensée, de
conscience et de religion. Il ne nous appartient pas, ici, d’évaluer ce texte constitutionnel
en profondeur.
Cependant, au plan des principes, il s’inspire des règles de
constitutionnalité usuelles et fait de la primauté de l’individu l’un de ses fondements.
Comme nous le verrons plus loin, ce principe ne correspond pas encore à la culture
dominante de la société congolaise, plus communautaire, coutumière et traditionnelle 1444.
1439
1440
1441
1442
1443
1444
Constitution de 2006, supra note 1438, art. 69-99.
Ibid., art. 100-148.
Ibid., art. 149-169.
Ibid., art. 157-169.
Ibid., art. 149-150.
Pour une très belle et vivante illustration de l’importance toujours actuelle de la coutume sur la vie
des Congolais et, en particulier, des Congolaises, lire le roman de la journaliste belge
Lieve JORIS,
L’Heure des rebelles, Arles (Fr.), Actes Sud, 2007. Pour une recension de cet
ouvrage, voir : Caroline MONTPETIT, « Le Congo de tous les dangers », dans
Le Devoir [de
Montréal], samedi le 7 mars 2009. Ce roman reflète aussi le témoignage personnel de la
journaliste, qui a suivi l’un des généraux congolais pendant la plus récente guerre qui s’achève à

Page 625
599
Mentionnons enfin, pour le cadre de notre étude, que la Constitution de 2006 prévoit, à
son article 48, que « [l]e droit à un logement décent, le droit d’accès à l’eau potable et à
l’énergie électrique sont garantis. La loi fixe les modalités d’exercice de ces droits ».
Cet article, de droit nouveau, est loin d’être respecté en ce moment.
Au-delà des textes constitutionnels, il y a les faits, la réalité, la vie. En matière
d’administration de la justice, la situation du pouvoir judiciaire et des professions
juridiques en RDC n’est guère plus reluisante. Les tribunaux n’ont pas les ressources
matérielles et financières pour bien s’acquitter de leurs fonctions. Les juges sont mal
payés et corrompus. Les palais de justice, délabrés et sans électricité. On note une
absence de bibliothèques judiciaires, ainsi que le non accès aux lois, règlements et à la
doctrine par les juges. Les décisions judiciaires ne sont pas publiées et cette
jurisprudence s’avère incohérente. Un contentieux nourri à 80 % par les litiges fonciers,
le reste étant dévolu aux affaires familiales. Des procès qui s’éternisent. La profession
d’avocat n’est pas non plus dans un état reluisant. Ils sont eux-mêmes corrompus et leur
formation laisse à désirer. Ils ne sont pas très nombreux, compte tenu de la population
congolaise.
La profession de notaire n’existe pas comme nous la connaissons au Canada dans la
province de Québec ou telle qu’elle existe en France ou dans les autres pays du notariat
latin. Des actes doivent être authentifiés aux termes de diverses lois, mais cette
compétence est attribuée à un notaire unique de l’État ou, encore, au Conservateur des
peine. Il s’agit donc du récit intime d’une des pages récentes et déchirantes de l’histoire de la
RDC.

Page 626
600
titres immobiliers 1445. Ce qui nous amène à considérer, pour compléter ce bref portrait
de l’État de droit en RDC, la question de l’enseignement du droit.
L’université congolaise est sous financée, de manière chronique, et ses professeurs sont
très mal payés. Il n’y a pas de fonds de recherche et les publications se font rares. Elles
ne sont pas encouragées et l’enseignement du droit devient plus statique. Il s’en ressent.
Le ratio d’élèves par professeur est trop élevé et les classes sont surpeuplées. Le matériel
scolaire et académique est désuet quand il n’est pas tout simplement inexistant 1446.
Force est de constater que l’État de droit « instrumental » existe, en théorie, dans les
textes constitutionnels de la RDC. En pratique, c’est cependant une autre histoire, qu’il
nous faudra garder en tête lors de notre discussion sur l’État de droit « substantiel » en
RDC que nous amorçons maintenant.
B.
L’État de droit « substantiel » en RDC : la réforme de l’urbanisme, de
l’habitat et du crédit foncier
Pour rendre compte de l’État de droit « substantiel » en RDC, il nous faut d’abord
considérer son cadre légal, judiciaire et administratif [1], avant de pouvoir cerner la
problématique de l’urbanisme, de l’habitat et du crédit foncier et d’envisager certaines
pistes de solutions [2].
1.
Du cadre légal, judiciaire et administratif en RDC
La compréhension du cadre légal, judiciaire et administratif de la RDC suppose, en
premier lieu, l’identification des sources du droit dans ce pays [1.1], dont la diversité rend
1445
1446
A. LEDUC, Étude du cadre légal et réglementaire, supra note 1432, Annexe 2, p. 6 et 27.
Ibid., p. 66 et suiv.

Page 627
601
plus difficile l’interprétation et la mise en œuvre de la législation pertinente en matière
d’urbanisme et d’habitat [1.2].
1.1
les sources du droit en RDC
Le dualisme congolais, oscillant entre le droit coutumier oral [1.1.1] et le droit légiféré
écrit [1.1.2], est une réalité incontournable qu’il faut comprendre pour bien saisir le
système juridique de ce pays.
1.1.1
le droit coutumier oral
En République démocratique du Congo, c’est l’État qui a compétence législative et qui
est, en principe, la source première du droit, de par les lois et règlements que le
gouvernement adopte aux termes des pouvoirs conférés aux diverses instances par la
Constitution de 2006 1447. Ce droit est donc écrit et légiféré.
Mais le tableau est plus complexe. À côté de ce droit écrit et légiféré subsiste un droit
traditionnel, coutumier et oral, qui est habituellement permis dans les limites de la loi, de
l’ordre public et des bonnes mœurs : il est consacré par la Constitution de 2006 comme
1447
Le Président promulgue les lois et statue par voie d’ordonnance (Constitution de 2006, supra note
1438, art. 79); le Premier ministre en assure l’exécution et dispose du pouvoir réglementaire sous
réserve des prérogatives constitutionnelles attribuées au Président; il statue par voie de décret
(
Constitution de 2006, supra note 1438, art. 92); le pouvoir législatif est exercé par un Parlement
composé de deux Chambres : l’Assemblée nationale et le Sénat. C’est le Parlement qui vote les
lois (
Constitution de 2006, supra note 1438, art. 100); l’initiative des lois appartient
concurremment au Gouvernement, à chaque député et à chaque sénateur (
Constitution de 2006,
supra note 1438, art. 130). Aux termes des articles 122 et 123 de la Constitution de 2006, supra
note 1438, qui figurent dans la Section 3 précisant les rapports entre le pouvoir exécutif et le
pouvoir législatif, sont établis les sujets sur lesquels la loi fixe les règles ou détermine les principes
fondamentaux. Les lois visent, notamment, « le commerce, le régime de la propriété des droits et
des obligations civiles et commerciales
» (Constitution de 2006, supra note 1438, art. 122, al. 8),
«
le régime foncier, minier, forestier et immobilier » (Constitution de 2006, supra note 1438, art.
123, al. 3). Nous reviendrons sur ces questions après notre exposé des lois en la matière,
concernant leur interaction avec le droit coutumier.

Page 628
602
source du droit congolais, au même titre que la loi 1448. Il en était ainsi dans les anciens
textes constitutionnels congolais, et ce, de l’État Indépendant du Congo au Congo Belge,
de l’Indépendance du 30 juin 1960 jusqu’à nos jours 1449. Mais qu’entend-on justement
par « coutume » et « les coutumes », dans ce contexte ? Il faut, à ce stade-ci, distinguer
« la coutume » du droit coutumier 1450, car c’est dans le sens de « droit coutumier » que
le législateur congolais, de quelque époque depuis l’État Indépendant du Congo, utilise
l’expression « la coutume » 1451. L’on entend ainsi un véritable régime juridique, avec
ses institutions, ses codes, ses lois 1452.
Voilà donc que s’exprime tout le défi posé par le droit coutumier congolais, un droit non
écrit, de tradition orale. Comment y accéder, en découvrir les contours, en assurer
l’évolution ? Vaste entreprise, s’il en est une, aux ramifications multiples, qui se bute en
tout premier lieu à de diverses et nombreuses ethnies disséminées sur l’immense territoire
1448
1449
1450
1451
Constitution de 2006, supra note 1438, art. 153, al. 4 : « Les Cours et les Tribunaux, civils et
militaires, appliquent les traités internationaux dûment ratifiés, les lois, les actes réglementaires,
pour autant qu’ils soient conformes aux lois ainsi que la coutume pour autant que celle-ci ne soit
pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs
» [Notre soulignement]. Voir également, à ce
sujet : Vincent KANGULUMBA MBAMBI,
Précis de droit civil des biens :Théorie générale des
biens et théorie spéciale des droits réels fonciers et immobiliers congolais
, t. 1, Louvain-La-Neuve
(Bel.), Bruylant-Academia S.A., 2007, n
os 3 et 19, p. 21-22, 31-32
Précis »];
Vincent KANGULUMBA MBAMBI, « Rapport introductif – Prologue à un essai d’évaluation
législative : bilan des 30 ans de
juillet 1973 », dans
loi
Vincent KANGULUMBA MBAMBI, dir.,
La loi du 20 juillet 1973 portant régime général des
biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés au Congo. Trente ans après : quel
bilan ? Essai d’évaluation
, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2004, 17, 19.
(foncière) du 20
la
Voir: Lukombe NGHENDA, Droit civil: Les biens, Kinshasa, Publication des Facultés de Droit du
Congo, 2003, p. 36.
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, supra note 1448, no 19, p. 32.
Voir, en ce sens, Antoine SOHIER, Traité élémentaire de Droit Coutumier du Congo Belge, 2e
éd., Bruxelles, Maison F. Larcier, 1954, p. 10-12, en particulier à la p. 12: « […] Il n’en résulte
pas que toute coutume, tout usage, soit obligatoire. Il faut entendre uniquement par coutume les
usages ayant, d’après la conception indigène, force juridique. […] ».
1452
Ibid., p. 12.

Page 629
603
congolais, ayant chacune sa propre coutume 1453. Ainsi, les écueils sont nombreux avant
de bien cerner et connaître une coutume. La recherche des coutumes passe par
l’observation des faits, l’étude de la jurisprudence, les sources orales, les sources écrites
mais, plus que tout, par la compréhension du sens des règles qu’elles fixent, leur
interprétation et leur enseignement. Dans tout ce processus, il faut se tourner vers les
notables mais, surtout, vers les juristes, juges, intermédiaires officiels, arbitres, avocats,
experts, gardiens des coutumes. Car même l’étude de la jurisprudence coutumière est
elliptique lorsqu’écrite : il faut parler au juge ayant rendu la décision pour en dégager les
principes 1454. Dans cette veine, l’importance sociale du droit coutumier ne s’est jamais
démentie.
Les juristes belges, à l’époque coloniale, avaient bien compris l’importance sociale de la
coutume. C’est ainsi qu’Antoine Sohier s’exprimait, en 1954, avec un style propre à cette
époque et dont les termes peuvent aujourd’hui paraître surannés :
32. Le noir et la justice. La coutume est le seul droit applicable aux noirs dans
beaucoup de matières. C’est aussi le seul que la plupart d’entre eux comprennent
et qui corresponde à leur mentalité.
De telles constatations suffiraient chez n’importe quel peuple pour montrer
l’importance que revêt sa bonne application. Mais il en est particulièrement ainsi
pour les nègres, dont l’âme éprouve un immense besoin de justice, et qui sont
extrêmement processifs. Il suffit, pour s’en rendre compte, de considérer avec
quel soin étaient organisées leurs institutions judiciaires, de regarder, chez un
administrateur, dans un parquet ou devant les tribunaux, les longues files de
plaideurs. Pendant de longues années, sans admettre aucune prescription, ils
poursuivent la revendication ou la réparation d’un dommage…subi par un de leurs
grands-parents ! On serait tenté de voir en ces palabreurs acharnés d’âpres
créanciers, de sombres Shylocks poussé par l’avarice ou la haine, si, par ailleurs,
tant de noirs ne se révélaient naturellement bienveillants, désintéressés, généreux.
Ce qu’il cherche, ce chicanaud, ce n’est pas le profit, c’est la justice. J’ai raconté,
dans un de mes volumes de récits congolais (
Tels qu’en eux-mêmes, p. 101)
1453
1454
L. NGHENDA, op. cit., supra note 1449, p. 36-40.
A. SOHIER, op. cit., supra note 1451, pp. 32-38.

Page 630
604
l’histoire de ces deux plaideurs parcourant plus de cent kilomètres, perdant
plusieurs semaines, à faire décider si l’un d’eux, qui devait une chèvre à l’autre,
lui en remettrait une petite ou une grande. Ils refusaient les jugements à la
Salomon, répétés, de plusieurs Européens, qui disaient « une chèvre moyenne »
parce que
couper la poire en deux, sans se préoccuper de la coutume, ne
satisfaisait pas leur conscience. Lorsque enfin la palabre fut tranchée d’après le
droit, le perdant paya sans rechigner une grosse chèvre à l’autre, et celui-ci l’invita
à la manger cordialement en signe de réconciliation !
Il est donc important de rendre une bonne justice au noir, car l’injustice le révolte.
Mais de plus, tout se tient dans une société. On l’ébranle en ne respectant pas son
droit, ou en l’appliquant à contresens. On ne peut assez dénoncer l’erreur de
certains administrateurs qui s’imaginent qu’en jugeant à leur façon, en rendant des
décisions inspirées par l’opportunité politique plutôt que par le droit, en utilisant
leurs fonctions judiciaires comme un instrument de prestige, ils faciliteront leur
mission administrative. En détruisant dans leur ressort l’esprit de collaboration et
en compromettant
les pires
déceptions.
1455
se préparent
l’organisation
indigène,
ils
[Notre soulignement]
On nous pardonnera la longueur de la citation, mais ce que l’auteur y affirme, malgré un
relent de colonialisme, semble bien traduire, encore aujourd’hui, les préoccupations des
juristes congolais que nous avons rencontrés ou dont nous avons eu le bénéfice de lire les
ouvrages. De cela, il faut retenir que la coutume serait parfois le seul droit qui
corresponde à la mentalité congolaise, allant même, comme nous le verrons, jusqu’à
l’ignorance de la loi écrite.
Les congolais que nous avons rencontrés nous ont pratiquement tous parlé de la
« solidarité africaine ». C’est d’ailleurs une expression qui revient dans plusieurs de
leurs textes. Cette idée de « solidarité africaine » réfère à l’essence même de cette
société. En effet, le principe que voici se pose très bien en postulat :
20. Le régime dit clanique. Le principal facteur d’unité de la société congolaise,
c’est que tous ses peuples étaient socialement et juridiquement composé de même.
1455
Ibid., p. 36-37.

Page 631
605
La cellule familiale est la parentèle, ou grande famille patriarcale. La plupart des
règles du droit découlent de cette vie en société familiale large.
1456
Ce postulat, c’est l’esprit communautaire, l’esprit de groupe, le collectivisme, par
opposition à l’individualisme. Comme le confirme à nouveau Lukombe Nghenda, « [e]n
Afrique, répétons-nous, l’individu n’existe qu’en tant que membre d’un groupe bien
déterminé » 1457. C’est ce que précise également Vincent Kangulumba Mbambi :
Au contraire de l’Europe, écrit Magnant, s’agissant des droits réels ou droits
personnels, « l’Afrique ancienne ignore l’individu autonome qui aurait des droits
absolus et opposables à tout tiers sur une chose : l’individu n’a que l’accès aux
choses et cet accès lui est ouvert ou non, selon son statut, par le groupe dont il est
membre ». 1458
Cette philosophie collectiviste est commune aux divers groupes qui composent la société
congolaise ainsi qu’à leurs coutumes 1459. Traditionnellement, l’autre trait commun des
diverses ethnies qui se partagent maintenant le territoire congolais est leur grande
mobilité 1460, facteur d’influence de
la conception congolaise du sol, de son
aménagement, et des droits qui y sont reliés : personne n’en est vraiment propriétaire, au
sens où la tradition occidentale l’entend, car alors la terre appartient à tous, c’est la
« terre des ancêtres », qui relie les vivants et les morts 1461. Comme nous le verrons dans
notre étude subséquente de la législation congolaise en matière d’urbanisme et en matière
foncière, cela présentera une grande incidence sur l’effectivité et la mise en œuvre de tels
textes législatifs.
1456
1457
1458
1459
1460
1461
Ibid., p. 28.
L. NGHENDA, op. cit., supra note 1449, p. 53.
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, supra note 1448, no 589, p. 304.
A. SOHIER, op. cit., supra note 1451, p. 29.
Ibid., p. 13.
Ce qui ne revient pas à dire que le droit coutumier congolais ne connaît pas le concept de
propriété. Il s’articule cependant différemment et nous l’exposerons davantage plus loin.

Page 632
606
Ainsi, au-delà de cette grande variété de coutumes, qui font de chaque groupe un groupe
distinct, tant au plan de l’organisation politique que familiale 1462, se dégagent ces
grandes lignes de force que nous venons d’énoncer brièvement. Mais ces lignes de forces
n’empêchent pas l’existence d’un pluralisme juridique où chacun revendique son droit
avec ses particularités, rendant de ce fait plus difficile l’application d’une législation
unitaire et uniforme.
Dès l’État Indépendant du Congo et, par la suite, sous le Congo belge, le législateur
colonial s’est astreint à une politique permettant le « pluralisme juridique », c’est-à-dire
que le droit écrit était réservé aux européens et aux congolais dits « évolués », d’une part,
et la coutume continuait de s’appliquer aux congolais dits « indigènes », d’autre part.
Puisque « la coutume » est elle-même plurielle, pour Antoine Sohier cela expliquerait
pourquoi, semble-t-il, « les noirs ont admis si aisément notre dualité de statuts et que la
coutume se soit pliée à la différenciation de la société résultant de nos innovations,
notamment du christianisme » 1463. Ainsi, dès l’ordonnance de l’administrateur général
du 14 mai 1886, les différends opposant deux indigènes continuent d’être jugés
conformément à la coutume locale; les tribunaux « européens », quant à eux, jugent selon
cette coutume seulement en cas de silence de la loi 1464.
1462
A. SOHIER, op. cit., supra note 1451, p. 13-14 : « La population congolaise est donc formée
d’éléments d’origines très diverses. Au cours des migrations, leurs droits, différents initialement,
se sont encore modifiés pour résoudre les problèmes que posait chaque milieu, chaque voisinage,
chaque mode de vie nouveau. Aussi les coutumes sont-elles très diverses.
[…] Ainsi au point de
vue politique on aperçoit les constitutions les plus variées, communisme, république, féodalité,
monarchie. Au point de vue familial, on observe deux régimes opposés, le patrilinéal et le
matrilinéal, ce dernier encore divisé en systèmes matrilocal et patrilocal
».
1463
1464
Ibid., p. 17.
Ibid., p. 18-19.

Page 633
607
Le régime colonial alla cependant plus loin. La Charte de 1908, du Congo belge, adopta
cette pluralité du droit mais institua une procédure d’affranchissement pour tout indigène
dite de l’« immatriculation » 1465, laquelle était « certifiée par une carte attestant
l’assimilation par le Congolais des manières et du comportement des civilisés
(européens) » 1466. Lukombe Nghenda précise :
Les textes antérieurs [au décret du 10 février 1953] opéraient une distinction entre
deux ou trois catégories de natifs : 1
o les congolais immatriculés jouissant
pleinement de tous les droits du code civil et assimilés aux non-indigènes; 2
o les
congolais titulaires de la carte du mérite civique qui étaient supposés avoir atteint
un certain degré de civilisation; 3
o les congolais dits « indigènes » régis par le droit
coutumier ou le droit traditionnel.
1467
Puis, en 1953, le législateur colonial belge se ravisa en « accordant à tout natif
[congolais], quel que soit son statut personnel, la capacité de jouir de tous les droits
immobiliers organisés par la législation écrite et le place en même temps sur le même
pied que le non-indigène » 1468. Ce revirement s’expliqua par un désir du colonisateur de
favoriser la propriété privée individuelle chez les nationaux, qui n’était jusqu’alors
permise qu’aux européens et aux immatriculés 1469.
On distinguait alors
les agglomérations urbaines (villes européennes) et
les
agglomérations africaines (cités africaines), qui étaient séparées par des « zones
tampons » (i.e. des parcs, des terrains vacants). Dans les unes, on pouvait occuper un
1465
1466
1467
1468
1469
Ibid., p. 20 : « [La Charte de 1908] a considéré que le droit devait être adapté aux diverses
populations qu’il doit régir, à leur développement, à leurs croyances. Avec raison, car un tel
système les protège mieux qu’une uniformité mécanique : on ne ferait pas régner l’égalité dans un
hôpital en administrant à tous les malades le même remède
».
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, supra note 1448, no 698, p. 364, note 6.
L. NGHENDA, op. cit., supra note 1449, p. 44.
Ibid., p. 44.
Sur l’abrogation de cette notion et de ces distinctions entre les individus après l’ère coloniale, en
raison de l’apparition du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, voir :
L. NGHENDA,
op. cit., supra note 1449, p. 63.

Page 634
608
terrain et en devenir propriétaire en vertu du livre II du Code civil; dans les autres,
centres extra coutumiers, les terrains lotis étaient attribués par l’administration. « Ces
terrains faisaient partie du domaine privé de la Colonie ou appartenant aux pouvoirs
concédants. Et de ce fait, il y avait juridiquement deux titulaires : la Colonie et/ou les
pouvoirs concédants et l’indigène propriétaire. La propriété était constatée par un simple
titre d’occupation » 1470.
Par ces décrets des 10 février et 23 février 1953, aux termes desquels les pouvoirs
coloniaux permettaient, à certaines conditions, à tous les congolais, sans distinction, de
devenir propriétaires et de se voir attribuer des terres, on voulait changer la situation
antérieure et, notamment, assurer l’avenir économique et social du Congo.
Curieusement, cependant, ces mesures ne se sont pas traduites par des résultats concrets.
D’une part, l’application de cette législation dans les centres extra-coutumiers et dans les
cités indigènes souffrit de l’absence de plan d’urbanisme, de cadastre, de mesurage des
terres et de gestion des opérations foncières. D’autre part, et c’est là le détail le plus
intéressant :
[…] alors que les problèmes techniques trouvaient au fur et à mesure leur solution,
l’administration coloniale devait affronter un obstacle tout à fait inattendu, à savoir
que les natifs que l’on s’imaginait avides d’acquérir la propriété du sol, ne
montrèrent aucun empressement à introduire des demandes à cette fin. L’énorme
effort matériel accompli allait dès lors aboutir à un résultat dérisoire. Ainsi, à la
fin du mois de novembre 1956, 159 demandes régulières avaient été introduites, et
19 ventes de parcelles avaient été consenties.
Si l’on s’interroge aujourd’hui sur les causes de cette abstention, il semble que
l’on doive retenir cette répugnance des natifs à acquérir des maisons construite par
l’Office des Cités africaines selon le bon goût de ses administrants : alors que tout
congolais et sur ce point les plaintes ont été nombreuses, préférait en général bâtir
1470
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, op. cit., supra note 1448, no 698, p. 364.

Page 635
609
lui-même et, le cas échéant, avec les moyens financiers qu’allait lui fournir le
fonds d’avances. […]
1471
[Notre soulignement]
Par ailleurs, en ce qui a trait à l’application de ces décrets en milieu rural, le législateur
colonial n’a pas récolté plus de succès dans sa démarche. D’une part, pour certaines
demandes faites, on trouva la superficie visée trop grande; d’autre part, les populations
locales voulaient tout simplement que l’on procède à l’enregistrement de leurs droits
coutumiers ancestraux sur les terres. Aucune procédure à ce chapitre n’existait à
l’époque pour accommoder une telle demande et il en est toujours de même aujourd’hui.
De plus, la procédure de domanialisation des terres, qui suppose une enquête quant à la
vacance des terres avant que l’on ne puisse les attribuer, n’était pas fonctionnelle et ne
l’est toujours pas aujourd’hui 1472.
Ainsi, bien qu’une évolution de la coutume orale vers le droit légiféré écrit ait été tentée,
à diverses reprises depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours, force nous est de
constater que la législation moderne confère toujours aux anciennes terres indigènes
l’application du droit coutumier traditionnel 1473. De plus, par le truchement de plusieurs
textes législatifs, la coutume est toujours une source importante de droit en RDC. La
Constitution de 2006 la reconnaît, ainsi que plusieurs textes de lois, actuels et anciens.
L’État congolais vit toujours et encore une situation de pluralisme juridique, que l’on a
1471
1472
L. NGHENDA, op. cit., supra note 1449, p. 45.
Ibid., p. 46-47. Voir aussi, concernant la procédure de domanialisation et des terres et son histoire
de l’État Indépendant du Congo à nos jours, G. KALAMBAY LUMPUNGU,
Droit civil : Régime
foncier et immobilier, vol. 2, Limete-Kinshasa, Presses Universitaires du Zaïre, 1985, p. 15-52.
1473
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, supra note 1448, nos 707-718, p. 368-377.

Page 636
610
également qualifié de « dualisme » 1474
juridique : elle commande
la nécessité
d’interpréter, d’enseigner et d’instrumentaliser « la coutume », car il faut « […] maîtriser
ces notions de droit coutumier afin de les rendre intelligibles et compatibles aux
prescriptions du droit écrit » 1475, « enseigner sans reproduire,
innover sans
détruire » 1476; de même, « […] l’intervention des juristes dans l’appréhension du
phénomène juridique africain, s’avère indispensable » 1477.
C’est ainsi que les professeurs de la Faculté de droit de l’Université de Kinshasa ont
présenté au gouvernement congolais, en 1999-2000,
le nouveau programme
d’enseignement comportant le droit coutumier congolais et africain comme nouvelles
matières 1478. Or, s’il faut en croire d’autres sources plus récentes, le droit coutumier ne
faisait toujours pas l’objet d’un enseignement en 2003, et cela s’avère une lacune,
1474
1475
1476
1477
1478
Pour une synthèse des mouvements de codification africains et de l’importance de la coutume en
droit africain, voir : Vincent KANGULUMBA MBAMBI, « Les droits originellement africains
dans les récents mouvements de codification : le cas des pays d’Afrique francophone
subsaharienne », (2005) 46
Les Cahiers de Droit 315. Pour V. Kangulumba Mbambi, ce dualisme
est un euphémisme et traduit davantage une superposition, sinon une subjugation, du droit
occidental européen (écrit) sur le droit coutumier (oral). Or, les sociétés africaines sont encore
régies à ce jour par la coutume. Ce qui explique que le droit écrit n’arrive pas à s’imposer en RDC
parce que non légitimé par la société d’accueil. Codifier, oui, mais éviter les relents colonialistes,
et tenir compte de la société d’accueil lors d’une telle codification.
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, supra note 1448, no 3, p. 22.
reprenant
le mot de Jacques Vanderlinden.
Ibid., no 625, p. 327,
Voir aussi :
Vincent KANGULUMBA MBAMBI, « Rapport final –XII. La loi foncière du 20 juillet 1973
après 30 ans d’existence : évaluation globale et propositions de
réforme », dans
Vincent KANGULUMBA MBAMBI, dir.,
La loi du 20 juillet 1973 portant régime général des
biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés au Congo. Trente ans après : quel
bilan ? Essai d’évaluation
, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2004, 17, p. 218-219.
L. NGHENDA, op. cit., supra note 1449, p. 34.
Ibid., p. 34.

Page 637
611
soutient-on, car le juriste congolais doit être en mesure d’œuvrer dans tout le pays, tant à
la ville qu’à la campagne, et de connaître le droit du lieu où il se trouve 1479.
En somme, tel que nous en prévint Lukombe Nghenda lorsque nous l’avons rencontré,
aucune réforme du droit, dans quelque domaine que ce soit mais particulièrement dans
ceux de l’urbanisme, de l’habitat et du foncier ne connaîtra le succès si l’on ne tient pas
compte de la coutume. Il faut que la législation s’en pénètre pour que les congolais
s’approprient le droit, qui apporta, en ces matières et plus souvent qu’à son tour,
l’« épée » plutôt que la paix.
On sent donc le désir d’une appropriation du droit par la coutume mais aussi d’une
évolution salutaire de celle-ci. En effet, source d’unité, elle peut être considérée source
d’immobilisme entravant le développement de la société congolaise, voire même source
de conflits. Ce n’est pas sans lien avec cette problématique que l’on peut lire, au
troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 2006, la déclaration suivante :
Considérant que l’injustice avec ses corollaires, l’impunité, le népotisme, le
régionalisme, le tribalisme, le clanisme et le clientélisme, par leur multiples
vicissitudes, sont à l’origine de l’inversion générale des valeurs et de la ruine du
pays;
« Régionalisme », « tribalisme », « clanisme » et « clientélisme » sont des termes qui
réfèrent tous à la coutume et à ce pluralisme juridique qui la caractérise, au-delà de
l’unité de certains principes comme
la « solidarité africaine » et
la pensée
communautaire. Malheureusement, les particularismes qui en découlent participent, eux
1479
Voir : Noël KILOMBA NGOZI MALA, « IX. Le règlement des conflits fonciers régis par la
coutume en droit congolais », dans Vincent KANGULUMBA MBAMBI, dir., La Loi du 20 juillet
1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés au
Congo. Trente ans après : quel bilan ? Essai d’évaluation, Louvain-la-Neuve, Academia
Bruylant, 2004, 183, p. 183, 194-195.

Page 638
612
aussi, des déchirements congolais, et ce, depuis fort longtemps. C’est « l’inversion
générale des valeurs et la ruine du pays », le miroir sombre de cette « solidarité
africaine », pourrions-nous ajouter. Le belge Antoine Sohier évoqua la « barbarie » de
certaines mœurs découlant de la coutume, que les colonisateurs avaient tôt fait de
sanctionner, la plupart du temps par la force; c’est non sans nostalgie d’un Congo belge
mieux organisé que l’actuelle RDC que Lukombe Nghenda nous confia que cela avait
justement favorisé le développement du Congo belge et d’une société relativement
pacifiée. Cependant, Lukombe Nghenda ne retournerait pas à cette violence coercitive,
mais souhaite plutôt que l’appropriation du droit par l’enseignement de la coutume, son
interprétation et son évolution aient cette fonction pacificatrice, organisatrice et
rassembleuse pour ses compatriotes.
Voilà donc le contexte dont il faut tenir compte lorsque l’on appréhende l’étude du droit
congolais. Ce dualisme et cette pluralité juridique reposent sur un dialogue entre le
législateur et le peuple congolais, et c’est à travers ces méandres que la législation
congolaise doit naviguer.
1.1.2
le droit légiféré écrit
Il convient de souligner que ce pluralisme juridique se traduit en RDC jusque dans
l’organisation même de sa législation écrite. En effet, l’on n’y trouve pas de codification
organisatrice à prétentions universelles du droit privé, à
l’instar de
l’œuvre
d’harmonisation du droit français que fut le Code civil de 1804 en France pour tout ce
pays. Vincent Kangulumba Mbambi résume ainsi la situation :
Notons que dans les droits belge et français, il existe un seul code civil
(comprenant les personnes, les biens et les obligations). En droit congolais, les
Page 639
613
différents livres du code civil ont été introduits de façon très différée et pour
cause ? Lors de la fondation de l’[État Indépendant du Congo], le Roi s’est
montré plus intéressé au droit foncier. Le premier texte qui a été pris concerne
cette matière (D. 8 septembre 1886). Le code des obligations en 1888. Le code
des personnes n’était pas appliqué aux indigènes car réservé aux seul Belges
(européens) et assimilés
1480.
Les auteurs congolais réfèrent certes au « code civil » et utilisent cette expression pour
parler des différentes matières qui relèvent habituellement d’un code civil. Mais ce code
civil n’existe pas, à proprement parler, et il faudra se demander, en fin d’analyse, si un tel
exercice de codification organisatrice pourrait faire partie des solutions à envisager pour
harmoniser et unifier les coutumes et le droit écrit et, partant, harmoniser la société
congolaise tant au point de vue social qu’économique, en plus de rendre le droit
congolais accessible, qu’il soit d’origine coutumière ou écrite, et ce, à partir des valeurs
congolaises mêmes 1481.
Cela étant, la République Démocratique du Congo connaît la codification palliative.
L’on procéda ainsi à diverses compilations de lois au cours de l’histoire du Congo, la
dernière en date étant celle effectuée en 2003, connue sous le titre Codes Larcier de la
République démocratique du Congo 1482. Cette compilation de lois est décrite comme
suit par son éditeur :
1480
1481
1482
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, op. cit., supra note 1448, no 850, p. 448, note 24.
V. KANGULUMBA MBAMBI, loc. cit., supra note 1474, en particulier à la p. 338 : « Il importe,
dans une entreprise de codification, de tenir compte de tous les paramètres du milieu : culture,
langue et besoins sociaux. Codifier doit signifier une certaine cohérence systémique des normes
d’un ordre juridique déterminé, et entre celles-ci et les réalités et les nécessités sociales. Cela
permettrait d’éviter ainsi de faire « œuvre vaine et inutile ». Tel est et tel sera, probablement, le
défi de la codification de demain pour l’Afrique
».
Luhonge KABINDA NGOY et al., dir., Codes Larcier de la République démocratique du Congo,
Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2002-2003, publiés en six tomes comprenant huit volumes [les
«
Codes Larcier »]. Tous les textes de lois que nous citerons à partir de maintenant proviennent
de cette source, pour la RDC, à l’exception des textes postérieurs à 2003, que nous avons obtenus
de divers sites Web.

Page 640
614
Plus de trente ans après la parution de la dernière mise à jour des « Codes Piron »,
Larcier édite, en collaboration avec Afrique Éditions,
LES CODES LARCIER de la
République démocratique du Congo
.
Ils contiennent une sélection des principaux textes légaux en vigueur en
République démocratique du Congo mis à jour au 1er janvier 2002. Ces codes
sont le fruit d'un important travail de recherche, les textes étant issus de diverses
sources.
Afin de faciliter la consultation des codes, la législation est classée selon les
branches du droit : droit civil et judiciaire, droit pénal, droit commercial et
économique, droit du travail et de la sécurité sociale, droit fiscal et droit public et
administratif. Cette répartition des matières a été guidée par la logique juridique
et permet au lecteur de trouver rapidement le texte recherché.
Les CODES LARCIER de la République démocratique du Congo se présentent en
6 tomes (8 volumes).
Un volume distinct contenant la table chronologique est publié. Celle-ci permet
une recherche et une consultation encore plus aisées.
1483
Il y avait donc plus de trente ans qu’une telle compilation n’avait pas été réalisée.
Publiée sous la direction juridique d’un comité scientifique composé de juristes
congolais, cette édition des Codes Larcier veut présenter un panorama le plus complet
possible du droit congolais en vigueur en 2002 ou 2003, selon l’année d’édition du
volume consulté. Il faut mentionner que cette compilation est un calque d’une
compilation similaire des lois belges réalisée par le même éditeur pour la Belgique 1484.
Dans l’édition congolaise de cet ouvrage, l’on nous prévient en avant-propos que, en
trente ans d’absence de « codification »,
[a]u regard de ce contexte particulier, il est possible que l’un ou l’autre texte n’ait
pu être recensé, collecté ou correctement référencé au sein des Codes. Ainsi
l’éditeur accueillera avec intérêt toute information permettant d’améliorer cette
œuvre de codification.
1485
1483
1484
1485
la page Web des Éditions Larcier consacrée à cette collection, en
Voir
http://editions.larcier.com/collections/codescongo/ (consulté le 28 mars 2009).
ligne :
Voir la page Web des Éditions Larcier consacrée à cette collection de droit belge, en ligne :
http://editions.larcier.com/collections/codeslarcier/ (consulté le 28 mars 2009).
Voir : Luhonge KABINDA NGOY et al., dir., Codes Larcier de la République démocratique du
Congo, t. VI, v. 2, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2003, p. V. À noter que ce même commentaire
figure en avant-propos de chaque volume de ces Codes Larcier.

Page 641
615
La compilation se veut la plus exhaustive possible mais ne l’est pas nécessairement.
Dans cet ordre d’idées, les notes liminaires à chacun des volumes, identiques,
préviennent le lecteur de la période couverte par la recension : elle s’étend sur plus d’un
siècle d’histoire du Congo, depuis l’État Indépendant du Congo (1885) jusqu’à 2002 ou
2003, comprenant le texte de la Constitution de Transition de 2003. Depuis, les Codes
Larcier n’ont fait l’objet d’aucune mise à jour. La législation congolaise subséquente,
parfois abondante, doit être obtenue par d’autres sources, mais ne fait l’objet d’aucune
compilation ou diffusion systématique ou facilement accessible. Il s’avère donc difficile
de connaître avec exactitude l’état du droit congolais sur une question précise.
Cette entreprise est d’autant plus périlleuse que les textes recensés par les Codes Larcier
proviennent, ainsi que nous l’avons mentionné, de diverses périodes de l’histoire du
Congo. Certains textes anciens, remontant à l’État Indépendant du Congo ou au Congo
Belge, seraient toujours en vigueur. Des problèmes d’entendement et de compréhension
en résultent : la terminologie utilisée fait référence à des institutions ou à des concepts
aujourd’hui périmés en raison des nombreuses mutations politiques, administratives et
juridiques de la société congolaise depuis lors. Ainsi, « […] certaines appellations ne
trouvent pas de correspondance dans l’ordre juridique en vigueur. […] Il revient au
législateur de procéder à la mise à jour des textes en les adaptant à la réalité socio-
juridique du moment » 1486.
1486
Ibid., p. VIII. À noter que ce même commentaire figure dans les notes liminaires de chaque
volume de ces Codes Larcier.

Page 642
616
À ces problèmes terminologiques s’ajoutent des problèmes de confusion et de
contradiction des textes juridiques qui peuvent régir un même domaine. La cohérence
intrinsèque de la législation congolaise ferait donc souvent défaut.
Enfin, pour compléter ce tableau, les textes recensés n’ont parfois fait l’objet d’aucune
publication à un journal officiel gouvernemental, quand ils ne sont pas, en d’autres
circonstances, carrément incomplets. L’éditeur retrace pour nous les différentes sources
de publications officielles des lois congolaises à travers le temps, mais cette publication
officielle s’est faite par intermittence et les textes ne sont pas systématiquement
disponibles ou même conservés 1487. Depuis 1997, les textes législatifs sont publiés dans
le Journal de la République démocratique du Congo 1488. Cependant, l’éditeur des Codes
Larcier y ajoute le bémol suivant :
D’autre part, depuis quelques temps, pour des raisons d’ordre économique et
conjoncturel particulières, le
Journal officiel n’a pas pu paraître de manière
régulière. L’éditeur a néanmoins rassemblé les textes légaux en vigueur en ce
compris ceux qui n’ont pas connus une publication officielle. Sans vouloir
préjuger de la valeur de ces textes, et surtout dans le souci de rendre possible toute
vérification, il a décidé de les publier
in extenso, tout en prenant soin d’en indiquer
la source exacte.
1489
C’est donc dire l’incomplétude et l’incertitude qui en résulte. Ainsi, le droit légiféré
congolais écrit est-il difficile d’accès, mais en plus, il n’est pas complet, il se contredit et
la terminologie n’est pas toujours adaptée à la situation actuelle. Au surplus, les Codes
Larcier ne sont même pas rendus disponibles aux juges et la loi ne leur est pas transmise
1487
1488
1489
Ibid., p. VII-VIII (Notes liminaires). À noter que ce même commentaire figure dans les notes
liminaires de chaque volume de ces Codes Larcier.
Voir également : Constitution de 2006, supra note 1438, art. 141, qui confirme de nouveau cette
exigence.
Luhonge KABINDA NGOY et al., op. cit., supra note 1482, p. VII (Notes liminaires). À noter
que ce même commentaire figure dans les notes liminaires de chaque volume de ces Codes
Larcier.

Page 643
617
au fur et à mesure de son adoption par le législateur 1490. Les universitaires, les praticiens
du droit et les membres de l’administration gouvernementale ne sont pas en reste, car ils
vivent tous cette même situation.
En somme, le droit congolais, tant coutumier que légiféré, est pluriel, difficile d’accès et
contradictoire. C’est dans ce contexte que la législation pertinente en matière
d’urbanisme et d’habitat doit maintenant être abordée.
1.2
législation pertinente en matière d’urbanisme et
la
d’habitat, son interprétation et sa mise en œuvre
Nous étudierons dans un premier temps les lois relatives à l’urbanisme et à l’habitat
[1.2.1], et dans un deuxième temps celles relatives au droit des biens, au régime foncier
immobilier et au régime des sûretés [1.2.2]. Nous terminerons cette section en évoquant
les difficultés liées à l’interprétation de ce droit et à sa mise en œuvre [1.2.3].
1.2.1
les lois relatives à l’urbanisme et à l’habitat
L’absence d’une politique cohérente en matière d’habitat et de résorption de l’habitat
précaire et la désorganisation de l’appareil administratif font partie des causes principales
de la crise aigüe du logement dans les villes congolaises. Cette absence de politique en
matière d’habitation a eu pour conséquence d’étaler de façon démesurée la ville avec le
développement rapide des quartiers spontanés qui vivent dans
les conditions
environnementales précaires 1491. Les congolais construisent des habitations sans
respecter les normes urbanistiques et sans avoir obtenu d’autorisation au préalable. Selon
les personnes ressources rencontrées, sur cent maisons, seulement cinq ou six auront
1490
1491
A. LEDUC, Étude du cadre légal et réglementaire, supra note 1432 Annexe 2, p. 11 et suiv.
F.L. NZUZI, Kinshasa – Ville et Environnement, L’Harmattant, 2008, p. 244.

Page 644
618
obtenu une autorisation de bâtir au préalable. Seules les grandes entreprises obtiennent les
autorisations nécessaires.
La législation en la matière date d’avant l’indépendance de 1960 1492. Les problèmes de
concordance que nous évoquions plus tôt n’en ressortent que davantage. La majorité des
textes légaux applicables sont très anciens et ne reflètent pas la situation actuelle en RDC.
Depuis leur adoption, l’urbanisation sans contrôle a énormément augmenté. Cette
croissance anarchique, sur des sites non adaptés et sans conformité aux outils
d’aménagement en matière d’urbanisme, à crée une expansion désordonnée qui a eu pour
conséquence d’augmenter le déboisement, l’érosion du sol et les inondations. Selon la
documentation consultée, il semble que très peu de plans d’urbanisme aient été réalisés et
ceux qui l’ont été, datent d’il y a très longtemps 1493.
Le lotissement « est la répartition en lots ou en parcelles d’un espace foncier. C’est la
division d’un terrain destiné à l’habitation en des parcelles qui seront par la suite
numérotées et fixées dans une carte à échelle d’une cité, d’une ville, d’un territoire » 1494.
On pourrait ajouter qu’habituellement, ce lotissement se fait en fonction des plans
d’aménagements du territoire. Le Décret sur l’urbanisme, le Décret du 20 juin 1969 et
Ordonnance no 98 du 13 mai 1963 portant mesurage et bornage des terres traitent de ces
questions. D’après nos entretiens, cette procédure devrait relever du Ministère de
1492
1493
Voir le Décret sur l’urbanisme au Congo Belge daté du 20 juin 1957, qui réfère aux institutions
coloniales de l’époque, qui n’ont plus d’équivalent aujourd’hui et l’organisation du pays n’est plus
la même.
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO, MINISTÈRE DE L’URBANISME ET HABITAT, Condensé du
Plan d’action national pour l’habitat, p. 4; RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO, MINISTÈRE
DE L
’URBANISME ET HABITAT, Programme d’investissement prioritaire P.I.P., Dossier :
renforcement institutionnel, Janvier 2009.
1494
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis op. cit., supra note 1448, nos 818-821, p. 428-429.

Page 645
619
l’Urbanisme et Habitat. Cependant, ce ministère n’est habituellement pas en mesure de
s’en acquitter, et c’est le Ministère des Affaires foncières qui prend le relais, sans plan de
lotissement précis. C’est ce même Ministère des Affaires Foncières qui est responsable
de l’établissement du cadastre foncier qui existe depuis l’État Indépendant du Congo,
ayant une mission de sécurisation foncière. En principe, il procède au bornage et au
mesurage des parcelles de terres, les situe sur le plan cadastral de l’ensemble des terres,
tient à jour l’information cadastrale sur les fiches, registres et plans, afin d’avoir une
situation nette de l’occupation effective du sol et une assiette de l’impôt foncier. En plus,
il veille au maintient d’un registre foncier. En réalité, le cadastre foncier fonctionne mal,
n’est pas informatisé et n’est pas doté des outils modernes pour l’accomplissement de ses
fonctions. Il n’est pas complet ni à jour, et ses agents ne sont pas payés ni formés
adéquatement.
Enfin, pour les services administratifs et techniques, dans chaque circonscription
foncière, on retrouve deux divisions : les titres immobiliers et le cadastre. Le bureau du
domaine gère les demandes de terres, de travaux ou de location. Le bureau
d’enregistrement et notarial s’occupe de la complétion des contrats et de leur publication.
Enfin, le bureau du contentieux est chargé de la gestion des litiges en matière foncière.
C’est le conservateur des titres immobiliers qui gère l’ensemble de ces services 1495, ce
qui nous amène à traiter des lois relatives au droit des biens, au régime foncier et
immobilier et au régime des sûretés.
1495
Ibid., nos 822-834, p. 430-437.


Page 646
620
1.2.2
les lois relatives au droit des biens, au régime
foncier et immobilier et au régime des sûretés
Les lois relatives au droit des biens, mais surtout au régime foncier et immobilier sont
considérées parmi les plus importantes de la République démocratique du Congo. Il en
serait ainsi depuis l’État Indépendant du Congo.
Plusieurs dispositions de la Constitution de 2006 s’intéressent au droit des biens, au
régime de propriété et à l’accès au logement. L’article 34 édicte :
La propriété privée est sacrée.
L’État garantit le droit à la propriété individuelle ou collective, acquis
conformément à la loi ou à la coutume.
Il encourage et veille à la sécurité des investissements privés, nationaux et
étrangers.
Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et
moyennant une juste et préalable indemnité octroyée dans les conditions fixées par
la loi.
Nul ne peut être saisi en ses biens qu’en vertu d’une décision prise par une autorité
judiciaire compétente.
[Notre soulignement]
Ainsi, la propriété « privée » est sacrée. Elle peut cependant tout autant être individuelle
ou collective (ce qui semble contraire à l’idée privative), acquise en vertu de la loi ou de
la coutume. On voit ici toute la dichotomie qui existe entre deux types de propriétés en
principe fondamentalement opposés, ainsi qu’entre des sources de droits qui le sont a
priori tout autant. De plus, le principe voulant qu’il n’y ait pas d’expropriation possible
sans compensation est consacré, mais la constitution laisse le soin à la loi d’en établir les
conditions.
Il existerait un éternel débat, en RDC, entre la conception individualiste et privative du
droit de propriété, telle qu’entendue dans la tradition occidentale depuis le droit romain,
Page 647
621
et la conception collectiviste coutumière. Auparavant, en vertu du droit coutumier, la
terre est plutôt perçue comme n’appartenant à personne mais à tout le monde, elle est le
lien organique qui relie les vivants et les morts, tout vient d’elle et retourne à elle, cette
terre nourricière, et les gens qui en occupent certaines parties ne le font qu’à titre
d’usufruitiers, conformément à la coutume et en payant les redevances coutumières au
chef de coutume, gardien des terres, qui les attribuent. Les groupes, communautés
claniques ou tribales, exercent la propriété collective ou tribale sur la terre, alors que des
droits sociaux d’occupation ou de culture sont conférés à des familles ou individus sur
une parcelle de terre par la communauté, à charge de l’occuper et de la faire fructifier 1496.
Dans cette veine, la terre n’est jamais res nullius, terra nullia (i.e. un bien sans maître,
une terre vacante, libre) : les groupes se déplacent au gré des saisons et des besoins
vitaux, mais cela demeure toujours la propriété des ancêtres, au pouvoir sacré 1497.
De l’État Indépendant du Congo en passant par le Congo Belge jusqu’à 1973,
l’opposition entre les deux types de propriété a pris plusieurs formes. Les deux régimes
ont été établis par le législateur colonial, celui de propriété individuelle étant réservé aux
européens et aux congolais dits « évolués », le régime collectif coutumier demeurant en
vigueur pour le reste de la population congolaise 1498, hormis l’élargissement de
l’accession à la propriété foncière individuelle à tous les congolais sans distinction,
promulguée par les décrets de 1953 et qui sont restés largement ignorés par la population
destinataire.
1496
1497
A. SOHIER, op. cit., supra note 1451, p. 65-74.
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, supra note 1448, no 582, p. 300. Cette idée de terra
nullia aurait présidée au dépeçage de l’Afrique…
1498
Ibid., no 851, p. 449.

Page 648
622
Il y eut, en 1966, l’adoption par l’État indépendant de l’ordonnance-loi no 66 du 7 juin
1966, appelée « loi Bakajika » du nom du député qui en a pris l’initiative. Cette loi opéra
une révolution de l’ordre établi, car elle « assura à la république Démocratique du Congo
la plénitude de ses droits de propriété sur son domaine et la pleine souveraineté dans la
concession des droits fonciers, forestiers et miniers sur toute l’étendue de son territoire ».
Conférant un droit de reprise à l’État congolais de tous les droits consentis en la matière
avant que celui-ci ne les redistribuent, la loi n’avait pas pour but de procéder à une
réforme du droit des biens au Congo, soutient-on, mais plutôt « la libération, la
soustraction du pays aux influences étrangères » 1499. Geste concret, s’il en est un,
suivant l’indépendance du pays et visant à donner au nouvel État la pleine maîtrise de son
territoire et de ses ressources, à l’exclusion des puissances étrangères.
Mais le débat entourant la question de l’accès des congolais à la propriété individuelle
n’est pas encore terminé 1500. Il est plus que jamais d’actualité. Il s’agit de voir comment
l’État congolais pourrait conjuguer les impératifs du développement économique et social
dont le pays a si cruellement besoin, ce que la propriété privée individuelle encouragerait,
tout en préservant les traditions communautaires africaines. Durant la période coloniale,
la majorité des commentateurs étaient en faveur de l’élargissement de la propriété
individuelle, et ce, pour plusieurs raisons : la propriété individuelle stimule le travail; elle
constitue une barrière à l’arbitraire des chefs traditionnels; elle valorise les terres, en étant
à la fois source du capital et du crédit. D’autres arguments favorables s’ajoutèrent, suite à
1499
1500
L. NGHENDA, op. cit., supra note 1449, p. 26 [référence omise].
Pour une discussion approfondie des thèmes entourant ce débat, voir : L. NGHENDA, op. cit.,
supra note 1449, p. 41-62.

Page 649
l’indépendance de 1960. On soutint que le système foncier coutumier, clanique, n’est pas
adapté à une économie moderne :
623
tradition plus souvent préjudiciable qu’utile.
Souhaitée pour cause d’impératif du développement, l’individualisation foncière
est considérée encore comme susceptible de permettre de lutter efficacement
contre les chefs détenteurs de terres et surtout d’un pouvoir jugé archaïque au
regard des nouveaux critères de la société qu’ils prétendent toujours régir selon
une
De plus, soutint-on,
l’appropriation foncière individuelle est de nature à estomper les rivalités
ethniques en donnant aux individus une possibilité de se différencier vis-à-vis du
groupe. La propriété foncière collective aurait pour défaut notamment celui
d’entretenir un sentiment d’exclusivité territoriale contraire à l’unité qu’elle
fragmente dangereusement.
Pareils arguments étaient et sont pertinents et méritent de soulever une discussion
qui soit que les juristes congolais, africains et africanistes sont comme conviés
pour multiplier l’effort pour plutôt découvrir des solutions foncières équitables.
[…]
1501
Pour tenter de changer cet état de fait, le législateur congolais procéda à une réforme
d’importance en 1973, dont le point d’origine est la promulgation de la Loi du 20 juillet
1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des
sûretés au Congo 1502.
Cette loi, dite « révolutionnaire », édicte à son article 53 que « [l]e sol est la propriété
exclusive, inaliénable et imprescriptible de l’État ». Le patrimoine foncier de l’État
comprend un domaine public et un domaine privé 1503; le domaine public est constitué
1501
1502
Ibid., p. 52.
L. 73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et
régime des sûretés
(J.O.Z., no 3, 1er février 1974, p. 69), telle que modifiée par la loi du 18 juillet
1980 (J.O.Z., n
o spécial, 1992, p. 21) [collectivement, la « Loi foncière de 1973 »], telle que
complétée par diverses ordonnances : Ordonnance 74-148 du 2 juillet 1974 portant mesures
d’exécution de la Loi foncière de 1973 (J.O.Z., n
o 15, 1er août 1074, p. 611); Ordonnance 86-115
du 10 avril 1986 modifiant le règlement annexé à l’ordonnance 79-111 du 9 mai 1979 modifiant
celle n
o 74-148 du 2 juillet 1974 portant mesures d’exécutions de la Loi foncière de 1973 (J.O.Z.,
no spécial, 1992, p. 241), publiés dans Luhonge KABINDA NGOY et al., dir., Codes Larcier de la
République démocratique du Congo
, t. I, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2003, p. 95-148, sous le
titre général « Droit des biens ».
1503
Loi foncière de 1973, supra note 1502, art. 54.

Page 650
624
des terres affectées à un usage ou à un service public, incessibles si non désaffectées 1504,
et toutes les autres terres sont du domaine privé de l’État 1505. Les terres du domaine
privé peuvent faire l’objet de concessions, qui confèrent des droits d’occupation, voire
d’exploitation, perpétuels ou limités dans le temps, selon la nature de la concession 1506.
On distingue donc la propriété du fonds, imprescriptible et inaliénable, détenu par l’État
pour le bénéfice de tous les congolais, les droits de concessions octroyés par l’État sur le
fonds et, enfin, les droits sur les immeubles, ouvrages ou plantations installés sur le fonds
qui, eux, peuvent faire l’objet d’une propriété privative. Ce qui explique la distinction
faite entre le régime foncier et le régime immobilier. Les droits de concessions, fonciers
ou immobiliers, sont assujettis à l’obligation d’inscription au cadastre foncier et doivent
faire l’objet d’un certificat d’enregistrement. De plus, les concessionnaires doivent
assurer la mise en valeur du bien ainsi concédé, au risque de se le voir reprendre s’ils
n’exécutent pas cette obligation 1507.
La grande révolution de ce système réside dans le fait que l’État congolais est le seul
propriétaire du sol et du sous-sol, pour le bénéfice de tous les congolais. Certains l’ont
personnifié à titre de légataire ou de fiduciaire de cette propriété collective des
ancêtres 1508. D’autres, cependant, n’y voient qu’un changement de titulaire du pouvoir
d’administrer et de concéder les terres, la propriété individuelle existant au demeurant de
1504
1505
1506
1507
1508
Ibid., art. 55.
Ibid., art. 56.
Ibid., art. 57-59, 97, 99, 100, pour les concessions perpétuelles.
Ibid., art. 94.
V. KANGULUMBA MBAMBI, loc. cit., supra note 1474, p. 334.

Page 651
625
facto pour les personnes jouissant de concessions perpétuelles 1509. Alors qu’autrefois,
c’était le législateur colonial qui s’était attribué la fonction, l’État révolutionnaire se
substitue à sa place et conserve quasi intacte l’ancienne législation. On pourrait ajouter
que ce système étatique ressemble étrangement au système de droit coutumier, où le
pouvoir coutumier est dépositaire du droit collectif sur la terre des ancêtres, avec faculté
d’attribuer des droits de jouissance et d’occupation aux personnes qui sont membres de
son groupe, moyennant rétribution et mise en valeur des parcelles de terres.
De ce rapprochement et des similitudes qui en découlent, l’on serait tenté de conclure que
l’enjeu principal, en RDC, demeure finalement l’exercice de pouvoirs étatiques et
coutumiers concurrents pour l’attribution et la gestion des terres, conflit auquel il faudra
bien trouver une solution pour le bénéfice de l’ensemble de la population 1510. À cet
égard, il faut mentionner que la Loi foncière de 1973 prévoit, en son article 387, que les
terres occupées par les communautés locales deviennent, à partir de l’entrée vigueur de
cette loi, des terres domaniales. De plus, les articles 388 et 389 de ladite loi complètent
en ajoutant :
Art. 388. – Les terres occupées par les communautés locales sont celles que ces
communautés habitent, cultivent ou exploitent d’une manière quelconque –
individuelle ou collective – conformément aux coutumes et aux usages locaux.
1509
L. NGHENDA, op. cit., supra note 1449, p. 72 : « Il a donc été observé que c’est d’une manière
implicite que le législateur du nouvel État, après le législateur colonial, s’était mis à dessiner le
développement de la propriété individuelle même en milieu rural, et que l’on avait pu noter une
faveur croissante à son égard dans les villes
[…]. À son tour, la [Loi foncière de 1973] procède
autant à cette même substitution, puisque si le texte dit que toutes les terres sont propriété
inaliénable de l’État, la propriété que les particuliers congolais, citadins et ruraux, acquièrent
suite à l’obtention des certificats d’enregistrement, sur leurs constructions c’est-à-dire sur les
immeubles par incorporation, est celle individuelle du type romain que l’article 14 de la nouvelle
loi a repris de l’article 14 de l’ancien livre II du code civil, ce dernier lui-même, l’ayant reprise
du code civil Napoléon ».
1510
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, supra note 1448, no 594, p. 306.

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626
Art. 389. – Les droits de jouissance régulièrement acquis sur ces terres seront
réglés par une ordonnance du président de la République.
Les terres des communautés locales sont donc les terres des personnes régies par la
coutume. Selon certains, cela représenterait 97 % du territoire congolais et les deux tiers
de la population congolaise 1511…Cependant, le législateur devait préciser l’étendue de
ces droits coutumiers au moyen d’une ordonnance présidentielle, qui n’est jamais venue,
laissant en plan une portion énorme du territoire et de son développement 1512.
Il s’agit peut-être, au fond, d’un faux débat. La question qu’il faudra résoudre est celle du
partage de compétence entre les diverses formes d’autorité.
Nous n’allons pas analyser dans le menu détail le fonctionnement de la Loi foncière de
1973. Cependant, nous mentionnerons qu’un congolais peut faire une demande à l’État
pour acquérir une parcelle de terrain et la mettre en valeur. Une fois ses obligations
respectées, l’État peut lui conférer une concession, perpétuelle ou ordinaire. Un contrat
sera établi à cette fin et un certificat d’enregistrement sera émis 1513.
Le certificat d’enregistrement est la pierre angulaire de la publicité des droits fonciers ou
immobiliers. Ainsi, l’article 219 de la Loi foncière de 1973 édicte :
Art. 219 – Le droit de jouissance d’un fonds n’est légalement établi que par un
certificat d’enregistrement du titre concédé par l’État.
1511
1512
V. KANGULUMBA MBAMBI, loc. cit., supra note 1448, p. 25.
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, supra note 1448, p. 327, 375-377, no 626 (note 27), 715-
718. On ne sait pas, à ce chapitre, quel est le régime juridique qui s’applique à ces terres
domaniales. La coutume ? Oui, s’il faut en croire une décision de la Cour suprême de Justice; non,
s’il faut en croire une autre décision, statuant que toute règle coutumière régissant les parcelles de
terres a été abolie…
1513
Ibid., nos 689-693, p. 360-362, 385-386, (concessions perpétuelles), 736-737 (concessions
ordinaires).

Page 653
627
La propriété privée des immeubles par incorporation, qui est toujours envisagée
séparément du sol, n’est légalement établie que par l’inscription, sur le certificat
établissant la concession du fonds, desdits immeubles. Elle peut être établie par
un certificat d’enregistrement distinct dont il est fait annotation sur le certificat
établissant la concession.
L’article 227 de la même loi précise que
le certificat d’enregistrement fait pleine foi de la concession, des charges réelles et,
éventuellement, des droits de propriété qui y sont constatés. Ces droits sont
inattaquables et les actions dirigés contre eux ne peuvent être qu’en dommages-
intérêts. Toutefois, les causes de résolution ou de nullité du contrat ou de l’acte,
l’erreur de l’ordonnance d’investiture donnent dans les deux années depuis la
mutation, ouverture à une action en rétrocession, avec dommages-intérêts s’il y a
lieu.
Le certificat d’enregistrement fait non seulement preuve des droits qui sont concédés
mais en établit le titre. Ce certificat devient inattaquable au bout de deux ans. Or, il en
résulte plusieurs problèmes. D’une part, la majorité des concessions ou des immeubles
ne fait pas l’objet d’un tel certificat. D’autre part, plusieurs faux sont en circulation sur le
marché et les conservateurs de titres immobiliers y seraient pour quelque chose. Enfin,
les tribunaux s’en remettent plus souvent aux dispositions du droit pénal pour faire
annuler, après l’expiration de la période d’inattaquabilité de deux ans, un certificat
transféré en fraude des droits du détenteur original 1514. On a suggéré que ce délai de
deux ans puisse être allongé et faire l’objet d’une modification législative en ce sens.
Ce système, qui s’inspire du Torrens Act, vise à créer un régime de propriété et de titres
qui soit certain, un tel système étant habituellement garanti par l’État. Comme on peut le
constater, cette sécurité n’est pas atteinte. De plus, deux dispositions peuvent prêter à
l’équivoque à ce chapitre. En vertu de l’article 65 de la Loi foncière de 1973, il est dit
1514
Voir, de manière générale sur ces questions : Défi FATAKI WA LUHINDI, « V. Le sort du
certificat d’enregistrement établi sur une base de
faux en droit congolais », dans
Vincent KANGULUMBA MBAMBI, dir.,
La loi du 20 juillet 1973 portant régime général des
biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés au Congo. Trente ans après : quel
bilan ? Essai d’évaluation
, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2004, 87-115.

Page 654
628
que « [l]es terrains sont concédés sous réserve des droits des tiers et sans garantie quant
à leur qualité propre ou à la valeur industrielle, agricole, commerciale ou résidentielle ».
S’agissant d’un terrain inculte, on s’étonne de cette disposition; dans le cas d’un terrain
non inculte faisant déjà l’objet d’un certificat d’enregistrement, elle n’est pas cohérente
avec la finalité du régime.
Par ailleurs, l’article 273 de la Loi foncière de 1973 édicte que l’État est responsable des
erreurs du conservateur des titres. Cette responsabilité est limitée à la valeur de la
concession majorée d’un cinquième. On a soutenu que le conservateur devrait, afin
d’éviter les fraudes, se voir attribuer la responsabilité des faux en circulation ou des
erreurs commises dans l’établissement d’un certificat 1515.
Ajoutons à cela les frais associés à l’enregistrement d’un tel certificat, qui représentent,
dans l’état actuel des choses au Congo, de 20 à 30 % de la valeur du fonds, de quoi
décourager quiconque de recourir à ce procédé ou, encore, de faire de fausses
déclarations quant à la valeur réelle du fonds 1516.
D’autre part, le titulaire d’une concession aux termes d’un certificat d’enregistrement
peut les transférer selon un processus nommé « mutation ». Un tel transfert peut faire
suite à un contrat d’aliénation, une donation, résulter d’un jugement ou d’un décès 1517.
Ces mutations font bien sûr l’objet de frais importants, ainsi que nous venons de le voir.
La mutation proprement dite « est l’acte par lequel le conservateur des titres immobiliers
constate le transfert des droits réels inscrits dans le certificat d’enregistrement d’une
1515
1516
1517
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, supra note 1448, nos 957-958, p. 521-522.
Ibid., nos 890-892, p. 475-477.
Loi foncière de 1973, supra note 1502, art. 231-238.

Page 655
629
personne à une autre » 1518. Le transfert de droits entre vifs doit faire l’objet d’un acte
authentique, sous forme notariée. Dans le cas d’un jugement qui ordonne une mutation,
c’est le jugement qui servira de titre pour la mutation. En cas de décès, il faut l’obtention
d’un jugement également, mais les procédures pour ce faire sont complexes et
incertaines, la loi foncière entrant en conflit avec le Code de la famille à cet égard. La
procédure consiste en la remise du certificat d’enregistrement au conservateur, qui le
timbre d’annulation, avant d’en émettre un nouveau. Bien sûr, cette procédure présente
les mêmes
incertitudes que nous avons décrites plus haut pour
le certificat
d’enregistrement, car cette procédure est peu respectée, quand elle n’est carrément pas
faussée 1519. À ces incertitudes s’ajoutent les procédures de conversion des anciens titres
fonciers, datant d’avant la Loi foncière de 1973.
Les dispositions de droit transitoire posent également leur lot de difficultés. Il en est ainsi
pour les anciennes terres indigènes, régies par le droit coutumier, et pour les titres
d’occupation des circonscriptions urbaines régies par le « livret de logeur » ou un titre
administratif d’occupation.
En ce qui a trait aux terres indigènes, nous avons vu plus tôt qu’elles ne font pas l’objet
de réglementation précise aux termes de la Loi foncière de 1973.
En ce qui concerne les droits d’occupation dans les circonscriptions urbaines, l’article
390 de la Loi foncière de 1973 précise qu’ils sont supprimés par cette loi, qui confère
néanmoins à leurs titulaires une concession perpétuelle. Or, ces titulaires de droit
1518
1519
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, supra note 1448, no 899, p. 483.
Ibid., no 898-923, p. 483-501.

Page 656
630
d’occupation sont tenus de remettre leurs livrets de logeurs au conservateur foncier afin
de le convertir en certificat d’enregistrement. Cette procédure n’est pas suivie, dans la
grande majorité des cas. Plusieurs litiges en résultent. Certains ont trait à des chicanes
entre des occupants titulaires de livrets de logeurs, dont le conservateur émet pourtant à
d’autres un certificat d’enregistrement sur le même bien. Dans d’autres cas, le
conservateur peut continuer d’émettre des titres d’occupation en vertu du livret du logeur,
quand ce n’est pas le ministère de l’urbanisme même 1520. Lukombe Nghenda indique
alors qu’il est très difficile de faire passer de la mentalité coutumière, qui ne nécessite pas
d’enregistrement, à ces nouvelles formalités 1521.
À ces régimes de droits fonciers et de droits immobiliers s’en ajoute un de sûretés, que
nous allons brièvement commenter.
Les auteurs congolais dont nous avons eu le bénéfice de lire les ouvrages ne traitent pas
du régime des sûretés, qui est pourtant édicté aux termes de la Loi foncière de 1973. Et
pour cause : peu importe la qualité du régime en question, les difficultés découlant du
régime de droit des biens sont si importantes et nombreuses que le droit des sûretés
devient, dans ce contexte, des plus académiques. C’est d’ailleurs ce que nous ont
confirmé les banquiers congolais que nous avons rencontrés. Inutile de penser aux
sûretés mobilières ou même personnelles.
Cela étant, il importe de dégager les grandes lignes du régime de sûretés actuellement en
place en RDC, car dans l’éventualité où les autres dispositions de la Loi foncière de 1973
1520
1521
Ibid., nos 623, 695-718, p. 324-325, 362-377.
L. NGHENDA, op. cit., supra note 1449, p. 54.

Page 657
631
trouvaient une façon d’être adoptées par la population congolaise et effectivement
appliquées, le régime des sûretés sera leur pilier de l’accès au crédit à des coûts
abordables. Aux termes de la Loi foncière de 1973 est établi un régime de sûretés légales
bicéphale, oscillant entre les privilèges et les hypothèques légales 1522, conforme à ce que
l’on retrouve dans nombre d’autres
juridictions civilistes.
Pour
les sûretés
conventionnelles, un régime d’hypothèques conventionnelles est prévu aux articles 256 à
296 de la Loi foncière de 1973. Ces hypothèques conventionnelles, qui portent sur des
immeubles, sont assujetties aux conditions de forme, de validité et de publicité usuelles.
En matière mobilière, pas de sûretés sans dépossession, mais présence du gage
traditionnel, qui s’opère par la remise matérielle du bien au créancier 1523. Des
dispositions régissent la convention de cautionnement 1524, et d’autres lois régissent des
sûretés particulières 1525. On peut donc dire, de cet examen très sommaire, qu’il existe un
régime de sûretés en droit congolais, calqué essentiellement sur le droit civil français ou
belge. Pour l’instant, cependant, ce régime ne fonctionne pas, en raison de l’état général
du droit et de ses institutions au Congo, inapte à le mettre en application, ce qui nous
amène à discuter des difficultés entourant l’interprétation et la mise en œuvre de la
législation en matière d’urbanisme et d’habitat en RDC.
1.2.3
l’interprétation et la mise en œuvre de ce droit
Ainsi que nous l’avons illustré tout au long de ce texte, il existe une doctrine congolaise
en matière de droit foncier et de droit des biens. Il existe également une doctrine de
1522
1523
1524
1525
Loi foncière de 1973, supra note 1502, art. 249 et 253-255.
Ibid., art. 322-336.
Ibid., art. 337-367.
Ibid., art. 368.

Page 658
632
l’époque coloniale qui a tenté de cerner le droit coutumier. En matière d’urbanisme, elle
se fait plus rare, le domaine foncier occupant l’avant-scène. Cette doctrine, bien vivante
malgré les énormes difficultés qu’elle doit surmonter, ne trouve pas son public. En effet,
les publications des auteurs congolais sont davantage disponibles en Europe ou en
Amérique qu’elles ne le sont en RDC même. Il faut souligner la tenue d’un colloque en
2003 tenu à Kinshasa à l’occasion du trentième anniversaire de la promulgation de la Loi
foncière de 1973, qui fait le bilan et l’évaluation critique de cette législation 1526. Cet
ouvrage, réunissant plusieurs experts congolais (des juristes, des professeurs, des
fonctionnaires, des anthropologues), se montre très critique à l’égard de cette loi et de sa
mise en œuvre. Plusieurs constats sont posés et des pistes de solutions sont envisagées.
Nous avons voulu en rendre compte tout au long de ce texte.
En ce qui a trait à la jurisprudence, il ne nous fut pas possible d’y avoir accès. Les
jugements ne sont pas publiés et, lorsqu’ils le sont, c’est dans des revues spécialisées qui
rencontrent les mêmes problèmes de diffusion que la doctrine. Le regard porté par la
doctrine sur cette jurisprudence est néanmoins très critique. L’absence de cohérence dans
le corpus jurisprudentiel congolais est dénoncée, ainsi que, dans certains cas, le manque
de compétence ou de connaissance juridique des magistrats dans l’application de la
loi 1527.
1526
Vincent KANGULUMBA MBAMBI, dir., La loi du 20 juillet 1973 portant régime général des
biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés au Congo. Trente ans après : quel
bilan ? Essai d’évaluation, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2004.
1527
Ibid., p. 57-158.

Page 659
633
Les juges, qui ont l’obligation de faire lecture de leurs décisions lorsqu’ils les rendent aux
parties à un litige, sont souvent victimes de violences de toutes sortes lorsque la décision
apparaît inique aux parties, quand elle ne leur semble pas contraire à la coutume.
Les juges n’ont pas de moyens pour effectuer leur travail ni pour assurer leur
indépendance. Ils sont donc corrompus et rendent leurs décisions en faveur des plus
offrants.
Enfin, il a été suggéré que certaines approches émanant du droit coutumier puissent servir
pour résoudre les conflits fonciers qui, rappelons-le, représentent plus de 80 % de
l’ensemble des causes pendantes devant les tribunaux congolais. L’une de ces approches,
dite « palabre », est davantage axée sur la conciliation et la réconciliation 1528.
Cependant, l’inefficacité du droit, ou plutôt, du système judiciaire, est notoire et fut
identifiée, par tous les gens que nous avons rencontrés, comme étant le plus grave
problème de la société congolaise.
Nous l’avons dit, la coutume continue à ce jour de s’appliquer, sans ligne directrice ou
vue d’ensemble, à la quasi-totalité du territoire congolais et à une majorité de citoyens.
L’ordonnance présidentielle, qui aurait permis de mettre un peu d’ordre dans cette
question, n’est jamais venue. Ce qui fait dire à un auteur :
Il est symptomatique de constater que la coutume, à travers les autorités
coutumières, joue un rôle de premier plan dans la gestion du patrimoine foncier.
1528
Bruno LAPIKA DIMONFU et KIYULU N., « VII. Les enjeux fonciers et les conflits en
République Démocratique du Congo », dans Vincent KANGULUMBA MBAMBI, dir., La loi du
20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des
sûretés au Congo. Trente ans après : quel bilan ? Essai d’évaluation, Louvain-la-Neuve,
Bruylant-Academia, 2004, 161-169.

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634
En effet, dans beaucoup de contrées, c’est au chef coutumier qu’il faut s’adresser;
c’est à lui qu’il faut payer la redevance […].
Quand on sait que les villes n’occupent qu’une partie congrue du territoire
national, l’on comprend l’ampleur du phénomène. Même dans la ville de
Kinshasa, c’est le chef coutumier Humbu ou Teke qui trône et distribue les lopins
de terre à ses conditions.
Et cela, avec l’assistance passive, complaisante, de l’administration.
[…]
En effet, une grande partie des terres du pays se trouve donc sans règles
d’attribution et de gestion, laissant aux chefs coutumiers une grande latitude de
manœuvre; et ils n’y vont pas de main morte. Ils cèdent les terres, les retirent, les
bradent au premier venu.
[…]
L’on peut se poser la question de savoir pourquoi, alors qu’elle est à peu de choses
près la même que les textes législatifs et réglementaires de la période coloniale, la
loi foncière ne donne pas de résultats positifs à l’instar de ces derniers ? Pourtant
ces textes avaient permis au pouvoir colonial de créer des villes, des centres
urbains en respectant des règles d’urbanisme, d’hygiène et de l’environnement.
L’exploitation des terres rurales par les concessionnaires agricoles et pastoraux, a
fait du Congo belge l’exportateur de beaucoup de produits agricoles : huile de
palme, quinquina, pyrèthre, café, cacao, thé, copal.
Il y a donc lieu de corriger ce qu’il y a à corriger, et à compléter ce qui doit
l’être.
1529
À cet égard, nous l’avons déjà évoqué, l’un des principaux défis de l’État congolais
consistera à trouver une solution à la question du pouvoir coutumier. Il est intéressant de
relever ce que la Constitution de 2006 prévoit en cette matière. Dans son Titre III sur
l’organisation et l’exercice du pouvoir, lorsqu’elle traite de l’administration publique
provinciale, la Constitution de 2006 répartie les compétences entre le pouvoir central et
les Provinces. Ainsi, les droits civils et coutumiers sont de la compétence concurrente de
l’administration centrale et des provinces 1530; l’exécution du droit coutumier est de la
1529
Nyamugabo MPOVA, « I. Réflexion critique sur la gestion de la loi foncière », dans
Vincent KANGULUMBA MBAMBI, dir., La loi du 20 juillet 1973 portant régime général des
biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés au Congo. Trente ans après : quel bilan ?
Essai d’évaluation, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2004, 31, p. 32, 33 et 34.
1530
Constitution de 2006, supra note 1438, art. 203 (2).

Page 661
635
compétence exclusive des provinces 1531; enfin, aux termes de la troisième section au
chapitre 2 portant sur les provinces, l’autorité coutumière est reconnue 1532. La portée de
ce pouvoir ou de cette autorité est loin d’être claire. Le pouvoir coutumier est-il sur un
pied d’égalité avec les gouvernements central et provinciaux ? S’agit-il d’un troisième
ordre de gouvernement ? Est-il subordonné aux deux autres pouvoirs étatiques ? Il vaut
la peine de reproduire cette disposition :
Article 207
L’autorité coutumière est reconnue.
Elle est dévolue conformément à la coutume locale, pour autant que celle-ci ne
soit pas contraire à la Constitution, à la loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
Tout chef coutumier désireux d’exercer un mandat public électif doit se soumettre
à l’élection, sauf application des dispositions de l’article 197 alinéa 3 de la
présente Constitution.
L’autorité coutumière a le devoir de promouvoir l’unité et la cohésion nationales.
Une loi fixe le statut des chefs coutumiers.
[Notre soulignement]
Cette loi, qui fixerait le statut des chefs coutumiers, n’est pas adoptée. On voit toutefois
le désir du Constituant d’encadrer ce pouvoir et de l’intégrer au sein de l’État. Est-ce une
tâche possible ? C’est, en tout cas, un énorme défi, qui pose au final toute la question de
la société africaine et de son rapport à l’État. Lukombe Nghenda s’exprime de manière
très pertinente à ce sujet :
En effet, le monde juridique ne se bâtit pas de la même façon dans une société
traditionnelle et dans une société moderne. L’univers juridique d’une société
moderne est bâti à la fois par l’État et par les individus : le premier crée, dans ses
assemblées législatives et dans les tribunaux, ce qu’on a coutume d’appeler le
droit objectif; les individus sont, par leur activité ou leurs situations, à l’origine de
ce que l’on appelle les droits subjectifs. Selon que la part de l’État ou de
1531
1532
Ibid., art. 204 (28).
Ibid., art. 207.

Page 662
636
l’initiative individuelle l’emporte, la société moderne est plutôt de type étatique ou
plutôt de type contractuel; mais il s’agit de nuances et les deux parts coexistent
toujours.
Rien de semblable dans les sociétés traditionnelles : elles ne sont ni étatiques, ni
contractuelles. Elles ignorent l’État moderne créateur d’un univers juridique.
Elles ignorent souvent le rôle des individus dans la création des droits, leur
reconnaissent à peine ce que nous appellerions aujourd’hui la participation intense
à la vie juridique, et ne leur laissent guère la possibilité d’innover.
Ne pouvant être remises en question au niveau de l’ensemble de la société ni au
niveau des individus, les règles traditionnelles sont ainsi particulièrement
contraignantes. L’homme n’en est pas maître, elles s’imposent à lui.
Les juristes doivent penser leur droit traditionnel, de manière d’abord à le dégager
d’une série d’autres considérations notamment celles mythiques et religieuses
d’une part, et d’autre part, pour lutter contre son caractère oral en le faisant
codifier et recevoir dans des documents écrits.
1533
[Notre soulignement]
Cette question de la place du pouvoir coutumier et de la codification du droit coutumier
prend une importance pressante dans une société traditionnelle comme le Congo, où
s’affrontent encore de nos jours plusieurs clans, tribus, dans des luttes fratricides qui
tournent, plus souvent qu’autrement, autour de la gestion de la terre 1534.
Enfin, dans cette foulée et concernant la difficile mise en œuvre de la législation en
matière d’urbanisme et d’habitat, terminons notre propos en soulignant que d’autres
difficultés découlent d’un chevauchement dans l’attribution des responsabilités entre les
organes gouvernementaux. Des problèmes relatifs existent aussi relativement à la
1533
1534
L. NGHENDA, op. cit., supra note 1449, p. 89.
Bruno LAPIKA DIMONFU et KIYULU N., « VII. Les enjeux fonciers et les conflits en
République Démocratique du Congo », dans Vincent KANGULUMBA MBAMBI, dir.,
La loi du
20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des
sûretés au Congo. Trente ans après : quel bilan ? Essai d’évaluation
, Louvain-la-Neuve,
Bruylant-Academia, 2004, 161-169; Laingulia NJEWA et Vincent KANGULUMBA MBAMBI,
« VIII. Conflits des pouvoirs coutumiers et des terres coutumières en Territoire de Lubero (Nord-
Kivu) : Pistes de résolution pacifique et durable », dans Vincent KANGULUMBA MBAMBI, dir.,
La loi du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime
des sûretés au Congo. Trente ans après : quel bilan ? Essai d’évaluation
, Louvain-la-Neuve,
Bruylant-Academia, 2004, 171-181; Noël KILOMBA NGOZI MALA, loc. cit., supra note 1479,
183-195.

Page 663
compétence et à la formation des divers intervenants chargés de la mise en œuvre de cette
législation, sans parler de l’insuffisance des ressources humaines, techniques et
financières. Ce qui a fait dire à Vincent Kangulumba Mbambi que
637
[…] les pouvoirs publics congolais aiment à créer des institutions ou à leur
conférer des compétences sans qu’aucun texte n’en organise les modalités de
fonctionnement. […]
Il est à déplorer l’existence d’énormes conflits des compétences entre les
différentes administratives en matière d’urbanisme, d’affectations et de
désaffectations des terres et de lotissements, etc. En l’absence donc des textes
clairs, sûrs et transparents, les autorités administratives se comportent comme des
prédateurs pour brader la réglementation en vigueur au détriment des populations
et des nécessités de vie urbaine. 1535
Nous pouvons maintenant poser le problème de la réforme de l’urbanisme et de l’habitat
en RDC dans toute son ampleur et brièvement exposer les diverses pistes de solutions qui
sont envisagées.
2.
Position du problème et pistes de solutions
La République Démocratique du Congo est un pays dévasté, qui se remet à peine de
plusieurs années de luttes fratricides et de guerres civiles. Forte d’un nouveau
gouvernement élu en 2006 pour la première fois de son histoire, ce nouveau
gouvernement entreprend de vastes réformes afin de reconstruire le pays. Un effort est
fait pour y instaurer un véritable État de droit, mais la route pour y arriver est encore
longue. En dépit d’une nouvelle Constitution qui y consacre la séparation des pouvoirs et
qui consacre également des droits humains fondamentaux, l’administration de la justice
se trouve dans un piètre état, de même que la qualité de l’enseignement du droit. Le
cadre légal, judiciaire et administratif ne peut qu’en souffrir. Une opposition existe entre
le droit légiféré et le droit coutumier. En matière d’urbanisme, d’habitat et dans le
1535
V. KANGULUMBA MBAMBI, Précis, supra note 1448, nos 631 et 816, p. 329 et 427.

Page 664
638
domaine foncier, cette distinction est cruciale. En effet, on constate depuis l’État
Indépendant du Congo, en 1885 jusqu’à nos jours, une opposition marquée des pouvoirs
coutumiers à toute tentative de les réglementer, ce qui expliquerait en partie la non-
application de la législation et les nombreux conflits qui en résultent. Au surplus,
l’administration et la gestion de l’aménagement du territoire ainsi que du domaine privé
de l’État se fait de façon anarchique, puisque les responsabilités sont confiées pour les
mêmes tâches à de nombreux et divers organismes.
Il y aurait donc lieu de revoir ce cadre législatif, de voir comment il est possible d’y
intégrer la coutume afin de faire en sorte que le régime juridique congolais suscite
l’adhésion d’une majorité de ses citoyens.
Une réforme institutionnelle passe par la révision des compétences propres à chaque
ministère, afin d’éviter les dédoublements. De même, la prise en charge de l’exécution
de la réforme de l’urbanisme et de l’habitat pourra éventuellement être confiée à certains
organismes parapublics. Mais il faudra d’abord s’attarder à la réforme législative, qui
pourra être de grande ou de plus petite envergure. Une réforme d’ensemble supposerait
entre autres la rédaction d’un nouveau Code civil des Congolais, entreprise unificatrice et
organisatrice d’une société, favorisant l’accès au droit. Cependant, on pourrait
initialement envisager des mesures plus ponctuelles, « à la carte », concernant la Loi
foncière de 1973, l’adoption d’un Code de l’urbanisme, du bâtiment, de la construction et
de l’habitat. En amont et en aval de ces recommandations, c’est à travers la réforme du
judiciaire que tout pourra se réaliser. D’abord, par l’enseignement du droit et la création
d’un Centre de recherches universitaire en matière d’urbanisme et d’habitat, qui
chapeautera tous les acteurs et éléments de la réforme proposée, et verra à la refonte et
Page 665
639
mise à jour des lois, à leur publication ainsi qu’à celle de la jurisprudence, à la formation
et à la coordination de tous les intervenants visant la mise en œuvre de la réforme. Cette
centralisation des efforts nous apparaît essentielle afin de bien pouvoir mettre en marche
les projets envisagés. Ce n’est seulement qu’après, une fois les paramètres établis,
qu’une plus grande décentralisation pourra être considérée. La réforme de l’urbanisme et
de l’habitat devra d’abord passer par des projets pilotes plus modestes, dans des
communes déjà existantes de Kinshasa. Sur la foi de la réalisation probante de ces
projets pilotes de plus modeste envergure, la crédibilité nécessaire à la mise en œuvre
d’une réforme globale, à l’échelle du pays, sera retrouvée, et l’on pourra alors envisager
son essor à ce niveau national.
* * *
L’harmonisation du droit commercial qui s’observe à l’échelle planétaire parviendra-t-
elle, dans son sillage, à instaurer démocratie, État de droit, règle de droit et libertés
individuelles à cette même échelle ? Cette tendance à l’unification croissante des
normes, qui se voit non seulement dans les démocraties libérales, mais qui est également
agissante dans les pays en voie de développement par le biais de l’aide financière des
institutions financières internationales dans le cadre de projets favorisant une meilleure
« gouvernance », incluant la réforme du droit et des institutions, se butera-t-elle au
phénomène de la « diversité culturelle » anthropologique qui est érigé au rang de
« patrimoine commun de l’humanité » par ces mêmes institutions ? Devant ces
contradictions, l’unification du droit commercial est-elle possible ? Si oui, à quelle
échelle et dans quelle mesure ? C’est ce que nous allons maintenant aborder en
conclusion de cette seconde partie de notre thèse.
Page 666
IV- L’HARMONISATION DU DROIT DES SÛRETÉS DANS UN CONTEXTE DE
MONDIALISATION : VERS LUNIFICATION ?
Est-il possible de transplanter des solutions juridiques structurantes, généralement
admises dans les économies libérales, à des pays émergents issus de traditions et cultures,
juridiques, sociétales ou même religieuses, profondément différentes ? Notre hypothèse
de recherche, énoncée en introduction, voulait qu’il ne soit pas possible de transplanter
les outils de l’harmonisation du droit, quels qu’ils soient, hors de la tradition occidentale
sans y apporter de profondes modifications, les conditions préalables à leur réception
n’étant pas, la plupart du temps, présentes, dans les pays en voie de développement.
Nos deux études de cas nous ont permis de démontrer cette hypothèse. Nous avons en
effet dressé le tableau de deux sociétés en voie de développement, qui ont des traits
communs mais qui présentent chacune leurs particularismes.
Au nombre des traits communs, l’Égypte et la RDC sont des pays où le principe de l’État
de droit, au plan formel, n’existe que sur papier et, même à ce niveau, les entorses aux
postulats classiques du droit constitutionnel sont nombreuses. En outre, la suspension des
droits et libertés fondamentaux et l’état d’urgence peuvent être décrétés pour de longues
périodes de temps. De même, au plan de l’État de droit « substantiel », c’est-à-dire dans
l’expression, l’interprétation et la mise en œuvre de la règle de droit, la multiplicité des
sources du droit, leur incohérence et leur décalage par rapport à la réalité vécue par les
citoyens égyptiens ou congolais sont frappantes. Voilà donc deux sociétés qui tentent,
tant bien que mal, de créer un État nation, mais qui se butent à la diversité des ordres
juridiques en présence sur leurs territoires.

Page 667
641
Dans le cas de l’Égypte, la tradition musulmane, elle-même plurielle et incertaine dans
son interprétation, constitue très certainement un frein à l’avènement d’un véritable État
de droit, car ce droit musulman révélé, immuable à maints égards, ne saurait se
subordonner à la volonté populaire exprimée par un législateur qui serait élu
démocratiquement (en autant qu’une telle chose finisse par se produire un jour dans ce
pays). En résultent des difficultés dans la formulation de la règle de droit, principalement
en matière de sûretés, la dépossession étant en principe interdite ainsi que l’intérêt, et où
les fictions doivent tenir lieu de mécanismes permettant de mettre à jour cette règle de
droit. Comme nous l’avons vu, ces fictions ne permettent pas nécessairement
d’accoucher d’un
régime
juridique qui soit cohérent et
facile d’application.
Culturellement, d’ailleurs, le régime du crédit foncier proposé par les réformateurs
égyptiens, ces récentes années, ne correspond pas nécessairement aux mentalités. Il
s’agit là de l’une des principales entraves au succès de ces réformes, ce que la Banque
mondiale n’a pas manqué de constater.
Dans le cas de la République démocratique du Congo, voilà une société traditionnelle et
multiethnique. Pays vaste aux riches ressources naturelles, il sort à peine de plusieurs
graves crises et la société civile se remet difficilement en marche. Dans cette société,
c’est le groupe qui prime et l’individu n’existe qu’à travers ce groupe. Cette conception
collectiviste se reflète dans la conception congolaise du droit de propriété qui, en
principe, est collective. La propriété individuelle y est certes possible, aux termes de la
Loi foncière de 1973, mais les contorsions intellectuelles et pratiques y sont nombreuses
avant d’y parvenir. Dans ce contexte, voilà une société qui tente de construire un État
nation, mais qui se bute aux divers pouvoirs coutumiers, qui sont nombreux. Le droit
Page 668
642
coutumier, aux sources plurielles, est de tradition orale, et son arrimage au droit légiféré
écrit, lui-même incertain et incomplet, est encore à faire. Tant que les sources du droit
interne en RDC ne seront pas unifiées, complètes et cohérentes, si cela est possible, il
sera difficile, voire impossible, d’instaurer un régime de crédit foncier et, partant, de
sûretés, qui soit viable.
Ces deux études de cas mettent en scène deux sociétés qui en sont à des stades différents
de leur évolution et dont les contextes socio-politiques sont différents. Peut-on en
dégager des principes qui puissent faire l’objet d’une généralisation et qui seraient
applicables à d’autres situations ? Plus précisément, dans le cas qui nous occupe, peut-
on, en partant de ces études de cas, identifier les éléments qui soient nécessaires à la
réception de normes juridiques uniformes ou harmonisées avec celles prévalant dans
l’Occident industrialisé ?
En fait, poser cette question, c’est retourner à celle de la nécessité de l’établissement de
l’État de droit, dans toutes les formes que cela peut prendre. L’État de droit, pour exister,
suppose un ordre juridique unique qui s’applique à tous les membres d’une société,
indistinctement. Il s’accomode plus difficilement d’une diversité trop grande des ordres
juridiques. Certaines valeurs président à l’idée de l’État de droit, au premier chef la
primauté de l’individu et la reconnaissance de la propriété privée individuelle. Ces
valeurs, qui s’inscrivent dans les droits humains fondamentaux, sont-elles universelles ?
En tout cas, c’est sur cette prémisse que les organisations internationales s’appuient
lorsqu’elles font la promotion de l’harmonisation des règles de droit, principalement en
matière de sûretés. À la lumière des études de cas égyptien et congolais, force est de
Page 669
643
constater, cependant, que les prétentions du Guide législatif sur les opérations garanties,
à l’effet qu’il
s’efforce de transcender les différences entre régimes juridiques pour proposer des
solutions pragmatiques et éprouvées qui peuvent être acceptées et appliquées dans
des États ayant des traditions juridiques divergentes (droit civil,
common law et
traditions juridiques chinoise, islamique et autres) ainsi que dans des États ayant des
économies en développement ou développées,
1536
ne représentent qu’une vue de l’esprit. En effet, l’élaboration d’un régime de sûretés
immobilières est, pour le moment, dès plus incertaine dans ces pays. On peut encore
moins y envisager l’adoption de regimes de sûretés mobilières. D’autre part, prétendre
qu’un régime de sûretés mobilières fondé principalement sur le droit américain soit
compatible avec la tradition islamique ou soit transposable dans les pays en voie de
développement relève également du fantasme.
On pourrait donc en conclure que l’harmonisation ou l’uniformisation du droit
commercial ne soit véritablement possible qu’entre pays partageant une même conception
de la justice et de l’ordre social et reconnaissant le principe de l’État de droit. Au-delà de
ces considérations, une influence des droits étrangers occidentaux pourra se faire sentir
dans les pays en voie de développement (comme c’est le cas actuellement par l’entremise
des institutions financières internationales), mais l’on ne pourra envisager, dans ces
contextes, une véritable harmonisation, les conceptions de la justice et de l’ordre social
étant trop différentes. De même, la pluralité des ordres juridiques dans un pays donné est
un obstacle très certain à l’élaboration de normes partagées par tous ses citoyens. Il
constituera de même très certainement un obstacle à l’harmonisation et à l’uniformisation
1536
Supra, note 48.

Page 670
644
de ses normes avec celle de l’ordre juridique transnational qui est en train de s’établir en
droit commercial.
Page 671
CONCLUSION
La réforme et l’harmonisation du droit des sûretés dans un contexte de mondialisation de
l’économie permettent de constater qu’un retour au paradigme de l’uniformisation du
droit est en train de lentement s’opérer. En effet, la question de la réforme et de
l’harmonisation du droit des sûretés est à l’ordre du jour de toutes les organisations
internationales qui œuvrent dans le domaine de l’harmonisation du droit.
Divers instruments de l’harmonisation sont proposés afin de modifier les droits internes.
Des lois types, élaborées sous l’égide de l’OÉA et de la BERD, un Guide législatif sur les
opérations garanties, élaboré sous les auspices de la CNUDCI, et des énoncés de
principes généraux, rédigés par la Banque mondiale et le FMI, se disséminent
tranquillement à travers le monde. Malgré les différences qui ressortent de ces
instruments, on note que tous partagent la même conception d’un régime de sûretés
mobilières. Si les différences subsistent aussi d’un État à l’autre, on pense entre autres
aux traditionalismes affichés tant par l’Angleterre que par la France, en ce qui a trait à
l’adoption de l’approche téléologique, les régimes nord-américains sont pratiquement au
pair, bien que, là aussi, des différences notables existent. Le Uniform Commercial Code
américain, le régime des PPSA des provinces et territoires canadiens-anglais et celui du
Code civil du Québec permettent, en pratique, l’atteinte de résultats similaires.
À côté de ces instruments qui proposent d’harmoniser les divers droits internes, sont
élaborés des instruments qui visent à créer des régimes spéciaux en fonction de catégories
de biens spécifiques. La Convention du Cap (2001), mise de l’avant par UNIDROIT, et ses
protocoles, ainsi que l’établissement d’un registre international pour les aéronefs et le

Page 672
646
matériel ferroviaire roulant, en sont des exemples éloquents. D’autre part, des
instruments de même nature visent les biens incorporels et dématérialisés. Les règles
régissant la cession de créances, celles relatives au transfert et à la prise de garanties sur
des valeurs mobilières, titres intermédiés et autres actifs financiers et, enfin, celles
relatives aux conflits de lois en ces matières, font désormais l’objet de conventions
internationales promulguées par les Nations Unies, UNIDROIT et la Conférence de La
Haye de droit international privé. En matière de règles régissant le transfert et la prise de
garanties sur des valeurs mobilières, titres intermédiés et autres actifs financiers, les
droits internes nord-américains sont pratiquement uniformes, et le droit des différents
États de l’Union européenne le deviennent graduellement aussi. Par ces instruments, l’on
assiste très certainement à l’élaboration d’un droit transnational des sûretés, qui
encourage l’uniformisation graduelle vers un droit américanisé.
Toutefois, dans ce contexte de mondialisation, l’on tente d’étendre ce mouvement de
réforme et d’harmonisation à tous les pays, qu’ils soient développés ou en voie de l’être.
La question de la réforme et de l’harmonisation du droit des sûretés dans les pays en voie
de développement est plus incertaine. Malgré l’insistance des institutions financières
internationales, avec au premier chef la Banque mondiale et le FMI, visant à faire en sorte
que des réformes de gouvernance des institutions et des régimes juridiques prennent place
dans les pays en voie de développement, ces initiatives se butent à des résistances socio-
culturelles et politiques, difficilement conciliables avec le fondement du fonctionnement
de tout régime de sûretés, à savoir l’État de droit. L’étude des cas égyptien et congolais
est particulièrement révélatrice à ce sujet. Des sociétés aux prises avec un pluralisme
juridique qui fait échec à l’édification d’un véritable État de droit, voilà une constatation
Page 673
647
dont il faut prendre acte et qui permettra de mieux comprendre la difficulté de procéder
aux réformes souhaitées dans les pays en voie de développement.
Cela étant, ces constatations ne sont pas sans soulever de nouvelles questions, sur
lesquelles notre thèse s’ouvre. D’une part, les cas égyptien et congolais permettent
d’affirmer que le principe de l’État de droit est fragile et précieux. Fragile, il suppose la
volonté d’individus vivant ensemble dans une société donnée d’être en paix et d’observer
les mêmes règles, les mêmes valeurs. Fondement de l’Occident et du vivre-ensemble,
peut-on conclure que l’universalisme de la primauté du droit, dont les organisations
internationales se font les apôtres, et le principe de la diversité culturelle, également
promu par ces mêmes organisations, soient deux notions inconciliables ? C’est, en tout
cas, une question fondamentale à laquelle il faudra trouver réponse. En effet, elle fait
l’objet de débats de plus en plus fréquents et vigoureux dans nos sociétés, opposant les
tenants d’une diversité à tout crin, prête à accepter tous les compromis 1537, et les tenants
de la suprématie de ces valeurs que l’on tient pour universelles 1538. À défaut de proposer
une réponse élaborée et satisfaisante à la question en ces pages, on peut néanmoins
affirmer que les exemples de pluralisme juridique de l’Égypte et du Congo révèlent des
difficultés majeures à l’établissement d’un véritable État de droit. Il faut en prendre acte
1537
1538
Voir entre autres, à ce sujet, au Québec : Gérard BOUCHARD et Charles TAYLOR, Rapport.
Fonder l’avenir – Le temps de la conciliation
, Québec, Commission de consultation sur les
ligne :
pratiques d’accommodement
http://www.accommodements.qc.ca/documentation/rapports/rapport-final-integral-fr.pdf (consulté
le 13 juin 2010) ; Pierre BOSSET, Dominique LEYDET, Jocelyn MACLURE, Micheline MILOT
et Daniel WEINSTOCK, « Manifeste pour un Québec pluraliste », dans
Le Devoir [de Montréal],
le mercredi 3 février 2010 (A7), en ligne : http://www.pourunquebecpluraliste.org/ (consulté le 13
juin 2010).
culturelles, 2008,
aux différences
reliées
en
Voir : Daniel BARIL, Marie-France BAZZO, Jacques BEAUCHEMIN, Paul BÉGIN, Henri
BRUN, Christian DUFOUR, Jacques GODBOUT, Jean-Claude HÉBERT, Yvan LAMONDE,
Bernard LANDRY, Julie LATOUR, Christiane PELCHAT, Guy ROCHER, « Déclaration des
Intellectuels pour la laïcité – Pour un Québec laïque et pluraliste », dans Le Devoir [de Montréal],
le mardi 16 mars 2010 (A7), en ligne : http://www.quebeclaique.org/
(consulté le 13 juin 2010).

Page 674
648
et éviter de transposer ces modes de fonctionnement à notre société. Il faut aussi écouter
les témoignages de plusieurs personnes originaires de divers pays étrangers 1539, nous
exhortant à ne pas laisser notre désir de reconnaître la diversité l’emporter sur les
principes qui doivent présider à l’établissement d’une société juste et harmonieuse.
L’étude du droit positif et systémique confirme, dans ce contexte, toute sa pertinence.
Elle nous a en effet permis de démontrer qu’il est digne d’intérêt et doit être pris au
sérieux. Une société sans règles cohérentes, sans État de droit « substantiel » qui
fonctionne, voilà le péril qu’il nous faut combattre comme juristes et dont il faut sans
cesse démontrer l’importance.
1539
Voir, entre autres, les témoignages éloquents de Shirin EBADI, Iranienne et libre – Mon combat
pour la justice
, Paris, Éditions La Découverte, 2006 ; Djemila BENHABIB, Ma vie à contre-
Coran
Une femme témoigne sur les islamistes, Longueuil (Qc.), VLB éditeur, 2009. Voir aussi,
de manière générale, sur le phénomène islamique : Mark STEYN,
America Alone – The End of the
World as we know it
, Washington, Regnery Publishing, Inc., 2006. Enfin, cette tension qui existe
en ce moment dans le monde fut bien cernée par Amin MALOUF, Les Identités meurtrières, Paris,
Le Livre de Poche : «
Aussi, l’époque actuelle se passe-t-elle sous le double signe de
l’harmonisation et de la dissonance. Jamais les hommes n’ont eu autant de choses en commun,
autant de connaissances communes, autant d’images, autant de paroles, autant d’instruments
partagés, mais cela pousse les uns et les autres à affirmer davantage leur différence
».

Page 675
TABLE DE LA LÉGISLATION
Textes constitutionnels
Charte canadienne des droits et libertés, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, c. 11
(R.-U.).

Déclaration canadienne des droits, L.C. 1960.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.).
Textes fédéraux
CANADA, SÉNAT, Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau. Examen
de la
Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les
créanciers des compagnies, Rapport du Comité sénatorial permanent des banques et du
commerce, 2e session, 37e
ligne :
http://www.parl.gc.ca/37/2/parlbus/commbus/senate/com-f/bank-f/rep-f/bankruptcy-f.pdf
(consulté le 3 janvier 2010).
législature, 4 novembre 2003, p. 115, en
CONFÉRENCE POUR LHARMONISATION DES LOIS AU CANADA, Loi uniforme sur le transfert
ligne :
des
29
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Caisse populaire Desjardins de Val-Brillant c. Blouin, [2003] 1 R.C.S. 666, 2003 CSC
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C.B.R. (N.S.) 201 (Ont. C.A.).

Lac d’Amiante du Québec ltée c. 2858-0702 Québec inc., [2001] 2 R.C.S. 743.
Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville de), [1989] 1. R.C.S. 705.
Lefebvre (Syndic de) ; Tremblay (Syndic de), [2004] 3 R.C.S. 326.
Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de ) c. Wise, [2004] 3 R.C.S. 461, 2004 CSC 68.
Metcalfe & Mansfield Alternative Investments II Corp., (Re), (2008) 296 D.L.R. (4th)
135, [2008] O.J. No. 3164 (QL) (C.A.), 2008 ONCA 587 (CanLII), j. Blair.

Ouellet (Syndic de), [2004] 3 R.C.S. 348.
Re Bearcat Exploration Ltd. (27 mai 2004), 2004 CarswellAlta 1183 (Alta Q.B.).
Re Giffen, [1998] 1 R.C.S. 91.
Richtree Inc. (Re) (26 janvier 2005, 04-CL-5584), [2005] O.J. No. 251 (Ont. S.C.J.).
Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121.
Roy (Syndic de), J.E. 2005-477 (C.S.) (M. le juge R.W. Pronovost).
Skeena Cellulose Inc., Re, (2003) 43 C.B.R. (4th) 187.


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Stelco Inc. (Re) (31 mars 2005, M32289), [2005] O.J. No. 1171 (Ont. C.A.).
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, 2004 CSC 47.
Jurisprudence québécoise
111295 Canada inc. (Syndic de) (7 août 2006), Montréal 500-11-025249-059, 2006
QCCS 4455 (C.S.).
167599 Canada inc. c. 9007-4337 Québec inc., [1999] R.D.I. 642 (C.S.).
2866-9992 Québec inc. c. Caisse populaire Ste-Anne-des-Monts, J.E. 2004-1817 (C.S.).
9076-3335 Québec inc. (Syndic de), [2003] R.J.Q. 2101 (C.A.), J.E. 2003-1586 (C.A.).
Abitibi-Consolidated inc. (Arrangement relatif à), C.S. Montréal, no 500-11-035851-092,
13 mars 2009.
Amyot c. Banque Nationale du Canada, [2004] R.J.Q. 2385, J.E. 2004-1773 (C.A.).
André Lajoie Communication ltée (Syndic d’), J.E. 2005-134 (C.A.).
Banque HSBC Canada c. 9082-3659 Québec Inc., J.E. 2005-667 (C.S.).
Banque Mercantile c. Yves Germain, [1984] C.S. 856 (C.S.).
Bélanger (syndic de) (9 décembre 2003), Québec 200-09-004192-024, J.E. 2004-114
(C.A.).
Boisclair (Syndic de) [2001] R.J.Q. 2815 (C.A.), no 19, p. 2818, J.E. 2001-1995 (C.A.),
REJB 2001-26424 (C.A.).

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