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LA RECONNAISSANCE ET
L’EXECUTION DES
DECISIONS ETRANGERES
MODULE DISPENSE PAR LE BATONNIER KAYUDI MISAMU COCO
Kigali 15 Avril 2015










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LA RECONNAISSANCE ET L’EXECUTION DES DECISIONS ETRANGERES
INTRODUCTION
Le droit de l’exécution en ce compris les voies d’exécution des décisions de justice a subi
peu à peu, dans la plupart des législations, des réformes sans doute lentes mais bien
concrètes.
Ces réformes issues des textes souvent anciens voire obsolètes sont généralement le
fruit d’une lente évolution liée à de profondes mutations économiques et sociales telles
que l’immatérialisation progressive des patrimoines, l’instabilité de l’emploi, le pouvoir
d’achat, la crise économique, le poids et la complexité des procédures, etc.
Par ailleurs dans le système juridique traditionnel écrit RENE LAUBA, il était admis que
le juge ne devait pas s’intéresser à l’exécution de ses décisions qui relevaient
essentiellement de la sphère privée des parties, même s’il fallait parfois recourir à la
force publique. La décision de justice se suffisait à elle-même et le juge, en rappelant la
règle de droit avait définitivement joué un rôle de «
bouche de la loi ».
Cette conception, poursuit l’auteur, a prévalu tout au long du XIX ème siècle et jusqu’il y a
près de quatre décennies (Lire RENE LAUBA, le Contentieux de l’Exécution, 12
ème Ed,
Lexis Nexis, 2014, P1);
L’évolution des législations a donné lieu à la mise en place d’un corpus juridique
cohérent en matière d’exécution, du moins au sein des Etats car au-delà de ses frontières
étatiques, une telle exécution soulève encore de nombreux questionnements et
d’innombrables difficultés.
En effet, il est apparu que la complexité, la lenteur et le caractère désuet des voies
d’exécution existantes constituaient un frein à la mise en œuvre des titres exécutoires,
en particulier lorsqu’il s’agissait de recouvrer des impayés du crédit de consommation
ou nés des rapports commerciaux face à la massification des contentieux, liée à
l’extraordinaire développement de la société de consommation puis à l’état de crise
économique structurelle dans lequel nous évoluons désormais.
Par ailleurs la diversité des systèmes et la particularité des règles qui président à la mise
en œuvre de la justice, depuis la saisine du juge jusqu’au prononcé et à l’exercice des
voies de recours rajoutent me semble t-il à la difficulté d’appliquer dans un Etat, une
décision rendue dans un autre Etat.
Ainsi se comprend aisément la nécessité, mieux la pertinence du thème proposé à la
réflexion de tous dans une époque où de plus en plus l’on sent une sorte de dynamique
propre à la judiciairisation de l’exécution.
Deux écueils méritent d’orès et déjà d’être évacués. Le premier tient à ce que ces
quelques développement ne visent que les décisions justice , mettant hors champ les
décisions émanant d’autres instances non étatiques mais qui ne soient pas des

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juridictions au sens d’instances chargées de vider les différends et dont les décisions
s’imposent aux parties (Sentences arbitrales, accord de médiation, compromis etc.)
Car en effet et en pareille occurrence, des instruments juridiques existent afin de régler
les problèmes posés par les sentences rendues à l’étranger (Convention de New York de
1958).
Le second écueil, résulte de ce qu’il sera essentiellement fait allusion aux décisions
émanant des contestations civiles, commerciales ou prud’hommenales, à l’exclusion du
contentieux pénal qui lui, obéit à un régime d’exécution propre.
L’intitulé du thème suggérera le cheminement de notre exposé qui s’articulera sur la
reconnaissance des décisions étrangères (I) avant d’examiner leur mise en œuvre ou
exécution au sein des Etats(II).
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1. NOTION
En règle générale, les jugements étrangers (on peut y ajouter à juste titre les sentences
arbitrales et les actes publics) constituant titres exécutoires ne peuvent devenir
exécutoires, plus exactement ne peuvent trouver application au sein d’un autre Etat
qu’après avoir subi le contrôle de l’autorité judiciaire et notamment l’apposition de
l’
exéquatur, c’est –à –dire la reconnaissance par un juge de leur caractère exécutoire en
cet Etat.
En d’autres termes, cette procédure permet de donner force exécutoire à une décision
ou un acte déjà exécutoire dans son pays d’origine.
Concrètement chaque Etat précise dans sa
le code
d’organisation judiciaire) les conditions, la procédure et la juridiction compétente pour
statuer sur les demandes en reconnaissance et en exequatur les décisions judiciaires et
actes publics étrangers.
législation (généralement
A ce sujet, MATADI NENGA, écrit : « Les jugements, arrêts et ordonnances sont revêtus de
la formule exécutoire. Les jugements rendus à l’étranger (sauf convention internationale)
n’obtiennent la force exécutoire qu’au terme d’une procédure d’
exequatur conduite devant
le Tribunal de Grande Instance (…)
» (MATADI NENGA, Droit Judiciaire privé, Bruyant,
2006, P. 550, n°614) ;
L’auteur poursuit, les jugements étrangers soumis à l’exequatur et rendus exécutoires en
République Démocratique du Congo sont des titres exécutoires.
Il va de soi que cette reconnaissance obéit à une procédure réglée par la législation
interne de l’Etat exécutant.


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2. CONDITIONS DE VALIDITE ET PROCEDURE
A l’instar de plusieurs autres législations, la loi organique du 11 avril 2013 portant
organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire en
République Démocratique du Congo prévoit en son article 119 que «
les décision des
juridictions étrangères sont rendues exécutoires en République Démocratique du Congo,
selon le cas, par les tribunaux de grande instance, les tribunaux de commerce et les
tribunaux de travail, si elles réunissent les conditions ci – après :
1° Qu’elles ne contiennent rien de contraire à l’ordre public congolais ;
2° Que d’après la loi du pays où les décisions ont été rendues, elles soient passées en force
de chose jugée ;
3° Que, d’après la même loi, les expéditions produites réunissent les conditions nécessaires
à leur authenticité ;
4° Que les droits de la défense aient été respectés ;
5° Que le tribunal étranger ne soit pas uniquement compétent en raison de la nationalité
du demandeur ».
L’article 121 de la loi prérappelée dispose : « Les actes authentiques en forme exécutoire
qui ont été dressés par une autorité étrangère sont rendus exécutoires en République
Démocratique du Congo par les tribunaux de grande instance aux conditions suivantes :
1° Que les dispositions dont l’exécution est poursuivie n’aient rien de contraire à l’ordre
public congolais.
2° Que d’après la loi du pays où ils ont été passés, ils réunissent les conditions nécessaires à
leur authenticité
».
L’article 509 du code de procédure civile français précise à cet égard que les jugements
rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont
exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la
loi.
Il convient de préciser écrit RENE LAUBA, que pour bénéficier de l’exequatur, la décision
étrangère ne doit pas heurter la conception française de l’ordre public international. Tel
est le cas lorsque cette décision n’est pas motivée, à moins que les pièces de fond et de
procédure (conclusions ou comptes rendus de débats), ne viennent suppléer cette
motivation défaillante. Cette exigence est la garantie que la partie condamnée à
l’étranger a bénéficié d’un procès équitable (lire RENE LAUBA, Op.cit, P.37).
La cour de cassation française a jugé qu’un jugement interprétatif de la décision dont la
reconnaissance est demandée peut suppléer l’absence de motivation à condition qu’il ait

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été rendu avant la saisine de juge de l’exequatur (Cass. 1 Civ 22 oct. 2008, n°11- 23-871 ;
JCP G2012, P.2086 n°1231, obs E. Cornet).
Ainsi, dans sa description, l’exequatur d’un jugement étranger n’est pas un acte de
procédure contentieuse à proprement parler au sens que les points de vérification que le
juge doit effectuer rapprochent son acte de celui de l’homologation.
Cependant, et c’est à ce niveau que le problème apparait, au plan de procédure, la
vérification dont allusion ci avant se fait de façon contradictoire au cours d’une audience
publique et pour laquelle les parties concernées sont dûment appelées. La procédure
donne ainsi à l’exequatur un régime mixte.
En effet, la procédure d’exequatur requiert l’assignation de la partie contre laquelle on
veut exécuter.
Au reste, l’exequatur est accordé en forme d’un jugement dont l’exécution doit en toute
logique être poursuivie.
2. DE L’EXECUTION DES JUGEMENTS D’EXEQUATUR
Revêtu de la forme exécutoire, le jugement étranger reconnu par la juridiction de l’Etat
exécutant constitue un véritable titre exécutoire.
Il importe de savoir que, la formule exécutoire n’est pas à elle seule suffisante pour
l’exécution. Elle doit, en outre, être notifiée par voie de signification aux personnes
contre qui l’exécution sera poursuivie. Il arrive cependant que la décision soit exécutoire
au seul vu de la minute, sans que l’on ait besoin de lever l’expédition et de signifier la
décision. En tel cas, la décision est exécutoire dès le prononcé.
En somme, le jugement exéquaturé est exécuté comme tout jugement émanant des
juridictions de l’Etat dans lequel l’exécution est poursuivie. Ceci implique que le
bénéficiaire peut mettre en œuvre tous les mécanismes prévus dans l’arsenal juridique
dudit Etat, en l’espèce recourir aux voies d’exécution forcée en cas d’inexécution
volontaire, notamment par le biais du greffe ou l’huissariat selon le cas.
Il apparait utile de signaler à ce stade que les décisions de justice et les actes
authentiques rendus ou établis dans un Etat membre de l’Union Européenne, sont
reconnus et exécutés dans les autres Etats membres, selon un régime simplifié adopté à
l’origine par la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, laquelle se trouve
aujourd’hui remplacée par le règlement (CE) du 22 décembre 2000 (n° 44/2001)
dénommé règlement Bruxelles I.
Selon les articles 32 et suivants de ce règlement, les décisions rendues en matière civile
et commerciale dans un Etat contractant, sont reconnues dans les autres Etats
contractants, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure.

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Le règlement, à l’article 34, dresse la liste des vices faisant obstacle à la reconnaissance
de certaines décisions.
Selon les articles 38 et suivants dudit règlement, les décisions rendues exécutoires,
peuvent être mises à exécution dans les autres Etats, après y avoir été revêtues de la
formule exécutoire sur requête de toute partie intéressée.
Il convient de signaler toute fois que ce règlement du 22 décembre a été refondu par le
Conseil de l’Union Européenne de 6 décembre 2012, dans un but de simplification et
d’accélération des procédures. Il doit supprimer la procédure de déclaration constatant
la force exécutoire d’une décision dans un autre Etat membre. Ainsi, selon le nouvel
article 39, une décision rendue dans un Etat membre d’origine, elle le sera dans les
autres Etats membres sans déclaration. Les autorités d’exécution de l’Etat membre
requis devront donc exécuter la décision étrangère sur simple communication d’une
copie de celle- ci si elle réunit les conditions nécessaires pour en établir l’authenticité
ainsi qu’un certificat attestant de son caractère exécutoire délivré par la juridiction
d’origine.
Il appartient dès lors au débiteur souhaitant contester la régularité de la décision
étrangère et partant son exécution, d’intenter un recours dans l’Etat d’exécution qui ne
sera pas suspensif. Le règlement résultant de la refonte doit commencer à s’appliquer
deux ans après son entrée en vigueur (lire G. CINIBERTI, La Réforme du règlement
Bruxelles I, Dr et Proc 2013, P. 26).
CONCLUSION
Les développements qui précèdent ont pu sans doute vous faire sentir et comprendre les
problèmes que soulèvent la reconnaissance et l’exécution des décisions étrangères,
lesquelles relèvent du droit international privé. Bien plus, il importe d’attirer l’attention
sur le fait qu’une telle reconnaissance se bute souvent à un obstacle majeur : la
conception de l’ordre public de l’Etat en charge d’apposer l’exequatur, si tant est que
cette notion est bien contingente et même fuyante.
De même, il convient que le rôle du juge soit bien circonscrit dans l’exercice de cette
sorte de contrôle juridictionnel d’une décision rendue par le juge de fond, vidant une
contestation.
Il se doit à cet égard de rappeler fermement aux parties, qu’il ne constitue en aucun cas
une voie de recours parallèle leur permettant de vider de sa substance la décision de
justice.
Concrètement, le juge de l’exécution se doit d’apporter une réponse judiciaire qui tient
compte de ses exigences posées en refusant de remettre en cause le titre exécutoire .Il
ne peut en pareille occurrence, ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert
de fondement aux poursuites, ni à suspendre l’exécution (si ce n’est pour l’octroi d’un

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délai de grâce), car son rôle est essentiel dans l’aménagement de la décision de justice
pour un contrôle à priori, souple et évolutif.
Comme l’on peut s’en apercevoir, entre la remise en cause du titre et l’aménagement de
son exécution, la frontière est tenue et la tentation du juge sera parfois grande de
franchir le Rubicon qui sépare le paradoxe de la contradiction.
Ce qui précède s’observe dans la pratique à travers l’analyse des stratégies judicaires
des acteurs de ce contentieux (avocats, parties, huissiers, administration, etc.) qui
tentent parfois de passer sensiblement de l’aménagement à l’ajustement puis à
l’effacement du titre exécutoire.
Bâtonnier KAYUDI MISAMU Coco


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