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Revue Interventions économiques
Papers in Political Economy 
64 | 2020
Épistémologies des Suds
La production de connaissance en sciences sociales
en Tunisie. Circularité des savoirs ou réaffirmation
des frontières épistémologiques ?
The Production of Knowledge in Social Sciences in Tunisia. Circularity of
Knowledges or Reafirmation of the Epistemological Borders?
Paula Durán Monfort
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/interventionseconomiques/10856
DOI : 10.4000/interventionseconomiques.10856
ISSN : 1710-7377
Éditeur
Association d’Économie Politique
Édition imprimée
ISBN : 1710-7377
Référence électronique
Paula Durán Monfort, « La production de connaissance en sciences sociales en Tunisie. Circularité
des savoirs ou réaf
rmation des frontières épistémologiques ? », Revue Interventions économiques [En
ligne], 64 | 2020, mis en ligne le 01 mai 2020, consulté le 13 mai 2020. URL : http://
journals.openedition.org/interventionseconomiques/10856 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
interventionseconomiques.10856
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La production de connaissance en
sciences sociales en Tunisie.
Circularité des savoirs ou
réaffirmation des frontières
épistémologiques ?
The Production of Knowledge in Social Sciences in Tunisia. Circularity of
Knowledges or Reafirmation of the Epistemological Borders?
Paula Durán Monfort
1. Introduction
1
2
L’impact des mouvements sociaux dans les différents pays arabes, et notamment en
Tunisie, a influencé de manière importante la pratique et la production scientifique
conduite par les chercheurs sur leurs propres sociétés. La nouvelle situation créée par
la révolution sociale qui a bouleversé le pays en décembre 2010 et qui a ouvert une
nouvelle étape historique ayant engendré de nombreux changements sur les plans
politique, économique, social et culturel, conduit à une réflexion -dans le champ
académique et scientifique-, qui pose la question de savoir si les paradigmes existants,
les catégories analytiques et les perspectives théoriques en sciences sociales,
permettent de comprendre ce processus de transformation que vit la société.
L’article que nous présentons1 cherche à aborder cette question en reliant le débat
actuel avec la réflexion présente au sein des Universités tunisiennes au long de
l’histoire contemporaine, sur le caractère universel de l’anthropologie ou de la
sociologie, et l’hégémonie de la connaissance occidentale qui se construit au sein de ces
disciplines et leur pertinence pour l’analyse ou l’étude de sociétés, comme la
tunisienne, éloignées du contexte original de production de la connaissance.
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La question se pose de savoir si la spécificité des différentes réalités exige l’utilisation
de paradigmes théoriques endogènes pour que certains secteurs intellectuels du pays
acquièrent une compréhension correcte de celles-ci. Des éléments qui permettent
d’approfondir le processus de construction du savoir tunisien et entrevoir la
dialectique établie entre l’influence épistémologique de l’Occident et la recherche de
référents identitaires pour comprendre la dynamique sociale propre au pays.
4 Cette recherche, fondée sur une méthodologie collaborative, se base sur les échanges
avec des enseignants et chercheurs de différentes universités et centres de recherche
du pays et sur la réalisation de participations observatrices dans différents espaces
scientifiques. Les résultats de la recherche mettent en évidence les différents
positionnements épistémologiques et méthodologiques existants pour repenser les
sciences sociales dans le champ académique tunisien. Des propositions comme
l’indigénisation des savoirs ou les théories voyageuses s’érigent pour revendiquer une
décolonisation épistémologique qui peut être articulée depuis le Sud, pas seulement
d’un point de vue géographique, mais aussi métaphorique et surtout positionnel
(Santos, 2011 : 16), comme nous allons le voir dans les pages suivantes.
5
L’investigation a été réalisée à l’Université de Tunis au sein du projet « SPRINGARAB.
Social mouvements and mobilisation typologies in the arab spring » (2013-20162), dirigé par le
professeur Aissa Kadri de l’Université de Paris 8.
2. Les sciences sociales modernes. Un universalisme
abstrait pour aborder les réalités à partir d’un non-
lieu ?
6 Cette réflexion place d’une manière dichotomique l’universel et le particulier et fait
référence à la «
monoculture de l’échelle dominante » dont parle Santos (2006 : 25). Une
dialectique relationnelle selon laquelle le global et l’universel sont hégémoniques, alors
que le particulier et le local ne comptent pas, ils sont invisibles et sont reconnus
activement comme absents. Cette approche, qui a été une constante dans le processus
de construction des sciences sociales modernes, est devenue un élément constitutif du
champ académique et scientifique tunisien depuis la colonisation.
7 Pour pouvoir comprendre ce processus, nous devons faire référence à l’articulation des
formes modernes de connaissance, qui ont été construites à partir de l’exercice
politico-intellectuel qui catégorise la différence par rapport à l’Europe et la transforme
en inégalité. De cette manière, la réalité sociale hétérogène se polarise en paires
classificatoires, comme le signale Hanafi (2004 : 19). Dans cette perspective
dichotomique, le Sud construit manquait d’entité sans son Nord, l’Orient n’existait pas
sans l’Occident, la modernité disparaissait sans la tradition... Tous les «
autres »,
représentés de façon homogène et de manière abstraite, se convertissaient par
conséquent en une ontologie qui ne possédait d’entité qu’en opposition dialectique à un
«
nous », qui s’érigeait toujours en centre politique et épistémologique.
8 Cette représentation a été élaborée sur la base d’un modèle dualiste de la connaissance
(Santos, 2006) fortement influencé, comme le souligne Restrepo (2016 : 61), par l’«
asepsie scientifiste » qui a dominé la production et la circulation de l’épistémè moderne,
où l’objectivité et la neutralité deviennent des éléments nécessaires pour sa validité
scientifique. Sa garantie se centrait alors sur la différenciation et la distance construite
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entre le sujet cognitif et l’objet de connaissance, à partir de l’application d’une méthode
scientifique, qui devait renoncer à toutes les particularités contextuelles.
9 Cette frontière méthodologique, devenue un élément fondateur des sciences sociales
modernes, a été établie sur la base de l’invisibilité de la localisation spatiale de l’énoncé
et de la construction de la connaissance, articulée dans l’occultation du
corps-politique
du sujet qui parle
(Grosfoguel, 2006 : 22). L’image théologique du Deus absconditus ou du
« panoptique » de Foucault, soulevé par Castro-Gómez (2005 : 18), illustre cet
imaginaire selon lequel «
l’œil inquisiteur » qui observe se place sur une plate-forme
neutre où il ne peut pas être observé. De cette manière, l’eurocentrisme, qui a permis
l’institutionnalisation et la construction du corpus théorique des disciplines telles que
l’anthropologie et la sociologie de manière autobiographique (Santos, 2003), s’érigeait
sans l’existence d’un sujet énonçant, à partir d’un «
non-lieu » qui brouillait la
positionnalité d’où la connaissance était construite (Restrepo et Rojas, 2010 : 139). Un
exercice qui rend possible la conception de la connaissance occidentale comme étant
universelle et épistémiquement supérieure et qui, par conséquent, permet de
délocaliser la théorie produite dans le Nord global pour la transplanter dans les sociétés
du Sud (Grosfoguel, 2011).
10 Cette perspective limitait la remise en question des principes méthodologiques et
épistémologiques qui régissaient le logocentrisme occidental et joua par conséquent un
rôle fondamental dans la consolidation des structures de pouvoir, en objectivant une
option idéologique déterminée qui, convertie en un régime de vérité, réussit à
naturaliser les relations de domination.
11 Le caractère central de la rationalité scientifique occidentale devenait ainsi un modèle
totalitaire (Santos, 2003 : 65), unique, monolithique ; un régime de vérité qui par
conséquent refusait l’état de connaissance de toutes ces expressions ou manières
d’interpréter le monde qui se retrouvent situées et positionnées depuis un point
épistémologique précis, particulier, et qui de plus, sont produites à partir de
rationalités sociales et culturelles différentes (Walsh, 2007).
12 Cependant, à partir de la perspective critique et des études féministes se propose une
rupture avec cette perspective hégémonique de la connaissance. C’est ce que Haraway
(1995) appelle
« la connaissance située », qui repose sur l’explicitation du « lieu où les gens
habitent, pensent et parlent
» (Mignolo, 2003 : 233). Cela signifie accepter que « le moi qui
connaît est partiel dans toutes ses facettes, jamais fini, ni total
» (Haraway, 1995 : 331) et que
c’est dans ce caractère partiel que réside l’objectivité. Une objectivité qui n’est plus
légitimée par la dissimulation du «
sujet connaissant », comme le défendait le projet
positiviste moderne. De ce point de vue, l’objectivité apparaît inversement liée à la
neutralité, puisqu’elle est maximisée par l’engagement que les chercheurs adoptent
envers les valeurs participatives et émancipatrices des connaissances qu’ils produisent
(Harding, 1997 : 25).
13 Un processus que nous proposons d’analyser, articulé entre le Nord et le Sud, l’Occident
et ses «
autres » sociétés et que nous voulons concrétiser à partir du processus de
construction de la connaissance des disciplines sociales en Tunisie.
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3. La construction de l’« altérité européenne » et la
science coloniale
14 Pour comprendre le débat qui se produit actuellement dans le monde universitaire
tunisien, nous devons examiner l’influence du contexte historique sur le processus de
construction du savoir. Celui-ci se centrera d’abord sur le contexte colonial, pour
ensuite aborder l’indépendance du pays et le processus de construction nationale,
fortement influencé par le paradigme développementiste. Comme nous le verrons, les
années 80 et la crise de la sociologie arabe anticipent des nombreux éléments présents
dans la réflexion collective qui a lieu actuellement sur les sciences sociales.
15 Au XVIIIe et XIXe siècle, l’« altérité européenne », représentée par les sociétés d’Amérique
latine, d’Afrique ou d’Asie, est construite depuis ce continent en partant de la catégorie
de race, qui établit les différences culturelles de différents groupes humains sur la base
de facteurs biologiques ou phénotypiques. Des différences qu’articulent des taxonomies
hiérarchiques de population et place donc «
l’autre » dans une position d’infériorité qui
«
naturellement » lui correspondait (Mignolo, 2003). Cela permet de légitimer de manière
discursive et théorique le processus «
nécessaire » de colonisation.
16 Dans le contexte du Maghreb, et influencé par le désir de domination de la métropole
française, un débat intense a lieu à cette époque pour identifier le nombre de races qui
peuplent la région
3. Malgré les difficultés que rencontre la communauté scientifique
française pour parvenir à un consensus sur les divisions de population existantes, on
propose de reconnaître les Arabes et les Berbères, dont les différences biologiques se
basent sur reflètent leurs modes de vie. (Thomson, 1993 : 19).
17 Au début du XXe siècle, on propose de rechercher les similitudes entre les différentes
races de l’Empire, unifiant la diversité construite sous un nouveau concept qui
uniformise et homogénéise cette altérité dans une entité unique,
l’« indigène » (Boëtsch
et Villain-Gandossi, 2001 : 19). Cette représentation
exotisante de l’« autre » se construit
aussi liée avec l’«
Orient éloigné ».
18 Une élaboration dans laquelle l’orientalisme a joué un rôle très important, conçu
comme un «
style de pensée fondé sur la distinction ontologique et épistémologique établie
entre l’Orient et l’Occident
» (Said, 2002 : 21-22). Un pouvoir qui légitime donc la
soumission de l’«
Orient » à partir d’un élément représentationnel qui constitue presque
«
une invention européenne » (Said, 2002 : 19) et qui explicite le lieu que celui-ci occupe
dans l’expérience de l’Empire. Une construction qui reflète la hiérarchie des positions
et sa subordination, puisque la stratégie de l’orientalisme, dit Said (2002 : 27), a
toujours « dépendu de la supériorité qui place l’Occident devant une série complète de relations
possibles avec l’Orient, sans jamais perdre son avantage
»4.
19 Les expositions coloniales et les zoos humains, réalisés dans différentes villes
européennes au cours de cette période, ont eu un impact très important dans
l’élaboration de cet imaginaire, qui ne s’est pas seulement articulé de manière
politique, mais également dans l’espace coloquial (Blanchard, Bancel et Lemaire, 2001 :
48). Ces expositions constituaient des manifestations publiques de l’infériorité de l’«
autre », de ces sociétés « non civilisées », qui, maintenant domestiquées par la
colonisation, légitimaient idéologiquement l’impérialisme (Bancel, Blanchard, Boëtsch,
Deroo et Lemaire, 2004 : 12).
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20 Et ce seront précisément les théories anthropologiques qui guideront ce discours et le
regard colonial (Mahfoudh-Draoui, 1988-1989 : 261). Colonna et Brahmi (1976)
montrent la relation qui existe entre la science et ce processus de domination. La
connaissance des colonies est alors développée pour une meilleure exploitation de
celles-ci, ce qui permet de mieux répondre aux désirs du pouvoir politique et de la
métropole : «
qui n’avaient d’autre but que de connaître afin de mieux dominer » (Ferchiou,
1976 : 69).
21 L’approche maghrébine ne se produit pas à partir de la spécificité historique et
culturelle que ces sociétés possèdent pour la compréhension de cette réalité et de leur
dynamique sociale, sinon à partir de la conception linéaire du progrès qui met la
science au service des objectifs évolutifs et civilisateurs du pouvoir colonial (Rivet,
1984 : 96). La science coloniale produit donc une connaissance réductrice, fragmentaire
et simpliste du Maghreb qui ne permet pas de comprendre la diversité sociétale de la
région (Bentahar et Bouasla, 1998 : 44). Said (2002 : 31) affirme que, dans le contexte de
la modernité, les sciences sociales ont occulté les conditions et le contexte politique qui
ont produit la connaissance, dans une prétendue objectivité et neutralité, mais qu’elles
ont néanmoins exercé «
le pouvoir de narrer, ou d’empêcher que d’autres histoires se forment
et émergent à leur place
» (Said, 1996 : 13).
4. La sociologie et son institutionnalisation dans le
champ académique tunisien dans le contexte
postcolonial
22 Dans ce contexte, nous abordons le processus d’institutionnalisation des sciences
sociales en Tunisie après l’indépendance (1956). Celui-ci repose sur le développement
d’une discipline comme la sociologie
5, qui est fondée selon Melliti (2014 : 167), sur un
principe d’opposition et n’est pas basé sur un projet commun qui confèrerait une
identité à la discipline. Son articulation est rattachée en opposition aux éléments qui
ont défini la science coloniale, telles que l’orientalisme et l’anthropologie en raison de
sa relation avec le projet colonial, comme l’ont souligné plusieurs chercheurs tunisiens
(Kerrou, 1991 ; Zghal, 2008 ; Mahfoudh-Draoui, 1988-1989 ; Ben Salem, 2004).
23 La centralité de la sociologie dans le champ académique tunisien correspond également
à la recherche d’une discipline qui reflète la triade constitutive de la scientificité
moderne. En ce sens, le positivisme -comme paradigme fondateur de cette discipline
sociale- cautionne dans cette perspective la production d’une connaissance
politiquement neutre et fortement impliquée dans la construction d’une «
nouvelle »
science, qui soit «
objective » et associée au changement que doit vivre la société (Ben
Salem, 2004 : 82 ; Rhani, 2008 : 38), ce qui en fait un instrument essentiel de la «
décolonisation » (González Castillo, Lavanchy, Rhani et Truchon, 2008).
24 Dans ce cadre, « se développer »6 devient un problème fondamental et un élément
articulateur du moment exceptionnel que vit le pays après l’indépendance. L’objectif
politique se focalisait par conséquent sur le passage d’une société traditionnelle à une
société moderne et technologique. Ce projet était articulé en rapport à une certaine
forme de dualisme reconstruit qui plaçait la tradition qui «
caractérisait » les sociétés
dites « sous-développées » dans le pôle négatif de la modernité, les transformait en « non-
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modernes » (Restrepo et Rojas, 2010 : 18), et dans ce cas-là « la modernité impliquait le rejet
de nos traditions
» (Zghal, 1989 : 223).
25 Une conception qui conduira par le biais de ses élites à une réforme radicale du pays, en
octroyant le rôle principal à l’État, qui devient un initiateur, un guide et l’opérateur
principal du changement (Siino, 2004 : 29). Bien qu’il bénéficiera également du soutien
et de l’engagement des chercheurs qui, dans les années 60, vont se centrer sur une
approche de la réalité non pas à partir de leur propre regard, mais à travers «
l’œil
vigilant de l’État
» (Madoui, 2007 : 159). Dès lors, on fera appel aux sociologues pour la
réalisation d’études répondant aux intérêts politiques du pays sur la base du «
support
indispensable
de la politique d’intervention systématique où s’engagent les planificateurs du
Développement
» (Filali, 1964 : 5).
26
Il s’agit donc, d’une science engagée (Zeghidi, 1976) dans le processus de construction
nationale (Kerrou, 1991) qui se fonde sur la lutte contre le «
sous-développement », qui
deviendra le centre des préoccupations intellectuelles de l’époque. Dans ce contexte les
sociologues tunisiens sont devenus des chercheurs «
responsables », engagés envers les
préoccupations de la classe politique et de la société (Zghal, 2008 : 118-119). L’étude de
cette société se produit alors dans le but de réduire les obstacles propres aux
institutions et qui limitent son accès au développement et à la modernité (Ben Salem,
2009 : 126), ce qui fera du changement social un objet d’étude privilégié, conçu comme
un outil qui doit permettre un accès progressif et irréversible à la modernité (Melliti et
Mahfoudh-Draoui, 2009 : 130).
27 Cette perspective produite à nouveau une approche scientifique de la réalité du
Maghreb, non pas en elle-même, mais en relation avec les différences qu’elle soulève
par rapport au modèle occidental, comme le souligne Samandi (2000). Dans ce sens,
Rhani (2008) avance que cette sociologie se construit en s’éloignant des sociétés qu’elle
étudie. Dans cette perspective apparaît une réflexion sur la surdétermination de la
théorie positiviste et aussi marxiste dans l’approche de la société tunisienne après
l’indépendance, qui met en avant le déterminisme économique des problèmes sociaux
et laisse de côté d’autres aspects, notamment les facteurs culturels (Amri, 2007 : 22-23).
Ainsi, à partir des années 80 les chercheurs remettront en question ces paradigmes
théoriques, car ils ne permettent pas de répondre ou de donner des solutions aux
questions soulevées par la nouvelle conjoncture historique (Zghal, 1989) et demandent
qu’ils soient compatibles avec la «
spécificité culturelle des sociétés arabes » (Zghal, 1974 :
18).
28 Une revendication qui se concrétise par la demande « d’indigénisation des sciences sociales
dans le contexte du monde arabe » comme le dit Zghal (2000 : 98), qui est articulée dans le
cadre du Congrès constitutif de l’Association arabe de sociologie réalisé en 1985 en
Tunisie et qui répond à la crise que traverse la discipline. Un espace de réflexion qui
permet l’émergence des différentes positions liées à la revendication de «
légitimité de
l’identité
» (Melliti, 2014 : 170) par rapport à la science.
29 Dans le débat, la première position propose la reconnaissance de l’universalité de la
discipline et sa contribution à ce contexte mondial à partir de la particularité que
présente le monde arabe. Une deuxième proposition, en rupture avec la précédente,
soulève l’importance du contexte socioculturel dans la production d’un savoir
endogène, qui rejette les théories, concepts ou méthodologies élaborés à partir du
contexte occidental hérité du passé colonial. L’arabisation ou l’islamisation des sciences
sociales sont alors érigées en projets épistémologiques et politiques, fondés sur une «
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identité commune » (Roussillon, 2002 : 194), ce qui d’une part renvoie à Ibn Khaldoun
pour penser les sociétés arabes dans leur propre langue sur la base de concepts et de
théories construites à partir de leurs propres dynamiques sociales (Melliti, 2011 : 131) ;
et d’autre part, et plus minoritaire, de reconnaître le caractère exceptionnel de l’Islam
et des sociétés musulmanes, comme le préconisent Akbar S. Ahmed et Mahmoud
Dhaoudi (Zghal, 2000 : 100-109).
30 Cependant, la critique existante ne favorise pas la promotion d’une production
théorique endogène plus importante, qui élaborerait une connaissance au Maghreb et
sur le Maghreb (Kerrou, 1991). La rupture avec le passé colonial, défendue par la
sociologie développementiste, a impliqué au contraire la perpétuation de l’hégémonie
scientifique occidentale qui «
renvoyait à ces sociétés le miroir de la science coloniale »
(Rousillon, 2002 : 194). Il se produit par conséquent, comme le signalent González
Castillo, Lavanchy, Rhani et Truchon (2008 : 124), une continuité qui reproduit
paradoxalement les effets indésirables de la colonisation.
31 L’influence de la métropole dans le champ académique et scientifique tunisien se
maintient donc après l’indépendance et perpétue la dépendance épistémologique, mais
aussi linguistique qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.
5. La révolution sociale tunisienne : une nouvelle
époque pour les sciences sociales ?
32 Nous allons maintenant aborder ce débat dans le contexte historique qui a produit la
révolution. L’auto-immolation de Mohamed Bouazizi
7, est considérée comme
l’événement déclencheur de la mobilisation sociale en Tunisie en décembre 2010
(Béchir Ayari, 2011). Grâce aux réseaux sociaux qui ont rapidement diffusé
l’information (Bendana, 2014), la population a propagé son indignation dans tout le
pays sous forme d’actes de protestation, qui progressivement sont arrivés jusqu’à la
capitale, provoquant une explosion sociale qui marquera la fin du gouvernement de
Zine El Abidine Ben Ali, président du pays depuis 1987.
33 L’une des premières questions qui s’est posée portait sur l’imprévisibilité d’un
évènement comme la révolution qui, au départ, a pris par surprise les analystes du
monde entier (Kilani, 2014). Cette incrédulité se centre surtout sur le fait que la
population s’est transformée en un acteur politique ayant la capacité de se mobiliser et
une force suffisante pour produire une transformation sociale et politique, qui était
scientifiquement impensable (Béchir Ayari, 2011).
34 Cependant, des auteurs tels que Kempf (2011) expliquent que la transformation
démocratique des sociétés comme la société tunisienne, imperceptible aux analystes et
chercheurs qui interprétaient les dynamiques sociales du Maghreb ou des autres
sociétés arabes «
d’en haut », se produisait silencieusement depuis un certain temps, à
travers les pratiques individuelles de résistance ayant lieu au quotidien, même si elles
n’adoptaient pas les formes classiques de l’action revendicative en politique (Hibou et
Khiairi, 2011).
35 Ce contexte a donc permis la conversion accélérée de la résistance individuelle,
quotidienne et silencieuse en actions de revendication collective, qui d’une manière
visible s’expriment et se développent dans l’espace public. Cela suppose la construction
du sujet pluriel et l’assomption de l’auto-conscience politique qui reconnaît et qui se
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reconnaît dans la diversité ou dans la pluralité d’identités qui la constituent.
Différentes voix représentant la société coopèrent dans un objectif commun (Kilani,
2015), la lutte contre l’injustice et l’humiliation (Hibou, 2011) à travers la revendication
de la dignité.
36 Cette mobilisation a créé une brèche dans l’oppression exercée par l’État du point de
vue de l’histoire contemporaine, et a ouvert la voie vers l’émancipation, vers la
possibilité de penser la société autrement, comme le signale Kilani (2014 : 9) : «
L’occasion m’était offerte, comme à tous, de redéfinir mon appartenance citoyenne à la Tunisie,
en même temps que de mettre à contribution ma discipline, l’anthropologie, en vue de
comprendre les bouleversements auxquels nous assistions […]. Que dire de ce moment
exceptionnel où une société entière s’apprête à fonder un nouveau contrat entre ses membres ?
».
37 Le contexte révolutionnaire a ainsi positionné les chercheurs et les universitaires
tunisiens, en tant qu’acteurs d’un scénario collectif dans lequel ils ont joué un rôle
important dans le dialogue avec la société civile et dans le processus de transformation
que connaît actuellement le pays (Hanafi, 2019). Les institutions académiques ne sont
pas éloignées des conditions sociales, politiques, culturelles et économiques qui
secouent la région, comme le soulignent Hanafi et Aravanitis (2015). Au contraire, elles
sont impliquées dans la production de connaissances qui leur permettent de
comprendre l’avenir de leurs propres sociétés et de développer des recherches qui
s’inscrivent dans «
l’agenda » mondial (Hanafi et Aravanitis, 2015).
38 Le nouveau scénario permet alors de réfléchir aux répercussions de la révolution sur
les pratiques de recherche ou sur le positionnement que les chercheurs ont adopté
depuis 2011. Le débat se centre sur l’ampleur de cette transformation et son influence
sur l’évolution que vivent les institutions, sur le changement des paradigmes, les
nouveaux objets d’étude, les nouveaux outils méthodologiques, les changements
relatifs au terrain ou à la transformation des populations et de la demande sociale
(Dakhlia, 2016a). Des éléments que nous aborderons plus en profondeur dans la section
7, non sans d’abord expliquer les réflexions épistémologiques et l’approche
méthodologique que cette recherche a impliquée.
6. Réflexions épistémologiques sur la méthodologie
utilisée dans la recherche
39 La participation au projet de recherche « SPRINGARAB. Social movements and mobilisation
typologies in the arab spring », qui a eu lieu dans différents pays situés dans l’espace euro-
méditerranéen (2013-2016), a comporté la réalisation d’un séjour de recherche à
l’Université de Tunis pour aborder le processus de construction de la connaissance au
sein des sciences sociales dans le champ académique et scientifique du pays et leur
relation aux plans de la formation et de la recherche avec le contexte européen et
occidental dans une perspective historique, et dans le cadre des événements qui se
déroulaient alors dans le pays.
40 En parallèle, ce processus a demandé une réflexion épistémologique qui visait à aborder
la conception ou l’articulation de la recherche, dans une perspective critique qui
remettait en question les relations de pouvoir pouvant s’établir dans ce contexte et
proposait donc de repenser le rôle que nous jouons en tant que chercheurs et la
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relation qui s’établit entre les personnes participants à la recherche. Des éléments qui
sont également présents dans le débat académique et scientifique tunisien et qui
occupent les lignes de cet article.
41 Dans cette perspective, il semblait intéressant de s’interroger sur ce qu’impliquait, pour
un chercheur venant du sud de l’Europe, le fait de mener à bien une recherche en
Afrique du Nord, alors que l’universalisme-particularisme des connaissances était un
élément important à étudier. Aborder également comment la différenciation entre le
sujet et l’objet de la connaissance s’estompait dans le cadre de cette recherche, puisque
l’
« objet de l’étude » - l’Université tunisienne et son personnel enseignant- s’articulait en
même temps comme sujet chercheur. Ou comment le fait que tous les participants
appartiennent à l’Université, comme institution fortement hiérarchisante et
légitimante d’une connaissance scientifique hégémonique, nous plaçait au Nord
positionnel, même si en interne il pouvait y avoir une diversité de lieux d’où construire
la connaissance.
42 Ces questions mirent en évidence l’importance qu’avait pour l’auteure le fait de
pouvoir transcender ces formes binaires de production de la connaissance,
constitutives de la méthodologie moderne, qui légitimait la scientificité en fonction
d’une différenciation claire entre le chercheur et la population étudiée, comme
taxonomie classificatrice héritière du positivisme et reproductrice des rapports de
pouvoir. Dans ce contexte il est important de chercher d’autres méthodologies plus
participatives qui permettraient de repenser la recherche et de briser les hiérarchies en
reconnaissant que toutes les personnes sont des sujets de pensée et d’action.
43 À partir de ce positionnement épistémologique, on comprenait la recherche
scientifique comme un espace de réflexion. Cela impliquait l’effacement des approches
dichotomiques, la réaffectation des rôles et des lieux de tous les acteurs dans le
processus de recherche, pour proposer, à partir des différentes subjectivations, la co-
construction de regards, de discours et de connaissances sur la réalité sociale que nous
nous proposions d’étudier.
44 La formulation d’un processus de co-recherche permettait donc la participation active
de tous les acteurs dans cette réflexion et dans cette interprétation. Un espace de
rencontre inter-subjectif où les Suds et les Nords représentés, sur la base de
positionnements horizontaux, se diluaient et dialoguaient dans l’idée qu’il est possible
de produire une interconnaissance (Santos et Meneses, 2014).
45 Selon Dietz et Álvarez Veinguer (2004), il s’agit d’un élément caractéristique de
l’ethnographie collaborative, la méthodologie employée pour mener à bien notre
recherche. Cette méthodologie proposait donc la re-signification de l’étude sur le
terrain en tant qu’espace dans lequel toutes les personnes qui font partie du processus
co-théorisent entre elles (Rappaport, 2007).
46 Pour ce processus, le développement de l’« écologie des savoirs » (Santos, 2006) se révèle
important, entendue comme un dialogue entre les différents épistèmês reconnus, qui
dans le travail de terrain, s’est déroulé à travers des espaces de discussion qui ont eu
lieu de manière dialogique avec trente-quatre professeurs, chercheurs et étudiants de
différentes disciplines, dont la sociologie, l’anthropologie, l’histoire ou la géographie,
appartenant aux institutions universitaires tunisiennes ou aux centres de recherche en
sciences sociales du pays ou des organismes étrangers ; telles que la Faculté des
Sciences Humaines et Sociales (Université de Tunis), l’Institut Supérieur des Sciences
Humaines (Université de Tunis el Manar), l’Institut National du Travail et des Études
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Sociales de Tunis (Université de Carthage), la Faculté des Lettres, des Arts et
d’Humanités (Université de la Manouba), la Faculté des Lettres et des Sciences
Humaines (Université de Sfax), le Centre d’Etudes et de Recherches Economiques et
Sociales de Tunisie, la Fondation Temimi pour la Recherche Scientifique et
l’Information, l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain, l’Institut des
Belles Lettres Arabes, l’Association Tunisienne de Sociologie et l’Association Tunisienne
d’Anthropologie sociale et culturelle.
47 L’observation participative a également été utilisée, mais dans ce cas elle a été
transformée en participation observatrice (Jacorzynski, 2004). Il s’agit d’une technique
qui privilégie la participation en tant qu’élément important dans le cadre de
l’ethnographie collaborative et qui s’est développée dans différents espaces d’échange
scientifique comme les réunions, les rencontres, les congrès ou les séminaires,
organisés de manière périodique dans les centres académiques ou de recherche du pays
et qui ont abordé la réflexion sur plusieurs thématiques liées à la révolution et à ses
rapports, par exemple, avec la perspective de genre, le rôle et la trajectoire des élites
politiques, le rôle des disciplines sociales telles que la sociologie, le rôle des
intellectuels arabes ou la possibilité de construire un projet collectif futur après le
changement politique.
48 La consultation de sources secondaires s’est principalement centrée sur des articles et
textes élaborés sur le sujet d’étude dans le contexte des sciences sociales tunisiennes et
du Maghreb. Pour l’analyse de la littérature scientifique de cette région du monde
arabe, nous avons trouvé intéressant d’établir également un dialogue avec la
production théorique élaborée à partir de l’Amérique latine, qui partage certaines
réflexions ayant trait à la production de connaissances, principalement autour du passé
colonial et la dépendance épistémologique vis-à-vis de l’Occident.
7. Repenser les sciences sociales dans le nouveau
cadre politique et social. Quels sont les défis
épistémologiques qui se posent ?
49 Dans ce contexte de transformation qu’elle est en train de vivre, la Tunisie après les
mobilisations de 2010, se pose plusieurs questions sur le champ académique et
scientifique du pays qui centrent la réflexion sur la pertinence des sciences sociales,
leurs paradigmes et outils méthodologiques servant à aborder la situation historique
que vit la société. Le nouveau cadre surgi de la révolution invite donc à la réflexion sur
la question de savoir si effectivement, cet évènement a créé les conditions nécessaires
pour repenser les perspectives théoriques de ces disciplines sociales à partir d’autres
lieux épistémologiques
8 :
« N’est-il pas légitime aujourd’hui, après que les sociétés arabes aient montré leur capacité
d’agir, que leurs élites ambitionnent “une science extraordinaire”, selon la qualification de
Kuhn, et ce en dépassant “la science ordinaire”, tout en s’ouvrant sur une rupture théorique
construisant un nouveau paradigme, celui de la révolution ?
» (CRASC, 20149).
50 Un des éléments qui se pose dans la réflexion collective est de savoir si ce contexte
social, politique ou historique demande une vraie «
rupture épistémologique » (Mignolo,
2003). Boukraa avance que le mythe de la révolution permet de créer cette fracture et «
appelle une nouvelle approche, de nouveaux concepts qui restent à créer. Et qui doivent
instaurer des liens entre l’émotionnel et le rationnel, entre le mythe et la raison
» (2014 : 14).
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Une rupture qui, pour quelques auteurs, ne devrait pas seulement se produire dans une
perspective historique, mais aussi avec les modes de pensée et d’actions occidentaux
(Santos, 2014), ce qui conduit à remettre en question le caractère hégémonique et
universel des sciences sociales modernes, comme l’illustre la phrase suivante :
Nous avons donc finalement tout un savoir européen, principalement occidental.
Même s’il y avait un savoir local, celui-ci a été construit à une certaine époque, dans
une certaine culture. Mais ce n’est pas ce savoir qui constitue pour nous une
référence pour construire les Sciences sociales. Or justement, nous nous sommes
rendu compte au fil du temps, après avoir digéré ce savoir - je l’ai moi-même
inculqué à mon tour à mes étudiants - que nous sommes imbibés de celui-ci. Et c’est
aussi ça le changement. Le fait qu’il y ait une certaine rupture épistémologique. […]
Nous nous sommes rendu compte à un certain moment […] que ce savoir nous
empêche de penser correctement notre société, de nous comprendre nous-mêmes
et notre société. D’où ce désir de vouloir créer la rupture épistémologique avec ce
savoir. Vous allez me dire, qu’est-ce que je reproche à ce savoir ? Nous reprochons
principalement une chose, à savoir cette propension européocentrique. […] Arrive
la révolution tunisienne. Et qu’a-t-elle créé cette révolution ? Justement, elle a créé
les conditions de cette rupture épistémologique pour nous. En d’autres termes, les
scientifiques tunisiens essayaient de créer les conditions nécessaires, mais
n’arrivaient pas à la faire comprendre, à la faire s’imposer. Maintenant, quand le
peuple a fait sa révolution, il a imposé la rupture épistémologique. C.-à-d. que nous,
chercheurs, nous étions soutenus par l’action du peuple (E5 : Homme, Université de
Tunis).
51 Cette « nouvelle porte de l’histoire » (Ben Achour, 2018) qu’a écrite la révolution ouvre
donc une étape qui invite à l’émergence d’une nouvelle épistémologie des sciences
sociales. Cependant, selon Dakhlia (2016b), les visions et approches produites par ce
contexte sont des résultats et des héritages ou des stratégies que la société a acquises
tout au long de l’Histoire pour penser sur elle-même. C’est pourquoi en dépit de la
volonté de rupture, «
l’histoire plus que jamais s’invite à sa table » (Grangaud, Messaoudi et
Oualdi, 2014 : 10), comme en témoigne l’intervention qui suit :
Q : Et dans le contexte historique et politique en Tunisie, j’étais dans un colloque où
on parlait de la sociologie tunisienne en disant qu’elle n’a pas actuellement les
outils méthodologiques et théoriques pour comprendre, expliquer et analyser les
dynamiques sociales qui sont en train de se produire ici en Tunisie. Est-ce que tu
crois que ce débat-là est pertinent pour faire avancer la recherche ici ?
R : Pour commencer, je ne crois pas à cette idée de rupture. Il n’y en a pas et on ne
peut pas la faire. Qu’est-ce qu’il faut faire ? Tout effacer et recommencer à zéro ? Ça
n’a pas de sens. Mais faire en sorte que ces théories et ces concepts soient adaptés,
faire en sorte de développer des outils spécifiques, ça oui. Mais du jour au
lendemain rompre avec tout cet héritage scientifique occidental, il me semble que
c’est insensé (E34 : Homme, Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis).
52 Dans ce contexte, le débat sur la relation théorique de dépendance existant en Tunisie
par rapport au champ scientifique occidental demeure un des éléments de continuité
après le changement politique :
Je pense que ce débat n’est pas nouveau. Je pense qu’il existe depuis très longtemps.
Même au temps qui a fait partie des […] premiers du CERES qui ont participé au
rayonnement de la sociologie dans les années 1960-70. Il a fait d’excellents travaux,
mais nous devons maintenant réfléchir à la manière d’appliquer des catégories
scientifiques en faisant référence aux lieux où ces catégories scientifiques ont été
inventées et de ne pas les appliquer. Ces questions datent quasiment de la création
des sciences sociales elles-mêmes et depuis que l’anthropologie et la sociologie
existent je pense que ces questions ont intéressé les gens. Pour ma part je pense
qu’il faut réfléchir à ces catégories […]. Par exemple, j’ai la chance de pouvoir lire
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en anglais. Difficilement, mais cela me permet d’avoir une ouverture différente.
Pour moi c’est intéressant, utile et c’est indispensable pour que je puisse
comprendre ce que j’observe. Pourquoi ? Parce que sinon je suis enfermée dans de
vieilles références […] et dont je reste l’esclave tout au long de ma vie pour
comprendre la réalité sociale d’aujourd’hui (E12 : Femme, Université de Tunis).
53 L’influence historique des sciences sociales européennes, comme nous l’avons vu dans
les paragraphes précédents, a déterminé son héritage et sa présence dans l’Université
tunisienne en tant qu’institution et dans le processus de construction de la
connaissance dans le cadre des différentes disciplines sociales dans lesquelles se
forment les étudiants ou les chercheurs. La relation par rapport à l’altérité scientifique
et académique tunisienne a été une constante qui articulait la discussion autour de la
dépendance épistémologique par rapport à l’Occident et la recherche de l’autonomie
théorique dans le champ scientifique arabe (El Kenz, 2005). Un débat qui polarise
initialement le champ académique entre ses défenseurs et ses détracteurs, bien que,
comme nous le verrons plus en profondeur ci-dessous, cette dichotomie positionnelle
reflète une plus grande pluralité de perspectives existantes.
8. De l’universalisme au particularisme des Sciences
sociales tunisiennes dans le contexte de la révolution
54 L’« universalisme européen » (Wallerstein, 2007), converti en modèle hégémonique et
régime de vérité limite le questionnement d’une production théorique occidentale
délocalisée et globale, et comme le propose Kilani (2014), constitue un obstacle
important pour le développement de modèles alternatifs, comme on le voit ici :
Q : Est-ce qu’il y a un rapport entre le savoir tunisien et le savoir dit universel ?
R : Oui. Moi-même en tant que professeur j’enseignais les principaux paradigmes de
la sociologie et les principaux référents théoriques que sont surtout Bourdieu, Alain
Touraine, etc., et on ne peut travailler que par rapport à eux (E33 : Femme,
Université de Tunis).
Quel est le rôle, dans ce cas, de la science ? De vérifier ce concept. Il y a parfois des
concepts en contradiction avec la réalité universelle applicables à la réalité
tunisienne. Donc on peut vérifier si ce concept est applicable à la réalité sociale et
économique tunisienne. Mais il y a parfois des concepts en contradiction avec la
réalité tunisienne. Je vous donne un exemple, que je vérifie dans ma thèse. Le
concept de centre - périphérie de Samir Amin et des auteurs marxistes. C’est un
concept qui peut être vérifié en Tunisie. Que j’ai vérifié en Tunisie puisqu’il y a une
domination d’un centre sur une périphérie. Il peut donc être considéré comme un
concept universel (E1 : Homme, Université de Tunis).
55 Le défi posé par quelques chercheurs est comment adapter alors les concepts ou
théories produits dans ce contexte exogène et qui par conséquent se construisent par
rapport à une dynamique sociale ou une expérience différente de la propre réalité
tunisienne. C’est une problématique qui reflète la tension existant entre l’universel
historiquement constitué et les géographies localisées où elle se développe (Luste
Boulbina, 2013a) comme cela est mentionné ci-dessous :
Le problème c’est la manière de penser et de se penser. Et ce travail
épistémologique n’a pas encore commencé d’une manière organisée et consciente,
qui entre dans le cadre d’un projet de connaissances […]. J’ai écrit un livre […]
pendant les évènements. J’avais compris que pour penser la révolution il faut
prendre connaissance et utilisé les connaissances “matérielles”, savantes. […].
J’avais commencé par une phrase d’Eric Hobsbawm, l’historien qui avait décrit la
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Révolution française en 1789 comme s’il parlait de la révolution tunisienne.
D’ailleurs, dans la première rencontre avec le groupe j’ai enlevé “révolution
française” et j’ai mis dans la phrase de Hobsbawn “révolution tunisienne”. J’ai tenté
dans le piège à mes collègues et j’ai lu le texte en remplacent le terme “révolution
française” par “révolution tunisienne” et tout le monde a dit c’est exactement ça,
c’est la révolution française. Et c’est à ce moment-là que les problèmes
épistémologiques ont commencé. C’est-à-dire comment se débarrasser […] de l’idée
de révolution telle qu’elle est produite par l’Occident ? (E2 : Homme, Université de
Tunis).
56 Cette perspective reproduit, selon Rhani (2014), la théorie du transfert écologique, qui
implique de «
faire passer quelque chose d’un lieu à un autre » (Luste Boulbina, 2013a : 3).
Une frontière symbolique se crée alors, différenciant l’espace extérieur qui le sépare de
l’intérieur en relation à la construction épistémologique, et produit une pensée
abyssale qui fracture la réalité sociale en deux univers : «
l’univers de “ce côté de la ligne”
et l’univers de “l’autre côté de la ligne” qui disparaît en tant que réalité tangible
» (Santos
2014 : 21).
57 Le premier se présente comme lieu de production de la connaissance, représenté par le
Nord occidental, alors que le second constitue un espace de consommation passif de
celle-ci, qui à titre de cette recherche serait concentré dans le contexte de la Tunisie en
tant que Sud positionnel. Un raisonnement déductif qui part des théories universelles,
construites dans une perspective macro et pour l’approche d’une réalité micro et
particulière. Cette perspective constitue toujours une origine articulée comme centre
du pouvoir-savoir, et anticipe une trajectoire linéaire unidirectionnelle qui culmine
avec l’importation de concepts, de théories ou de paradigmes construits à partir de la
centralité dans les multiples périphéries, comme en témoigne le récit ci-dessous :
Pour moi, concernant la question théorique des référents de la sociologie, on ne
peut pas trouver dans le monde arabe des sociologues ayant produit des théories,
mis à part d’Ibn Khaldoun. Tous les départements -je parle du Maroc, de l'Algérie,
de la Tunisie et même du Liban, que je connais- ont des références occidentales. […]
C'est normal. Le problème c'est qu'il y a une dépendance de la pratique des
enseignants. […] Quand on regarde les programmes d'enseignements on voit qu'ils
sont très proches de ceux de la France. En première année c'est l'initiation à la
sociologie, c’est-à-dire la genèse de la sociologie, théorie 1 et 2, etc. On commence
par Auguste Comte, Saint Simon, etc… […]. Après ils seront les fondateurs : Émile
Durkheim, Max Weber, Karl Marx, George Simmel… En deuxième année c'est la
partie des classiques […] le Structuralisme, fonctionnalisme. Puis en troisième
année on passe aux spécialités, c'est-à-dire le travail/développement et la culture/
communication, puis nous traitons des spécialités les plus pointues en sociologie
[…]. J'ai enseigné depuis quatre ou cinq années en France et je ne trouve pas des
différences entre les deux rives, entre la France et la Tunisie (E13: Homme,
Sociologue, Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis).
58 Cet « universalisme positiviste qui autorise une transposition naïve des outils épistémologiques
» (Samandi, 2000 : 77) simplifie alors la dynamique sociale complexe et entrave la
compréhension de la réalité en utilisant des catégories sociales exogènes, qui ne
surgissent pas du contexte d’application, comme cela fut le cas dans d’autres périodes
historiques. Cette prévalence d’études théoriques au détriment d’études plus
empiriques sur la réalité sociale, comme le reflète le discours qui suit, limite la
connaissance profonde des sciences arabes (Rhani, 2014) :
Q : Est-ce que vous pensez que pour construire une sociologie tunisienne le travail
de terrain est important ?
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R : Absolument. Avec la révolution et tout ce qu’il s’est passé, nous avons appris
qu’en fin de compte nous ne connaissons pas très bien nos sociétés. Bien sûr c’est
l’extrême qui est apparu (E33 : Femme, Université de Tunis).
En ce qui concerne la production scientifique, prenons le champ américain. Ce sont
des personnes empiriques. Ils sont contraints de produire chaque jour des
paradigmes et des théories parce que l’Université et les champs du savoir sont
tellement articulés avec la société que celle-ci est devenue là-bas un vecteur de
changement. Et c’est le terrain qui produit quotidiennement ces théories. Et une
fois qu’elles ont été créées et testées là-bas on va ensuite les retrouver dans des
livres […]. Que sommes-nous en train de faire ? (E4 : Homme, Université de Tunis).
59 D’autres perspectives proposent de déconstruire l’universel et revendiquent le lieu de
production de la connaissance et la spécificité culturelle, d’où se construit la
connaissance, comme en témoigne le récit qui suit :
Donc le suicide n’est pas suicide. Il y en a plusieurs. Le travail de Durkheim est très
important et très scientifique, mais il ne me semble pas qu’il n’y en ait qu’une seule
forme. Le suicide en Tunisie n’est pas le même qu’en France. C’est en lien avec une
autre question, peu posée celle-ci, qui est celle de l’objectivité scientifique.
Personnellement il me semble que l’objectivité dans les sciences humaines n’est pas
la même que l’objectivité des sciences exactes. Et je pense qu’il faut réellement faire
cette distinction, comme Weber, entre les sciences de la nature et les sciences de la
culture, pour aller vers des études plus spécifiques en sociologie. L’objectivité, sur
le plan académique, doit aussi poser ce genre de questions théoriques pour avoir
des résultats sur le plan pratique qui révèlent le contexte et les spécificités sur
lesquelles nous travaillons. […]. Il me semble bien qu’il y a des terrains spécifiques,
et par conséquent des travaux et des résultats spécifiques (E34 : Homme, Institut
Supérieur des Sciences Humaines de Tunis).
60 Castro-Gómez (2007 : 89) fait référence à l’importance de descendre du point zéro et de
reconnaitre que l’observateur s’insère dans ce qu’il observe. Cette approche propose de
se resituer épistémologiquement dans la relation avec les théories et méthodes qui
proviennent d’Europe, en même temps qu’il existe une volonté d’autonomie dans la
construction de la connaissance. Une «
connaissance située » (Haraway, 1995) qui se pose
la question de : Comment déconstruire l’influence épistémologique ? Comment partir
du particulier pour produire cette connaissance ?
61 Dans ce contexte de révolution, l’indigénisation du savoir s’érige comme un projet
intellectuel différencié qui se fonde sur la volonté d’autochtonie, l’autoreprésentation
et l’auto-préservation (Masolo, 2014 : 522), comme cela est indiqué dans le discours
suivant :
Notre expérience nous a mené petit-à-petit à développer une petite théorie,
approche, méthodologie. Encore une fois ce n’est pas extraordinaire, mais nous
sommes contents de notre avancée. Nous sommes conscients d’être en train
d’avancer, mais nous avons également conscience du chemin qu’il nous reste à
parcourir. […]. Nous avons essayé d’arriver à un résultat, une idée que nous avons
appelé l’indigénisation du savoir (E5 : Homme, Université de Tunis).
62 Cela constitue un appel à la rénovation épistémologique, qui se construit à partir de la
catégorie coloniale «
indigène ». Une catégorie qui prétend se re-signifier, transcendant
sa construction dualiste indissoluble du colonial, pour se convertir en une catégorie de
savoir qui reflète une position située et liée à la frontière (Hénia et Melliti, 2014). Et
c’est à partir de la frontière que la différence coloniale épistémique devient visible
(Mignolo, 2014) et produit une pensée à partir des marges dans la recherche de
l’émancipation.
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63 C’est cette démarche qu’avait déjà entreprise Zghal (2000) dans les années 80, comme
nous l’avons précédemment indiqué. Une revendication qui est liée à la demande d’une
décolonisation de la connaissance (Khatibi, 1983) et qui propose la nécessité de penser
la société tunisienne dans la langue d’origine, à partir de perspectives théoriques et
méthodologiques créées de manière endogène qui permettent aux chercheurs sociaux
de comprendre leur propre réalité sociale :
Généralement ils ont tendance à croire que la production scientifique en sociologie
écrite en langue non-arabe est une production qui est loin de donner une vraie
connaissance de la société. Ce sont des connaissances produites à l’étranger par des
étrangers, dans des langues étrangères, avec des cadres d’analyse et des méthodes
étrangers et qui ne sont pas en adéquation avec la réalité. Réalité qui est assez
spécifique du point de vue de la société, consolidation des institutions, idéologie
dominante, nature des rapports sociaux, etc. (E20 : Homme, Institut Supérieur des
Sciences Humaines de Tunis).
Q : Si vous écrivez en anglais c’est pour toucher un public plus élitiste, comme les
savants de l’université, les intellectuels ? Et si vous écrivez en arabe est-ce que c’est
pour plutôt toucher la société ? Ou bien cela n’a rien à voir ?
R : […] Si j'écris dans d’autres langues, si je participe à ce genre de débats avec des
collègues c'est parce que je leur dois ce que j'ai appris en sociologie, parce que
d'autres chercheurs intelligents ont travaillé, ont produit de la connaissance et
m'ont appris pour que je réagisse et que je continue leur travail. Ça c'est humain,
c'est universel. Et si j'écris en langue arabe, c'est parce que j’ai un but, un projet. Je
pense que ce projet de produire de la connaissance dans sa propre langue est
faisable (E2 : Homme, Université de Tunis).
64 Un positionnement qui revendiquerait le privilège de l’autochtonie pour l’approche de
la propre réalité sociale (Melliti, 2011) et qui affirme que les chercheurs locaux sont
mieux positionnés pour la connaissance de leur propre société par rapport aux
chercheurs étrangers (Hénia et Melliti, 2014).
65 Toutefois, différents auteurs indiquent les limites de cette perspective étant donné le
manque de travaux empiriques existant sur les sociétés du Maghreb (Rhani, 2014), et la
difficulté pour construire de nouvelles perspectives théoriques (Kerrou, 1991), qui
soient endogènes et libres d’influences étrangères. Différents auteurs ont centré leurs
critiques sur l’essentialisme culturel et sur une rhétorique épistémologique qui
demande à être questionnée, comme l’indique Rhani (2014) :
Moi je ne suis pas du tout dans cette optique idéologique, dans cette indigénisation
du savoir. Pour moi le savoir ne peut être qu’international. La recherche aussi (E9 :
Homme, Université de la Manouba).
66 Au sein de ce projet épistémologique, une autre proposition fait référence à une
position méthodologique adoptée par tout chercheur qui, indépendamment de son
origine, analyse comment les objets sont construits (Hénia et Melliti, 2014). Il s’agit de
comprendre les sociétés de l’intérieur,
« renoncer à la proposition méthodologique de
Durkheim, qui conseille de traiter “les faits sociaux comme des choses”, pour adopter la
proposition méthodologique de Geertz qui recommande de “voir les choses du point de vue de
l’indigène” »
(Zghal, 2008 : 127-128), comme le reflète ce récit :
Bref, voilà la conclusion à laquelle nous sommes arrivés concernant
l’indigénisation : c’est la manière de dépasser tout ethnocentrisme. Même
l’européocentrisme s’en trouve démystifié. Nous n’allons pas nous focaliser dessus.
L’ethnocentrisme, où qu’il se trouve, en Europe, au Maghreb, en Amérique, est un
danger pour le savoir. Et donc, le meilleur moyen pour vaincre cet ethnocentrisme
est d’indigéniser le savoir. Partir de l’intérieur, partir des acteurs locaux. Cela ne
veut pas dire que nous ne sommes pas ouverts au dialogue. Au contraire, nous
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critiquons la critique, nous décomposons cette théorie, toujours en gardant à
l’esprit les catégories d’acteurs locaux, la manière de voir et en les prenant au
sérieux. (E5 : Homme, Université de Tunis).
67 Dans ce sens, le travail de terrain devient une stratégie méthodologique indispensable
pour la production de la connaissance sur la société, qui réduise la fracture entre la
connaissance produite dans l’académie et la réalité sociale, comme cela est indiqué
dans le discours suivant :
La bonne solution c’est aller faire du terrain. Je pense que c’est ça qui peut nous
aider à créer ces outils théoriques, conceptuels, méthodologiques. […]. C’est
vraiment la recherche scientifique, aller sur le terrain et travailler sur place. On en
fait très peu parce qu’on travaille de manière individuelle. Comme des amateurs. Il
n’y a pas d’institution ou de collectif qui travaillent ensemble pour faire tout ce
travail de recherche. Et ce n’est pas un travail individuel. Donc il faut qu’il y ait un
groupe qui travaille de manière institutionnelle pour faire ressortir ces outils. Oui,
je suis pour. C’est vrai la science est universelle, mais dans les sciences humaines
aussi il y a des spécificités sociales. Donc je crois qu’appliquer de manière
systématique des concepts et outils scientifiques occidentaux sur une société
différente n’est pas très efficace. On reste toujours sur l’apparence, sur les grands
faits. Mais, pour les détails, il est vrai que les concepts occidentaux n’arrivent pas à
les faire ressortir. Il faut qu’il y ait des outils spécifiques pour aller en profondeur,
vers les détails (E34 : Homme, Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis).
68 Bien que la première perspective de ce projet épistémologique alternatif mette l’accent
sur une plus grande légitimité des chercheurs arabes pour la connaissance de leur
propre société, des auteurs comme Rachik (2005) ou Lakhassi (2005) déconstruisent ce
postulat, en expliquant que l’appartenance au contexte d’étude ne confère pas un statut
culturel avantageux ni favorise, a priori, une meilleure approche de la réalité, comme
cela est indiqué ci-dessous :
C’est vrai. Mais ce sont des problèmes qu’il faut prendre pour ce qu’ils sont. C.-à-d.
que ce sont des problèmes de différence de ressources, de moyens. Des gens qui
sont appuyés par des politiques. Mais il ne faut pas mélanger les registres, le
scientifique et les autres. Je pense justement qu’il faut être conscient des
différences. Bien sûr qu’il y a des effets, mais nous devons faire plus attention, non
pas à la sincérité des chercheurs, mais sur ce qui en ressort. Je crois
personnellement qu’il y a des gens en Europe qui produisent à partir de ces lieux
qui sont encore plus conscients que nous des enjeux de nos propres pays et la
qualité de l’hégémonie du savoir se passe là-bas avant d’arriver ici. Ici la critique se
fait d’une manière idéologique et primaire alors que là-bas elle se fait plus
scientifique (E9 : Homme, Université de la Manouba).
69 Cette question énonce, selon Guellouz (2006), que ce contexte de révolution suppose la
réflexivité par rapport à la pratique et à la propre position du chercheur par rapport à
la recherche et au terrain. Elle renvoie aussi à Romani (2008) qui s’interroge sur la
manière dont ce positionnement politique et épistémologique, dans un contexte de
recherche en conflit tel que celui des Territoires palestiniens, implique la
reconnaissance de la responsabilité du chercheur vis-à-vis de son sujet d’étude.
9. La circulation des savoirs et les théories
voyageuses
« Il y a un demi-siècle Léopold Sédar Senghor a convoqué le monde dans un lieu de
rassemblement pour donner et recevoir. Peut-il y avoir aujourd’hui dans le monde un lieu
pour donner et recevoir ?, s’interroge Wallerstein. Peut-il y avoir un universalisme qui ne
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soit pas européen, mais universel (ou global) ? Ou plutôt : qu’est-ce qu’il faudrait, au XXIe
siècle, pour atteindre un monde où ce ne soit pas l’Occident qui donne et le reste qui reçoive,
où l’Occident ne se couvre pas du drap de la science et ne relègue pas le reste aux peuples
dotés d’un tempérament plus “artistique/émotionnel” ? Comment pouvons-nous atteindre
un monde dans lequel tous donnent et reçoivent ?” C’est-à-dire un monde auquel nous
pouvons tous contribuer positivement
» (Gimeno Martín, 2008 : 251)10.
70 La question qui se pose est comment déconstruire l’approximation dichotomique qui
articule le processus de construction de la connaissance scientifique qui oppose de
manière auto-excluante l’universalisme au particularisme, le centre à la périphérie, ou
différencier le lieu de production de la connaissance de celui de sa consommation ?
71 Dans ce contexte, Kienle (2010) fait référence à la mobilité constitutive des sciences
sociales et à la capacité de ces disciplines à transcender les zones géographiques et
disciplinaires, ainsi que les contextes socio-historiques qui les ont générées.
Néanmoins, la mondialisation, tout en rationalisant ce processus de circulation des
théories, des objets et des méthodes, renforce en même temps les frontières
académiques et interdisciplinaires entre le Nord et le Sud et les processus de
domination déjà vécus dans le passé.
72 Pour dépasser les échelles qui élaborent des hiérarchies dans les modes de penser la
société, Santos (2006) propose l’«
écologie de la trans-échelle », qui peut se développer,
comme on le voit ci-dessous, dans le contexte de la recherche inter ou transnationale,
comme possibilité d’estomper la fracture entre le Nord et le Sud académique :
Q : Alors il est impératif d’être le créateur de ce réseau d’échange entre les
Universités et les chercheurs ?
R : Tout à fait, parce que les réseaux de chercheurs existent, mais, encore une fois,
ils sont un peu anciens dans leur conception. Mais il faut que ça bouge et je suis
sûre qu’il y a là-dedans une solution. Parce que cette fracture ne peut pas durer.
Elle existe dans les têtes, entre le nord et le sud de Méditerranée quoi qu’on dise.
Elle existe et les politiques sont complètement fous, complètement repliés sur eux-
mêmes et obnubilés par les problèmes de sécurité alors qu’il y a des solutions qui se
trouvent dans la culture des gens, dans leurs compétences, dans leur envie de
communiquer, dans les besoins et les richesses qu’on peut trouver chez les uns et
chez les autres (E15 : Femme, Université de la Manouba).
73 Cette perspective propose d’estomper les trajectoires unilinéaires de voie unique pour
tracer des itinéraires circulaires qui transcendent les formes dualistes de la
connaissance, où le centre du savoir-pouvoir se fragmente et génère diverses multi-
localisations d’où produire de la pensée. Ce positionnement reconnaît que les idées, les
concepts et les théories voyagent, comme l’affirme Said (2015a, 2015b), ce qui constitue
une condition instrumentale de la vie intellectuelle :
« Les concepts circulent, heureusement. Autrement nous serions cantonnés à des cadres
spatio-temporels bien limités. Nous sommes contraints d’utiliser les concepts forgés par les
autres. D’abord, parce que nous ne sommes pas tous des Geertz, Durkheim ou Appadurai ;
ensuite parce qu’aucun de nous ne peut travailler sur tous les thèmes (droit, religion,
parenté, langage, politique, etc.) partout dans le monde (Amérique, Afrique, Australie,
Europe, etc.) ; enfin parce que la pluralité des lectures anthropologiques renferme une
grande partie de la richesse de la discipline
» (Achour et Melliti, 2014)11.
74 Cette « circulation des savoirs » (El Kenz, 2005) devient donc une nouvelle forme de
connaissance, ce qui permettrait la reconstitution historique de la pensée
eurocentrique dans le discours politique et scientifique tunisien (Kerrou, 2015), dans un
dialogue constant entre perspectives théoriques différenciées et entre la théorie
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exogène et la théorie et pratique ethnographique endogène. Cette conception
impliquerait une approche de la diversité et de la pluralité des réalités sociales :
Évidemment c’est grâce à ces problèmes et à la manière dont nous les traitons que
notre métier d’anthropologue et notre science se développent et continuent à
exister. Ces problèmes ont été évoqués depuis la création de la discipline en passant
par Bourdieu qui parlait de cette question de réfléchir sur la manière dont on
produisait la science et sur les questions de réflexion qui peut prendre différentes
formulations. Est-ce que ces questionnements sur l’exercice de l’anthropologie
peuvent toutes aboutir au même point ? Je ne crois pas. Je pense qu’elles peuvent
émaner d’endroits différents. Je retrouve des personnes qui se posent les mêmes
questions, mais pour d’autres raisons et qui arrivent à d’autres conclusions. […]. Je
disais que mon ouverture à la lecture de plusieurs articles étrangers m’a aidé à
savoir qu’il n’y a pas que trois catégories analytiques qui peuvent me faire
comprendre ce que je suis en train d’observer. Non, il y en a des dizaines ou des
centaines d’autres. Il m’est donc possible de comprendre ce que je suis en train
d’observer différemment qu’au travers des catégories qui m’ont été imposées soit
par mon parcours personnel - c.-à-d. le laboratoire où je travaillais […], soit par le
cercle scientifique que je fréquentais ici en Tunisie soit par rapport aux lectures
classiques que nous sommes censés lire. Ces lectures m’ont donc permis de
comprendre qu’il existe d’autres possibilités pour comprendre les choses. […]. Ce
sont les lectures de personnes qui ne sont pas forcément connues, qui ne sont pas
arabes ou françaises. C’est presque de l’alter-mondialisme scientifique. Ce sont ces
lectures qui m’ont permis de problématiser mon propos d’une manière qui ne me
rende pas mal à l’aise par rapport à ce que je percevais dans mon travail de terrain.
[…]. Il n’existe pas une seule manière de faire de l’anthropologie et que chacun en
fonction de ses efforts, ses envies, son terrain -toujours par rapport à l’exigence
scientifique de la discipline- peut aboutir à des résultats qui peuvent nous satisfaire
d’un point de vue intellectuel et qu’il existe des différences. Et ce sont ces
différences-là qui m’ont été salutaires (E12 : Femme, Université de Tunis).
75 Une proposition qui émane de certaines sciences sociales relationnelles et dialogiques
(Saillant, Kilani et Graezer Bideau, 2011) et qui reconnait la production épistémologique
en tant que processus long et multidirectionnel (Rhani, 2014), qui efface les «
origines »
et où les concepts et perspectives se reconstruisent à travers l’espace-temps et en
fonction des multiples contextes. Les décontextualisations, les recontextualisations et
les reconfigurations produisent par conséquent la décentralisation intellectuelle et
épistémologique et un bricolage de concepts ou d’idées (Luste Boulbina, 2013a), comme
en témoigne l’histoire suivante :
Que sommes-nous en train de faire ? Du bricolage. Maintenant on ne peut plus
analyser en termes de classes sociales. On ne peut plus analyser en termes de
développement, même classique. On ne peut plus parler de famille étendue ou je ne
sais quoi. Ce n’est plus la famille monoparentale, mais homoparentale. Et c’est un
phénomène que nous allons découvrir ici aussi. Les choses changent donc
beaucoup. Et cela nous pose aussi problème parce que nous sommes en train de
bricoler. Et peut-être qu’avec les évènements actuels en Tunisie les choses vont
changer. Sinon c’est la déconfiture totale. Je pense, et j’espère, que les choses vont
changer parce que nous sommes dans une autre conjoncture, une autre vision, etc.,
et c’est pour produire et articuler le réel (E4 : Homme, Université de Tunis).
76 Ce nouveau paradigme s’insère avec force dans le moment actuel grâce au
développement des nouvelles technologies qui favorisent la circulation et le voyage de
nombreuses idées, discours et savoirs (Landais, 2012). Dans le contexte de la révolution
se produit en Tunisie la coexistence dans l’espace public d’une diversité de discours et
de savoirs non scientifiques qui, diffusés à travers les réseaux sociaux, touchent un
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public plus vaste et répondent plus rapidement à la demande sociale et à l’intérêt
suscité par les évènements qui entourent la révolution et qui demandent des éléments
de réflexion pour la compréhension de la dynamique sociale et politique (Bendana,
2014), ce qui dépasse le monde de la recherche.
77 Cette situation limite l’autorité scientifique qu’avaient autrefois les chercheurs. La
vitesse inhabituelle des faits et la rapidité de la diffusion des événements limitent la
rigueur méthodologique requise par le discours scientifique et objectivant, puisque la
réflexion scientifique ne bénéficie pas du temps nécessaire à son élaboration (Bendana,
2014). De la même manière, l’écriture scientifique se dévalorise en faveur d’autres
formes d’écriture telle que les articles d’opinion (Melliti, 2015), qui touchent un public
plus large :
J’écris entre la Tunisie et la France, ce qui me fait cinq lecteurs par article, entre les
spécialistes et les autres. J’écris un blog, c’est ma façon à moi de sortir de mon trou.
J’aime beaucoup mon métier donc je ne suis pas découragée, mais je ne suis pas lue
ou diffusée. Et ça il faut l’accepter ou du moins pouvoir le vivre. Avec la révolution
j’ai eu l’idée d’ouvrir un blog et je suis contente parce que j’ai multiplié par dix mes
lecteurs, ce qui est très agréable. Ça m’encourage à écrire autrement, à changer, à
évoluer et à m’adresser à un autre lectorat, donc je suis gagnante. Mais les cloisons
sont les mêmes. Quand vous êtes chercheur, il ne faut pas rester dans son coin. Le
problème c’est que le chercheur s’adresse à des spécialistes et il est donc condamné
au cercle auquel il appartient, ce qui est normal. Mais je trouve que quand on est
chercheur et qu’on a peu de lecteurs c’est une occasion de travailler pour aller vers
d’autres lectorats, une audience un peu plus large. Ça peut se travailler à travers la
traduction, ou l’enseignement ou par l’écriture dans des revues de vulgarisation,
dans le sens noble du terme. Moi-même j’essaye ces solutions une à une (E15 :
Femme, Université de la Manouba).
78 Le contexte révolutionnaire a produit, selon Lyotard (1991), un changement dans le
statut du savoir, qui a perdu en narration et qui se transforme ainsi en un savoir
fragmenté qui renonce à une pluralité de langages et de discours. Par rapport à cette
question, Guellouz (2016) considère que le contexte historique d’exception que vit la
Tunisie ne peut pas que remettre en question le scientifique ou le chercheur, étant
donné qu’ils occupent en tant que sujets cognitifs une place de pouvoir et de détention
du savoir. On parle alors de démocratisation du savoir. Et c’est un élément important si
l’on considère la manière dont l’Université s’est érigée traditionnellement en «
lieu
privilégié de la production de connaissances
» (Castro-Gómez, 2007 : 81).
79 La polyphonie occupe de cette façon les sciences sociales (Saillant, Kilani et Graezer
Bideau, 2011). La connaissance par conséquent se déterritorialise et c’est pour ça que :
« on a pu imaginer un ciel des idées » (Luste Boulbina, 2013b : 22), un réseau plus vaste des
savoirs qui donne la possibilité d’obtenir une connaissance plus globale qui permet de
se rapprocher et de mieux comprendre le local. La reconnaissance de la pluralité des
connaissances hétérogènes favorise alors l’idée, selon Santos et Meneses (2014), d’une
écologie des savoirs, un dialogue horizontal sans phagocytation.
80 Dans cette perspective, Saillant, Kilani et Graezer Bideau (2011) signalent comment la
coproduction de la connaissance construit un moyen critique de résister à l’hégémonie
de la science occidentale. Une approche qui, selon Luste Boulbina (2013a, 2013b),
s’avère intéressante pour penser la décolonisation des savoirs, qui est conçue comme
une révolution épistémologique puisqu’elle permet de transformer les termes de la
conversation et reconnaître la diversité épistémique (Restrepo et Rojas, 2010).
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10. Quelques réflexions finales
81 Tout au long de cet article, nous avons voulu aborder le débat qui a conduit la
communauté scientifique en Tunisie à prendre position par rapport à la construction
de la connaissance, dans une perspective historique, mais surtout en contextualisant ce
débat dans le moment exceptionnel que vit aujourd’hui le pays.
82 Pour cela, il est important d’examiner comment l’élaboration idéologique de la
domination a eu lieu sous le protectorat français pour légitimer la colonisation et
comment elle s’est centrée sur la représentation d’une altérité coloniale s’articulant à
l’origine sur la base de facteurs biologiques, qui construisaient les taxonomies raciales-
sociales, pour ensuite agglutiner ces différences sous la dénomination exotique d’ «
indigène».
83 Cela reflétait la hiérarchie sociale et la position dominante qu’occupaient les
métropoles européennes, comme le reproduisaient les différentes expositions
coloniales qui, à Londres ou à Paris, représentaient l’infériorisation de la population des
colonies et l’hégémonie de l’Europe. Une construction qui trouve sa légitimation dans
la science coloniale, principalement l’anthropologie, qui vise à une plus grande
connaissance de la population pour une meilleure domination politique et son
exploitation économique.
84 Après l’indépendance du pays, l’institutionnalisation du champ universitaire s’érige
clairement en rupture avec l’idéologie coloniale. Cependant, cet héritage continue à
travers le paradigme développementaliste qui articule le processus de construction
nationale et la production de connaissances dans le cadre d’une discipline telle que la
sociologie, qui se distingue par un engagement clair dans la lutte que le pays doit
mener contre le sous-développement.
85 Dans ce contexte, l’approche du positivisme ou du marxisme pour l’étude des
dynamiques sociales tunisiennes rend difficile la compréhension de cette réalité, qui
demande qu’on reconnaisse sa spécificité culturelle par le champ académique du
monde arabe.
86 La revendication du particularisme, d’une connaissance située à partir d’un lieu -
comme le soutient l’indigénisation des savoirs- anticipe la décolonisation comme
positionnement épistémologique qui demande à être élaboré à partir d’autres espaces
et de manière autonome. La révolution tunisienne exige dans ce sens une rupture
épistémologique en accord avec la transformation vécue par le pays.
87 Le voyage comme forme de connaissance apparaît comme une des alternatives à la
forme hégémonique de production de la connaissance dans un jeu de polyphonies qui, à
partir des Nords fragmentés et décentralisés, anticipent la possibilité d’un dialogue
égalitaire. Depuis les Suds, qui sont aussi Nords, les voix s’élèvent dans le désir de
construire de nouveaux récits pour l’émancipation.
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NOTES
1. Ce texte est une version révisée et augmentée des articles publiés par l’auteure : (Durán
Monfort, 2016a, 2016b).
2. Cette recherche est coordonnée par l’Université Paris 8 et a compté avec la participation des
différentes Universités de l’espace euro-méditerranéen, telles que l’Université de Tunis,
l’Université d’Alger, l’Université de Meknès, l’Universitat Rovira i Virgili, l’Università degli Studi
di Firenze et l’Uniwersytet Jagiellonski.
3. Comme cela est indiqué dans l’étude sur : « La population et les races en Tunisie », publiée par
Bertholon, Louis (1896) en
Étude scientifique de la Tunisie de la Revue générale des sciences pures et
appliquées
, 22.
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4. Traduction réalisée par l’auteure.
5. Des études sur ce sujet existaient déjà à l’Institut des Hautes Études de Tunis (1945), ce qui
implique la poursuite, en même temps que la réappropriation du modèle colonial à l’époque
postcoloniale. En 1958, la section de l’IHET consacrée aux études sociologiques devint l’une des
plus anciennes institutions de l’Université actuelle : la Faculté des Sciences Humaines et Sociales
de Tunis, qui créera le Diplôme de sociologie en 1959 et ouvrira en 1961 son premier
Département de sociologie (Ben Salem, 2009 : 126).
6. L’influence du paradigme développementiste en Tunisie répond au nouveau moment
historique qui s’inaugure au niveau international avec le début de «
l’ère du développement » (Rist,
2013). La clé de ce processus se trouve dans le discours prononcé par le président Truman en
1949, quand il annonce au monde la notion de «
traitement équitable ». Son célèbre point IV
montre la configuration d’un nouvel ordre mondial, qui identifie les anciennes colonies comment
des «
régions sous-développées » et propose leur transformation pour adopter le modèle de société
qui représente le contexte occidental (Escobar, 1996 : 19-21).
7. Mohamed Bouazizi était vendeur ambulant de fruits et légumes. Il s’est immolé à Sidi Bouzid,
une ville du centre du pays, le 17 décembre 2010 dans un acte de protestation contre
l’humiliation subie à la suite de la confiscation de ses outils de travail et de l’agression dont il est
victime aux mains du fonctionnaire municipal lorsqu’il se rend pour dénoncer ce fait (Béchir
Ayari, 2011 : 211-212).
8. Ce qui est révélé dans différents forums académiques et scientifiques, comme le Congrès «
Avenir des sciences sociales dans le monde arabe » qui s’est tenu à Oran le 20-23 mars 2012 ou le
Colloque international «
Les sociologues arabes face aux questions des mutations actuelles » qui a eu
lieu au CRASC le 18-20 février 2014 (Saradouni, 2014 ; Mokeddem, 2016).
9. Argumentaire présenté par le Colloque international : « Les sociologues arabes face aux questions
des mutations actuelles
» réalisé au CRASC, Oran de 18-20 février 2014.
10. Traduction réalisée par l’auteure.
11. Argumentaire de l’atelier présenté par Myriam Achour et Imed Melliti, (2014) : « Les
frontières de la connaissance ou comment circulent les concepts ?
» au Colloque « Mobilité(s) »,
ACSALF, 14 au 17 octobre 2014.
RÉSUMÉS
L’émergence et la consolidation des sciences sociales modernes sont basées sur l’universalisme
abstrait qui identifia, à ses origines, les différentes disciplines sociales, qui furent construites
d’une manière autobiographique (Santos, 2014), en érigeant la spécificité historique et culturelle
européenne de manière hégémonique. Cela a produit « l’invisibilisation de la simultanéité
épistémique du monde » (Castro-Gómez, 2005), qui a fait passer sous silence ces « autres lieux »,
les anciennes colonies de l’Empire comme la Tunisie. Dans ce cadre, l’article présenté vise à
aborder le processus de construction de la connaissance dans le contexte académique tunisien,
dans une perspective historique, mais en analysant aussi les différents positionnements
épistémologiques qui reflètent le champ scientifique actuel, et aussi face à l’«
altérité occidentale »,
dans une actualité fortement marquée par la révolution.
The emergence and consolidation of the modern social sciences are based on abstract
universalism that has identified in its origins the different social disciplines, which have been
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constructed in an autobiographical way (Santos, 2014), erecting historical and cultural specificity
as a hegemonic. This produced “the invisibilisation of the epistemic simultaneity of the world"
(Castro-Gómez, 2005), which ignored these "other places,” former colonies of the Empire like
Tunisia. In this context, the presented article aims to approach the process of knowledge’s
production in the Tunisian academic context, from a historical perspective but also analyzing the
different epistemological positions that reflect the current scientific field, and also facing
"otherness", in a present influenced by revolution.
INDEX
Mots-clés : sciences sociales, universalisme abstrait, décolonisation de la connaissance,
circularité des savoirs, Tunisie
Keywords : social sciences, abstract universalism, decolonization of knowledge, circularity of
knowledge, Tunisia
AUTEUR
PAULA DURÁN MONFORT
Maître de Conférence, Université de Barcelone, España, paula.duran@ub.edu
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