Anis Ladhar
«Liberté d’expression et internet » 
Rapport  de  recherche,  Faculté  de  Droit  de  Sfax, 
2013
1 
« Liberté d’expression et internet » 
 Anis Ladhar 
 Docteur en Droit et maître-assistant à 
                                                                                       l’Ecole Nationale des Ingénieurs de Sfax 
INTRODUCTION 
En  2010,  dans  son  rapport  annuel  sur  la  cyber-censure 1 ,  l’organisation 
internationale  non  gouvernementale Reporters  sans  frontières,  a  répertorié  douze 
pays qu’elle a considérés comme des ennemis de l’internet2. Dans cette liste noire, 
peu glorieuse, figurent quatre pays arabes (la Tunisie, l’Egypte, la Syrie et l’Arabie 
Saoudite).    Curieusement,  sur  ces  quatre  pays  ennemis  d’internet,  trois  ont  connu 
une  révolution.  Paradoxalement,  il  s’avère  que  la  censure  sur  internent  est  non 
seulement  inefficace,  mais  plus  encore,  elle  conduit  à  l’opposé  du    but  escompté. 
Ainsi,  plus  on  limite  la  liberté  d’expression  sur  internet,  plus  la  riposte    des 
personnes assujetties à la censure devient violente.  
En  droit  tunisien,  bien  qu’on  ait  ratifié  des  conventions  internationales 
prônant  la  liberté  d’expression,  tels  que  le  pacte  international  relatif  aux  droits 
civils et politiques3 et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux 
et culturels,  établis par l’ONU en 19664, la liberté d'expression est restée pendant 
longtemps,  lettre morte. À travers un contrôle rigoureux et pernicieux des médias, 
1
2
3
4
Rapport téléchargeable sur  le site fr.rsf.org/IMG/pdf/rapport-france.pdf.
L’internet est un réseau télématique international créé en 1969, qui résulte de l'interconnexion des 
ordinateurs  du  monde  entier  utilisant  un  protocole  commun  d'échanges  de  données  (baptisé 
TCP/IP ou Transport Control Protocol/Internet Protocol et spécifié par l'Internet Society, ou ISOC) 
afin  de  dialoguer  entre  eux  via  les  lignes  de  télécommunication  (lignes  téléphoniques,  liaisons 
numériques, câble). (Pour plus de développement, v. la thèse de Chemseddine Ethani BARNAT, 
« Internet  et  le  droit, contribution  à  la  recherche  d’un  cadre  juridique  adéquat  du cyberespace », 
Thèse de droit, Faculté de Droit et de Sciences Politiques de Tunis, 2010, p. 5). 
Selon l’art. 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, « la liberté d’expression 
comprendra  liberté  de  rechercher,  de  recevoir  et  de  répandre  des  informations  et  des  idées  de 
toute espèce, sans considération de frontière, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique 
et par tout autre moyen de son choix ».  
Ratifiés  par  la  loi    n°  30-68  du  29  décembre  1968 ;  le  Pacte  international  relatif  aux  droits 
économiques, sociaux et culturels  fut publié au Journal Officiel de la République Tunisienne le 29 
novembre 1991 ( JORT n° 81 du 29 novembre 1991, p. 1605).  
2 
le  régime  politique  déchu,  qualifié  d’ailleurs  par  un  auteur  comme  un 
« gouvernement  pirate »5,  a  muselé  cette  liberté.  L’internet  n’a  pas  échappé  à  la 
règle. Un système de filtrage, de surveillance et de censure,  de l’internet a été mis 
en place. À titre d’exemple, une brigade spéciale, composée de plus de 600 cybers 
policiers spécialisés en informatique,  avait pour mission de surveiller la toile6. Le 
système  de  filtrage  et  de  censure,  était  tellement  perfectionné  qu’il  a  fallu  une 
dizaine  de  jours  de  recherche  à  l’équipe  de  sécurité  au  sein  de  Facebook    pour 
comprendre le fonctionnement du système de contrôle tunisien7. Le 3 janvier 2011, 
le pouvoir  politique en place n’a pas hésité à usurper les comptes mail personnels 
de  certains  blogueurs  en  vue  de  prendre  connaissance  de  leur  contenu  et  de  les 
détruire ultérieurement8.  
Cependant,  cet  arsenal  mis  en  place  pour  espionner  et  censurer  les 
internautes, s’est révélé inefficace. À travers des proxys9, les cyberdissidents ont pu 
déjouer  les  pièges  du  système,  parfois  même  au  prix  d’une  arrestation.  Ceux  qui 
avaient  le  courage  de  critiquer     ouvertement  le  régime  politique  sur  internet, 
payaient au prix fort cette audace10. Toutefois, cette obstination cybernétique a fini 
par payer.  Internet,  et notamment   le  réseau  social  Facebook, ont  participé  d’une 
5
6
7
8
9
10
Voir    l’article  de  Salma  KHALED,  « La  cybercriminalité  et  la  révolution  tunisienne »,  p  4. 
Communication  présentée  dans  le  cadre  de  la  Journée  d’étude  sur  «  Internet,  révolution  et 
transition démocratique », 13 avril 2012, consultable sur le site http://droitdu.net. 
Voir « Le Maghreb magazine », n° 6 du 29 février 2012, p. 63.  
Ce  système  consiste  dans    l’infiltration  sur  la  page  Facebook  d’un  mouchard  permettant 
d’enregistrer  l’adresse  électronique  et  le  mot  de  passe  tapé  par  l’internaute  pour  accéder  à  sa 
page Facebook.  
Voir    l’article  de  Salma  KHALED,  « La  cybercriminalité  et  la  révolution  tunisienne »,  p  5.  (Article 
consultable sur le site www.droitdu.net). 
Un serveur proxy (appelé aussi serveur mandataire) est un serveur intermédiaire faisant office de 
passerelle  entre  le réseau d’un  particulier  ou  d’une  entreprise  et  internet.  La fonction  essentielle 
d’un serveur proxy consiste à se placer entre le navigateur et le site visité, de telle sorte que c'est 
l’adresse IP du proxy qui apparaît et non celle du navigateur (V. la thèse de Chemseddine Ethani 
BARNAT,  Internet  et  le  droit,  contribution  à  la  recherche  d’un  cadre  juridique  adéquat  du 
cyberespace, Thèse de droit, Faculté de Droit et de Sciences Politiques de Tunis, 2010, p. 128).  
Tel est  l’exemple de Mohamed Abbou, condamné à trois ans de prison suite à un article critique à 
l’égard du pouvoir politique tunisien, publié sur internet ou du cyber dissident  Zohaïr YAHIAOUI, 
aujourd’hui décédé, et qui a été  honoré en 2003 du premier prix cyber liberté. 
3 
manière directe à la révolution tunisienne, en déjouant la censure, ce qui a permis 
de  relater les événements de la révolution11.   
L’internet,  en  tant  que  réseau  permettant  de  mettre  en  communication  des 
millions  d’utilisateurs  dans  le  monde  entier,  est  un  espace  privilégié  de  liberté 
d’expression  qui  transcende  les  frontières.  Son  caractère  transnational  donne  des 
ailes  à  la  liberté  d’expression.  Aucun  opérateur  ni  Etat  ne    peuvent  maîtriser 
entièrement  cet  espace  « hétérogène  et  sans  cloisonnement    ou  chacun  peut  agir 
librement » 12 .  Il  s’agit  en  fait  d’un  « réseau  polycentrique  (décentralisé)  et 
acentrique  (global),  une  gigantesque  toile  d’araignée  informatique  qui  empêche 
toute  possibilité  de  contrôle  par  une  entité  unique  qui  prétendrait  en  exercer  la  
maîtrise »13.  De  surcroit,  La  vitesse  de  transmission  des  données  sur  Internet  fait 
que ce dernier concurrence les moyens traditionnels de diffusion de l'information, 
en premier lieu la presse écrite.   
Récemment, le 5 juillet 2012, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a 
reconnu,    pour  la  première  fois,  la  liberté  d’expression  sur  internet14.  Cependant, 
cette liberté ne doit pas être sans limite, puisque par définition la liberté est le droit 
de  faire  tout  ce  qui  n’est  pas  interdit  par  la  loi.  Or,  en  l’absence  d’une 
réglementation  spécifique  à  internet  et  en  raison  de  la  facilité  de  l’exercice  de  la 
liberté d’expression sur la toile, on assiste aujourd’hui à des dérives.  
En  Tunisie,  avec  un  nombre  d’utilisateurs    dépassant  les  4  millions15,    on 
assiste  au  déclin  de  la  fracture  numérique  et  à  l’avènement  d’une  «démocratie 
directe » 16 ,  concrétisée  par  la  liberté  d’expression  sur  internet.  En  plus,  avec 
11
12
13
14
15
16
Voir  l’article  publié  au  Figaro le  30  janvier  2011:  Égypte  et  Tunisie  :  «Facebook  ne  crée  pas  la 
flamme» (consultable sur le site www.lefigaro.fr; v. aussi l’article : « Tunisie : Facebook, utile pour 
la révolution, nuisible à la démocratie », publié au site www.rue89.com.  
Voir le  Rapport du Conseil d’Etat français, Internet et les réseaux numériques,  1998, p. 6.  
Arnaud  HAMON,  « Une  approche  de  la  liberté  d’expression  sur  internet »,  Diplôme  d’études 
approfondies en Droits de l’homme et libertés publiques, Université Paris X Nanterre, 2000, p. 6. 
V.  l’article  intitulé  « L'ONU  reconnaît  le  droit  à  la  liberté  d'expression  sur  Internet »,  publié  au 
journal Le monde, du 6 juillet 2012, (consultable au site internet  http://www.lemonde.fr). 
Selon  l’Agence  Tunisienne  d’Internet,  le  nombre  des  utilisateurs  d’internet  est  estimé  à    4,2 
millions d’utilisateurs (V. le site de l‘Agence Tunisienne d’Internet  www.ati.tn).  
Lucien  SFEZ,  « Internet  et  les  ambassadeurs  de  la  communication »,  Le  monde  diplomatique, 
mars 1999, p. 22-23. 
4 
l’émergence  du  web  2.0 17 ,  l’internet  a  gagné  en  simplicité  et  en  interactivité. 
Désormais,  l’internaute  n’est  plus  un  consommateur  passif  de  l’information.   Il 
participe activement à sa création et à sa publication en toute liberté. 
Par  ailleurs,  la  liberté  d’expression  n’est  plus  l’apanage  d’une  élite, 
puisqu’elle  est devenue un luxe  facilement  accessible.  De l’enfant  mineur jusqu’à 
l’adulte    retraité,  l’internet  représente  un  espace  de  liberté  facile  d’accès.  « En 
l’espace de cinq minutes, il est possible de créer son blog (de nombreuses plates-
formes  existent  et  sont  disponibles  gratuitement  sur  le  marché),  alors  qu’avant  il 
était nécessaire de maîtriser le langage HTML  et un outil de création de sites »18. 
Ainsi,  Il  suffit  de  créer  un  blog,  un  forum  ou  une  page  Facebook  pour  pouvoir 
s’exprimer librement avec un moindre risque de   censure. L’internet s’avère ainsi 
une véritable  révolution  en  ce  qui  concerne  la  liberté  d’expression.  « L’accès  aux 
médias traditionnels -presse écrite, radio, télévision- repose sur  des filtres, en ce 
que  n’importe  qui  ne  peut  décider  quand  bon  lui  semble  de  s’y  exprimer.  Mais 
n’importe  quel  internaute  peut,  dès  lors  qu’il  dispose  du  matériel  informatique 
idoine, se projeter à la face du monde »19. C'est « le sacre de l’amateur »20.  
Après  la  révolution  du  14  janvier  2011,  internet  est  devenu  un  espace 
privilégié  de  la    liberté  d’expression.    Le  système  politique  déchu,  connu  pour  sa 
censure  pernicieuse,  a  laissé  place  à  l’absence  quasi-totale  du  contrôle  de 
l’internet21. De la chape  de plomb, on est passé à la transparence du verre.  Or, le 
revers  de  la  médaille,  c'est  que  l’internaute  tunisien,  qui  n’avait  pas  auparavant 
goûté  à  la  liberté  de    la  parole,  a  du  mal  à  se  servir  de  cette  liberté  fraichement 
17
18
19
20
21
Le concept a été introduit par l’américain Tim O’REILLY lors d’une conférence en octobre 2004. Il 
a  avancé  le  terme  sans  toutefois  donner  une  définition  précise.  Le  web  2.0  est  caractérisé  par 
l’interaction entre les internautes, facilitée  par  les nouveaux outils du web, qui sont les blogs, les 
wikis et les réseaux sociaux. (V. David FAYON, Le web 2.0, l’internet participatif ?,  Médialog, n° 
68, Décembre 28, p. 42).  
David FAYON, Le web 2.0, l’internet participatif ?,  article précité  p. 43. 
Avant-propos d’Agathe LEPAGE in  Rapport annuel de la  Cour de cassation française, « Le droit 
de savoir », p. 80.  
P. FLICHY, « Le sacre  de l’amateur, sociologie des passions ordinaires  à  l’ère  numérique », éd. 
Seuil, La République des idées, 2010.  
Il faut toutefois  préciser  que  la  censure sur  internet  n’a  pas  totalement  disparu  en  Tunisien.  En 
mai 2011, le tribunal militaire permanent de Tunis a exigé la fermeture de quatre pages Facebook 
qui portent atteinte à la réputation de l'institution militaire et de ses dirigeants. Cependant, on doit 
reconnaitre  que  contrairement  à  la  censure  qui  se  faisant  avant  la  révolution  par  le  pouvoir 
exécutif  en  mépris  du  pouvoir  judiciaire,  la  censure  post  révolution  est  ordonnée  par  les 
magistrats.  
5 
acquise.  Dès  lors,  on  assiste  souvent  sur  le  net,  et  notamment  sur  les  réseaux 
sociaux,  à  des  dérapages  inquiétants.  La  liberté  d’expression,    tourne  parfois  à  la 
dérision,  à la diffamation ou  à l’injure.  Certaines personnes  voient leur vie privée 
étalée sur internet, parfois, avec des  allégations inexactes. On a souvent du mal à 
distinguer  le  vrai  du  faux.  L’effet  « démultiplicateur » 22  de  l’internet    dans 
l’intensité du dommage causé, n’arrange pas les choses.  Un  faux pas commis par 
une  figure  publique  peut  facilement  devenir  un  scandale  planétaire.  Car,  avec 
internet, « ce qui est en jeu n’est plus la flèche de l’archer (ou l’injure) traversant 
une frontière, ni la pollution à distance, ni le satellite arrosant d’un coup plusieurs 
pays, c’est (…) une diffusion susceptible de causer un dommage dans chacun des 
pays du monde »23.  
 Malheureusement, plus l’information relatée ou  l’image publiée sur internet 
est choquante ou outrageante, plus elle crée le « buzz »24. Tel est le cas des photos 
publiées en mars 2013 sur Facebook,  par une jeune tunisienne surnommée Amina 
TYLER,  dans  lesquelles  il  est  écrit  sur  sa  poitrine  dénudée  :  « Mon  corps 
m'appartient  et  n'est  source  d'honneur  pour  personne » 25.  Ces  photos,  pour  le 
moins  choquantes  dans  la  société  tunisienne  majoritairement  conservatrice 26,  a 
conduit,  semble-t-il,    à  des  menaces  de  mort  à  l’encontre  de  la  jeune  fille.  Le  19 
mai 2013, Cette jeune fille a défrayé encore une fois la chronique,  en taguant  le 
mot « Femen 27» sur le muret d’un cimetière à Kairouan, ville où devait se tenir le 
congrès  du  groupe  d’islamisme  radical  Ansar  al  Chariaa,  qui  fut  interdit  par  les 
autorités.  Elle    fut  arrêtée  par  la  police.  En  guise  de  protestation  contre  son 
22
23
24
25
26
27
C. CARON, obs. sous Tribunal de grande instance de Nanterre, 1er ch., 8 décembre 1999, Dalloz, 
2000, somm., p. 274. 
A.  LUCAS,  « La  responsabilité  des  différents  intermédiaires  de  l’internet :  L’internet  et  le  droit », 
Victoire  éditions  2001,  p.  245.  (cité  par  Agate  LAPAGE,  Libertés  et  droits  fondamentaux  à 
l’épreuve de l’internet, op. cit., n° 106).  
Anglicisme de « bourdonnement » d’insecte, qui est une technique marketing qui consiste à faire 
du  bruit  au  tour  d’un  événement.    Cette  technique  est  très  répondue  sur  internet  et  notamment 
dans les réseaux sociaux.  
Voir    l’article  publié  dans  Jeune  Afrique  « Tunisie :  Amina,  seins  interdits »,  du  26  mars  2013, 
consultable sur internet sur le site http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2724p015.xml0/.  
Ce  conservatisme  se  vérifie  notamment  à  travers  le  score  obtenu  par  le  parti  conservateur 
« Ennahda »  dans  les  élections  de  l’assemblée  constituante  du  23  octobre  2011.  Sur  les  217 
sièges de l’Assemblée constituants, 89 sièges lui ont été destinés.  
« Femen » est un groupe contestataire féministe d'origine ukrainienne, fondé à Kiev en 2008 par 
Anna  Hutsol,  Oksana  Chatchko  et  Alexandra  Chevchtchenko.  Le  groupe  est  essentiellement 
connu pour avoir organisé des actions, essentiellement seins nus, pour protester et défendre les 
droits des femmes.   
6 
arrestation,  trois    militantes  européennes  du  mouvement  « Femen »,  ont  protesté, 
seins  nus,  devant  le  Palais  de  justice  de  Tunis.  Elles  ont  été  condamnées,  en 
première  instance,  à  une  peine  de  quatre  mois  de  prison  et  un  jour  ferme  qui  fut 
ramenée  en  appel    à  quatre  mois  d’emprisonnement  avec  sursis.  Suite  à  la 
publication de la vidéo de leur arrestation sur le web,   l’affaire a pris une tournure 
mondiale28. 
Aujourd’hui, on assiste sur internet  à une vraie guerre cybernétique entre des 
ultralibéraux  et  des  ultraconservateurs  créant  du  coup,    une  hostilité  irréversible 
entre deux franges de la population.   
 Plus  dangereux  encore,  l’internet  est  parfois  devenu  à  travers  le  monde  un 
outil  de  propagande  terroriste.  Certains  individus  ou  groupuscules  éditent  des 
recettes d’explosifs à l’image du Manuel du terroriste en libre accès sur le web29.  
Dès lors, un problème se pose.  D’une liberté menaçante (Première partie), la 
liberté  d’expression  sur  internet  risque  de  se  transformer  en  une  liberté    menacée 
(Seconde partie). 
28
29
V.  l’article publié au « Figaro » intitulé : « Les Femen condamnées à quatre mois de prison ferme 
en  Tunisie »,  article  consultable  au  site :  http://www.lefigaro.fr;  v.  aussi  l’article  publié  au  journal 
« Le  monde »  intitulé :  « Pour  la  libération  des  Femen  en  Tunisie »,  consultable  sur  le  site 
électronique du journal http://www.lemonde.fr.  
Voir  Christiane  FERAL-SCHUHL,  « Cyberdroit,  Le  droit  à  l’épreuve  de  l’internet »  ,5ème  éd., 
Dalloz, 2008, p. 872. 
7 
Première partie : Une liberté d’expression menaçante 
Dans  le  monde  virtuel,  l’internaute  a  souvent  tendance  aux  excès.  Derrière 
son  écran  d’ordinateur,  il  se  sent  protégé.  Ce  sentiment  d’invulnérabilité  est 
d’autant  plus  important,    lorsqu’il  s’exprime  sous  un  pseudonyme.  Or,  la  liberté 
d’expression  a  des  limites.  La  vie  privée  d’autrui  en  est  une30.  Ce  « droit  à  être 
laissé  tranquille »31,  selon  les  termes  du  Doyen  Carbonnier,  fait  souvent  l’objet 
d’atteintes.  
Considéré par certains comme une source de vacarme jamais connu dans le 
monde32, « l’internet présente malgré ses avantages des inconvénients certains. La 
divulgation à la fois facile et large de l’information a provoqué certains problèmes 
juridiques relatifs à la protection des données à caractère  personnels » 33. Ainsi, le  
caractère    menaçant  de  l’internet  se  vérifie  à  travers  la  facilité  de  l’atteinte  aux 
droits de la personnalité (A) et l’écueil de la mise en œuvre de la responsabilité en 
cas d’excès (B).  
30
31
32
33
Le débat sur la protection de la vie privée est relativement récent. Il n’a commencé qu’à la fin du 
19ème  siècle  aux  Etats-Unis  (V.  Sonia  ELEUCH  MALLEK,  « La  protection  du  droit  à  l’image », 
Mélanges Dali Jézi,  Centre de Publication Universitaire, 2010, p. 306). 
Jean CARBONNIER, « Les personnes », n° 71.  
Voir J. –L. SOULIER et S. SLEE, « La protection des données à caractère personnel et de la vie 
privée  dans  le  secteur  des  communications  électroniques :  Perspective  française »,  Revue 
internationale de droit comparé, 2002, n° 2, p. 663.  
Ibid.   
8 
A. La facilité de l’atteinte aux droits de la personnalité 
Les droits de la personnalité désignent « l’ensemble des droits reconnus par 
la  loi  à  toute  personne,  en  ce  qu’ils  sont  des  attributs  inséparables  de  sa 
personnalité tels que le droit à la vie et à l’intégrité corporelle, le droit à l’honneur 
et à l’image, le droit au respect de  la présomption d’innocence. Ce sont des droits 
extrapatrimoniaux, dotés d’une opposabilité absolue »34.  
Historiquement, la notion de droits de la personnalité est assez récente. Elle a 
été découverte par les auteurs allemands avant de conquérir le droit français35 par le 
biais de la doctrine suisse36. Son apparition en droit français date du début du 20ème
siècle.  En  droit  tunisien,  le  Code  des  obligations  et  des  contrats,  quoique  datant 
de 1906,  fait  allusion  à  cette  notion  dans  certains  articles 37.  Cependant,  il  faut 
reconnaître que la notion de droits de la personnalité a été pendant longtemps, une 
notion mal connue38, bien qu’elle soit liée à la protection de la vie privée. En effet, 
« jusqu’à une époque récente, aucun texte clair en droit tunisien ne s’est prononcé 
sur la protection de la vie privée »39. Certes, l’article 9 de la Constitution de 1959 a 
toujours  garanti  « l’inviolabilité  du  domicile,  le  secret  de  la  correspondance sauf 
dans  les  cas  exceptionnels  prévus  par  la  loi»,  ce  qui  représente  une  protection 
sommaire  de  la  vie  privée,  néanmoins,  certains  aspects  de  la  vie  privée  n’étaient 
pas protégés  explicitement  par  la loi.  Il  s’agit notamment des données  à  caractère 
personnel. Ce n’est qu’en 200240 que l’ancienne constitution a reconnu le droit à la 
34
35
36
37
38
39
40
« Lexique des termes juridiques », 19ème éd., Dalloz, 2012, p. 305.  
En  droit  français,  SALEILLES  est  probablement  le  premier  à  introduire  la  formule  « droit  de  la 
personnalité »  dans  son  Essai  d’une  théorie  de  l’obligation  d’après  le  projet  de  Code  civil 
allemand publié en  1890. (Voir Bernard BEIGNIER, « L’honneur et le droit », LGDJ 1995, p. 45).  
Voir Denis TALION, « Les droits de la personnalité », Responsabilité civile, n° 2, (cité par Bernard 
BEIGNIER in  L’honneur et le droit, LGDJ 1995, p. 44).  
Voir  l’alinéa  2  de    l’article  306  du  Code  des  obligations  et  des  contrats,  qui    parle  des  droits 
« exclusivement  personnels ».  L’article  118  parle  des  «   droits  et  facultés  appartenant  à  toute 
personne humaine telles que celles de se marier, d’exercer ses droits civils ». 
Voir Sonia ELEUCH MALLEK, « La protection du droit à l’image », Mélanges Dali Jézi,  Centre de 
Publication Universitaire, 2010, p. 305.  
Ibid. p. 308.  
V. l’article 9 de la constitution de 1959 tel que modifié par la loi constitutionnelle n° 2002-51 du 1er
juin 2002 (JORT n° 45 du 3 juin 2002, p.  1442).  
9 
protection des données à caractère personnels, qui sont liées à la vie privée41. Cette 
protection  n’est  devenue  effective  que  par  la  loi  organique  du  27  juillet  2004 
relative à la protection des données à caractère personnel42 qui « interdit d’utiliser 
ces données pour porter atteinte aux personnes ou à leur réputation »43.  
Aux termes de l’article premier de cette loi organique : « Toute personne a le 
droit  à  la  protection  des  données  à  caractère  personnel  relatives  à  sa  vie  privée
comme  étant  l’un  des  droits  fondamentaux  garantis  par  la  constitution  et  ne 
peuvent être traitées que dans le cadre de la transparence, la loyauté et le respect 
de  la  dignité  humaine  et  conformément  aux  dispositions  de  la  présente  loi ».  Par 
données  à  caractère  personnel,  l’article  quatrième  de  la  loi  entend  « toutes  les 
informations  quelle  que  soit  leur  origine  ou  leur  forme  et  qui  permettent 
directement  d’identifier  une  personne  physique  ou  la  rendre  identifiable,  à 
l’exception  des  informations  liées  à  la  vie  publique  ou  considérées  comme  telles 
par la loi ». 
Conformément  à  cet  article,  les  données  à  caractère  personnel  peuvent 
prendre  la  forme  d’une  image,  d’une  séquence  vidéo,  d’un  enregistrement  vocal, 
d’un  numéro  de  carte  d’identité  nationale.  Bref,  tout  ce  qui  permet  d’identifier  
directement  ou  indirectement  une  personne  physique,  fait  partie  des  données  à 
caractère personnel. Or, la divulgation des données à caractère personnel peut nuire 
aux droits de la personnalité, et notamment au droit à l’image. Ce droit, considéré 
par un auteur comme un « territoire nouveau des droits de la personnalité »44, bien 
qu’il  soit  protégé  par  la  loi  organique  du  27  juillet  2004,  est  très  fragilisé  sur  la 
toile.  
Aujourd’hui, l’internet représente une menace réelle pour le droit à l’image45, 
d’autant  plus  qu’il  « n’est  pas  un  média  traditionnel,  ce  moyen  permet  à  tout 
41
42
43
44
45
L’article  23  du  projet  de  la  constitution  énonce :  « l’Etat  protège  la  vie  privée,  l’inviolabilité  du 
domicile,  le  secret  des  correspondances,  des  télécommunications,  et  les  données  à  caractère 
personnels ».  
Loi organique n° 2004-63 du 27 juillet 2004, JORT, n° 61 du 30 juillet 2004, p. 2084.  
Voir l’article 9, alinéa 2 de la loi.  
Laure  MAUDE,   « Les  nouveaux  territoires  des  droits  de  la  personnalité»,  Gaz.  Pal.,  18-19  mai 
2007, p. 22.  
Voir Salma KHALED SLAMA, « La protection de la vie privée entre la constitution et les nouvelles 
technologies », Annales des sciences juridiques, Faculté de Sciences Juridiques économiques et 
de Gestion de Jendouba, 2010, p. 189 et s.   
10 
individu  de  diffuser  à  l’échelle  internationale  des  informations,  y  compris  celles 
portant  atteinte  aux  droits  à  l’image » 46.  Chaque  jour,  des  millions  de  photos 
personnelles et des séquences vidéo sont partagées sur la toile. Dans plusieurs cas, 
ces  données  à  caractère  personnel  ont  été  diffusées  sans  l’accord  préalable  de  la 
personne  concernée,  ou  même    à  son  insu.  La  prolifération  des  appareils  photos 
numériques,  et  notamment  ceux  qui  sont  intégrés  dans  les  téléphones  portables,  a 
facilité    la  prise  d’images  qui  sont  parfois  outrageantes.  Certaines  images  sont 
même  retouchées  avec  des  logiciels  facilement  téléchargeables  sur  internet.  Un 
auteur considère même qu’on est aujourd’hui dans le champ d’une « déontologie de 
l’image »47. L’expansion fulgurante du nombre des utilisateurs d’internet, et surtout 
du  réseau  social  « Facebook »48,  démontre  l’acuité  du  problème  des  atteintes  au 
droit à la l’image.  
Comme  le  souligne  un  auteur,  « avec  internet,  les  flux  transfrontières  de 
données personnelles ont gagné en facilité, partant en ampleur : envoi des fichiers 
contenant  des  données,  circulation  des  informations  fournies  par  l’internaute  se 
jouent des  frontières et les occasions de flux de données sont nombreuses »49. Cela 
conduit  à  une  facilité  inquiétante  dans  la  publication  et  la  manipulation    des 
données à caractère personnel portant atteintes à la vie privée.  
Le  danger  est  réel,  d’autant  plus  que  la  collecte  de  données  à  caractère 
personnel,  comme  les  adresses  électroniques,  est  devenue  une  profession  très 
rentable50. On assiste même à l’émergence d’une nouvelle activité  économique, à 
savoir : le commerce des données à caractère personnel51.  
46
47
48
49
50
51
Sonia  ELEUCH  MALLEK,  « La  protection  du  droit  à  l’image »,  Mélanges  Dali  JEZI,    Centre  de 
Publication Universitaire, 2010, p. 329.  
Christophe  BIGOT,  « Droits  sur  l’image  des  personnes :  une  matière  réorganisée »,  Gaz.  Pal., 
18/19 mai 2009, p. 17.
En octobre 2012, Mark ZUCKERBERG, fondateur du réseau social « Facebook », a annoncé que 
le site regroupe plus d'un milliard de membres actifs (V. le journal Le monde du 4 octobre 2012, 
« Facebook franchit la barre du milliard d’utilisateurs ».  Concernant la Tunisie, selon les dernières 
statistiques (première semaine de janvier 2012) du site Socialbakers.com, les Tunisiens arrivent en tête des 
facebookers au Maghreb en termes de taux de pénétration (V. le site www.kapitalis.com).
Agathe Lepage, « Liberté et droits fondamentaux à l’épreuve de l’internet », Litec, Paris, 2002, n° 
48.  
V. Marc  LAIME, « Allons-nous devoir vendre nos données personnelles », article consultable sur 
le site http://www.uzine.net/article1198.html. 
V.  André.  VITALIS,  « La  protection  des  renseignements  personnels  en  France  et  en  Europe : 
approche éthique et juridique, sous la direction de René COTE, Vie privée  sous surveillance : la 
11 
En  Tunisie,  la  manipulation  des  données  à  caractère  personnel  sur  internet  
est  devenue monnaie courante. Elle vise essentiellement des figures politiques, et il 
semble  même  qu’elle  fait  partie  d’une  guerre  cybernétique  entre  des  rivaux 
politiques.  De  tels  agissements,  peuvent  être  assimilés  à  un  « harcèlement 
électronique »,  notion  apparue  en  droit  américain  et  réprimée  par  une  loi  sur  le 
« cyber-stalking »52. 
En droit tunisien, La loi organique du 27 juillet 2004 relative à la protection 
des données à caractère personnel53 instaure un régime juridique rigoureux, visant à 
protéger ces données. Cette loi, soumet toute opération de traitement des D.C.P. à 
une déclaration préalable déposée au siège de l’instance nationale de protection des 
D.C.P54. La non opposition de cette instance dans un délai d’un mois à compté de la 
présentation  de  la  déclaration,  vaut  acceptation55.  La  loi  exige  entre  autres,  avant 
tout traitement de données à caractère personnel, le consentement préalable et écrit
de l’intéressé56.  
Dans une affaire en date du 29 novembre 200757, la Cour d’appel de Sfax, a 
retenu la  responsabilité civile d’un  hôtel qui n’a pas  respecté le  formalisme exigé 
par cette loi. En l’espèce, l’hôtel a fait appel à une de ses employés pour faire des 
photos  publicitaires  afin  d’être  affichées  près  du  service  de  massage  de  l’hôtel. 
L’employée, qui a consenti à la prise de photos, a découvert par la suite que l’hôtel 
ne s’est pas contenté d’afficher ses photos à moitié nue à l’endroit convenu, mais il 
les  a  affichées  à  l’entrée  de  l’hôtel  et  les  a  publiées  sur  son  site  web.  Selon  la 
demanderesse,    cette    publication   sur  internet  lui  a  été  gênante,  puisqu’elle  a  été 
reconnue  par  ses  proches  qui  l’on  vue  sur  le  site  internet  de  l’hôtel.  Les  juges  du 
protection  des renseignements  personnels en droit  québécois et comparé, Québec-Canada, Les 
éditions  Yvon  Blais  Inc.,  1994,  p.  177.  (Cité  par  Abderraouf  ELLOUMI,  « La  protection  des 
données à caractère personnel », Revue de la jurisprudence et de la législation, Février 2010, p. 
11). 
Cette  loi  est  entrée  en  vigueur  le  1er  janvier  en  Californie.  D’autres  Etats  ont  suivit  (V.  Laure 
Marino, « Les nouveaux territoires des droits de la personnalité », Gaz. Pal., 18-19 mai 2007, p. 
22).  
Loi  organique  n°  2004-63  du  27  juillet  2004,    relative  à  la  protection  des  données  à  caractère 
personnel, JORT n° 61 du 30 juillet 2004, p. 2084.  
V. l’art. 7 de la loi organique relative à la protection des données à caractère personnel.  
V. l’art. 7, alinéa 5 de la loi organique.  
V. l’art. 27 de la loi organique. 
Cour d’appel de Sfax, arrêt n° 21791-22374 du 29 novembre 2007, inédit.  
52
53
54
55
56
57
12 
fond  lui  ont  donné  gain  de  cause,  estimant  que  l’hôtel    n’a  pas  respecté  les 
dispositions de l’article 27 de la loi organique du 27 juillet  2004 qui exige que le 
consentement de l’intéressé soit fait par écrit.   
Cependant,  bien  que  permettant  la  protection  des  D.C.  P.,  le  formalisme 
exigé par la loi organique  du 27 juillet  2004,  reste  difficilement  applicable  sinon 
hypothétique  en  matière  d’internet.  La  rapidité    par  laquelle    s’échangent  les 
données  sur  internet  est  telle,  que  le  respect  de  ce  formalisme  s’avère  en  matière 
d’internet  disproportionné.  D’ailleurs,  cette  loi  permet  de  ne  pas  recueillir  le 
consentement de la personne concernée, lorsque « l’obtention de son consentement 
implique des efforts disproportionnés »58.  Cela risque de nous ramener à la case de 
départ,  dans  la  mesure  où  le  responsable  du  traitement  des  D.C.P.  peut  se  
décharger  de  la  responsabilité  en  invoquant,  en  cas  de  litige,  que  l’obtention  du 
consentement de l’intéressé implique des efforts disproportionnés.  
Au  problème  de  la  facilité  d’atteinte  aux  droits  de  la  personnalité,  s’ajoute 
celui de la difficulté de la mise en œuvre de la responsabilité en cas d’excès dans 
l’exercice de la liberté d'expression. 
B. Ecueil  de la mise en œuvre de la responsabilité en cas  d’excès dans 
l’exercice de la liberté d'expression
Selon  un  auteur,  « internet  est  réellement  un  Far  West  où  tout  est  permis 
dans la mesure où il est difficile dans la pratique de poursuivre les contrevenants, 
même lorsque certaines lois existent »59. Malheureusement, il y a dans ces propos 
une part de vérité. Considéré initialement comme un vecteur de la transparence, à 
travers l’exercice facilité de la liberté d'expression et la pluralité de l’information, 
l’internet est devenu de plus en plus opaque60. Un auteur considère que « dans une 
vision  pessimiste  de  la  société  de  l’information,  tout  se  passe  comme  si  internet 
58
59
60
V. l’article 29 de la loi organique.  
Limore YAGIL, « Internet et les droits de la personne, nouveaux enjeux éthiques », CERF, Paris, 
2006, p. 55.  
Voir  Aghate LEPAGE, op. cit., n° 79.  
13 
nous faisait perdre les avantages de la confidentialité sans nous offrir en échange 
une  réelle  transparence »61.  Dès  lors,  on  est  passé  de  la  transparence  à  l’opacité. 
Cet  effet  pervers  d’internet,  se  vérifie  essentiellement  à  travers  la  prolifération  de 
l’anonymat et à travers le caractère transnational d’internet.  
a. L’anonymat 
L’anonymat62 permet à l’internaute plus de liberté en lui permettant de dire, 
sous  couvert  d’anonymat,  ce  qu’il  n’osera  pas  dire  s’il  était  connu.  Plusieurs 
internautes,  et  notamment  des  cyberdissidents,  s’expriment  sur  internet  sous  un 
pseudonyme63.  Et  l’on  remarque  souvent  dans  leurs  propos  beaucoup  d’audace, 
dans  la  critique  et  la  satire.  Toutefois,  le  problème  c'est  que  ce  droit  à  la  critique 
dépasse souvent les bornes pour se muer en diffamation et injure.  
la 
Avant 
révolution, 
l’anonymat  était  une  aubaine  pour  certains 
cyberdissidents. Il leur permettait de minimiser le risque d’une détention en rendant 
difficile leur localisation et leur identification.  Cela explique d’ailleurs les mesures 
draconiennes  faites  par  le  régime  déchu  pour  couper  court  à  l’anonymat 
cybernétique64.  
- Plus de références et documents sur Legaly Docs Aujourd’hui,  la  donne  a  changé,  et  l’on  est  passé  d’un  système  de  censure 
excessive  à  un  système  de  liberté  quasi  absolue.  Ce  choc  thermique,  auquel 
l’internaute  tunisien  n’était  pas  préparé,  a  conduit  à  des  dérives.  L’anonymat  est 
aujourd’hui  souvent  utilisé  afin  de  répandre  des  rumeurs  ou  des  propos 
diffamatoires  ou  injurieux.  Or,  il  est  parfois  techniquement  difficile,  sinon 
61
62
63
64
Lauren   COHEN-TANUGI, « Le  clair-obscur  d’internet : transparence  et secret », Pouvoir,  n°  97, 
2001, (cité par A. Lepage, n° 85).   
Pour plus de développement su la question, voir  Chemseddine Ethani BARNAT, « Internet et le 
droit, contribution à la recherche d’un cadre juridique adéquat du cyberespace », Thèse de droit, 
Faculté de Droit et de Sciences Politiques de Tunis, 2010, p. 133 et s.  
Voir  l’article de Salma KHALED, « Le pseudonyme », communication présentée dans le cadre de 
la journée d’étude « L’identité numérique » le 14 avril 2009 (communication téléchargeable sur le 
site www.urdri.fdspt.rnu.tn).  
Parmi  ces  mesures :  l’exigence  de  la  présentation  d’une  carte  d’identité  lors  de  l’utilisation 
d’internet  dans  une  publinet,  l’obligation  dès  2009  pour  les  gérants  des  Publinets    d’installer  un 
logiciel nommé « publisoft », visant à tracer les sites visités par les internautes (Voir Béchi TORKI, 
« Ben ali le ripou », édition Berg, Tunis, 2011, en arabe). 
14 
impossible, en cas d’anonymat, de déterminer l’auteur  de l’acte illicite et de retenir 
sa  responsabilité.  Il  suffit  d’utiliser  un  ordinateur  portable  connecté  à  une 
connexion wifi de libre accès, avec un faux nom ou un pseudonyme, pour pouvoir 
passer inaperçu sur internet.  Certains internautes initiés utilisent un  serveur proxy 
de connexion. Ce procédé permet de dissimuler l’adresse IP de l’ordinateur derrière 
l’adresse du serveur proxy.   
Plus  encore,  certains  internautes,  peu  scrupuleux,  n’hésitent  même  pas  à 
usurper  l’identité  d’autrui  afin  de  s’exprimer  en  leur  nom  et  à  leur  insu.  Cette 
pratique,  répandue  sur  Facebook65,  est  généralement  utilisée  pour  nuire  à  l’image 
ou à l’honneur de  certaines personnes connues.  Toutefois, le problème c'est que le 
droit  tunisien n’incrimine  pas explicitement l’usurpation d’identité. Contrairement 
au droit français qui sanctionne,  depuis le 14 mars 2011 dans l’article 226-4-1 du 
code  pénal 66,  l’usurpation  d’identité,  le  droit  tunisien  demeure  lacunaire  sur  la 
question. Certes, la loi du 27 juillet 2004 relative aux données à caractère personnel 
permet  d’incriminer  l’usurpation  d’identité  sur  internet,  qui  nécessite  par  la  force 
des  choses  l’usage  des  données  personnelles  de  la  victime  (informations 
personnelles,  images,  séquences  vidéo).  Cependant,  une  telle  incrimination 
s’applique à toute forme de traitement de données à caractère personnel et n’est pas 
spécifique  à  l’usurpation  d’identité.  En  plus  du  problème  de    l’anonymat,  le 
caractère    transnational  de  l’internet  rend  difficile  la  mise    en  œuvre  de  la 
responsabilité en cas  d’excès dans l’exercice de la liberté d'expression.  
65
66
Considéré comme le plus célèbre des réseaux sociaux, Facebook suscite la méfiance puisqu’il est 
facile de porter atteinte à la vie privée d’autrui sans pour autant permettre facilement d’engager la 
responsabilité  de  l’auteur  de  l’atteinte  ni  du  réseau  social  (V.  Arnaud  DIEGLIO,  « Facebook : 
quelle responsabilité ? », Infos juridiques, n° 94/95 de juillet/août 2010, p. 33). 
L’article 226-4-1 du code pénal énonce : « Le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage 
d’une  ou  plusieurs  données  de  toute  nature  permettant  de  l’identifier  en  vue  de  troubler  sa 
tranquillité  ou  celle  d’autrui,  ou  de  porter  atteinte  à  son  honneur  ou  à  sa  considération,  est  puni 
d’un  an  d’emprisonnement  et  de  1500  euros  d’amende.  Cette  infraction  est  punie  de  la  même 
peine lorsqu’elle est commise sur le réseau de communication au public en ligne ».  
15 
b. Le caractère transnational de l’internet
Dans  une  thèse  remarquée,  un  auteur  a  mis  l’accent  sur  l’inadaptabilité  de 
l’approche territoriale à l’espace virtuel67.  L’internet « est un espace qui échappe à 
la souveraineté exclusive de l’Etat »68, permettant  à l’information de se diffuser en 
temps réel sur l’ensemble de la planète69.  Il s’agit là d’ « un espace d’expression 
absolument  nouveau,  espace  virtuel  qu’aucune  frontière  ne  délimite,  qu’aucun 
fleuve ne borne, qu’aucun pouvoir central ne régente »70.  Toutefois, le revers de la 
médaille, c'est que cette liberté d'expression n’est pas tolérée de la même manière à 
travers le monde. « Le contenu d’un message transporté sur internet peut être jugé 
innocent  ici,  indécent  là  et  criminel  ailleurs »71.    La  pornographie  par  exemple, 
interdite  en  Tunisie,  sanctionnée  de  coups  de  fouet  an  Arabie  Saoudite,  est 
totalement libre en Suède. La liberté d’expression s’avère ainsi une notion variable 
dans  l’espace,  et empêche  l’élaboration de  standards  internationaux  en  matière de 
moralité  et  d’éthique.  Ce  qui  est  considéré  comme  une  liberté  d'expression  aux 
Etats-Unis,  peut  être  considéré  comme  une  offense  outrageante  à  une  valeur  dans 
d’autre  pays.  Cela  se  vérifie  notamment  lorsque  la  liberté  d’expression  porte 
atteinte  au  sacré.  Le  film  américain  « L’innocence  des  musulmans »,  tristement 
célèbre, puisqu’il a causé la mort de dizaines de personnes, en est l’exemple72. Le 
problème, c'est que si pour les pays musulmans le sacré est une notion intouchable, 
même  au  titre  de  la  liberté  d'expression,  pour  les  pays  occidentaux,  ce  qui  est 
intouchable et sacré c'est la liberté d'expression73. Cela se vérifie surtout au Etats-
Unis.  La  liberté  d’expression  est  protégée  par  le  Premier  Amendement  de    la 
constitution  américaine,  qui  lui  confère  une  portée  maximale  puisqu’il  ne  lui 
67
68
69
70
71
72
73
Voir  Chamseddine Ethani BARNAT, « Internet et le droit, contribution à la recherche d’un cadre 
juridique  adéquat  du  cyberespace »,  Thèse  pour  l’obtention  du  Doctorat  en  Sciences  politiques, 
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis, 2010, p. 27 et s.  
Ibid, p. 30.   
Voir  M. ABBOU, « Les limites de la liberté d’expression », Thèse de droit, Faculté de Droit et de 
sciences politiques de Tunis, 2012, p. 15 (en arabe). 
Limore  YAGIL,  « Internet  et  les  droits  de  la  personne,  nouveaux  enjeux  éthiques  à  l’âge  de  la 
mondialisation », Les éditions du CERF, Paris, 2006, p. 55.  
S. MARCELLIN TAUPENAS, Lamy droit de l’informatique, supplément n° 74, octobre 1995. 
Voir  l’article  d’Hélène  SALLON  "L'innocence  des  musulmans",  le  film  qui  a  mis  le  feu  aux 
poudres », paru  dans  le journal Le monde du 19 décembre 2102.  
Il  faut  toutefois  préciser  que  « dans  le  droit  des  pays  anglo-saxons,  le  blasphème  est  un  délit. 
Mais  d’une  part,  il  est  strictement  réservé  au  christianisme  et,  d’autre  part,  fait  figure  de  ces 
antiquités propres au droit anglais » (Voir B. BEIGNIER, « L’honneur et le droit », LGDJ, 1995, p. 
337). 
16 
reconnaît  aucune  limite 74 .  D’ailleurs,  la  Cour  suprême  américaine  veille 
scrupuleusement au respect du Premier Amendement. Le 16 avril  200275,  elle  a 
censuré  une  loi  contre  la  pédophilie  enfantine  virtuelle 76 ,  considérant  que  le 
caractère  trop  large  de  ses  termes,  portait  atteinte  au  Premier  Amendement  de  la 
constitution.  
La question est donc de savoir si l’on peut, en cas d’excès dans l’exercice de 
la liberté d'expression, en dehors du territoire tunisien à l’encontre d’un tunisien ou 
d’une  valeur  protégée  par  le  droit  tunisien,  mettre  en  œuvre  la  responsabilité  de 
l’internaute qui a commis l’acte ? 
Normalement,  le  caractère  international  du  litige  n’est  pas  un  obstacle  à  la 
mise en œuvre de la responsabilité, qu’elle soit civile ou pénale. En matière civile, 
et  conformément  à  l’article 5 du  code  du droit international  privé, les  juridictions 
tunisiennes  sont  compétentes  pour  statuer  sur  l’action  délictuelle  « si  le  fait 
générateur de responsabilité ou le préjudice est survenu sur le territoire tunisien ».  
En  matière  pénale,  la  mise  en  œuvre  de  la  responsabilité  est  plus  délicate. 
Aux termes de l’article 305 du Code de procédure pénale alinéa 1er, « tout citoyen 
tunisien qui, hors du territoire de la République, s’est rendu coupable d’un crime 
74
75
76
Dans l’arrêt « Globe Newspaper » en date de 1982, la Cour suprême américaine a considéré que 
« la restriction d’une des libertés visées par le premier amendement constitue indiscutablement un 
préjudice irrémédiable ».  Par ailleurs, aux Etats-Unis, la problématique de la liberté d’expression 
sur  internet  s’est  traduite  essentiellement  par  le  problème  de  l’accès  des  enfants  aux  services 
pornographiques  qui  pullulent  sur  le  net.  Dans  un  souci  de  protéger  les  mineurs  des  sites 
pornographiques,  le  Congrès  américain  a,  à  deux  reprises,  adopté  des  dispositions  législatives. 
La première fût en 1996 à l’occasion de la modification de « l’American Télécommunications Act » 
par  l’introduction  du  titre  intitulé  « Communication  Decency  Act ».  La  deuxième,    en  1999,  au 
moment du vote de la loi de finances par l’adoption du « Child Online Protection  Act ». Or, dans 
les  deux  cas,  la  Cour  suprême  a  estimé  que  le  texte  violait  le  Premier  Amendement  de  la 
constitution  et  a  décidé  ainsi  d’étendre  la  protection  constitutionnelle  du  droit  à  la  liberté 
d’expression    à  internet  (Voir  A.  HAMON,  Une  approche  de  la  liberté  d’expression  sur  internet, 
Mémoire de DEA de Droit de l’homme et libertés publiques, Université pars X Nanterre, 2000, p. 
51 ; v. aussi M. Abbou, Les limites de la liberté d’expression, Thèse de droit, Faculté de Droit et 
de sciences politiques de Tunis, 2012,p. 12 (en arabe). 
Comm. com. électr. Juin 2002, act. p. 5, obs. P. Kamina.  
On  parle  de  pédophilie  virtuelle,  lorsque  de  scènes  pornographiques    représentent    des  adultes 
qui ont l’apparence de mineurs, ou bien lorsque des images de synthèse, créées par ordinateur, 
représentent des mineurs dans des scènes à caractère pédophile. La loi américaine prévoyait des 
peines de 5 à15 ans de prison en cas de production, distribution ou possession de telles images. 
(V.  Agathe  LEPAGE,  « Liberté  et  droits  fondamentaux  à  l’épreuve  de  l’internet »,  Litec,  Paris, 
2002, n° 221). 
17 
ou  d’un  délit  puni  par  la  loi  tunisienne,  peut  être  poursuivi  et  jugé  par  les 
juridictions  tunisiennes,  à  moins  qu’il  ne  soit  reconnu  que  la  loi  étrangère  ne 
réprime pas ladite infraction ou que l’inculpé justifie qu’il a été jugé définitivement 
à l’étranger et, en cas de condamnation, qu’il a subi ou prescrit sa peine ou obtenu 
sa  grâce…».  Ainsi,  si  un  Tunisien  résidant  à  l’étranger,  s’exprime  sur  internet 
d’une manière susceptible d’engager sa responsabilité pénale, l’article 305 du Code 
de  procédure  pénale  ne  permet  pas  de  réprimer  son  acte,  tant  que  la  loi  étrangère 
n’incrimine  pas  le  dit  comportement.  Or,  lorsque  l’infraction  liée  à    la  liberté 
d'expression  est  commise  dans  un  pays  occidental,  il  est  difficile  d’en  poursuivre 
l’auteur.  Si  l’on  prend  l’exemple  de  la  France,  la  conception  de  la  liberté 
d'expression est généralement plus souple que celle adoptée en droit tunisien.   
Néanmoins,  la  solution  adoptée  par  l’article  305  du  Code  de  procédure 
pénale  doit être tempérée. D’une part, le même article permet de passer outre cette 
restriction lorsqu’il s’agit d’une infraction terroriste. D’autre part, l’article 307 bis 
du Code de procédure pénale permet de réprimer l’infraction lorsque la victime est 
de  nationalité  tunisienne,  indépendamment  de  la  nationalité  de  l’auteur  de 
l’infraction.  
Malgré  cela  la  mise  en  œuvre  de  la  responsabilité  pénale  à  l’échelle 
internationale  demeure  difficile  lorsque  l’infraction  est  liée  à  l’exercice  d’une 
liberté d'expression, le politique  se  mêle  souvent au juridique rendant difficile les 
poursuites.  
18 
Seconde partie : Une liberté d’expression menacée 
« L’exercice  de  la  liberté  d’expression  est  la  marque  de  la  vitalité  d’une 
démocratie »77.  Toutefois,  le  principe  de  la  liberté  d’expression  ne  peut  pas  être 
absolu  et  « peut  subir  certaines  restrictions  considérées  comme  nécessaires  dans 
une  société  démocratique  pour  protéger  d’autres  valeurs  jugées  tout  aussi 
indispensables, telles la réputation d’autrui, la présomption d’innocence ou la vie 
privée des personnes »78. Or, le problème a été toujours de fixer les limites à ne pas 
franchir dans l’exercice de cette liberté.  
En  droit  tunisien,  la    liberté  d’expression  demeure  fragile  et  doit  être 
protégée.  Cela  explique d’ailleurs la régression de la Tunisie dans le classement 
mondial  de  la  liberté  de  la  presse  de  2013,    fait  par  Reporter  sans  frontière79.  
Certes,  la  Tunisie  ne  figure  plus  parmi  les  pays  ennemis  d’internet,  mais  elle  fait 
toujours  partie des pays dans lesquels internet est sous surveillance80. Or, l’excès 
de certains internautes dans l’exercice de la liberté d'expression, et l’omniprésence 
de  certains  textes  répressifs  datant  de  la  période  du  régime  politique  déchu, 
fragilisent  cette  liberté  et  la  rendent  précaire.  Ce  caractère  fragile  de  la  liberté 
d'expression  sur  l’internet  se  vérifie  d’ailleurs  à  travers  l’ambigüité  du  régime 
juridique  applicable  à  l’internet  (A)  et  la  flexibilité  des  textes  relatifs  à  la  liberté 
d'expression (B). 
77
78
79
80
Henri OBERDORFF, « Droits de l’Homme et libertés fondamentales », 2ème éd., LGDJ, n° 395.  
Alain  LACABARATS,  « Le  traitement  judiciaire  des  atteintes  à  la  liberté  d’expression »,  Propos 
introductifs, Gaz. Pal. 18/19 mai 2007, p. 29.                                                                   
Selon Reporters sans frontières «La Tunisie (138ème, -4), et l’Égypte (158ème, +8),  entre vide 
juridique, nominations  à  la tête  des médias publics, agressions physiques, procès à répétition et 
absence de transparence, stagnent à des positions peu glorieuses, qui donnent à la Lybie (131ème
, + 23), en progression cette année, une idée des écueils à éviter pour  assurer et pérenniser sa 
transition vers une presse libre ». (Rapport annuel 2013, p. 4, téléchargeable sur internet au site 
http://fr.rsf.org/IMG/pdf/classement_2013_fr_bd.pdf. 
Voir le rapport de Reporters sans frontière de 2011.  
19 
A. L’ambigüité du régime juridique applicable à l’internet 
Parmi  les  menaces  qui  pèsent  sur  la  liberté  d'expression  sur internet,  figure 
l’absence d’un régime de responsabilité qui lui est spécifique. En effet, en Tunisie, 
le droit applicable à internet est un patchwork. Certaines dispositions peuvent être 
piochées  dans  le  Code  des  obligations  et  des  contrats,  d’autres  dans  le  Code  de 
télécommunication 81 ,  dans  la  loi  organique  du  27  juillet  2004  relative  à  la 
protection des D.C.P, ou dans le décret-loi n° 115 du 2 novembre 2011 relatif à la 
liberté de presse, de l’imprimerie et de l’édition.  Ce  décret-loi, est pour le moins 
problématique.  
D’abord,  parce  que  jusqu’à  l’annonce  faite,  le  17  octobre  2012,  par  le 
gouvernement tunisien82, d’appliquer ce décret-loi, il y avait des doutes sérieux sur 
sa mise en œuvre effective. En effet, bien que le décret-loi ait été publié au journal 
officiel  de  la  République  tunisienne83,  le  ministère  public  n’y  a  pas  fait  usage,  à 
notre connaissance,  dans les affaires relatives aux abus dans la liberté de presse84. 
Pourtant, l’article 81 dudit décret-loi énonce clairement : « Le présent décret-loi est 
publié  au  journal  officiel  de  la  République  Tunisienne  et entre  en  vigueur  à 
compter de la date de sa publication ».  
81
82
83
84
Dans la loi n° 2013-10 du 12 avril 2013 modifiant et complétant le code des télécommunications, il 
y a allusion directe à internet à plusieurs reprises.  Ce n’était pas le cas auparavant dans le code 
des  télécommunications.  Ce  dernier,  ne  faisait  référence  à  internet  que  dans  l’article  67.  Par 
ailleurs,  la  loi  du  12  avril  2013  modifiant  et  complétant  le code  des télécommunications,  soumet 
l’activité du fournisseur des services internet à une autorisation préalable du ministre chargé des 
télécommunications ( v. l’art. 31 alinéa 4 nouveau du code de télécommunication ».  
Annonce consultable sur la page Facebook du gouvernement tunisien.  
L’art. 2 de la loi n° 63-94 du 5 juillet 1993 relative à la publication des textes au Journal Officiel de 
la  République  Tunisienne  et  à  leur  exécution :  « Les  textes  législatifs  et  réglementaires  sont 
exécutoires  cinq  jour  après  le  dépôt  du  journal  officiel      dans  lequel  ils  sont  insérés,  au 
siège du gouvernorat de Tunis. Le jour du dépôt  n’est pas pris en compte dans le décompte du 
délai. Ces textes  peuvent comporter une disposition expresse d’exécution immédiate ou dans un 
délai dépassant celui indiqué au premier alinéa du présent article ».  
Selon Reporters sans frontière, la  régression en 2013 de la  Tunisie  dans le classement mondial 
de  la  liberté  de  la  presse,  est  en  partie  due  au  vide  juridique  entretenu  par  les  autorités  en 
retardant la mise en œuvre  des décrets -lois régissant les médias. (V. Rapport  2013 sur la liberté 
de presse de « Reporters sans frontière », p. 17). 
20 
Ensuite, parce qu’il a abrogé dans son article 80 « tous les textes antérieurs 
et notamment le code de la presse ». Cependant, le mot « notamment » manque de 
précision dans un domaine régi par le droit pénal.  
En outre, un problème se pose à propos du décret n° 97-501 du 14 mars 1997 
relatif aux services à valeur ajoutée de télécommunication, et de l’arrêté du ministre 
des communications du 22 mars 1997 portant approbation des cahiers des charges. 
Ces  textes  juridiques,  qui  réglementent  la  responsabilité  des  fournisseurs  d’accès 
sur  internet,  font  allusion  au  code  de  la  presse85.  Ils    ne  sont  pas  en  contrariété 
explicite avec le décret-loi n° 115 du 2 novembre 2011. On peut ainsi substituer le 
renvoi  qu’ils  font  au  code  de  la  presse  par  un  renvoi  au  décret-loi  n°115  du  2 
novembre  2011,  relatif    à  la  liberté  de  la  presse.  Or,  le  décret  du  14  mars  1997 
oblige  tous  les  fournisseurs  de  service  à  valeur  ajoutée  à  désigner  un  directeur 
responsable  du  contenu  du  service  fourni  aux  utilisateurs.  Quant  à  l’article  9  de 
l’arrêté  du  ministre  de  Télécommunication,  il  oblige  le  directeur  à  « assurer  une 
surveillance  constante  du  contenu  des  serveurs  exploités  par  le  fournisseur  de 
service pour ne pas laisser perdurer des informations contraires à l’ordre public et 
aux  bonnes  mœurs ».    En  outre,  et  conformément  à  l’alinéa  5  dudit  article,  le 
directeur doit « conserver, pendant une année à compter de la cessation du service, 
sous  sa  responsabilité,  sur  des  supports  écrits  et  magnétiques,  une  copie  du 
contenu des pages et des serveurs hébergés ».  
Ces textes  sont  critiquables,  puisqu’ils  obligent  les  fournisseurs  d’accès86 et 
les hébergeurs à contrôler et surveiller leurs clients87, instaurant ainsi l’espionnage 
et la censure comme une obligation légale. Ces textes, d’un autre temps, prennent 
le contrepied des solutions adoptées dans les droits étrangers. En droit français par 
exemple,  l’article  6  de  la  loi  du  21  juin  2004  relative  à  la  confiance  dans 
l’économie  numérique88,  décharge  les  fournisseurs  d’accès  et  les  hébergeurs  de 
l’obligation  de  surveillance  des  informations  qu’ils  transmettent  ou  stockent. 
85
86
87
88
Voir  l’article 14 du décret et l’article 9 de l’arrêté. 
Sur la responsabilité des fournisseurs d’accès en droit tunisien, voir Abderraouf  ELLOUMI,  « La 
responsabilité délictuelle sur internet », Etudes juridiques, n°14,  année 2007,  Faculté de droit de 
Sfax, p. 58. 
Voir Sonia ELEUCH MALLEK,  « La protection du droit à l’image, »  Mélanges Dali  Jézi,  Centre 
de Publication Universitaire, 2010, p. 335. 
Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, Journal Officiel de 
la République française,  du 22 juin 2004. 
21 
L’article  6  alinéa  2  énonce :  « les  personnes  physiques  ou  morales  qui  assurent, 
même  à  titre  gratuit,  pour  mise  à  disposition  du  public  par  des  services  de 
communication  au  public  en  ligne,  le  stockage  de  signaux,  d’écrits  d’image,  de 
sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services 
ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des 
informations  stockées  à  la  demande  d’un  destinataire  de  ces  services  si  elles 
n’avaient  pas  effectivement  connaissance  de  leur  caractère  illicite ou de  faits et 
circonstances faisant apparaître ce  caractère ou si, dès le moment où elles en ont 
eu cette  connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en 
rendre l’accès impossible ». 
leur 
Ainsi,  la  loi  française  du  21  juin  2004  a  opté  pour  un  principe 
d’irresponsabilité  assorti  d’exceptions 89 .  Soucieux  de  ne  pas  ériger 
les 
intermédiaires  en  censeurs  et  de  ne  pas 
imposer  des  contraintes 
insurmontables, le législateur français a renoncé à les soumettre à une obligation de 
surveillance  des  contenus,  sauf  pour  certains  contenus  « particulièrement 
odieux »90.  Il  s’agit  des  contenus  à  caractère  raciste,  négationniste91 ou  pédophile. 
Les  fournisseurs  d’accès  ou  d’hébergement  sont  tenus  de  mettre  en  place  des 
dispositifs  d’alerte  permettant  à  quiconque  de  les  informer  de  l’existence  d’un 
contenu  illicite92.    De  même,  la  loi  américaine  du  28  octobre  1998,  dénommée 
« Digital Millenium Copyright Act », exonère le fournisseur de la responsabilité s’il 
s’avère  que  son  rôle  se  limite  à  transmettre  les  données  sans  modification  de  son 
contenu et sans choisir le destinataire de cette information93. 
Par  ailleurs,  le  droit  pénal  tunisien  ne  protège  pas  l’internaute  contre 
l’article  85  du  code  des 
l’espionnage  ou  même 
télécommunications,  applicable  au  domaine  de  l’internet,  sanctionne  pénalement 
« la  divulgation,  l’incitation  ou  la  participation  à  la  divulgation  du  contenu  des 
la  censure.  En  effet, 
89
90
91
92
93
Voir   Nathalie  MALLET-POUJOL,  « La  liberté  d’expression  sur  l’internet :  aspects  de  droit 
interne »,  Dalloz,  2007,  p.  591. ;  Cécile  PETIT,  « Google,  une  obligation  de  surveillance 
proportionnée », Dalloz, 2012, p. 2071. 
Ibid.   
La  loi française du 13 juillet 1990 dite « loi Gayssot »  incrimine  tout acte raciste, antisémite ou 
xénophobe. Elle a créé le délit de négationnisme du génocide des juifs.  
Voir l’article 6, I, 4° et 7° de la loi française sur la confiance dans l’économie numérique.  
Voir Abderraouf  ELLOUMI, « La responsabilité délictuelle sur internet », Etudes juridiques, n°14, 
année 2007,  Faculté de droit de Sfax, p. 60. 
22 
les 
travers 
transmis  à 
communications  et  des  échanges 
réseaux  de 
télécommunication ». Il demeure lacunaire sur la sanction de la coupure d’internet 
ou  l’espionnage  de  l’internaute.  Or, le  principe  de  l’interprétation  stricte  de  la  loi 
pénale, interdit l’élargissement du domaine de l’application de l’article 85 du code 
de  télécommunication.  Ces  textes,  archaïques,  représentent  une  menace  sur  la 
liberté  d'expression  sur  internet  et  doivent  être  modifiés.  À  cela  s’ajoute  le 
problème  de  la  flexibilité  des  textes  d’incrimination  susceptibles  d’engager  la 
responsabilité pénale de l’internaute. 
B. La flexibilité des textes d’incrimination 
Parmi  les  artifices  juridiques  qui  étaient  utilisés  en  droit  tunisien  pour 
bâillonner  la  liberté  d'expression,  le  recours  dans  les  textes  d’incrimination  à  des 
notions  vagues,  susceptibles  d’une  interprétation  extensive.  Tel  est  le  cas  de  la 
notion  d’ordre  public,  de  bonnes  mœurs,  ou  de  la  sécurité  de  l’Etat.  Ces  notions 
vagues  et  flexibles,  sont  encore  présentes  dans  le  décret-loi  n°  2011-115  du  2 
novembre 2011 relatif à la liberté de presse, de l’imprimerie et de l’édition94 et dans 
textes  d’incrimination.  La  notion  d’ordre  public 95  par  exemple, 
d’autres 
est  « probablement l’une des notions juridiques les plus difficiles à définir, et les 
tentatives de la doctrine pour aboutir à une formule satisfaisante ont rarement été 
94
95
L’article premier du décret-loi dispose : «  Le droit à la liberté d’expression est garanti et s’exerce 
conformément aux stipulations du pacte international sur les droits civils et politiques, des autres 
traités y relatifs ratifiés par la République Tunisienne et aux dispositions du présent décret-loi.  
Le  droit  à  la  liberté  d’expression  comprend  la  libre  circulation  des  idées,  des  opinions  et  des 
informations  de  toute  nature,  leur  publication,  leur  réception  et  leur  échange.  La  liberté 
d’expression ne peut être restreinte qu’en vertu d’un texte de nature législative et sous réserve : 
-  Qu’il  ait  pour  but  la  poursuite  d’un  intérêt  légitime  consistant  dans  le  respect  des  droits  et  la 
dignité d’autrui, la préservation de l’ordre public ou la protection de la défense et de la sûreté 
nationale. 
- Et qu’il soit nécessaire et proportionné aux mesures qui doivent être adoptées dans une société 
démocratique,  sans  qu’il  puisse  constituer  un  risque  d’atteinte  au  droit  substantiel  de  la  liberté 
d’expression et de l’information ». 
Très  souvent  on  fait    allusion  à  une  définition  qui  fut  proposée  par  PLANIOL  (cité  par  Ph. 
MALAURIE, p. 263) selon laquelle une disposition serait d’ordre public « toutes les fois qu’elle est 
inspirée  par  une  considération  d’intérêt  général  qui  se  trouverait  compromise  si  les  particuliers 
étaient libres d’empêcher l’application de la loi». 
23 
couronnées de succès, sauf à retenir de très longues définitions »96. Il s’agit en fait 
d’un concept « congénitalement indéterminé »97. D’ailleurs, la doctrine a eu du mal 
à la définir98.  
 La notion de bonnes mœurs n’est pas moins ambiguë. Elle peut être utilisée 
pour justifier une censure disproportionnée ou excessive. Dans une ordonnance de 
référé  du  15  août  201199,  la  Cour  d’appel  de  Tunis  a  fait  allusion  aux  bonnes 
mœurs100  pour censurer les sites pornographiques sur internet. Selon la cour, « la 
les  divers  sites,  y  compris 
liberté 
pornographiques, conduit inévitablement à la méconnaissance des valeurs morales
sur lesquelles doit être basée l’éducation des jeunes… »101. Cette ordonnance, qui 
fut censurée par la Cour de cassation, a éveillé les craintes d’un retour à la censure 
sur internet dépassant les sites pornographiques. 
totale  d’accès  à 
internet  à 
travers 
Le caractère menaçant de ces notions, se  vérifie surtout à travers une affaire 
en date du 18 juin 2012, dans laquelle la  Cour d’appel de Monastir  a confirmé  le 
verdict  de  culpabilité  contre  un  internaute Jabeur  MEJRI qui  a  publié  sur  sa  page 
Facebook  une  caricature  du  prophète  Mahomet.  L’internaute  a  écopé  de  sept  ans  
de prison et d’une amende102.  
Les chefs d’accusations étaient basés sur les articles 121  ter et 226 du code 
pénal, ainsi que l’article 86 du code des télécommunications. L’article 121  ter du 
96
97
98
99
100
101
102
Jean HAUSER et  Jean-Jacques LEMOULAND, « Ordre public et bonnes mœurs », in Répertoire 
du droit civil, éd. Dalloz, mars 2004, p. 3. 
Ph.  FRANCESCAKIS,  « Y-a-t-il  du  nouveau  en  matière  d’ordre  public ? »,  Travaux  du  Comité 
Français  de  Droit  International  Privé,  1968,  p.  152,  (cité  par  Monia  BEN  JEMIA,  « Ordre  public, 
constitution et exequatur, in mélanges offerts à Habib AYADI, CPU, 2010. 
V. Lazhar KAROUI CHEBBI, « La procédure de poursuite en matière de chance », in « Un demi-
siècle  de  jurisprudence  pénale »,  Colloque  organisé  par  la  Faculté  de  Sciences  juridiques  et 
économiques  et  de  Gestion  de  Jendouba,  le  25  et  26  novembre  2010,  éd.  ELATRACH,  Tunis, 
211, p. 159, (en arabe).  
Ordonnance de référé n° 24675 du 15 aout 2011, inédite.  
L’ordonnance a fait allusion aux « valeurs morales ».  
  ل\]ھإ ‘aإ ةرورea\f يدؤj kjl\fmا \ojp \]f qrاو]aا فtuv] لwv ن] kytط] k{|f ت~رu~(cid:127)ا k(cid:128)f(cid:129) رf(cid:130) ر\lfmا kjرl رارrا نأ ثjlو"
 ق
tvf ktj{(cid:128)aا ت\]وy]aا ط(cid:133)fأ q] ‘p\~uu ت\(cid:133)ر\]]و رو]أ q] (cid:134)ط\(cid:135)uaا لوfr ‘t(cid:130) \o(cid:135)j(cid:136)(cid:129)uو k(cid:137)(cid:129)\~aا \ojt(cid:130) ‘fرu نأ ب(cid:136)j (cid:134)uaا kjrwv(cid:127)ا مjyaا
          ."\ھوl~و kj]t(cid:135)aا qrاو]aا ب(cid:136)l ‘aإ ةرورea\f يدؤu (cid:141) qrاو]aا ك(cid:128)tu نأ k|\v kj(cid:133){~aاو kj(cid:128)وt(cid:133)aا kjl\~aا ن] مjt(cid:133) q]u(cid:136)  
]
Voir 
contre-un-jeune-ayant-porte-atteinte-au-prophete.html;  
http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2012/06/25/tunisie-peine-confirmee-pour-la-publication-de-
caricatures-du-prophete-sur-facebook_1724235_1466522.html. 
http://www.tap.info.tn/fr/fr/regions/28188-la-cour-dappel-de-monastir-confirme-le-verdict-
24 
code pénal définit comme un délit : « la distribution, la mise en vente, l’exposition 
dans un but de propagande, des tracts, bulletins et papillons d’origine étrangères 
ou non, de nature à nuire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ». Cet article, qui 
figurait dans le code de la presse, sous le n° 61, a été transféré au code pénal par la 
loi  organique  n°  2001-43  du  3  mai  2001  portant  amendement    du  code  de  la 
presse103.  Normalement, il ne devrait plus être appliqué après l’entrée en vigueur 
du décret-loi n°2011-115 du 2 novembre 2011. L’article 226 du code pénal  punit 
« l’outrage  public  à 
l’article  86  du  code  des 
télécommunications,  il    punit  quiconque  « nuit  aux  tiers  ou  perturbe  leur 
quiétude».  
la  pudeur ».  Quant  à 
les 
Certes, 
odieuses 
sont-elles 
publications 
blasphématoires 
et 
provoquantes104.  Néanmoins,  il  semble  que  les  textes  d’incrimination  ne  sont  pas 
destinés  à  réprimer  l’atteinte  au  sacré,  sous  forme  de  publication,    sur  laquelle  le 
droit tunisien demeure lacunaire105. Cela explique, d’ailleurs, la démarche faite par 
certains  députés  à  l’assemblée  constituante  pour  ajouter  au  code  pénal  un  article 
incriminant    l’atteinte  au  sacré106.  Et,  comble  de  l’ironie,  la  peine  prévue  par    le 
nouveau  article  du  projet  de  loi,  qui  est  de  deux  ans  d’emprisonnement,    s’avère 
plus clémente pour l’inculpé d’un blasphème, que les textes qui sont aujourd’hui en 
vigueur.  Le  professeur  Lotfi  CHEDLY,  a  d’ailleurs  critiqué  ce  projet  de  loi, 
103
104
105
106
JORT n° 36 du 4 mai 2001, p. 1008. 
D’ailleurs,  le  blasphème  était  auparavant  réprimé  dans  plusieurs  codes  pénaux  européens : 
l’ancien code autrichien, le code du Liechtenstein (art. 122), le code portugais de 1886 (art. 130 et 
s. ), le code espagnol de 1870, qui lui consacrait même tout un chapitre, l’ancien code suédois , le 
code grec de 1950 (art. 198), le code polonais de1932 qui, dans son article 172 punissait de trois 
ans  d’emprisonnement  « quiconque  blasphème  publiquement  contre  Dieu ».  (Cité  par  Bernard 
BEIGNIER in «  L’honneur et le droit », LGDJ 1995, p. 337). 
Toutefois,  le  droit  tunisien  incrimine  l’entrave  à  l’exercice  des  cultes.  Aux termes  de  l’article  165 
du  code  pénal,  « quiconque  entrave  l’exercice  d’un  culte  ou  de  cérémonie  religieuses  ou  les 
troubles est puni de six mois d’emprisonnement et de cent vingt dinars d’amende, sans préjudice 
des peines plus fortes qui seraient encourues pour outrage, voies de fait ou menaces ».  
Le projet de loi vise à ajouter un article au code pénal, spécifique à l’atteinte au sacré. Il s’agit de 
l’article  165  bis  qui  dispose :  «   Est  puni  de  deux  ans  de  prison  quiconque  qui  porte  atteinte  au 
sacré.  Dieu  Tout-Puissant  et  ses  messagers  et  la  Sunna  de  Son  Messager  et  la  Kaaba,  les 
mosquées et les églises. L’atteinte peut être faite par l’injure, la moquerie, la profanation du sacré 
matériellement ou  moralement que  ce soit par la  parole, l’image,  le geste ou  par la reproduction 
ou la personnification de Dieu ou ses messagers». 
25 
estimant  que  la  définition  de  la  notion  du  sacré,  adoptée  par  le  projet  de  loi,  est 
pour le moins énigmatique107.  
Par ailleurs, le décret-loi n°2011-115 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté 
d’expression,  risque de poser plus de problèmes qu’il n’en résout. Il est vrai que ce 
texte demeure révolutionnaire par rapport au code de la presse. Cela se vérifie, par 
exemple,  à  travers  l’adoption  d’une  conception  restrictive  de  la  notion  de 
diffamation108 qui  doit  porter  sur  des  accusations  ou  des  imputations  inexactes109, 
ce qui n’est pas le cas dans le code de la presse.  En plus, l’article 56 du décret-loi 
limite  la  sanction  à  une  amende110.  Cependant,  le  revers  de  la  médaille,  c'est  que 
l’incrimination de la diffamation est aussi prévue par l’article 245 du code pénal111. 
Or,  cet  article  adopte  une  conception  plus  large  de  la  notion  de  diffamation, 
D’abord,  parce  qu’il  n’exige  pas  que  l’allégation  ou  l’imputation  du  fait  soit 
inexacte.  Ensuite,  parce  qu’il    s’applique  aussi  bien  aux  personnes  physiques 
qu’aux « corps constitués ». Néanmoins, la peine prévue par l’article 245 du Code 
pénal est de six mois d’emprisonnement. Conformément à l’article 54 du Code de 
procédure  pénale,  « lorsque  le  même  fait  constitue  plusieurs  infractions,  la  peine 
encourue pour l’infraction entrainant la peine la plus forte est seule prononcée ». 
Ainsi,  l’internaute  qui  procède  à  une  diffamation  sur  internet,  peut  être  poursuivi 
sur la base de l’article 245 du code pénal, au lieu de l’article 56 du décret-loi n° 115 
relatif à la liberté d’expression, puisqu’il y a là un concours idéal d’infraction.  
La persistance de textes d’incrimination de l’ère de la censure, est un piège à 
haut risque qui s’avère aujourd’hui plus menaçant qu’autrefois. Car avant au moins, 
107
108
109
110
111
V.  Lotfi  CHEDLY,  « La  Charia  et  la  constitution  de  la  révolution »,  Info  juridique,  n°  148/149, 
janvier 2013, p. 16, (article en arabe). 
Sur la diffamation, voir la thèse de Mohamed ABBOU, « Les limites de la liberté d’expression », p. 
20 et s. (en arabe). 
En revanche, l’inexactitude des accusations ou des imputations n’est pas exigée dans le code de 
la  presse.  Selon  l’art.  50      du  Code  de  la    presse,  alinéa  1er :  « Il  y  a  diffamation  dans  toute 
allégation ou imputation publique d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la 
personne ou du corps constitué auquel le fait est imputé ».  Cet article incrimine la seule atteinte à 
l’honneur ou à la considération d’autrui indépendamment de la véracité des allégations.  
L’article 51 du Code de la presse punit la diffamation d’un emprisonnement d’un an à trois ans et 
d’une amende de 120 à 1200 dinars. 
L’article  245  du  Code  pénal  dispose :  « Il  y  a  diffamation  dans  toute  allégation  ou  imputation 
publique  d’un  fait  qui  porte  atteinte  à  l’honneur  ou  à  la  considération  d’une  personne  ou  d’un 
corps constitué. La preuve du fait diffamatoire est autorisée dans les cas prévus par l’article 57 du 
code de  la presse ».  
26 
on savait les risques encourus de la liberté d'expression. Aujourd’hui, tout le monde 
s’exprime librement sur internet, mais cette liberté est parfois fallacieuse, et gare à 
celui qui tombe dans le piège de la censure112.  
112
Le 13 juin 2013, le rappeur tunisien « Alaa Yaacoub », surnommé «  Weld El 15 », fut condamné 
en  première  instance,  par  la  justice  tunisienne,  à    deux  ans  de  prison  ferme,  pour  le  clip  de  sa 
chanson « Boulicia Kleb » (Les policiers sont des chiens), dans lequel il s’attaquait aux policiers. 
Cette condamnation peut être  perçue comme une entrave à la liberté d’expression.  Cette peine 
fut  réduite  par  la  cour  d’appel  de  Tunis  à  six  mois  d’emprisonnement  avec  sursis.  Pour  plus  de 
développement sur cette affaire, voir l’article d’Abderraouf ELLOUMI, « Rap : quand l'expression 
artistique  dérape  »Brèves  remarques  sur  la  décision  «  Wild  15  »,  Tribunal  de  1ère  instance  de 
Ben Arous, jugement n° 745 du 13 juin 2013, publié dans le site  http://droitdu.net. 
27 
Page: 
1, 
2, 
3, 
4, 
5, 
6, 
7, 
8, 
9, 
10, 
11, 
12, 
13, 
14, 
15, 
16, 
17, 
18, 
19, 
20, 
21, 
22, 
23, 
24, 
25, 
26, 
27