tunisienne,  avec  un  focus  sur  l’épineuse  question  des  finances  électorales6,  le  tout  dans  la  plus 
parfaite  impunité7,  reconduit  le  débat  sur  le  besoin  d’accélérer  la  mise  en  place  des  instances 
constitutionnelles prévues par la Constitution, en mesure de garantir l’Etat de droit et la protection 
des droits fondamentaux. 
c. Les limites de la loi électorale 
Les  autorités  tunisiennes  post-révolutionnaires  ont  adopté,  dans  le  sillage  de  «  la  révolution  de 
2011 », une nouvelle loi électorale. Elaboré sur la base du mode de scrutin : « proportionnel au 
plus fort reste », ce mode électoral repose sur le calcul du quotient en divisant le nombre de votes 
par le nombre de sièges. On effectue la division entière du nombre de voix obtenues par chaque 
parti par ce quotient électoral. On obtient le quotient entier et on calcule le reste de la division. Les 
sièges sont d’abord affectés selon le quotient entier. Puis, les sièges non attribués sont distribués 
entre les partis dans l’ordre des plus forts reste8.
Le mode électoral tunisien du proportionnel au plus fort reste a été admis en vue de promouvoir le 
pluralisme parlementaire, dans la perspective de parvenir à un Parlement politiquement diversifié. 
En vérité, il ambitionnait surtout de juguler la prépondérance de la formation islamo-conservatrice 
d’Ennahdha,  qui  avait  émergé  dans  le  sillage  des  élections  de  2011  comme  la  principale  force 
politique  de  la  Tunisie,  en  raflant  89  des  sièges,  soit  41%  de  l’effectif  de  l’Assemblée  nationale 
constituante (ANC). Or, ce mode de scrutin électoral ne permet pas la mise en place de majorités 
homogènes  en  mesure  de  porter  l’activité  gouvernementale,  obligeant  par  conséquent  les 
formations politiques à former des alliances, parfois antinomiques, pour dégager des majorités. 
L’alliance d’Ennahdha avec les formations de gauche du Congrès pour la République (29 sièges) et 
Ettakatol (20 sièges) dans le cadre de la Troïka à la suite des élections de 2011, a certes offert à la 
formation islamo-conservatrice la possibilité de dégager une majorité au Parlement. Dans la même 
veine, l’alliance scellée après le scrutin de 2014 entre les libéraux de Nidaa Tounes (86 sièges) et 
Ennahdha (69 sièges) dans le cadre de l’approche du consensus, a permis aux formations politiques 
en question d’atteindre la barre fatidique de 109 sièges sur 217, indispensable pour la formation 
du  gouvernement  et  l’adoption  des  lois.  Cependant,  la  défiance  réciproque  entre  Ennahdha  et 
ses anciens alliés gauchistes et libéraux, notamment sur les questions sociétales, à l’exemple du 
débat sur la parité successorale initié en 2017 sous la présidence de Caid Beji Essebsi, a fragilisé 
l’entente entre les forces conservatrices et sécularistes du pays. Ce constat allait s’exacerber lors 
du  double  scrutin,  législatif  et  présidentiel,  de  2019  qui  a  entrainé  l’effondrement  de  la  classe 
politique post-révolutionnaire, alors que l’avènement d’un Parlement collatéralement fragmenté a 
rendu la gouvernance politique de plus en plus compliquée, révélant au grand jour les limites de 
la loi électorale de 2011. 
d. L’échec de la décentralisation 
Le régime de la décentralisation a été adopté sous forme de deux lois, en 2016, sur la décentralisation 
basée  sur  le  triptyque  commune/région/district  et,  en  2018,  sur  les  collectivités  locales.  Ledit 
régime reposait sur le désengagement de l’Etat de la gestion des affaires locales, régionales et 
territoriales, au profit des collectivités locales décentralisées, dans le but d’asseoir le principe de la 
libre administration des collectivités locales, tout en réconciliant les citoyens avec l’Etat. Selon Ines 
6. Hatem Nafti. Tunisie : le rapport de la Cour des comptes révèle les dysfonctionnements de la transition démocratique. 26 novembre 2020. 
https://www.middleeasteye.net/fr/decryptages/tunisie-cour-des-comptes-elections-argent-medias 
7. Thierry Brésillon. Ennahdha ou le prix de la reconnaissance. Arab Reform Initiative. 26 novembre 2011. https://www.arab-reform.net/fr/
publication/ennahdha-ou-le-prix-de-la-reconnaissance/ 
8.  Hatem  Nafti.  Tunisie:  une  révolution  paralysée  par  des  institutions  impotentes.  Orient-XXI.  17  décembre  2020.  https://orientxxi.info/
magazine/tunisie-une-revolution-paralysee-par-des-institutions-impotentes,4378 
8
Tunisie : la démocratie à l’épreuve de la crise de la IIème République Policy Paper  -  N° 03/22  -  Février 2022
Labiadh, la décentralisation tunisienne s’apparente à « la délégation ou le transfert de pouvoir de 
l’État central vers le plan local, au bénéfice d’agents élus par les citoyens et regroupés dans des 
collectivités locales9 ». Ainsi, le contrôle à priori est remplacé par le contrôle à posteriori, comme le 
prévoit l’article 138 de la Constitution de 2014 : « Les collectivités locales sont soumises, pour ce 
qui est de la légalité de leurs actes, à un contrôle à posteriori ». Cette nouvelle forme de contrôle 
permet aux autorités locales d’agir sans avoir à en référer au pouvoir central, qui peut toutefois 
intervenir à posteriori pour annuler des décisions illégales et assurer le respect des lois. Ainsi, ces 
dispositions  de  contrôle  permettent  d’assurer  le  respect  de  l’unité  de  l’État.  Selon  l’article  14  : 
« L’État s’engage à renforcer la décentralisation et à l’appliquer sur l’ensemble du territoire national 
dans le respect de l’unité de l’État ».
Cependant,  et  en  dépit  de  son  cortège  de  bienfaits,  la  décentralisation  semble  avoir  échoué  à 
remédier  aux  disparités  territoriales,  tout  en  pilotant  le  développement  régional.  Cet  échec 
s’explique par le fait que les responsables politiques tunisiens ont privilégié le renforcement des 
attributions  et  des  compétences  des  élus  locaux,  tout  en  délaissant  la  forme  administrative  de 
ce  processus,  qui  consiste  à  consolider  les  services  territoriaux  de  l’Etat  (gouvernorats,  services 
régionaux,  collectivités  locales),  ainsi  que  de  les  doter  d’une  autonomie  financière  suffisante  en 
mesure de leur permettre d’assurer de façon optimale la prestation des services publics sur tout 
le territoire tunisien (déconcentration et délégation de pouvoir), de concert avec les collectivités 
locales10. Ce constat est de surcroit renforcé par le fait que sans autonomie financière, l’autonomie 
administrative des collectivités locales et territoriales est vouée à l’échec. En effet, les ressources 
financières des collectivités locales et des municipalités décentralisées sont très limitées et nombre 
d’entre elles étant financées quasi exclusivement par l’Etat central, à l’exception des grands centres 
urbains de Tunis, Sfax, Sousse et Kairouane11, sachant que l’Etat n’octroie que 3,6% de son budget 
global  aux  collectivités  locales,  contre  respectivement  10%  et  20%  au  Maroc  et  en  Turquie,  et 
près  de  35%  en  Europe12.  Or,  le  Code  des  collectivités  locales  stipule  que  les  compétences  ne 
peuvent être transférées que si ces dernières disposent des moyens financiers pour les exercer. 
Dans  la  même  veine,  le  niveau  de  qualification  des  agents  locaux  est  faible,  particulièrement  à 
l’intérieur du pays. D’après le Plan d’opérationnalisation de la décentralisation du ministère des 
Affaires locales et de l’Environnement, le taux d’encadrement (pourcentage de cadres parmi les 
agents) dans les municipalités était de moins de 10% en 201813. Autant d’aspects, parmi d’autres, 
qui  expliquent  l’échec  de  la  décentralisation  tunisienne  à  dégager  des  collectivités  locales  et 
territoriales autonomes et efficientes, capables d’élaborer des politiques publiques convergentes 
vers les besoins de la population locale et au service d’une action publique efficace. 
e. L’éclipsement de la transition économique14
La transition économique constitue le talon d’Achille de l’ordre démocratique issu de la « révolution 
de  2011  ».  Cette  dernière,  qui  renvoie  au  besoin  d’élaborer  un  projet  d’économie  politique 
en  mesure  de  compléter  la  transition  démocratique,  révèle  l’échec  des  institutions  de  la  IIème
République à doter l’ordre démocratique d’une forme économique en mesure de remédier aux 
causes socio-économiques de « la révolution de 2011 », à savoir tout d’abord le caractère extraverti 
9. Ines Labiadh. Décentralisation et renforcement du pouvoir local : la Tunisie à l’épreuve des réformes institutionnelles. HAL. Janvier 2016. 
Page 1. 
10. International Crisis Group. Décentralisation en Tunisie : consolider la démocratie sans affaiblir l’Etat. 26 mars 2019. https://d2071andvip0wj.
cloudfront.net/198-decentralisation-en-tunisie.pdf 
11. Ibid. Page 19. 
12. Tunisie : note d’orientation sur le financement des collectivités locales. Banque mondiale. 2015. 
13.  International  Crisis  Group.  Décentralisation  en  Tunisie  :  consolider  la  démocratie  sans  affaiblir  l’Etat.  26  mars  2019.  Page  16.  https://
d2071andvip0wj.cloudfront.net/198-decentralisation-en-tunisie.pdf 
14. A voir : Policy Paper : la démocratie tunisienne à l’épreuve de la transition économique. Op.cit
9
Abdessalam JaldiPolicy Center for the New South
de l’économie tunisienne, qualifiée de colonialisme intérieur dans les travaux de Sghaier Salhi15, 
qui assigne aux régions de l’intérieur la vocation de fournir en ressources bon marché le littoral 
industriel,  sans  créer  la  valeur  ajoutée  dans  les  régions  de  la  Tunisie  de  l’intérieur  ;  ensuite,  la 
persistance du caractère rentier de l’économie tunisienne, qui fait référence à la collusion entre le 
pouvoir politique et les milieux affairistes contrôlant l’activité économique au détriment du progrès 
social,  entravant  par  conséquent  la  mise  en  place  des  infrastructures  nécessaires  permettant 
l’émergence d’une économie équilibrée et solidaire ; et enfin le chômage des jeunes qui a atteint 
des proportions frôlant les 20%. L’éclipsement de la transition économique explique l’échec de la 
révolution en Tunisie à traduire la démocratie en progrès social. Or, la transition économique est 
nécessaire pour renforcer la résilience de la démocratie en Tunisie aux nombreux risques internes 
et externes qui la guettent. 
2. L’instabilité politique conséquente aux élections de 2019 
La  crise  de  la  IIème  République  allait  atteindre  son  paroxysme  au  lendemain  du  double  scrutin 
électoral  présidentiel  et  législatif,  qui  allait  révéler  les  limites  de  l’ordre  démocratique  issu  de 
« la révolution de 2011 ». Ayant entrainé une recomposition politique d’une ampleur inédite, les 
élections de 2019 ont acté la fin du cycle politique initié par « la révolution de 2011 », caractérisée 
par  l’entente  entre  les  deux  camps  conservateurs  et  libéraux  représentés  principalement  par 
Ennahdha et Nidaa Tounes, dans le cadre de l’approche du consensus qui a façonné le paysage 
politique  post-révolutionnaire.  Alors  que  les  premiers  ont  vu  leur  capital  électoral  s’évaporer 
progressivement, en n’obtenant que 52 des sièges, contre 69 en 2014 et 86 en 2011, les seconds 
ont quasiment disparu du paysage politique tunisien. Les deux principales formations politiques 
héritières de la famille de Nidaa Tounes, à savoir Qalb Tounes de Nabil Karoui (38 sièges), et Tahya 
Tounes de l’ancien Chef de gouvernement Youssef Chahed (11 sièges), peinaient, elles, à peser 
dans le débat politique ou à se faire entendre dans l’hémicycle. Cette recomposition politique a 
poussé la formation de Nbail Karoui à nouer une alliance opportuniste avec Ennahdha, alors que 
les  deux  formations  avaient  mené  une  campagne  électorale  délétère.  En  outre,  et  au-delà  de 
l’effondrement de la classe politique post-révolutionnaire, les élections de l’automne 2019 ont vu 
émerger principalement trois nouvelles forces politiques qui remettent en cause les fondements de 
la IIème République. Tout d’abord, Kais Saied, qui a été élu confortablement comme 3ème Président 
de la IIème République en recueillant 2,77 millions de voix, soit 72% des suffrages, sur la base d’un 
programme politique, oscillant entre un conservatisme sociétal et une révolution institutionnelle 
du  pouvoir,  qui  décentralise  ce  dernier  du  Parlement  aux  conseils  locaux.  En  effet,  et  lors  du 
premier tour des présidentielles de 2019, Kais Saied est arrivé premier ou deuxième dans 19 des 
25  circonscriptions  dominées  par  Ennahdha  aux  législatives,  alors  même  que  le  parti  islamiste 
avait son propre candidat, Abdelfattah Mourou16. En outre, dans les deux circonscriptions de Sfax, 
deuxième métropole du pays et bastion ennahdhaoui, Saied s’est même offert le luxe de devancer 
Mourou, figure modérée du mouvement17. Ensuite, l’ascension fulgurante du Parti constitutionnel 
libre (PCL), nostalgique de l’ancien régime bénalien, et dont les sondages d’intention de vote le 
placent en tête aux prochaines législatives. Ce dernier rejette en bloc l’ordre démocratique issu 
de « la révolution de 2011 », en capitalisant sur l’incapacité de dix ans de démocratie à tenir les 
promesses de croissance économique et de justice sociale. Enfin, l’avènement de la coalition Al-
Karama qui s’est imposée au lendemain des élections de 2019 comme quatrième force politique 
au Parlement, en remportant 22 sièges, de tendance conservatrice et située à l’extrême droite de 
15. Thierry Brésillon. Sghaier Salhi : l’économie tunisienne est fondée sur un colonialisme intérieur. Middle East Eye. Février 2021. https://
www.middleeasteye.net/fr/entretiens/tunisie-economie-colonialisme-interieur-sghaier-salhi 
16.  Hatem  Nafti.  Tunisie  :  pourquoi  Kais  Saied  a  fait  d’Ennahdha  l’ennemi  à  abattre.  Middle  East  Eyes.  31  janvier  2022.  https://www.
middleeasteye.net/fr/decryptages/tunisie-kais-saied-ennahdha-ennemi-tensions 
17. Ibid. 
10
Tunisie : la démocratie à l’épreuve de la crise de la IIème République Policy Paper  -  N° 03/22  -  Février 2022
11
Abdessalam JaldiPolicy Center for the New South
l’échiquier  politique  tunisien,  qui  conteste  les  compromis  conclus  entre  les  conservateurs  et  les 
modernistes sur les sujets sociétaux, notamment ceux relatifs à la question de la femme. 
La recomposition politique, aggravée par l’avènement d’un Parlement idéologiquement fragmenté 
et politiquement ingouvernable, a engendré une instabilité politique qui a perduré jusqu’au coup 
de  force  présidentiel  du  25  juillet  2021.  En  effet,  et  depuis  les  élections  législatives  tunisiennes 
de  2019,  la  Tunisie  a  connu  en  une  année  et  demie  (6  octobre  2019  –  25  juillet  2021)  trois 
gouvernements  successifs,  à  savoir  tout  d’abord  Youssef  Chahed  qui  a  dû  expédier  les  affaires 
gouvernementales  courantes  jusqu’au  27  février  2020,  suite  à  l’échec  du  candidat  d’Ennahdha, 
Habib Jemli, à obtenir la confiance du Parlement pour former le gouvernement le 10 janvier 2020 ; 
ensuite, le gouvernement d’Ilyas Fakhfakh, proche de la Présidence, mais obligé à démissionner 
le 25 juillet 2020 alors que le Parlement s’apprêtait à le censurer par une motion de censure pour 
des soupçons de conflits d’intérêts entachant son Chef de gouvernement, en dépit d’une gestion 
optimale de la première vague pandémique de la COVID-19 ; après, le gouvernement d’Hichem 
Mechichi  (2  septembre  2020  –  25  juillet  2021)  ;  et,  enfin,  un  projet  de  remaniement  ministériel 
présenté en janvier 2021 par le Chef de gouvernement et approuvé par le Parlement, mais que le 
Président de la République a refusé de valider. 
3. La bataille des trois Présidents 
L’instabilité politique, dont la vie  parlementaire a offert un spectacle  indigne d’une  démocratie, 
conjuguée  à  la  dégradation  de  la  situation  socio-économique  et  sanitaire,  ont  exacerbé  une 
guerre  de  leadership  politique  qui  s’est  progressivement  transformée  en  un  véritable  conflit  de 
pouvoir agitant le sommet de l’Etat, opposant la présidence, le gouvernement, et le parlement. 
La bataille des trois Présidents18, comme elle a été surnommée par la presse tunisienne, avait pour 
principaux acteurs : 1-la majorité parlementaire au Bardo, à savoir la nouvelle troïka d’Ennahdha, 
Qalb tounes et Ihtilaf Karama qui avait la maitrise du travail parlementaire, mais  jouissait d’une 
très mauvaise réputation dans les sondages ; 2- le gouvernement d’Hichem Mechichi à Kasbah, 
dont le Parlement s’est assuré le soutien, notamment pour cause des ingérences présidentielles 
quotidiennes dans l’action gouvernementale, alors que le Chef de gouvernement savait qu’il ne 
devait son maintien et celui de son gouvernement qu’au bon vouloir du Parlement ; 3- et, enfin, 
la Présidence, à Carthage, qui a utilisé le large soutien populaire dont bénéficiait le Président de 
la République auprès du corps social, pour transcender les intermédiaires institutionnels par des 
pratiques césariennes, où le chef qui tire officiellement sa légitimité directement du peuple contre 
l’élite, notamment en utilisant son pouvoir d’interprétation de la Constitution dans la perspective 
d’accroitre ses prérogatives. Quatre faits présidentiels à connotation césariste, préludes au coup 
de force présidentiel du 25 juillet 2021, illustrent ce constat : 
1. 
2. 
le  choix  de  Kais  Saied  d’imposer  le  26  juillet  2020  Hichem  Mechichi  comme  Chef  de 
gouvernement  en  s’affranchissant  l’ensemble  des  partis  politiques,  dans  la  perspective  de 
placer un fidèle à la Kasbah, et d’en faire une sorte de Premier ministre, avant que ce dernier 
n’ait pris fait et cause pour sa majorité parlementaire, au détriment de la Présidence ;  
le refus du Président de la République de cautionner, en janvier 2021, le remaniement auquel 
a procédé le Chef du gouvernement qui ambitionnait surtout d’accroitre son autonomie par 
rapport à la Présidence, en évinçant les ministres proches de Carthage. En effet, Kais Saied a 
justifié son refus d’organiser la cérémonie de prestation de serment nécessaire à leur investiture, 
d’une part, pour non-respect des dispositions de l’article 92 de la Constitution qui souligne que 
toute structure gouvernementale doit faire l’objet d’une délibération en Conseil des ministres, 
18. Thierry Brésillon. La bataille des trois Présidents tunisiens. Middle East Eye. 2 avril 2020. https://www.middleeasteye.net/fr/decryptages/
la-bataille-des-trois-presidents-tunisiens 
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Tunisie : la démocratie à l’épreuve de la crise de la IIème République Policy Paper  -  N° 03/22  -  Février 2022
tout en informant préalablement le Chef de l’Etat et, d’autre part, pour des soupçons de conflit 
d’intérêts  entachant  quatre  ministres  nommés,  selon  l’organisation  anti-corruption  IWatch19, 
dont deux concernent les portefeuilles régaliens de la Santé et de l’Intérieur. Ennahdha a riposté 
en procédant à une démonstration de force en faisant venir des militants des quatre coins du 
pays alors que les déplacements interrégionaux étaient interdits pour des raisons sanitaires ; 
le Président de la République s’est autoproclamé, le 18 avril 2021, sur la base de l’article 77 
de  la  Constitution,  comme  commandant  suprême  de  toutes  les  forces  armées  militaires  et 
civiles,  tout  en  déclarant  caduque  une  loi  de  2015  attribuant  au  Chef  du  gouvernement  le 
commandement de la police, de la garde civile et des douanes ; 
le refus du Chef de l’Etat de promulguer, en avril 2021, l’amendement de loi adopté par le Parlement 
sur l’abaissement de la majorité requise pour élire les juges de la Cour constitutionnelle, clé de voûte 
de l’ordre juridico-institutionnel tunisien, en invoquant l’article 148 de la Constitution qui dispose 
que la Cour devait être instituée au plus tard un an après les élections législatives d’octobre 2014, 
bien que cette dernière n’octroie pas au Président de la République un droit de véto en la matière.  
3. 
4. 
La  bataille  des  trois  Présidents  a  exacerbé  les  tensions  entre  la  présidence,  le  parlement,  et  le 
gouvernement.  Au-delà  d’une  concurrence  pour  le  leadership  politique,  étaient  en  jeu  l’avenir 
de  la  IIème  République  et  les  ententes  économiques.  L’affaiblissement  progressif  de  la  légitimité 
parlementaire, incapable d’élever l’Etat au-dessus des intérêts partisans et des trafics d’influence, 
conjuguée à l’échec des institutions de la IIème République à assurer la promesse de la transformation 
du modèle économique tunisien, à l’origine de « la révolution de 2011 », tout en plaçant l’Etat hors 
de portée des instrumentalisations partisanes, ont fini par ébranler la confiance des citoyens en la 
capacité des institutions de représentation démocratique à réaliser la croissance économique et 
la justice sociale, avec cette question que de nombreux Tunisiens n’hésitaient plus à poser : « à 
quoi sert d’être libre si l’on ne peut manger à sa faim20». En contrepartie, la présidence à Carthage, 
très  populaire,  mais  sans  relais  politique,  a  misé,  d’une  part,  sur  la  dynamique  de  sa  légitimité 
populaire directe, consolidée par son refus de transiger avec la majorité parlementaire et, d’autre 
part, sur l’érosion de la légitimité parlementaire, ingouvernable et incapable de prendre en compte 
les demandes de la majorité populaire orpheline de représentation, pour s’imposer au moment 
opportun,  et  avec  l’assentiment  d’une  majorité  de  Tunisiens,  comme  le  seul  rempart  contre  un 
ordre politique qui a échoué à remédier aux causes de « la révolution de 2011 ». Le coup de force 
présidentiel du 25 juillet 2021, et les scènes de liesse populaires qui ont suivi la proclamation des 
mesures présidentielles exceptionnelles, nous fournissent à juste titre une perspective intrigante.       
II.	
	LA	CRISE	CONSTITUTIONNELLE RÉSULTANTE	DE	LA	
PROCLAMATION DE L’ÉTAT D’EXCEPTION 
Le  coup  de  force  présidentiel  du  25  juillet  2021  a  plongé  la  Tunisie  dans  une  sérieuse  crise 
constitutionnelle.  Dans  un  premier  temps,  il  s’agira  d’examiner  l’état  d’exception  dans  l’ordre 
constitutionnel tunisien, avant d’explorer avec un regard légal, l’ambiguïté juridique caractérisant 
les mesures présidentielles exceptionnelles.   
1. L’état d’exception dans l’ordre constitutionnel tunisien  
L’état d’exception est entendu juridiquement comme un moment critique pendant lequel les règles 
de droit prévues pour des périodes de calme sont transgressées, suspendues ou écartées, pour 
19. Espace Manager. 26 janvier 2021. https://www.espacemanager.com/qui-sont-les-ministres-proposes-sur-qui-pesent-des-soupcons.html 
20. Le Monde. Tunisie : les risques d’un échec, dix ans après la révolution. 18 décembre 2020. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/18/
tunisie-les-risques-d-un-echec_6063844_3232.html 
13
Abdessalam JaldiPolicy Center for the New South
faire face à un péril. Pendant ce moment, on assiste à une concentration du pouvoir, en général au 
profit de l’exécutif et, à la réduction ou à la suspension des droits jugés fondamentaux pendant les 
périodes de calme. Il s’agit d’un moment par définition fugace, mais temporaire, et orienté pour 
faire face à un péril donné, tout en établissant un équilibre raisonnable entre sauvegarde de l’ordre 
public et garantie des droits et libertés. 
Les modalités de la proclamation de l’état d’exception en Tunisie sont régies par l’article 80 de 
la Constitution, qui opère une synthèse avec les dispositions de l’article 16 de la Constitution de 
la Vème République française relatives au déclenchement des mesures exceptionnelles. Le régime 
d’exception permet au Président de la République de s’octroyer des pouvoirs exceptionnels, sans 
pour autant encadrer les mesures requises que le Chef de l’État peut être amené à prendre afin 
de  juguler  le  péril,  contrairement  à  la  Constitution  française  qui  souligne  dans  son  article  1621
que le Chef de l’Etat s’approprie les pouvoirs exécutif et législatif. Les alinéas 3 et 4 du premier 
paragraphe de l’article 80 affirment à cette fin que : « le Président de la République peut prendre 
les mesures qu’impose l’état d’exception22 ». 
Dans le même ordre d’idées, la mise en œuvre de l’état d’exception suppose la réunion de deux 
conditions nécessaires. Les alinéas 1 et 2 de l’article 80 parlent de : « péril imminent menaçant 
l’intégrité  nationale,  la  sécurité  ou  l’indépendance  du  pays23  »,  ainsi  que  l’interruption  du 
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels, tel que défini par les alinéas 2 et 
3 du premier paragraphe en question : « en cas de péril imminent…entravant le fonctionnement 
régulier des pouvoirs publics24 ». 
Les alinéas 4 et 5 du paragraphe 1 insistent cependant sur le besoin pour le Président de la République 
de  consulter  préalablement  le  Chef  de  gouvernement  et  le  Président  du  Parlement  avant  de 
déclencher les mesures exceptionnelles, sans préciser si ce dernier a besoin de l’approbation des 
deux chefs des pouvoirs exécutif et législatif en vue de proclamer l’état d’exception : « Le Président 
de la République peut prendre les mesures qu’impose l’état d’exception, après consultation du 
Chef de gouvernement, du Président de l’Assemblée des représentants du peuple25 ». En outre, 
le Président de la République doit informer le Président de la Cour constitutionnelle qu’il envisage 
d’activer  la  procédure  constitutionnelle  menant  à  la  proclamation  de  l’état  d’exception,  comme 
le  précise  l’alinéa  6  du  premier  paragraphe  :  «  après  en  avoir  informé  le  Président  de  la  Cour 
constitutionnelle  26».  Enfin,  l’alinéa  7  du  même  paragraphe  dispose  que  le  Président  de  la 
République doit informer la nation de la proclamation des mesures exceptionnelles : « Il annonce 
ces mesures dans un message au peuple27 ». 
Les  alinéas  1  et  2  du  paragraphe  2  de  l’article  80  soulignent  que  les  mesures  exceptionnelles 
doivent être une réponse temporaire à des situations de crise identifiées, tout en garantissant, dans 
les meilleurs délais, le retour à l’ordre constitutionnel : « Ces mesures doivent avoir pour objectif 
de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics28 ». 
Le Parlement qui, en vertu de la Constitution de 2014, concentre l’essentiel des pouvoirs, ne peut 
21. Constitution française de la Vème République. https://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/constitution.asp 
22.  Constitution de la République tunisienne. https://lib.ohchr.org/HRBodies/UPR/Documents/Session27/TN/6Annexe4Constitution_fr.pdf 
23. Ibid. 
24. Ibid. 
25. Ibid. 
26. Ibid. 
27. Ibid. 
28. Ibid. 
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Tunisie : la démocratie à l’épreuve de la crise de la IIème République Policy Paper  -  N° 03/22  -  Février 2022
être  suspendu  ou  dissout.  Dans  la  même  veine,  la  responsabilité  du  gouvernement  ne  peut  en 
aucun  cas  être  engagée  via  le  dépôt  d’une  motion  de  censure  à  son  encontre  en  plein  régime 
d’exception : « durant cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en 
état de session permanente. Dans cette situation, le Président de la République ne peut dissoudre 
l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure contre 
le gouvernement 29». 
Enfin, le dernier paragraphe de l’article 30 précise que la Cour constitutionnelle peut être saisie, 
passé un délai de 30 jours, par le Président du Parlement ou par les deux tiers des parlementaires, 
pour  vérifier  si  les  circonstances  exceptionnelles  justifiant  le  recours  aux  pouvoirs  d’exception 
persistent.  Elle  peut  aussi  se  prononcer,  dans  un  délai  maximum  de  15  jours  depuis  sa  saisine, 
sur le maintien ou la levée de l’état d’exception : « Trente jours après l’entrée en vigueur de ces 
mesures, et à tout moment par la suite, la Cour constitutionnelle peut être saisie, à la demande du 
Président de l’Assemblée des représentants du peuple ou de trente de ses membres, pour statuer 
sur le maintien de l’état d’exception. La Cour prononce sa décision en audience publique dans un 
délai n’excédant pas quinze jours30 ». 
2. L’ambiguïté juridique caractérisant la proclamation de l’état 
d’exception  
Le Président de la République a justifié la proclamation de l’état d’exception par la prolifération de 
nombreuses crises menaçant aussi bien la stabilité de l’Etat que la paix sociale. Il faut dire que la Tunisie 
fait face depuis les élections de 2019 à une crise à la fois politique, économique, sociale, financière 
et sanitaire, qui a accéléré le discrédit des institutions de représentation démocratique, ébranlant la 
confiance des citoyens en les institutions de la IIème République. En effet, et politiquement, la Tunisie 
vit depuis les élections de 2019 au rythme d’une instabilité chronique, conséquente à l’avènement 
d’un  Parlement idéologiquement fragmenté. Economiquement,  la Tunisie  subit de  plein  fouet les 
effets de la pandémie de la COVID-19, plongeant le pays dans sa pire récession économique depuis 
son  indépendance  en  1956,  et  poussant  le  gouvernement  d’Hicham  Mechichi  à  négocier  avec  le 
Fonds monétaire international (FMI) l’octroi d’un nouveau prêt, le 4ème en dix ans. Socialement, le 
pays  connait  une  prolifération  des  mouvements  de  contestation  sociale,  exacerbant  l’évaporation 
des espaces de médiation entre l’Etat et la société. Financièrement, la note souveraine de la Tunisie 
a été dégradée de huit échelons depuis dix ans et l’agence Moody’s l’a évaluée en novembre 2021 à 
Caa1 avec une perspective négative, tout comme Fitch le 8 juillet 2021, soit le dernier stade avant le 
défaut de paiement, alors que la possibilité d’un État failli commençait plus que jamais à se dessiner à 
l’horizon. Concernant la situation sanitaire, le système de santé tunisien paraissait plus que jamais au 
bord de l’effondrement, où le taux d’occupation des hôpitaux avait atteint 90% de ses capacités, alors 
que l’infrastructure hospitalière manquait sérieusement d’oxygène, sachant que la Tunisie enregistrait 
l’un des pires taux de mortalité officiels du monde.  
L’incapacité  des  institutions  de  la  IIème  République  à  juguler  les  périls  menaçant  la  stabilité  de 
l’Etat a poussé le Président de la République à activer l’article 80 de la Constitution qui lui permet 
de s’arroger des pouvoirs exceptionnels. « Nous traversons les moments les plus délicats et les 
plus dangereux de l’histoire de la Tunisie31 », avait-il annoncé lors de son allocution télévisée du 
25  juillet  2021,  proclamant  la  mise  en  œuvre  de  l’état  d’exception.  Dans  la  foulée,  le  locataire 
de  Carthage  a  immédiatement  pris  seul  la  direction  de  l’exécutif  après  avoir  limogé  le  Chef  du 
29. Ibid. 
30. Constitution de la République tunisienne https://lib.ohchr.org/HRBodies/UPR/Documents/Session27/TN/6Annexe4Constitution_fr.pdf 
31. Lilia Blaise. Tunisie : le Président Kais Saied limoge le Premier ministre et suspend les travaux du gouvernement. https://www.rfi.fr/fr/en-
bref/20210725-le-pr%C3%A9sident-tunisien-ka%C3%AFs-sa%C3%AFed-limoge-son-premier-ministre-et-suspend-les-travaux-du-parlement 
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gouvernement, gelé les activités du Parlement pour 30 jours et levé l’immunité des députés. Dans 
un deuxième temps, il a décidé, le 24 août 2021, de prolonger les mesures exceptionnelles sans 
définir  un  calendrier  relatif  au  retour  à  l’ordre  constitutionnel.  Cependant,  ce  n’est  qu’à  partir 
du 22 septembre, que le bras de fer entre Carthage et l’opposition politique allait atteindre son 
paroxysme, lorsque le Président de la République a suspendu les chapitres constitutionnels portant 
sur les pouvoirs exécutif et législatif (les décisions du 22 septembre 2021), tout en s’appropriant le 
pouvoir de légiférer par décrets présidentiels. Ensuite, le Chef de l’Etat a annoncé le 11 octobre 
2021,  la  formation  d’un  nouveau  gouvernement  «  présidentiel  »  responsable  seulement  devant 
le  Président  de  la  République,  et  sans  obtenir  la  confiance  de  l’Assemblée  des  Représentants 
du peuple (ARP), gelée depuis le 25 juillet. Enfin, le Président de la République a annoncé le 13 
décembre  que  la  Constitution  de  2014  n’était  plus  adaptée  à  la  Tunisie,  ouvrant  la  voie  à  son 
abrogation pure et simple. 
Ces  mesures  présidentielles  divisent  profondément  les  constitutionnalistes.  Pour  certains,  à 
l’exemple  des  juristes  et  constitutionnalistes  tunisiens  Sanaa  Benachour  et  Ayad  Benachour,  les 
mesures  présidentielles  exceptionnelles  partagent  les  caractéristiques  inhérentes  d’un  coup 
d’Etat32.  Ce  constat  est  motivé  par  le  fait  que  Kaïs  Saïed  a  outrepassé  les  prérogatives  que  lui 
confère la Constitution, au moins sur trois points : Primo, le Chef du gouvernement et le Président 
du Parlement n’ont pas été consultés, ni informés de la proclamation de l’état d’exception par le 
Président  de  la  République.  Secundo,  la  Cour  constitutionnelle  n’existe  pas  encore  afin  qu’elle 
puisse être saisie. Même si l’obligation est formelle, cette lacune pourrait rendre la procédure de 
l’article 80 inapplicable. Tertio, le gel du Parlement contrevient à une disposition sans équivoque 
qui  prévoit  qu’il  est  en  session  permanente  durant  cette  période.  Pour  d’autres,  les  mesures 
présidentielles exceptionnelles s’apparentent à un coup de force politique33, dans la mesure où le 
Président de la République n’a fait qu’exercer ses prérogatives constitutionnelles, en activant un 
article lui permettant constitutionnellement de prendre les mesures appropriées afin de juguler des 
périls menaçant jusqu’à la stabilité de l’Etat, sanctionnant parallèlement l’échec des institutions de 
la IIème République à remédier aux causes de « la révolution de 2011 », où s’est abîmé l’espoir que 
les Tunisiens avaient placé dans la révolution et la démocratie34. Rétorquant aux accusations de 
dérive autoritaire suite à la suspension du Parlement, Kais Saied a montré lors de la présentation du 
gouvernement de Najlaa Bouden, une série de clichés représentant les affrontements violents et des 
scènes d’anarchie qui se sont déroulés dans l’enceinte du Parlement35. La centrale syndicale Union 
générale tunisienne du travail (UGTT) ou, encore, l’Académie internationale de droit constitutionnel 
qui siège à Tunis, et tout en saluant avec prudence la proclamation de l’état d’exception, ont aussi 
invité  le  Président  de  la  République  à  élaborer  une  feuille  de  route  relative  au  retour  à  l’ordre 
constitutionnel, afin d’éviter toute dérive autoritaire. 
Face  à  une  telle  ambiguïté  juridique,  il  convient  de  souligner  qu’en  vertu  de  la  Constitution,  la 
Cour constitutionnelle demeure l’unique instance compétente pour se prononcer sur les conflits 
de pouvoir et les divergences résultant de l’interprétation des textes de la Constitution, ainsi que 
pour  vérifier  le  bienfondé  des  circonstances  exceptionnelles  justifiant  la  proclamation  de  l’état 
d’exception. L’exemple britannique de 2019, lorsque la Cour Suprême a jugé illégale la suspension 
d’un Parlement de Westminster très divisé sur les modalités de sortie du Royaume-Uni de l’Union 
32. Thierry Brésillon. Kais Saied fait basculer la Tunisie dans l’inconnu. 26 juillet 2021. https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-enquetes/
tunisie-kais-saied-article80-constitution-ennahdha-ghannouchi-parlement-manifestations-coup-etat 
33. Tilila Sara Bakrim et Agnès Levallois. Tunisie : le coup de force de Kais Saied, un coup d’Etat constitutionnel ? Fondation pour la recherche 
stratégique. https://www.frstrategie.org/publications/notes/tunisie-coup-force-kais-saied-un-coup-etat-constitutionnel-2021 
34.  Thierry  Brésillon.  Faut-il  changer  la  Constitution  ?  Middle  East  Eye.  2  août  2021.  https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/tunisie-
constitution-democratie-kais-saied-ennahdha-nidaa-tounes-parlement-r%C3%A9volution 
35.  Hatem  Nafti.  Tunisie  :  le  gouvernement  du  Président.  Middle  East  Eye.  12  octobre  2021.  https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-
enquetes/tunisie-nouveau-gouvernement-kais-saied-najla-bouden-ennahdha-marzouki-parlement-etat-exception 
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européenne  par  le  Chef  de  gouvernement  Boris  Johnson,  établit  un  parallèle  intéressant  par 
rapport à la perspective tunisienne. Or, la Cour constitutionnelle tunisienne n’existe toujours pas 
et  en  son  absence,  le  Président  de  la  République  est,  selon  Kais  Saied,  seul  juge  du  moment 
de la levée de l’état d’exception. Selon l’article 72 de la Constitution, le Chef de l’Etat veille au 
respect de la Constitution36. Par plusieurs aspects, le Président de la République utilise son pouvoir 
d’interprétation  de  la  Constitution  pour  orienter  ses  mesures.  Or,  une  interprétation  unilatérale 
par  Kais  Saied  de  la  charte  constitutionnelle  dans  la  perspective  de  renforcer  les  prérogatives 
présidentielles au détriment des institutions de la République issue de la Constitution de 2014, au 
nom d’une légitimité révolutionnaire dont il prétend être détenteur, est lourde de conséquences 
juridiques et politiques. Selon Hatem Nafti : « Ce sont des acquis fondamentaux de la révolution qui 
sont en passe d’être anéantis : le contrôle de l’exécutif est mis à mal, l’organisation des élections 
risque de revenir dans le giron du ministère de l’Intérieur et l’indépendance de la justice risque de 
repasser sous la coupe du pouvoir37 ». 
III.   LA TUNISIE SE DIRIGE-T-ELLE VERS UNE IIIÈME
RÉPUBLIQUE ?
Le coup de force présidentiel du 25 juillet 2021 préfigure la transition vers la IIIème République. Or, 
dans  une  Tunisie  où  la  démocratie  est  davantage  appréhendée  en  termes  d’utilité  que  comme 
bien commun, le projet de réforme institutionnelle de Kais Saied, illustré dans sa feuille de route 
transitoire, ne parait pas en mesure de répondre aux revendications populaires socio-économiques. 
1. Le projet présidentiel de démocratie par la base  
La  Tunisie  post  25  juillet  2021  constitue  un  tournant  dans  l’histoire  politique  contemporaine  du 
pays,  et  ouvre  un  moment  d’incertitude  existentielle  au  sujet  de  l’avenir  de  la  IIème  République. 
Alors  que  se  profile  une  nouvelle  configuration  institutionnelle  aux  contours  encore  flous,  une 
transition  vers  la  IIIème  République  parait  plus  que  jamais  envisageable.  C’est  ce  qui  ressort  du 
discours présidentiel du 22 septembre 2021 à Sidi-Bouzid, berceau de la secousse populaire de 
2011  qui  a  entrainé  la  chute  de  l’ancien  régime  bénalien,  suivi  du  discours  de  Carthage  du  13 
décembre suivant, dans lequel Kais Saied avait esquissé les grandes lignes de son projet politique 
qui entend rompre avec la Constitution de 2014. Promettant de relancer par le droit « la révolution 
de 2011 », conformément à son slogan de campagne lors des élections présidentielles de 2019 
« la loi appliquée à tous, sans distinction », le locataire de Carthage a promis devant une foule 
déchainée  scandant  les  slogans  :  «  Le  peuple  veut  la  dissolution  du  Parlement…Le  peuple  est 
avec toi, président »38, la promulgation d’une nouvelle loi électorale prévoyant que les élus soient 
responsables  devant  leurs  électeurs  et,  surtout,  la  révision  de  la  Constitution  de  2014  par  une 
commission  présidentielle  qui,  visiblement,  exclura  tous  les  corps  intermédiaires,  y  compris  les 
formations  politiques  pro-25  juillet  et  les  organisations  nationales,  à  l’exemple  de  la  centrale 
syndicale UGTT, au nom de la légitimité populaire. Le discours de Sidi Bouzid a été complété par 
celui de Carthage du 13 décembre 2021, dans lequel le Président Kais Saied a annoncé un nouvel 
échéancier politique qui préfigure la transition vers la IIIème République, par l’organisation d’une série 
de consultations populaires via la plateforme Istichara39, portant notamment sur des amendements 
36. Constitution de la République tunisienne. https://lib.ohchr.org/HRBodies/UPR/Documents/Session27/TN/6Annexe4Constitution_fr.pdf 
37.  Hatem  Nafti.  Tunisie  :  le  gouvernement  du  Président.  Middle  East  Eye.  12  octobre  2021.  https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-
enquetes/tunisie-nouveau-gouvernement-kais-saied-najla-bouden-ennahdha-marzouki-parlement-etat-exception 
38. Hatem Nafti. À Sidi Bouzid, Kais Saied enterre la deuxième République. Middle East Eye. 22 septembre 2021. https://www.middleeasteye.
net/fr/opinion-fr/tunisie-kais-saied-discours-r%C3%A9publique-coupe-de-force-autoritaire-sidi-bouzid-revolution 
39. https://www.e-istichara.tn/home 
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constitutionnels  et  électoraux.  Ces  derniers  seront  ensuite  soumis  à  un  référendum  le  25  juillet 
2022, dans la perspective d’organiser des élections législatives anticipées le 17 décembre 2022 sur 
la base d’une nouvelle loi électorale, tout en prolongeant la suspension du Parlement. Pour Youssef 
Abid, analyste pour l’association Al Bawsala, qui suit depuis 2012 les travaux parlementaires, « Kais 
Saied a exprimé d’une manière constante son opposition aux acteurs du système en place depuis 
2011, qu’ils soient issus des partis politiques ou des ONG40 ». 
Kais Saied a bâti son ascension au pouvoir sur un projet de réforme institutionnelle qui décentralise 
le pouvoir du Parlement aux conseils locaux. Le Chef de l’Etat avait d’ores et déjà affirmé avant 
même le discours de Sidi Bouzid, lors d’une déclaration au ministère de l’Intérieur, au lendemain de 
la proclamation de l’état d’exception, le 26 juillet 2021, la mise en œuvre de son projet d’inversion 
de la pyramide du pouvoir, en affirmant que : « s’il y avait un partage équitable de la richesse et une 
autre organisation du pouvoir, qui part de la base, avec des élections et une redevabilité des élus…à 
ce moment-là, la loi serait vraiment l’expression de la volonté du détenteur de la souveraineté, c’est-
à-dire le peuple41 ». Fervent partisan d’une forme de démocratie directe, et hostile aux fondements 
de la démocratie représentative, le Président de la République estime que le multipartisme et les 
élections ne sont plus en mesure de traiter les causes socio-économiques « de la révolution de 
2011 », tout en concrétisant la souveraineté populaire, dans un pays où la majorité populaire est 
devenue orpheline de représentation. Rejetant en bloc la Constitution de 2014 à laquelle il impute 
la  responsabilité  de  l’inefficacité  gouvernementale,  l’ancien  Professeur  de  droit  constitutionnel 
persiste à considérer que cette dernière s’inscrit dans la même pensée constitutionnelle de celle 
de 1959, se contentant simplement de répartir différemment les pouvoirs, sans faire du peuple le 
véritable détenteur de la souveraineté, et sans prendre en compte la condition des jeunes, moteur 
du soulèvement populaire de 2011 : « Ces jeunes sont actuellement tenus en marge de l’histoire, 
alors  qu’ils  sont  en  position  de  former  une  nouvelle  classe  politique.  Avec  la  révolution,  ils  ont 
ouvert un chemin, mais ensuite ils ont été pris en otages par les divisions politiques. Les partis sont 
des formes dépassées. Ils tiennent les mêmes discours depuis 40 ans. Il faut retrouver le chemin 
tracé par les jeunes, mais sans une nouvelle pensée, on ne pourra pas instaurer un nouveau système 
42». En s’appuyant sur ce constat, le Chef de l’Etat explique l’échec de la transition démocratique à 
traduire les aspirations populaires, alors que les défis auxquels est confrontée la Tunisie supposent 
une nouvelle pensée avec des méthodes nouvelles : « Malheureusement, on a fait une Constitution 
dans le même esprit qu’en 1959, avec un partage un peu différent des pouvoirs. Et encore, depuis 
la révision de 1976, l’assemblée avait déjà théoriquement le pouvoir de démettre le gouvernement. 
Une  Constitution  n’est  pas  un  acte  juridique.  Ce  n’est  pas  un  choix  d’expert.  C’est  d’abord  un 
acte politique. Il faut penser une authentique démocratie pour remédier aux fractures sociales et 
régionales, qui sont les raisons de la crise. Il ne faut pas oublier que la révolution a commencé dans 
les périphéries43». 
Le projet de réforme institutionnelle prôné par le Président de la République, qui fait du peuple 
un sujet politique, en remplaçant l’Etat de droit par une société de droit, entend rapprocher les 
citoyens de la décision politique, dans la perspective de résoudre les problèmes structurels aux 
origines des injustices sociales. Pour le locataire de Carthage, c’est à partir des profondeurs du 
pays, en l’occurrence de la Tunisie de l’intérieur, que la transformation peut venir, à travers une 
40. Hatem Nafti. La bataille autour de la Cour constitutionnelle pourrait sonner la fin de la IIème République. Middle East Eye. 29 avril 2021. 
https://www.middleeasteye.net/fr/decryptages/tunisie-cour-constitutionnelle-crise-bloquage-kais-saied-octroi-pouvoirs 
41. Thierry Brésillon. Kais Saied fait basculer la Tunisie dans l’inconnu. Middle East Eye. 26 juillet 2021. https://www.middleeasteye.net/fr/actu-
et-enquetes/tunisie-kais-saied-article80-constitution-ennahdha-ghannouchi-parlement-manifestations-coup-etat 
42.  Thierry  Brésillon.  Kais  Saied:  un  projet  de  démocratie  radicale  pour  la  Tunisie.  Middle  East  Eyes.  17  septembre  2019.  https://www.
middleeasteye.net/fr/decryptages/kais-saied-un-projet-de-democratie-radicale-pour-la-tunisie 
43. Kais Saied. Un projet de démocratie radicale pour la Tunisie. Middle East Eye. 17 septembre 2019. https://www.middleeasteye.net/fr/
decryptages/kais-saied-un-projet-de-democratie-radicale-pour-la-tunisie 
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manière de gouverner qui renverse la pyramide du pouvoir et fait remonter la volonté politique 
de la société vers l’État pour faire des Tunisiens la source de leur propre développement. Partisan 
de  l’idée  que  l’intérêt  national  est  défini  en  termes  des  intérêts  locaux,  Kais  Saied  estime  que 
chaque collectivité territoriale délibère sur les choix impactant sa vie locale44. Pour cela, il défend 
le  postulat  qu’il  faut  commencer  par  le  local,  en  élisant  dans  un  premier  temps,  dans  chaque 
arrondissement, un représentant au scrutin uninominal à deux tours, parmi des candidats parrainés 
par  un  nombre  égal  de  femmes  et  d’hommes,  pour  former  des  conseils  locaux  dans  chacune 
des  264  délégations.  Dans  ces  conseils  locaux,  siégeraient  également,  mais  sans  droit  de  vote, 
des  représentants  des  administrations  locales,  ainsi  qu’un  responsable  sécuritaire,  nommé  par 
l’administration  centrale,  investi  par  le  conseil  de  délégation,  tout  en  octroyant  aux  électeurs  la 
possibilité de révoquer les conseils locaux élus s’ils ne remplissent pas leurs devoirs électoraux, 
afin de donner corps à la souveraineté populaire. Ces conseils auraient pour mission d’élaborer des 
projets de développement local, tout en désignant par tirage au sort un représentant pour siéger 
dans un conseil régional pour une période limitée, aux côtés de directeurs des services de l’État 
afin d’harmoniser les projets locaux et régionaux. Enfin, ces conseils régionaux choisiraient à leur 
tour un représentant de chaque conseil local pour former le Parlement. Autrement dit, le projet de 
réforme institutionnelle de Kais Saïd se propose d’incarner une nouvelle pensée politique, où l’État 
n’est plus le dispensateur de bienfaits mais l’opérateur de la décision populaire élaborée par des 
assemblées, et dont les élus travaillent sous le regard des citoyens.
Kais  Saied  semble  être  convaincu  que  son  projet  de  réforme  institutionnelle  est  en  mesure 
d’éradiquer les disparités sociales et territoriales à l’origine de « la révolution de 2011 », auxquelles 
le système de la IIème République a échoué à remédier, tout en mettant fin à l’instabilité politique 
qui perdure en Tunisie depuis les élections de 2019. Il faut dire que la crise de la IIème République 
tunisienne  nous  rappelle  la  crise  de  la  IVème  République  française  (1946  –  1958),  qui  avait  porté 
atteinte  au  bon  fonctionnement  des  institutions  de  représentation  démocratique,  en  plein 
processus de décolonisation, avant la rupture « De Gaulienne » orchestrée à partir de 1958 par 
l’attrayante offre politique de la Vème République. En effet, le régime de la IVème République était 
caractérisé  par  la  prédominance  du  Parlement  qui  contrôlait  étroitement  le  gouvernement  en 
intervenant  dans  sa  composition  par  le  biais  de  l’investiture,  tout  en  mettant  fréquemment  en 
cause sa responsabilité, alors que l’exécutif ne disposait pas des moyens nécessaires lui permettant 
de faire prévaloir ses vues face au Parlement. Dans le même ordre d’idées, la prédominance du 
système  de  la  proportionnalité  obligeait  les  députés  à  former  des  alliances  pour  dégager  des 
majorités, puis à les rompre au gré des événements politiques, provoquant l’émiettement de la 
représentation politique et l’absence de majorités stables, engendrant une instabilité ministérielle 
chronique, symbolisée par la succession de 24 gouvernements durant les 12 ans d’existence de la 
IVème République, dont certains ne sont restés en place que quelques semaines. L’impasse politique 
a fini par pousser le général De Gaulle à rompre avec la IVème République, par l’élaboration d’un 
nouveau régime politique, la Vème République, qui opère une synthèse entre les fondements du 
régime présidentiel et ceux du régime parlementaire. 
La crise de la IIème République tunisienne partage beaucoup de similitudes avec la crise de la IVème
République française, de par l’anarchie parlementaire qui caractérise la Tunisie politique depuis les 
élections de 2019, la prédominance du système de la proportionnalité qui empêche l’émergence 
de majorités homogènes, ou encore l’incapacité du Parlement à devenir la source de la politique 
gouvernementale,  aggravée  par  la  pénurie  des  ressources  techniques  et  humaines  en  mesure 
de  renforcer  l’expertise  des  députés.  En  affirmant  vouloir  restaurer  l’autorité  et  le  prestige  de 
l’Etat  face  à  un  Parlement  rejeté  par  le  peuple  dans  sa  majorité,  et  complètement  déconnecté 
du vécu quotidien des citoyens, le Président tunisien, en tant que figure de leadership disposant 
44. Hatem Nafti. Tunisie: Kais Saied dissout le Parlement et annonce des législatives dans un an. Middle East Eye. 14 décembre 2021. https://
www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/tunisie-kais-saied-parlement-nouvelles-elections-legislatives-constitution-referendum 
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d’une forte légitimité électorale, s’est endossé un costume « De Gaulien », en référence au retour 
du Général De Gaulle au pouvoir en 1958 qui préfigura le passage vers la Vème République. Ses 
propos dans une interview accordée au quotidien américain le New York Times (voir l’édition du 
01 août 2021), lorsqu’il a paraphrasé à son compte et en réponse à ses détracteurs, une célèbre 
citation de l’artisan de la Vème République, sont très révélateurs : « Pourquoi pensez-vous qu’à mon 
âge, je commencerais une carrière de dictateur ? 45». Dans la même veine, et lors du discours du 
13 décembre 2021, le Président de la République est allé jusqu’à affirmer que les dix ans de la 
révolution tunisienne (2011 -2021) s’apparentaient à une décennie sombre dans laquelle l’État a 
été mis à genoux, allusion à l’ensemble de l’édifice de la IIème République construit depuis la chute 
de l’ancien régime que le Chef de l’Etat envisage de démolir46.   
2. Une feuille de route ne répondant pas aux enjeux populaires 
La rupture présidentielle orchestrée par Kais Saied préfigure inéluctablement la transition vers la 
IIIème République, tant souhaitée par la présidence. Or, rien pourtant dans les intrigues qui agitent 
Carthage ne semble avoir de correspondance avec les difficultés socio-économiques que vivent 
les Tunisiens. En effet, la secousse populaire émanant de Sidi Bouzid le 17 décembre 2010 était 
construite sur une revendication de justice sociale, avant que cette dernière ne parvienne à partir 
du 12 janvier 2011, à gagner les périphéries urbaines et finalement mobiliser les élites citadines 
dans  le  littoral  tunisien,  accélérant  la  chute  de  l’ancien  régime  le  14  janvier  2011.  À  l’issue  des 
évènements de Carthage II qui ont vu le tiers-Etat tunisien assiéger le siège du gouvernement à 
Kasbah pour obtenir le départ des derniers vestiges de l’époque de Ben Ali, la crise politique s’est 
soldée par une forme de deal, où les « subalternes » de l’arrière-pays ont été invités à regagner 
la Tunisie de l’intérieur, en contrepartie de la promesse que la démocratie avec tout son cortège 
de bienfaits, résoudra les problèmes de croissance économique et de justice sociale. Or, le choix 
de privilégier le chantier des réformes démocratiques au détriment des réformes économiques a 
laissé pendante la question sociale, provoquant une hiérarchie entre libertés politiques et droits 
socio-économiques, que les gouvernements successifs en Tunisie mettaient en avant pour justifier 
la démocratie, sans songer à renforcer la résilience de la démocratie tunisienne en  remédiant aux 
fondements exacts de « la révolution de 2011 » qui supposait l’élaboration d’un projet d’économie 
politique  de  la  révolution.  L’échec  de  la  révolution  à  traduire  la  démocratie  en  progrès  social, 
qui a provoqué la défiance des Tunisiens envers les institutions de représentation démocratique, 
a  contribué  à  l’éclosion  d’un  discours  appelant  à  sacrifier  la  démocratie  pour  le  compte  du 
développement économique, comme le symbolise l’ascension fulgurante du Parti constitutionnel 
libre (PCL) autour de la personnalité d’Abir Moussi nostalgique de l’ancien régime bénalien, qui 
rejette en bloc l’ordre démocratique issu de « la révolution de 2011 », et crédité vainqueur de tout 
scrutin législatif en cas d’organisation d’élections législatives anticipées.  
Les  problèmes  de  la  Tunisie  sont  essentiellement  socio-économiques,  et  non  pas  forcément 
institutionnelles. Le salut du pays viendra de l’élaboration d’un modèle de développement propre 
aux besoins de la nouvelle société tunisienne, et sûrement pas du démantèlement de la Constitution 
de 2014 qui, au-delà des inerties caractérisant l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, 
structure  aussi  bien  les  libertés  que  le  régime  démocratique  tunisien.  Or,  et  face  à  des  sujets 
qui concernent le quotidien des Tunisiens, supposant la transformation du modèle économique 
tunisien  par  l’élaboration  d’un  projet  d’économie  politique  de  la  révolution  dans  la  perspective 
de  compléter  la  transition  démocratique  et  de  finaliser  l’édification  de  l’ordre  démocratique,  le 
45.  Vivian  Yee.  Tunisia’s  President  Holds  Forth  on  Freedoms  after  seizing  power.  New  York  Times.  01  août  2021.  https://www.nytimes.
com/2021/08/01/world/middleeast/tunisia-president-kais-saied.html?smtyp=cur&smid=tw-nytimes 
46. Hatem Nafti. À Sidi Bouzid, Kais Saied enterre la deuxième République. Middle East Eye. 22 septembre 2021. https://www.middleeasteye.
net/fr/opinion-fr/tunisie-kais-saied-discours-r%C3%A9publique-coupe-de-force-autoritaire-sidi-bouzid-revolution 
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Tunisie : la démocratie à l’épreuve de la crise de la IIème République Policy Paper  -  N° 03/22  -  Février 2022
locataire de Carthage semble s’intéresser davantage à la question constitutionnelle, sans prendre en 
compte les problèmes économiques et sociaux des citoyens qui réclament des réponses concrètes 
à leurs problèmes quotidiens de travail et de développement. Dans le même ordre d’idées, et en 
dépit des progressions en termes sanitaires et en matière de campagne de vaccination, la situation 
socio-économique n’a fait qu’empirer en huit mois de régime d’exception. Ainsi, et déjà enlisée 
dans  une crise sociale endémique, la Tunisie continue à encaisser  les  effets de  la crise sanitaire 
de la COVID-19 qui a provoqué l’effondrement du tourisme, secteur névralgique de l’économie 
tunisienne, qui emploie 11% de la population active et contribue à 14% dans le PIB du pays. Le 
déficit a explosé de 3,4% du PIB en 2019 à 9,6% du PIB en 2020 pour ensuite atteindre 7,8% du 
PIB en 2021, de sorte que Tunis a été contrainte de recourir à Ryad, Abou Dhabi et, surtout Alger, 
pour boucler la loi de finance de 2022. La dette publique est passée de 74,2% à 89,7% du PIB 
en 2020 pour dépasser 90% en 2021. Le chômage frôle toujours les 20%, alors que la production 
de phosphate continue à décliner, au point que la Tunisie, qui était le 3ème exportateur mondial, 
se  trouve  contraint  d’importer  le  minerai.  Dans  la  même  veine,  la  Compagnie  Phosphate  Gafsa 
(CPG), qui détient le monopole sur l’exploitation du phosphate, a perdu ses clients internationaux, 
dont l’Inde et le Brésil, et prévoyait de finir l’année 2021 avec une production de 3,7 millions de 
tonnes. Les conflits sociaux autour de l’eau, de l’emploi, du versement des salaires ont repris de 
plus belle, et selon un rapport du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), 
la  Tunisie  a  connu  plus  de  1000  mouvements  protestataires  en  novembre  2021,  présageant  un 
début d’année 2022 particulièrement agité pour Carthage, alors que le puissant syndicat UGTT 
semble  avoir  définitivement  pris  ses  distances  avec  la  présidence47.  Dans  cette  perspective,  les 
événements d’Agareb, provoqués par le refus du ministère de l’Environnement d’appliquer une 
décision judiciaire relative à la fermeture de la décharge d’El Gonna située aux portes d’Agareb, 
qui cumulait des déchets ménagers et chimiques provoquant la prolifération d’un certain nombre 
de maladies recensées dans la région, peut constituer le début de la fin de la lune de miel entre 
le Président de la République et les mouvements de contestation sociale, alors que la FTDES avait 
appelé  à  un  congrès  des  mouvements  sociaux  pour  unifier  le  militantisme  social48.  Hatem  Nafti 
voyait dans les évènements d’Agareb : « un cas d’école illustrant les limites de son projet (de Kais 
Saied) de démocratie par la base, dans lequel chaque collectivité territoriale délibère sur les choix 
impactant sa vie locale49». 
Le  désir  du  Président  de  la  République  d’imposer  son  agenda  de  réformes,  au  détriment  des 
corps intermédiaires, sans prendre en compte les revendications populaires socio-économiques, 
peut  précipiter  le  renversement  de  l’opinion  à  son  égard50,  jusqu’à  provoquer  l’érosion  de  son 
capital  de  popularité.  Alors  qu’en  août  2021,  Kaïs  Saïed  était  plébiscité  par  une  large  majorité 
de  Tunisiens,  dont  95%  déclaraient  lui  faire  confiance,  ils  ne  sont  plus  que  66  %51  à  le  soutenir 
et  26  %  à  approuver  la  cheffe  du  gouvernement,  Najla  Bouden52,  selon  un  baromètre  politique 
d’Emrhod  Consulting.  Cette  amorce  de  désamour  est  même  entrain  de  perturber  le  locataire 
de  Carthage,  avec  l’ascension  de  la  personne  de  Fadhel  Abdelkefi,  Président  d’Afek  Tounes  et 
47. Frida Dahmani. Tunisie : l’UGTT, première force d’opposition à Kais Saied. Jeune Afrique. 7 décembre 2021. https://www.jeuneafrique.
com/1277890/politique/tunisie-lugtt-premiere-force-dopposition-a-kais-saied/ 
48. Thierry Brésillon. Tunisie: Kais Saied, une réponse aux échecs de la transition ? 20 septembre 2021. https://ccfd-terresolidaire.org/nos-
publications/edm/2021/318-septembre-2021/tunisie-kais-saied-une-7107 
49. Hatem Nafti. Peut-on encore parler de révolution tunisienne. Middle East Eyes. 17 décembre 2021. https://www.middleeasteye.net/fr/
opinion-fr/tunisie-revolution-anniversaire-kais-saied-bouazizi-tournant-autoritaire 
50.  Frida  Dahmani.  Tunisie  :  l’inquiétante  dérive  autoritaire  de  Kais  Saied.  Jeune  Afrique.  25  novembre  2021.  https://www.jeuneafrique.
com/1269985/politique/tunisie-linquietante-derive-autoritaire-de-kais-saied/ 
51.  Frida  Dahmani.  Tunisie  :  l’inquiétante  dérive  autoritaire  de  Kais  Saied.  Jeune  Afrique.  25  novembre  2021.  https://www.jeuneafrique.
com/1269985/politique/tunisie-linquietante-derive-autoritaire-de-kais-saied/ 
52. Frida Dahmani. Tunisie: après 100 jours à la tête du gouvernement, quel bilan pour Najla Bouden ? Jeune Afrique. 11 janvier 2022. https://
www.jeuneafrique.com/1293490/politique/tunisie-apres-100-jours-a-la-tete-du-gouvernement-quel-bilan-pour-najla-bouden/ 
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Abdessalam JaldiPolicy Center for the New South
ancien ministre des Finances et de la coopération internationale, qui se positionne dans l’échiquier 
politique, tout en fédérant l’opposition libérale, par le sérieux de ses propositions en mesure de 
mettre fin à la crise socio-économique et l’instabilité politique qui secouent la Tunisie depuis les 
élections de 2019. Pour preuve, les propos du Chef de l’Etat à son sujet: « Malheureusement, la 
Cour de cassation a décidé de l’innocenter. On le présente comme un superman et comme un 
mastodonte de la finance publique, alors qu’il est un grand voleur 53». Dans le même ordre d’idées, 
la  condamnation  de  Moncef  Marzouki,  premier  Président  de  la  Tunisie  démocratique  et  un  des 
artisans  de  la  IIème  République,  à  quatre  ans  de  prison  ferme  par  contumace,  pour  atteinte  à  la 
sûreté de l’État à l’étranger et de lui avoir causé un préjudice diplomatique, la mise en résidence 
surveillée de l’ancien ministre de la Justice et membre du parti Ennahdha Noureddine Bhiri, ainsi 
que  la  multiplication  d’un  certain  nombre  de  procès  civils  et  militaires  à  l’encontre  de  citoyens 
pour avoir critiqué publiquement le Président de la République, entretient beaucoup d’ambigüité 
sur  l’avenir  de  la  liberté  d’expression  en  Tunisie,  considérée  par  un  grand  nombre  de  Tunisiens 
comme l’acquis le plus important de « la révolution de 2011 ». Ce constat est motivé par le fait 
que le Président de la République refuse de répondre aux questions de la presse tunisienne, en se 
contentant de diffuser des vidéos sur la page Facebook de la présidence54. Dans la même veine, 
lors de la visite en Tunisie du président palestinien Mahmoud Abbas, il y a eu une conférence de 
presse sans journalistes55. Durant la visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune, seuls les 
journalistes des médias publics ont été admis et aucun d’entre eux n’a pu poser de questions au 
Chef de l’État tunisien56. En outre, l’absence de la Cour constitutionnelle dont la mission est aussi 
d’abroger les lois jugées inconstitutionnelles prive les Tunisiens d’une garantie essentielle contre 
les poursuites pénales pour des accusations qui violent leurs droits humains fondamentaux.  
L’ambigüité juridique caractérisant les décisions présidentielles exceptionnelles, en l’absence de 
la Cour constitutionnelle, accroit les craintes d’une dérive autoritaire, alors que le Chef de l’Etat 
semble, et de par ses pratiques césariennes, s’être engagé dans une entreprise de neutralisation 
des  contre-pouvoirs  afin  d’imposer  son  agenda  de  réformes57.  Si  le  Parlement  et  l’Instance  de 
lutte contre la corruption en ont fait les frais, l’Instance supérieure des élections (ISIE), le Conseil 
supérieur  de  la  magistrature  qui  compte  45  membres,  ainsi  que  les  collectivités  territoriales 
paraissent  plus  que  jamais  sur  la  sellette.  Ce  constat  est  motivé  par  le  fait  que  Kais  Saied  avait 
qualifié les magistrats de fonctionnaires de l’Etat, et non de pouvoir indépendant qui veille à la 
séparation  des  pouvoirs  et  à  l’équilibre  des  pouvoirs  entre  l’exécutif  et  le  législatif,  provoquant 
l’ire de l’Association des magistrats tunisiens (AMT) qui a condamné dans un communiqué rendu 
public le 12 décembre 2021 en des termes très fermes, les propos présidentiels portant préjudice 
à  l’indépendance  de  la  justice,  en  appelant  les  magistrats  à  assumer  leurs  missions  en  pleine 
autonomie  et  impartialité58.  Dans  la  même  veine,  l’organisation  des  élections  risque  de  revenir 
dans le giron du ministère de l’Intérieur, notamment par rapport à la supervision de la feuille de 
route constitutionnelle présidentielle de sortie du régime d’exception, alors que le régime de la 
décentralisation tel qu’élaboré en 2016 est dans le viseur du projet de Kais Saied de démocratie 
par le bas. 
53. Business News. 7 décembre 2021. https://www.businessnews.com.tn/yassine-ayari--je-soutiens-fadhel-abdelkefi-devant-les-enfantillages-
de--charabil--,520,114591,3 
54. Hatem Nafti. Peut-on encore parler de révolution tunisienne. Middle East Eyes. 17 décembre 2021. https://www.middleeasteye.net/fr/
opinion-fr/tunisie-revolution-anniversaire-kais-saied-bouazizi-tournant-autoritaire 
55. Ibid. 
56. Ibid. 
57. Ibid. 
58. Page Facebook de l’AMT. https://www.facebook.com/AmtTunisie/photos/pcb.2174149662725236/2174149556058580/ 
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Tunisie : la démocratie à l’épreuve de la crise de la IIème République Policy Paper  -  N° 03/22  -  Février 2022
CONCLUSION 
Le séisme politique du 25 juillet 2021, et les discours de Sidi Bouzid, du 22 septembre 2021, et 
de Carthage, du 13 décembre 2021, constituent un tournant dans l’histoire politique de la Tunisie 
contemporaine. Otage d’une conception mercantile de la transaction politique, la IIème République 
a  été  incapable  de  dégager  les  réformes  nécessaires  en  mesure  de  transformer  le  modèle 
économique, dans la perspective de répondre aux causes socio-économiques de « la révolution de 
2011 ». L’échec de la révolution à traduire la démocratie en progrès social a engendré une défiance 
citoyenne envers les institutions de représentation démocratique de la IIème République, préludant 
le  coup  de  force  présidentiel  du  25  juillet  2021  qui  a  sanctionné  l’échec  de  celle-ci  à  faire  face 
aux périls qui menacent la stabilité de l’Etat et la paix sociale, voire sa responsabilité dans la crise 
multidimensionnelle tunisienne, où s’est fracassé  l’espoir que les Tunisiens avaient placé dans la 
révolution et la démocratie. Alors qu’une nouvelle phase politique post 25 juillet 2021 est amorcée, 
une transition vers la IIIème publique, dont les contours et la nature du régime politique sont encore 
flous,  parait  sérieusement  envisageable.  Cependant,  la  feuille  de  route  constitutionnelle  telle 
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